Pie XII 1941 - (20 avril 1941)

LETTRE AU SECRÉTAIRE D'ÉTAT POUR PRESCRIRE DES PRIÈRES PUBLIQUES EN FAVEUR DE LA PAIX

(20 avril 1941)

1 D'après le texte latin des A. A. S., 33, 1941, p. 110 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. III, p. 53.

Pour la troisième fois depuis l'année 1939 2, le Saint-Père a demandé au cardinal secrétaire d'Etat de bien vouloir prescrire au monde des prières publiques pour la paix :

Bien que Nous ayons pleine confiance que les fidèles, et spécialement les enfants, sous la conduite de leurs parents, se souvenant de Notre invitation de l'année dernière, accourront durant le prochain mois de mai autour de l'autel de la Très Sainte Vierge, Mère de Dieu, afin d'implorer la paix pour l'humanité angoissée et tremblante, Nous désirons toutefois répéter à tous, par votre entremise, la même exhortation.

Plus la guerre tourmente et déchire douloureusement les âmes, plus effrayants sont les périls de tout genre qui atteignent tant de nations et de peuples, plus aussi des mains suppliantes doivent s'élever confiantes vers le ciel d'où seul peut venir, dans une si profonde confusion des esprits et agitation des événements, l'espérance de temps meilleurs. Si jusqu'ici nos prières et nos voeux n'ont pas eu le résultat désiré, nous ne devons pas à cause de cela perdre courage, mais nous devons tous persévérer dans une constante et insistante piété et continuer à être « patients dans la souffrance, assidus dans la prière » (Rm 12,12).

Nous ne connaissons pas les desseins de Dieu, mais nous savons que, quoique d'innombrables et très graves fautes provoquent la justice du ciel et ses châtiments, le Seigneur est cependant « Père des miséricordes et Dieu de toute consolation » (2Co 1,3) et que son amour et sa bienveillance pour nous sont sans limites.

De plus, il y a pour Nous un autre motif de confiance et d'espérance. Nous avons auprès du trône du Très-Haut, pleine de bonté, la Mère de Dieu, qui est aussi notre Mère à tous, et qui par sa toute-puissante intercession peut certainement tout nous obtenir de Lui. Confions-nous, par conséquent, à son patronage, nous-mêmes et tout ce qui est nôtre. Qu'elle accueille nos prières et nos voeux ; qu'elle accueille les actes de pénitence chrétienne et les aumônes que nous offrons en abondance pour nous rendre propice la divine Majesté. Qu'elle sèche tant de larmes, réconforte tant d'afflictions, adoucisse tant de douleurs et nous les rende plus légères et plus supportables par l'espérance des biens éternels. Que si, nous souvenant de nos fautes, nous ne nous estimons pas dignes de sa maternelle tendresse, conduisons fréquemment et nombreux à son saint autel, surtout pendant le prochain mois de mai, pour y plaider notre cause, nos petits enfants dont les âmes candides, les lèvres innocentes et les yeux limpides semblent reproduire et refléter quelque chose de la lumière céleste. Unis à nous dans la prière, qu'ils nous obtiennent que partout où s'insinue aujourd'hui l'envieuse convoitise vienne se poser bientôt l'amour ; que là où font rage aujourd'hui les échanges d'injures règne le pardon ; que là où la discorde divise les âmes, succède la concorde qui les rapproche et cimente leur union ; que là enfin où s'excitent de furieuses inimitiés qui bouleversent tout misérablement, se nouent de nouveaux pactes d'amitié rétablie qui apportent aux esprits la sérénité et à toutes choses la tranquillité et le rétablissement de l'ordre.

Que ces petits implorent de la bonté de la Mère de Dieu le céleste réconfort pour tous ceux qui sont dans le malheur et, en particulier, pour les réfugiés, les exilés, les prisonniers et les blessés qui souffrent dans les hôpitaux ; qu'ils lui demandent avec insistance, de leurs voix innocentes, que soit abrégée la durée de ce si terrible fléau, en sorte qu'après avoir été « justement affligés pour nos péchés, nous respirions enfin, consolés par la grâce divine » 3, et qu'ainsi revienne au plus tôt briller dans notre ciel une paix pleine, solide et durable, qui, inspirée et pénétrée par la majesté sacrée de la justice et par la vertu de charité, ne recèle pas des germes cachés de discorde et de rancoeurs et ne contienne pas des semences de guerres futures, mais qui, faisant fraterniser toutes les nations dans les liens de l'amitié et les aidant à jouir dans une tranquille liberté des fruits de leur travail, les accompagne et les dirige, confiantes, par les sentiers du pèlerinage terrestre vers la patrie céleste.

En attendant, Nous vous chargeons, cher Fils, de faire connaître à tous, par les moyens que vous jugerez les plus opportuns, Nos voeux et Nos exhortations paternelles et, en premier lieu, aux pasteurs sacrés, qui auront certainement à coeur de les porter à la connaissance du troupeau qui leur est confié.

En gage des divines grâces et comme témoignage de Notre bienveillance, Nous accordons de grand coeur la Bénédiction apostolique à vous, Notre cher Fils, et à tous ceux — les enfants spécialement — qui, dans un élan de piété généreuse, répondront à Notre exhortation.

ALLOCUTION AUX SUPÉRIEURS ET AUX RELIGIEUX DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS A L'OCCASION DE LA CÉLÉBRATION DU IVe CENTENAIRE DE LA COMPAGNIE

(27 avril 1941)

1

A l'occasion du IVe centenaire de l'approbation de la Compagnie de Jésus (27 septembre 1540), le préposé général remit au Saint-Père un reliquaire contenant les reliques de vingt-quatre saints et de quatre bienheureux parmi les 141 saints et bienheureux de la Compagnie et prononça une adresse d'hommage à laquelle le Souverain Pontife répondit par l'allocution suivante :

Au nom de toute la Compagnie de Jésus, son vénérable préposé général qui Nous est très cher et qui depuis si longtemps gouverne avec tant de dignité la Compagnie, Nous a exprimé des sentiments de filial respect, en Nous présentant en ce solennel anniversaire centenaire les Pères et les Frères demeurant à Rome et dans les environs, ainsi que les groupes divers d'associés appartenant aux principales oeuvres dirigées et encouragées par la Compagnie. Notre réponse, chers fils, à l'expression de ces sentiments qui Nous sont agréables ne peut être qu'une réponse exprimant la joie de voir réunie et représentée à Nos côtés toute votre Compagnie, proche et lointaine. Approuvée et établie ici à Rome par Notre immortel prédécesseur Paul III, elle y a grandi ; d'ici, elle s'est répandue dans le monde ; ici, elle est ressuscitée et a été renouvelée dans une puissante vie d'émulation avec ses anciens, dans le respect et l'obéissance au pontife romain. Vous avez voulu que Nous aussi Nous fêtions de cette façon avec vous le bonheur de voir s'achever le IVe centenaire depuis l'établissement de votre ordre.

La Compagnie de Jésus et le service spécial du pape.

Nous Nous réjouissons avec vous, parce que Nous savons bien que la Compagnie veut et a toujours voulu tout entière être et vivre au service du Vicaire du Christ. N'avait-il pas cette intention son saint fondateur Ignace alors qu'il présentait, offrait et liait au pontife par voeu solennel la petite troupe de ses premiers compagnons qu'il avait choisis pour en faire les champions intrépides de l'obéissance à Pierre et les audacieux apôtres de la foi du Christ dans le monde ? C'est bien ainsi qu'il fut accueilli par Nos prédécesseurs qui soutinrent et protégèrent la société naissante, si bien que Marcel II dit au premier préposé général : Tu milites collige et bellatores instrue ; Nos utemur ; « Toi, rassemble des soldats et forme des combattants ; Nous les utiliserons » 2. Penser, juger, travailler avec l'Eglise et avec le Vicaire du Christ, ce furent depuis quatre siècles le devoir et la gloire auxquels la milice ignatienne consacra sa vie et resta fidèle, imperturbable dans les malheurs, même quand, sous les injures des temps, en face du siècle envieux, au milieu de l'effroi des tempêtes, une main souveraine et paternelle l'immolait pour la tranquillité de la barque de Pierre. Fidèle dans l'infortune, elle fut et demeura telle, inchangée mais consciente de la transformation et de la nouveauté des temps, pour renaître et reprendre cette vigueur de vie qui, unie à la jeunesse et à la maturité du passé, lui garantissait un avenir non moins fécond de mérites et de sacrifices dans l'inébranlable attachement au Siège apostolique.

2 Cf. Niccolo Orlandini, Historiae Societatis Jesu Prima Pars, Romae 1614, 1. XV, n. 3, p. 495.


L'esprit de saint Ignace.

Nous n'avons pas l'intention de tresser ici vos louanges ni de mettre en comparaison ce zèle ardent qui sous des habits divers multiplie dans l'Eglise les héros des légions religieuses. L'histoire de vos quatre siècles de vie et d'activité parle d'elle-même, avec l'éloquence des faits, le langage de vos merveilleux succès dans l'apostolat et dans la souffrance pour l'Eglise et le pape. Mais l'âme de cette histoire, quelle est-elle ? Sinon l'esprit du grand blessé de Pampelune, cet esprit qui, sur son lit de convalescence, transforma le chevalier de l'honneur mondain en bon soldat du Christ et de sa plus grande gloire ? N'est-ce pas cet esprit, infusé par lui à ses premiers compagnons, qui fut la force secrète de la fécondité spirituelle de leur travail et des fruits qu'ils obtinrent ? Certains veulent en attribuer la raison aux circonstances des temps. Sans doute, ces circonstances contribuèrent diversement à former et à mettre en lumière un Benoît, un Bernard, un Dominique, un François et aussi un Ignace de Loyola ; mais leur esprit et l'élan de leur ardeur qui frappe « là où les résistances étaient plus grandes » n'ont pas pris naissance dans les circonstances ; ils viennent bien de leur intelligence et de leur coeur qui puisaient lumière et hardiesse dans l'Esprit-Saint ; aussi ils n'étaient pas moins ardents en face du tumulte et des misères des temps qu'incités à poser sur le fondement commun des trois voeux de religion le bastion de leur oeuvre et de leurs saintes entreprises pour le bien de l'Eglise et des peuples. Leurs forces sont sorties de ce solide rocher ; comme de la jeune Compagnie de Jésus jaillirent les deux forces que, parmi les autres, il Nous plaît, en cette occasion, d'indiquer spécialement comme toutes les deux décisives pour votre activité, chers fils, même dans le temps présent.

La première, c'est qu'Ignace, âme de feu qui aurait voulu allumer et embraser l'univers, s'élança, intrépide, partout où il s'agissait d'une affaire décisive. Tel est le caractère des héros du Christ ; tel le caractère d'Ignace qui, semblable à Paul, voulait que ses fils fussent des hommes crucifiés pour le monde, morts au monde, ce dernier étant aussi crucifié (mort) pour eux, des hommes sanctifiés par l'esprit et par la pratique de la pauvreté, par l'obéissance parfaite, par la mortification, même extérieure. Il se levait, opposition vivante, contre la fuite pusillanime dans la tranquillité du secondaire et de l'accessoire, contre la retraite qui permettrait de ne pas accepter ce qui est dur et ce qui, plus important, coûte davantage.

Les « Exercices spirituels »

Rien n'est plus significatif et caractéristique à cet égard que le livre de ses Exercices spirituels, code des luttes et des victoires intimes et capitales de l'homme, dans lequel se décide et se redresse, s'oriente le cours de la vie vers le but de notre existence sur terre. Celui qui entre dans ce combat spirituel où l'intelligence et la volonté, après avoir mis de côté tout ce qui n'est pas essentiel, luttent et rivalisent, en méditant et contemplant, en étant opposé et en consentant, et celui qui s'y assujettit finit par être vaincu et convaincu, théoriquement et pratiquement, d'établir profondément en lui les vérités décisives qui imprègnent l'esprit et jaillissent du contraste entre la vie et la mort, entre le temps et l'éternité, entre l'homme déchu et soupirant à ressusciter et le Christ se révélant, patient et ressuscité, pour l'entraîner avec lui au triomphe. Ainsi s'est formé personnellement Ignace ; c'est, en effet, dans cette renaissance spirituelle que réside toute la valeur substantielle de l'homme, comme l'avait déjà sentencieusement proclamé le plus sage des rois, après avoir contemplé et éprouvé l'infinie vanité de toutes choses : « Crains Dieu et observe ses commandements, car c'est là le tout de l'homme » (Qo 12,13). Ignace sortit de ce combat pour aller choisir ses compagnons, pour fonder et gouverner comme préposé général son ordre, pour réunir et concentrer les forces au service des choses importantes, des desseins et des entreprises décisives qu'il a indiqués, fixés, confiés à l'ascèse intérieure et au zèle apostolique de ses fils.

... source de la fécondité des oeuvres de la Compagnie, spécialement dans le domaine de l'enseignement et de l'éducation.

Les religieux de la Compagnie, en silence, avec grand courage et confiance en Dieu, employant toutes leurs forces, sont partis de ce principe intérieur fondamental pour accomplir des oeuvres excellentes en faveur de l'Eglise et de la société, de la conversion des infidèles dans les vastes territoires de missions, de la défense de la foi. C'est toujours cela qui en a été le fondement, lorsque l'ordre a réalisé quelque chose de grand, de profond, de stable.

A cet égard, parmi les oeuvres multiformes entreprises depuis ses débuts par la Compagnie, il en est une qui Nous semble spécialement refléter ce principe essentiel, c'est le travail sur le terrain de l'école et de l'éducation ; travail qui pénètre dans l'âme de la jeunesse, pour la former à cette bonté qui, exposée aux embûches des premières passions, doit être éclairée, conduite, guidée vers la vertu et vers Dieu. S'il est vrai que l'enfant, une fois sa route choisie, ne s'en détournera pas, même lorsqu'il deviendra vieux (Pr 22,6), on a tort de séparer chez le petit enfant les disciplines de la science de celles de la conduite, l'instruction de l'intelligence de l'éducation du coeur. Le génie et le zèle d'Ignace, ami zélé d'un fondement plus solide et plus saint de développement intellectuel et moral de la jeunesse, ont pourvu largement à ce danger et à ce dommage auxquels sont exposés les enfants des familles chrétiennes au cours de leur adolescence. C'est une gloire pour la Compagnie — elle a été spécialement reconnue par Notre illustre prédécesseur, Grégoire XIII — d'avoir mis au nombre de ses principaux devoirs et charges, celui d'éduquer les enfants dans la religion et dans les sciences : religioni ac bonis artibus. Ainsi ont travaillé vos aînés ; à Rome, le Collège romain en fut un témoignage et une attestation illustres. Cette activité se déployait dans le silence et sans bruit ; il Nous plaît de ne pas la taire, mais de l'indiquer à haute voix comme seconde raison de vos mérites envers le Christ et l'Eglise, envers la famille et la société. La vérité religieuse et morale qui à côté des belles lettres s'imprime dans les âmes des jeunes, y pénètre plus profondément, parce que plus vivante et toujours prête, même quand les tempêtes des passions la submergent, à émerger au-dessus des flots de l'âge mûr, alors qu'au déclin de la vie la figure de ce monde passe. Cette activité scolaire se déployait, comme aujourd'hui, selon des méthodes rigoureusement étudiées et expérimentées. Votre ordre n'a pas hésité à consacrer de nombreux religieux remarquables par leurs talents à l'enseignement dans les collèges, les athénées, les universités d'Europe, du Nouveau-Monde et de l'Orient, accomplissant une oeuvre dans laquelle un célèbre écrivain allemand moderne, d'une confession différente de la nôtre, n'a pas hésité à voir « quelque chose du silencieux, mais continuel mode d'agir des forces de la nature ; sans passion ni tumulte, sans agitation ni précipitation, elle avance pas à pas » 3. Nous savons bien que dans ce travail silencieux et tranquille si la tranquillité se trouve dans l'arène et dans la lutte pour la vérité et pour le bien, vous apportez la confiance dans la bonne cause à laquelle vous êtes appliqués, les énergies d'intelligence et de coeur appropriées et ainsi vous obtenez des résultats excellents qui, dans le passé comme dans le présent et pour l'avenir, sont capables de définir, de garantir, de soutenir et d'affermir l'action, la valeur et la réputation de la Compagnie dans la sphère de l'apostolat d'ensemble de l'Eglise catholique.

3 Paulsen, Geschichte des gelebrten Unterrichts, 3. AufL, Leipzig 1919, 1, p. 41S.

Remerciement du pape pour l'oeuvre accomplie par la Compagnie

C'est un apostolat de la foi et de la charité ; les formidables ruines qui sont allées s'accumulant dans les âmes et dans les biens temporels exigent que cet apostolat soit gigantesque et égal à la rigueur des douleurs et des afflictions, tristes conséquences des présentes discordes des peuples. Dans une aussi grande oeuvre de gué-rison et de restauration spirituelles, Nous accueillons avec une très grande gratitude le concours offert par la Compagnie, reconnaissant dans l'aide promise cette ardeur d'âme, de charité et de sacrifice qui l'embrase et qui a rendu glorieux et bien méritants de l'Eglise et de l'humanité votre héroïque et saint fondateur et vos héros élevés sur les autels ; parmi eux resplendit d'un éclat extraordinaire le saint d'aujourd'hui, que votre préposé général a mentionné dans son discours, Pierre Canisius, disciple parfait de saint Ignace dans cette concentration de toutes les forces vers les grands buts voulus et poursuivis par lui.

Vous Nous avez présenté, comme symbole de vos sentiments intimes et comme souvenir du centenaire que vous célébrez, un reliquaire des restes sacrés de vos saints ; ils furent, un jour, animés par ces âmes immortelles qui, déjà au ciel, contemplent la face de Dieu, et, devant son trône, valorisent par leur intercession les prières, les messes, les sacrifices spirituels que vous Nous avez offerts comme un bouquet de fleurs, dont le parfum sont vos vertus et votre dévouement aux intentions de Notre esprit et de Notre coeur. Nous vous remercions paternellement de l'un et de l'autre dons, comme de votre présence qui Nous fait partager non seulement vos joies, mais aussi les profondes afflictions et les tribulations qui, à l'heure présente, se mêlent à votre joie, afin qu'il n'y ait ni discordance ni dissemblance entre la vie de l'Eglise et la vie de votre institut religieux.

par ses saints, ses martyrs et ses entreprises multiformes.

De même que l'histoire de la Compagnie a reçu sa vie quatre fois séculaire de l'esprit du Christ qui lui a donné son nom, de même elle s'insère dans l'histoire de l'Eglise avec son grand fondateur, avec ses saints et ses martyrs, avec la phalange de ses infatigables apôtres de la foi, avec ses docteurs et ses maîtres, avec ses établissements scolaires d'études élémentaires ou supérieures, avec les congrégations mariales, avec les maisons pour les exercices spirituels des retraites, avec l'Apostolat de la prière, avec l'Institut de culture religieuse et la Ligue missionnaire des étudiants et avec tant d'autres oeuvres. D'elles toutes Nous dirons Nous aussi, avec l'apôtre Paul, qu'en ayant entendu parler et connaissant votre foi dans le Seigneur Jésus et votre charité à l'endroit de l'Eglise des fidèles, Nous ne cessons de vous rendre grâces, en faisant mémoire de vous dans Nos prières, afin que le Dieu de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Père de la gloire, vous donne toujours et en plus grande abondance, l'esprit de sagesse et de révélation pour le connaître lui et sa plus grande gloire (cf. Eph. Ep 1,15-17).

Aussi, Nous implorons la libéralité divine sur votre vénéré préposé général et la curie généralice, sur tous les supérieurs, sur toutes les provinces de la Compagnie, sur tous les collèges et athénées d'études, sur les oeuvres et sur les missions, sur toute la Compagnie qui travaille et qui souffre dans le monde où elle est répandue, intrépide en face des tempêtes que son fondateur n'a pas redoutées mais désirées, afin qu'à l'expiration de ces quatre siècles passés dans une vie saintement féconde, elle prenne l'élan vers de nouvelles et non moins fructueuses entreprises au service du Christ et de l'Eglise. Comme gage des faveurs célestes, avec des sentiments d'une paternelle affection, Nous vous donnons à tous, fils bien-aimés, présents ici ou éloignés, Notre Bénédiction apostolique.

DISCOURS A L'ASSOCIATION DE L'ADORATION PERPÉTUELLE ET DE SECOURS AUX ÉGLISES PAUVRES

(1er mai 1941)

1

L'association de l'Adoration perpétuelle et de secours aux églises pauvres, dont le siège est à Rome, près de l'église du Corpus Domini, a été reçue le 1er mai, comme à l'ordinaire, pour présenter au Saint-Père son offrande annuelle. Le pape profita de l'occasion pour magnifier le mérite et la générosité qui a souci de l'embellissement des églises :


Mérite de la générosité traditionnelle des chrétiens pour l'embellissement des églises.

Pendant que, tout à l'heure, faisant le tour de votre exposition, Nous admirions, chères filles, la riche et abondante collection d'ornements d'église, de vêtements et d'objets liturgiques que vous offrez à celle que Notre prédécesseur de sainte mémoire, Pie XI, appelait « l'auguste pauvreté des églises et de leur hôte, Jésus dans le très Saint Sacrement », Nous avions pour compagnon de Nos pas Notre esprit et Notre regard qui voyait en vous des âmes généreuses et chrétiennes appartenant à cette grande foule qui chante autour des divins autels les paroles sacrées : « Seigneur, j'ai aimé la beauté de ta maison et le lieu du séjour de ta gloire » (Ps 25,8). De cette beauté de sa maison et du séjour de la gloire d'un Dieu présent et caché au milieu de nous, permettez que Notre pensée avec Notre coeur descende près de la tombe du Prince des apôtres, entre dans les catacombes romaines, dans les basiliques, dans les sanctuaires et dans leurs trésors et remonte à un lointain passé. Nous reverrons dans l'Empire romain devenu chrétien des Césars, d'illustres consulaires et des patriciennes rivaliser de générosité et de splendeur dans les dons 2 qu'ils offraient aux églises et aux autels : calices, patènes et autres vases sacrés d'or et d'argent, magnifiques candélabres et croix, voiles et ornements d'étoffes diverses, livres liturgiques3, que les antiques chroniques se plaisaient à énumérer et à décrire, et que les lois impériales protégaient efficacement*. Cette tradition de libéralité et de munificence, ancienne comme le christianisme, de ne rien épargner qui soit à même d'embellir et d'orner tout ce qui touche au culte divin et, par-dessus tout à la très sainte Eucharistie, qui en est le centre et la vie, depuis de nombreuses années vous l'avez recueillie et ravivée par vos dons à Nos prédécesseurs ; vous la continuez aujourd'hui par vos offrandes et votre travail ; vous la raffermissez par votre esprit profondément chrétien, victorieux de lui-même et ne voulant pas que votre main gauche sache ce que fait votre droite si large et si active. Nous n'oserions pas affirmer que quelque brise secrète de vanité personnelle n'ait jamais soufflé autour de ces dons opulents d'autrefois ni ne les ait jamais enveloppés, destinés qu'ils sont non moins à l'honneur de Dieu et à la beauté liturgique qu'à rappeler avec leur piété la grandeur et la munificence des donateurs, dont les noms étaient généralement inscrits sur les dons qu'ils offraient. Vous, au contraire, vous préférez inscrire vos noms, non pas sur l'oeuvre offerte par vos mains, mais dans le livre de l'oubli ; livre caché, comme l'humilité dans laquelle vous cachez les souvenirs de vos peines intimes, de vos pardons des offenses, de vos désirs déçus ; souvenirs connus seulement de Dieu, qui lit et voit dans le secret (cf. Mt 6,4) et en son temps sait exalter les humbles qui font disparaître leurs personnes, comme vous le faites, dans l'anonymat d'une oeuvre commune et d'une commune offrande entre les mains paternelles du Vicaire de Notre-Seigneur Jésus-Christ, pour lequel seul vous voulez travailler. Grâce à cet effacement de vous-mêmes, vos dons, seraient-ils moins brillants dans leur simple beauté et peu soucieux de perpétuer vos noms, iront plus librement et plus nombreux distribuer et mettre une note d'art discrète dans beaucoup de pauvres sanctuaires et y allumer un rayon de lumière joyeuse aux yeux de tant d'ouvriers, de gens du peuple et de paysans.

Nous vous en remercions au nom du divin Maître — auprès duquel même un verre d'eau donné pour son amour est source de joie et mérite une récompense — pour tant d'églises éloignées, auxquelles vous Nous aidez ainsi à montrer que, quelles que soient les distances, aucune n'est éloignée du coeur du Père commun : églises de pays dévastés et dépouillés, églises de missions édifiées par des néophytes dépourvus de moyens, mais toutes demeures du même Hôte divin, qui trouve ses délices à accepter les cabanes, la solitude et la pauvreté, pour demeurer au milieu des plus humbles, des plus souffrants et des plus abandonnés de leurs frères. Nous ne vous en remercions pas moins de tout coeur pour les églises plus proches que, secondé par l'active sollicitude de Notre Vénérable Frère le cardinal Vicaire, Nous ne cessons de faire surgir dans les nouveaux quartiers les plus besogneux et populeux de Notre grand et toujours plus étendu diocèse de Rome, que le Seigneur Nous a confié d'une manière spéciale.

2 Cf. Isid. de Séville, Etymol. VI, 19, n. 27 ; Mignc, P. L., t. 82, col. 254.
3 Cf. Liber Pont., éd. Duchesne, i. I, p. CXLVI.
4 Cf. Codex Jnstinian., 1, 2.


La beauté des cérémonies du culte est un soutien de la vie chrétienne.

A l'ombre des églises dont la cloche réveille la foi et la piété, s'anime et se développe la vie paroissiale, cadre et soutien naturel de la vie religieuse des populations chrétiennes dans les pays de mission comme, depuis tant de siècles, dans nos régions catholiques. Votre oeuvre efficace, votre concours et votre exemple contribuent à la promouvoir, à l'accroître et à la raviver. Cela soit dit à votre louange et à votre mérite, parce que votre pieux et bienfaisant travail est une voix d'encouragement, de foi et de religion. L'esprit de foi est sans nul doute le lien substantiel le plus fort qui doit attacher les fidèles à leur paroisse, mais l'esprit s'appuie aussi sur la matière et de la matière aime à s'élever vers des pensées, des visions et des contemplations qui élèvent vers Dieu. N'est-il pas vrai que la participation assidue et active à la vie paroissiale et à ses oeuvres, la fréquentation des églises et des cérémonies sacrées sont grandement favorisées et encouragées par la décoration des saints autels qui est une douce invitation et un puissant attrait pour les yeux de l'âme et de la dévotion religieuse toujours avide de voir de la beauté aussi dans les églises ? Si les fidèles trouvent que la maison de Dieu, pauvre peut-être à l'égard de leurs propres demeures, mais, même dans cette pauvreté, digne du grand Hôte qu'elle héberge, digne des mystères qui s'y célèbrent, digne des prières qui s'en élèvent, grâce à une propreté rigoureuse, à un ordre impeccable, au bon goût et à la beauté des ornements et des vêtements sacrés dont on se sert ; s'il est donné à leur dévotion d'assister à des cérémonies, simples peut-être, mais, dans leur simplicité, très fidèles aux prescriptions et à l'esprit de la liturgie et par là même pieuses, belles, édifiantes, comment leurs esprits et leurs coeurs ne se sentiront-ils pas attirés et élevés vers Dieu dont le culte dépasse tellement les vulgarités terrestres ? En suscitant et en ravivant aussi dans les centres les plus dépourvus de moyens de semblables conditions d'une vie paroissiale, plus attrayante pour les âmes et plus efficace pour les conduire au Christ, vous coopérerez largement, par vos dons et par votre participation personnelle, à maintenir, à cultiver et à faire refleurir au milieu du peuple une vie chrétienne intense et exemplaire, tournée vers la pratique religieuse et vers Dieu, comme le rayon du matin réveille et rouvre les corolles ensommeillées des fleurs des champs et les présente au baiser du soleil pour les parfumer.

L'adoration du Très Saint Sacrement.

Mais vous faites davantage dans votre si méritante association. Pour le divin Maître, réellement présent dans la très sainte Eucharistie, assoiffé moins de belles églises matérielles que de demeures spirituelles, de coeurs purs et aimants qui le reçoivent et le servent avec fidélité et par de ferventes adorations, vous, généreuses donatrices et infatigables ouvrières, vous voulez être aussi des adoratrices assidues et unir en vous la part de Marthe et la part de Marie autour de l'Hôte incomparable des tabernacles, vous prosternant à ses pieds pour écouter ses ineffables paroles, pour répondre à ses désirs, pour répandre votre âme dans ces secrets et sublimes colloques qui étreignent le coeur à coeur de battements surhumains, battements qui font vibrer sur la harpe de votre esprit les cordes de l'adoration et de l'amour, de la louange et de l'invocation, de l'offrande et du sacrifice, de l'action et de la confiance. Vous priez en sa présence, « Dieu est avec nous » (Mt 1,23). En ces moments d'extase souvenez-vous de la Sainte Eglise, son épouse, en voyage ici-bas qui, à l'heure présente, a besoin, plus que de vos dons, si précieux et si nécessaires qu'ils soient, de vos heures d'adoration et de supplication à ce Jésus qui, invisible, vous voit et vous écoute.

Appel à la prière pour la paix.

En ce pauvre monde divisé par les passions ardentes, moralement désorienté, déchiré par des luttes inexorables, ce qui par-dessus tout est indispensable, c'est une effusion extraordinaire dans les âmes, dans toutes les âmes, de cet esprit de charité que le Christ, du sein du Père, est venu apporter comme un feu sur la terre et dont le centre lançant des étincelles au milieu de nous est son Coeur réellement présent sur nos autels. Maintenant, plus que de toutes les oeuvres extérieures, si belles et si utiles qu'elles soient, on éprouve un besoin impérieux d'un effort commun, d'une prière intense et continue des âmes croyantes et aimantes, pour implorer et obtenir de la miséricorde toute-puissante de Dieu ces grâces victorieuses qui lient et font céder pour les plier, les plus inflexibles volontés, qui réchauffent les coeurs les plus froids de telle manière que la charité mutuelle, l'amour fraternel des hommes entre eux puissent revivre et refleurir. Tout autre arrangement ne sera qu'un inutile et vain palliatif tant que nous n'aurons pas obtenu de la Bonté infinie le renouvellement profond et intime des âmes.

Chères filles ! Au nom du Christ, dont Nous sommes l'indigne Vicaire, au nom de celui qui aima ses frères jusqu'à mourir sur la croix pour eux, Nous vous demandons à vous, à toutes vos associées, à toutes les âmes qui vous sont unies dans les diverses oeuvres d'adoration eucharistique, de faire par vos prières violence à la miséricorde de Dieu. Notre-Seigneur ne nous a-t-il pas lui-même enseigné et invité à prier sans jamais se lasser dans la parabole de la veuve qui importunait le juge inique et sans coeur (Lc 18,1-8) ? Dieu qui est au contraire la pitié et l'amour infini ne désire rien d'autre que de se voir ainsi importuner et supplier sans arrêt par nos instances. Donnez satisfaction à ce vif désir : que vos prières devant Lui ne cessent pas jusqu'au jour où sa miséricorde les aura exaucées, qu'avec le réveil du feu de la charité dans les coeurs des hommes revienne la concorde entre les peuples et que le monde retrouve la tranquillité dans l'ordre de la paix.


DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX

(7 mai 1941) 1

Printemps de la nature, printemps de l'Eglise, printemps des familles chrétiennes.

La vie ne meurt point, chers jeunes époux, dans les variations et l'écoulement des saisons : leur succession même donne au cours de l'an sa diversité et ramène toujours le printemps. Le jour a, lui aussi, ses saisons : dans la matinée nous goûtons le printemps, et à midi l'été ; le soir nous fait l'impression de l'automne, et la nuit de l'hiver. Spectacle de vie renaissante que le printemps, cette saison de joie où tout redonne à la nature le sourire : la verte chevelure des bois, les prés et les jardins en fleurs, les légères corolles des arbres fruitiers, les harmonies des oiseaux, la douce chaleur du soleil qui s'avance sur la voûte du ciel dans la splendeur de sa majesté, en époux de la nature qu'il salue, embellit, colore et féconde de ses rayons vivifiants. Le printemps de son beau manteau recouvre la terre et il éveille dans nos âmes un hymne de louanges au Créateur, qui déploie sa bonté et libéralité dans le livre de la nature, pour nous apprendre à nous renouveler, nous aussi, dans la vie de l'esprit et dans la foi en Dieu.

Notre sainte Mère l'Eglise a également son printemps, le printemps des alléluias que multiplie la liturgie pascale pour nous inviter à la joie : à la joie de la triomphante résurrection du Christ, fleur virginale de la Vierge Mère, lys divin de la rouge vallée de la Passion (cf. Cant., u, 1) ; à la joie du printemps des premières communautés chrétiennes, dont nous avons relu aux Actes des Apôtres les émouvants épisodes, présage et prémices du futur renouveau spirituel des peuples, les fleurs et les fruits de la conquête de l'apostolat catholique.

Pour vous, vous êtes au printemps de la vie. Vous vivez le printemps de la famille que vous venez de fonder. Vous le vivez dans la joie et la délicieuse intimité des premiers pas que vous faites à deux, et vous respirez le parfum des espérances d'une vie féconde qui montera autour de vous comme les rejets au pied de l'olivier, d'une vie que Dieu vous appelle à multiplier par votre union, de la vie la plus belle qui soit ici-bas : la vie des âmes chrétiennes.

Printemps de la nature, printemps de la joie chrétienne, printemps des noces chrétiennes : vous jouissez maintenant de ces trois printemps et vous exultez, comme si le monde qui vous entoure se réduisait pour vous à votre seule vie. Mais, si vous interrompez un instant vos doux colloques pour prendre en main un journal, vous rencontrerez dans ses colonnes une autre vie et un autre monde : faits de guerre, terribles combats sur terre, sur mer et dans le ciel ; mais vous rencontrerez aussi de magnifiques exemples de générosité envers ceux qui souffrent, de magnifiques exemples de dévouement, d'héroïsme et de sacrifice.

Vous-mêmes, bien-aimés fils et filles, au milieu de ces bouleversements formidables, par un grand et bel acte de foi chrétienne, vous n'avez pas craint de fonder vos nouvelles familles. C'est que vous savez et croyez que le renouveau infaillible du printemps dans le tumulte des événements humains n'est point une dérision ou une froide indifférence d'une nature aveugle, ni la folle imagination de rêveurs ingénus, mais le témoignage et la manifestation de ce suprême et paternel « Amour qui meut le soleil et les autres étoiles »2, amour dont la constante sollicitude ne se relâche jamais, ne fût-ce qu'un instant, dans le gouvernement du monde, et dont la miséricorde domine et modère les agitations des hommes.

Votre confiance chrétienne n'est ni puérilité, ni insouciance, ni fatalisme

Votre foi n'est-elle pas une confiance dans la douceur et la force de la main divine toujours vigilante et attentive et ordonnant sans cesse les événements grands et petits, joyeux et douloureux de cette vie ? Entendez la haute et belle leçon que Dieu vous donne dans le triple printemps que vous vivez ces jours-ci et qui raffermit votre confiance.

Cette confiance n'est point une ingénuité puérile s'imaginant que le printemps durera toujours, que sa charmante beauté ne passera jamais, que les chaleurs torrides, les froids et les neiges ne reviendront plus. Elle n'est point l'ingénuité qui s'enivre du présent sans une pensée pour l'avenir, sans un effort pour raffermir l'âme et la préparer aux privations et aux épreuves.

Cette confiance n'est point une indolente étourderie vivant au jour le jour, dans le rêve trompeur qu'aux premiers roulements du tonnerre il sera toujours temps de se réveiller pour se mettre, tant bien que mal, à l'abri de la tempête, comme si le meilleur parti à prendre actuellement était de jouir, sans aucune préoccupation, de la tranquillité présente, des rayons du soleil présent si peu durables soient-ils.

Cette confiance n'est pas la triste résignation du fatalisme paralysé par la conviction que sous l'aveugle déchaînement des choses il n'y a qu'à courber le dos pour recevoir le coup le moins mal possible et pour tâcher d'en amortir le choc avec la souplesse de la balle qui se laisse rouler en tous sens et heurter de toutes parts sans résistance ni raideur inutiles.

. mais foi en l'amour du Dieu de miséricorde et de sagesse.

Qu'est-ce donc que votre confiance ? C'est la foi dans l'amour de Dieu. Nos cognovimus et credidimus caritati, quam habet Deus in nobis (1Jn 4,16), « et nous, nous avons connu l'amour que Dieu a pour nous et nous y avons cru ». Elevez votre pensée au-dessus des ouragans et des tempêtes d'ici-bas. Vous croyez de toute votre âme que le cours du monde qui nous porte dans ses tourbillons, qui nous meurtrit et nous étourdit, n'est point le débordement irréfléchi ni le choc de forces aveugles qui se précipitent au hasard. Pour déconcertants et sombres que puissent en être les gouffres et les rapides, vous croyez que la toute-puissance d'un amour et d'une sagesse sans borne conduit toutes choses ici-bas, veille sur toutes choses, dirige toutes choses vers un but : le triomphe de la miséricorde de Dieu, plus encore que de sa justice.

Vous savez que Dieu n'oublie jamais le but de ses oeuvres et que leur sagesse brillera dans le ciel lorsqu'il nous sera donné de parcourir, dans la vision divine, les sentiers de cette vie que nos pas auront marqués de traces sanglantes, et que sa grâce aura semés de fleurs.

Vous savez que rien au monde, ni l'amour d'une jeune mère, ni la mutuelle tendresse de nouveaux mariés, que rien ne ressemble, même de loin, à la tendresse d'amour infini dont Dieu entoure et embrasse toutes nos âmes et chacune d'elles en particulier.

Vous savez que, dans ses éternels, grandioses et magnifiques conseils sur les destinées du monde et de l'humanité, vous savez que, si sa prévoyance daigne se pencher jusque sur les lys des champs et les oiseaux du ciel, l'amour de Dieu a des desseins particuliers sur chacune de vos âmes, fût-elle la plus ignorée et la plus chétive aux yeux des hommes. Ces desseins sont d'une si affectueuse et si sage sollicitude que vous n'en mettrez vous-mêmes jamais autant à préparer tout ce qui pourra servir à accueillir, égayer et embellir la venue des chers petits que vous attendez en une joyeuse espérance.

Le cours de votre existence, les pas et les instants de votre vie sont peut-être bien humbles et bien cachés, mais Dieu ne les laissera pas à la merci du hasard. Tout est voulu ou permis par la sagesse et puissance de sa bonté, qui tourne au bien même le mal. A vos heures de travail intense, dans vos repos, dans l'inconscience de votre sommeil, à aucun instant de vos journées l'oeil et la main de Dieu ne cesseront jamais de soutenir de leur vigilant amour, de guider et de conduire vos vies et la vie de vos enfants.

Vous avez confiance l'un et l'autre dans votre amour réciproque et vous vous êtes confiés l'un à l'autre votre vie et votre bonheur : ayez une foi plus vive encore et plus inébranlable dans l'amour de Dieu pour vous ; ayez une foi qui s'élève à la hauteur incalculable de cet amour qui surpasse et dépasse jusqu'à l'amour humain le plus profond et le plus puissant.

Vous vous êtes donnés l'un à l'autre : donnez-vous ensemble à Dieu. Pourriez-vous sauvegarder votre bonheur si vous viviez chacun pour soi, sans vous préoccuper de ce que pense et désire l'âme unie à votre âme ? Certes non. Vous auriez encore moins de succès à assurer le bonheur de votre vie commune, si vous la viviez à votre guise, loin de Dieu et de ses desseins d'amour sur vous, dans le mépris ou la négligence de ce qu'il désire et attend de vous.

Laissez-vous donc guider par Dieu ; et les commandements de la loi chrétienne, la direction et les conseils de l'Eglise, les dispositions de la Providence illumineront vos pas jour par jour sur le chemin de la vie.

Par la confiance en Dieu et la soumission à sa loi, la foie de votre foyer demeurera.

Ayez confiance en Dieu, ayez confiance dans le Rédempteur : il a vaincu le monde. N'attendez point de révélation extraordinaire des desseins de Dieu sur vous : ils se révéleront peu à peu dans la succession des faits et dans les événements de la journée et de la vie.

Croyez à l'amour divin qui vous a montré la voie à parcourir ; marchez dans cette voie avec droiture et vertu, et non au gré de vos caprices ; sinon vous n'éviterez point les heurts, les dissonances d'avec les harmonies divines, et votre voix détonnera dans le doux chant dont Dieu veut faire résonner votre famille. Le refus de marcher dans le chemin de Dieu, n'est-ce pas là souvent la secrète raison, la triste origine de tant de vies qui ont commencé dans une rayonnante félicité pour finir dans les plus sombres misères ? Ne soyez point des enfants capricieux, entêtés, qui se débattent dans les bras de leur mère pourtant si pleins d'amour ; n'imitez point ces hommes, bien nombreux, qui, nouveaux Pharaons, s'endurcissent et se débattent dans les mains de Dieu, et qui, au lieu de se laisser conduire en fils, rejettent sa loi, ferment l'oreille à l'inspiration de sa grâce qui les pousse vers une vie plus intégralement chrétienne : voilà d'où viennent les désaccords, les heurts, les chutes, les maladies, les ruines.

Cette foi confiante dans l'amour de Dieu, bien-aimés fils et filles, cette docile et cordiale fidélité à vous laisser guider par Dieu, à observer ses commandements, à accepter avec une filiale soumission les dispositions de sa Providence sur vous, voilà, Nous en avons l'assurance, les résolutions que vous avez prises pour cette vie commune dont le prêtre a béni les débuts.

Mais ces vertus si belles et si nécessaires, où les prendrez-vous ? Vous ne les obtiendrez, vous ne les conserverez, vous ne les développerez qu'aux sources profondes et limpides de l'eau vive qui jaillit pour la vie éternelle, c'est-à-dire dans l'assiduité à écouter la parole de Dieu et à vous instruire de plus en plus dans les enseignements de l'Eglise ; dans la prière qui vous réunira matin et soir ; dans l'assistance à la sainte messe et la fréquentation des sacrements de pénitence et d'Eucharistie, en un mot dans la vie chrétienne active et vertueuse.

Alors, oui, le printemps d'aujourd'hui durera, il fleurira dans vos âmes, il ne cessera que pour se transformer aux couronnes de fruits brillants et aux gerbes de moissons dorées de cet été sans automne et sans hiver qu'est l'éternelle joie des bienheureux du ciel.


Pie XII 1941 - (20 avril 1941)