Pie XII 1942 - DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX (22 avril 1942)

DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX (22 avril 1942)


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Dans ce discours aux jeunes époux, ainsi que dans les suivants, le Saint-Père expose un point capital de la doctrine de l'Eglise en ce qui concerne le mariage : « le noeud divin que nulle main d'homme ne peut défaire ».

I. — L'inviolable dignité du mariage un et indissoluble.

Il ne vous sera point difficile, chers jeunes mariés, d'élever votre esprit à une haute conception de la vie conjugale, si vous repassez attentivement, à l'aide de votre missel, les émouvantes cérémonies des épousailles, où toute la liturgie sacrée se concentre sur un point : sur le lien qui se crée alors entre l'époux et l'épouse. Quelles douces pensées, quels désirs intimes vous ont accompagnés au saint autel ! Quelles espérances, quelles visions de bonheur ont illuminé votre marche ! Mais ce lien est un et indissoluble : Ego conjungo vos, « je vous unis au nom de Dieu », a dit le prêtre, témoin qualifié de l'union que vous avez fondée ; et ce lien, que vous avez créé en la consécration et la force d'un sacrement, l'Eglise le prend sous sa protection : elle inscrit vos noms dans le grand livre des mariages chrétiens, après avoir, achevant le rite nuptial, prié Dieu, ut quod te auctore funguntur, te auxiliante serventur, « que ceux qui s'unissent par votre autorité, vous les gardiez par votre secours » 2.

L'unité du lien conjugal implique l'indissolubilité de tout mariage véritable.

Le lien conjugal est un. Regardez le paradis terrestre, première image du paradis familial ; voyez-y ce premier lien établi par le Créateur entre l'homme et la femme, ce lien dont le Fils de Dieu, le Verbe incarné, dira un jour : Quod Deus coniunxit, homo non separet, « ce que Dieu a uni, que l'homme ne s'avise pas de le séparer » ; parce que )am non sunt duo, sed una caro, « ils ne sont plus deux, mais une seule chair » (Mt 19,6). Dans cette union de nos premiers parents au jardin de délices il y a tout le genre humain, tout le cours des générations à venir qui rempliront la terre, lutteront pour sa conquête et en tireront de force à la sueur de leur front un pain trempé dans l'amertume de la première faute des humains. Pourquoi donc Dieu a-t-il uni au paradis l'homme et la femme ? Non seulement pour leur confier la garde de ce jardin de félicité, mais aussi, comme s'exprime le grand théologien d'Aquin, parce que le mariage les destine à la procréation et à l'éducation des enfants, et à la vie de communauté familiale3.

L'unité même du lien conjugal porte le sceau de l'indissolubilité. Certes oui, c'est un lien auquel incline la nature ; toutefois il ne s'impose point par une nécessité de nature : il résulte du libre arbitre, mais avec cette particularité que la simple volonté des contractants, si elle peut le réaliser, ne peut le défaire. Cela ne vaut pas seulement pour les noces chrétiennes, mais en général pour tout mariage valide conclu sur terre par le mutuel consentement des époux. Le oui que votre volonté a commandé à vos lèvres vous unit par le lien conjugal et unit en même temps vos volontés à tout jamais. Son effet est irrévocable. Le son, expression sensible de votre consentement, passe ; mais le consentement lui-même est essentiellement immuable : il ne passe point, il est perpétuel, parce que c'est un consentement donné à la perpétuité du lien, tandis que le consentement qui ne porterait que sur une vie commune de quelque temps, ne suffirait point à constituer le mariage. L'union de vos oui est indissoluble, de sorte qu'il n'y a pas de mariage véritable sans indissolubilité, ni d'indissolubilité sans mariage véritable 4.

Elevez donc votre pensée, chers époux, et rappelez-vous que le mariage n'est pas seulement une oeuvre de la nature, mais qu'il est pour les âmes chrétiennes un grand sacrement, un grand signe de la grâce, le signe d'une réalité sacrée : l'union du Christ avec l'Eglise, Eglise qu'il a faite sienne, qu'il a conquise de son sang afin de régénérer pour une vie nouvelle, pour la vie de l'esprit, les enfants des hommes qui croient en son nom, qui ne sont nés ni du sang, ni d'un vouloir charnel, ni d'un vouloir d'homme, mais de Dieu (Jn 1,12-13). Le sceau et la lumière du sacrement qui surélève et pour ainsi dire « transnature » l'oeuvre de la nature, donne au mariage une noblesse d'honnêteté sublime qui comporte non seulement l'indissolubilité, mais encore tout ce qui est signifié par le sacrement B.

5 Cf. Summa Theol., Suppl., q. 49, a. 2 ; ad 4 et 7.


L'Eglise elle-même ne peut dissoudre le mariage qu'elle n'a pas déclaré invalide

Mais si la volonté des époux qui ont passé le contrat ne peut rompre le lien du mariage, l'autorité supérieure aux époux que le Christ a établie pour la vie religieuse des hommes en aura-t-elle peut-être les moyens ? Le lien du mariage est si fort que, lorsque l'usage des droits conjugaux l'a porté à sa pleine stabilité, nulle puissance au monde — pas même la Nôtre, qui est celle du Vicaire du Christ — ne saurait le trancher. Nous pouvons, il est vrai, reconnaître et déclarer qu'un mariage, jugé valide lors du contrat, était nul en réalité, du fait de quelque empêchement dirimant, ou par un vice essentiel du consentement, ou par défaut de forme substantielle. Nous pouvons aussi, en certains cas déterminés et pour de graves raisons, dissoudre des mariages dépourvus de caractère sacramentel. Nous pouvons enfin, pour une raison juste et proportionnée, trancher le lien d'époux chrétiens, annuler leur oui prononcé devant l'autel, quand il est prouvé qu'il n'a pas été consommé par la pratique de la vie conjugale. Mais une fois consommé, le mariage demeure soustrait à toute ingérence humaine. Le Christ n'a-t-il pas ramené la communauté matrimoniale à cette dignité fondamentale que lui avait donnée le Créateur au matin du genre humain dans le paradis, à la dignité inviolable du mariage un et indissoluble ?

... parce que le Christ a restauré le mariage l'élevant même au rang de sacrement.

Jésus-Christ, le Rédempteur de l'humanité déchue, n'est pas venu supprimer, mais bien accomplir et restaurer la loi divine ; il est venu réaliser, avec plus d'autorité que Moïse, avec plus de Sagesse que Salomon, avec plus de lumière que les prophètes, ce qui avait été prédit de lui, à savoir qu'il serait semblable à Moïse, que Dieu le susciterait d'entre ses frères, que la parole du Seigneur serait mise dans sa bouche et que quiconque ne l'écouterait pas serait exterminé du milieu du peuple choisi (Dt 18,15 et ss. ; Ac 3,22-23). C'est pourquoi le Christ a dans le mariage, par sa parole qui ne passe point, élevé l'homme et relevé la femme — la femme, que l'antiquité avait ravalée au rang d'esclave et que le plus austère censeur de Rome avait assimilée à « un être sans frein, à un animal indomptable » 6 — comme il avait, en lui-même déjà, relevé non seulement l'homme, mais encore la femme, puisque c'est d'une femme qu'il tient sa nature humaine, et qu'il a fait de sa Mère, bénie entre toutes les femmes, et couronnée Reine des anges et des saints, un miroir immaculé de vertus et de grâces pour les familles chrétiennes à travers les siècles.

Jésus et Marie sanctifièrent de leur présence les noces de Cana : c'est là que le divin Fils de la Vierge accomplit son premier miracle, comme pour annoncer qu'il inaugurerait sa mission dans le monde et le règne de Dieu par la sanctification de la famille et de l'union conjugale, source de vie. C'est là que commença l'ennoblissement du mariage, qui allait monter au rang des signes visibles producteurs de la grâce sanctifiante et devenir le symbole de l'union du Christ et de l'Eglise (Ep 5,32) ; union indissoluble et inséparable, nourrie de l'amour absolu et sans limite qui jaillit du Coeur du Christ. Comment l'amour conjugal pourrait-il symboliser pareille union, s'il était délibérément retenu dans des limites, restreint par des conditions, sujet à dissolution, flamme d'amour qui ne brûle qu'un temps ? Non, porté à la haute et sainte dignité de sacrement, si intimement lié à l'amour du Rédempteur et à l'oeuvre de la Rédemption, si fortement marqué de cet amour et de cette oeuvre, il ne peut être et on ne peut le dire qu'indissoluble et perpétuel.

6 Tite-Live, Ab Urbe conditi, 1. XXXIV, chap. 2.

Le lien du mariage, pénible parfois, assure le bonheur de la vie chrétienne et éternelle.

En face de cette loi d'indissolubilité, les passions, bridées et réprimées dans la libre satisfaction de leurs appétits désordonnés, ont cherché de tout temps et de toutes manières à en secouer le joug, n'y voulant voir qu'une dure tyrannie qui charge arbitrairement la conscience d'un poids insupportable, qu'un esclavage qui répugne aux droits sacrés de la personne humaine. C'est vrai, un lien peut constituer parfois un fardeau, une servitude, comme les chaînes qui entravent le prisonnier. Mais il peut être aussi un puissant secours, une garantie de sécurité, comme la corde qui lie l'alpiniste à ses compagnons, ou comme les ligaments qui unissent les parties du corps humain et le rendent libre et dégagé dans ses mouvements ; et tel est bien le cas de l'indissoluble lien conjugal.

Cette loi d'indissolubilité apparaîtra à la réflexion comme une manifestation de vigilant amour maternel, surtout si vous la considérez dans la lumière surnaturelle où le Christ l'a placée. Parmi les difficultés, les heurts, les convoitises que peut-être la vie sèmera sur vos pas, vos deux âmes unies sans possibilité de séparation ne se trouveront ni isolées ni désarmées ; la toute-puissante grâce divine, fruit spécial du sacrement, sera toujours avec vos deux âmes, pour soutenir à chaque pas leur faiblesse, pour alléger leurs sacrifices, pour leur donner force et consolation jusque dans les épreuves les plus dures et les plus longues. Lorsque l'obéissance à la loi divine exigera de repousser les flatteries des joies terrestres entrevues à l'heure de la tentation et de renoncer à « refaire sa vie », la grâce encore sera là pour rappeler dans tout leur relief les enseignements de la foi, à savoir : que la seule vraie vie qui ne doive jamais être exposée est celle du ciel, celle précisément que garantissent ces renoncements, si pénibles soient-ils ; que ces renoncements, comme tous les événements de la vie présente, sont provisoires et simplement destinés à préparer l'état définitif de la vie future ; que cette vie future sera d'autant plus heureuse et radieuse que les époux auront accepté avec plus de courage et de générosité les inévitables afflictions du pèlerinage d'ici-bas.

« Voilà, serez-vous peut-être tentés de dire, des considérations bien austères en cette heure où tout nous sourit dans le sentier qui s'ouvre devant nous. Est-ce que notre mutuel amour, dont nous sommes tellement sûrs, ne nous garantit par l'indéfectible union de nos coeurs ? »

Bien-aimés fils et filles, rappelez-vous l'avertissement du Psal-miste : « Si le Seigneur ne prend pas la cité sous sa garde, c'est en vain que veille la sentinelle » (Ps., cxxvi, 1). Même cette cité si belle et si forte de votre présente félicité, il n'y a que Dieu qui puisse la maintenir intacte, par sa loi et par sa grâce. Tout ce qui est simplement humain est trop fragile, trop précaire, pour se suffire à soi-même : c'est votre fidélité aux commandements de Dieu qui assurera l'inviolable fermeté de votre amour et de votre joie parmi les vicissitudes de la vie.

C'est ce que Nous implorons pour vous du Seigneur, en vous accordant de grand coeur Notre paternelle Bénédiction apostolique.


DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX (29 avril 1942)

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Voici la deuxième partie du thème qui a fait l'objet du discours aux jeunes époux du 22 avril (cf. ci-dessus, p. 99):

II. — Les bienfaits du mariage un et indissoluble.

Chers jeunes époux, lorsque vous vous rassemblez dans cette maison du Père commun des fidèles, que vous veniez de telle région ou de telle autre, jamais vous n'êtes étrangers à Notre coeur, à qui l'immense bonté divine a donné de battre pour tous, sans distinction de visage et d'aspect, ni de haut lignage ou d'humble naissance, ni de cieux et de pays. A vous voir, à vous compter, Notre coeur se dilate ; il répond de toute son ardeur à votre affection filiale ; il Nous met sur les lèvres à l'adresse de Dieu de vifs accents de louange et Nous Nous écrions : qu'elles sont belles et rayonnantes de foi les tentes que dressent par le monde les familles chrétiennes ! En vous resplendit à Notre regard la dignité des époux chrétiens, dignité particulière, puisque vous n'avez pas seulement été marqués du chrême mystique commun à tous les fidèles pour être avec eux, selon la parole de l'apôtre Pierre, une nation sainte et un sacerdoce royal (1P 2,9), mais qu'en outre, dans l'acte sacré de vos épousailles, votre libre et mutuel consentement vous a élevés au plan de ministres du sacrement de mariage ; mariage qui, représentant la très parfaite union du Christ et de l'Eglise, ne saurait être qu'indissoluble et perpétuel.


Le mariage un et indissoluble répond aux besoins de la nature, c'est-à-dire aux aspirations du coeur humain

Mais la nature, que pense-t-elle de cette perpétuité ? Se peut-il que la grâce, dont l'opération ne change pas la nature, mais bien la perfectionne en tout et toujours, se peut-il que la grâce rencontre ici en la nature une ennemie véritable ? Non : Dieu agit avec un art merveilleux et suave, et cet art s'harmonise toujours avec la nature dont il est l'auteur. Cette perpétuité et indissolubilité qu'exigent la volonté du Christ et la mystique signification du mariage chrétien, la nature elle-même la réclame. Les aspirations intimes de la nature, la grâce les accomplit et elle accorde à la nature la force d'être ce dont les profondeurs humaines de sa sagesse et de sa volonté lui donnent le désir.

Interrogez votre coeur, chers époux. Les autres ne sauraient y pénétrer, mais vous, vous le pouvez. Essayez de vous rappeler le moment où vous avez senti qu'à votre affection répondait un autre amour pleinement : ne vous semble-t-il pas que depuis cet instant jusqu'au oui que vous alliez ensemble prononcer à l'autel, vous avanciez d'heure en heure, à pas comptés, l'âme tourmentée par l'espérance et la fièvre de vos attentes ? Maintenant cette espérance n'est plus une « fleur en herbe », mais une rose épanouie et votre attente se porte vers d'autres joies. Votre rêve d'alors se serait-il évanoui ? Non, il est devenu réalité. Quel est donc ce qui l'a transformé devant l'autel en la réalité de votre union ? L'amour, qui, loin de disparaître, a persévéré ; l'amour, qui a trouvé plus de force, plus de fermeté, et qui dans sa vigueur vous a fait pousser ce cri : « Notre amour doit rester inchangé, intact, inviolable, à tout jamais ! L'affection conjugale a ses aubes et ses aurores ; il faut qu'elle ne connaisse ni déclin ni automne, ni journées tristes et grises, car l'amour veut garder sa jeunesse et rester inébranlable dans le souffle de la tempête. » Vous conférez par là à votre amour nuptial, sans vous en rendre compte, par une jalousie sacrée, allions-Nous dire, cette marque que l'apôtre Paul assignait à la charité en un hymne de louanges : Caritas nunquam excidit, « la charité ne passe jamais » (1Co 13,8). Le pur et véritable amour conjugal est un limpide ruisseau qui, sous l'impétueuse poussée de la nature, jaillit de l'infrangible roche de la fidélité, s'écoule tranquille parmi les fleurs et les ronces de la vie et va se perdre au fond de la tombe. L'indissolubilité est donc l'assouvissement d'une aspiration du coeur pur et intègre, d'une aspiration de « l'âme naturellement chrétienne », et elle ne disparaît qu'avec la mort. Dans la vie future, il n'y aura pas d'épousailles et les hommes vivront au ciel comme les anges de Dieu : In resurrectione neque nubent, neque nubentur, sed erunt sicut angeli dei in caelo (Mt 22,30). Mais si l'amour conjugal comme tel, en sa nature propre, finit lorsque cesse le but qui le déter-

mine et l'oriente ici-bas, toutefois, en tant qu'il a battu dans le coeur des époux et qu'il les a étreints dans ce plus grand lien d'amour qui unit les âmes à Dieu et entre elles, cet amour reste dans l'autre vie, ainsi que demeurent les âmes elles-mêmes au fond desquelles il aura habité ici-bas.

... et à la nécessité de sauvegarder la dignité humaine.

Mais c'est encore pour une autre raison que la nature réclame l'indissolubilité du mariage : c'est qu'elle en a besoin pour protéger la dignité de la personne humaine. La vie de communauté conjugale est une institution divine dont les racines plongent dans la nature humaine ; elle réalise l'union de deux êtres que Dieu a formés à son image et à sa ressemblance et qu'il appelle à continuer son oeuvre par la conservation et la propagation du genre humain. Cette vie apparaît jusque dans ses expressions les plus intimes comme une chose extrêmement délicate : elle rend les âmes heureuses, elle les sanctifie, lorsqu'elle s'élève au-dessus des choses sensibles sur l'aile d'une donation simultanée, désintéressée et spirituelle des époux l'un à l'autre, par la volonté consciente, enracinée dans les profondeurs de l'un et l'autre, d'appartenance totale de l'un à l'autre, de mutuelle fidélité dans tous les événements de la vie, dans la joie et dans la tristesse, dans la santé et dans la maladie, dans les jeunes années et dans la vieillesse, sans limite et sans condition, jusqu'à ce qu'il plaise à Dieu de les appeler à lui dans l'éternité. Cette conscience, cette volonté bien arrêtée, rehausse la dignité humaine, rehausse le mariage, rehausse la nature, qui se voit respectée, elle et ses lois ; l'Eglise se réjouit de voir resplendir en une telle communauté conjugale l'aurore du premier ordre familial établi par le Créateur et le midi de sa divine restauration dans le Christ. Otez cette conscience, cette volonté bien arrêtée, la vie conjugale courra le danger de glisser dans la fange d'appétits égoïstes qui ne cherchent rien d'autre que leurs propres satisfactions et qui ne se soucient ni de la dignité personnelle ni de l'honneur du conjoint.

le régime du divorce bafoue la dignité des époux

Jetez un regard sur les pays qui ont admis le divorce et demandez-vous : le monde y a-t-il bien souvent la claire conscience que la dignité de la femme y est outragée et blessée, bafouée et en décomposition, ensevelie, faudrait-il dire, dans l'avilissement et l'abandon ?

Que de larmes secrètes ont baigné le seuil de certaines portes, de certaines chambres ! Que de gémissements, que de supplications, que d'appels désespérés lors de certaines rencontres, par certains chemins ou sentiers, à certains angles de rue, à certains passages déserts ! Non, la dignité personnelle du mari et de la femme, mais surtout de la femme, n'a pas de plus solide rempart que l'indissolubilité du mariage. C'est une funeste erreur de croire qu'on puisse maintenir, protéger et promouvoir la digne noblesse de la femme et sa culture féminine sans en prendre pour fondement le mariage un et indissoluble. Si, par fidélité à la mission qu'elle a reçue de son divin Fondateur, l'Eglise a toujours affirmé et répandu à travers le monde, dans un gigantesque et intrépide déploiement de saintes et indomptables énergies, le mariage indissoluble, rendez-lui gloire d'avoir ainsi hautement contribué à la défense des droits de l'esprit contre les impulsions des sens dans la vie matrimoniale, d'avoir sauvegardé avec la dignité des noces la dignité de la femme, non moins que celle de la personne humaine.

... et dissout la vie et le bonheur de la communauté conjugale et familiale.

Lorsqu'il manque à la volonté la ferme et profonde résolution de fidélité perpétuelle et inviolable au lien conjugal, le père, la mère et les enfants voient vaciller et se perdre cette conscience d'un avenir tranquille et sûr, ce sentiment précieux et bienfaisant de confiance réciproque absolue, ce lien d'étroite et immuable communauté intérieure et extérieure qu'aucun événement ne saurait menacer, cette terre où plonge et s'alimente une puissante et indispensable racine du bonheur familial.

Pourquoi, demanderez-vous peut-être, étendre ces conséquences jusqu'aux enfants ? Parce qu'ils reçoivent de leurs parents trois biens précieux : l'existence, la nourriture et l'éducation2 et qu'ils ont besoin pour leur développement normal d'une atmosphère de joie ; or, la sérénité de la jeunesse, l'équilibre de la formation et de l'instruction ne se conçoivent pas tant qu'il peut subsister un doute sur la fidélité des parents. Les enfants ne renforcent-ils point le lien de l'amour conjugal ? Mais la rupture de ce lien devient une cruauté à leur égard : c'est méconnaître leur sang, avilir leur nom et couvrir leur front de honte ; c'est diviser leur coeur, leur enlever leurs petits frères et le toit domestique ; c'est empoisonner le bonheur de leur jeunesse et c'est leur donner, chose grave entre toutes pour leur esprit, un scandale moral. Que de blessures dans l'âme de millions d'enfants ! Et souvent quelles tristes et lamentables ruines ! Que d'implacables remords, quels déchirements dans les consciences ! Les hommes sains d'esprit, moralement purs, joyeux et contents, les hommes intègres de caractère et de vie, en qui l'Eglise et la Cité mettent leurs espérances, ne sortent pas pour l'ordinaire de foyers troublés par la dissension et par l'inconstance de l'amour, mais de familles où régnent, profonde, la crainte de Dieu et, inviolable, la fidélité conjugale. Si vous recherchez aujourd'hui les vraies causes de l'affaissement des moeurs, l'origine du poison qui travaille à corrompre une part importante de la famille humaine, vous ne tarderez pas à en découvrir une des sources les plus fatales et les plus coupables dans la législation et la pratique du divorce. Les oeuvres et les lois de Dieu exercent toujours une heureuse et puissante action ; mais quand la légèreté ou la malice des hommes interviennent, elles y apportent le trouble et le désordre, et alors les bienfaisants effets cèdent la place à une somme incalculable de maux, comme si la nature elle-même se révoltait, indignée, contre l'oeuvre des hommes. Et parmi les institutions et les lois de Dieu, qui donc oserait nier ou contester qu'il y ait l'indissolubilité du mariage, cette colonne de la famille, de la grandeur nationale, de la patrie ? Car c'est bien dans le courage de ses hardis garçons que la patrie trouvera toujours le rempart et l'instrument de sa prospérité.

Pour vous, chers jeunes mariés, remerciez Dieu d'appartenir à une famille sans tache où vous avez eu la faveur de vivre dans l'affection de parents craignant Dieu et de parvenir à votre pleine maturité chrétienne et catholique. En un temps si enclin à une excessive liberté à l'égard des lois divines, mettez votre honneur et votre gloire à développer, à réaliser et à professer la haute conception du mariage tel que le Christ l'a établi. Elevez dans vos prières communes de chaque jour vos coeurs vers Dieu et demandez-lui qu'après avoir bien voulu vous accorder un bon départ, il daigne, dans la puissante efficacité de sa grâce, vous conduire heureusement au terme. C'est avec ce voeu et en gage des plus exquises faveurs du ciel que Nous vous accordons de coeur Notre paternelle Bénédiction apostolique.

2 Summa Theol., Suppl., q. 41, a. 1.


LETTRE APOSTOLIQUE DÉCLARANT NOTRE-DAME DE URIBARRI PATRONNE DE LA VILLE DE DURANGO

(Ie' mai 1942) 1

Une image de la Bienheureuse Vierge Marie, conservée selon la tradition depuis le Xe siècle dans le très ancien château des ducs de Cantabrie et transférée au cours du moyen âge dans la petite chapelle que la piété des habitants de la région avait construite près du château, est très religieusement honorée sous le titre populaire d'Uribarri dans l'église de l'archiprétré de Durango au diocèse de Vittoria. Plus tard, afin de remplacer l'ancien édifice devenu trop petit pour contenir le nombre des fidèles qui y venaient en foule implorer le secours de la Vierge miraculeuse, les habitants et le conseil municipal de la ville firent construire la chapelle actuelle qui, durant la guerre d'Espagne, fut ruinée et brûlée. Les habitants de Durango voulurent la reconstruire sans délai et la compléter avec magnificence, de sorte qu'aujourd'hui comme autrefois les fidèles peuvent visiter et vénérer la vénérable image de la Bienheureuse Vierge de Uribarri restaurée dans son éclat de naguère. Il est de fait que la dévotion à l'égard de la Vierge des chrétiens originaires de la ville qui y résident ou de ceux qui sont en Amérique s'est tellement accrue qu'il n'est pas un enfant de Durango qui ne lui témoigne un respect et un culte particuliers et ne l'invoque comme sa puissante protectrice auprès de Dieu. C'est pourquoi Notre Vénérable Frère l'évêque titulaire de Siandum, administrateur apostolique du diocèse de Vittoria, Nous ayant instamment demandé, tant en son nom propre qu'au nom du clergé et des fidèles de Durango et de tout l'archiprétré, de daigner proclamer la Bienheureuse Vierge de Uribarri patronne spéciale de cette ville auprès de Dieu, Nous estimons devoir agréer avec plaisir cette demande afin de favoriser et d'augmenter de plus en plus la vénération du peuple et sa piété envers la Mère de Dieu honorée sous ce titre.

Ayant consulté Notre Vénérable Frère le cardinal de la Sainte Eglise romaine, évêque de Palestrina, préfet de la Sacrée Congrégation des Rites, de science certaine, après mûre délibération et dans la plénitude de Notre pouvoir apostolique, Nous déclarons et proclamons selon la teneur des présentes lettres et à titre perpétuel la Bienheureuse Vierge Marie dite de Uribarri patronne principale auprès de Dieu de la ville de Durango et de son archiprêtré, en y attachant tous les privilèges et honneurs liturgiques dont jouissent les principaux patrons célestes des lieux ; Nous décrétons en même temps que sa fête patronale sera célébrée à perpétuité chaque année le 15 août. En outre, ledit administrateur du diocèse de Vittoria Nous ayant demandé en son nom et au nom du clergé, des magistrats et du peuple de Durango, d'autoriser que cette même image soit couronnée en Notre nom, Nous accédons volontiers à cette demande et profitant de cette très belle occasion, par cette lettre et par Notre autorité apostolique, Nous déléguons à Notre Vénérable Frère l'évê-que de Siandum, administrateur apostolique du diocèse de Vittoria, le pouvoir de couronner solennellement d'un diadème d'or, en Notre nom et par Notre autorité, l'image de la Bienheureuse Vierge Marie de Uribarri, conservée dans l'église de l'archipresbytéral de Durango, soit par lui-même soit par un prêtre constitué en dignité au jour désigné par lui, après la messe solennelle et selon le rite et la formule prescrite. Nonobstant toutes choses contraires...


ALLOCUTION AU NOUVEL AMBASSADEUR DE BOLIVIE

(4 mai 1942) 1

En réponse à l'adresse du nouvel ambassadeur de Bolivie, S. Exc. M. Bailon Mercado, venu lui présenter ses lettres de créance, le Souverain Pontife a prononcé l'allocution suivante :

Vous auriez trouvé difficilement, Monsieur l'ambassadeur, un plus heureux prélude à votre mission et à votre discours que la demande que vous Nous avez adressée.

Vous Nous avez demandé une bénédiction pour la catholique Bolivie et pour ses gouvernants dont le zèle, en particulier en ce qui concerne l'instruction religieuse de la jeunesse, Nous est déjà bien connu. Nous sommes justement très heureux de vous confier l'agréable mission de transmettre Notre Bénédiction et Notre paternelle affection à votre chère Bolivie. Nous sommes bien sûr aussi qu'après avoir inauguré ainsi vos hautes fonctions, toutes vos autres activités qui suivront seront autant de nouveaux motifs pour que le ciel et Nous-même bénissions votre pays qui Nous est si cher. Soyez bien assuré que dans l'accomplissement de votre éminente charge vous trouverez toujours en Nous l'accueil bienveillant que méritent les sentiments si nobles que vous Nous avez exprimés.

Veuillez donc transmettre Notre bénédiction au gouvernement et au bon peuple bolivien qui a le privilège de vivre sous le manteau protecteur de Notre-Dame de la Paz, la douce Souveraine qui a voulu unir son nom à celui de votre belle capitale. A ce bon peuple qui a vénéré, tout au long de son histoire, et continue à vénérer la célèbre Vierge de Copacabana de qui on peut dire que « celui qui la possède trouve par son intercession tranquillité, biens, paix,

1 D'après le texte espagnol de Discorsi e Radiomessaggi, t. IV, p. 61.

santé, remèdes » et à laquelle notre Rome a dédié un autel depuis des temps déjà lointains.

Nous souhaitons que pendant ce mois de mai, des terres boliviennes montent vers le trône de la Vierge bénie, des prières plus nombreuses, plus ferventes, plus pressantes, afin que notre pauvre humanité dans l'angoisse, selon les paroles de Votre Excellence, trouve bientôt la paix en Notre-Seigneur Jésus-Christ par l'intercession de Notre-Dame.

C'est avec cet encourageant augure que Nous implorons d'abondantes grâces du ciel pour S. Exc. M. le président de la République, pour les membres de son gouvernement et pour Votre Excellence qui le représente si dignement.

LETTRE AU R. P. WLADIMIR LEDOCHOWSKI, PRÉPOSÉ GÉNÉRAL DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS, POUR LE 50e ANNIVERSAIRE DU SÉMINAIRE PONTIFICAL DE COMILLAS (5 mai 1942)

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La fondation d'un séminaire destiné aux jeunes gens pauvres d'Espagne et des pays de langue espagnole d'Amérique du Sud est due au R. P. Thomas Gomez, S. ]., qui y intéressa le marquis de Comillas, un grand d'Espagne.

Cinquante ans se sont écoulés depuis que, grâce à la donation très généreuse d'une très noble famille, Notre prédécesseur d'heureuse mémoire, Léon XIII, a fondé le Séminaire pontifical de Comillas. Assurément, non seulement les séminaristes qui y reçoivent une formation soignée, non seulement la célèbre Compagnie de Jésus, à la direction sage et prudente de laquelle ce centre d'études a été confié, mais aussi les évêques d'Espagne et tout le peuple espagnol, commémorant cet heureux événement, doivent à Dieu d'immortelles actions de grâces pour les nombreux et si grands bienfaits produits par ce séminaire. En effet, au cours de ces cinquante années, la marche paisible de la vie de cet institut a été parfois, à cause de la situation critique et des difficultés nombreuses, soit retardée, soit comme interrompue, surtout à la suite du très grave bouleversement qui, il y a peu d'années, jeta la très noble nation espagnole dans la guerre civile. Mais, malgré cela, l'étude des lettres et des sciences sacrées, en même temps que la pratique assidue de la vertu, furent si florissantes et si fortes -dans les esprits des élèves que de l'Université de Comillas sont sorties des légions de prêtres distingués qui, soit dans leur diocèse, soit à l'étranger, ont rempli avec un succès complet les charges qui leur furent confiées. Certains de ces prêtres se recommandèrent si fort dans l'accomplissement des fonctions sacerdotales, par leur vertu, leur science, leur prudence dans la conduite des affaires, qu'on les jugea dignes d'être élevés à la dignité episcopale et parfois également d'être revêtus de la majesté de la pourpre romaine et de devenir membres du Sacré Collège de l'Eglise. Il y en eut qui, traités d'une façon injuste et en ennemis par les persécuteurs de la religion catholique, supportèrent la persécution avec un courage invincible ; se donnant en exemple aux fidèles, ils gardèrent mordicus la foi chrétienne, défendirent d'une façon si intrépide les droits de l'Eglise catholique qu'ils versèrent leur sang plutôt que de trahir ou d'abandonner la très sainte cause qu'ils avaient embrassée. Si les élèves et les directeurs de ce séminaire pontifical se rappellent et pèsent toutes ces choses avec une âme reconnaissante envers Dieu, ils puiseront certainement dans la célébration de cet anniversaire non seulement un motif de joie surnaturelle, mais ils y prendront aussi de joyeux et heureux augures capables d'animer et d'exciter leur courage pour entreprendre de plus grandes choses pour la plus grande gloire de Dieu.

Qu'ils s'appliquent avec une volonté diligente et une étude attentive à enseigner et à apprendre d'une façon convenable toutes les sciences sacrées, à repousser et à détruire les erreurs de tout genre qui, chaque jour, reparaissent sous les apparences de la vérité, enfin, à prendre la défense, selon leurs forces, des droits sacro-saints de l'Eglise. Et, puisque l'Université de Comillas est de nom, et en fait, une université pontificale, tous, par conséquent, doivent regarder comme leur étant spécialement imposé le devoir d'accepter avec un esprit soumis et obéissant tout ce que le Siège apostolique enseigne, conseille, ordonne au sujet de la foi et des moeurs et, de plus, de l'expliquer et de la transmettre aux autres de la façon la plus adaptée qui soit possible.

S'il est absolument indispensable que les séminaristes possèdent, et à un degré eminent, une doctrine saine et orthodoxe, il est encore plus nécessaire qu'ils soient revêtus d'une sainteté et d'une vertu éclatantes ; si elles font défaut, la science enfle, mais n'édifie pas. Aussi, bien que Nous sachions pertinemment — et cela Nous est une grande consolation — que les étudiants de l'Université de Comillas travaillent avec ardeur et font effort pour réaliser l'une et l'autre

chose, Nous désirons cependant les exhorter paternellement, non seulement à se former sous la direction et les sages enseignements de leurs maîtres à une connaissance chaque jour plus profonde de la doctrine, à remplir les fonctions sacrées, mais par-dessus tout à s'entraîner à la vertu et, avant tout, à la piété par une pratique si empressée qu'ils paraissent non pas tant être formés à la vertu que l'avoir reçue en naissant et être nés avec elle. De cette façon il arrivera sûrement que les évêques qui, un jour, les recevront dans leur diocèse, sentiront que, par le concours actif que leur donneront ces prêtres, leur charge pastorale est beaucoup plus facile à exercer et porte des fruits plus féconds.

Maintenant, chers fils, avant de terminer cette lettre, saisissant cette occasion opportune, il Nous est agréable de confirmer, en vertu de Notre autorité apostolique, tous les droits et privilèges que Nos prédécesseurs — et nommément Léon XIII par la lettre apostolique Sempiternam dominici gregis, du 16 décembre 1890 — ont accordés au Séminaire et à l'Université de Comillas.

En attendant, Nous accordons très affectueusement dans le Seigneur la Bénédiction apostolique, gage des bienfaits célestes et témoignage de Notre particulière bienveillance, soit à vous, cher fils, soit à tous et à chacun des directeurs et des élèves du Séminaire de Comillas.



Pie XII 1942 - DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX (22 avril 1942)