Pie XII 1941 - MESSAGE PASCAL AU MONDE ENTIER


LETTRE DE LA SECRÉTAIRERIE D'ÉTAT AU COMITÉ DES CONGRÈS EUCHARISTIQUES

D'ITALIE

( 15 avril 1941) 1

Le compte rendu annuel du Comité permanent des congrès eucharistiques ayant été offert au Saint-Père par S. Exc. Mgr Drago, évêque de Tarquinia et Civitavecchia, président du Comité, Sa Sainteté lui a fait écrire la lettre suivante par S. Em. le cardinal Maglione, secrétaire d'Etat :

Si le tableau que Votre Excellence Révérendissime a présenté au Saint-Père de l'activité du Mouvement eucharistique en Italie durant l'année dernière enregistre un moindre nombre de congrès, il confirme cependant, de manière consolante, l'enracinement et la diffusion de la piété eucharistique que les difficultés exceptionnelles des temps n'ont pas pu refroidir et encore moins éteindre. Si ces difficultés, en contenant les manifestations extérieures dans des limites plus sobres, favorisent l'austérité du mouvement lui-même qui, de sa nature, est étranger à tout ce qui tend à compromettre la dévotion et ses fruits, le fait ne doit pas être considéré comme un dommage et on doit plutôt s'en réjouir dans l'intérêt de l'esprit authentique d'une religieuse piété. Celle-ci, nourrie d'un plus grand recueillement, conduira à préparer de longue main ces célébrations solennelles et comme conclusives selon les sages directives qui doivent rappeler la dévotion des fidèles aux formes de la prière liturgique et collective les plus autorisées et les plus éducatives. Elle fera aussi plus vivement sentir le besoin d'implorer la miséricorde de Dieu sur les calamités présentes et, ayant pris la mesure des maux qui affligent l'humanité, fera violence au ciel avec une ferveur plus ardente pour que le temps d'une si grande épreuve soit abrégé.

1 D'après le texte italien de VOstcivatore Romano, du 30 avril 1941.


COMITÉ DES CONGRÈS EUCHARISTIQUES D'ITALIE

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Pleinement confiante dans le zèle éclairé avec lequel le Comité permanent italien des congrès eucharistiques poursuit sa mission et maintient bien vivante dans les coeurs la flamme salutaire d'un culte aussi élevé, Sa Sainteté remercie Votre Excellence et avec elle tous ses collaborateurs qui s'efforcent de préparer un meilleur terrain à d'aussi importantes célébrations. Elle invoque sur tous l'abondance des lumières et des faveurs divines et, tout en faisant des voeux pour que le Mouvement eucharistique exerce une action particulièrement efficace dans la grande oeuvre de la restauration chrétienne, elle envoie de tout coeur à Votre Excellence et à chacun des membres de votre Comité le réconfort de la Bénédiction apostolique.

ALLOCUTION AUX ÉTUDIANTS D'UNIVERSITÉ DE L'ACTION CATHOLIQUE ITALIENNE

(20 avril 1941)

1

Cette allocution aux étudiants d'université de l'Action catholique italienne est un vrai discours dans lequel le Saint-Père souligne la nécessité de ce mouvement parmi les universitaires et leur trace un magnifique programme de travail et de vie, après avoir expliqué, une fois de plus, qu'il n'y a pas d'opposition entre la science et la foi.

Dans les trésors de l'héritage que Nous a laissé Notre glorieux prédécesseur Pie XI, de sainte mémoire, brille comme une pierre précieuse, que Nous aurons toujours à coeur de conserver fidèlement, sa particulière affection pour l'Action catholique, qu'il a énergiquement développée et inculquée comme moyen très efficace pour l'Eglise de remplir sa mission dans le monde ; mission sublime qui réunit en elle le magistère de la foi, le baptême pour toutes les nations et le magistère de la morale à l'égard de tous les croyants dans l'enseignement de tout ce que le Christ a ordonné selon sa parole : « Allez donc, enseignez toutes les nations, baptisez-les... enseignez-leur à garder tous mes commandements » (Mt 28,19-20). La divine mission du Christ passait dans les mains de Pierre et des apôtres et produisait autour d'eux, chez les disciples et les fidèles, ce ferment de sincérité et de vérité, de grâce et de vertus, qui était la conversion et la rénovation des âmes et, aux côtés des évêques et du clergé, inaugurait l'aurore de l'Action catholique.

C'est pourquoi l'Action catholique est aussi ancienne que le christianisme. Si, à notre époque, son nom sonne haut et nous émeut, son esprit éternel a ravivé sa flamme dans la lutte que le monde actuel mène contre l'Eglise, contre la doctrine du Christ et la pratique de la foi, en se servant des armes de l'indifférence morale, de la fausse science, des passions de la concupiscence tournée vers le mal (cf. Jn 5,19). A cause de cela, parmi les groupements dont le riche ensemble constitue l'important organisme de l'Action catholique, Notre prédécesseur, comme vous le savez, chers fils et filles, avait une prédilection spéciale pour la jeunesse universitaire ; prédilection qui, en lui, n'excluait ni ne refroidissait l'amour pour chacun des autres rameaux de la grande famille de l'Action catholique2. Dans cette dernière, même la plus petite association prend de grandes proportions, appelée qu'elle est à promouvoir la vraie vie des âmes, la vie surnaturelle destinée à s'épanouir comme le germe dans la fleur et le fruit, pour nous tous, dans la gloire et dans la joie du ciel.

2 Cf. Discours à la présidence générale et au conseil dirigeant de la Fédération universitaire catholique italienne, du 11 janvier 1925.

Nécessité du mouvement d'Action catholique des universitaires

Mais auprès des six grands groupements d'Action catholique se développe le mouvement des laureati. De même qu'ils entendent collaborer à l'apostolat hiérarchique avec les moyens particuliers que leur fournit leur culture, ils trouvent pareillement pour eux, offerte par l'Action catholique, une assistance religieuse et morale appropriée qui aboutit à rendre plus efficace leur activité. Un pareil mouvement, encore qu'il constitue une section spéciale et distincte des associations d'étudiants universitaires, a toutefois ceci de commun avec elles que les laureati s'ils ont déjà franchi le seuil des universités et des écoles supérieures furent néanmoins, à un moment, des laureandi participant également à la vie et à la vocation universitaires ; vocation élevée qui crée dans les rangs de l'Action catholique des besoins, des possibilités et des devoirs spéciaux, communs à vous tous, hommes et femmes, jeunes et adultes.

C'est un fait manifeste et incontestable que dans l'ordre social une place spéciale, un rôle eminent, est réservé aux milieux universitaires, aux classes sociales de culture supérieure. Non pas que tous ceux qui s'adonnent aux hautes études du savoir et des sciences excellent et l'emportent toujours sur les autres. Dieu n'a pas changé le mode naturel de formation de la diversité des esprits et des talents humains.

Même parmi les simples ouvriers, on rencontre des esprits de premier ordre qui ne se sont assis que sur les bancs des écoles élémentaires. Mais tous cependant reconnaissent que la jeunesse universitaire et les laureati forment un groupe nettement distinct des autres ; ils fraternisent immédiatement entre eux en raison du lien de formation intellectuelle qu'ils ont reçu dans les institutions d'enseignement supérieur. C'est là que, si la bonne volonté est unie à l'intelligence, on acquiert un vaste ensemble de connaissances variées et précises, mais encore plus cette capacité de jugement personnel qui est le fruit d'une longue étude et observation, ce jugement critique qui assure la critique méthodique et rigoureuse des faits et des idées, la faculté de dominer les problèmes plus compliqués et plus délicats, en d'autres termes l'esprit scientifique, la possibilité de savoir par soi-même et non pas simplement de recevoir des autres la science déjà faite. N'est-ce pas cette capacité qui est requise et supposée pour exercer les fonctions de juge, d'avocat, de médecin, d'ingénieur, de docteur et de maître des diverses sciences et des arts ? Les questions que pose à ces personnes l'exercice quotidien de leur profession ne sont pas des problèmes d'école qui puissent être résolus par la simple application de formules communes, déjà existantes et apprises et comprises une fois pour toutes ; ce sont des problèmes de vie active, graves, complexes, aux aspects multiples et variables, que seul un esprit de culture supérieure est en mesure d'affronter et de résoudre. La société humaine est un corps qui, pareillement à celui de l'homme, a un cerveau et divers organes, comme les poumons et les reins ; mais le cerveau, dans son activité multiple, préside à la direction, à la coordination et à la régularité des phénomènes vitaux ; tout élevé qu'il soit, il n'est pas tout et le seul nécessaire dans l'organisme humain. Le cerveau dans la vie d'un peuple, on peut dire que ce sont ceux qui ont reçu une formation universitaire, semblables à ces maiores ou superiores, que saint Thomas à propos de la foi distinguait des minores ou inferiores, lesquels leur donnent leur adhésion, les écoutent, les suivent et en reçoivent la vérité et la direction3.

3 Summa Theol., II-II 2,6.


... par suite du divorce qui existe en beaucoup d'esprits cultivés entre la culture profane et la pensée chrétienne.

C'est dans une opposition très pénible avec cette lumière d'une science et d'une expérience aux multiples formes qui, bien dirigée, vient par les universités et les athénées, que se trouvent les ténèbres qui apparaissent comme une des causes principales de l'abîme moral dans lequel se débat le monde d'aujourd'hui : Nous voulons parler du divorce qui éloigne un nombre considérable d'hommes de haute culture de la pensée chrétienne. Les universités et les athénées ne sont ni d'aujourd'hui ni d'hier : ils sont nés au moyen âge, au sein de l'Eglise, et ont vécu sous sa protection. Alors aussi on trouvait parfois des erreurs, des hérésies, des théories antisociales ; toutefois, à cette époque aujourd'hui si fréquemment et tant dénigrée, grâce aux universités qui formaient et qui dirigeaient les esprits, l'idée des concepts chrétiens planait dans l'atmosphère générale ; le visage de cette foi qui n'humilie pas les talents resplendissait ; si elle les fait s'agenouiller, elle les fait plus grands, face à la vérité et à la véracité de Dieu qui a parlé et dans l'accord admirable de la science de la raison avec la science divine et elle rend angélique une intelligence humaine. Mais avec le lent travail de désagrégation spirituelle qui naquit de l'humanisme paganisant, du libre examen, du philosophisme fumeux du XVIIIe siècle, de l'idéalisme et du positivisme du XIXe, contre lesquels proteste la réalité du monde et de l'homme, qu'est-il arrivé ? Quels avantages et quels progrès la société, la famille, la personne humaine en ont-ils retirés ? Jetez un regard sur la culture universitaire, vous qui fréquentez ou en avez fréquenté les amphithéâtres. Combien de champs d'études et de recherches scientifiques se sont ouverts et développés hors de tout contact avec la pensée catholique, sans tenir aucun compte du grand fait de la Révélation surnaturelle, en se développant dans une sphère, sinon toujours antireligieuse, du moins n'ayant aucun souci de la religion. De là, une funeste déchristianisation de l'esprit chez tant de ces maiores, appelés à conduire leurs frères, à éclairer les autres, à penser pour eux, à les guider dans la vie, et ces fruits amers que nous fait goûter le temps présent.

Pas d'opposition entre la science et la foi.

Ce divorce et cet antagonisme entre la science et la religion ne peuvent arriver à enténébrer ni à détrôner la vérité de son trône de lumière, parce que cette dernière même est lumière et trône, vestige et éclat de la lumière inaccessible dans laquelle Dieu a son trône et duquel descendent jusqu'à l'homme, comme deux cours d'eau d'une même source, les vérités de la raison et les vérités de la foi, jamais opposées les unes aux autres, mais soeurs d'inégale beauté. Les unes et les autres ne se dédaignent pas, elles aiment, au contraire, à demeurer amies dans l'esprit humain avide de toutes les lueurs de la vérité évidente ou cachée ; aussi, de grands et sublimes génies des siècles chrétiens surent faire de leur raison la servante de la foi et incliner la tête devant le Crucifié du Golgotha. A cette « foi accoutumée aux victoires », vous, à qui la Providence divine a donné et donne le bienfait de participer largement à une formation intellectuelle aussi élevée, vous avez — d'une façon spéciale, dans l'ardente activité de l'Action catholique — le devoir d'aplanir les routes en beaucoup de coeurs, de faire cesser ce pernicieux divorce, de rétablir les contacts, de renouer les liens, d'assurer la pénétration réciproque des deux mondes du savoir : la haute science universitaire et la lumière révélée par le Christ. Ce que les Pères de l'Eglise réalisèrent autrefois en face de la culture païenne gréco-romaine, ce que, avec Justin et Origène, ils entreprirent dès la fin des temps apostoliques, ce en quoi apparaît dans sa grandeur si resplendissante la figure d'un Augustin, ce qui donna naissance à la pensée et à la civilisation chrétiennes du moyen âge et fit des nations chrétiennes la chrétienté, tel est le but élevé, l'oeuvre ardue mais magnifique qui se présente et s'offre à votre zèle, chers fils et filles. Soit que vous apparteniez à l'Université catholique du Sacré-Coeur de Milan, soit que vous vous adonniez à l'étude des sciences comme étudiants ou professeurs dans d'autres universités ou écoles supérieures, votre vocation est la même et vous devez y répondre avec une même étroite et cordiale fraternité et union d'esprit, de coeur et d'action. L'Eglise, qui ne fut jamais ennemie des sciences ni des arts, aime et a le souci d'avoir ses propres centres de haute culture où elle puisse exercer son action en plénitude et dans la liberté ; mais elle ne se résigne pas pour autant à accepter que la vérité, dont elle garde le dépôt, demeure absente, sans influence et sans rayonnement dans les autres centres, dont l'organisation est plus ou moins en dehors du regard catholique. Et c'est vous précisément en qui cette vérité vit par la foi et agit par la charité qui se réjouit de la vérité qui avez à la porter partout, à la faire resplendir partout, à la faire désirer, aimer et adopter partout.

Les universitaires catholiques doivent mettre leur culture religieuse à la hauteur de leur culture profane

Vous ferez-vous donc les hérauts de la vérité catholique ? Serez-vous les nouveaux apôtres de l'Evangile au sein de la société des savants et des sages modernes ? Oui ; tel doit être votre apostolat aux côtés et sous la dépendance de la hiérarchie ecclésiastique. Mais pour remplir une mission pareille sans danger pour vous et avec fruit autour de vous, il est avant tout nécessaire que dans votre intelligence et dans votre âme il n'y ait pas rupture d'équilibre entre votre culture religieuse et votre culture universitaire, générale et spéciale. Votre intelligence des dogmes (dans la mesure où ils peuvent être éclairés par la raison), votre connaissance de la morale, du culte et de la vie intérieure catholique ne doivent-elles pas s'élever à un niveau qui soit proportionné à vos connaissances scientifiques en droit, en histoire, en lettres ou en biologie ? N'y aurait-il pas pour vous un danger formidable, dans une pareille maturité de votre jugement, de votre pénétration d'esprit critique, de votre pensée personnelle, si vous vous contentiez de vous en tenir dans le domaine de la foi comme des enfants aux notions et aux preuves qui vous furent enseignées durant vos études élémentaires ou moyennes ? Pour combien d'âmes, hélas ! cela fut l'origine de la première crise intérieure qui les conduisit à la perte de la foi !

On continue à croire par habitude, jusqu'au jour où en face de difficultés plus fortes surgit le doute et dans la lutte qui se présente à un esprit formé aux problèmes imposés par la culture supérieure, on ne possède pour vaincre que des armes de valeur élémentaire, des raisons et des explications insuffisantes pour répondre aux assauts de la tentation, pour les repousser et tranquilliser l'esprit. Vous devez imiter le grand apôtre Paul qui disait de lui que quand il était enfant il parlait en enfant, il goûtait les choses de l'enfant, il pensait en enfant, mais que devenu homme, il laissa de côté les choses de l'enfant (1Co 13,11). Non pas certes que vous ayez à abandonner et à oublier le catéchisme, code souverain de la foi et de la morale chrétienne, mais une culture religieuse plus approfondie et plus personnelle, convenant à un homme mûr, vous est indispensable pour votre mission dans l'Action catholique. Dans vos milieux universitaires profanes, vous ne trouverez audience pour vos convictions catholiques que si vous êtes en mesure de les présenter et de les défendre résolument sur le terrain découvert où a coutume de se mouvoir la pensée de vos interlocuteurs, dans ces tournois de discussion scientifique, mais en même temps vivante, pure de toute verbosité superficielle, calme dans sa dignité, loin de la dispute qui tout de suite déplairait et aliénerait les âmes.

... et leur conduite en accord avec leur foi

Mais ce qui donne davantage de valeur et de crédit à la parole et à la vérité, c'est l'accord entre votre perfectionnement intellectuel et votre perfectionnement moral et spirituel ; le manque d'équilibre qui existerait en vous entre l'intelligence et la volonté, entre la vérité et la pratique du bien, ferait surgir dans l'esprit l'image de ceux dont le Christ avertit ses disciples de se garder : « car ils disent et ne font pas » (Mt 23,3). Dans la loyauté du vrai chrétien, la vérité de la foi et la règle de la conduite sont inséparables, parce que la connaissance des choses divines est le nécessaire fondement de la vie bonne, en indique et en éclaire le chemin. Avec une vie intellectuelle de maiores, vous devez posséder également une vie morale intérieure de maiores ; ce sont deux vies qui n'en forment qu'une seule, la vie du champion marqué au front avec le chrême du bon soldat du Christ. N'est-elle pas à déplorer la faiblesse de tant d'hommes doués d'un esprit supérieurement cultivé mais chez lesquels le caractère et la valeur morale demeurent si misérablement inférieurs à la pensée ? N'est-ce pas là la raison profonde de certaines inconséquences et inconvenances inexplicables, même dans l'ordre purement scientifique ? Combien la haute vie intellectuelle qui, déjà par elle-même, impose des obligations austères, combien plus n'en impose-t-elle pas davantage quand elle se propose de se déployer et de se développer en pleine atmosphère et en terrain chrétiens ? La science est un vin exquis qui parfois porte facilement à la tête. Dans les travaux aussi bien de recherches que d'enseignement, les passions pourront, d'une manière ou d'une autre qui échappe au gouvernement de la raison et de la volonté, porter le désordre ; curiosité, vanité, orgueil, inconstance, jalousie seront aux aguets. Ce sera l'heure de l'épreuve et de la lutte entre la passion et le devoir. Un vrai savant, un vrai professeur, un vrai juriste, un vrai médecin ne pourront être sûrement et pleinement stables dans la voie et la dignité de leur profession sans une forte vie intérieure, sans un sens délicat du devoir, sans cette vigueur des vertus que les chrétiens puisent à la plus profonde et la plus intarissable de toutes les sources, les exemples et la grâce de Notre-Seigneur. Dès lors, une vie chrétienne pleine, profonde, forte, solide, nourrie de la doctrine et des sacrements du Christ, maintenue dans la prière et dans la méditation, protégée par la lutte généreuse contre tout ce qui pourrait la contrarier, l'outrager, l'affaiblir : voilà la cuirasse la plus noble et éclatante du candidat au doctorat et du diplômé chrétien et catholique pour tous les combats.

être les meilleurs par leurs valeurs professionnelles

Si dans ce bon combat, il vaut mieux gagner son âme que conquérir le monde entier (Mt 16,26), cependant dans le même temps, la vie universitaire et la vie professionnelle doivent se mouvoir et agir avec autant de sagesse, de franchise, que d'étendue et d'intensité. N'acceptez pas, étudiants universitaires et diplômés catholiques, d'être inférieurs aux autres dans l'arène de la valeur scientifique et de la compétence, de l'étendue du savoir et de la capacité professionnelle. Pour l'honneur de l'Action catholique à laquelle vous participez, ingéniez-vous, efforcez-vous, pour autant que votre talent et votre ardeur vous y poussent et dirigent, de devenir les meilleurs, les meilleurs étudiants, les meilleurs professeurs, les meilleurs juristes, littérateurs, médecins, ingénieurs, naturalistes, physiologistes, pionniers de la matière et de la pensée, du vrai, du bien individuel et social. La gloire et le nom du Maître que vous servez, Deus scientiarum Dominus, maître de toutes les sciences, le réclament afin que vous soyez en tout dignes de lui ; cela est exigé aussi par l'amour que vous devez porter à votre vocation, à votre profession, à ceux qui sont vos compagnons dans la voie que vous a indiquée la divine Providence. Vivez donc intensément votre vie universitaire, avec tout ce que son sérieux scientifique comme sa saine et simple camaraderie vous offrent de bon, de grand et de beau ; c'est un devoir pour vous non moins que la forme la plus efficace de votre apostolat, de votre activité catholique. Rien ne rendra votre foi chrétienne sympathique et attirante pour ceux qui vous entourent autant que de la voir ouverte, sincère, profonde, s'unir en vous par un lien joyeux et cordial à votre vie universitaire et au vif intérêt que vous prendrez pour tout ce qui peut la promouvoir et l'embellir.

... afin de montrer que l'accord est possible entre la science et la foi.

Mais dans cet apostolat chrétien parmi les savants en sciences profanes, il arrive assez souvent qu'on aborde des sujets difficiles même pour les théologiens et les interprètes des Livres saints, sans cette connaissance étendue et sûre qui assure la vérité de la science et l'estime de la foi. Aussi, le grand apologiste saint Augustin, déjà en son temps, déplorait la présomption téméraire de certains chrétiens qui opposaient aux assertions de faits physiques soutenues par les païens pour des raisons assurées et à la suite de l'expérience, leurs élucubrations sur la Sainte Ecriture au point de susciter le rire et de prouver qu'ils ne comprenaient pas ce qu'ils disaient ni ce qu'ils affirmaient (1Tm 1,7). « Ce n'est pas, dit le saint docteur, qu'il soit bien fâcheux qu'un homme qui se trompe soit l'objet d'un sourire moqueur ; mais le mal est que ceux du dehors (qui ne sont pas des nôtres) puissent croire que nos auteurs ont pensé des choses pareilles, ce qui les ferait critiquer et rejeter comme des auteurs dépourvus de science, au grand détriment de ceux dont le salut nous est à coeur. Lorsque ces savants incroyants surprennent un chrétien dans l'erreur dans une matière qu'ils connaissent parfaitement et le voient affirmer son opinion non fondée comme étant tirée de nos Livres (la Sainte Ecriture), comment pourraient-ils croire à ces Livres à propos de la résurrection des morts, de l'espérance de la vie éternelle, du royaume des cieux, s'ils pensent que ces écrits se trompent sur des choses que ces savants ont appris à connaître par l'expérience ou par des calculs indiscutables ?» 4

Par là, vous voyez bien pourquoi il est nécessaire, afin d'exercer un apostolat profitable au sein des milieux de haute culture, que soient unies une profonde science profane de la nature et une profonde science religieuse des vérités de la foi pour montrer aux autres l'accord entre l'intelligence humaine et la Révélation divine.

* De Genesi ad Un., libr. I, c. 19 ; Migne, P. L., t. 34, col. 261.

Pour atteindre ce but, nécessité d'un travail acharné...

Tout ceci, il est vrai, demande du courage, de l'énergie, de la constance, disons-le ouvertement, une vraie et généreuse abnégation chrétienne. Une étude ou un travail superficiel, léger, de dilettante, sporadique, à la merci des impressions n'obtiendra certainement pas de grands résultats et utilités. Seule une âme virile se redresse hardiment devant la prévision d'un travail long, souvent pénible, aride, obscur, sans le stimulant de la satisfaction intime ; mais être et demeurer exigeant à l'égard de vous-mêmes est aussi un devoir qui vous est imposé par vos études et votre activité professionnelle autant que par votre vie religieuse et morale.

Votre travail doit être, de toute manière, courageux et joyeux, conduit dans l'humilité et dans la charité. N'oubliez jamais qu'ici-bas demeurent la foi, l'espérance, la charité, trois vertus dont la plus grande est la charité, parce que la charité ne s'évanouit jamais ; les prophéties prendront fin et les langues cesseront ; la science sera abolie, ou plutôt, comme la foi, elle se changera en vision, dans un monde plus beau que celui dans lequel nous vivons (1Co 13,8-13). Ne vous enorgueillissez pas devant les hommes et humiliez-vous devant Dieu. Votre culture plus élevée ne vous rend pas par elle-même meilleurs que vos frères qui occupent des charges plus modestes, ni elle ne vous élève pas non plus tellement au-dessus d'eux qu'elle brise le lien sublime et la voie très excellente de la charité, par laquelle la culture aussi condescend à s'humilier avec les humbles pour s'élever avec eux dans le service du Christ.

... de l'humilité et de la charité

Souvenez-vous que la vérité est mère de l'humilité et de la charité. Votre vocation d'universitaires vous achemine à être les guides de ceux qui vous entourent ; la première et plus haute leçon de vérité que vous avez à leur faire accepter et comprendre, c'est l'enseignement du Christ, transmis non moins à eux qu'à vous par la voix de l'Eglise, maîtresse et guide universel des croyants. Aujourd'hui, dans notre monde disloqué et déchiré par les disputes et par les guerres, quelle leçon de ce divin enseignement est-elle plus nécessaire que celle de l'humilité et de la charité si instamment inculquée par les paroles et par les exemples du divin Maître, doux et humble de coeur ? Pour combien de personnes, hélas ! ces mots humilité et charité, résonnent comme des paroles absurdes et vides de sens ! Même des esprits chrétiens ne se laissent-ils pas égarer et entraîner à ne plus en comprendre la signification véritable et la valeur ? Apôtres de la vérité, de cette vérité qui seule est forte et fait les forts, enseignez non l'orgueil qui est faible, qui enfle et n'édifie pas, qui est vanité, qui veut paraître quelqu'un, mais enseignez le sentiment du devoir, la maîtrise de soi, le courage, l'héroïsme dans les épreuves et dans les dangers, cette vertu et cette valeur qui ne s'enorgueillissent pas dans la victoire et rendent plus aimable le vainqueur. Car le monde n'a pas besoin de l'orgueil ni de la violence, mais au contraire de la charité et de l'amour et, en même temps, de cette humilité qui n'est pas lâcheté mais véracité de la connaissance de soi, qui ne s'élève pas au-dessus d'elle-même, mais se proportionne elle-même à soi pour se porter avec toutes ses forces personnelles et la confiance en Dieu, vers le bien et les entreprises qui des humbles font les grands, des faibles les forts, des fous selon le monde les sages selon Dieu. L'orgueil est illusion et erreur ; l'humilité est vérité comme la charité est vertu. La vérité c'est que tous, même les meilleurs et les plus puissants parmi les hommes, ne sont devant Dieu que de pauvres pécheurs et des mendiants qui attendent encouragements et secours de sa miséricorde. La vérité c'est que tous les hommes sont frères ; que dans la société humaine personne n'est étranger à l'autre ; que les pauvres ont besoin des riches, les riches sont redevables aux pauvres, les forts aux faibles, les sages aux insensés, que tous sont sortis de la même poussière et des mains de Dieu, que tous ont été rachetés par le même Sauveur, que tous sont en marche vers la même maison du Père céleste, où tous sont appelés à participer au même bonheur. La vérité, c'est que tous sont fils d'un même Père et d'un même sang, quels que soient le pays, la langue ou les moeurs qui les séparent, que par conséquent, ils sont tous faits pour s'aimer, s'entraider au milieu de leurs travaux réciproques, fraternellement, dans le voyage d'ici-bas. N'est-ce pas là le tableau universel et unique, entièrement vrai et véridique, de la vie sociale présente ? Qu'est toute autre vision, sinon mirage altéré et fausse apparence ?

... vertus qui sont le fondement des relations sociales.

Ces vertus d'humilité et de charité qui triompheront à la fin des siècles quand le Christ exaltera les humbles et récompensera les charitables, ne sont ni ennemies ni honteuses pour la dignité humaine, elles ne diminuent ni l'amour de la patrie, ni la valeur, elles n'empêchent pas le citoyen de lutter dans une guerre vraiment juste pour la défense, l'honneur et le salut de son pays, de combattre de toutes ses forces un adversaire armé et de le vaincre. Mais la charité, bienfaisante comme elle l'est, ne se réjouit pas de l'iniquité même sur les champs de bataille et dans les circonstances les plus dures défend à celui qui combat de sévir contre les innocents ou de punir les coupables au-delà des limites de la justice ; elle le prémunit contre ce sentiment intérieur, que saint Augustin réprouvait en ces termes : « Ce que l'on blâme avec raison dans les guerres, c'est le désir de faire du mal, la cruauté dans la vengeance, une âme implacable et ennemie de la paix, la fureur des représailles, la passion de la domination et tous les autres sentiments semblables. » 5

5 Contra Faustum, lib. 22, c. 74 ; Migne, P. L.t t. 42, col. 447.

A cette heure où les ferments mauvais semblent l'emporter sur les bons et avoir changé le temps de la charité en temps de haine (Qo 3,8) ; en cette saison d'ouragan qui donne le vertige et fait oublier tant de choses dans le formidable tourbillon du choc des passions ; voilà, chers fils et filles, la grande leçon du Christ, maître des nations, qui est en vous espérance de gloire, que vous devez faire comprendre et rappeler autour de vous par l'affirmation loyale et hardie de votre foi catholique, davantage encore par l'exemple de votre vie humble et charitable dans toute la splendeur de sa haute culture et de son rayonnement scientifique. Vie humble dans une cordialité franche et épanouie et dans l'oubli de vous-mêmes dans vos rapports à l'égard de ceux surtout que la Providence a destinés à une place plus modeste ; vie humble également dans la filiale et confiante soumission aux autorités ecclésiastiques représentées près de vous par vos très méritants assistants ecclésiastiques qui vous aident et vous guident dans l'accomplissement de votre belle et difficile mission. Avec l'humilité, il y a la charité, vie du coeur, qui triomphe toujours dans le cours du siècle et du siècle triomphera jusqu'à la consommation des siècles ; charité qui vous unit dans le Christ en vue de l'oeuvre commune ardemment aimée ; charité qui vous lie d'un lien fraternel dans une confiante collaboration avec toutes les autres sections de l'Action catholique ; charité qui, surpassant toute différence de condition, s'étend et s'épanche largement, éclairante et bienfaisante, à l'égard de tous ceux qui vous entourent à l'université, à l'école, au bureau, comme dans l'exercice de votre profession, de tous ceux vers qui vous envoie et où vous donne accès votre devoir ou votre zèle. Ce programme, Nous le savons bien et Nous Nous en réjouissons avec vous, chers fils et filles, est le but à la fois excellent et saint, que vous vous appliquez et que vous vous employez à fortifier et à réaliser avec de si heureux résultats dans vos réunions de piété et d'étude, dans votre activité et vos publications. Afin que la grâce divine, toujours disposée à aider et à perfectionner l'oeuvre de votre esprit et de votre coeur, vous donne de faire davantage et plus efficacement resplendir dans les actions et les paroles votre dessein si élevé et si noblement chrétien, Nous vous accordons avec une paternelle affection Notre Bénédiction apostolique pour vous, pour vos oeuvres, pour vos familles et pour toutes les personnes qui vous sont chères.


Pie XII 1941 - MESSAGE PASCAL AU MONDE ENTIER