Pie XII 1941 - DISCOURS A L'OCCASION DE LA BÉATIFICATION DE MADELEINE DE CANOSSA


ALLOCUTION A DES PÈLERINS SLOVAQUES

(14 décembre 1941) 1

A une délégation commerciale de Slovaquie présentée par Mgr Giuseppe Kapala, conseiller ecclésiastique de la Légation de cet Etat à Rome, le Saint-Père adressa ces paroles :

Ce Nous est une joie particulière, chers fils du peuple slovaque, de pouvoir vous saluer en Notre maison. Votre séjour à Rome a été l'occasion de travaux d'ordre économique. Nous accompagnons de Nos voeux les plus cordiaux vos labeurs, ainsi que toute la route de la nation slovaque à travers les événements et les nécessités de l'heure présente. Ne perdez jamais de vue que la prospérité même terrestre de votre patrie, comme avant tout la saine édification du bien commun, est étroitement liée à la précieuse culture religieuse qui fut toujours l'élément robuste de votre nationalité. Qu'elle continue de se transmettre intacte ; à cette intention vont Notre espoir et Notre prière quotidienne pour le peuple et l'Etat slovaques.

Dans cette espérance, Nous vous accordons de tout coeur à vous, à vos familles et à tous ceux vers lesquels va votre pensée, la Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION AUX DIRIGEANTS ET ZÉLATEURS DE L'OEUVRE DE SAINTE-DOROTHÉE

(15 décembre 1941) 1

A l'occasion du centenaire de l'OEuvre de Sainte-Dorothée, le Saint-Père souligne l'intérêt de cette oeuvre paroissiale de collaboration féminine et religieuse :

Il y a cent ans, chères filles, le peuple des rues de Rome voyait une dame vêtue humblement, avec deux compagnes, arriver parmi les pèlerins et se diriger vers le milieu de la ville. C'était Paola Frassinetti, la future bienheureuse qui, avec deux de ses novices, allait occuper les pauvres chambres de la rue des Saints-Apôtres, pour y fixer leur première demeure dans cette ville où ses filles, aujourd'hui si nombreuses, travaillent pour le bien des âmes dans d'admirables et florissantes entreprises de bien. Il y a en effet cent ans que Grégoire XVI, Notre prédécesseur de vénérée mémoire, par son bref Inter praecipuas curas approuvait solennellement l'oeuvre pie de Sainte-Dorothée, à laquelle par un voeu spécial, la bienheureuse avait consacré elle-même la famille religieuse née quelques années auparavant par ses soins à l'ombre de la maison paroissiale de Quinto sanctifiée par son frère, le serviteur de Dieu, Joseph Frassinetti. Cette oeuvre ainsi que l'institut naissant avaient déjà pris forte racine ; après divers essais, l'oeuvre s'était répandue dans beaucoup de paroisses et l'institut, malgré les obstacles qu'il avait rencontrés, était visiblement béni de Dieu et en était sorti plus fort et plus solide, de manière qu'on peut bien dire que l'année 1841, par la fondation d'une maison à Rome et par l'approbation du Souverain

Pontife, marqua l'aurore brillante d'un élan plus vigoureux et définitif et pour l'oeuvre et pour l'institut.

Conscientes de ce merveilleux accroissement qui grâce à l'assistance céleste prit naissance en cette année, c'est avec juste raison, chères filles, que, guidées par votre très zélé directeur général, vous avez exprimé le désir que sur ce double centenaire descende comme une couronne de louange à Dieu et un souhait renouvelé, une nouvelle et spéciale bénédiction du Vicaire du Christ ; bénédiction destinée à raffermir celle qui dans le calme et la sécurité avait ranimé la vigueur de l'oeuvre et de l'institut, à consacrer et à sceller les magnifiques progrès atteints pendant le siècle écoulé et à ouvrir la voie à un lumineux avenir par un travail encore plus fécond.

L'OEuvre de Sainte-Dorothée

Avenir fécond comme celui qui tire son élan vital d'une triple force spirituelle. Si notre pensée cherche à pénétrer et à examiner les cent ans de vie de l'OEuvre de Sainte-Dorothée, on ne peut pas ne pas être frappé d'un trait caractéristique qui la rend aujourd'hui plus que jamais adaptée aux besoins de notre temps, au milieu de la floraison variée de saintes entreprises nées des consolants progrès de l'Action catholique, Nous voulons dire ce lien si intime et si souple qui unit et coordonne par une efficace intention commune les trois grandes forces de l'apostolat catholique : force de la hiérarchie ecclésiastique représentée par les curés qui, sous l'autorité et la surveillance des évêques, dirigent les groupes paroissiaux ; force de la coopération largement demandée aux fidèles ; force de la vie religieuse mise au service de cette collaboration pour la vivifier et la soutenir sans l'absorber.

... oeuvre paroissiale

L'OEuvre de Sainte-Dorothée est en premier lieu une oeuvre paroissiale. Elle vise donc à être une oeuvre unie étroitement à ceux à qui est confié le soin des âmes ; une oeuvre qui s'insère profondément dans le corps de l'Eglise, s'enracine vigoureusement dans le terrain solide et fertile qui a reçu les promesses du Christ pour y puiser sève et fermeté, semblable aux arbres fortement plantés qui résistent fermement à toutes les tempêtes et en même temps se couvrent généreusement de fruits abondants. C'est une oeuvre qui ouvre aux pasteurs des âmes le chemin pour atteindre les angles les plus obscurs

des familles et pour connaître toute une portion de leur troupeau qui grandit, les enfants et jeunes filles ; ainsi pourront-ils leur assurer une solide formation chrétienne, en parvenant de cette manière à pénétrer là où, dans les grandes paroisses urbaines, il est souvent d'autant plus malaisé d'entrer que cela serait plus nécessaire.

... oeuvre de collaboration féminine

C'est, en outre, une oeuvre de collaboration féminine qui permet aux femmes d'exercer leur vigilance maternelle. Elle réunit et groupe en effet autour du curé des collaboratrices de tout rang et de toute condition, pour se consacrer avec lui au bien de ces jeunes âmes, pour les instruire, les préserver et les faire grandir dans la piété et les bonnes moeurs ; du fait même de leur pieuse action sur les jeunes filles, elles y trouvent elles-mêmes un grand avantage personnel et un excellent moyen de progrès spirituel. Ainsi, par ce moyen, chaque paroisse voit naître et se constituer une véritable réserve d'âmes, toujours plus nombreuses et mieux formées, parmi lesquelles les diverses oeuvres paroissiales, les catéchismes, les associations, les organisations d'Action catholique trouveront les aides, les guides et les éléments qui renforceront et consolideront leur vitalité et leur efficacité.

... exemple de l'aide que peuvent apporter les congrégations.

Cette oeuvre, c'est enfin un exemple du concours bienfaisant que peut donner un institut religieux et qui l'appuie ainsi sur cette force puissante que représentent dans l'Eglise les ordres et les congrégations. Que sont en effet ceux-ci, sinon autant de sources permanentes et fécondes d'intense vie intérieure, de principes de spiritualité persévérante, d'écoles de renoncement à ce que le monde aime, pour servir Dieu seul et travailler au bien des âmes ? Aux oeuvres qui profitent de leur concours, ils assurent la stabilité et garantissent une vigueur durable. C'est ce que sentaient et connaissaient bien les zélés initiateurs de votre OEuvre, les deux pieux prêtres, les frères Passi, quand ils étaient à la recherche d'un institut qui voulût bien se charger de cette oeuvre et de la répandre : désir qui fut pleinement comblé et ratifié par le quatrième voeu ajouté par la bienheureuse Paola aux trois voeux essentiels de l'état religieux, unissant inséparablement l'OEuvre et l'Institut de Sainte-Dorothée.

Sur cette union qu'elle sut si bien concevoir et assurer, et qui est d'un si haut profit religieux, moral et civil, la bienheureuse, à peine arrivée à Rome, eut hâte d'implorer la bénédiction du Saint-Père, bénédiction qu'à votre tour vous implorez de nouveau sur votre famille, réunie aujourd'hui autour de Nous dans ses représentants qui veulent manifester à Notre regard et à Notre pensée combien le petit grain de sénevé a grandi et a étendu ses branches nombreuses non seulement en Italie, mais aussi au-delà des monts et des océans pour le bien de tant de jeunes âmes. Notre bénédiction sur ce grand arbre n'en sera pas moins paternelle et cordiale que celle de Notre prédécesseur sur la plante encore fragile ; en l'accordant, Notre âme aura la joie de pouvoir exprimer avec une égale affection une reconnaissance plus grande encore et d'autant plus grande que la quantité des mérites acquis par votre OEuvre en un siècle de fervent apostolat surpasse la poignée de mérites acquis dans son enfance ; pour accroître et rendre encore plus grande Notre gratitude, à cette multitude de mérites vient s'ajouter tout ce que vous, chères filles et vos coopératrices, vous continuez à faire pour le salut et la sanctification des âmes qui Nous ont été confiées par le Christ. Ne ralentissez pas l'ardeur de votre action bienfaisante, mais souvenez-vous que la vraie fécondité de vos entreprises dépend avant tout de votre sainteté personnelle. Les oeuvres qu'on croit les plus sagement conçues et les plus habilement organisées ne produisent que peu de fruits si elles ne sont pas animées par la fervente et profonde vie intérieure de ceux qui se consacrent à elles, par une étroite union de pensée et de cceur avec Dieu, par un constant esprit de prière, par une pureté d'intention préoccupée uniquement de la gloire de Dieu et du progrès des âmes dans sa grâce. Ces coeurs d'enfants et de jeunes filles, trésors de virginité, fleurs d'espérance pour les familles, la société et l'Eglise, vous les rendrez généreux, prêts à tout sacrifice, perméables et sensibles non seulement à la vertu, mais encore aux exigences de l'héroïsme, spécialement par le contact journalier avec vos propres coeurs qui débordent eux aussi des pensées et des sentiments du Christ Notre-Seigneur que vous ferez rayonner autour de vous. C'est alors que de façon particulière ce Jésus qui aime et préfère les enfants et les jeunes considérera comme fait à lui-même le moindre bien qui sera fait à l'un de ces petits qui croient en lui (Mt 10,42 Mt 18,5). Il vous réserve dans le ciel la suprême et souveraine récompense de toutes vos peines, et déjà ici-bas vous accordera la plus précieuse récompense que vous puissiez désirer en ce monde, sa grâce, qui vous guidera, vous soutiendra et, en vous fortifiant, coopérera avec vous dans un dévouement rendu toujours plus efficace et plus fructueux par son amour.

Cette grâce, Nous la demandons instamment pour vous, en même temps que de tout coeur, Nous accordons à chacune de vous, à vos familles, à toutes les personnes et toutes les choses qui vous sont chères, en gage des faveurs divines, Notre paternelle Bénédiction apostolique.


LETTRE APOSTOLIQUE ÉTABLISSANT SAINT ALBERT LE GRAND PATRON CÉLESTE DE CEUX QUI S'OCCUPENT DES SCIENCES

(16 décembre 1941) 1

Cette lettre rappelle l'oeuvre et l'influence de saint Albert le Grand (1206-1280):

L'oeuvre de saint Albert le Grand.

Saint Albert le Grand, évêque, confesseur et docteur de l'Eglise, s'efforça de monter jusqu'à Dieu par la connaissance des choses de la nature, « glorifier le Dieu tout-puissant, qui est la source de la sagesse, le créateur et le législateur de la nature, et Celui qui la gouverne » 2. Dans ce but, il étudia et s'efforça de connaître toutes les sciences de son temps, aussi bien sacrées que profanes. Il en acquit une maîtrise si remarquable qu'il mérita d'être surnommé stupor mundi (l'étonnement du monde), doctor universalis (le docteur universel) par les écrivains de son époque, stupéfaits d'une telle science. En effet, le saint docteur, en plus de la théologie, de la philosophie, de l'exégèse scripturaire à l'étude desquelles il s'adonna avec une telle ardeur et un tel talent que très peu d'hommes égalaient son savoir en ces matières, entreprit dès son jeune âge et jusqu'à son extrême vieillesse des recherches sagaces et fort attentives sur les choses de la nature, puisque « depuis la création du monde, les attributs invisibles de Dieu se laissent comprendre et contempler dans les créatures, spécialement son éternelle puissance et sa divinité » (Rm 1,20). Il voulait faire disparaître le désaccord entre la foi et la raison qu'en ce temps-là déjà certains philosophes introduisaient dans les universités par le moyen de leur axiome trompeur d'une double vérité. Il transmit à la postérité les résultats de ses recherches, de ses découvertes, en les consignant dans de nombreux écrits soigneusement travaillés. En effet, il s'y applique avec soin à chercher l'histoire de presque toute la nature alors connue en toutes ses parties, par la méthode expérimentale ou, comme on dit, par induction. Sans doute, les conditions de cette époque et le manque d'instruments n'ont pas permis à l'exemple et à l'oeuvre d'un tel maître de donner tous les résultats qu'on aurait pu espérer déjà à ce moment.

Les professeurs de sciences désirent qu'il soit proclamé leur patron.

En effet, si les règles ou directives que le grand évêque de Ratis-bonne avait établies à propos de la nécessité de l'expérimentation, de l'observation pénétrante et de l'importance de l'induction pour arriver à la vérité dans l'étude des choses de la nature, avaient été, déjà en ce temps, bien comprises et appliquées, les admirables progrès scientifiques dont se glorifient les époques plus récentes et aussi la nôtre, auraient pu être des siècles auparavant découverts et réalisés pour le plus grand profit de l'humanité. Rien d'étonnant, par conséquent, si les universités et les principaux collèges catholiques, non seulement d'Italie, mais aussi d'Allemagne, de France, de Hongrie, de Belgique, de Hollande et aussi d'Espagne, d'Amérique et même des îles Philippines, et beaucoup de professeurs de sciences physiques et naturelles, regardent Albert le Grand comme une lumière dans un monde ténébreux. Afin que le secours du Dieu tout-puissant ne leur manque pas dans leurs soigneuses recherches scientifiques, ils souhaitent avoir comme guide et pour céleste patron celui qui, déjà dans un siècle où beaucoup de ses contemporains, enflés par une vaine science, détournaient leurs yeux des choses spirituelles, a enseigné au contraire par son exemple à monter degré par degré des choses terrestres aux réalités célestes.

Aussi, c'est bien volontiers que Nous accueillons de Notre plein gré les voeux exprimés soit par les académiciens catholiques récemment réunis à Trêves, soit par les universités et par d'autres groupements scientifiques internationaux. Ces voeux, le Maître général de l'Ordre des Frères prêcheurs Nous les a fait connaître, y ajoutant aussi sa supplique instante et celle de l'Ordre qu'il dirige pour que Nous daignions proclamer saint Albert le Grand patron céleste de ceux

qui s'occupent des sciences naturelles. Au Xe anniversaire de l'année où Notre prédécesseur immédiat, le pape Pie XI, par lettres décré-tales du 16 décembre 1931, étendit à l'Eglise universelle le culte de saint Albert le Grand en ajoutant à son titre de confesseur pontife celui de docteur de l'Eglise, il Nous paraît tout à fait convenable, ainsi que l'exige Notre charge suprême des âmes, de favoriser ce projet très opportun. Cette décision Nous paraît aussi convenable en raison de la si triste situation actuelle ; en effet, au lieu d'être employés pour la gloire de Dieu et le bien de l'humanité, les progrès scientifiques modernes sont malheureusement utilisés pour infliger aux régions, aux populations, aux villes les calamités de la guerre. Que saint Albert, qui en des temps très difficiles a montré par ses remarquables travaux que la science et la foi pouvaient prospérer chez les hommes en parfait accord, daigne par sa puissante intercession auprès de Dieu pousser les esprits et les coeurs des savants à faire un usage pacifique et honnête des choses de la nature, dont ils scrutent et recherchent les lois que Dieu lui-même a établies.

Ayant donc délibéré sur cette affaire avec Notre Vénérable Frère l'évêque de Palestrina, préfet de la Sacrée Congrégation des Rites, et après avoir mûrement tout examiné, par la teneur des présentes lettres et en vertu de la plénitude de Notre pouvoir apostolique, Nous déclarons et établissons pour toujours saint Albert le Grand, évêque, confesseur et docteur de l'Eglise, patron céleste de ceux qui étudient les sciences naturelles, avec les privilèges et les honneurs qui sont particuliers à cette sorte de patronage céleste.

Nonobstant toutes choses contraires... Nous décidons que les présentes lettres soient et demeurent toujours fermes, valables et efficaces ; qu'elles sortent et obtiennent leurs effets pleins et entiers ; qu'elles profitent pleinement, maintenant et plus tard, à ceux qu'elles concernent ou pourront concerner. Ainsi doit-il en être jugé et décidé, déclarant nul et sans effet dès maintenant tout ce qui pourrait être attenté à ce sujet, contrairement à ces lettres, sciemment ou par ignorance, en vertu de n'importe quelle autorité.


DISCOURS DE NOËL AU SACRÉ COLLÈGE (24 décembre 1941)

1

En réponse aux voeux qui lui ont été adressés par le doyen du Sacré Collège, le cardinal Granito Pignatelli di Belmonte, le Souverain Pontife évoque la foie de Noël qui contraste avec les souffrances et les difficultés qu'il rencontre dans sa mission et annonce le radiomessage de Noël.

En cette sainte vigile de Noël, il Nous est agréable, Vénérables Frères, de vous voir réunis ici autour de Nous, comme pour former, devant la grotte de Bethléem, une joie unique et familiale de votre joie et de la Nôtre. Nous vous sommes très profondément reconnaissant, non seulement de votre présence qui Nous est chère, mais aussi pour les voeux de fête que le très digne et vénéré doyen du Sacré Collège, qui entre heureusement cette année dans le septième lustre de son cardinalat 2, Nous a offert en votre nom avec tant de noblesse dans les pensées et d'affection. La naissance du Christ qui vient relever de sa déchéance le genre humain n'est-elle pas comme un soleil éclatant qui se lève sur le monde plongé dans les ténèbres de la corruption ? Parmi les fêtes anniversaires que l'Eglise célèbre, aucune n'apporte tant d'attrait, n'est aussi douce et joyeuse que cette apparition au milieu de nous de Notre Sauveur Jésus-Christ dans sa bonté et son humanité (Tt 3,4). Le pape saint Léon le Grand savourait cette profonde douceur quand il nous disait : « Tous les oracles divins nous exhortent à toujours nous réjouir dans le Seigneur, mais dans la fête d'aujourd'hui (Noël), sans nul doute, nous sommes plus abondamment poussés à la joie spirituelle 3 ».

Noël, fête de la joie chrétienne.

A tous les hommes, quels que soient leur langue, leur condition sociale, humble ou élevée, la région ou le climat qui les distingue, le berceau de Bethléem apporte un suave sourire de satisfaction, dévoile les horizons sereins d'une plus chère allégresse qui sert à élever l'esprit, à calmer les inquiétudes, à soutenir les espoirs, à acheminer sur les sentiers tranquilles de la vertu et du bien. Célébrant avec enthousiasme la fête de Noè'l, saint Augustin, l'éloquent évêque d'Hippone, invitait son peuple à la joie et s'écriait : « Que les hommes, que les femmes se réjouissent : le Christ a daigné se faire homme, il est né d'une femme... Justes, tressaillez de joie : c'est la naissance de Celui qui justifie. Débiles et malades, réjouissez-vous : c'est la naissance du Sauveur. Que les captifs exultent : leur Rédempteur est né. Que les esclaves soient dans la joie : c'est la naissance du Maître. Que les hommes libres se réjouissent : Celui qui rend la liberté est né ! Que tous les chrétiens soient dans l'allégresse : c'est la naissance du Christ »4. Tressaillons nous aussi de joie : « Le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous » (Jn 1,14). « Celui-ci est notre Dieu... il a apparu sur la terre et il a conversé parmi les hommes » (Ba 3,36 Ba 3,38). Le Verbe de Dieu, Fils de Dieu, consubstantiel au Père, Sagesse de Dieu incarnée, est venu nous parler de Dieu, nous manifester les mystères impénétrables de la vie divine, nous rendre participants à sa nature, « et de sa plénitude nous avons tous reçu grâce pour grâce » (Jn 1,16).

Le Christ, maître divin de l'humanité...

Dès son apparition au milieu de nous, dans la « glaise ou argile créée », il voulut nous parler avec la tendre éloquence de son berceau dans la grotte de Bethléem, la première chaire et la première école du seul Maître divin de l'humanité. Plus tard, il nous parlera avec l'admirable éloquence de sa parole dans le temple de Jérusalem, sur la montagne et sur le lac de Genesareth, sur les routes et dans les champs, dans les maisons et dans les villes de Galilée et de Judée ; il nous parlera avec la merveilleuse éloquence des miracles qu'il accomplit ; il nous parlera au Cénacle, au jardin de son agonie, sur la sublime chaire de la croix, d'où, d'un grand cri, il appellera et attirera à lui l'univers pour que ce dernier

* Sermo CLXXX1V in Natali Domini ; Migne, P. L., t. XXXVIII, col. 996.

l'adore comme le vainqueur dans « le duel étonnant » avec la mort, et afin que les disciples fassent de son gibet l'étendard de la conquête du monde à la foi en Celui qui justifie l'impie (Rm 4,5). Bien qu'il soit entré dans le cours du temps, le Fils de Dieu, revêtu de notre nature, chemine dans la voie de l'éternité, imperturbablement et dominant la haine et les persécutions des puissants de ce monde et de la plèbe ; parce que la plénitude du temps lui appartient et qu'il en a fixé les limites ; parce que le ciel et la terre sont sa propriété, parce qu'il a créé le Nord et le Midi, parce qu'il a dompté l'orgueil de la mer et qu'il apaise ses flots quand ils se soulèvent (Ps 83,10-13).

... et prince de la paix.

Aujourd'hui, les flots de la mer sont plus qu'ils n'ont jamais été agités et tempétueux, et leur effroyable frémissement semble troubler la douce et persuasive éloquence du vagissement enfantin du Nouveau-né de Bethléem qui, avec le premier salut, rayonne autour de lui les clartés de la joie parfaite et met son sourire en accord avec le concert des anges qui chantent gloire à Dieu et paix aux hommes. Quel contraste criant, Vénérables Frères et chers Fils, entre la crèche où est couché, dans l'aspect si touchant de nouveau-né, le Prince de la paix, et un monde entier frappé et bouleversé par la sinistre foudre d'une guerre dont le soleil et l'humanité n'ont jamais vu la pareille ; guerre qui, des glaces de l'Arctique au désert, d'un continent à l'autre, d'un océan à un autre océan, étend toujours davantage, avec une rigueur implacable, son front sanglant. Des combats et des événements extérieurs, la guerre s'est transportée dans les âmes, et des âmes dans les esprits, envahissant le domaine de la science et de l'économie, de la société et de l'Etat, y faisant germer de nouveaux comportements des intelligences et des coeurs, attitudes formidables et incalculables quant aux développements extrêmes et à leurs chocs. Dans la déroute des idées et des sentiments, amitiés et haines, vertus et vices, louanges et blâmes, justice et iniquité, paix et guerre, amis et ennemis, bien et mal se confondent et se dénaturent. Il semble qu'un épais nuage enveloppe et lance dans le vertige les sentiments et les jugements humains, et rend incertain le sentier de la vie, déjà si décevant et si pénible.

Souffrances et mission du pape...

Lorsque l'humanité souffre, l'Eglise souffre aussi. Les désaccords qui troublent et brisent l'entente entre les peuples ébranlent l'air et frappent également à la porte du sanctuaire. Et malgré qu'aucun accueil ne leur soit donné et ne puisse leur être accordé, il n'est pas rare, néanmoins, qu'un écho s'en répercute dans le coeur des fidèles, écho plus grand que celui qu'il conviendrait selon la loi divine de donner à de tels désaccords.

Vénérables Frères et chers Fils, vous qui êtes les plus intimes et les plus fidèles collaborateurs de Notre charge, vous pouvez en connaissance de cause évaluer et peser quels fardeaux et devoirs, quelles préoccupations et sollicitudes, quelles douleurs et angoisses pèsent en ce temps d'orage sur les épaules et étreignent le coeur de celui qui par un insondable dessein de la Providence a été appelé à être le Père qui aime tous ses enfants sans exception, celui qui comprend et réconforte les autres dans leurs peines, le héraut intrépide de la vérité, le gardien vigilant d'une unité d'esprit voulue par Dieu par-dessus tout ce qui sépare, et aussi, dans le tourbillon des litiges ou désaccords des hommes, l'infatigable défenseur et promoteur de ce sentiment de fraternité qui prend racine dans la foi, dans l'espérance et dans la charité. Notre âme, quand elle lutte pour la vérité et pour la justice, pour la bonté et pour la sainteté, pour la concorde et pour la paix, ne refuse pas et ne peut refuser le travail et l'action, la prière et le sacrifice. Nous sommes le Vicaire du Prince de la paix, qui pacifie et réconcilie, unissant en lui le ciel et la terre et inaugurant dans son berceau le règne de la paix entre les hommes de bonne volonté. Nous avons appris du Christ, de Pierre et de ses successeurs, à unir ensemble, pour la tranquillité du monde, les consolations et les tribulations, à passer de Bethléem à Gethsemani, à écouter le chant angélique de la gloire à Dieu et le compatissant réconfort de l'ange de douleur. Les voeux fervents, synonymes de prière, formulés avec une telle noblesse et chaleur par l'éminent doyen du Sacré Collège, interprète de vos sentiments unanimes d'affection et d'attachement, sont pour Nous un motif de confiance auquel fait écho Notre âme, avec quelle reconnaissance, vous pouvez en juger.

... qui a besoin des prières de tous.

Oui, ce sont des prières faites à Dieu que vos voeux de Noël adressés au ciel pour qu'ils descendent sur Nous comme un secours et une bénédiction divine. Contre les embûches de Satan, Notre-Seigneur opposa sa prière en faveur de Pierre, à qui il dit : « J'ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas » (Lc 22,32), et la prière du Christ fut exaucée par le Père qui toujours écoute son Fils bien-aimé. L'Eglise primitive a appris du Christ à prier pour le premier pape, lorsque Pierre se trouvait dans les chaînes, séparé du troupeau du Christ, empêché d'exercer son ministère pastoral, « l'Eglise ne cessait de prier Dieu pour lui » (Ac 12,5).

Aujourd'hui, quand, d'une part, les effets inévitables de la guerre, de l'autre, des causes diverses ont élevé, comme tel un rideau de fer, des obstacles presque insurmontables en certaines contrées, au contact immédiat, constant et vivant entre le Pasteur et le troupeau, Notre réconfort le plus profond et le plus assuré repose dans l'espoir d'une extraordinaire assistance du Seigneur et dans la prière de toute l'Eglise qui l'implore de Dieu. Votre promesse de prières qui Nous a été offerte dans l'esprit de l'ardente jeunesse de l'Eglise, est pour Nous un précieux gage de cette intime et sublime union par laquelle tête et membres sont assemblés, se vivifient, se relayent et s'aident dans le Corps mystique du Christ. En même temps, votre promesse de prières est le cadeau de Noël le plus désiré, accueilli avec joie et avec joie payé de retour, que votre amour et votre attachement pouvaient Nous offrir.

Annonce du radiomessage de Noël.

Dans une situation si extraordinaire de l'Eglise et du peuple chrétien, Nous Nous proposons, comme déjà d'autres fois, d'adresser aujourd'hui même un message radiodiffusé à Nos chers fils et filles de l'univers, particulièrement désireux en ce solennel anniversaire d'entendre la voix du Père commun qui connaît leurs besoins, leurs souffrances, leurs inquiétudes et leurs vifs désirs. Ils sont désireux d'entendre la voix du Maître qui, au sein du brouillard des radotages et des rêveries de l'heure présente, leur indiquera les chemins sûrs et lumineux qui conduisent par les idées et par les faits à la paix intérieure et extérieure, à une nouvelle organisation de la vie privée et publique basée sur la loi divine. Ils désirent entendre la voix de Celui qui, demeurant au-dessus des agitations et des conflits, et par là les contemplant de haut d'un regard pénétrant, ne peut être accessible ni être tenu pour accessible à aucune passion, à aucun préjugé, à aucune partialité qui trouble l'âme.

Sous peu, ce radiomessage de Noël se répandra à travers un monde déchiré par les discordes, torturé par les armes, saignant de mille blessures. Daigne Celui dont les lèvres divines laissèrent autrefois échapper ce cri : « Quiconque est de la vérité écoute ma voix » (Jn 18,37), assister, accompagner, fortifier de sa grâce Notre faible parole, la raviver par son inspiration, l'éclairer de sa lumière. Plaise au Seigneur de ne pas vouloir ni de permettre que cette parole se dessèche sur le terrain pierreux des coeurs endurcis, que cette parole meure étouffée dans le fourré de l'égoïsme aveugle et insensé, dans la ronceraie des inimitiés ! Qu'il daigne lui préparer et lui accorder une terre féconde, des esprits et des coeurs ouverts auxquels la calamité déchaînée sur le monde enseignera la force et la prudence qui permettra de tout oser en vue d'entreprendre et de conduire sur des voies nouvelles, avec des desseins généreux et des sentiments bien purs, l'oeuvre formidable de la construction d'un ordre nouveau qui visera à créer dans la mesure du possible, pour la famille humaine et tous ses membres, des conditions de vie différentes de celles du passé, possibles, adaptées, ainsi que la joie de la concorde revenue.

L'ordre nouveau doit être fondé sur la Sagesse divine.

Vénérables Frères et chers Fils, vous et Nous, nous savons que les chemins de la volonté et de l'action doivent être éclairés par la lumière de l'intelligence. C'est pourquoi un ordre nouveau digne de ce nom ne peut s'établir sans qu'un rayon de la sagesse surnaturelle illumine les voies de ceux qui entreprendront de préparer aux peuples et aux nations un nouvel et meilleur avenir. D'où viendra aux hommes cette haute sagesse ? A quelle source sera-t-elle puisée ? Il est écrit : « La source de la sagesse, c'est la parole de Dieu au plus haut des cieux » (Si 1,5). Le Verbe de Dieu, dont les anges chantent la gloire au plus haut des cieux, qui, « de par Dieu est devenu pour nous sagesse » (1Co 1,30), a daigné par son incarnation remédier à l'ignorance que l'homme a reçue en héritage du premier père trompé par le serpent qui lui promettait la science du bien et du mal. Toute sagesse humaine dérive du Verbe de Dieu, concept de l'éternelle sagesse par laquelle toutes choses ont été faites, par laquelle l'homme a été créé à l'image et à la ressemblance de Dieu 5.

Devant le berceau de cette Sagesse incarnée, avec vous et avec tous ceux qui Nous sont unis dans la foi au Christ, avec l'espoir et la confiance que, du brillant trésor de sa sagesse et de sa science, caché par le voile de sa chair, descendra sur les chefs des nations qui luttent cruellement les unes contre les autres, un rayon de véritable sagesse, Nous poussons ce cri suppliant de l'Eglise au temps de l'Avent : « O Sagesse, qui êtes sortie de la bouche du Très-Haut, atteignant d'une extrémité à une autre extrémité et disposant toutes choses avec force et douceur, venez pour nous enseigner la voie de la prudence » !

Avec cette prière sur les lèvres et avec Nos souhaits les plus sincères et les plus paternels pour tous et pour chacun de vous, Vénérables Frères et chers Fils, Nous vous accordons de tout Notre coeur, avec une particulière affection, la Bénédiction apostolique.


RADIOMESSAGE DE NOËL AU MONDE ENTIER

(24 décembre 1941 J 1

Le radiomessage de Noël expose les causes du conflit et les principes essentiels sur lesquels devra être reconstruit le nouvel ordre international :

A l'aube et dans la lumière annonciatrice de la sainte fête de Noël, toujours attendue avec les soupirs d'une joie suave et pénétrante, au moment où tous les fronts s'apprêtent à se courber et tous les genoux à fléchir pour adorer l'ineffable mystère de la miséricordieuse bonté de Dieu, qui dans sa charité infinie a voulu donner à l'humanité le don le plus grand et le plus auguste, son Fils unique, Notre coeur, chers fils et filles épars sur la surface de la terre, s'ouvre à vous et, tout en n'oubliant pas la terre, s'élève et s'enfonce dans le ciel.

L'étoile de Bethléem, messagère d'espérance.

L'étoile, indicatrice de la crèche du Rédempteur nouveau-né, resplendit encore merveilleuse après vingt siècles au ciel de la chrétienté. « Que les nations s'agitent et que les peuples conspirent contre Dieu et contre son Messie » (Ps 2,1-2) : à travers les tempêtes du monde humain, l'étoile n'a pas connu, ne connaît pas et ne connaîtra pas de couchant ; le passé, le présent et l'avenir sont à elle. Elle avertit de ne jamais désespérer ; elle resplendit sur les peuples, même quand se font plus denses au-dessus de la terre, comme sur un océan que fait mugir la tempête, les sombres ouragans générateurs de carnages et de misères. Sa lumière est une lumière de réconfort, d'espérance, de foi inébranlable, de vie et de certitude du triomphe final du Rédempteur ; lumière qui, comme un torrent sauveur, débordera en paix intérieure et en gloire pour tous ceux qui, élevés à l'ordre surnaturel de la grâce, auront reçu le pouvoir de devenir enfants de Dieu, parce que nés de Dieu.

Aussi, Nous, qui en ces temps amers de bouleversements nés de la guerre, sommes tourmenté de ce qui vous tourmente, affligé de ce qui vous afflige, Nous qui vivons comme vous dans le lourd cauchemar d'un fléau qui pour la troisième année déchire encore l'humanité, à la veille d'une si grande solennité, Nous aimons, avec le coeur ému d'un père, à vous adresser la parole pour vous exhorter à rester forts dans la foi et pour vous communiquer le réconfort de cette espérance et de cette certitude véritables, surabondantes, divinisantes, qui rayonnent de la crèche du Sauveur nouveau-né.

Les souffrances et les ruines accumulées par la guerre.

En vérité, chers fils, si Notre oeil ne regardait pas plus haut que la matière et que la chair, c'est à grand-peine qu'il trouverait quelque motif de réconfort. Les cloches répandent bien le joyeux message de Noël, églises et oratoires s'illuminent, les harmonies religieuses réjouissent les âmes, tout est fête et décoration dans les temples sacrés ; mais l'humanité ne cesse pas de se déchirer dans une guerre d'extermination. Au cours des rites sacrés retentit sur les lèvres de l'Eglise l'admirable antienne : Rex pacificus magnificatus est, cujus vultum desiderat universa terra, « le Roi pacifique a été glorifié, lui dont toute la terre désire voir la face » 2 ; mais elle résonne en strident contraste avec des événements qui grondent à travers montagnes et vallées avec un bruit plein d'épouvante, dévastent terres et maisons sur d'immenses étendues, et jettent des millions d'hommes et leurs familles dans le malheur, dans la misère et dans la mort. Ils sont, certes, admirables les multiples spectacles de la valeur indomptée dans la défense du droit ou du sol natal, de la sérénité dans la douleur, d'âmes qui vivent comme des flammes d'holocauste pour le triomphe de la vérité et de la justice. Mais c'est aussi avec une angoisse qui Nous étreint l'âme que Nous pensons, les regardant comme dans un rêve, aux terribles chocs d'armes et de sang qu'a vus l'année qui s'achève, au sort infortuné des blessés et des prisonniers, aux souffrances corporelles et spirituelles, aux massacres, aux destructions et aux ruines que la guerre aérienne apporte et déverse sur de grandes et populeuses cités et sur des centres et de vastes

territoires industriels, aux richesses des Etats dilapidées, aux millions de créatures que le cruel conflit et la dure violence jettent dans la misère et dans la famine.

Et tandis que la vigueur et la santé d'une bonne partie de la jeunesse qui grandit se trouvent ébranlées du fait des privations imposées par le présent fléau, on voit, par contre, s'élever à des hauteurs vertigineuses les dépenses et les charges de la guerre qui, engendrant une contraction des forces de production dans le domaine civil et social, ne peuvent manquer de fournir un fondement aux inquiétudes de ceux qui tournent un regard préoccupé vers l'avenir. L'idée de la force étouffe et pervertit la norme du droit. Rendez possible et donnez toute liberté à des individus et à des groupes sociaux ou politiques de léser les biens et la vie d'autrui, permettez à toutes les autres destructions morales de troubler elles aussi l'atmosphère civile et d'y allumer la tempête, et vous verrez les notions de bien et de mal, de droit et d'injustice perdre leurs contours tranchants, s'émousser, se confondre et menacer de disparaître. Ceux qui, en vertu du ministère pastoral, ont le moyen de pénétrer dans les coeurs, savent et voient quelle accumulation de douleurs et d'indicibles anxiétés s'appesantit et s'étend sur beaucoup d'âmes, en amoindrit la soif et la joie de travailler et de vivre ; étouffe les esprits et les rend muets et indolents, soupçonneux et comme sans espoir en face des événements et des besoins : troubles d'âme que ne peut prendre à la légère quiconque tient à coeur le véritable bien des peuples et désire promouvoir un retour rapide à des conditions normales et ordonnées de vie et d'action. En présence d'une telle vision du présent se fait jour une amertume qui envahit le coeur, d'autant plus qu'on ne voit apparaître aujourd'hui aucune voie d'entente entre les parties belligérantes, dont les buts réciproques et les programmes de guerre semblent être en opposition inconciliable.

La cause n'en est pas la faillite du christianisme...

Quand on recherche les causes des ruines actuelles, devant lesquelles l'humanité qui les contemple reste perplexe, il n'est pas rare d'entendre affirmer que le christianisme a failli à sa mission. De qui et d'où vient une semblable accusation ? Serait-ce de ces apôtres, gloire du Christ, de ces héroïques zélateurs de la foi et de la justice, de ces pasteurs et de ces prêtres, hérauts du christianisme, qui, à travers persécutions et martyres, civilisèrent la barbarie et la jetèrent à genoux devant l'autel du Christ, donnèrent naissance à la civilisation chrétienne, sauvèrent les restes de la sagesse et de l'art d'Athènes et de Rome, unirent les peuples sous le nom chrétien, répandirent le savoir et la vertu, élevèrent la croix sur les pinacles aériens et sur les voûtes des cathédrales, images du ciel, monuments de foi et de piété, qui dressent encore leur tête vénérable parmi les ruines de l'Europe ? Non : le christianisme, dont la force dérive de Celui qui est Voie, Vérité et Vie, qui est et sera avec lui jusqu'à la consommation des siècles, n'a pas failli à sa mission, mais les hommes se sont révoltés contre le christianisme vrai et fidèle au Christ et à sa doctrine ; ils se sont forgé un christianisme à leur guise, une nouvelle idole qui ne sauve pas, qui ne s'oppose pas aux passions de la concupiscence de la chair, à l'avidité de l'or et de l'argent qui fascine les yeux, à l'orgueil de la vie, une nouvelle religion sans âme ou une âme sans religion, un masque de christianisme mort privé de l'esprit du Christ ; et ils ont proclamé que le christianisme a failli à sa mission.

mais la déchristianisation progressive des individus et des sociétés...

Fouillons au fond de la conscience de la société moderne, recherchons la racine du mal : où la trouvons-nous ? Sans doute ici non plus Nous ne voulons pas passer sous silence la louange qui est due à la sagesse des gouvernants qui ont ou toujours favorisé ou voulu et su remettre en honneur, pour le bien du peuple, les valeurs de la civilisation chrétienne, par d'heureux rapports entre l'Eglise et l'Etat, par la protection de la sainteté du mariage et par l'éducation religieuse de la jeunesse. Mais Nous ne pouvons fermer les yeux à la triste vision de la progressive déchristianisation individuelle et sociale qui du relâchement des moeurs est passée à l'affaiblissement et à la négation ouverte de vérités et de forces destinées à éclairer les intelligences sur le bien et sur le mal, à fortifier la vie familiale, la vie privée, la vie des Etats et la vie publique. Une anémie religieuse se répandant comme une maladie contagieuse a ainsi frappé de nombreux peuples d'Europe et du monde, et fait dans les âmes un tel vide moral qu'aucun succédané religieux, aucune mythologie nationale ni internationale ne pourrait le combler. Par les paroles, par les actions, par les mesures prises pendant des dizaines et des centaines d'années, qu'a-t-on su faire de mieux ou de pire qu'arracher des coeurs des hommes, de l'enfance à la vieillesse, la foi en Dieu, Créateur et Père de tous, rémunérateur du bien et vengeur du mal, en dénaturant l'éducation et l'instruction, en combattant et en opprimant la religion et l'Eglise du Christ de toutes façons et par tous les moyens, par la diffusion de la parole et de la presse, par l'abus de la science et du pouvoir ?

... et ses conséquences sur tous les plans.

L'esprit, une fois entraîné dans le gouffre moral pour s'être éloigné de Dieu et de la pratique chrétienne, les pensées, les projets, les entreprises des hommes, leur estimation des choses, leur action et leur travail n'avaient plus d'autre issue que de se tourner et de regarder vers le monde matériel ; leurs fatigues et leurs peines, plus d'autre but que se dilater dans l'espace pour grandir plus que jamais au-delà de toute limite dans la conquête des richesses et de la puissance, rivaliser de vitesse à produire plus et mieux tout ce que l'avancement et le progrès matériels semblaient exiger. D'où, dans la politique, la prévalenoe d'un élan effréné vers l'expansion et le pur crédit politique, sans souci de la morale ; dans l'économie, la domination des grandes et gigantesques entreprises et groupements ; dans la vie sociale, Paffluence et l'entassement des masses d'hommes, en pénible surabondance, dans les grandes villes et dans les centres d'industrie et de commerce et cette instabilité qui suit et accompagne toute multitude d'hommes qui change de maison et de résidence, de pays et de métier, de passions et d'amitiés.

Il s'ensuivit alors que les rapports mutuels de la vie sociale prirent un caractère purement physique et mécanique. Au mépris de toute mesure et de tous égards raisonnables, l'empire de la contrainte extérieure, le simple fait de la possession du pouvoir remplacèrent les règles de l'ordre qui doit régir la vie sociale des hommes, règles qui, émanées de Dieu, établissent quelles sont les relations naturelles et surnaturelles qui existent entre le droit et l'amour envers les individus et la société. La majesté, la dignité de la personne humaine et des sociétés particulières furent blessées, ravalées, supprimées par l'idée de la force qui crée le droit ; la propriété privée devint pour les uns un pouvoir dirigé vers l'exploitation du travail d'autrui, chez les autres, elle engendra la jalousie, l'intolérance et la haine ; l'organisation qui en résultait se transforma en puissante arme de combat pour faire prévaloir des intérêts de parti. Dans certains pays, une conception athée ou antichrétienne de l'Etat lia tellement à elle l'individu de ses vastes tentacules, qu'elle en vint à le priver presque d'indépendance dans la vie privée autant que dans la vie publique.

Qui pourra s'étonner aujourd'hui qu'une telle opposition radicale aux principes de la doctrine chrétienne en arriva enfin à se transformer en un choc violent de tensions internes et externes, au point de conduire à une extermination de vies humaines, à une destruction de biens, comme celles que Nous voyons et auxquelles Nous assistons avec une peine profonde ? Funeste conséquence et fruit des conditions sociales que Nous venons de décrire, la guerre, loin d'en arrêter l'influence et le développement, les favorise, les accélère et les amplifie, avec des effets d'autant plus ruineux qu'elle dure davantage, rendant la catastrophe encore plus générale.

Bien que le progrès technique soit louable...

Ce serait mal interpréter Nos paroles contre le matérialisme du siècle dernier et du temps présent que d'en déduire une condamnation du progrès technique. Non, Nous ne condamnons pas ce qui est don de Dieu, qui, de même qu'il fait jaillir le pain des mottes de la terre, a caché dans les entrailles les plus profondes du sol, aux jours de la création du monde, des trésors de feu, de métaux, de pierres précieuses, que la main de l'homme doit extraire pour ses besoins, pour ses oeuvres, pour son progrès. L'Eglise, mère de tant d'universités d'Europe, qui exalte encore et réunit les maîtres les plus hardis dans les sciences, les scrutateurs de la nature, n'ignore pas toutefois que de tous les biens et même de la liberté de la volonté on peut faire un usage digne ou de louange et de récompense, ou, au contraire, de blâme et de condamnation. Il est arrivé que l'esprit et l'orientation dans lesquels on a souvent usé du progrès technique font qu'à l'heure actuelle la technique doit expier son erreur et se punir elle-même en quelque sorte en créant des instruments de ruine qui détruisent aujourd'hui ce qu'elle avait édifié hier.

... le remède à cette situation est dans le retour à la foi.

En face de l'ampleur du désastre engendré par les erreurs que Nous venons d'indiquer, il n'y a pas d'autre remède que le retour au pied des autels, où d'innombrables générations de croyants ont puisé dans le passé la bénédiction et l'énergie morale de l'accomplissement de leurs devoirs ; le retour à la foi qui éclairait individus et sociétés et enseignait quels sont les droits et les devoirs de chacun, le retour aux sages et inébranlables normes d'un ordre social qui, sur le terrain national comme sur le terrain international, dressent une barrière efficace contre l'abus de la liberté non moins que contre l'abus du pouvoir. Mais il faudra que le rappel à ces sources bienfaisantes résonne bien haut, insistant, universel, à l'heure où l'ancienne organisation sera sur le point de disparaître et de céder le pas et la place à une organisation nouvelle.

Les bases de la reconstruction future.

La future reconstruction pourra présenter et donner de précieuses facilités pour promouvoir le bien, facilités qui ne seront pas exemptes, cependant, du danger de tomber dans l'erreur, et par l'erreur de favoriser le mal. Elle exigera un sérieux plein de prudence et une mûre réflexion, non seulement à cause de la gigantesque difficulté de l'oeuvre, mais encore à cause des graves conséquences qu'entraînerait sa faillite tant dans le domaine matériel que dans le domaine spirituel. Elle exigera des intelligences aux vues larges et des volontés aux fermes résolutions, des hommes courageux et actifs, mais surtout, et avant tout, des consciences qui, dans les projets, les délibérations, les actions soient animées, poussées et soutenues par un sens aigu des responsabilités, et ne refusent pas de s'incliner devant les saintes lois de Dieu ; car si, à la vigueur organisatrice dans l'ordre matériel ne s'unissent pas une souveraine pondération et une intention sincère dans l'ordre moral, il n'est pas douteux qu'on verra se vérifier la sentence de saint Augustin : Bene currunt, sed in via non currunt. Quanto plus currunt, plus errant, quia a via recedunt, « ils courent bien, mais ils courent à côté du chemin ; plus ils courent, plus ils s'égarent, car ils s'éloignent du chemin » 3.

Ce ne serait pas la première fois que des hommes, s'apprêtant à se couronner des lauriers de victoires militaires, aient songé à donner au monde une nouvelle organisation, en indiquant de nouvelles voies qui conduiraient selon eux au bien-être, à la prospérité et au progrès. Mais chaque fois qu'ils cédèrent à la tentation d'imposer leur construction contre ce que prescrivait la raison, la modération, la justice et un noble sens de l'humanité, ils se trouvèrent par terre, tout étonnés à contempler les ruines d'espérances déçues et de projets avortés. L'histoire enseigne que les traités de paix conclus dans un esprit et à des conditions opposés soit aux prescriptions morales soit à une authentique sagesse politique, n'eurent jamais qu'une vie misérable

s Serm. CXLI, c. IV ; Migne, P. t. LXXXIII, col. 777.

et brève, mettant ainsi à nu et témoignant une erreur de calcul, humaine, sans doute, mais non moins funeste pour cela.

Les ruines de cette guerre sont maintenant trop considérables pour qu'on y ajoute encore celles d'une paix frustrée et trompeuse. Aussi, pour éviter un tel malheur, faut-il qu'avec une parfaite sincérité de volonté et d'énergie, et résolus à une généreuse contribution, viennent y coopérer, non seulement tel ou tel parti, non seulement tel ou tel pays, mais tous les peuples et l'humanité entière. C'est une entreprise universelle de bien commun qui requiert la collaboration de la chrétienté pour les aspects religieux et moraux du nouvel édifice que l'on veut construire.

Le rétablissement de la loi morale.

Nous faisons, par conséquent, usage d'un droit qui est Nôtre ou, pour mieux dire, Nous remplissons un de Nos devoirs si aujourd'hui, à la veille de Noël, divine aurore d'espérance et de paix pour le monde, avec l'autorité de Notre ministère apostolique et la chaude incitation de Notre coeur, Nous appelons l'attention et la méditation de l'univers entier sur les périls qui guettent et menacent une paix qui soit la base appropriée d'un nouvel ordre de choses et réponde à l'attente et aux voeux des peuples pour un plus tranquille avenir.

Cette nouvelle organisation, que tous les peuples aspirent à voir réalisée, après les épreuves et les ruines de cette guerre, devra être élevée sur le rocher inébranlable et immuable de la loi morale, manifestée par le Créateur lui-même au moyen de la loi naturelle et inscrite par lui dans le coeur des hommes en caractères ineffaçables ; loi morale dont l'observance doit être inculquée et favorisée par l'opinion publique de toutes les nations et de tous les Etats avec une telle unanimité de voix et de force que personne ne puisse oser la mettre en doute ou en atténuer l'obligation.

Comme un phare resplendissant, elle doit par les rayons de ses principes diriger l'activité des hommes et des Etats qui auront à en suivre les salutaires et bienfaisantes admonitions et indications, s'ils ne veulent pas condamner à la tempête et au naufrage tout travail et tout effort pour établir une nouvelle organisation. Résumant donc et complétant ce qui fut exposé par Nous en d'autres occasions 4, Nous insistons, aujourd'hui encore, sur certains présupposés essentiels d'un ordre international qui assure à tous les peuples une paix juste et durable, féconde de bien-être et de prospérité.

Les principes essentiels d'un ordre international : respect de la liberté de tous les Etats...

1° Dans le domaine d'une nouvelle organisation fondée sur les principes moraux, il n'y a pas place pour l'atteinte à la liberté, à l'intégrité et à la sécurité d'autres nations, quelle que soit leur extension territoriale ou leur capacité de défense. S'il est inévitable que les grands Etats, à cause de leurs plus grandes possibilités et de leur puissance, tracent le chemin pour la constitution de groupes économiques entre eux et les nations plus petites et plus faibles, on ne peut cependant contester, dans le domaine de l'intérêt général, le droit de celles-ci comme de tous au respect de leur liberté dans le domaine politique, à la conservation efficace dans les contestations entre les Etats de la neutralité qui leur est due en vertu du droit naturel et du droit des gens, et à la défense de leur développement économique, puisque c'est seulement de cette manière qu'elles pourront atteindre de façon adéquate le bien commun, le bien-être matériel et spirituel de leur propre peuple.

... respect des minorités nationales...

2° Dans le domaine d'une nouvelle organisation fondée sur les principes moraux, il n'y a pas place pour l'oppression, ouverte ou dissimulée, des particularités culturelles et linguistiques des minorités nationales, pour l'entrave et le resserrement de leurs capacités économiques, pour la limitation ou l'abolition de leur fécondité naturelle. Plus l'autorité compétente de l'Etat respecte consciencieusement les droits des minorités, plus sûrement et plus efficacement elle peut exiger de leurs membres l'accomplissement loyal des devoirs civiques communs à tous les citoyens.

... équitable répartition des richesses...

3° Dans le domaine d'une nouvelle organisation fondée sur les principes moraux, il n'y a pas place pour les étroits calculs d'égoïstes qui tendraient à accaparer les sources économiques et les matières

et politiques d'une paix juste et honorable. L'allocution Grazie, du 24.12.40, (Documents Pontificaux 1940, p. 376), traite des présupposés spirituels et des conditions indispensables de l'ordre nouveau, dont parlait brièvement le discours de l'année précédente.

d'usage commun, de manière que les nations moins favorisées par la nature en seraient exclues. A ce sujet, il est, pour Nous, souverainement consolant de voir affirmer la nécessité d'une participation de tous aux biens de la terre, même chez les nations qui, dans la mise en acte de ce principe, appartiendraient à la catégorie de ceux « qui donnent » et non de ceux « qui reçoivent ». Mais il est conforme à l'équité qu'une solution méthodique et progressive à semblable question décisive pour l'économie du monde soit donnée avec les garanties nécessaires et en tirant la leçon des manquements et des omissions du passé. Si dans la future paix on n'en venait pas à affronter courageusement ce point, il subsisterait dans les relations entre les peuples une source vaste et profonde d'amères oppositions et de jalousies exaspérées qui, en se développant, finiraient par conduire à de nouveaux conflits. Il faut cependant observer combien la solution satisfaisante de ce problème est étroitement liée à un autre fondement essentiel d'une nouvelle organisation, dont Nous parlons dans le point suivant.

... désarmement et respect des traités...

4° Dans le domaine d'une nouvelle organisation fondée sur les principes moraux, il n'y a pas de place, une fois éliminés les foyers les plus périlleux de conflits armés, pour une guerre totale ni pour une course sans frein aux armements. On ne doit pas permettre que le malheur d'une guerre mondiale avec ses ruines économiques et sociales et ses aberrations et perturbations morales, se déverse pour la troisième fois sur l'humanité. Pour tenir celle-ci à l'abri d'un tel fléau, il est nécessaire que l'on procède avec sérieux et honnêteté à une limitation progressive et adéquate des armements. Le déséquilibre entre un armement exagéré des Etats puissants et l'armement insuffisant des faibles crée un danger pour la conservation de la tranquillité et de la paix des peuples et conseille d'en venir à une limitation ample et proportionnée dans la fabrication et la possession d'armes offensives.

Puis, dans la mesure où le désarmement sera réalisé, il faudra établir des moyens appropriés, honorables pour tous et efficaces, pour rendre à la règle : pacta sunt servanda (il faut observer les traités), la fonction vitale et morale qui lui revient dans les relations juridiques entre les Etats. Cette règle qui dans le passé a subi des crises inquiétantes et des infractions indéniables a trouvé en face d'elle une défiance quasi incurable parmi les divers peuples et leurs dirigeants. Pour que renaisse la confiance réciproque, il faut que se créent des institutions qui, s'attirant le respect général, se consacrent à la très noble fonction soit de garantir la sincère exécution des traités, soit d'en promouvoir d'opportunes corrections ou revisions selon les principes du droit et de l'équité.

Nous ne Nous dissimulons pas le nombre immense des difficultés à surmonter et la force quasi surhumaine de bonne volonté requise de toutes les parties en présence pour qu'elles s'accordent en vue de donner une heureuse solution à la double entreprise ici tracée. Mais ce travail commun est tellement essentiel pour l'établissement d'une paix durable que rien ne doit arrêter les hommes d'Etat responsables ou les dissuader de l'entreprendre et d'y coopérer avec les forces d'une bonne volonté qui, usant le bien futur, sache vaincre les douloureux souvenirs des échecs du passé et ne pas se laisser effrayer à la vue de la gigantesque force d'âme requise pour une telle oeuvre.

. respect de Dieu et de l'Eglise.

5° Dans le domaine d'une nouvelle organisation fondée sur les principes moraux, il n'y a pas de place pour la persécution de la religion et de l'Eglise. D'une foi vive en un Dieu personnel transcendant se dégage une franche et résistante vigueur morale qui donne le ton à tout le cours de la vie ; car la foi n'est pas seulement une vertu : elle est la porte divine par laquelle entrent dans le temple de l'âme toutes les vertus qui forment ce caractère fort et tenace qui ne vacille pas dans les épreuves de la raison et de la justice. Cela vaut en tout temps ; mais cela doit resplendir bien plus encore quand de l'homme d'Etat comme du dernier des citoyens on exige le maximum de courage et d'énergie morale pour reconstruire une nouvelle Europe et un nouveau monde sur les ruines que, par sa violence, par la haine et la division des âmes, le conflit mondial a accumulées.

Quant à la question sociale en particulier, qui à la fin de la guerre se présentera d'une façon plus aiguë, Nos prédécesseurs et Nous-même avons indiqué les principes de sa solution ; mais il faut remarquer que ceux-ci ne pourront être totalement suivis et donner leur plein fruit que si hommes d'Etat et peuples, employeurs et ouvriers sont animés de la foi en un Dieu personnel, législateur et juge, auquel ils doivent répondre de leurs actions. Car si l'incrédulité qui se dresse contre Dieu ordonnateur de l'univers est la plus dangereuse ennemie d'un équitable ordre nouveau, en revanche, chaque homme qui croit en Dieu, en est un puissant soutien et champion. Quiconque a foi au Christ, à sa divinité, à sa loi, à son oeuvre d'amour et de fraternité parmi les hommes, apportera des éléments particulièrement précieux à la reconstruction sociale ; à plus forte raison en porteront davantage les hommes d'Etat, s'ils se montrent prompts à ouvrir largement les portes et à aplanir le chemin à l'Eglise du Christ, afin qu'elle puisse, librement et sans entraves, mettre ses énergies surnaturelles au service 'de l'entente entre les peuples et de la paix, et coopérer ainsi, avec son zèle et son amour, à la tâche immense de guérir les blessures de la guerre.

Liberté pour l'action religieuse.

Aussi est-il pour Nous inexplicable que dans certains pays de multiples dispositions entravent la voie au message de la foi chrétienne, tandis qu'elles ouvrent un large et libre passage à une propagande qui la combat. Elles soustraient la jeunesse à la bienfaisante influence de la famille chrétienne et l'écarcent de l'Eglise ; elles l'édu-quent dans un esprit opposé au Christ, lui inculquant des conceptions, des maximes et des pratiques antichrétiennes ; elles rendent pénible et agité le travail de l'Eglise dans le ministère des âmes et dans les oeuvres de bienfaisance ; elles méconnaissent et rejettent son influence sur l'individu et la société ; toutes mesures qui, loin d'avoir été mitigées ou abolies au cours de la guerre, n'ont fait, au contraire, qu'empirer à bien des égards. Que tout cela, et autre chose encore, puisse être continué au milieu des souffrances de l'heure présente, c'est un triste signe de l'esprit dans lequel les ennemis de l'Eglise imposent aux fidèles, outre tous les autres sacrifices qui ne sont pas légers, le poids douloureux d'une anxiété pleine d'amertume qui s'appesantit sur les consciences.

Dieu Nous est témoin que Nous aimons d'une égale affection tous les peuples, sans aucune exception ; et c'est pour éviter jusqu'à l'apparence d'être guidé par l'esprit de parti que Nous Nous sommes imposé jusqu'ici la plus grande réserve ; mais les dispositions prises contre l'Eglise et les fins qu'elles se proposent sont maintenant telles que Nous Nous sentons obligé, au nom de la vérité, de parler pour empêcher qu'il ne s'ensuive par malheur un trouble dans les âmes des fidèles.


La Rome chrétienne, phare de la civilisation.

Nous contemplons aujourd'hui, chers fils, PHomme-Dieu, né dans une grotte pour rétablir l'homme dans la grandeur dont il était déchu par sa faute, pour le replacer sur le trône de liberté, de justice et d'honneur que les siècles des faux dieux lui avaient refusé. Le fondement de ce trône sera le Calvaire, son ornement ne sera pas l'or ou l'argent, mais le sang du Christ, sang divin qui depuis vingt siècles coule sur le monde et empourpre les joues de son épouse, l'Eglise, et, purifiant, consacrant, sanctifiant, glorifiant ses fils, se transforme en céleste candeur.

O Rome chrétienne, ce sang-là est ta vie : c'est par ce sang-là que tu es grande et que tu éclaires même les restes et les ruines de ta grandeur païenne, que tu purifies et consacres les codes de la sagesse juridique des préteurs et des Césars. Tu es la mère d'une justice plus haute et plus humaine, qui t'honore, qui honore le lieu où tu sièges et ceux qui t'écoutent. Tu es un phare de civilisation, et l'Europe civilisée et le monde te doivent ce qu'il y a de plus sacré et de plus saint, de plus sage et de plus honnête chez tous les peuples, ce qui les exalte et fait la beauté de leur histoire. Tu es mère de la charité : tes fastes, tes monuments, tes hospices, tes monastères et tes couvents, tes héros et tes héroïnes, tes prédicateurs et tes missionnaires, les divers âges et siècles de ton histoire avec leurs écoles et leurs universités, témoignent de ta charité qui embrasse tout, supporte tout, espère tout, entreprend tout pour se faire tout à tous, pour réconforter tous les hommes et les consoler, les guérir et les appeler à la liberté donnée à l'homme par le Christ, les pacifier tous dans cette paix qui rend les peuples frères et fait de tous les hommes, quels que soient les cieux qui les abritent, la langue ou les coutumes qui les distinguent, une seule famille, et du monde une patrie commune.


Noël, route d'espérance.

De cette Rome, centre, rocher et maîtresse du christianisme, de cette cité que le Christ, bien plus que les Césars, a immortalisée dans le temps, Nous, poussé par le désir vif et ardent du bien de chaque peuple et de l'humanité tout entière, Nous adressons à tous Notre parole, priant et demandant avec instance que ne tarde pas à venir le jour où, dans tous les lieux où aujourd'hui l'hostilité contre Dieu et le Christ entraîne les hommes à la ruine temporelle et éternelle, prévaudront des connaissances religieuses plus étendues et de nouvelles résolutions ; le jour où sur la crèche de la nouvelle organisation des peuples resplendira l'étoile de Bethléem, annonciatrice d'un nouvel esprit qui poussera à chanter avec les anges : Gloria in excelsis Deo, et à proclamer à toutes les nations, en recevant le don enfin accordé par le ciel : Pax hominibus bonae voluntatis. Quand se lèvera l'aurore de ce jour, avec quelle joie, nations et gouvernants, l'âme délivrée de la crainte d'embûches et de reprises de conflits, transformeront les épées qui auront déchiré des poitrines humaines en charrues qui traceront leur sillon au soleil de la bénédiction divine dans le sein fécond de la terre, pour en faire sortir un pain arrosé de sueur, c'est vrai, mais non plus de sang et de larmes !

voeux du Saint-Père.

C'est dans cette attente et avec cette anxieuse prière sur les lèvres, que Nous adressons Notre salut et Notre Bénédiction à tous Nos fils de l'univers entier. Que Notre Bénédiction descende plus large sur ceux — prêtres, religieux et laïques — qui souffrent peines et tribulations pour leur foi ; qu'elle descende aussi sur ceux qui, sans appartenir au corps visible de l'Eglise catholique, Nous sont proches par la foi en Dieu et en Jésus-Christ, et sont d'accord avec Nous sur l'organisation et les buts fondamentaux de la paix ; qu'elle descende, avec une émotion et une affection particulière sur tous ceux qui gémissent dans la tristesse, dans la dure angoisse des souffrances de cette heure. Qu'elle serve de bouclier à ceux qui sont sous les armes, de remède aux malades et aux blessés, de réconfort aux prisonniers, à ceux qui ont été chassés du pays natal, éloignés du foyer domestique, déportés en terre étrangère, aux millions de malheureux qui luttent à toute heure contre les terribles morsures de la faim. Qu'elle soit un baume pour toute douleur et pour toute infortune ; qu'elle soit un soutien et une consolation pour tous ceux qui, dans la misère et dans le besoin, attendent une parole amie qui verse dans leur coeur la force, le courage, la douceur de la compassion et de l'aide fraternelle. Que Notre Bénédiction se pose enfin sur les âmes et les mains compatissantes qui, au prix d'inépuisables et généreux sacrifices, Nous ont donné de quoi pouvoir, au-delà des limites étroites de Nos propres moyens, sécher les larmes, adoucir la pauvreté de beaucoup, spécialement des plus pauvres et des plus abandonnés parmi les victimes de la guerre, donnant ainsi la preuve que la bonté et la bénignité de Dieu, dont la suprême et ineffable révélation est l'Enfant de la crèche qui a voulu Nous enrichir de sa pauvreté, ne cessent jamais à travers les âges et les calamités d'être vivantes et opérantes dans l'Eglise.

A tous Nous accordons, avec un profond amour paternel et de la plénitude de Notre coeur, la Bénédiction apostolique.


Pie XII 1941 - DISCOURS A L'OCCASION DE LA BÉATIFICATION DE MADELEINE DE CANOSSA