Pie XII 1941 - DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX


LETTRE A L'UNIVERSITÉ FORDHAM DE NEW YORK A L'OCCASION DU PREMIER CENTENAIRE DE SA FONDATION

(24 février 1941) 1

A l'occasion du Ier centenaire de la fondation de l'Université Fordham, le Saint-Père, dans la lettre ci-dessous, célèbre l'importance du travail accompli par l'Université S. J. Fordham à New York :

C'est avec une cordiale affection que Nous Nous unissons à la province de Maryland-New York de la Compagnie de Jésus, ainsi qu'aux directeurs, aux professeurs, aux étudiants et aux amis de l'Université Fordham, dans la célébration des solennités du centenaire de cette magnifique institution. Notre joie paternelle est rendue plus profonde et plus intime à la pensée que Nous appartenons à votre famille universitaire et aussi par raison de l'agréable souvenir de la visite que Nous vous avons faite il y a quelques années, quand Nous eûmes l'occasion de constater de Nos yeux la preuve de vos éminents succès religieux et patriotiques 2. Comme Vicaire du Christ sur terre et comme gardien du précieux héritage qu'il a légué à l'humanité, Nous avons un motif de plus de Nous réjouir avec vous en cette heureuse occasion ; en effet, au cours des cent années d'existence de l'Université Fordham, ses recteurs et ses professeurs ont donné avec un indéniable succès une forte impulsion et un constant encouragement aux principes de l'éducation chrétienne sur lesquels l'université a été fondée et sans lesquels toute éducation est

1 D'après le texte anglais des A. A. S., 33, 1941, p. 328 ; cf. la traduction française des Actes de S.S. Pie XII, t. III, p. 29.

2 Lors de son voyage aux Etats-Unis, du 8 octobre au 7 novembre 1936, le cardinal Pacelli fut reçu docteur honoris causa par quatre universités, dont celle de Fordham où il fut accueilli le 1er novembre.

stérile et ne peut pas ne pas constituer une menace pour la société comme pour les individus.

Le développement considérable de l'Université.

Nous connaissons bien le développement qui, grâce à la Providence et aux faveurs divines, a marqué l'histoire de l'Université Fordham. Après des débuts très humbles avec cinq étudiants, elle s'est développée et a grandi jusqu'à pouvoir se glorifier de compter aujourd'hui environ 8000 étudiants ; un grand nombre de magnifiques bâtiments sont venus s'adjoindre au Manor House de l'origine ; et le premier collège et le premier séminaire ecclésiastique sont devenus une université complète qui peut à bon droit prendre rang parmi les grandes universités des Etats-Unis. Mais ce progrès matériel, cette augmentation du nombre des étudiants et des possibilités, en un pays où les institutions d'éducation ont prospéré, pourraient aisément ne pas retenir l'attention s'ils n'étaient pas accompagnés des efforts zélés et féconds des fils de saint Ignace pour infuser dans l'esprit des jeunes catholiques confiés à leurs soins, les principes de la saine philosophie et de la vérité révélée qui sont l'héritage de l'éducation chrétienne.

La valeur de ses élèves.

Au milieu des douleurs qui affligent Notre coeur apostolique, Nous sommes grandement consolé en pensant à ces milliers et milliers d'étudiants sortis de l'Université Fordham, soigneusement instruits dans les sciences et les arts profanes, profondément pénétrés des principes de la foi, prêts et empressés, de coeur comme d'intelligence, à défendre le royaume de Dieu, à contribuer généreusement au progrès de la civilisation chrétienne, à vivre en harmonie avec leurs condisciples. C'est Notre espoir confiant et pieux, que tous ceux qui, à l'avenir, bénéficieront des privilèges exceptionnels, des avantages et des bienfaits offerts par votre université, pourront être encore plus parfaitement préparés à affronter avec courage et conviction les difficultés et les dangers qui les attendent et qui semblent devoir être très probablement grandement accrus dans les temps agités qui peuvent se présenter. Ainsi vos élèves continueront à être un solide et positif appoint pour le grand pays auquel ils doivent fidélité, et une source de joie et de consolation pour l'Eglise et pour leur université.

Parmi les noms des personnages distingués et illustres qui sont étroitement unis à l'histoire et aux traditions de l'Université Fordham, Nous trouvons celui de votre courageux fondateur John Hughes, premier archevêque de New York, et celui du cardinal John Mc-Closkey, votre premier président. Sur les listes de vos étudiants, on peut relever les noms de nombreux évêques, prêtres, juges et avocats, écrivains et orateurs, autorités civiles et ecclésiastiques, qui, par leurs qualités eminentes, ont fait grandir la célébrité et la renommée de l'Université. A l'occasion de cet heureux centenaire, vous pouvez vraiment, avec fierté, honorer la mémoire de ces hommes courageux qui ont joué un rôle si important dans l'histoire de votre université ; vous pouvez honorer avec fierté ces diplômés éminents qui seront une source continuelle de joie et d'inspiration, de la joie qui résulte des glorieux résultats obtenus, de l'inspiration qui conduit au progrès futur.

Mais tout en rendant l'honneur qui est dû à ces illustres personnages du passé et du présent, Nous voulons ajouter une parole de louange et de gratitude pour l'autre succès réalisé par ces innombrables milliers d'étudiants sortis des saintes salles de cours de votre institut, qui ont apporté du prestige à leur Aima Mater par leur silencieuse activité, sans acquérir une célébrité ou une renommée personnelle, en montrant d'une façon concrète que, comme diplômés d'une université catholique, ils sont de dignes citoyens chrétiens qui rendent un appréciable service à l'Eglise et à l'Etat.

De fait, votre université a été fondée pour faire en sorte que tout étudiant soit pleinement formé et préparé à jouer ce rôle, même obscur, dans le drame de la vie et c'est pour ce motif que ses directeurs travaillent aujourd'hui avec un si grand zèle et une telle compétence.

Il y a quelques années, Nous adressant à l'imposante assemblée d'amis et d'étudiants qui s'étaient réunis pour Nous saluer dans votre université, Nous vous rappelions que votre avenir est riche de promesses parce que vous chérissez l'héritage inappréciable du passé ; et en vous engageant à être fidèles aux traditions, aux principes, aux idéals de Fordham, Nous vous donnions l'assurance qu'en agissant ainsi, non seulement vous serviriez Dieu et votre patrie, mais vous mériteriez également une couronne incorruptible qui serait vôtre pendant toute l'éternité. Ces sentiments et ces exhortations furent exprimées par anticipation à votre centenaire. Nous les renouvelons cordialement à l'heure où le centenaire est en train d'être commémoré.

En vous envoyant en cette heureuse occasion Nos paternelles félicitations, Nous prions ardemment pour que l'Université Fordham puisse continuer la fidélité et le dévouement, les sacrifices et les travaux qui ont marqué son glorieux passé, et aussi pour que le Dieu tout-puissant, dans son infinie sagesse, éclaire la route vers un avenir encore plus glorieux.

En témoignage de Notre paternelle affection et en souhaitant que la lumière divine vous soit accordée dans une abondante mesure, Nous vous donnons de tout coeur Notre Bénédiction apostolique.


DISCOURS AUX CURÉS ET PRÉDICATEURS DE CARÊME DE ROME

(25 février 1941J1

Pour la deuxième fois, le Saint-Père a voulu réunir autour de lui les curés et prédicateurs de carême de Rome pour leur donner des directives précises pour la pastoration des fidèles de son diocèse. Voici la traduction de cet important discours :

Quelle sainte assemblée que votre réunion sacerdotale autour de Nous, chers curés de Rome, dont Nous sont bien connus l'ardeur apostolique, les renoncements quotidiens affrontés avec joie pour le bien des âmes de Notre diocèse qui Nous est particulièrement cher ; et la vôtre, orateurs sacrés, à l'ouverture de ce temps de grâce et de jours de salut (2Co 6,2) pour le peuple chrétien ! Notre coeur se dilate (2Co 6,11), Notre pensée s'élève et se promène dans cette atmosphère spirituelle où déjà il Nous semble entendre résonner votre voix proclamant les hautes vérités de la foi et de la morale chrétienne, selon l'esprit de saint Paul qui, si instruit qu'il fût des traditions des anciens (Ga 1,14) ne voulait pas avoir d'autre parole à adresser aux auditeurs de sa puissante parole, sinon Jésus-Christ, et Jésus crucifié (1Co 2,2). Dans ce Dieu crucifié est le sublime résumé de toute la sagesse du héraut apostolique : sa croix, non plus gibet de mort, mais phare de vie et de résurrection, de même qu'elle s'élève triomphante sur les pinacles des temples et des cathédrales, doit s'enfoncer dans les coeurs et dans les profondeurs des âmes et les ranimer, les purifier, y renouveler cette vie que le baptême y avait greffée, où croissait la grâce, et à qui la passion et l'ennemi tendaient des embûches ; cette vie qui est la racine d'une vie éternelle exempte de la caducité de la chair.

1 D'après le texte italien de Discorsi e Radïomessaggi, t. II, p. 405.

Le thème du carême.

Mais qu'est-ce donc que la vie éternelle, que la brume et l'enchantement trompeur des choses terrestres voilent au regard de l'âme et empêchent de voir ? « La vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ » (Jn 17,3) : ainsi le proclamait à ses disciples le Sauveur du monde, dans sa prière à son divin Père, à la veille de sa passion et de sa mort. La connaissance du seul vrai Dieu et de Jésus-Christ, l'Envoyé du Père : voilà la vie éternelle qui a son aube ici-bas et dans le ciel la splendeur de son midi sans couchant. C'est pourquoi c'est pour Nous un vif plaisir que pour la prédication de carême de cette année Notre très zélé et très cher cardinal vicaire ait assigné comme thème aux orateurs sacrés l'exposition et l'explication des six premiers articles du Credo qui traitent du seul vrai Dieu, son Unité et sa Trinité ; de l'origine et de la chute de l'homme, pour le salut duquel le Fils de Dieu s'est incarné, a souffert et est mort afin de nous faire renaître à une nouvelle vie, Lui qui est avec le Père et le Saint-Esprit « le vrai Dieu et la vie éternelle » comme dit saint Jean le disciple bien-aimé (1Jn 5,20). Dieu, l'homme, le divin Médiateur entre Dieu et l'homme, est-ce que ce ne sont pas les points centraux autour desquels se groupent les vérités de notre foi et dans lesquels se résume toute la science de notre fin et des moyens qui nous guident vers notre suprême destinée ? Sans cette science, comment l'homme ici-bas peut-il éviter les sentiers du mal et marcher dans le droit chemin du salut et de la vertu ? Vous êtes les pasteurs de vos brebis ; vous êtes les pères de vos fils spirituels ; vous êtes les médecins des âmes malades ; parlez à l'homme, bourgeon d'un matin, de son Dieu qui, de toute éternité, en dehors de tout temps, Un dans sa nature et Trois dans ses personnes, vit, aime et agit dans une lumière ineffable et inaccessible par ses propres forces à l'intelligence créée (cf. 1Tm 6,16). Parlez à l'homme de lui-même qui, alors qu'il était fait à l'image et à la ressemblance de Dieu s'est révolté contre son Créateur et fut précipité dans un abîme de maux, est encore beau et grand dans sa ruine. Parlez à l'homme de Jésus-Christ qui, étant Dieu et égal à Dieu, s'est anéanti lui-même, a pris la forme d'un esclave, est devenu semblable aux hommes, a été considéré comme homme et s'est humilié lui-même en se faisant obéissant jusqu'à la mort et à la mort de la croix (Ph 2,6-8).

a connaissance de Dieu nécessaire à la société.

Le peuple et la société ont besoin de connaître Dieu. Les événements terribles auxquels nous assistons aujourd'hui sont principalement la conséquence et comme la vengeance de la négation de Dieu et de l'irréligion qui, comme une contagion, trouble et corrompt l'âme des peuples et, comme un incendie, menace de s'étendre sur l'Europe et sur des continents entiers ; en même temps ils sont une épreuve par laquelle le Seigneur veut de sa voix puissante rappeler le genre humain à la foi et au service de Dieu. C'est là, chers fils, le premier grand devoir de votre prédication : ramener les hommes à la connaissance du vrai Dieu personnel, « afin qu'ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu », afin qu'ils recommencent à marcher en sa présence dans la crainte et l'amour et qu'ils apprennent de nouveau à diriger toute leur activité, de leurs plus secrètes pensées à toutes leurs actions, selon sa sainte loi.

« Approchez-vous de lui, et vous recevrez la lumière » (Ps 33,6). Dieu est lumière et père des lumières ; la lumière de son visage a mis sa trace dans notre raison, de même que la lumière donnée par la foi est un éclair de son infinie vérité. Enseignez à l'homme le chemin qui lui permette de s'approcher de lui et d'en être illuminé ; montrez-lui le chemin par lequel l'homme monte des créatures à Dieu par la seule lumière naturelle de la raison ; montrez-lui le chemin par lequel la vérité divine qui dépasse toute intelligence humaine descend vers nous, révélée sans le secours de démonstrations, pour être entendue et acceptée ; montrez-lui le terme du chemin par où l'âme humaine, dégagée du lien des choses sensibles, s'élèvera pour voir ce qui surpasse toutes les capacités des sens jusqu'à la contemplation intuitive des vérités révélées par Dieu. Dieu montrera vraiment alors tout bien en lui-même, comme il l'a dit à Moïse (Ex 33,19) ; or même ici-bas le bien parfait de l'homme n'est autre que de connaître Dieu de quelque manière.

'ignorance actuelle.

Mais qui donc s'applique à connaître Dieu ? Qui le cherche par les voies de la vérité ? Qui cherche à s'élever jusqu'à la science de la foi ? Regardez les assemblées des sages de ce monde, les chaires de la science, les livres des philosophes modernes, les réceptions de tant de familles. Interrogez les savants plongés dans la recherche des mystères de la nature, des événements des peuples et de l'esprit humain et demandez-leur : Qui est Dieu ? Que pensent-ils et que croient-ils de Dieu ? Pour beaucoup Dieu est de nouveau le dieu inconnu des Athéniens ; il faudrait qu'apparaisse un Paul de Tarse ressuscité, dans les aréopages de la science d'aujourd'hui, toujours avides de nouveautés, pour parler ou révéler aux nouveaux élèves du Portique ou d'Epicure un Dieu créateur de l'univers et de tout le genre humain né d'un seul couple sur la face de la terre ; un Dieu proche de nous, dans lequel nous vivons, nous nous mouvons et nous sommes, et différent des constructions des imaginations humaines ; un Dieu qui, n'ayant cure des temps de l'ignorance, ordonne à tous les hommes de faire pénitence et qui, au jour fixé, jugera en toute justice par le moyen d'un Homme qu'il a établi juge en le ressuscitant de la mort (Ac 17,18-31). En d'autres temps moins orgueilleux que les nôtres, les étudiants des diverses sciences se glorifiaient d'écouter aussi dans les Facultés officielles les maîtres de la théologie, cette sagesse supérieure ; maintenant, au contraire, si les adultes ne se font plus gloire d'ignorer Dieu, c'est une plainte fréquente que l'on fait aux écoles et aux chaires d'université de soustraire ou de refuser à des âmes qui sont naturellement et sacramentelle-ment chrétiennes, non moins le lait que la solide nourriture de la doctrine divine ou de l'empoisonner.

N'est-ce pas pour Dieu qu'a été fait l'esprit de l'homme et qu'il est inquiet de reposer en lui ? Quand, dans les jours de douleur et de terreur, dans la gêne et le malheur, il fouille dans les profondeurs de son passé ; quand il considère autour de lui les ruines de l'incrédulité et du mépris de Dieu, en lui-même, dans la famille, dans la société ; quand, dans l'intime de sa conscience comme dans la solitude du désert, il entend le cri oublié de son coeur, alors il se lève, courbe le front et se dirige là où il entendra une parole amie et sage qui l'invite à faire un retour sur lui-même, à songer à ses souvenirs religieux, aux pieds de Dieu. C'est à vous orateurs sacrés qu'il appartient de satisfaire, d'assouvir, de guider cet élan de l'âme humaine vers Dieu, élan qui agite tant d'esprits aujourd'hui, comme avant le christianisme il agita l'intelligence de tant de philosophes qui se trouvaient en désaccord entre eux, mais qui cependant dirent tant de vérités, encore que mélangées d'erreurs, comme Aristote, ce prince de la pensée qui, après avoir été vingt ans à l'école de Platon, écrivit un jour que la félicité future de l'homme nous est inconnue 2.

2 Ethique à Nicomaque, 1. 1, cap. X.

Il désirait sans succès connaître cette vérité qui aurait apaisé son désir de savoir 3, parce que la raison humaine, pour puissante qu'elle soit, ne peut pas tout voir, ni « parcourir la route infinie qui mène à la connaissance d'une substance en trois personnes » 4.

Grandeur et richesse de la foi.

Mais depuis lors, la vérité de Dieu est descendue du ciel, nous a manifesté et fait connaître dans un Dieu unique le Père qui nous a donné son divin Fils pour notre salut et le Saint-Esprit que le Père et le Fils nous ont donné pour nous sanctifier dans l'amour. La foi nous élève au-dessus de tout savoir humain, au-dessus de tous les sages d'Athènes et de Rome qui, bien que s'étant élevés du gouvernement de l'univers à la connaissance de Dieu, auteur et ordonnateur du monde, ne surent pas le connaître clairement comme créateur ; plus erronée encore fut l'idée qu'en eut le peuple : « ils s'évanouirent dans leurs pensées » (Rm 1,21). N'y a-t-il pas de nombreux savants d'aujourd'hui qui délirent aussi au sujet de Dieu dont ils font une fiction de leur pensée inconstante et qu'ils identifient avec le monde ? Répétez à qui vous écoute, chers fils, ce que l'apôtre Paul disait aux fidèles de son temps : « Veillez à ce que personne ne vous trompe par la philosophie et les vaines erreurs qui reposent sur les traditions humaines et les paroles du monde qui ne sont pas selon le Christ » (Col 2,8).

Cette philosophie qui repose sur la tradition humaine n'est pas la vraie et la saine philosophie, mais la fausse philosophie de l'incrédulité et de l'erreur qui, au lieu de s'élever de la connaissance des créatures à celle de Dieu, tandis que celle de la foi descend de Dieu à nous par la Révélation, va en divaguant et en errant dans le labyrinthe des vaines faussetés, nie et refuse l'assentiment raisonnable (Rm 12,1) à un Dieu qui parle au Christ, sagesse incarnée de Dieu, lumière dans les ténèbres de l'humanité déchue (cf. 1P 2,9). Quelle pauvre philosophie que celle qui, en présence de l'éclatante lumière de l'Evangile, s'enfonce en divaguant orgueilleusement dans une ignorance païenne et l'obscurité à l'égard du monde à venir !

3 Dante, Purgatoire, 3, 41-42. * Ibid., 3, 35-36.

La tâche des prédicateurs.

Grandeur par contre de la foi ! C'est sans peine que vous pouvez voir comment elle nous enseigne la noblesse de l'origine de l'homme, qui porte sur son front le signe de l'image et de la ressemblance de Dieu et brille de dons admirables ; roi de la création, il est renversé de son trône par sa chute orgueilleuse ; et pourtant après sa ruine il se relève et par la lumière de son intelligence, par l'habileté de ses mains, par la liberté de sa volonté, comme un géant en face du monde créé, il le traverse sur les ailes de sa pensée et monte par le chemin des cieux, avec la raison soutenue par la foi pour connaître, adorer et invoquer dans sa chute le Dieu qui l'a créé. Cet homme, vous l'avez devant vous, auprès des autels, au pied de vos chaires. Enseignez-lui comment la connaissance d'un Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, au nom de qui il fut lavé de la souillure originelle et fait héritier du ciel, doit passer de l'esprit dans le coeur, de l'intelligence dans la volonté, pour éveiller et enflammer l'amour, parce que c'est principalement par l'amour que l'on s'attache à Dieu, qu'on répare le passé éloigné, qu'on ranime la foi ; sans le fondement de la foi d'ailleurs tout tombe en ruine dans les moeurs, dans la famille, dans la société. Rappelez-lui aussi qu'il est poussière et qu'il retournera en poussière (Gn 3,19) ; mais de ce souvenir qui l'humilie en lui-même et lui fait voir la fugacité de la vie et de ce monde, qu'il prenne l'élan pour s'élever plus haut vers Dieu qui l'attend au terme de sa journée pour juger de son oeuvre et qui le ressuscitera à la fin des temps. Quoi que l'on puisse penser des voyants antiques et nouveaux de Samos ou du Gange, tel est l'unique transmigration de l'âme humaine de cette vallée d'exil au tribunal du Christ : « Il a été décrété que l'homme mourra une fois, et après la mort, viendra le jugement » (He 9,27). Aussi, dit saint Augustin, le temps de la vie présente n'est qu'une course à la mort : Nihil est aliud tempus vitae hujus quam cursus ad mortem 5. Dieu avait créé l'homme doué d'immortalité : la rétribution du péché, c'est la mort (Rm 6,23) ; mais le premier homme préféra ajouter foi à la négation de Satan plutôt que de se souvenir de la menace de Dieu ; par son péché, il entraîna toute sa descendance dans l'abîme de l'ignorance et du mal, de l'infirmité et de la concupiscence et dans la poussière du tombeau.

De ch. Dei. XIII, 10.

Le Christ Rédempteur

Voilà l'humanité, bannie du lieu de délices, errante sur la face de la terre, courbée dans la sueur pour demander son pain à la terre qui ne lui offre que tribulations et épines, l'humanité ennemie d'elle-même dans sa lutte pour ce pain trempé de sueur, arrosant du sang de ses fils les champs qu'elle baigne de sa sueur. Voilà ce qu'est l'homme déchu. Voilà l'effet du premier et seul péché qu'il a commis en ce lieu de délices et alors qu'il était en possession d'une si grande félicité, péché si grand que par le seul homme qui l'a commis le genre humain tout entier s'en trouve condamné et puni. Qui soulagera ce malheureux, tombé sur les chemins du monde dès le début de son voyage ? Qui en lavera la souillure ? Qui en soignera les blessures ? Qui pourra dire pour lui à un Dieu offensé : pardon ? Personne n'est capable d'effacer et de laver cette faute, sinon l'unique Médiateur entre Dieu et les hommes : le Christ Jésus, Homme, (1Tm 2,5) Verbe de Dieu fait chair et habitant au milieu de nous (Jn 1,14). Il naîtra d'une Vierge ; il sera grand et sera appelé le Fils du Très-Haut ; le Seigneur lui donnera le trône de David son père ; il régnera éternellement sur la maison de Jacob et son règne n'aura pas de fin (Luc, i). Il sera le Docteur de la justice promis ; il chassera du monde l'ennemi de l'homme ; il prendra sur lui les infirmités et les iniquités des fils d'Adam ; il sera le Prêtre et la Victime qui apaisera la justice divine et réconciliera le ciel et la terre. Engendré du Père de toute éternité et conçu du Saint-Esprit au jour de la chair, il sera à sa naissance adoré par les anges, les bergers et les peuples ; dans ce même Esprit-Saint seront régénérés tous ceux qui croient au Christ, engendré lui aussi mais sans avoir besoin de régénération. Le baptême qu'il voudra recevoir 'du Baptiste ne trouvera rien en lui à laver et à effacer comme la mort ne trouvera rien en lui à punir. Dans son baptême et dans sa mort triomphera non point la nécessité qui a besoin de miséricorde, mais la volonté miséricordieuse du nouvel Adam qui par lui seul enlève le péché du monde comme le premier Adam, lui seul, avait introduit le péché dans le genre humain ; lui, en enlevant ce premier péché, enlèvera en même temps tous les autres péchés qui s'y trouveront ajoutés 6.

« Cf. S. Augustin, Enchiridion, c. 47-50 ; Migne, P. L., t. 40, col. 255-256.

à faire connaître aux hommes.

Prêchez ce mystère des mystères qui illumine la clôture du saint temps du carême, somme des mystères qui brillent et réciproquement se donnent lumière et clarté, sans que la raison humaine puisse se flatter d'en atteindre le fond ; parce que le fond, c'est l'abîme de l'incompréhensible dessein de la Trinité divine dans l'histoire de la chute et de la Rédemption du genre humain, et ceci est le second but important de vos prédications de carême. Les hommes d'aujourd'hui, éblouis par la vive splendeur du progrès matériel en presque tous les domaines, sont devenus en grande partie aveugles et fermés à la lumière des vérités surnaturelles, de sorte que, non seulement ils n'y croient plus, mais ne comprennent même pas comment la foi peut être encore pour d'autres une réalité et une valeur. Conduisez ces âmes à la connaissance et à l'amour du Christ, lumière du monde resplendissant dans les ténèbres de l'humanité et les générations qui passent et qui se succèdent sur la terre. Ce Roi des âmes est encore trop peu connu, lui qui nous a sortis de la puissance des ténèbres pour nous mettre dans la lumière, lui en qui nous avons la Rédemption par le moyen de son Sang et la rémission des péchés. C'est lui qui est le mystère qui éclaire le mystère de l'Unité et de la Trinité de Dieu ; l'image du Dieu invisible, c'est le Dieu caché dans une chair humaine ; en lui sont tous les trésors de la sagesse et de la science, de la grâce et de la gloire ; c'est lui qui est la tête du corps de l'Eglise. N'est-il pas aussi le mystère de nos autels : le Dieu présent et caché au milieu de nous jusqu'à la consommation des siècles ?

Le Rédempteur est trop peu connu et aimé. Qui aime ce qu'il ne connaît pas ? Il y a des âmes qui le connaissent et l'aiment, âmes d'enfants, de jeunes gens et de jeunes filles, de vierges et de mères, d'hommes et de héros connus ou inconnus. Il y a des âmes qui le connaissent, mais craignent de s'approcher de lui et d'entendre sa voix. Il y a des âmes qui le connaissent et l'offensent. Il y a des âmes qui, à cause de la tristesse des temps et de leurs maîtres, l'ignorent et le découronnent de sa divinité et de son ineffable bonté, qui reviennent au paganisme, s'écrient comme le procurateur Festus à Paul qui lui prêchait le Christ : « Tu dis des sottises, Paul » (Ac 26,24). Pour les païens, pour les fous qui se croient sages, le Christ crucifié est une folie, comme il est un scandale pour les Juifs. Mais la folie de Dieu est plus sage que la sagesse des hommes ; la faiblesse de Dieu est plus forte que la force des hommes. Craindriezvous de prêcher cette folie et cette faiblesse de Dieu à qui il plaît de sauver les croyants par le moyen de la folie de la prédication ? Le Christ n'est-il pas la force et la sagesse de Dieu ? (i Cor., i). Oh ! si le monde le connaissait davantage, s'il s'approchait davantage de la force et de la sagesse divine qui de sa croix élevée sur le Golgotha a fait la chaire et le phare qui doivent illuminer les peuples et attirer à lui l'univers ! Déjà il a illuminé tant de régions de la terre ; déjà il a vaincu le monde et jeté à terre beaucoup d'idoles qui gisent brisées aux pieds de sa croix ; mais dans le coeur de l'homme porté au mal dès son adolescence se dressent encore indomptées les idoles de la concupiscence et de l'orgueil, qui s'opposent à la paix donnée et laissée par le Christ à ses disciples. Quand viendra le jour où tout le monde appartiendra au Christ et où de toutes les brebis égarées et errantes il n'y aura qu'un seul pasteur et qu'un seul troupeau ?

Prêchez, chers fils, parlez du Fils de Dieu qui s'est fait homme et qui s'est sacrifié sur le calvaire pour le salut de l'homme ; parlez à l'homme de sa haute origine et de sa chute ; c'est pour l'en relever que le Fils de Dieu est descendu du ciel ; parlez de Dieu vivant en trois personnes distinctes dans l'unité de sa nature éternelle, Dieu sagesse, Dieu tout-puissant ; Dieu créateur, restaurateur, sanctificateur et rémunérateur de ceux qui le craignent et l'aiment et à qui il donne un prix qui surpasse tout désir par la joie d'être semblables à lui et de le contempler dans sa manifestation dégagée des obscurités de la foi, dans l'éclat de sa gloire et de sa magnificence. Telles sont les vérités fondamentales de notre foi, les vérités qui nous découvrent le destin de notre vie ici-bas, et sans la lumière desquelles l'homme ressemble à ces sages qui cheminaient sans suivre de sentier et qui avançaient sans savoir où.

Mais, vous, chers fils, vous qui êtes les hérauts non de la fausse science, mais bien de la parole de vie éternelle, vous qui, en ce centre de la foi catholique et de la chaire de vérité, partagez Notre sollicitude paternelle pour le bien du peuple de Notre ville et pour son instruction religieuse ; vous ressentez profondément l'honneur d'enseigner aux fidèles, dans un langage simple, clair, à la portée de l'intelligence du peuple, la religion divine, vous qui êtes les continuateurs et les soutiens de l'oeuvre, de la vigilance, du zèle des pasteurs suprêmes de l'Eglise pour ce troupeau qui est tout particulièrement le leur. Que votre parole résonne de la chaire, comme un écho de la voix de Dieu parlant du ciel, du Sinaï, des montagnes de Galilée, du Golgotha. Que vos auditeurs apprennent que n'est ni suffisante ni profitable la connaissance de Dieu qu'acceptent beaucoup d'hommes parmi les plus mauvais pour ne pas paraître les plus aveugles des hommes et qui se font une divinité à leur façon pour éviter l'horreur de tomber dans ses mains (cf. Hébr. He 10,31) ; mais dites-leur que la connaissance de Dieu et la foi qui sont nécessaires, c'est celles qui poussent aux pieds des autels et des prêtres pour devenir adoration et supplique, repentance et pardon, crainte et amour, désir et espérance de la vie éternelle et bienheureuse dans la vision de la Trinité bienheureuse. C'est pour ce but élevé que Dieu a relevé l'homme de sa chute, après que l'espérance de la récompense lui soit un réconfort dans la lutte quotidienne contre les passions, ce misérable héritage des malheureux et gémissants fils d'Eve.

Ne savons-nous pas que la vie de l'homme sur cette terre est un combat ? Ne savons-nous pas que par le péché l'esprit humain est déchu de la noblesse de son origine et de sa nature et qu'il se rabaisse, qu'il se jette dans la boue, qu'il s'avilit au niveau des êtres sans raison ? Qu'à vos avertissements, celui qui est tombé ouvre les yeux, mesure l'abîme de sa ruine et le danger qu'il court, apprenne le chemin du salut et, comme l'enfant prodigue, retourne au père qui l'attend et se fera une fête de l'embrasser de nouveau. Soyez des pères aimants, vous aussi ; que votre regard inspire la compassion et soit une invitation ; mettez sur vos lèvres l'accent qui instruise l'égaré, qui console le repenti, qui montre aux jeunes le chemin du bien et de la vertu, qui soutienne dans les peines et les épreuves de la vie chrétienne les vétérans usés par la fatigue et le travail, mais armés de patience et de calme constance, entre la joie et la douleur.

Les moments de douleur et d'angoisse ne nous manquent jamais dans cette grande vallée de l'humanité dans laquelle coulent les fleuves des passions, des haines et des amours, des rancunes et des vengeances, des succès orgueilleux et des humiliations. Une vague pousse l'autre et chacun à son jour doit boire au torrent des larmes. Que par votre parole, chers fils, le chrétien, le malheureux lève le front vers le divin Consolateur des affligés, Jésus-Christ ; qu'il se désaltère à la source de son Coeur doux et humble dans ce sang qui blanchit les étoles des martyrs et dans cette eau qui sourd pour la vie éternelle ! En Lui se sont unis le ciel et la terre, la crèche de Bethléem et la croix du Golgotha, et par quel lien ? Par le lien de l'amour : « Dieu a tant aimé le monde » (Jean, ni, 16) ; « l'amour est fort comme la mort » (Ct 8,6). Que par vous les fidèles soient « instruits dans la charité, dans toutes les richesses de la plénitude de l'intelligence, pour reconnaître le mystère de Dieu le Père et du Christ Jésus » (Col 2,2). Faites connaître le mystère de Dieu le Père et du Christ Jésus ; de cette connaissance naîtra l'amour, de l'amour la souffrance, de la souffrance le désir de s'approcher de Dieu et de s'unir à lui dans le saint banquet de l'autel. « Que les fidèles soient unis dans la charité » (1. c.) dans cette charité chrétienne qui semble, hélas ! bannie de la terre, mais qui, même au milieu des plus tragiques conflits ne perd rien de sa force obligatoire et qui seule peut donner aux hommes la prospérité et les bénédictions que la haine réciproque détruit.

Ne vous étonnez pas, chers fils, si Notre voix voudrait faire passer dans vos âmes cette flamme de foi, de charité et de zèle que Notre devoir pastoral et Notre sollicitude paternelle Nous mettent au coeur pour le cher peuple de Rome. Dans les article du Symbole des Apôtres, Nous entendons la voix des premiers hérauts du Christ, Pierre et les apôtres, et Nous voyons resplendir le matin et le soleil de la première Pentecôte, qui fut l'aurore de la conversion du monde, comme cette foi en un Dieu Un et Trinité et dans le Christ Rédempteur du genre humain est le fondement de la régénération spirituelle de toute âme souillée par la faute du premier homme. Pour accroître votre zèle et votre voix dans la prédication de ces sublimes mystères, dans la plénitude de Notre paternelle affection, Nous vous accordons la Bénédiction apostolique.


Pie XII 1941 - DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX