Pie XII 1943 - ALLOCUTION POUR LA CLOTURE DES EXERCICES SPIRITUELS AU VATICAN


MESSAGE DE NOËL AUX PRISONNIERS DE GUERRE

(20 décembre 1943)1

Le Saint-Père a pris des mesures pour que, comme les années précédentes, soient mises à la disposition des représentants pontificaux des sommes importantes pour des distributions de dons de Noël en faveur des prisonniers. En outre, Sa Sainteté a adressé ce paternel message à tous les prisonniers de guerre :

Qu'aux chers prisonniers de guerre et à tous ceux qui avec eux sont éloignés des êtres qui leur sont chers et souffrent d'être privés des joies de Noël au foyer domestique, aille avec Notre chaude affection Notre Bénédiction paternelle avec le souhait ardent que la paix apportée par Jésus-Christ à tous les opprimés soit une large compensation à leurs maux et le présage certain d'une prospérité chrétienne renouvelée.


ALLOCUTION AU SACRÉ COLLÈGE ET A LA PRÉLATURE ROMAINE

(24 décembre 1943)1

A l'adresse d'hommage traditionnelle qui lui a été adressée par le doyen du Sacré Collège, S. Em. le cardinal Granito Pignatelli di Belmonte, le Saint-Père a répondu par l'allocution suivante :

Une traditionnelle et chère coutume Nous a procuré encore une fois la joie de voir aujourd'hui réunis autour de Nous les membres du Sacré Collège et de la Prélature romaine, et d'apprendre de la bouche du cardinal doyen — qui remplit ses hautes fonctions avec une admirable plénitude de foi et de vigueur d'esprit — avec quels sentiments d'inébranlable fidélité et de dévouement exemplaire ils Nous offrent l'hommage de leurs voeux et de leurs prières en ce jour radieux qui précède le mystère de Noël.

« Un seul coeur et une seule âme. »

Dans les temps difficiles et durs où nous vivons, ignorant leur évolution et leur terme, Nous souffrons, unis à vous, Vénérables Frères et chers Fils, ainsi qu'aux fidèles de Notre ville episcopale de Rome, dans une profonde communion de pensée et d'intention avec les catholiques du monde entier. C'est un grand réconfort pour le Vicaire du Christ chargé du poids de tant de responsabilités dont il ne peut se décharger, de voir régner dans le petit groupe de ses plus proches conseillers et collaborateurs dans le gouvernement de l'Eglise universelle, ce cor unum et anima una qui a inspiré les paroles de votre eminent et vénérable interprète.

Ce cor unum et anima una qui réunissait les premiers disciples

>'après le texte italien des A. A. S., 36, 1944, p. 5 ; cf. la traduction française des e S. S. Pie Xli, t. V, p. 262. Les sous-titres sont ceux du texte original.

du Christ, fut l'arme spirituelle enflammée du petit troupeau de l'Eglise primitive qui, sans moyens ou ressources terrestres, par la parole, par la charité désintéressée et aussi par le sacrifice de la vie, entreprit et conduisit au terme son action victorieuse en face d'un monde hostile. Les artifices et les attaques des puissances ennemies qui combattaient l'existence, la doctrine, la diffusion et la consolidation du christianisme, ne purent tenir et se brisèrent contre la force de résistance, du zèle, du mépris des tortures et de la mort, d'un tel coeur et d'une telle âme.

Ainsi, par l'union des coeurs et des âmes de tous les fidèles se formait comme un coeur unique et une âme unique que la propagation de la foi à travers les siècles a développé et développe encore au sein de pays et de peuples si nombreux ; ainsi, un beau faisceau de coeurs et d'âmes de toutes les terres et de tous les rivages est parvenu jusqu'à Nous ; à 'l'heure actuelle des communes afflictions et supplications, des communs désirs et espérances, il se refait plus vivant et plus fort, grâce à l'Esprit vivificateur et sanctificateur qui établit et conserve l'Epouse du Christ toujours la même dans son unité et son universalité, au milieu des révolutions qui bouleversent les nations.

Aussi, Nous acceptons avec une reconnaissance émue, Vénérables Frères et chers Fils, l'expression de vos sentiments si conformes aux antiques traditions chrétiennes. Ils sont comme un don de la Providence et un signe manifeste que l'Eglise militante actuelle expérimente elle aussi l'efficacité de la prière sacerdotale du Christ : « Père saint, gardez en votre nom ceux que vous m'avez donnés..., afin qu'ils soient un comme nous sommes un» (Jn 17, 11, 22).

Misères présentes. Exhortation à la charité et à la paix.

Au cours de cette année, la tourmente de la guerre s'est rapprochée toujours davantage, même de la Ville éternelle. De dures souffrances ont fondu sur un grand nombre de Nos diocésains. Beaucoup, parmi les plus pauvres, ont vu leur foyer détruit par les bombardements aériens. Un sanctuaire, très cher au coeur de la Rome chrétienne et véritable joyau d'une antiquité vénérable, a été touché et a reçu des blessures difficilement guérissables 2.

Sur 'le terrain économique et dans le domaine spirituel, la confusion et le désordre se sont développés d'une façon inquiétante. Si l'interruption et la paralysie de la production de ce qui est nécessaire pour vivre se continuent au rythme actuel, il est à craindre que, malgré les sollicitudes et les soins des autorités compétentes, le peuple de Rome et une grande partie de la population italienne se trouvent, d'ici peu de temps, dans des conditions de misère telles que, de mémoire d'homme, il ne s'en soit jamais réalisé et supporté de semblables dans ce pays déjà si éprouvé.

A tous, et en particulier aux habitants de Rome, Nous recommandons instamment de conserver le calme et la mesure, de s'abstenir de tout acte inconsidéré qui ne ferait que provoquer des malheurs encore plus grands.

Devant un avenir si obscur, la réserve, inhérente à la nature de Notre ministère pastoral et que Nous avons toujours gardée en face des vicissitudes des conflits terrestres, Nous semble en ce moment plus nécessaire que jamais, afin d'éviter à l'activité du Saint-Siège, dirigée vers le bien des âmes, d'être bouleversée et exposée aux coups du feu croisé des oppositions politiques.

Vous comprendrez toutefois, Vénérables Frères et chers Fils, combien la tristesse et la misère qui affligent les peuples pèsent sur Notre âme, combien l'étendue du besoin toujours croissant étreint Notre coeur. A cause de cela, dans le radiomessage habituel de Noël, que Nous allons prononcer aujourd'hui même, Nous Nous proposons non seulement d'adresser une nouvelle et ardente exhortation à ceux dont la pénétration et la rectitude d'âme peuvent essentiellement procurer l'obtention d'une paix véritable et juste, mais, d'un autre côté, d'attirer l'attention du monde sur la misère qui éprouve tant de nations du globe, en invoquant la secourable bonté de tous les pays qui, même au milieu des exigences et des restrictions imposées par la guerre, ont encore la possibilité de donner un efficace appui à une grandiose oeuvre de charité chrétienne et de fraternité humaine. A Nos oreilles, jour par jour, heure par heure, arrive avec une insistance toujours plus grande la voix suppliante des plus pauvres parmi les pauvres, et Nous éprouvons de la tristesse en voyant la disproportion entre le nombre gigantesque des requêtes et la pénible modicité de Nos moyens que les barrières économiques du temps de guerre rendent toujours plus modestes.

Difficultés et obstacles dans l'exercice du ministère apostolique.

Non moins douloureuses que la misère causée par le cruel conflit dans de nombreuses parties de l'Eglise universelle et que les obstacles que rencontre la charité chrétienne, sont les difficultés devenues d'année en année, de jour en jour, de région à région, plus difficiles à surmonter dans l'exercice régulier et le développement du suprême ministère apostolique précisément au moment où, dans un monde divisé et déchiré par la haine, les disputes, l'égoïsme et la violence, les forces de l'amour, de la concorde, de l'esprit fraternel et de la justice sentent plus profondément le besoin de s'unir et de se joindre afin de secourir et de soulager.

Que deviendrait la société humaine après la guerre, si tant de ceux qui se glorifient du nom de chrétiens, pour ne s'être pas réunis dans une unité intérieure de pensée et de vouloir, n'étaient pas en mesure de conjurer le danger d'une paix éphémère qui s'appuierait sur les fondements croulants de la violence ?

Ne serait-ce pas là une triste et lamentable erreur, tant au point de vue purement humain qu'à la lumière de la conscience chrétienne ?

Si les moyens de contact spirituel avec une partie notable (Nous ne pouvons dire avec toutes les régions) du monde catholique sont restées jusqu'à ce jour à l'abri de graves périls et dommages, ou au moins point totalement impraticables ; si également la séparation forcée d'avec le centre de vie, de mouvement, d'activité qu'est l'Eglise de Rome, a incité et entraîné le coeur des chrétiens les meilleurs et les plus fidèles à combler un tel vide, Nous attribuons un si grand bien au sein de tant de malheurs et de guerres, d'abord à la grâce fortifiante et vigilante du Dieu tout-puissant, et en outre à la sage prévoyance et prudence d'un épiscopat très attentif, au zèle appliqué et diligent d'un clergé qui est profondément pénétré des devoirs de son sacerdoce, à la force de conviction d'un laïcat que les difficultés et les souffrances mettent toujours davantage à l'épreuve ; tous ont d'autant plus intimement affirmé et publiquement manifesté la force profonde du sentire cum Petro qu'ont été rendus plus étroits et plus difficiles les chemins qui les reliaient extérieurement avec le Siège apostolique.

Incursion aérienne contre la Cité du Vatican.

De cette union durable des fidèles avec le Vicaire du Christ, Nous sommes poussé à remercier Dieu, dont la puissance infinie Nous a protégé, il y a quelques semaines, au moment du raid aérien contre la Cité du Vatican, appris avec une indignation unanime par les honnêtes gens du monde entier. Une pareille attaque — aussi délibérément préparée que peu honorablement et efficacement dissimulée sous le couvert d'un aviateur anonyme — sur un territoire sacré pour les chrétiens, sanctifié par le sang du premier Pierre et aussi le centre du monde en raison de ses chefs-d'oeuvre de culture et d'art, garanti par un traité solennel, une pareille attaque est un symptôme difficile à dépasser du degré de bouleversement spirituel et de déchéance morale de la conscience dans lesquels certains esprits pervertis sont tombés 3.

Courage devant la tristesse des temps.

Au milieu de pareils bouleversements, on comprend naturellement combien il convient à chacun de demeurer ferme et courageux dans la conduite morale de la vie, alors que de nombreux chrétiens, même parmi ceux qui sont au service de l'Eglise et du sanctuaire, se laissent effrayer par la tristesse des temps, par l'amertume causée par les privations et par les efforts demandés, par la chaîne des désillusions qui se resserre et s'abat sur eux ; à tel point que ces chrétiens n'échappent pas au danger de perdre courage et de ne plus avoir cette fraîcheur et cette agilité d'esprit, cette robustesse de volonté, cette sérénité et cette joie d'oser et de mener à terme ce que l'on entreprend, sans lesquelles une féconde activité apostolique devient impossible.

Aux pusillanimes, aux découragés, à ceux qui sont harassés, un regard sur la crèche de Bethléem et sur le Rédempteur qui commence la régénération spirituelle et morale du genre humain dans une pauvreté sans exemple, dans la quasi totale séparation d'avec le monde des puissants de cette époque, ce regard doit rappeler et avertir que les voies du Seigneur ne sont pas les voies éclairées par la fausse lumière d'une sagesse purement terrestre, mais par les rayons d'une céleste étoile inconnue à la prudence humaine. Si de la grotte de Bethléem on porte ses regards sur l'histoire de l'Eglise, tous devront se convaincre que ce qui a été dit de son divin Fondateur :

Sui eum non receperunt, « les siens ne l'ont pas reçu » (Jn 1,11), est toujours demeuré le douloureux partage de l'Epouse du Christ au cours des siècles et que très souvent les périodes de lutte dure ont préparé de grandioses victoires, d'une importance définitive, pour de longues époques à venir.

Coeurs généreux.

S'il Nous est permis de pénétrer dans la vision des desseins de Dieu que le passé éclaire, les dures et sanglantes conditions de l'heure présente ne sont peut-être autre chose que le prélude d'une aurore de nouveaux événements dans lesquels l'Eglise, établie pour tous les peuples et pour tous les temps, se trouvera en face de devoirs inconnus à d'autres époques, devoirs que seuls des esprits courageux et résolus à tout pourront accomplir ; des coeurs qui n'auront pas peur d'assister à la répétition et au renouvellement du mystère de la croix du Rédempteur dans la marche de l'Eglise sur la terre et qui ne penseront pas à se laisser aller à fuir la triste réalité à l'exemple des disciples d'Emmaiïs ; des coeurs qui savent que les victoires de l'Epouse du Christ, en particulier les victoires définitives, sont préparées et obtenues in signum cui contradicetur, c'est-à-dire dans l'opposition avec tout ce que la médiocrité et la vanité de l'homme s'efforcent d'opposer à la pénétration et au triomphe du spirituel et du divin.

La leçon de la crèche et de la croix.

De l'Enfant divin, Maître du genre humain et Lumière du monde, couché dans la crèche en ce jour, le Docteur des nations (saint Paul) a écrit « que, à la joie qui lui était offerte ici-bas, il préféra la croix, sans regarder à la honte » (He 12,2). Le chemin parcouru par le Rédempteur, chemin lumineux, va de la crèche à la croix du calvaire et sur Bethléem et sur le calvaire domine l'unité de la loi de vie, que l'art chrétien a su apprécier dans toute sa majesté. Derrière le bois de la mangeoire de Bethléem s'élève, gigantesque, le bois salutaire de la croix. La foi des anciens chrétiens avait déjà cette vision lorsque, sur le couvercle d'un sarcophage antique, récemment découvert dans les grottes vaticanes à proximité de la Confession, elle sculptait une grande croix face aux Mages offrant leurs présents au Rédempteur nouveau-né, et derrière le siège de la Vierge-Mère portant l'Enfant. Cette croix est un type archéologique unique en son genre et, en même temps, un témoignage montrant combien profondément les chrétiens de cette époque étaient pénétrés de la connaissance de cette loi fondamentale du Sauveur et de ceux qui devaient être sauvés. La croix est signe de salut et de victoire, étendard du Christ et de la Rédemption. De même que maintenant elle resplendit au sommet de nos églises où nous prions, où nous nous préparons pour l'éternité, ainsi il en sera jusqu'à ce moment glorieux où, le ciel s'entrouvrant et les portes de la vie d'ici-bas se fermant, apparaîtra le signe du Fils de l'homme. Devant lui, Juge éternel, le genre humain se divisera, se partageant d'un côté en hommes bénis du Père, ceux qui, confusione contempla, restèrent fidèles à la croix, et, de l'autre, en réprouvés, ceux qui se scandalisèrent de son apparente folie et s'égarèrent.

Si aujourd'hui nous devons venir en aide à notre temps, si l'Eglise doit être pour les égarés, pour ceux que les souffrances spirituelles et temporelles de nos jours jettent dans la tristesse, cette Mère qui secourt, conseille, préserve et rachète ; comment pourrait-elle pourvoir à de tels besoins, si elle ne dispose pas d'une acies ordinata (armée rangée en bataille), recrutée parmi les âmes généreuses qui, au-dessus de la chère vision de l'Enfant nouveau-né, n'ont pas peur et n'oublient pas de regarder le Seigneur crucifié, consommant sur le calvaire le sacrifice de sa vie pour la régénération du monde et montrent dans leur conduite et dans leur activité comme force et comme valeur la loi suprême de la croix. Que les simples fidèles soient aussi de ces esprits généreux ; mais aux côtés des ministres du sanctuaire, qu'ils rivalisent avec eux dans le zèle ardent et l'activité vigoureuse, et autant qu'eux, qu'ils ne soient pas brisés au milieu de la dureté des temps, mais bien plutôt qu'ils y grandissent, qu'ils y arrivent à maturité, « à l'état d'homme fait, à la taille même qui convient à la plénitude du Christ » (Ep 4,13).

Confiance dans les promesses infaillibles de Dieu.

Après ces réflexions, Nous Nous sentons poussé dans l'intime de Notre âme à implorer pour vous, en ces jours de si grandes souffrances, mais aussi de vive espérance et d'attente vigilante, ce prompt courage qui vous rendra forts en face des peines et des luttes renfermées dans les mystères de la crèche et de la croix, sources de l'amour ineffable qui jaillit du coeur du Christ, et aussi cette assurance de la victoire, assurance qui s'appuie sur les promesses infaillibles de Dieu, qui a triomphé du monde et nous pousse à avoir confiance en lui. Nous prions pour le genre humain, alourdi et ligoté par les chaînes de l'erreur, de la haine et de la discorde, captif dans une prison qu'il a construite lui-même. Nous redisons la supplication de l'Eglise pendant ce saint temps de l'A vent : « O clé de David et sceptre de la Maison d'Israël ! Qui ouvrez et nul ne peut fermer ; qui fermez et nul ne peut ouvrir : venez et tirez de la prison le captif qui est assis dans les ténèbres et à l'ombre de la mort. » 4 Avec cette prière sur les lèvres, Nous accordons, comme gage de grâces abondantes de la part du Fils de Dieu nouveau-né, Notre paternelle Bénédiction apostolique, à vous, Vénérables Frères et chers Fils, à vos travaux si lourds par leurs difficultés et si pleins de responsabilités, à tous ceux qui sont l'objet de vos prières et de vos affections.

* Grandes antiennes de l'Avent.


RADIOMESSAGE DE NOËL AU MONDE ENTIER

(24 décembre 1943)1

Les radiomessages de Noël, plus encore que ceux de Pâques, sont maintenant un événement attendu du monde entier, d'autant plus que le Saint-Père s'adresse dès l'an dernier non seulement aux chrétiens mais à tous les hommes.

Noël de guerre

Voici encore, chers fils et chères filles de tout l'univers, que pour la cinquième fois la grande famille chrétienne se prépare à célébrer la magnifique solennité de la paix et de l'amour qui rachète et rend frères dans une sombre atmosphère de mort et de haine. Cette année encore, elle sent et elle éprouve l'amertume et l'horreur d'une opposition irréductible entre le doux message de Bethléem et l'acharnement féroce avec lequel l'humanité se déchire.

Les années précédentes étaient douloureuses, elles étaient troublées par le sauvage fracas des armes ; mais les cloches de Noël soulevaient les âmes, réveillaient et faisaient surgir de timides espérances, suscitaient de chaudes et puissantes aspirations vers la paix.

Malheureusement quand le monde regarde autour de lui, il doit encore contempler avec horreur une réalité de combats et de ruines, qui de jour en jour gagnent en étendue et en cruauté ; cette réalité brise toutes ses espérances et par une expérience froide et brutale comprime et étouffe ses aspirations les plus ardentes.

Que voyons-nous, en effet, sinon que le conflit dégénère en une forme de guerre sans égards ni considérations d'aucune sorte ? On dirait un monstre apocalyptique né d'une civilisation où le progrès toujours croissant de la technique s'accompagne d'une baisse toujours plus profonde de l'esprit et de la morale ; une forme de guerre qui suit, sans s'arrêter, son horrible chemin et produit des ravages auprès desquels pâlissent les pages les plus sanglantes et les plus épouvantables des siècles passés. Tandis qu'ils ont dû assister avec terreur à un nouvel et immense perfectionnement des moyens et de l'art de détruire, les peuples ont constaté en même temps chez eux une décadence qui, par suite du refroidissement et de la déviation du sens moral, accélère sa marche préXf4cipitée vdrs la suppression de tout sentiment d'humanité et un tel o"scurcissement de la raison et de l'es0rit à vérifier la parole de la Sagesse : « Tous étaient liés par la même chaXcchs0 în— de ténèbres » (Sg 17,17).

La lumière de l'astre de Bethléem

Cependant, au milieu de cette nuit ténébreuse, resplendit pour le fidèle la lumière de l'étoile de Bethléem qui lui montre en l'illuminant le chemin vers Celui dont la plénitude de grâce et de sagesse nous a été communiquée à tous (Jn 1,16) ; le chemin vers le Rédempteur qui, par sa venue en ce monde, s'y est fait essentiellement Prince de paix et notre paix : Ipse enim est pax nostra, « car c'est lui qui est notre paix » (Ep 2,14).

Seul le Christ peut éloigner les funestes esprits d'erreur et de péché qui ont réduit l'humanité sous le joug d'un tyrannique et humiliant esclavage, en l'asservissant aux pensées et aux vouloirs d'une insatiable convoitise de biens sans limites.

Seul le Christ qui nous a délivrés du triste esclavage du péché peut nous enseigner et nous frayer le chemin vers une liberté digne et disciplinée, étayée et soutenue par une véritable droiture et la conscience morale.

Seul le Christ, « sur les épaules de qui a été posé l'empire » (cf. Is. Is 9,6), est capable avec sa toute-puissance secourable de relever le genre humain et de l'arracher aux angoisses sans nom qui le tourmentent au cours de cette vie et de le mettre sur le chemin du bonheur.

Un chrétien qui se nourrit et vit de la foi au Christ, assuré que lui seul est la voie, la vérité et la vie, porte sa part des souffrances et des misères du monde à la crèche du Fils de Dieu et, devant l'Enfant nouveau-né, trouve une consolation et un appui inconnus du monde qui lui donnent force et courage pour résister et se main-

tenir imperturbable, sans se laisser abattre ou défaillir au milieu des épreuves les plus angoissantes et les plus pénibles.


I. — AUX DÉÇUS

Faillite des mystiques collectives sans Dieu

Il est triste et douloureux, fils bien-aimés, de penser qu'une multitude d'hommes, tout en éprouvant, dans leur recherche d'un bonheur qui les satisfasse en cette vie, l'amertume d'illusions trompeuses et de douloureuses déceptions, se sont fermé l'accès de toute espérance. Vivant, comme ils le font, éloignés de la foi chrétienne, ils ne savent pas retrouver le chemin de la crèche et de cette consolation qui fait surabonder de joie les héros de la foi au milieu de toutes les tribulations. Ils voient effondré l'édifice des croyances dans lesquelles humainement ils avaient mis leur confiance et leur idéal ; mais ils ne sont pas parvenus à trouver cette foi unique et véritable qui aurait réussi à les réconforter et à ranimer leur courage. Par suite de cette instabilité intellectuelle et morale, ils sont en proie à une incertitude d'esprit qui les déprime et ils vivent dans un état d'inertie qui opprime leur âme et que seul est en état de comprendre intimement avec une compassion fraternelle celui qui, passant pardessus le tourbillon de toutes les contingences temporelles pour se fixer dans l'éternel, a la joie de vivre dans la vivante et familière atmosphère d'une foi surnaturelle.

a) Ceux qui avaient mis leur confiance dans l'expansion mondiale de la vie économique.

Dans les rangs de ces aigris et de ces déçus, il n'est pas difficile de signaler ceux qui avaient mis toute leur confiance dans l'expansion mondiale de la vie économique. Seule, pensaient-ils, elle était capable de réunir les peuples dans une mutuelle fraternité. De son organisation grandiose, toujours plus perfectionnée et affinée, ils se promettaient, pour le bien-être de la société humaine, des progrès inouïs et insoupçonnés.

Avec quelle complaisance et quel orgueil ils contemplaient l'accroissement mondial du commerce, l'échange entre les continents de tous les biens et de toutes les inventions et productions, la marche triomphale de la diffusion de la technique moderne qui ne connaît plus les limites du temps et de l'espace ! Aujourd'hui, par contre, que leur fait constater la réalité ? Ils voient désormais que cette économie avec ses relations gigantesques et ses connexions mondiales, par la division et la multiplication excessives du travail, contribuait de mille manières à généraliser et aggraver les crises de l'humanité, tandis que, dépourvue de tout frein moral et privée de tout regard vers le supraterrestre propre à l'éclairer, elle ne pouvait manquer d'aboutir à une exploitation indigne et humiliante de la personne humaine et de la nature, à une triste et effroyable indigence chez les uns et à une opulence orgueilleuse et provocante chez les autres, à une opposition douloureuse et implacable entre les privilégiés et les indigents : maudits effets qui n'ont pas été à la dernière place dans la longue chaîne de causes qui ont conduit à l'immense tragédie actuelle.

Qu'ils ne craignent pas, ces déçus de la science et de la puissance économique, de se présenter à la crèche du Fils de Dieu. Que leur dira l'Enfant qui y est né et qui y reçoit l'adoration de Marie et de Joseph, des bergers et des anges ? Sans doute, à la crèche de Bethléem, la pauvreté est un état qu'il a choisi uniquement pour lui ; elle n'implique donc par elle-même aucune condamnation ou aucun refus de la vie économique en ce qui est nécessaire au progrès et au perfectionnement physique et naturel de l'homme. Mais cette pauvreté du Seigneur et Créateur du monde, qu'il a librement voulue et qui l'accompagnera encore à l'atelier de Nazareth et tout au long de sa vie publique, signifie et manifeste à quel point il était maître des choses matérielles et au-dessus d'elles. Il montrait par là avec une puissante efficacité que les biens de la terre sont naturellement et essentiellement ordonnés à la vie de l'esprit et à une perfection plus haute de la vie intellectuelle, morale et religieuse, nécessaire à l'homme raisonnable. Ceux qui attendaient le salut de la société du mécanisme du marché économique mondial restent ainsi déçus, parce qu'ils étaient devenus non pas les seigneurs et les maîtres, mais les esclaves des richesses matérielles auxquelles ils s'étaient asservis en les coupant de tout lien avec la fin supérieure de l'homme pour en faire leur fin à elles-mêmes.

b) Ceux qui mettaient le bonheur dans la science sans Dieu.

La même façon de penser et agir se retrouvait chez d'autres encore que le passé a également déçus et qui plaçaient le bonheur et le bien-être uniquement en un monde de science et de culture qui se refusait à reconnaître le Créateur de l'univers. Ces pionniers et ces disciples non pas de la vraie science, qui est un admirable reflet de la lumière divine, mais d'une science orgueilleuse, qui ne laisse aucune place à l'action d'un Dieu personnel, indépendant de toute limite et supérieur à tout ce qui est terrestre se vantaient de pouvoir expliquer tout ce qui arrive dans le monde par le seul déterminisme rigide et par l'enchaînement de fer des lois naturelles.

Mais une telle science ne peut donner ni le bonheur ni le bien-être. Le reniement du Verbe divin, par lequel tout a été fait, a conduit l'homme à l'apostasie de l'esprit et, par là, elle lui a rendu difficile la poursuite d'un idéal et d'un but hautement intellectuels et moraux. La science, ayant ainsi renié la vie spirituelle, qui se flattait d'avoir acquis, en reniant Dieu, une liberté et une autonomie complètes, se voit aujourd'hui punie par un esclavage tel qu'il n'en fut jamais de plus humiliant : elle est devenue l'esclave et comme l'exécutrice automatique de directives et d'ordres qui ne tiennent aucun compte des droits de la vérité et de la personne humaine. Ce que cette science avait tenu pour liberté pour elle fut une chaîne d'humiliation et d'avilissement. Découronnée comme elle l'est, elle ne recouvrera sa dignité première qu'à la condition de revenir au Verbe éternel, source de sagesse si follement abandonnée et oubliée.

C'est précisément à ce retour qu'invite le Fils de Dieu, qui est voie, vérité et vie ; voie de bonheur, vérité qui élève, vie qui rend l'homme immortel. Tous ces déçus, il les invite comme en un muet et pénétrant langage de sa venue en ce monde, car, loin de décevoir l'âme humaine, il lui communique l'élan qui la porte à sa rencontre.


II. — AUX DÉSOLÉS SANS ESPÉRANCE

Faillite des existences sans Dieu

A côté de ceux qui vivent profondément déconcertés par la faillite des directives sociales et intellectuelles dont s'inspiraient largement hommes politiques et savants se tient la foule non moins considérable de ceux qu'a jetés dans le malaise et dans la peine l'écroulement de l'idéal propre et personnel de leur vie.

a) Ceux dont le but de la vie était le travail.

Ils sont nombreux ceux dont la vie avait pour but le travail dont les fatigues tendaient à leur assurer une existence matérielle commode, mais qui, dans leur lutte pour la poursuite de cette fin, avaient tenu à l'écart les considérations religieuses et négligé de donner à leur existence une orientation saine et morale. La guerre les a arrachés à cette activité à laquelle ils étaient habitués, qu'ils aimaient et où ils trouvaient la dignité et le soutien de leur vie. Eloignés ainsi de leur profession et de leur métier, ils éprouvent en eux-mêmes un vide qui leur fait peur. Que si quelques-uns peuvent encore se livrer à leurs occupations, la guerre a imposé des conditions de travail et de vie qui en ont fait disparaître tout caractère personnel, qui suppriment et rendent impossible une vie de famille régulière, qui ne permettent plus, enfin, de goûter ce contentement de l'âme que fournit seulement le travail tel qu'il a été voulu et ennobli par Dieu.

O travailleurs, approchez-vous de la crèche de Jésus ! N'ayez pas peur de cette grotte où s'abrite le Fils de Dieu. Ce n'est point par hasard, mais par suite d'un très haut et ineffable dessein que vous y trouverez uniquement des travailleurs : Marie, la Vierge Mère, mère de famille travailleuse ; Joseph, père de famille travailleur ; les bergers, gardiens de troupeaux ; les sages, enfin, venus de l'Orient ; travailleurs des mains, des veilles et de la pensée, ils s'inclinent pour adorer le Fils de Dieu qui, par son silence volontaire et gracieux mais plus éloquent que la parole, leur explique à tous le sens et la valeur du travail. Il n'est pas seulement fatigue des membres dépourvue de sens et de valeur et pas davantage une humiliante servitude. Le travail est service de Dieu, don de Dieu, vigueur et plénitude de vie pour l'homme, méritoire du repos éternel. Levez et dressez haut la tête, travailleurs. Regardez le Fils de Dieu qui, avec son Père éternel, créa et organisa l'univers. Devenu homme et semblable à nous, le péché excepté, il croit en âge et entre dans la grande communauté du travail ; puis il use et consume sa vie terrestre à remplir sa mission de salut. Rédempteur du genre humain, c'est lui qui, pénétrant de sa grâce notre être et notre activité, élève et ennoblit le travail honnête, quel qu'il soit, celui d'en haut et celui d'en bas, grand ou petit, agréable ou pénible, matériel ou intellectuel, lui conférant aux yeux de Dieu une valeur de mérite surnaturel et faisant ainsi de l'accomplissement des multiples ouvrages de l'homme une même glorification constante du Père qui est aux cieux.

b) Ceux qui avaient mis leur espérance dans la jouissance de la vie terrestre.

Malheureux également ceux qui voient s'évanouir l'espoir d'un bonheur qu'ils avaient rêvé en le mettant uniquement dans la jouissance d'une vie passagère et terrestre. Ils le plaçaient exclusivement dans la plénitude des énergies du corps, dans la beauté des formes et de la personne, dans l'opulence et la surabondance des commodités de la vie ou dans la possession de la force et du pouvoir.

Or, voici qu'aujourd'hui, dans le tourbillon de la guerre, toute cette jeunesse qui avait grandi et s'était entraînée sur les terrains de sport, voit sa vigueur s'éteindre et sa beauté se flétrir dans les hôpitaux militaires ; beaucoup de jeunes errent et se traînent, mutilés ou infirmes physiquement et moralement, sur les grands chemins d'une patrie désolée, qu'en beaucoup de villes de ses régions les plus fortunées les bombardements aériens et les opérations militaires ont réduite à un monceau de ruines.

Si une partie de la jeunesse masculine n'a plus la force pour peiner et pour travailler, les futures mères de la génération prochaine, contraintes comme elles le sont de se livrer à un travail excessif au-delà de toute limite de temps, perdent peu à peu la possibilité de fournir à un peuple exsangue cet accroissement de santé corporelle et spirituelle qui favorise la venue à la vie et l'éducation des enfants, faute desquels l'avenir de la patrie est menacé d'un triste déclin.

La pénible irrégularité du travail et de la vie dans l'absence de Dieu et de sa grâce, avec les attraits et les séductions des mauvais exemples, insinue et prépare un pernicieux relâchement des relations conjugales et familiales, et c'est ainsi que le venin de la luxure s'essaye aujourd'hui, plus que jadis, à empoisonner la source sacrée de la vie. Les faits et périls douloureux montrent à l'évidence que si, en beaucoup de pays, le dessein de rendre leur vigueur à la famille et au peuple était tenu pour un des plus nobles à poursuivre, il se produit et se propage, en sens inverse, avec une épouvantable rapidité, un dépérissement physique et une perversion spirituelle que seul réussira lentement à faire disparaître, au moins en partie, un travail d'assainissement et d'éducation à continuer durant plusieurs générations. Si le conflit de la guerre a causé chez un si grand nombre de telles ruines corporelles et spirituelles, il n'a pas épargné ceux qui étaient avides d'opulence et ne songeaient qu'à jouir de la vie, qui restent maintenant muets et perplexes en présence des destructions qui se sont abattues jusque sur leurs biens à la manière d'un ouragan dévastateur : richesses et foyers anéantis par le fer et par le feu, vie de bien-être et de plaisir disparue, présent tragique, avenir avec peu d'espoirs et beaucoup de craintes.

Plus triste est la vision qui trouble et qui épouvante ceux qui aspirèrent à posséder la force et à dominer : actuellement, ils contemplent avec terreur l'océan de sang et de larmes qui baigne le monde, les tombes et les fosses pleines de cadavres qui jonchent si nombreuses toutes les parties de la terre et les îles de la mer ; la lente extinction de la civilisation, la disparition croissante du bien-être même matériel, la destruction de monuments insignes et des plus nobles chefs-d'oeuvre de l'art, qu'on pouvait appeler le patrimoine commun du monde civilisé, des haines de plus en plus aiguës et profondes qui excitent les peuples les uns contre les autres et ne laissent rien espérer de bon pour l'avenir.


Pie XII 1943 - ALLOCUTION POUR LA CLOTURE DES EXERCICES SPIRITUELS AU VATICAN