Pie XII 1941 - DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX ET AU CHAPITRE DES SS CELSE ET JULIEN


DISCOURS A L'ARCHICONFRÉRIE DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ DES PÈLERINS ET CONVALESCENTS DE NAPLES

(27 mars 1941) 1

A l'hommage qui lui fut présenté par S. Em. le cardinal Granito Pigna-telli di Belmonte, doyen du Sacré Collège, le Saint-Père a répondu par cette allocution qui magnifiait l'oeuvre de charité accomplie par l'archi-confrérie :

Aux sentiments élevés et dévoués, dont s'est fait l'interprète le très digne doyen du Sacré Collège, Vénérables Frères et chers fils, Notre âme répond soulevée par cette ardente lumière de foi et de charité qui anime votre très noble et méritant institut, honneur de l'insigne métropole de Napies, au coeur grand ouvert et prêt à toute oeuvre de bonté et de secours. Nous sommes heureux de voir Notre nom inscrit dans un livre de salut, salut promis par l'Agneau divin « à ceux qui sont inscrits au livre de vie » (Ap 21,27). C'est vraiment un livre de vie que votre livre de dévouement et de sacrifice de la vie caduque d'ici-bas pour une vie immortelle. Votre très auguste archiconfrérie de la très Sainte Trinité des pèlerins et convalescents, toute consacrée au bien matériel et spirituel du prochain, n'offre-t-elle pas au monde un exemple admirable de cette charité qui, plus grande que la foi et l'espérance, croit tout, espère tout, supporte tout et ne cesse jamais (1Co 13,7) ? N'est-elle pas le commandement propre de Notre-Seigneur Jésus sur l'accomplissement duquel il fondera son jugement final au dernier jour (Mt 25,31 et suiv.) ?

L'essor de l'oeuvre de Fabrice Pignatelli.

A cet encouragement surnaturel, vos confrères unissent l'héritage d'une tradition de quatre siècles de bienfaisance et en même temps les mérites d'une charité actuelle, adaptée et pliée aux besoins des temps présents. Votre institution n'est pas semblable aux institutions humaines ; en elle, se perpétue vivant et actif l'esprit de saint Philippe de Néri ; elle n'a jamais cessé de croître, du jour où le généreux bailli de l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem, Fabrice Pignatelli, dans la ferveur de sa charité, ouvrit dans sa propre maison un refuge pour les pèlerins, éleva l'église de la très Sainte-Vierge Mater Domini, fonda et commença l'hôpital qui lui est con-tigu et dota l'une et l'autre de ses biens héréditaires. Les deux petits lits mis au début à la disposition des pèlerins pauvres et des souffrants sont devenus depuis plus de deux cents ; le nombre des infirmes hospitalisés va toujours en augmentant ; s'il y a en soi une grande éloquence des chiffres, elle parle toutefois un langage qui résonne moins haut et moins clair que la qualité des services qu'ils cachent ; ces services ont été rendus avec un si vif et si digne esprit religieux et social que, malgré les vicissitudes historiques des gouvernements qui se sont succédé, ceux-ci en ont manifesté tant d'estime et d'admiration qu'ils s'appliquèrent à renouveler et à renforcer vos statuts et non à les supprimer ou à les modifier.

L'esprit qui anime les infirmiers de l'archiconfrérie

Quand vous pratiquez la miséricorde corporelle, l'oeil de votre foi regarde plus haut que le baume qu'applique votre main : c'est le Christ lui-même que vous voulez secourir dans ses membres. Les soins que vous donnez aux plaies corporelles, les traitements que vous appliquez dans votre dispensaire, visent plus loin, pénètrent plus profondément, guérissent plus intimement que ne le peuvent faire les remèdes de pharmacie ou l'instrument du chirurgien. Avec l'aide de Dieu et par le travail de vos prêtres, vous visez à guérir les corps et, en réalité, vous guérissez avant tout les âmes. Le feu de votre zèle chrétien et bienfaisant s'allume et s'enflamme d'abord en vous-mêmes pour pouvoir ensuite se répandre sur les autres. C'est pourquoi votre confrérie n'a jamais oublié que rien ne doit passer avant la sanctification de ses propres membres « par la pratique du culte divin, la charité mutuelle entre les confrères et la bienfaisance chrétienne envers les étrangers » 2. L'assiduité des confrères aux offices divins et aux processions n'est-elle pas le témoignage de leur fidélité à cet article essentiel de vos statuts et la preuve la plus claire de l'esprit surnaturel qui vous anime et vous pousse aux oeuvres exté-

2 Statut organique, art. 2-4.

heures ? Le manteau rouge qui, comme aux jours de saint Philippe, vous couvre et vous désigne au peuple, n'est-il pas le symbole de l'ardente flamme de la charité allumée dans votre coeur ? Si tout le bien que vous faites aux autres c'est au Christ que vous le faites, en donnant l'hospitalité aux pèlerins vous remplissez un acte des plus conformes à l'Evangile, à la tradition chrétienne, aux débuts de votre archiconfrérie. Ne voyez-vous pas dans le Christ le Fils de Dieu qui, descendant du ciel, se fait ici-bas le grand pèlerin à la recherche et à la visite de l'humanité égarée, pour la guérir, l'éclairer, la sanctifier, l'emmener avec lui dans son retour au ciel ? Nous aussi, nous sommes ici-bas des pèlerins du ciel pour lequel nous sommes faits, nous sommes pèlerins du Seigneur (2Co 5,6).

inventrice du « Prompt secours ».

Désormais, en ce siècle du chemin de fer, de l'automobile et de l'avion, rares sont les pèlerins avec la coquille et le bâton, rares « les Romieux » qui arrivent à Lorette, Rome ou Naples, les pieds poussiéreux et ensanglantés. Si cependant les routes modernes d'asphalte voyaient passer par hasard un Benoît-Joseph Labre, le bon Samaritain y rencontrerait bien plus souvent les victimes des vertigineuses machines follement lancées à toute vitesse ou conduites d'une main maladroite. Que d'accidents dans les laboratoires, dans les usines, dans les mines, dans les constructions ! Aussi est-ce bien le cas de remarquer combien est opportun et bienfaisant le « Prompt secours » établi et pratiqué par votre archiconfrérie avant même qu'il soit venu au législateur civil la pensée de le créer ! Mais votre libérale charité pense non seulement aux vivants et aux souffrants de cette vallée de larmes et de misères, mais aussi aux morts ; c'est une fleur parmi vos sollicitudes que les suprêmes devoirs de piété que vous rendez aux défunts, aux âmes en peine de l'au-delà, dont le pieux souvenir finit souvent par être emporté par le cours du temps dans l'oubli des vivants. A cette pensée, comment ne pas évoquer la vertu du vieux Tobie qui, de nuit, allait ensevelir les morts, et les bénédictions qu'attira sur lui et sa postérité sa courageuse constance à accomplir un si pieux devoir ?

Mais ne croyez pas qu'échappe à Notre attention une de vos plus pénibles oeuvres d'aujourd'hui, celle de l'hôpital, destiné selon l'article 54 de vos statuts « au soin et au traitement des fractures et des lésions violentes ». La violence des fractures et des lésions dans le corps humain ! Quelles tragiques visions n'évoque-t-elle pas à notre esprit à l'heure présente si l'on songe au choc des armes les plus terribles sur les champs de bataille, sur les eaux des mers et dans les tourbillons du ciel !

Appel à la paix.

Que de beaux jeunes gens en pleine force, mûrs, avides de vivre n'en rapportent-ils pas les membres brisés, les os rompus, s'ils ne périssent pas !

L'humanité entière, par le cri du sang qui jaillit de ses lésions et de ses fractures, semble jeter un appel angoissé à la justice et à la miséricorde. Et combien de fois pour guérir fractures et lésions, l'exercice lui-même de la miséricorde humaine et la main du chirurgien ne doivent-ils pas ajouter blessures à blessures et sang à sang. Faut-il donc tant de sang et tant de tourment pour obtenir le retour de la paix et de la concorde dans le monde et entre les peuples, alors que des hommes intelligents et de bonne volonté, par la victoire sur les passions, par le pardon des offenses, capables de condescendre à la justice et à l'équité réciproque pour rétablir une paix qui donne la tranquillité et assure la vie commune des nations sur la face de la terre ? Pour guérir l'humanité si cruellement blessée, il faut le remède de la foi qui rend les hommes frères, > il faut le baume de la prière à Dieu qui guérit les coeurs des puissants et des faibles. Quand la paix dans la justice et la fraternité sera-t-elle sur le point de renaître et de triompher sur la terre ? C'est un secret de la Providence divine ; nous en ignorons l'heure, le lieu et la manière ; mais nous sommes certains que le Christ, roi de l'univers, qui ne fit jamais la guerre sinon aux infidélités et aux passions humaines désordonnées (cf. Matth. Mt 10,34) redonnera aux hommes la vraie et bonne paix. De Notre côté, Nous ne cesserons jamais de Nous imposer peines et prières pour faire tout ce qui Nous sera possible pour en hâter l'échéance.

C'est dans cette espérance et en gage des plus abondantes faveurs divines que Nous vous accordons de tout coeur à vous et à tous vos confrères, à vos familles et aux leurs, aux prêtres qui vous dirigent dans la pratique de la piété et de la vertu, aux Filles de la Charité qui ont la garde de votre hôpital, aux médecins qui en esprit chrétien consacrent leur science et leur activité pour venir en aide à tous ceux qui ont recours à votre « Prompt secours », au si méritant personnel infirmier, à tous ceux qui, de quelque manière, se dévouent à votre oeuvre et particulièrement à vos nombreux bienfaiteurs, la Bénédiction apostolique que vous avez implorée.


ALLOCUTION A L'ENVOYÉ EXTRAORDINAIRE ET MINISTRE PLÉNIPOTENTIAIRE DE L'ORDRE SOUVERAIN DE MALTE

(30 mars 1941) 1

Le Saint-Père a prononcé cette allocution en réponse à l'adresse de l'ambassadeur extraordinaire de l'Ordre souverain de Malte, le comte Stanislas Pecci, venu lui présenter ses lettres de créance :

Les paroles par lesquelles Votre Excellence a accompagné 'la présentation des lettres qui l'accréditent comme envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire sont pour Nous une nouvelle et agréable preuve des nobles sentiments, de l'idéal élevé, de l'ardent esprit de foi qui se perpétuent, vivants et resplendissants, dans l'Ordre militaire souverain de Malte comme l'héritage, conservé avec vénération et fierté, d'un glorieux passé. La chaleur de ces paroles Nous montre en outre que la confiance de Son Altesse éminen-tissime le Prince Grand Maître s'est fixée sur une personne résolue à remplir sa mission honorifique près le Siège apostolique avec un plein dévouement et un soin empressé.

La figure éminente de l'immortel pontife Léon XIII, issu de la noble famille des Pecci, donna par le rétablissement du titre de Grand Maître à l'Ordre qui renaissait, refleurissait et se développait, une décisive et heureuse impulsion qui, dans la suite, n'a fait que grandir grâce à la bienveillance de ses successeurs.

Nous, dont la prime jeunesse s'est écoulée sous l'étoile resplendissante de l'incomparable pontife, Nous qui, aujourd'hui, par un insondable dessein de Dieu, occupons la Chaire que la sagesse et la grandeur de Léon XIII ont fait resplendir d'une lumière si sin

1 D'après le texte italien des A. A. S., 33, 1941, p. 117 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. III, p. 38.

gulière, Nous voyons, avec une particulière satisfaction, paraître en Notre présence un descendant de cette illustre maison, sous l'habit rouge des chevaliers, pour entretenir et continuer les relations intimes qui unissent par un lien sacré la Croix de Malte au trône pontifical.

La mission de charité de l'Ordre de Malte.

C'est avec raison que Votre Excellence, avec une particulière insistance et conviction, a donné le principal et plus important relief à la mission de charité chrétienne de l'Ordre qu'il représente dignement. Quel réconfort pour Nous de savoir que de telles paroles sont l'écho des sentiments intimes de tous les Chevaliers ! Dans la triste tragédie que vivent les peuples, tragédie qui s'étend chaque jour davantage, toute frémissante de discorde et d'implacable destruction, Nous souhaitons d'autant plus ardemment voir l'esprit de charité n'être arrêté ni découragé par aucun obstacle, remplir les coeurs des Chevaliers de Malte et les rendre prompts à continuer dans le service de l'Eglise, et spécialement de ses membres souffrants, leur si belle et si féconde oeuvre A'hospitaliers.

Nous savons bien que, outre les obligations communes des religieux, les profès de l'Ordre ont le privilège de se vouer à Vobse-quium pauperum et tuitio fidei (au service des pauvres et à la défense de la foi). Est-ce que jamais a été plus opportun qu'aujourd'hui l'union de ces deux buts, ou mieux leur fusion en un seul, c'est-à-dire promouvoir un obsequium pauperum pleinement inspiré et dirigé par les enseignements et par la sauvegarde de la foi chrétienne ? Que si, par suite du lent éloignement de Dieu où se trouve l'opinion publique, d'un éloignement qui a été obtenu par le moyen d'une guerre sournoise ou ouverte durant plus de deux siècles, on a vu des organisations d'assistance publique, froidement administrative, se substituer en de nombreuses régions aux anciennes institutions de la charité catholique, toutes pénétrées de respect et d'amour pour les membres souffrants du Christ, aujourd'hui, sous la poussée des tendances encore plus radicales et vidées de tout principe chrétien, ne s'opère-t-il pas un retour aux plus choquantes duretés de ce paganisme antique que saint Paul a pu stigmatiser avec le glaive de sa parole par ces mots : « sans amour, sans pitié » (Rm 1,31) ?

« Les devoirs des chevaliers.

Au contraire, quel son différent rendent et quels sentiments plus élevés suscitent 'les conseils émouvants que les Chevaliers de Malte ont reçus de leurs traditions les plus anciennes, héritage encore plus précieux que 'le souvenir des glorieux faits d'armes accomplis par l'Ordre pour la défense de la chrétienté. Déjà, l'ancienne règle commandait aux Frères de Saint-Jean de se contenter d'une nourriture simple et de vêtements modestes, parce que, ajoutait-elle, « nos seigneurs les pauvres, dont nous faisons profession d'être les serviteurs, vivent pauvrement et à peine vêtus, et il ne convient pas au serviteur d'être orgueilleux et son seigneur humble ».

L'ancienne formule d'admission des Frères dans l'Ordre, après les avoir avertis qu'ils se tromperaient s'ils étaient venus pour être bien vêtus, posséder de beaux chevaux, vivre à leurs aises, condensait tout en ces paroles : « Nous promettons d'être les serviteurs esclaves des malades nos seigneurs. » 2

Serviteurs esclaves des pauvres et des malades ! Les rudes formules du temps des croisades devaient, par la suite, avoir un écho transformé et retentissant dans la magnifique langue de Bossuet, alors qu'en présence des grands et des dames de la cour de Louis XIV il se prenait à exalter « l'éminente dignité des pauvres dans l'Eglise » 3 ; mais leur sens fondamental reste inchangé, celui-là même que l'Ordre de Malte a su conserver dans ses oeuvres. A ces pauvres, à ces blessés, à ces lépreux, l'Ordre reconnaît les lettres de noblesse reçues à Bethléem de ce Roi des rois qui « s'est fait pauvre alors qu'il était riche, pour nous enrichir de sa pauvreté » (2Co 8,9). Vous ne vous contentez pas de les secourir de vos largesses, mais vous les aimez et les respectez comme les premiers courtisans de notre commun Roi.

Seule la foi, une foi pleine et profonde, peut élever à pareille hauteur et donner cette intelligence de la pauvreté qui éveille dans les coeurs un amour fraternel si divin. Voilà pourquoi en ces jours de calamités et de peines indicibles, dans les entreprises charitables auxquelles l'Ordre fournit une contribution active et efficace, son office ne s'écarte pas de celui de défenseur de la foi. Au milieu des oeuvres internationales de secours d'inspirations si diverses l'Ordre possède un titre spécial et qui lui est propre de représenter et de communiquer autour de lui l'authentique et vivifiant esprit de l'antique charité chrétienne, de cette charité qui, par la grâce divine, sait soulager, guérir, délivrer du mal non moins les corps blessés ou infirmes que les âmes souvent encore plus misérables et nécessiteuses.

Avec l'espoir confiant que l'Ordre si méritant de Malte, dans l'épreuve du feu de cette guerre et des souffrances incommensurables qui en découlent pour la société et pour les nations, pourra ajouter à ses annales un nouveau et éclatant chapitre de charité chevaleresque dans 'les sentiments et dans les faits, Nous implorons cordialement l'abondance des grâces et des bénédictions célestes sur le Prince Grand Maître de l'Ordre, sur tous les chevaliers et dames de l'Ordre, et spécialement sur Votre Excellence au début de sa haute mission.

2 Cf. Luc Holsten, Codex ReguUrum, t. II, p. 445-448.
3 Cf. OEuvres complètes, Paris 1845, t. III, p. 186 ss.



LETTRE

A S. EM. LE CARDINAL DOYEN

DU SACRÉ COLLÈGE POUR SON XO ANNIVERSAIRE

(3 avril 1941) 1

Le Saint-Père, à l'occasion de son XCe anniversaire, a fait parvenir ses félicitations à S. Em. le cardinal Janvier Granito Pignatelli di Belmonte, évêque d'Ostie et d'Albano, doyen du Sacré Collège, en une lettre qui lui a été apportée personnellement par S. Em. le cardinal Maglione, secrétaire d'Etat.

Parvenir à quatre-vingt-dix ans en gardant la si vive pénétration de l'esprit et la vigueur des forces du corps, dont vous jouissez par un bienfait de Dieu, est un fait tout à fait rare et qui n'arrive qu'à fort peu d'hommes. Cette vénérable vieillesse non seulement n'est point languissante et inerte, mais au contraire laborieuse et toujours agissante, telle que fut l'ardeur de votre esprit au cours de votre vie. C'est pourquoi, il est très agréable à tous ceux qui ont pour vous de l'estime, et spécialement à Nous, de regarder et de repasser dans un souvenir reconnaissant une si longue vie ornée de tant de mérites et d'actions illustres. C'est dans la fleur de votre jeunesse, à Naples, votre ville natale, parmi les charges qui vous furent confiées, que vous avez brillé par une piété et une charité envers le prochain extraordinaires et que votre énergique courage a surtout éclaté quand, à l'occasion de la publication d'un journal pour le peuple, vous vous êtes levé avec toutes vos ressources et votre habileté comme le tenant et le tuteur très zélé de la liberté catholique. Au cours des années, c'est pour les dons éminents de


CARDINAL DOYEN DU SACRÉ COLLÈGE

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l'esprit et du coeur dont vous étiez pourvu que cinq papes n'ont pas hésité à vous confier des charges importantes et des honneurs, comme Nous-même Nous l'avons souvent bien constaté comme le témoin proche de votre prudence et de votre savoir-faire. En effet, c'est pour le Saint-Siège que vous avez magnifiquement rempli des légations ordinaires et extraordinaires en France, en Russie, en Angleterre, en Belgique et en Autriche, où vous avez déployé votre action attentive. Mais après que vous avez été promu cardinal par Pie X, Notre prédécesseur de sainte mémoire, vous n'avez jamais cessé d'apporter aux sacrés Conseils de la Curie romaine votre précieux concours pour l'accroissement du catholicisme par une étude et un jugement distingués, et vous avez gouverné ensuite pendant plus de dix ans la Congrégation Cérémoniale. Durant cette période, vous avez heureusement accompli et présidé d'importantes cérémonies, comme légaf a latere du Souverain Pontife à Lourdes, Orléans et Palerme. Les fidèles du diocèse d'Albano ont pu recevoir les soins du père et les sollicitudes du pasteur pendant plus de cinq lustres, et ceux d'Ostie, de leur côté, pendant plus de onze années. Tous vous accompagnent d'une vénération reconnaissante, vous qui ne manquez aucune occasion d'être utile à l'un et à l'autre de ces troupeaux. Quant à Nous, Nous plaçant volontiers au premier rang du choeur de ceux qui vous félicitent, Nous vous souhaitons les biens les plus heureux et les plus agréables et Nous prions Dieu de Nos instantes prières qu'il vous serve et qu'il vous garde cette robuste vieillesse aussi longtemps que possible et qu'il daigne bénir votre action pastorale par des fruits les plus abondants.

Afin que les fidèles reçoivent plus grand fruit de votre fête, Nous vous accordons la permission de donner en Notre nom et en vertu de Notre autorité, dans chacun de vos diocèses, au jour que vous aurez choisi, après l'office pontifical, Notre bénédiction au peuple qui se trouvera présent et une indulgence plénière à gagner .selon les prescriptions de la sainte Eglise. Que la Bénédiction apostolique que Nous vous adressons avec ferveur dans le Seigneur, Vénérable Frère, ainsi qu'à tout le clergé et au peuple de vos deux diocèses, en même temps qu'à tous vos parents, amis et collaborateurs, soit le gage des grâces célestes et le témoignage de Notre profonde affection à votre égard.


MESSAGE PASCAL AU MONDE ENTIER

(13 avril 1941) 1

Comme les années précédentes à l'occasion de Pâques, le Souverain Pontife a adressé au monde entier un radiomessage dans lequel il renouvelle ses appels à la paix, à la prière, au respect des faibles, et exprime ses encouragements aux victimes du conflit :

Appel au respect des faibles et à l'humanisation de la guerre

1. — C'est de tout coeur que Nous vous adressons à tous, chers fils et filles de Rome et du monde entier, l'alléluia pascal, joyeuse annonce de résurrection et de paix dans le Christ après la tristesse de sa divine passion. Mais, hélas ! la paix entre les peuples n'est pas ressuscitée, et au joyeux salut que Nous vous adressons se trouve mêlée la note de douleur qui plongeait dans une grande tristesse et dans une continuelle affliction le coeur de l'apôtre Paul, en souci pour ses frères qui étaient de son sang (Rm 9,2).

Dans le déplorable spectacle de luttes entre les hommes, auquel nous assistons, sans vouloir méconnaître ni la valeur ni la fidélité de tous ceux qui combattent avec un intime et loyal sens du devoir pour la défense et la prospérité de leur pays, ni le prodigieux développement de l'industrie et de la technique, qui est, en soi, si fécond, sans ignorer non plus que de louables et généreux actes de haute humanité envers l'ennemi n'ont pas fait défaut, il faut bien déclarer que le terrible conflit a pris parfois des formes de lutte qui ne peuvent être désignées autrement que comme atroces. Puissent tous les belligérants, qui ont, eux aussi, un coeur d'homme formé dans le sein d'une mère, avoir des entrailles de charité pour les souffrances des populations civiles, pour les femmes et les enfants sans défense, pour les malades et les vieillards, exposés souvent plus à découvert et plus durement aux dangers de la guerre que ne le sont sur le front les soldats en armes ! Nous supplions les belligérants de s'abstenir jusqu'au bout de l'usage d'instruments de lutte encore plus meurtriers : toute innovation dans ces moyens a pour contrecoup inévitable de la part de l'adversaire l'usage de la même nouvelle arme, parfois plus âpre et plus cruelle. Que si dès maintenant l'on doit déplorer qu'aient été dépassées, à maintes reprises, les limites de ce que permet une guerre juste, à quel inconcevable degré d'horreur la guerre ne serait-elle pas bientôt emportée par une aggravation croissante des moyens d'attaque ?

... et à la prière.

2. — Puisque dans le tourbillon de tant de maux et de périls, de tant d'inquiétudes et de craintes, le plus puissant et le plus sûr refuge de confiance et de paix qui Nous reste est le recours à Dieu entre les mains de qui se trouvent non seulement le sort des hommes, mais aussi celui de leurs litiges les plus opiniâtres, Nous remercions les catholiques du monde entier pour l'ardeur avec laquelle ils ont répondu, le 24 novembre dernier, à Notre invitation à la prière et au sacrifice pour la paix. Aujourd'hui, à vous et à tous ceux qui élèvent leur coeur et leurs mains vers Dieu, Nous répétons Notre exhortation : ne cessez pas de prier mais ravivez votre prière et redoublez-la. Oui, prions pour une prompte paix. Prions pour une paix qui soit pour tous ; non pour une paix d'oppression et de destruction des peuples, mais pour une paix qui, garantissant l'honneur de toutes les nations, donne satisfaction à leurs nécessités vitales et aux droits légitimes de tous.

L'action du pape en faveur de la paix.

3. — A la prière auprès de Dieu, Nous avons en tout temps joint Notre action. Tout ce qui pouvait être fait ou tenté pour éviter ou abréger le conflit, pour rendre humaines les méthodes de guerre, pour alléger les douleurs qui en dérivent, pour porter aide et réconfort aux victimes de la guerre, Nous l'avons accompli jusqu'à l'extrême limite de Notre pouvoir et avec le souci attentif de l'impartialité inhérente à Notre charge apostolique. Nous n'avons pas craint d'indiquer, avec une clarté non équivoque, les principes et les sentiments sur lesquels une future paix doit nécessairement s'appuyer et se régler pour pouvoir être assurée de l'intime et loyal acquiescement des peuples. Mais ce Nous est une peine de voir combien faibles sont encore les chances probables pour que vienne prompte-

ment à maturité une paix juste au regard de 'la conscience humaine et chrétienne.

C'est donc avec d'autant plus d'intensité et de ferveur qu'il faut que monte vers le ciel Notre supplication, afin qu'un esprit nouveau se forme, s'enracine et grandisse chez tous les peuples, spécialement chez ceux dont la puissance plus grande acquiert et exerce une plus forte influence et une responsabilité croissante ; un esprit d'empressement non simulé, mais sincère et exempt d'artifices, pour entreprendre au prix de mutuels sacrifices, sur les ruines accumulées par l'épée, le nouvel édifice d'une fraternelle solidarité entre les nations de la terre, avec des pierres nouvelles et plus solides, avec des garanties fermes et stables, avec un conscient et haut sérieux moral, répudiant toute morale double et tout double droit qui distinguerait entre grands et petits, entre forts et faibles.

La vérité, comme l'homme, n'a qu'un visage, et la vérité est Notre arme, comme Notre défense et Notre puissance est la prière, comme Notre accès aux coeurs est la parole apostolique, vivante, franche, désintéressée, mue par des sentiments paternels.

Ce ne sont pas des armes offensives et sanglantes, mais des armes de l'esprit, celles de Notre pensée et de Notre coeur. Rien ne peut Nous retenir ou Nous empêcher d'employer ces armes au service du droit, de la vraie humanité et de la paix authentique, partout où le devoir sacré de Notre charge Nous demande de la lumière, où le Misereor super turbam -presse Notre amour. Rien ne peut Nous empêcher de rappeler toujours de nouveau le précepte de l'amour à ceux qui sont fils de l'Eglise du Christ, à ceux qui Nous sont proches par la foi dans le Sauveur ou, au moins, dans le Père qui est aux cieux. Rien ne peut Nous retenir ou Nous empêcher de continuer à faire ce qui dépend de Nous, afin que dans le heurt des flots montants des inimitiés entre les peuples, l'arche divine de l'Eglise du Christ se tienne immobile sur l'ancre de l'espérance, sous l'arc-en-ciel de la paix, telle une bienheureuse vision de paix — beata pacis visio — au milieu des disputes terrestres, refuge, demeure et aliment de ce sentiment de fraternité fondé en Dieu et ennobli à l'ombre de la croix, seul point de départ de la route qui nous permette de sortir sûrement de la mer orageuse d'aujourd'hui pour aborder au rivage d'un lendemain heureux et plus digne.

Compassion pour les victimes du conflit.

4. — Sous le vigilant et sage regard de Dieu, avec les armes de la prière, de l'exhortation et du réconfort, Nous continuerons donc avec persévérance à combattre en faveur de la paix pour le bien de la malheureuse humanité. Que les bénédictions et les consolations divines descendent sur toutes les victimes de la guerre : sur vous, prisonniers, et sur vos familles lointaines qui se tourmentent à votre sujet ; sur vous, réfugiés, emportés et dispersés çà et là, qui avez perdu les maisons et les champs qui étaient le soutien de votre vie. Nous sentons votre angoisse et Nous souffrons avec vous. S'il ne Nous est pas donné — comme Nous le voudrions si vivement — de prendre sur Nous le poids de vos peines, que du moins Notre intime commisération paternelle vous soit un baume qui vienne tempérer l'amertume de votre malheur par le salut de l'alléluia de ce jour, chant de triomphe du Christ sur le martyre d'ici-bas, de l'olivier de Gethsemani, fleur verdoyante de l'admirable espérance dans la résurrection et dans la vie qui ne connaît plus ni douleurs, ni deuils, ni déclin. Sur cette terre de larmes, il n'y a point de cité permanente (cf. Hebr. He 13,14), point de patrie éternelle. Tous nous sommes exilés et errants ici-bas ; notre patrie est au ciel, au-delà du temps, dans l'éternité en Dieu. Si les espoirs terrestres vous ont apporté d'amères désillusions, l'espérance en Dieu, elle, n'est pas trompeuse, elle ne déçoit pas. Il n'y a qu'une chose à laquelle vous devez vous appliquer : c'est à ne vous laisser entraîner ni par votre triste sort ni par les hommes à violer votre fidélité au Christ ; biens et maux sont, dans le temps, communs aux hommes ; mais ce qui importe souverainement, vous dirons-Nous avec saint Augustin, c'est l'usage que l'on fait des choses appelées prospères ou de celles appelées adverses. Car les bons ne se laissent ni exalter par les biens temporels, ni abattre par les maux ; les méchants, au contraire, se corrompent dans la prospérité et reçoivent en châtiment le malheur 2.

Aux puissances qui occupent des pays pendant la guerre, Nous disons, sans vouloir manquer aux égards qui leur sont dus : que votre conscience et votre honneur vous guident dans la manière de traiter la population des territoires occupés, avec justice, humanité et sagesse. Ne leur imposez pas des poids que vous-mêmes, dans des cas semblables, avez ressentis ou ressentiriez comme injustes. Une humanité prudente et secourable est la louange et l'honneur des sages capitaines ; le traitement des prisonniers et des populations des territoires occupés est la mesure et l'indice le plus sûr de la civilisation des âmes et des nations. Mais, regardant plus haut encore, songez que la bénédiction ou la malédiction de Dieu sur votre propre patrie pourront dépendre de la façon dont vous en usez envers ceux que le sort de la guerre place en vos mains.

Encouragements aux populations des territoires occupés.

5. — La vision d'une guerre si horrible dans tous ses domaines et des fils de l'Eglise plongés dans la douleur suscite enfin dans Notre âme de Père commun et Nous met sur les lèvres une parole de réconfort et d'encouragement pour les pasteurs et les fidèles des endroits où l'Eglise, Epouse du Christ, souffre particulièrement ; où la fidélité envers elle, la profession publique de ses doctrines, la consciente mise en pratique de ses prescriptions, la résistance morale contre un athéisme et une déchristianisation voulue, favorisée ou tolérée, sont gênées, entravées, contrariées, sous une étreinte quotidienne multiforme et toujours croissante. Les actes et les artifices de ce martyre, souvent secret, maintes fois évident, qu'une impiété hypocrite ou manifeste fait endurer aux disciples de la croix, vont s'accumulant toujours plus, constituant comme une encyclopédie aux nombreux volumes, une chronique d'héroïques sacrifices, une émouvante illustration des paroles du Rédempteur : Non est servus major domino suo. Si me persecuti sunt, et vos persequentur. « Le serviteur n'est pas plus grand que son maître. S'ils m'ont persécuté, ils vous persécuteront aussi » (Jn 15,20). Cet avertissement divin ne jette-t-il pas la lumière d'un doux réconfort sur le douloureux et amer chemin de croix dont votre fidélité au Christ vous fait parcourir les stations ? Vous tous qui marchez affligés dans cette voie, prêtres et religieux, hommes et femmes, et vous en particulier jeunes gens, printemps des familles, tombés en une dure et âpre saison, en une saison de fer — de quelque origine, langue ou race que vous soyez, quelle que puisse être votre condition ou votre profession — vous tous sur lesquels resplendit, comme sur le grand apôtre Paul, le sceau des souffrances endurées pour le Christ, signe de douleur non moins que de gloire, vous êtes les plus intimement proches de la croix du calvaire, et, par là même, du Coeur transpercé du Christ et du Nôtre. Oh ! si vous pouviez sentir combien profondément s'enfonce dans Notre âme le cri de l'Apôtre des nations : Quis infirmatur et ego non infirmor ? « Qui est malade que je ne le sois ? » (2Co 11,29). Les sacrifices qui vous sont demandés, vos souffrances dans la chair et dans l'esprit, les craintes pour votre propre foi, mais plus encore pour celle de vos fils, Nous les connaissons, Nous les ressentons, Nous en gémissons devant Dieu. Et pourtant, en ce jour, Nous vous crions un joyeux alléluia, parce que c'est le jour du triomphe du Christ sur ses bourreaux visibles et cachés, anciens et nouveaux. Nous vous le crions avec la voix et la confiance avec lesquelles, même dans les jours de la persécution, se le disaient en exultant les chrétiens des premiers siècles. Ne connaissez-vous pas les paroles du Seigneur à Marthe : Ego sum resurrectio et vita ; qui credit in me, etiam si mortuus fuerit, vivet ; et omnis qui vivit et credit in me, non morietur in aeternum. « Je suis la résurrection et la vie : celui qui croit en moi, fût-il mort, vivra ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra point pour toujours » (Jn 11,25-26). La certitude que par le sacrifice pour la foi, même par le sacrifice de leur sang, ils allaient au-devant de la résurrection, a fait des martyrs les héros de la fidélité au Christ jusqu'à la mort. Leur certitude est aussi la vôtre. Imitez-les, et avec le sublime prophète du nouveau et éternel testament, levez les yeux vers la Jérusalem céleste, où, dans sa gloire, règne et commande le Christ ; où il récompense ses serviteurs bons et fidèles et proclame le mystère et la splendeur de leur triomphe par la blancheur de leurs vêtements, par l'inscription de leur nom en caractères ineffaçables au livre de vie afin qu'il soit exalté devant son Père et devant la cour angélique par ces admirables paroles que, dans vos épreuves, vous ne devez jamais oublier : Qui vicerit, sic vestietur vestimentis albis, et non delebo nomen eius de libro vitae, et confitebor nomen eius coram Patre meo et coram angelis eius. « Celui qui sera vainqueur sera ainsi revêtu de vêtements blancs ; je n'effacerai point son nom du livre de la vie, et je confesserai son nom devant mon Père et devant ses anges » (Ap 3,5).

Chers fils et chères filles ! C'est vers Jésus-Christ, « prince des rois de la terre, qui nous a aimés et qui nous a lavés de nos péchés dans son sang » (Ap 1,5), que Nous vous invitons à lever vos yeux tandis que, comme gage de la paix divine, que lui seul peut Nous donner et que Nous implorons de lui en surabondante mesure sur toute l'humanité, Nous accordons de tout Notre coeur à vous, aux pasteurs et fidèles, à vos familles, à vos fils — que le Christ veuille protéger et conserver dans sa grâce et dans son amour — à ceux qui dans l'accomplissement de leur devoir ont à combattre sur terre, sur mer et dans le ciel, et spécialement à tous ceux qui ont été durement frappés par le fléau de la guerre, Notre paternelle Bénédiction apostolique.


Pie XII 1941 - DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX ET AU CHAPITRE DES SS CELSE ET JULIEN