Pie XII 1943 - I. — RECOURS AUX TEXTES ORIGINAUX


— LES TACHES PARTICULIÈRES DES EXÉGÈTES DE NOS JOURS

Etat actuel de l'exégèse

En outre, Nous avons de bonnes et justes raisons d'espérer que notre temps lui aussi apportera sa contribution à une interprétation

plus approfondie et plus exacte des Saintes Lettres. Car bien des points, en particulier parmi ceux qui touchent à l'histoire, ont été à peine ou insuffisamment expliqués par les commentateurs des siècles écoulés, parce qu'il leur manquait presque toutes les connaissances nécessaires pour mieux les élucider. Combien certains points ont été pour les Pères eux-mêmes difficiles et comme impénétrables, Nous le voyons, pour ne rien dire d'autre, aux efforts réitérés de beaucoup d'entre eux pour interpréter les premiers chapitres de la Genèse, comme aux divers essais tentés par saint Jérôme pour traduire les psaumes de façon à mettre clairement en lumière leur sens littéral, c'est-à-dire celui que les mots mêmes expriment. Il y a enfin d'autres livres ou textes sacrés dont les difficultés n'ont été découvertes qu'à l'époque moderne, après qu'une meilleure connaissance de l'antiquité eût soulevé des questions nouvelles, faisant pénétrer d'une manière plus appropriée dans le vif du sujet. C'est donc à tort que certains, ne connaissant pas exactement les conditions actuelles de la science biblique, prétendent que l'exégète catholique contemporain ne peut rien ajouter à ce qu'a produit l'antiquité chrétienne, alors qu'au contraire notre temps a mis en évidence tant de questions qui, en exigeant de nouvelles recherches et de nouveaux contrôles, stimulent grandement l'activité studieuse des exégètes modernes.

Il faut tenir compte du caractère de l'hagiograpbe

Notre âge, en vérité, qui soulève de nouvelles questions et accumule de nouvelles difficultés, fournit aussi à l'exégète, grâce à Dieu, de nouvelles ressources et de nouveaux appuis. Sous ce rapport, il paraît juste de faire une mention particulière de ce fait que les théologiens catholiques, en suivant la doctrine des saints Pères, surtout celle du Docteur angélique et universel (saint Thomas d'Aquin), ont étudié et exposé la nature et les effets de l'inspiration biblique d'une façon plus appropriée et plus parfaite qu'on avait coutume de le faire dans les siècles passés.

Partant, dans leurs recherches, du principe que l'hagiographe, en rédigeant le Livre Saint, est l'organe (dpfavov) ou l'instrument de l'Esprit-Saint, mais un instrument vivant et doué de raison, ils remarquent à juste titre que, conduit par la motion divine, il use cependant de ses facultés et de ses talents, de telle manière que l'on peut facilement saisir, dans le livre composé par lui, « son caractère particulier et, pour ainsi dire, ses traits et linéaments personnels » 27. L'exégète doit donc s'efforcer, avec le plus grand soin, sans rien négliger des lumières fournies par les recherches modernes, de discerner quel fut le caractère particulier de l'écrivain sacré et ses conditions de vie, l'époque à laquelle il a vécu, les sources écrites ou orales qu'il a employées, enfin sa manière d'écrire. Ainsi pourra-t-il bien mieux connaître qui a été l'hagiographe et ce qu'il a voulu exprimer en écrivant. Il n'échappe, en effet, à personne, que la loi suprême de l'interprétation est d'examiner attentivement et de définir ce que l'écrivain a voulu dire, comme nous en avertit admirablement saint Athanase : « Ici, ainsi qu'il convient de faire dans tous les autres passages de la Sainte Ecriture, il faut observer à quelle occasion l'Apôtre a parlé, remarquer avec soin et impartialité à qui et pourquoi il a écrit, de peur qu'en ignorant ces circonstances ou les comprenant autrement, on ne s'écarte du véritable sens » 28.

Importance du genre littéraire, surtout en histoire

Or, dans les paroles et les écrits des anciens auteurs orientaux, souvent le sens littéral n'apparaît pas avec autant d'évidence que chez les écrivains de notre temps ; ce qu'ils ont voulu signifier par leurs paroles ne peut pas se déterminer par les seules lois de la grammaire ou de la philologie, non plus que par le seul contexte. Il faut absolument que l'exégète remonte en quelque sorte par la pensée jusqu'à ces siècles reculés de l'Orient, afin que s'aidant des ressources de l'histoire, de l'archéologie, de l'ethnologie et des autres sciences, il discerne et reconnaisse quels genres littéraires les auteurs de cet âge éloigné ont voulu employer et ont réellement employés. Les anciens Orientaux, en effet, pour exprimer ce qu'ils avaient dans l'esprit, n'ont pas toujours usé des formes et des manières de dire dont nous usons aujourd'hui, mais bien plutôt de celles dont l'usage était reçu par les hommes de leur temps et de leur pays. L'exégète ne peut pas déterminer a priori ce qu'elles furent ; il ne le peut que par une étude attentive des littératures anciennes de l'Orient. Or, dans ces dernières dizaines d'années, ces recherches, poursuivies avec plus de soin et de diligence qu'autrefois, ont révélé plus clairement les formes de langage employées dans ces temps anciens, soit dans les compositions poétiques, soit dans l'énoncé des lois et des normes de vie, soit enfin dans le récit des faits et des événements de l'histoire.

Cette même étude a déjà prouvé clairement que le peuple d'Israël l'a emporté singulièrement sur les autres nations anciennes de l'Orient dans la manière d'écrire correctement l'histoire, tant pour l'ancienneté que pour la fidèle relation des événements ; prérogative qui est due, sans doute, au charisme de l'inspiration divine et au but particulier, d'ordre religieux, de l'histoire biblique.

Néanmoins, quiconque possède un juste concept de l'inspiration biblique, ne s'étonnera pas de trouver chez les écrivains sacrés, comme chez tous les anciens, certaines façons d'exposer et de raconter, certains idiotismes propres aux langues sémitiques, ce qu'on appelle des approximations, certaines manières hyperboliques de parler, voire même parfois des paradoxes destinés à imprimer plus fermement les choses dans l'esprit. En effet, des façons de parler dont le langage humain avait coutume d'user pour exprimer la pensée chez les peuples anciens, en particulier chez les Orientaux, aucune n'est exclue des Livres Saints, pourvu toutefois que le genre employé ne répugne en rien à la sainteté ni à la vérité de Dieu ; c'est ce que déjà le Docteur angélique a remarqué dans sa sagacité, lorsqu'il dit : « Dans l'Ecriture, les choses divines nous sont transmises selon le mode dont les hommes ont coutume d'user. » 29.

De même que le Verbe substantiel de Dieu s'est fait en tout semblable aux hommes «hormis le péché» (He 4,15), ainsi les paroles de Dieu, exprimées en langue humaine, sont semblables en tout au langage humain, l'erreur exceptée. C'est là la aofxatd^aatç, ou condescendance de la divine Providence, que saint Jean Chrysos-tome a magnifiquement exaltée, affirmant à plusieurs reprises qu'elle se trouve dans les Livres Saints30.

Ainsi donc, pour bien répondre aux besoins actuels des études bibliques, l'exégète catholique, en expliquant l'Ecriture Sainte, en prouvant et défendant son absolue inerrance, doit user prudemment de cette ressource ; qu'il recherche comment la manière de parier ou le genre littéraire, employé par l'écrivain sacré, peut conduire à la vraie et exacte interprétation. Qu'il se persuade qu'il ne peut négliger cette partie de sa tâche sans grand détriment pour l'exégèse catholique. Souvent, en effet — pour Nous en tenir là — lorsque certains se plaisent à objecter que les auteurs sacrés se sont écartés de la vérité historique ou qu'ils ont rapporté quelque chose avec peu d'exactitude, on constate qu'il s'agit seulement de manières de parler ou de raconter habituelles aux anciens, dont les hommes usaient couramment dans leurs relations mutuelles et qu'on employait en fait licitement et communément. L'équité requiert donc, lorsqu'on rencontre ces expressions dans la parole de Dieu qui s'exprime au profit des hommes en termes humains, qu'on ne les taxe pas plus d'erreur que lorsqu'on les rencontre dans l'usage quotidien de la vie. Grâce à la connaissance et à la juste appréciation des façons usuelles de parler et d'écrire des anciens, bien des objections, soulevées contre la vérité et la valeur historique des Saintes Lettres, pourront être résolues. En outre, cette étude conduira d'une façon non moins appropriée à la découverte plus complète et plus lumineuse de la pensée de l'auteur sacré.

L'étude des antiquités bibliques doit être encouragée

Ceux donc qui, parmi nous, s'adonnent aux études bibliques, doivent soigneusement faire attention à ce point et ne rien négliger de ce qu'ont apporté de nouveau l'archéologie, l'histoire de l'antiquité et la science des littératures anciennes. Ils ne doivent rien négliger de ce qui est apte à faire mieux connaître la mentalité des écrivains anciens, leur manière de raisonner, de raconter et d'écrire, leur genre et leur technique. En cet ordre de choses, les laïques catholiques, qu'ils le remarquent bien, ne rendront pas seulement service aux sciences profanes, mais ils auront aussi très bien mérité de la cause chrétienne, s'ils se livrent avec toute l'application et tout le zèle possibles à la recherche et à l'étude des oeuvres de l'antiquité et s'ils contribuent, dans la mesure de leurs forces, à débrouiller les questions de ce genre, demeurées jusqu'ici moins clairement connues. Toute connaissance humaine, en effet, même profane, possède une dignité et une excellence quasi innées, en tant qu'elle est une participation de la connaissance infinie de Dieu ; mais elle acquiert une nouvelle et plus haute dignité, et comme une consécration, quand elle s'emploie à mettre les choses divines en une plus vive lumière.

— MANIÈRE DE TRAITER LES QUESTIONS LES PLUS DIFFICILES Difficultés heureusement résolues par les études récentes

Ces investigations progressives dans le domaine de l'antiquité orientale, dont Nous avons parié plus haut, l'étude plus approfondie des textes originaux, comme aussi une connaissance plus étendue et plus minutieuse des langues bibliques et orientales en général, ont eu un heureux résultat, avec l'aide de Dieu ; en effet, maintes questions soulevées au temps de Notre prédécesseur d'immortelle mémoire, Léon XIII, par des critiques étrangers ou même opposés à l'Eglise, contre l'authenticité des Livres sacrés, leur antiquité, intégrité et vérité historique, ne présentent plus de difficultés aujourd'hui et sont résolues.

Les exégètes catholiques, usant correctement de ces mêmes armes d'ordre scientifique dont abusaient trop souvent nos adversaires, ont proposé des interprétations qui, tout en s'acoordant avec la doctrine catholique et l'enseignement de la tradition, paraissent en même temps répondre aux difficultés soulevées par les nouvelles explorations et les nouvelles découvertes, ou à celles dont l'antiquité a laissé à notre temps la solution. D'où il est résulté que la confiance dans l'autorité de la Bible et dans sa valeur historique, ébranlée jusqu'à un certain point chez quelques-uns par tant d'attaques, est aujourd'hui complètement rétablie chez les catholiques ; bien plus, il ne manque pas d'écrivains même non catholiques qui, grâce à des recherches entreprises avec calme et sans préjugés, ont été amenés à rejeter les opinions des modernes et à revenir, au moins sur tel ou tel point, aux positions plus anciennes. Ce changement est dû, en grande partie, au labeur infatigable par lequel les commentateurs catholiques des Saintes Lettres, sans se laisser effrayer par les difficultés et les obstacles de tout genre, se sont employés de toutes leurs forces à utiliser tout ce que les recherches actuelles des savants, soit en archéologie, soit en histoire ou en philologie, ont apporté pour résoudre les questions nouvelles.

Difficultés non encore résolues ou insolubles

Personne, toutefois, ne doit s'étonner qu'on n'ait pas encore tiré au clair ni résolu toutes les difficultés et qu'il y ait encore aujourd'hui de graves problèmes qui préoccupent sérieusement les exégètes catholiques. Il ne faut pas, pour autant, perdre courage ni oublier que dans les sciences humaines il ne peut en être autrement que dans la nature, où ce qui commence croît peu à peu et où les fruits ne se recueillent qu'après de longs travaux. C'est ainsi que des controverses, laissées sans solution et en suspens dans les temps passés, ont été enfin heureusement tranchées en notre temps, grâce au progrès des études. On peut donc espérer que sur celles-là aussi, qui aujourd'hui paraissent les plus compliquées et les plus ardues, se fera enfin un jour, grâce à un effort constant, la pleine lumière.

Que si une solution désirée tarde longtemps et ne nous sourit pas à nous, mais que peut-être une heureuse issue de ces débats ne doive être obtenue que par nos successeurs, personne ne doit le trouver mauvais ; car il est juste que s'applique aussi à nous l'avis donné par les Pères pour leurs temps, et en particulier par saint Augustin 31 : que Dieu a parsemé à dessein de difficultés les Livres Saints qu'il a inspirés lui-même, afin de nous exciter à les lire et à les scruter avec d'autant plus d'attention et pour nous exercer à l'humilité par la constatation salutaire de la capacité limitée de notre intelligence. Il n'y aurait donc rien d'étonnant si l'une ou l'autre question devait rester toujours sans réponse absolument adéquate, puisqu'il s'agit parfois des choses obscures, trop éloignées de notre temps et de notre expérience, et puisque l'exégèse, elle aussi, comme toutes les sciences et les plus importantes, peut avoir ses secrets, impénétrables pour nos intelligences et qu'aucun effort humain ne peut percer.

Des solutions positives doivent être cherchées

Même dans ces conditions, cependant, l'exégète catholique, poussé par un amour actif et courageux de sa science, sincèrement dévoué à notre Mère la Sainte Eglise, ne doit, en aucune façon, s'interdire d'aborder, et à plusieurs reprises, les questions difficiles qui n'ont pas été résolues jusqu'ici, non seulement pour repousser les objections des adversaires, mais encore pour tenter de trouver une solide explication, en accord parfait avec la doctrine de l'Eglise, spécialement avec celle de l'inerrance biblique, et capable en même temps de satisfaire pleinement aux conclusions certaines des sciences profanes.

Les efforts de ces vaillants ouvriers dans la vigne du Seigneur méritent d'être jugés non seulement avec équité et justice, mais encore avec une parfaite charité ; que tous les autres fils de l'Eglise s'en souviennent. Ceux-ci doivent avoir en mésestime ce zèle tout autre que prudent, qui croit devoir combattre ou tenir en suspicion tout ce qui est nouveau. Qu'ils n'oublient pas avant tout que, dans les règles et les lois portées par l'Eglise, il s'agit de la doctrine concernant la foi et les moeurs, tandis que dans l'immense matière contenue dans les Livres Saints, livres de la Loi ou livres historiques, sapientiaux et prophétiques, il y a bien peu de textes dont le sens ait été défini par l'autorité de l'Eglise, et il n'y en a pas davantage sur lesquels existe le consentement unanime des Pères. Il reste donc beaucoup de points, et d'aucuns très importants, dans la discussion et l'explication desquels la pénétration d'esprit et le talent des exégètes catholiques peuvent et doivent s'exercer librement, afin que chacun contribue pour sa part et d'après ses moyens à l'utilité commune, au progrès croissant de la doctrine sacrée, à la défense et à l'honneur de l'Eglise. Cette vraie liberté des enfants de Dieu qui, gardant fidèlement la doctrine de l'Eglise, accueille avec reconnaissance, comme un don de Dieu, et met à profit tout l'apport de la science profane ; cette liberté, secondée et soutenue par la confiance de tous, est la condition et la source de tout réel succès et de tout solide progrès dans la science catholique, comme nous en avertit excellemment Notre prédécesseur d'heureuse mémoire, Léon XIII, lorsqu'il dit : « Si l'on ne sauvegarde pas l'accord des esprits et le respect des principes, il n'y aura pas à espérer qu'une multitude de travaux variés fasse réaliser à cette science de notables progrès » 32.


V. — L'USAGE DE L'ÉCRITURE SAINTE DANS L'INSTRUCTION

DES FIDÈLES

Différentes manières d'utiliser l'Ecriture Sainte dans le ministère sacré

Considérant les immenses efforts entrepris par l'exégèse catholique pendant près de deux mille ans, pour comprendre toujours plus profondément et plus parfaitement la parole divine communiquée aux hommes par les Saintes Lettres et pour l'aimer plus ardemment, on se persuadera aisément que c'est un grave devoir pour les fidèles, et en particulier pour les prêtres, d'user abondamment et saintement de ce trésor rassemblé pendant tant de siècles par les génies les plus élevés. Les Livres Saints, en effet, Dieu ne les a pas confiés aux hommes pour satisfaire leur curiosité ou leur fournir des sujets d'étude et de recherche, mais, comme le remarque l'Apôtre, pour que ces divines paroles puissent nous « donner la sagesse qui conduit au salut par la foi en Jésus-Christ », et « en vue de rendre l'homme de Dieu parfait, apte à toute bonne oeuvre » (cf. 2Tm 3, 15, 17). Que les prêtres donc, à qui est confié le soin de procurer aux fidèles le salut éternel, après avoir scruté par une étude sérieuse les pages sacrées et se les être assimilées dans la prière et la méditation, aient à coeur de répandre les célestes richesses de la parole divine dans leurs sermons, leurs homélies, leurs exhortations ; qu'ils confirment la doctrine chrétienne par des maximes tirées des Livres Saints ; qu'ils l'illustrent par les merveilleux exemples de l'Histoire Sainte, et nommément par ceux de l'Evangile du Christ, Notre-Seigneur. Evitant avec un soin attentif les interprétations accommodatrices introduites par la fantaisie personnelle ou que l'on va chercher trop loin et qui sont non un usage, mais un abus de la parole divine, qu'ils exposent celle-ci avec tant d'éloquence, de netteté et de clarté, que les fidèles ne soient pas seulement mus et portés à y conformer exactement leur vie, mais encore conçoivent une souveraine vénération pour les Saintes Ecritures.

Cette vénération, les évêques s'attacheront à l'accroître toujours davantage et à la perfectionner chez les fidèles qui leur sont confiés, en encourageant toutes les initiatives entreprises par des apôtres zélés, dans le but louable de faire naître et d'entretenir, parmi les catholiques, la connaissance et l'amour des Livres Saints. Qu'ils favorisent donc et qu'ils soutiennent ces pieuses associations, qui se proposent de répandre parmi les fidèles des exemplaires imprimés des Saintes Lettres, surtout des Evangiles, et qui veillent à ce que la pieuse lecture s'en fasse tous les jours dans les familles chrétiennes ; qu'ils recommandent d'une manière efficace, par la parole et par leurs actes, là où les lois liturgiques le permettent, les traductions de l'Ecriture Sainte, en langue vulgaire, approuvées par l'autorité ecclésiastique ; qu'ils donnent eux-mêmes ou fassent donner par des orateurs sacrés particulièrement compétents des leçons ou conférences publiques sur des questions bibliques. Que tous les ministres du sanctuaire soutiennent, dans la mesure de leurs forces, et divulguent opportunément, parmi les différents groupes et les diverses classes de leur troupeau, les périodiques qui se publient d'une manière si louable et si utile, dans les diverses parties du globe, soit pour traiter et exposer les questions bibliques selon la méthode scientifique, soit pour adapter les fruits de ces recherches au ministère sacré ou aux besoins des fidèles. Que les ministres du sanctuaire en soient bien convaincus : toutes ces initiatives et les autres entreprises du même genre, que le zèle apostolique et un sincère amour de la parole divine sauront leur suggérer comme pouvant conduire à ce but sublime, leur seront d'un secours efficace dans le ministère des âmes.

Enseignement biblique dans les séminaires

Mais il ne peut échapper à personne que tout cela ne peut être convenablement accompli par les prêtres si eux-mêmes, pendant leur séjour au séminaire, n'ont pas reçu un amour actif et durable des Saintes Ecritures. C'est pourquoi les évêques, à qui incombe la sollicitude paternelle de leurs séminaires, doivent veiller avec soin à ce que, en ce domaine aussi, rien ne soit omis qui puisse contribuer à atteindre ce but. Que les professeurs d'Ecriture Sainte organisent tout le cours biblique de telle manière que les jeunes gens destinés au sacerdoce et au ministère de la prédication soient pourvus de cette connaissance des Saintes Lettres et pénétrés de cet amour envers elles, sans lesquels l'apostolat ne peut guère porter des fruits abondants. Il faut donc que leur exégèse fasse ressortir avant tout le contenu théologique, en évitant les discussions superflues et en omettant tout ce qui est pâture de curiosité plutôt que source de science véritable et stimulant de solide piété. Que les professeurs établissent le sens littéral, et surtout le sens théologique, d'une manière si solide, qu'ils l'expliquent si pertinemment, qu'ils l'inculquent avec tant de chaleur, de sorte qu'il advienne à leurs élèves ce qui arriva aux disciples de Jésus-Christ allant à Emmaiis, lorsqu'ils s'écrièrent après avoir entendu les paroles du Maître : « Notre coeur n'était-il pas tout brûlant au-dedans de nous lorsqu'il nous découvrait les Ecritures ? » (Lc 24,32). Qu'ainsi les Saintes Lettres deviennent pour les futurs prêtres de l'Eglise une source pure et intarissable pour leur propre vie spirituelle, un aliment et une force pour la tâche sacrée de la prédication qu'ils vont assumer. Si les professeurs qui enseignent dans les séminaires cette science importante atteignent ce résultat, qu'ils aient la douce persuasion d avoir grandement contribué au salut des âmes, au progrès de la cause catholique, à l'honneur et à la gloire de Dieu, et d'avoir accompli une oeuvre intimement liée aux devoirs de l'apostolat.

Sens de la parole divine en ce temps de guerre : elle est la consolation des affligés, la voie de la justice pour tous

Ce que Nous venons de dire, Vénérables Frères et chers Fils, nécessaire en tout temps, l'est certainement beaucoup plus en ces jours malheureux où presque tous les peuples et nations sont plongés dans un océan de calamités, tandis qu'une guerre atroce accumule ruine sur ruine, carnage sur carnage, tandis que, par le fait des haines impitoyables des peuples excités les uns contre les autres, Nous voyons, avec une suprême douleur, s'éteindre dans beaucoup d'hommes non seulement le sentiment de la modération chrétienne et de la charité, mais même celui de l'humanité. Qui peut porter remède à ces mortelles blessures faites à la société humaine, sinon Celui à qui le Prince des apôtres, plein d'amour et de confiance, adressa ces paroles : « Seigneur, à qui irions-nous ? Vous avez les paroles de la vie éternelle » (Jn 6,69). A notre Rédempteur très miséricordieux il nous faut donc, de toutes nos forces, ramener tous les hommes ; il est le Consolateur divin des affligés ; il est Celui qui enseigne à tous — qu'ils tiennent en main l'autorité publique ou que leur incombe le devoir de l'obéissance et de la soumission — la véritable droiture, la justice intègre, la charité généreuse ; il est enfin, à lui seul, Celui qui peut être le solide fondement et le soutien de la paix et de la tranquillité : « Car personne ne peut poser un autre fondement que Celui qui est déjà posé, savoir Jésus-Christ » (1Co 3,11).

Or, ce Christ, auteur de notre salut, les hommes le connaîtront d'autant plus parfaitement, l'aimeront d'autant plus ardemment, l'imiteront d'autant plus fidèlement qu'ils seront poussés avec plus de zèle à la connaissance et à la méditation des Saintes Lettres, en particulier du Nouveau Testament. Car, comme le dit saint Jérôme, le Docteur de Stridon : « L'ignorance des Ecritures est l'ignorance du Christ » 33, et « s'il est une chose qui en cette vie soutient le sage et le détermine à garder la sérénité de l'âme au milieu des tribulations et des agitations du monde, j'estime que c'est en tout premier lieu la méditation et la science des Ecritures » 34. C'est à cette source que tous ceux qui sont fatigués et accablés par l'adversité et l'affliction puiseront les véritables consolations et la vertu divine de souffrir et d'endurer ; c'est là — à savoir dans les saints Evangiles — que le Christ est présent pour tous, modèle suprême et parfait de justice, de charité et de miséricorde ; c'est là que s'ouvrent pour le genre humain, déchiré et inquiet, les sources de cette grâce divine sans laquelle, si on la dédaigne ou si on la néglige, peuples et conducteurs de peuples ne pourront établir ou consolider ni l'ordre public ni la concorde des esprits. C'est là, enfin, que tous apprendront à connaître ce Christ, « qui est le Chef de toute principauté et de toute puissance » (Col 2,10) et « qui, de par Dieu, a été fait pour nous sagesse, et justice, et sanctification, et Rédemption » (1Co 1,30).


CONCLUSION

Exhortation à tous ceux qui cultivent les études bibliques

Après avoir exposé et recommandé ce qui concerne les études bibliques en vue de les adapter aux besoins de notre temps, il Nous reste, Vénérables Frères et chers Fils, à féliciter avec une paternelle bienveillance tous ceux qui étudient la Bible et qui, en fils dévoués de l'Eglise, suivent fidèlement sa doctrine et ses directives, de ce qu'ils ont été destinés et appelés à une tâche aussi noble. A ces félicitations, Nous voulons ajouter Nos encouragements, afin qu'ils poursuivent de tout leur zèle, avec tout leur soin et avec une énergie toujours nouvelle, l'oeuvre heureusement entreprise. Très haute tâche, avons-Nous dit, car qu'y a-t-il de plus sublime que de scruter, d'expliquer, d'annoncer aux fidèles, de défendre contre les infidèles la parole même de Dieu, transmise aux hommes sous l'inspiration du Saint-Esprit ? L'esprit lui-même de l'exégète se nourrit de cet aliment spirituel et en profite « pour le renouvellement de la foi, pour la consolation de l'espérance, pour l'exhortation de la charité »35. « Vivre au milieu de ces choses, les méditer, ne connaître ni ne

Id., In Ephesios, prologue ; P. L., 26, col. 439.

Cf. S. Augustin, Contra Faustum, 13, 18 ; P, L., 42, col. 294 ; C.S.E.L., 25, p. 400.

chercher rien d'autre, cela ne vous paraît-il pas que c'est déjà habiter le royaume céleste ? » 36

Que les âmes des fidèles se nourrissent aussi du même aliment, qu'elles y puisent la connaissance et l'amour de Dieu, le progrès spirituel et la félicité pour chacune d'elles.

Que de toute leur intelligence les commentateurs de la parole divine se donnent à cette sainte entreprise. « Qu'ils prient pour comprendre » 37. Qu'ils travaillent pour pénétrer chaque jour plus profondément dans les secrets des pages sacrées ; qu'ils enseignent et qu'ils prêchent pour ouvrir aussi aux autres les trésors de la parole de Dieu. Ce que dans les siècles passés les illustres interprètes de la Sainte Ecriture ont réalisé avec tant de fruit, que les modernes s'efforcent de l'imiter autant qu'ils le peuvent, en sorte que, comme aux temps passés, ainsi à l'heure actuelle l'Eglise ait des docteurs éminents dans l'art d'interpréter les Saintes Lettres, et que les fidèles, grâce à leur labeur et à leur travail, reçoivent des Saintes Ecritures pleine lumière, exhortation, allégresse. Dans cette tâche, certes ardue et lourde, qu'ils aient, eux aussi, « pour consolation les Saints Livres » (1M 12,9) ; qu'ils se souviennent de la récompense qui les attend, puisque « ceux qui auront possédé la science brilleront comme la splendeur du firmament, et ceux qui en auront conduit beaucoup à la justice seront comme les étoiles, éternellement et sans fin » (Da 12,3).

Et maintenant, tandis que Nous souhaitons vivement à tous les fils de l'Eglise, et nommément aux professeurs des sciences bibliques, au jeune clergé et aux orateurs sacrés que, méditant sans relâche la parole de Dieu, ils goûtent combien l'esprit du Seigneur est suave et bon (cf. Sag. Sg 12,1), comme gage des faveurs célestes, en témoignage de Notre paternelle bienveillance, à vous tous et à chacun d'entre vous, Vénérables Frères et chers Fils, Nous accordons très affectueusement dans le Seigneur la Bénédiction apostolique.


RADIOMESSAGE AUX FIDÈLES DU PÉROU

(31 octobre 1943)1

Ce message a été adressé par le Saint-Père aux fidèles du Pérou à l'occasion de la clôture du IIIe Congrès eucharistique national à Trujillo, présidé par S. Exc. Mgr Fernando Cento, nonce apostolique à Lima et légat pontifical.

Vénérables Frères et chers fils qui, réunis autour de la personne de Notre légat pour clôturer le IIIe Congrès eucharistique national du Pérou, écoutez Notre voix, portée sur les ailes des ondes impalpables, si la contemplation d'un spectacle grandiose, comme celui que vous présentez en ce moment, est toujours un motif de consolation pour tout coeur droit — « Bienheureux les yeux qui voient ce que vous voyez » (Lc 10,23) — combien plus ne le sera-t-il pas, en cette heure triste pour Notre âme affligée de Père commun, dont le regard trouve à peine à se poser, sans se sentir éclaboussé par la boue des batailles et par le sang fraternel furieusement répandu ?

Oui, Notre coeur est réconforté par cette vision d'amour et de paix, et il se réjouit doublement à la pensée qu'un si magnifique triomphe a pour théâtre la très aimée République du Pérou, l'un des plus illustres rejetons du robuste et catholique tronc hispanique, où le Dieu caché sous les voiles sacramentels a semblé répandre d'une manière particulière sa richesse et sa beauté, qui se manifestent dans les charmes uniques d'une terre bénie, dont les flots de la mer caressent les immenses plages, tandis que se cachent parmi les nuages ses cimes fumantes. Le Pérou, foyer de civilisation chrétienne, justement fier de ses gloires et de ses privilèges, mais conscient avant tout que la meilleure page du testament reçu de la mère patrie est celle dans laquelle lui est légué l'héritage de cette foi robuste qui, pour proclamer la gloire du Roi eucharistique, vous a réunis, il n'y a pas bien longtemps, à Lima — la ville historique des rois — plus tard à Arequipa — la blanche cité qui semble dormir aux confins du doux Chili — et enfin, aujourd'hui, vous a rassemblés à Trujillo l'antique, la noble, le berceau de la liberté — au milieu des chants harmonieux et des nuages d'encens.

Filius sapiens doctrina patris, « le fils sage révèle l'instruction de son père » (Pr 13,1) : L'honneur de la noblesse a toujours été la fidélité à l'héritage reçu. C'est par l'Eucharistie que Pizarro, Almagro et Luque fortifièrent leurs âmes avant d'écrire la première page de votre histoire ; Pizarro lui-même voulut être le fondateur de l'Archiconfrérie du Très Saint Sacrement dans la ville première-née ; un Turibe de Mogrovejo, un François Solano, un Martin de Porres, une Rosa de Santa-Maria furent des âmes eucharistiques, et vous-mêmes, en ce jour, dignes descendants de vos ancêtres, au milieu du tumulte belliqueux d'un monde en furie, vous accourez auprès du Dieu des autels pour le supplier « d'accorder à son Eglise les dons de la paix et de l'unité » 2, et avec eux le remède aux maux qui menacent si gravement la vie privée, la vie familiale, la vie sociale.

Pauvre vie privée s'il manque l'Eucharistie ! tout le long du chemin, l'âme affaiblie ne supportera pas le poids de l'égoïsme, de la sensibilité et de l'indifférence ; il n'y aura pas d'union avec Dieu — ut et nos in Christo et Christus in nobis sit 3 ; elle ne vivra pas de l'esprit de Dieu — Fiant corpus Christi si volunt vivere de spiritu Christi *. Et il est écrit, Seigneur, « que ceux qui s'éloignent de toi périront ! » (Ps., lxxii, 27.)

Et lorsque le malheureux pèlerin ne peut supporter sur ses épaules anémiées, faute d'aliment surnaturel, la charge de son propre devoir, lorsqu'il s'affaisse, tel une tige desséchée, et qu'il sent son coeur aride, pour avoir oublié de manger son pain (cf. Ps., ci, 5), faut-il nous étonner si la faiblesse de l'individu — père ou fils, époux ou épouse — devient un sujet de souffrance pour la famille et si la cellule fondamentale de la société menace de se désagréger et de s'effriter, à l'instar d'un bloc de ciment mal façonné, précisément

faute de sainteté, faute d'union avec le Dieu de l'Eucharistie, union sans laquelle n'est pas possible la coordination mutuelle des divers éléments, non plus que la réalisation de l'harmonie, et avec l'harmonie la paix ?

Si l'âme devient aride comme une terre en friche, si l'édifice familial se fendille, tout l'ensemble social, privé de cette source de vie, ne tarde pas à accuser des signes de dissolution, comme un corps mort dans lequel chaque élément semble lutter pour se détacher des autres, pour retourner à son indépendance inorganique. Ah ! très chers congressistes du Pérou, si vous pouviez obtenir par vos prières que les hommes fassent en sorte que l'Eucharistie produise enfin ses effets, spécialement comme principe et fondement de l'unité, en rappelant à tous l'obligation de s'aimer, de s'unir comme des frères qui veulent se présenter devant le même autel, faire la même offrande, boire au même calice, manger le même pain et adresser au ciel — meum ac vestrum sacrificium — une supplication commune ! En effet, c'est là le plan conçu par le Fils de Dieu..., afin que nous puissions nous unir avec Dieu et entre nous... Au moyen de la communion mystique, il bénit en un seul corps, dans le sien, tous les croyants. Et ainsi il les rend membres du même corps, aussi bien avec lui qu'entre eux 5.

En un mot, Vénérables Frères et chers fils, dans ce céleste banquet, dans cette très réelle union avec Dieu, la sainteté puise principalement sa force ; cette union et cette sainteté seront pour le lien familial, social et international, un élément de vigueur et de solidité ; enfin pour que, dans la sainteté et dans l'union, s'épanouisse le don précieux de la paix : « Nous vous prions, Seigneur, d'accorder avec bonté à votre Eglise les dons de l'unité et de la paix, mystiquement représentés par les dons présents que nous vous offrons » 6.

Demandez, demandez sans cesse ; il ne s'agit pas, maintenant, de l'ombre d'une croix toute proche qui nous fait espérer une grâce — « Seigneur, souvenez-vous de moi » (Lc 23,43) ; ne nous contentons pas de nous approcher de la frange de son vêtement (cf. Matth. Mt 9,20-22) pour la toucher d'un doigt. « Non pas l'ombre de votre Corps ou la frange de votre vêtement, mais votre Corps lui-même, quel effet ne produira-t-il pas dans l'âme qui s'approche de la (sainte) Table ? Quel empire, quelle grâce de salut pourrez-vous lui refuser si le coeur plein d'un doux sentiment il vous cherche tant, vous aime, vous embrasse, vous possède et vous prie ?» 7

Approchez-vous sans crainte, très chers fils, et puisez à cette source, qui jamais ne tarit, la fermeté de votre foi, la pureté de vos moeurs, le devoir respectueux du lien conjugal sacré. Demandez à ce Dieu tout-puissant, caché dans ce sacrement, des prêtres saints et zélés qui vous enseignent le chemin des autels et vous distribuent le Pain des anges avec leurs mains pures. Demandez avant tout la fraternelle union de tous les croyants, la sainte charité entre tous les enfants de Dieu, la paix, cette paix que vos aïeux imploraient, entremêlant leurs chants aux magnifiques litanies attribuées à saint Turibe de Mogrovejo, premier bouquet de fleurs que l'Amérique catholique déposa aux pieds de la Vierge Mère de Dieu : Ut cuncto populo christiano pacem et salutem impetrare digneris, afin que vous, Mère de miséricorde, vous, Vierge de la Puerta, couronnée solennellement mercredi dernier ; vous, Notre-Dame du Secours, qui, depuis les rivages de Huanchaco, attirez les coeurs de tous les bons fils de cette région privilégiée, vous obteniez pour le peuple chrétien la paix et le salut !

Puisse Notre Bénédiction contribuer à hâter, pour vous, pour toute votre bien-aimée patrie et pour le monde entier, l'heure de Dieu, qui est l'heure de la paix fondée sur la vérité, sur la justice et sur la charité. On a dit en termes heureux que la République du Pérou, avec l'admirable et splendide variété de son climat, de ses altitudes, de ses produits, est, pour ainsi dire, une agréable synthèse de toute l'Amérique. Que Dieu bénisse la nation péruvienne, son fervent épiscopat — et, d'une façon spéciale, le très digne pasteur de cet archidiocèse — ainsi que son clergé, l'illustre chef de l'Etat, son gouvernement, tous les représentants des assemblées et les autorités civiles qui, par leur présence, ont voulu rehausser le triomphe du Roi eucharistique, le très catholique peuple péruvien tout entier ; et que Dieu, en bénissant la République du Pérou, bénisse toute l'Amérique, en faisant que, le plus tôt possible, les rayons ardents de la charité, qu'ont peine à retenir les blanches Espèces dans le volcan d'amour de la sainte Hostie, se répandent sur l'humanité et l'enflamment, la fondant en un seul bloc d'amour et de fraternité chrétienne, remède à nos souffrances, couronne de nos espérances et sa grande gloire.


Pie XII 1943 - I. — RECOURS AUX TEXTES ORIGINAUX