Pie XII 1941 - ALLOCUTION A L'AMBASSADEUR DU PÉROU


LETTRE AUX ÉVÊQUES DE SUISSE

A L'OCCASION DE LEUR CONFÉRENCE ANNUELLE

(25 juillet 1941 )1

La lettre suivante a été adressée en réponse à une lettre écrite par les évêques suisses lors de leur réunion annuelle :

La lettre très aimante que vous Nous avez écrite à l'occasion de votre réunion annuelle tenue auprès du sanctuaire de Notre-Dame d'Einsiedeln exprime clairement vos sentiments de fidélité et de vénération à l'égard du Siège apostolique, et répondait tout à fait à votre courage et à votre dignité, à Nos désirs et à la situation du temps où nous sommes. Certes, Nous reconnaissons votre attachement filial dans ce que vous rappelez au sujet de Nos entreprises et de Nos travaux, et principalement à propos des soins et des efforts paternels par lesquels, embrassant le monde entier, Nous avons assurément tout essayé et Nous le faisons encore sans arrêt, pour rétablir dans le monde l'accord des esprits et une paix juste. Quant à ce qui concerne la Suisse, cette nation qui Nous est si chère, tout récemment, à l'approche de la célébration du 650e anniversaire de la fondation de votre Confédération, Nous avons de grand cceur envoyé une lettre à l'illustre président et aux membres du grand Conseil fédéral suisse2. Avant tout, Nous Nous félicitons de voir vos concitoyens jouir de la paix et de la concorde au milieu des si grandes tempêtes d'une horrible guerre ; également, Nous Nous réjouissons de voir particulièrement honorés et respectés chez vous, grâce à la prudence et à la sagesse des autorités, les droits de la


ÉVÊQUES DE SUISSE

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religion. Nous n'estimons rien de meilleur que la conservation dans l'avenir, par un bienfait de Dieu, de la liberté et de l'intégrité de la Suisse, « comme une île de paix » au milieu de l'Europe en feu, afin qu'elle puisse selon ses forces adoucir les plaies de la guerre et réaliser les oeuvres salutaires de la paix. Aussi Nous louons vos fidèles du culte particulier par lequel ils honorent et vénèrent le bienheureux Nicolas de Flue3, l'illustre pacificateur de la Suisse ; désireux comme vous d'augmenter légitimement l'honneur qu'on lui témoigne, Nous mettons à bon droit un grand espoir dans sa puissante intercession auprès de Dieu.

En attendant, comme gage des bienfaits célestes, en témoignage de Notre amour particulier, de tout coeur, Nous vous donnons, à vous, Vénérables Frères, à tout votre clergé et aux fidèles confiés aux soins de chacun de vous, la Bénédiction apostolique.

3 Nicolas de Flue a été canonisé par Pie XII, le 15 mai 1947. (Cf. Documents Pontificaux S. S. Pie XII, année 1947, p. 137).


DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX

(30 juillet 1941) 1

Amour païen et amour chrétien.

Au cours de vos promenades romaines, bien-aimés fils et filles, vous n'avez pas manqué, dans cette cité unique au monde, de constater avec étonnement à quel point les souvenirs de son passé et les monuments de son présent chrétien se mêlent, se compénètrent et se superposent. Plus particulièrement, quand apparurent à vos regards d'époux chrétiens, de futurs pères et mères chrétiens, les ruines des magnifiques palais et des temples antiques, votre pensée a dû se reporter vers les moeurs et les coutumes de la Rome païenne. A cette époque, parmi la splendeur même des arts et des lettres, s'étalait avec le déclin de l'austérité et de l'intégrité traditionnelles une telle corruption qu'Horace s'écriait : « Des générations fécondes en vices souillèrent d'abord le mariage, la race et les foyers ; de cette source jaillirent tous les maux qui ont submergé la patrie et le peuple. La jeune adolescente se complaît aux voluptueuses danses ioniennes... et, dès ses premières années, rêve d'illicites amours » 2.

Aux fortes et austères familles de la vieille Rome

Sans doute, votre âme s'est détournée de pareilles images pour considérer de préférence les souvenirs de ces antiques, fortes et austères familles romaines qui firent la puissance et la grandeur de Rome, dominatrice du monde : per quos viros... et partum et auctum imperium, « ces hommes de qui l'empire tient sa naissance et son développement »3. Vous les avez vus tels qu'ils vivent dans les

1 D'après le texte italien de Discorsi e Radiomessaggi, t. III, p. 163 ; cf. la traduction française des Discours aux jeunes tpoux, t. II, p. 45.

2 Carm., 3, 6, 17-24.

récits de Tite-Live, ces rudes pères de famille à l'autorité absolue et incontestée, gardiens fidèles de leur gens (le groupe des familles parentes), totalement dévoués au service de la chose publique ; et à leurs côtés vous les avez vues, noblement soumises, ces matrones irréprochables, consacrées aux soins de leur maison, ces matrones qui, avec Cornélie, la mère des Gracques4, présentaient leurs enfants comme leur plus belle parure, comme leurs plus précieux bijoux : Haec ornamenta sunt mea, « mes parures, les voilà ! ».

Ils ne manquèrent pas complètement, même sous les empereurs, les exemples de familles où les époux vivaient dans une heureuse concorde et se donnaient mutuellement la préférence, foyers où la vertu de la bonne épouse mérite d'autant plus d'éloges que les fautes des autres étaient plus graves 5. Femmes qui, au milieu même de ces temps de terreur où elles se voyaient accusées et mises à mort pour la seule raison d'avoir pleuré le décès de leurs enfants 6, n'étaient pas moins pour leurs maris des modèles de courage et d'esprit de sacrifice. Mères qui accompagnaient leurs enfants fugitifs, épouses qui suivaient leur mari en exil 7, épouses chastes, comme cette Ostoria, dont l'éloge — incomparabilis castitatis femina, « femme d'incomparable chasteté » — est gravé sur un sarcophage récemment découvert dans les grottes vaticanes.

. il manquait de savoir unir l'énergie virile et l'affection humaine.

Et pourtant, lorsque votre regard passe de ces familles païennes aux familles pleinement, grandement, splendidement chrétiennes que vous connaissez tous, votre instinct vous avertit qu'il manque quelque chose aux premières. Il leur manque quelque chose de plus fort encore que l'antique force des Quirites, quelque chose de plus intimement fort, et en même temps de plus chaud, de plus pénétrant, quelque chose de meilleur et de plus profondément humain.

Cette défectuosité ne consisterait-elle pas, irrémédiable misère des sociétés païennes, dans l'impuissance à rester énergique et fort tout en conservant un vrai coeur humain, un coeur capable d'affection sincère et pure, et accessible à la pitié ? Regardez ces vieilles familles romaines dont nous venons d'évoquer les austères qualités. Le jour

Voler. Maxim., lib. IV, cap. 4 init. Tacite, Agricol., c. 6. Tacite, Ann., lib. VI, n. 10. Tacite. Historiar.. lib. I, n. 3.

où elles prirent contact avec les délicatesses et le raffinement de la civilisation grecque et orientale, la passion des perles, des pierres précieuses et de l'or les saisit 8 ; la discipline se relâchant peu à peu — labente paulatim disciplina — elles se précipitèrent en grand nombre — ire coeperunt praecipitesB — dans ces désordres dont saint Paul fut le témoin indigné (cf. Rom. Rm 1,24 et ss.). La rigidité des moeurs ne fit point place à la véritable affection — sine affectione, sine misericordia, écrit l'Apôtre pour qualifier le monde païen de son époque — tout au contraire on vit se déchaîner les passions les plus basses. Le grand empereur Auguste, justement préoccupé du bien public, tenta vainement10 d'y mettre un frein par ses lois — les lois Juliennes de maritandis ordinibus et de adulteris coercendis et la lex Papia Poppaea sont les plus célèbres — afin de rendre à la famille sa force et sa cohésion : seule la foi dans le Christ Jésus devait y réussir.

Mais la famille chrétienne en connaît le secret par la vie rayonnante du Christ dans les âmes.

L'affection véritable sans dureté comme sans faiblesse, l'amour vrai, inspiré et ennobli par Jésus-Christ, nous l'entrevoyons déjà dans les premières familles de convertis romains, comme les Flavius et les Acilius lors de la persécution de Domitien ; nous en admirons l'éclatante splendeur chez une sainte Paule et une sainte Mélanie.

Mais pourquoi remonter à des siècles si lointains ? N'a-t-on pas vu naguère, dans ces rues mêmes de Rome, une autre épouse dont la vie est ou devrait être bien connue de toutes les mères chrétiennes, la bienheureuse Anne-Marie Taïgi ? Nous n'entendons point vous décrire ici ses visions, ni l'abondance des faveurs extraordinaires dont Dieu l'a comblée. Ne voyez maintenant en elle que la femme de Dominique — l'honnête, mais rude et colérique portefaix de la maison Chigi — la femme de Dominique toujours bonne et souriante. Jusque tard dans la nuit elle attend le retour de son époux ; et quand il rentre fatigué, impatient, mécontent de tout, elle le sert avec humilité et tendresse, supportant tout, acceptant tout avec une angélique douceur. Voyez en même temps sa fermeté à maintenir l'ordre parmi les nombreuses personnes de la maison, ses inlassables

8 Horace, Carm., 3, 24, 28.

9 Tïte-Live, ouvrage cité.

10 Tacite, Ann., lib., 3, n. 25.

efforts pour faire perdre à son mari l'habitude des paroles grossières ; voyez-la, ménagère active et prévoyante, si pauvre soit-elle, entretenir à son foyer sa propre mère et y accueillir plus tard la famille de sa fille et de sa belle-fille ; toujours, même avec des caractères bizarres, difficiles et rudes, elle se montre fille aimante, épouse dévouée, mère, belle-mère et grand-mère admirable.

Le secret d'une pareille vie ? Toujours le même, celui de toutes les vies saintes : le Christ vivant et rayonnant avec sa grâce souveraine dans l'âme docile à en suivre les inspirations et les mouvements. Notre-Seigneur Jésus-Christ a eu seul la puissance de susciter en nos pauvres coeurs humains, blessés et égarés par le péché originel, un amour qui reste pur et fort sans se raidir et se durcir, un amour assez profondément spirituel pour se débarrasser du brutal aiguillon des sens et pour les dominer, tout en conservant intacte sa chaleur et inaltérée sa délicate tendresse. Lui seul, par les exemples et l'action intime de son Coeur enflammé d'amour, a pu réaliser la promesse faite déjà à Israël : Auferam cor lapideum de carne vestra et dabo vobis cor carneum, « J'ôterai de votre chair le coeur de pierre et vous donnerai un coeur de chair » (Ez 36,26). Lui seul sait faire naître et vivre dans les âmes l'affection vraie à la fois tendre et forte, parce que Lui seul peut par sa grâce les délivrer de cet égoïsme inné, plus ou moins conscient, qui empoisonne l'amour purement humain.

Donnez donc au Christ la première place en votre foyer.

Voilà pourquoi, bien-aimés fils et filles, à vous comme à tous ceux qui viennent implorer Notre bénédiction sur leurs nouveaux foyers, Nous adressons cette vive et pressante exhortation : donnez toujours dans vos maisons la première place au Christ Sauveur, Roi et Seigneur de vos familles, lumière qui les éclaire, flamme qui les réchauffe et les égaie, sauvegarde toute-puissante qui en conservera la paix et le bonheur. Cet amour qui vous unit, et que Dieu a voulu marquer du sceau de son sacrement, durera dans la mesure où il restera chrétien et, loin de s'affaiblir et de se dissiper, il deviendra plus intime et plus fort, à mesure que vous avancerez ensemble dans la vie.

Défendez-le contre tout ce qui tendrait à le rendre païen. Que de baptisés, hélas ! ne savent plus s'aimer qu'à la manière des païens ! Perdant de vue le vrai but de leur union tel que la foi le leur a enseigné, ils se soustraient aux devoirs austères, mais salutaires et bienfaisants, de la loi chrétienne ; ils en arrivent peu à peu à dégrader le mariage — que la bénédiction du Christ avait fait si grand et si beau — en une vulgaire association de plaisir et d'intérêt, et à tuer en eux-mêmes tout amour véritable.

Il n'en sera pas ainsi de vous, chers enfants. Votre amour vivra, il durera, et, au milieu même des inévitables vicissitudes de la vie, il fera votre bonheur, parce qu'il restera chrétien, parce que vous ne cesserez point d'en conserver la force intime, cette force que vous puiserez à sa vraie source, c'est-à-dire dans un profond esprit de foi, dans l'accomplissement persévérant des pratiques religieuses que l'Eglise vous commande ou vous conseille, dans une inviolable fidélité aux devoirs de votre état, à tous les devoirs de votre état.

Pour que la grâce divine, toujours plus abondante, vous aide à parcourir jusqu'au bout cette voie de salut et de vraie joie, Nous vous accordons de tout coeur, comme gage des faveurs du ciel, la Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION A L'ENVOYÉ EXTRAORDINAIRE DE ROUMANIE - 1er août 1941


D'après le texte français des A. A. S., 33, 1941, p. 359.

Répondant à M. Daniel Papp, envoyé extraordinaire de Roumanie, venu lui présenter ses lettres de créance, le Souverain Pontife a prononcé l'allocution suivante :

Les circonstances dans lesquelles Votre Excellence a été appelée par son auguste souverain, S. M. le roi Michel I", à le représenter comme envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire auprès du Saint-Siège, sont d'une grandeur vraiment tragique.

Dans de telles conditions, et pour autant qu'elles le permettent, ce Siège apostolique continue à exercer sa mission dans le monde, mission dont l'accomplissement demande une atmosphère qui rende possible à tous les peuples de venir à lui avec la ferme confiance d'y trouver compréhension et appui pour les vastes et nobles aspirations de l'humanité et de chaque membre de la grande famille des nations.

Les sentiments et les intentions avec lesquels vous inaugurez aujourd'hui vos hautes fonctions vous honorent, Monsieur le ministre, et honorent le pays que vous représentez.

Au milieu des multiples préoccupations et espérances de l'heure présente, et bien qu'ensanglantée de nombreuses blessures, la nation roumaine n'a pas oublié de rendre un conscient hommage aux valeurs spirituelles et religieuses, et d'accorder aux soins de les promouvoir cette importance et cette estime qui donnent la mesure de la vraie sagesse d'Etat et constituent le fondement essentiel de la sûre et stable prospérité des gouvernants et du peuple.

C'est de la conviction que les forces religieuses sont indispensables pour édifier une vie saine de la nation et du désir de garantir dans tout le royaume de Roumanie aux catholiques de tout rite les droits appartenant à leur religion qu'a tiré son origine le concordat heureusement ratifié en 1929. Ce ne fut assurément pas la première fois que votre noble peuple entrait en rapport avec le Saint-Siège. En remontant dans l'histoire, nous voyons le prince Latzcou, voïvode de Moldavie, députer des messagers au pape Urbain V2. Mais, surtout, Notre prédécesseur Sixte IV, évoqué en termes si élevés par Votre Excellence, encouragea Etienne le Grand dans sa lutte pour la défense commune contre l'ennemi alors ultra-puissant de la chrétienté. Vainqueur à la grande bataille de Racova, ce vaillant prince, qui attribua son triomphe uniquement à Dieu et jeûna quatre jours de suite au pain et à l'eau, envoya une partie des étendards conquis par lui sur l'ennemi en hommage au pontife 3.

Ces rapports, toutefois, avaient été de nature transitoire. Le concordat actuel a voulu, au contraire, créer des relations normales et complètes ; il fut conclu, en effet, pour employer les paroles mêmes du gouvernement royal roumain, « avec le ferme espoir que cet acte établira définitivement entre le Saint-Siège et la Roumanie des relations étroites et cordiales pour le plus grand bien de la Roumanie et de l'Eglise catholique ».

Une telle espérance n'a pas été déçue. Les catholiques roumains ont usé des multiples possibilités que leur offrait le concordat pour le plus grand bien de leur patrie. Les termes chaleureux avec lesquels vous avez rappelé, Monsieur le ministre, le rôle important que l'Eglise catholique joue dans la vie spirituelle de votre nation, et l'assurance que votre auguste souverain accorde une particulière attention à son libre développement, viennent confirmer les bienfaisants effets du concordat ; il y a là, en même temps, pour Nous, un témoignage très agréable que Nos soins pour favoriser des relations toujours plus confiantes entre ce Siège apostolique et le royaume de Roumanie, rencontrent de la part de l'Etat pleine correspondance et constante sollicitude.

2 Cf. Lettre de Urbain V à l'archevêque de Prague et aux évêques de Breslau et de Cracovie, du 24 juillet 1370. (Theiner, Vet. Mon. Hung. 2 p. 99).
3 Cf. Raynald, Arm. Eccles., t. X, a. 1474, n. X-XI.


C'est avec une émotion non moins intime que Nous avons entendu comment, au milieu de ses épreuves douloureuses comme de ses heureux succès, le peuple roumain n'oublie pas les peines et les souffrances des autres peuples et comment tous Nos efforts pour soulager les douleurs indicibles et chaque jour croissantes causées par la guerre trouvent chez lui un écho profond.

En formant à Notre tour, pour S. M. le roi et pour S. Exc. le conducatur, les voeux les plus sincères et en vous assurant, Monsieur le ministre, en ce solennel début de votre mission, de Notre bienveillant appui, Nous implorons la bénédiction du Très-Haut sur votre nation, afin que, dans la concorde des esprits et dans l'union de toutes les forces vives et saines du pays, elle puisse marcher toujours plus vaillamment et sûrement vers un avenir de justice, de paix et de bonheur.


DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX (13 août 1941)

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Les héroïsmes de la vie chrétienne.

Que de fois, chers jeunes époux, avez-vous entendu répéter que « la vie de l'homme sur la terre est un temps de service militaire » (Jb 7,1) ! Si la vie de l'homme sur la terre est un temps de service militaire, l'homme étant un composé d'esprit et de corps, cette vie se déroulera sur un double terrain : lutte physique dans le domaine de la matière et combat spirituel à l'intérieur de l'esprit. Ces deux genres de combats ont l'un et l'autre leurs périls, leurs épreuves, leurs vertus, leurs héros et leurs actes héroïques, leurs triomphes et leurs couronnes d'héroïsme.

Les luttes corporelles sont manifestes ; les luttes de l'esprit sont souvent cachées : batailles, victoires et couronnes secrètes que voit Dieu seul et que Dieu seul récompense. Il est seul à connaître les épreuves et les mérites qui exaltent sur les autels les héros de la vertu.

Aujourd'hui, sur les champs de bataille, dans les airs et sur mer, que d'actes héroïques resplendissent d'une force d'âme qui affronte les périls de la mort ! Héroïsmes brillants de jeunes soldats et d'intrépides capitaines, de cohortes et de légions, de prêtres qui, dans la furieuse mêlée, réconfortent blessés et mourants, d'infirmiers et d'infirmières qui soignent les maladies et les plaies ! Il est vrai que toute guerre entre les peuples afflige et fait frémir tous les hommes bien nés qu'anime la charité du Christ, cette charité qui embrasse amis et adversaires et qui donne à toute une vie le mouvement et la flamme ; mais on ne saurait nier que ces cruelles et sanglantes luttes, avec les austères devoirs qu'elles imposent aux combattants et aux non-combattants, suscitent des heures et des moments d'épreuves lumineuses ; et à ces heures-là se révèle la grandeur, souvent insoupçonnée et inattendue, d'une foule d'âmes héroïques qui sacrifient tout, jusqu'à la vie, pour accomplir les devoirs de la conscience chrétienne.

Les héroïsmes de la vie quotidienne et les héroïsmes extraordinaires.

Mais ce serait une erreur de croire que la grandeur d'âme, que les actes héroïques sont des vertus réservées, telles des fleurs rares, aux seuls champs de bataille, aux seuls temps de guerre, de catastrophes, de cruelles persécutions, de ruines sociales et politiques. A côté de ces héroïsmes plus manifestes et plus visibles, de ces actes de magnanimité, de ces brillants coups d'audace, germent et croissent au fond des vallées et des campagnes, dans les avenues et les ombres des villes, voilés dans le train incolore de la vie quotidienne, bien des actes non moins héroïques, qui jaillissent dans le silence de coeurs non moins grands et forts, et qui ne craindraient point la comparaison avec les beaux faits d'armes proposés à l'admiration publique.

N'est-il pas héroïque l'homme d'affaires, patron d'une grande industrie, qui se voit pourchassé et acculé à la ruine par des adversités imprévues, et qui refuse de chercher l'assurance du salut dans les expédients que le monde facile excuse et absout lorsque le succès les couronne, mais que la morale chrétienne n'admet point ; n'est-il pas héroïque, l'homme d'affaires qui rentre en lui-même, interroge sa conscience, n'en esquive point la réponse, et qui, en chrétien fidèle, rejette un moyen contraire à la justice, préférant la ruine et la misère plutôt que d'offenser son Dieu et son prochain.

N'est-elle pas héroïque la jeune fille pauvre qui s'épuise de travail, moyennant un maigre salaire, pour donner un morceau de pain à sa vieille mère et à ses frères orphelins, mais qui repousse toute facile condescendance et qui a le courage de garder son honneur et son coeur, intrépide à refuser les faveurs d'un patron immoral et dédaigneuse des gains abondants et mal acquis qui la tireraient de la gêne ?

N'est-elle pas héroïque l'adolescente qui, martyre de sa candeur et empourprée de son propre sang, offre à Dieu le lis de sa virginité ?

Ce sont là des héroïsmes de justice, des héroïsmes de chrétienne dignité féminine, des héroïsmes dignes des anges, des héroïsmes secrets qui rejoignent ces héroïsmes de foi, de confiance en Dieu, de patience, de charité qui fleurissent dans les hôpitaux civils et militaires, sur les sentiers des missionnaires du Christ en terres infidèles, bref partout où la force d'âme s'unit à l'amour de Dieu et du prochain.

Qui donc s'étonnerait que dans l'ombre même des foyers se cache l'héroïsme familial et que la vie des époux connaisse, elle aussi, ses secrets héroïsmes : héroïsmes extraordinaires de situations durement tragiques, et souvent ignorés du monde ; héroïsmes quotidiens de sacrifices qui se suivent en une chaîne ininterrompue et se renouvellent à chaque instant ; héroïsmes du père, héroïsmes de la mère, héroïsmes de l'un et l'autre ?

Ne vous découragez point : comptez sur la grâce sacramentelle de votre mariage.

Nous Nous réservons de prendre les héroïsmes des époux chrétiens comme sujet spécial d'une des prochaines allocutions, nécessairement brèves, que Nous prononcerons aux audiences générales. Mais Nous ne voudrions pas, bien-aimés fils et filles, qu'à Nous entendre parler d'héroïsmes nécessaires, de sacrifices héroïques qui vous attendent, vos coeurs se troublent, à l'heure même où l'union sacrée que vous venez de contracter devant Dieu et son ministre les remplit de joie. Nous tenons au contraire que Nos paroles augmentent votre joie par la considération même de votre union : le Christ ne l'a-t-il pas élevée à la dignité de sacrement ? N'est-elle point devenue par là une source intarissable de grâces puissantes et toujours prêtes à vous donner lumière et force en tous les sacrifices, même extraordinaires, que Dieu pourra vous imposer ? Etroit et inviolable, le lien du mariage est signe et symbole de l'union indissoluble du Christ avec l'Eglise (cf. Eph. Ep 5,32) ; et le mariage chrétien est une source de grandeur et de pérennité non moins pour l'Eglise que pour le peuple fidèle. L'union des époux chrétiens est aussi une voie qui conduit à la sainteté, et l'Eglise, avec le peuple fidèle, en exalte et en vénère les héros dans ses temples et sur ses autels. C'est de la famille chrétienne que le divin Epoux de l'Eglise tire ses enfants pour les régénérer dans l'eau et l'Esprit-Saint ; c'est en elle qu'il choisit ses lévites, ses héros, ses héroïnes de charité, ses vierges consacrées, ses prêtres, les propagateurs de l'Evangile, les chevaliers et héros du cloître, les pasteurs et les évêques, les successeurs de son premier Vicaire dans le gouvernement universel de son troupeau.

Elevez donc vos coeurs et vos pensées ! Ne laissez point, au seuil de votre vie nouvelle, tomber votre courage : virilement, héroïquement, regardez l'avenir en face, sous la bienveillante protection de la Providence de Dieu, dans les mains de qui reposent votre bonheur et l'aurore de chacune de vos journées, ordinaires ou extraordinaires, sereines ou nébuleuses. Dieu ne permettra jamais qu'une épreuve dépasse les forces que vous communique la paternelle libéralité de sa grâce, et cette grâce, si abondante et si riche en bienfaits, vous fera trouver et goûter ici-bas dans la fidélité aux devoirs les plus difficiles une des joies les plus profondes et les plus douces de votre vie.


DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX (20 août 1941)

Les héroïsmes des époux chrétiens.

A la vue de cette foule nombreuse et pieuse de jeunes époux chrétiens réunis autour de Nous, Nous exultons et Nous rendons grâce à Dieu, auteur des dons précieux de la foi, de l'espérance et en particulier de la confiance qu'il plaît à Notre affection paternelle d'invoquer sur vos personnes et vos désirs. Si la divine pitié pour la misère humaine donne à Notre prière force et puissance, la bénédiction qui descend de Dieu, elle, est toute-puissante : à un seul mot de Dieu, voilà que du néant sortent le ciel et la terre, des ténèbres le soleil, de la terre et des eaux la multitude des vivants. Alors se lève de la poussière, par l'opération divine, l'homme, pour recevoir un esprit immortel (Gn 2,7), comme un souffle de la bouche du Créateur, et pour écouter avec sa compagne semblable à lui et tirée de son flanc ce commandement qui est une bénédiction : « Croissez et multipliez sur la terre » (Gn 1,28). Quant à vous, jeunes époux, qui avez cru au nom du Christ, notre Sauveur et Rédempteur, vous avez été, aux pieds des autels, bénis en ce nom, afin que par vous s'accroisse le peuple des enfants de Dieu et s'accomplisse le nombre des élus. C'est à ces hautes fins du mariage que le Seigneur a daigné vous appeler par le lien indissoluble dont il a uni vos coeurs et vos vies.

Rien donc d'étonnant, selon une pensée qu'insinuait notre dernière allocution, qu'un état si noble exige des actes héroïques : héroïsmes extraordinaires de situations exceptionnelles, héroïsmes imposés par la vie quotidienne ; héroïsmes souvent cachés et qui n'en sont pas moins admirables. Nous voudrions aujourd'hui attirer votre attention plus particulièrement là-dessus.

Aux temps modernes comme aux premiers siècles du christianisme, dans les pays où sévissent les persécutions religieuses ouvertes, ou sournoises et non moins dures, les plus humbles fidèles peuvent, d'un moment à l'autre, se trouver dans la dramatique nécessité de choisir entre leur foi, qu'ils ont le devoir de conserver intacte, et leur liberté, leurs moyens de subsistance ou même leur propre vie. Mais aux époques normales elles-mêmes, dans les conditions ordinaires des familles chrétiennes, il arrive parfois que les âmes se voient dans l'alternative de violer un imprescriptible devoir ou de s'exposer, dans leur santé, dans leurs biens, dans leurs positions familiale et sociale, à des sacrifices et à des risques douloureux et pressants : elles se voient mises dans la nécessité d'être héroïques et de se montrer héroïques, si elles veulent rester fidèles à leurs devoirs et demeurer dans la grâce de Dieu.


Héroïsme dans l'observation des lois inviolables de la vie matrimoniale

Quand Nos prédécesseurs, et tout spécialement Pie XI dans son encyclique Casti connubii, rappelaient les lois saintes et inéluctables de la vie matrimoniale, ils se rendaient parfaitement compte que dans bien des cas l'inviolable observation de ces lois exige de l'héroïsme. Qu'il s'agisse de respecter les fins que Dieu a établies pour le mariage ; qu'il s'agisse, pour un cceur inquiet, de résister aux passions et sollicitations ardentes et séductrices qui lui suggèrent de chercher ailleurs ce qu'il n'a pas ou croit n'avoir pas trouvé dans sa légitime union aussi pleinement qu'il l'espérait ; ou bien qu'il s'agisse, pour ne pas briser ou relâcher l'union des coeurs et de l'amour mutuel, de savoir pardonner, de savoir oublier un différend, une offense, ou un heurt peut-être grave : que de drames intimes déroulent leurs amertumes derrière le voile de la vie quotidienne ! Que d'héroïques sacrifices cachés ! Que d'angoisses morales pour vivre sous le même toit et garder à sa place et à son devoir une constance de chrétien !


... dans la vie commune

Quelle force d'âme n'est pas exigée souvent par cette vie de chaque jour ? Il faudra, chaque matin, reprendre le même travail, rude peut-être et monotone ; il conviendra, pour la paix, de supporter le sourire aux lèvres, aimablement, joyeusement, les défauts

réciproques, les oppositions jamais aplanies, les petites divergences de goûts, d'habitudes, d'idées, auxquelles donne lieu souvent la vie commune ; il faudra, parmi les menues difficultés et les petits incidents, inévitables souvent, garder intacts le calme et la bonne humeur ; il s'agira, dans une froide rencontre, de savoir se taire, de savoir retenir les plaintes à temps, de savoir changer de ton et adoucir sa parole qui, si elle ne se maîtrisait, détendrait des nerfs irrités, mais créerait dans le foyer domestique une atmosphère pénible. Que de force d'âme requise en toutes ces occasions ! Ce sont là mille détails infimes de la vie quotidienne, mille instants qui passent ; chacun est bien peu de chose, presque rien ; mais ils se succèdent, ils s'accumulent, ils finissent par devenir pesants et ils contribuent pour une bonne part à entraver et à paralyser, dans une souffrance mutuelle des époux, la paix et la joie du foyer.

... dans la tâche familiale de la mère.

Et pourtant, la femme, l'épouse, la mère entend être la source de la joie et de la paix de la famille, elle en veut être l'aliment et le soutien spécial. N'est-ce pas elle qui crée et resserre le lien d'amour entre le père et les enfants ? N'est-ce pas elle qui par son affection résume pour ainsi dire en elle-même la famille tout entière ? N'est-ce pas elle qui la surveille, qui la garde, qui la protège et la défend ? Elle est le chant du berceau, le sourire des bébés roses et frétillants, et le sourire des bébés en pleurs et infirmes, la première maîtresse qui montre à ses enfants le ciel, qui apprend à ses fils et filles à s'agenouiller au pied de l'autel, et qui parfois leur inspire les pensées et les désirs les plus sublimes.

Donnez-Nous une mère qui sente sa maternité spirituelle non moins vivante en son coeur que sa maternité naturelle : Nous verrons en elle l'héroïne de la famille, la femme forte que vous pouvez célébrer avec le chant du roi Lemuel au livre des Proverbes : « La force et la grâce sont sa parure, et elle se rit de l'avenir. Elle ouvre la bouche avec sagesse et les bonnes paroles sont sur sa langue. Elle surveille les sentiers de sa maison et elle ne mange pas le pain de l'oisiveté. Ses fils se lèvent et la proclament heureuse ; son époux se lève et lui donne des éloges » (Pr 31,25-28).

Laissez-Nous donner d'autres éloges encore à la mère et à la femme forte : l'éloge de l'héroïsme dans la douleur. L'épreuve, l'affliction et la peine la trouvent très souvent plus courageuse, plus intrépide et résignée que l'homme, parce qu'elle sait tirer de l'amour la science de la douleur. Considérez les saintes femmes de l'Evangile qui suivent le Christ et l'assistent de leur présence, qui l'accompagnent de leurs lamentations sur la voie du Calvaire et jusqu'à la croix (Lc 8,1-3 Lc 23,27). Le Coeur du Christ n'est que miséricorde pour les larmes de la femme : elles en ont fait l'expérience, les soeurs éplorées de Lazare, la veuve de Naïm, et Madeleine tout en larmes auprès de son sépulcre. Aujourd'hui même, en ces heures où le sang coule, Dieu sait à combien de veuves de Naïm le Rédempteur manifeste sa bonté : sans aller jusqu'à ressusciter leur fils tombé à la guerre, il verse au coeur de combien de mères le baume de sa parole réconfortante : Noli flere, « ne pleure pas » (Lc 7,13).


Soyez fidèles dans les efforts quotidiens.

Bien-aimés fils et filles, n'hésitez point : tournez-vous avec confiance vers les cimes héroïques du voyage que vous commencez. Il a toujours été vrai que c'est des menues occupations qu'on passe aux grandes entreprises et que la vertu est la fleur qui couronne une plante arrosée par les efforts assidus de chaque jour. C'est là l'héroïsme quotidien de la fidélité aux devoirs habituels et communs de la vie ordinaire ; et c'est là l'héroïsme qui forge et aguerrit les hommes, qui les élève et les trempe pour les jours où Dieu leur demandera un héroïsme extraordinaire.

C'est là, et non ailleurs, qu'il faut aller chercher la source de cet héroïsme extraordinaire. Dans les événements de la vie familiale comme en toutes les circonstances de la vie humaine, l'héroïsme a sa racine principale dans le sentiment profond et souverain du devoir, du devoir qui ne souffre ni marchandage ni compromis et qui doit l'emporter en toutes choses et sur toutes choses. Ce sentiment nous enseigne comment la volonté divine clairement manifestée ne souffre aucune discussion et qu'elle exige de chacun qu'il s'incline devant elle ; ce sentiment, par-dessus tout, nous fait comprendre que cette volonté divine est la voix d'un amour infini à notre égard ; ce n'est pas en un mot le sentiment d'un devoir abstrait ou d'une loi tyrannique, inexorable, hostile, qui écraserait notre liberté de vouloir et d'agir : c'est le sentiment d'une loi qui répond et se plie aux exigences d'un amour, aux exigences d'une amitié infiniment généreuse qui domine et gouverne les multiples vicissitudes de notre vie d'ici-bas.

Ce sentiment chrétien si puissant du devoir se développera et se renforcera en vous, bien-aimés fils et filles, par votre persévérante fidélité aux plus humbles tâches et obligations de chacune de vos journées. Par là, les menus sacrifices, les petites victoires sur vous-mêmes se multiplieront, affermissant de plus en plus en vous la vertueuse habitude de ne pas tenir compte des impressions, impulsions et répugnances qui peuvent se présenter sur le sentier de votre vie, lorsqu'il s'agit d'un devoir, d'une volonté de Dieu à accomplir. L'héroïsme n'est pas le fruit d'un jour et il ne mûrit pas en une matinée ; c'est par de longues ascensions que se forment et s'élèvent les grandes âmes, c'est par là qu'elles se trouvent prêtes, au moment où l'occasion s'en présente, aux gestes magnifiques et aux suprêmes triomphes qui nous remplissent d'admiration.

Afin que grandissent dans vos âmes ce sentiment chrétien du devoir et cette joyeuse et courageuse confiance, Nous vous accordons de tout coeur, en gage des grâces divines les plus abondantes, Notre Bénédiction apostolique.



Pie XII 1941 - ALLOCUTION A L'AMBASSADEUR DU PÉROU