Pie XII 1944 - I. — DES COMMANDEMENTS DE DIEU EN GÉNÉRAL


IL — DES COMMANDEMENTS DE DIEU EN PARTICULIER

Le principe d'autorité.

Si nous considérons maintenant les commandements de Dieu en particulier, on peut bien dire que chacun d'eux est devenu un cri d'alarme, chacun indique de graves périls moraux. Les temps passés ont connu, eux aussi, de sérieux désordres : qui pourrait le nier ? Mais certaines colonnes qui soutenaient l'ordre moral, par-dessus tout la foi en Dieu, l'autorité des parents et des pouvoirs publics, demeuraient presque toujours solides et intactes. Aujourd'hui vous voyez tout l'édifice de la morale miné, attaqué d'une façon insidieuse et disloqué. Un signe caractéristique d'une telle décadence c'est que, avec l'évanouissement de la foi en Dieu et avec l'exagération et l'abus que simultanément on fait souvent de la puissance publique, non seulement les formes concrètes, mais le principe lui-même d'autorité, sont devenus « des pierres de scandale » et rencontrent le refus.

Nous croyons toutefois que pour assainir et améliorer une pareille situation, deux remèdes seront particulièrement utiles. En premier lieu, qu'on rétablisse l'autorité des parents dans tous ses droits, là également où ces derniers ont été restreints ou absorbés, par exemple dans le domaine de l'école et de l'éducation. Ensuite que tous ceux qui possèdent une autorité publique, toutes les classes dirigeantes jusqu'aux employeurs et aux éducateurs de la jeunesse, donnent eux-mêmes l'exemple d'une vie consciencieuse et exercent le pouvoir moral inhérent à leur charge conformément aux lois de la justice et de la charité. Devant un tel exemple de probité, le monde sera dans l'admiration en voyant quelles merveilles de tranquillité publique et de confiance pourraient en sortir.

Le respect du droit et de la vie humaine.

Dans le domaine de la loyauté réciproque et de la véracité règne un air vicié au sein duquel les personnes de bonne foi se sentent couper la respiration. Qui se serait attendu à ce qu'après la noble civilisation et la culture supérieure qui furent l'honneur des âges précédents, le respect du droit connaîtrait des dangers, des épreuves et des violations que connurent seulement les périodes les plus troubles de l'histoire ? Mais en ce domaine également, la clé de toute solution est donnée par la foi en un Dieu personnel qui est source de justice et s'est réservé le droit sur la vie et sur la mort. Rien d'autre que cette foi ne pourra donner la force morale de respecter les limites obligatoires en face de toutes les embûches et des tentations de les franchir ; en ayant sous les yeux que, sauf les cas de défense privée légitime, de guerre juste menée par des moyens légitimes, de peine de mort infligée par l'autorité publique pour des délits très graves déterminés et prouvés, la vie humaine est intangible.

Il serait trop long de traiter de chaque commandement en particulier. Nous Nous bornerons donc à certaines indications qui Nous semblent, au temps actuel, parmi les plus importantes pour les besoins spirituels des fidèles.

Sur les commandements appelés « de la première table » qui regardent Dieu 10, Nous regardons comme opportunes deux observations :

culte à rendre à Dieu.

La première remarque concerne le sens lui-même du culte à rendre à Dieu, sens qui, au cours des cent dernières années, est allé s'obscurcissant même parmi les fidèles. Si, de fait, en tout temps, il arrive que dans le sanctuaire de la vie religieuse personnelle, les hommes cherchent et s'ingénient à développer leur propre intérêt, cela s'est vu vérifié outre mesure et réalisé sous l'influence de l'orgueilleuse et vaine culture matérialiste qui gouverne les générations modernes. On voudrait réduire les rapports entre Dieu et l'homme à l'aide divine dans les événements ou besoins matériels et terrestres. Pour le reste, l'homme veut agir par lui-même, comme s'il n'avait plus besoin du secours divin. Le culte de Dieu devient un concept de l'utile : la religion descend de la sphère de l'esprit dans celle de la matière. La pratique religieuse habituelle ne fait que demander au ciel des faveurs pour les besoins d'ici-bas, établissant comme des comptes avec Dieu ; la foi chancelle si l'aide ne correspond pas au désir. Que la religion et la foi avant toute autre chose impliquent adoration et service de Dieu ; qu'il y ait des commandements de Dieu obligeant toujours, en tout lieu et en toutes circonstances ; que pour le chrétien la vie future domine et règle la vie terrestre : ces idées et ces vérités, qui doivent régir et guider l'esprit et la volonté du croyant, sont devenues étrangères à la pensée et au sentiment de l'esprit humain.

A une pareille déviation quel remède convient-il d'opposer ? Il est utile que les grandes vérités et les grands concepts de la foi reviennent, comme vie et réalité, dans toutes les classes du peuple, dans les classes élevées encore plus que dans les classes déshéritées et éprouvées par l'indigence et la misère d'ici-bas. Il n'y a peut-être

Cf. Catech. ad parochos, p. III, 4 praecepi, n. 3.

pas aujourd'hui un besoin plus urgent de ces grandes vérités dans l'éducation religieuse ; le moment présent non seulement les exige, mais aide aussi à y pourvoir ; parce que la quantité de maux et d'infortunes que l'humanité subit actuellement à cause de la décadence de la morale et de la justice, constitue une correction terriblement manifeste et douloureuse de la fausse idée de Dieu et de la défiguration de la religion dans sa pratique.

Il a été dit que le prodige de ces années ce sont les millions de fidèles qui honorent Dieu et le servent, soumis à ses commandements, bien qu'ils en soient venus à se trouver dans des conditions d'indicible détresse. Il y a certainement de ces chrétiens pieux et intrépides, honneur de l'Eglise ; vous-mêmes, chers fils, vous en connaissez beaucoup. Travaillez avec zèle pour que leur nombre augmente toujours davantage parmi les fidèles confiés à vos soins.

La sanctification des fêtes.

Le culte de Dieu qui, dans le cours de la vie humaine, devrait •¦" commencer et terminer chaque journée, impose des devoirs spéciaux pour la sanctification des fêtes. Et ici vient Notre seconde remarque ou observation. On ne peut pas certainement reprocher à l'Eglise de vouloir appliquer le précepte dominical avec une sévérité excessive, elle qui le détermine et le règle avec cette bonté et humanité (benignitas et humanitas, Tt 3,4), dont son divin Fondateur lui a donné l'exemple. Mais contre la profanation et la laïcisation du saint jour du dimanche qui, à un rythme croissant, le dépouillent de son caractère religieux et ainsi éloignent les hommes de Dieu, l'Eglise, gardienne de la loi divine, doit s'opposer et faire front avec une sainte fermeté. Ici également l'activité zélée du ministère pastoral, employant pourtant la douceur dans les cas de nécessité et considérant les situations économiques et sociales anormales impossibles à changer d'un coup, doit être large et procéder d'après la directive suivante : suspension des oeuvres serviles le dimanche et les jours de fête de précepte, spécialement en public. Les épouvantables destructions causées par la guerre apparaissent à la piété chrétienne comme une effrayante manifestation des dommages que la profanation du dimanche porte avec elle. Mais si de la vie publique nous passons à la vie privée, qui ne voit combien il convient que la famille aussi soit éduquée à limiter le travail du dimanche au strict nécessaire, de façon à permettre et à accorder à tous, aux domestiques aussi, le repos festival ?

L'Eglise doit faire front également contre l'envahissement et la dissipation provenant des excès du sport, en sorte qu'il ne reste plus de temps pour prier, pour se recueillir et pour se reposer. Les membres de la famille se trouvant forcément séparés les uns des autres, les enfants sont loin et échappent à la vigilance de leurs parents. Sans crainte, il faut faire front contre ces divertissements qui, comme le cinéma immoral, transforment le dimanche en journée de péchés. On doit finalement se donner le repos qui s'impose et le réconfort du dimanche qui, plus que toute autre chose, profite à l'élévation religieuse, au renouvellement spirituel et au développement harmonieux de la vie de famille.

Il est vrai que le retour à la sanctification des fêtes, quand il s'agit des grandes villes modernes, demande à celui qui a charge d'âmes un zèle héroïque et un travail quasi surhumain. Mais c'est d'un pareil retour que dépend en grande partie ce qui se fait de plus abondant et de mieux, non seulement pour le salut des âmes des fidèles, mais encore pour le salut de la famille et pour l'assainissement de la vie sociale contre les forces dissolvantes du mécontentement, de l'irritation et de la déchéance de l'esprit quand il s'agit de choses purement terrestres et matérielles.

Rome, centre et mère de la civdisation chrétienne. Les dangers qui la menacent.

La sanctification des fêtes, quand il s'agit de la ville de Rome, prend et possède un caractère propre et un aspect spécial. Rome est le centre de l'Eglise catholique ; ville sainte, en raison de l'abondance de ses monuments chrétiens et de ses souvenirs historiques, de ses basiliques, de ses cérémonies sacrées et solennelles ; cité dans laquelle affluent, en temps de paix, les fidèles venus de partout. Dans leurs pensées et dans leurs sentiments, ils la vénèrent comme étant l'inspiratrice, l'animatrice de la sainteté qu'elle glorifie également. Quelle déception pénible pour tous les fidèles venant de pays où le précepte dominical est pleinement respecté, observé et maintenu si, ici, à Rome, ils trouvent une ville semblable à tant d'autres grandes cités qui, par leur profanation des fêtes, sont solidairement responsables de la ruine 'de l'ordre chrétien dans le monde !

Nous avons confiance qu'un pareil malheur n'arrivera jamais, parce que le vrai et authentique peuple romain ne cessera pas de rayonner cet exemple de religion et de piété. Mais dans la rencontre d'aujourd'hui et à la vue de la menace croissante qui plane sur Rome, Nous ne pouvons omettre de dire ouvertement : si les métropoles d'Athènes et du Caire furent, pour des motifs historiques et religieux, préservées des attaques de guerre, du fait d'une considération convergente des deux parties belligérantes, Nous ne renonçons pas à l'espoir confiant que ces parties belligérantes sauront comprendre et reconnaître que la Ville éternelle a bien davantage le droit de réclamer un égal respect de son intégrité. Ce serait dans le cours des siècles une flétrissure et une honte ineffaçable si, finalement, Rome aussi, unique et incomparable dans le développement politique et culturel du genre humain et déjà, presque depuis vingt siècles, centre et mère de la civilisation chrétienne, devait, pour des raisons, des considérations ou des difficultés militaires qui toujours et en tous les cas peuvent être surmontées avec de la bonne volonté, devenir victime de la furie dévastatrice de cette terrible guerre. Pendant cette dernière, en Italie et hors de l'Italie, dans les deux camps des combattants, un nombre considérable de merveilleux édifices (entre autres la célèbre abbaye du Mont-Cassin, la dernière dans l'ordre chronologique de la destruction, mais non pour la très grande valeur de ses antiques souvenirs) ont été, souvent d'une façon irrémédiable, endommagés ou détruits.

Non moechaberis ! » Le « mariage en film ».

Dieu, le nom de Dieu et le culte de Dieu constituent la « première table » ; le prochain, les devoirs et 'les droits de la vie humaine se groupent dans la « seconde table » qui, avec la première, forme le Décalogue, comme si l'amour de Dieu et l'amour du prochain s'unissent pour faire un seul amour qui de Dieu déborde sur le prochain. Dans cette « seconde table », plus nombreux encore sont les préceptes qui mériteraient beaucoup de remarques. Mais comment pourrions-Nous omettre de rappeler les mots : Non moechaberis (Ex 20,14). Est-ce trop dire que de Nous attrister de ce que les pays qui s'estiment plus civilisés, offrent vis-à-vis de ce commandement en particulier, un spectacle d'une plus profonde ruine morale et d'ajouter que ses traces sont visibles jusque dans la Ville éternelle ? Nous savons bien — et Nous en avons parlé longuement en une autre occasion — combien les réformes économiques et sociales s'accordent pour contribuer efficacement à sauver le mariage et la famille : mais ce salut, en fin de compte, demeure un devoir et une fonction religieuse ; le traitement en vue de la guérison doit partir de la racine. Toute la conception du secteur de vie qui rentre dans le sixième commandement est viciée par ce qu'on pourrait appeler « le mariage dans le film » qui n'est autre chose qu'un irrévérencieux et immoral étalage des profanations du mariage et des infidélités conjugales qui pousse à regarder le mariage comme libéré de tout lien moral et seulement comme théâtre et source de plaisir sensuel, mais non comme oeuvre de Dieu, comme institution sacrée, fonction naturelle, bonheur sain dans lequel l'élément spirituel règne et domine toujours, comme l'école et en même temps le triomphe d'un amour fidèle jusqu'à la tombe, jusqu'aux portes de l'éternité. N'est-ce pas une obligation de la charge d'âmes que de faire revivre parmi les fidèles une semblable vision chrétienne du mariage ?

Il est nécessaire que la vie conjugale soit de nouveau entourée et comme revêtue de ce respect dont l'ornèrent au commencement la nature humaine saine et innocente, ainsi que la Révélation : respect pour les forces merveilleusement infusées par Dieu dans l'homme pour susciter de nouvelles vies, pour fonder la famille, pour conserver le genre humain. L'éducation de la jeunesse à la chasteté des pensées et des affections, à la continence avant le mariage, n'est pas le but dernier que vise et poursuit la pédagogie chrétienne, mais bien la démonstration de son efficience à former l'âme pour la lutte contre les dangers et les embûches qui menacent la vertu. Le jeune qui affronte et soutient victorieusement la lutte pour garder la pureté, observera également les autres commandements de Dieu et sera capable de fonder une famille selon les desseins du Créateur. Par contre, comment pourrait-on espérer et trouver chasteté et fidélité conjugale chez un jeune homme qui n'a jamais su se vaincre lui-même, gouverner ses passions, mépriser les sollicitations perverses et les mauvais exemples et qui, avant le mariage, s'est permis toute espèce de désordre moral ?

Si le pasteur d'âmes — comme il y est saintement obligé devant Dieu et devant l'Eglise — veut triompher des deux chancres de la famille, l'abus du mariage et la violation de la fidélité conjugale, il doit former, faire grandir et instruire selon les lumières de la foi une génération qui, dès les premières années, aura appris à penser saintement, à vivre dans la chasteté, à se dominer elle-même.

Penser saintement surtout de la femme. Le « mariage en film » a agi en ce domaine de la façon peut-être la plus funeste ; il a enlevé à l'homme le respect de la femme et ensuite à la femme le respect d'elle-même. Puissent l'éducation et l'action pastorale ramener les esprits et les coeurs à l'antique et pur idéal de la femme, en leur montrant Marie, la Vierge immaculée, Mère de Dieu ! La filiale et confiante dévotion envers elle a contribué en tout temps à conserver et à sauver l'honneur de la femme.

Le septième commandement.

Nous devons enfin parler du septième commandement en considérant les conditions économiques présentes que l'ouragan de la guerre a si désastreusement bouleversées. En cette matière, il est utile de faire Nôtre le sévère avertissement de saint Paul : « Que personne en cet ordre de choses ne cause de dommages ni de torts à son frère, car le Seigneur punit tous ces désordres » (1Th 4,6). Si pareil avertissement apparaissait déjà opportun dans une situation normale et tranquille de vie sociale, il devient encore plus indiqué et nécessaire dans les circonstances présentes, confuses et agitées de la vie communautaire des hommes, et cela pour un double motif.

Premièrement, les époques de malheurs et de troubles économiques, comme la nôtre, exigent doublement qu'on observe exactement le septième et le cinquième commandements qui concernent les biens et la vie du prochain, parce que sans cela le danger devient trop grand de voir disparaître loyauté et fidélité dans l'activité et dans les relations d'affaires des uns avec les autres, à tel point que la vie civile ou sociale est rendue presque impossible et insupportable. Quand une digue menace de se rompre sous l'impétuosité du courant, on ne va pas l'affaiblir, mais bien la consolider.

En second lieu, il n'est pas étonnant, en présence des immenses misères, de la privation de logement et de nourriture dans lesquelles l'atroce guerre a précipité des millions d'êtres humains, que le manque d'honnêteté dans le maniement des affaires, l'exploitation téméraire et cynique des difficultés présentes et, en particulier, l'imposition de prix exorbitants et l'accaparement illicite des choses nécessaires à la vie, deviennent, beaucoup plus facilement que dans des époques tranquilles et pacifiques, un outrage à toute la population et violation de la justice qui crient vengeance devant Dieu. Chacun voit et comprend combien il est nécessaire de prévenir de semblables tentations et de se surveiller soi-même, non seulement en apportant une consciencieuse probité dans les rapports du mien et du tien, mais aussi en ayant un jugement serein et éveillé et une main généreuse en tout ce que à quoi incline et pousse la charité chrétienne et que la justice sociale réclame.

Est-ce que, selon la solennelle affirmation du Christ, au jour du jugement dernier, la bénédiction ou la malédiction, le bonheur éternel ou le tourment sans fin, ne dépendront pas ides oeuvres de miséricorde : nourrir ceux qui ont faim, donner à boire à ceux qui ont soif, vêtir ceux qui sont nus, offrir l'hospitalité aux voyageurs, visiter les malades et les prisonniers (Mt 25,34-46) ? Oh ! comme toutes ces souffrances et angoisses 'd'une réalité si proche résonnent à nos oreilles à l'heure présente ! Oui, la pratique de la miséricorde ou bien son omission conduit à la gloire ou à la damnation éternelles. Nous croyons pouvoir affirmer la même chose pour ce qui concerne les oeuvres de justice sociale que l'on accomplit ou que l'on omet.

La doctrine sociale de l'Eglise.

Il faut que Nous le relevions aussi en face de quelques doctrines et tendances nouvelles et dangereuses qui trouvent bon accueil et approbation chez nombre de jeunes qui se disent catholiques. Nous voulons espérer que ceux qui se laissent gagner par de pareilles idées sont animés de droites intentions. Nous Nous voyons cependant dans la nécessité de leur rappeler le grave avertissement de Notre immortel prédécesseur Pie XI dans son encyclique Quadragesimo anno : « Ceux qui veulent faire parmi les socialistes oeuvre d'apôtres doivent professer les vérités du christianisme dans leur plénitude et leur intégrité, ouvertement et sincèrement, sans aucune complaisance pour l'erreur. Qu'ils s'attachent avant tout, si vraiment ils veulent annoncer l'Evangile, à faire voir aux socialistes que leurs réclamations dans ce qu'elles ont de juste trouvent un appui bien plus fort dans les principes de la foi chrétienne et une force de réalisation bien plus efficace dans la charité chrétienne. »

L'Eglise, société universelle qui comprend des fidèles de toute langue et de toute nation, possède sa doctrine sociale propre ; elle l'a profondément pensée dès les premiers siècles jusqu'à l'époque moderne ; elle l'a étudiée sous tous ses aspects et dans toutes ses parties, la développant et la perfectionnant. La valeur et la dignité de la nature humaine, rachetée et élevée à l'ordre surnaturel par la vertu du Sang du Christ et de la grâce divine qui la destine au ciel, sont continuellement devant les yeux de l'Eglise et des catholiques qui, toujours, sont des alliés et des défenseurs de tout ce qui est conforme à la nature humaine. C'est pourquoi ils ont de tout temps considéré comme un fait antinaturel qu'une partie du peuple — qualifiée du nom de « prolétariat », appellation dure qui rappelle les anciennes classifications romaines — doive demeurer dans une précarité de vie continuelle et héréditaire. Ils peuvent revendiquer pour eux l'honneur d'avoir combattu en première ligne chaque fois qu'il s'est agi d'adoucir ou d'améliorer par mesure législative cette situation inférieure du peuple. Mais l'Eglise, amie et gardienne comme elle l'est de tout bien-être familial, tend, tout en louant et en accueillant les mesures d'aide et d'allégement, à atteindre ou à obtenir au-delà de ces mesures, un ordre économique qui, par sa structure même, fournira à la classe ouvrière une condition stable et sûre : tout cela conformément aux maximes de la justice sociale telles qu'elles sont exprimées et exposées par Notre même prédécesseur (Pie XI) : « Il importe donc d'attribuer à chacun la part de biens qui lui revient ; il importe de ramener aux exigences du bien commun ou aux normes de la justice sociale la distribution des ressources de ce monde, répartition dont le flagrant contraste entre une poignée de riches et une multitude d'indigents atteste, de nos jours, aux yeux de l'homme de coeur, les très graves défauts ou inconvénients. » Les papes, dans des actes multiples, les catholiques de doctrine et d'action sociale ont lumineusement, avec autant de conviction que de maturité de jugement et de réflexion, indiqué les voies pour atteindre ce but.

Mais ce qui est plus important, c'est que la communauté des fidèles, dans toute l'étendue de son activité, n'hésite pas à mettre résolument et courageusement en pratique les principes de la doctrine sociale de l'Eglise et sache les défendre et les propager ; en sorte que — comme Nous l'avons indiqué précédemment au sujet du désaccord entre la connaissance religieuse et le fait religieux — ne puisse se vérifier le fait que les vues sociales des catholiques sont fortes, mais leur action sociale débile. Aucun fidèle ne doit avoir un motif ou l'occasion de recourir à d'autres maîtres de foi douteuse et de fausse science et de chercher ailleurs ce que l'Eglise lui offre en abondance : le champ, le plan, l'ordonnance, l'exemple d'activité sociale et de charité chrétienne pour sauver le genre humain de sa profonde misère et pour le renouveler dans l'esprit et dans la force du Christ.

Le Décalogue, gage de salut à l'heure actuelle.

Celui qui considère attentivement les effets religieux et moraux de l'apocalyptique heure présente qui comme un ouragan passe sur la terre en la dévastant et en l'arrosant de sang, ne peut s'empêcher de considérer cette heure comme ayant nécessairement besoin d'une nouvelle proclamation du Décalogue. Répondant à quelqu'un qui lui avait demandé quel était le plus grand commandement de la loi, le divin Maître résume, dans sa sagesse infinie, cette loi en deux préceptes : le plus grand et le premier commandement, c'est d'aimer Dieu de tout son coeur, de toute son âme, de tout son esprit. Le second est semblable au premier : aimer le prochain comme soi-même. En ces deux commandements consistent toute la loi et les prophètes (Mt 22,34-40). En cette heure, Dieu et l'homme, tout ce qui est religieux et spirituel, qui demeurait comme en dehors du monde et de la vision des humains, il semble que tout cela renaît et acquiert à nouveau, parmi les douleurs et les plaintes du monde entier, un relief spécial et un sens plus profond qui pénètrent et émeuvent les replis les plus obscurs du coeur et les pensées les plus secrètes des esprits. Les vérités religieuses les plus simples pour tous et toujours indiscutées, la Providence divine qui gouverne le monde, la justice entre les nations qui inquiète penseurs et peuples, sont devenues de grandes questions, des « pierres de scandale », au sujet desquelles les intelligences discutent, se divisent, sont en désaccord, et les volontés agissantes des esprits sentent la nécessité d'un grand courage et d'une souveraine ardeur pour les défendre, les protéger, pour en informer leur propre vie.

Dans le monde d'aujourd'hui, les dix commandements de Dieu sont les dix échelons pour gravir la montagne de la vie chrétienne et de la perfection à la suite du Christ : échelons raides et solides qui, une fois gravis, élèvent l'homme au-dessus du profond abîme de la déchéance morale. Ce sont comme des monts qui s'élèvent l'un sur l'autre, vers lesquels l'humanité qui veut se sauver et monter à la conquête de la vie doit lever et fixer les regards, parce que le salut et la gloire du triomphe ne peuvent venir que de ce qu'on les aura gravis avec le secours divin. Il vous appartient, chers fils, de contribuer à rendre les hommes capables d'obtenir ce salut, en les conduisant sur la montagne du Seigneur, afin que lui leur enseigne ses voies et qu'eux suivent ses enseignements (cf. Michée, Mi 4,2).

Daigne l'Esprit-Saint, dator munerum (dispensateur des dons), lumen cordium (lumière des coeurs), dans son infinie libéralité, mettre sur vos lèvres les paroles les plus justes et les mieux appropriées, qui éclairent les esprits comme des flambeaux de vérité et émeuvent les coeurs comme des flammes d'amour, et faire fructifier votre prédication avec la plénitude de sa grâce !

C'est en formulant un tel souhait et comme gage des faveurs célestes les meilleures, que Nous donnons, avec une paternelle affection, la Bénédiction apostolique à vous tous, chers fils ici présents, à tout le clergé de Rome et à tous Nos chers diocésains.


ALLOCUTION AUX FIDÈLES DE ROME

(12 mars 1944)1

Aux fidèles de Rome et aux réfugiés venus l'acclamer sur la place Saint-Pierre, le Saint-Père a adressé les paroles de consolation suivantes :

Dans la désolation qui vous a privés de votre bonheur domestique, vous, chers fils et chères filles, que les présentes calamités ont contraints à se disperser, à fuir, sans foyer, peut-être séparés les uns des autres, de vos familles elles-mêmes, souvent ignorants et errants sans nouvelles de ceux auxquels le sang et l'affection vous unissent le plus fortement, inquiets sur leur sort, comme eux-mêmes le sont sur le vôtre ; vous, cependant, à qui la foi montre un Père céleste qui a promis à tous ceux qui l'aiment de faire tout tourner en bien, même les choses les plus affligeantes et les plus amères (Rm 8,28), vous êtes venus aujourd'hui, attirés et poussés par un sentiment filial pour recevoir du Vicaire du Christ une parole de bénédiction et de réconfort.

Vous êtes réunis autour de Nous, non pour apprendre la douleur de cette affection paternelle qui Nous fait vivre avec vous dans la souffrance, parce que cela, vous le connaissez déjà, mais pour entendre de Nos lèvres et pour lire sur Notre visage que la totalité de vos chagrins est toute Nôtre et Nous endolorit dans le plus profond de Notre coeur. Oui, chers fils et chères filles, la douleur qui Nous unit à vous est un amour qui vous rend à Nos yeux doublement chers, d'autant plus chers que vous êtes plus affligés. Soyez assurés qu'il n'est pas une seule de vos peines, pas une de vos angoisses, pas une de vos difficultés spirituelles et corpo

1 D'après le texte italien des A. A. S., 36, 1944, p. 97 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. VI, p. 89.

relies qui ne Nous transperce l'âme plus profondément et plus douloureusement que ne le font Nos propres souffrances.

Appel à l'entraide en faveur des victimes de la guerre.

A partir du jour où Nous avons dû constater que Nos appels en vue de conjurer le fléau de la guerre dont Nous prévoyions les désastreuses et épouvantables conséquences demeuraient sans écho, Notre paternité spirituelle, qui déjà avec un regard de sollicitude angoissée en contemplait la foule incalculable, Nous disposait et Nous portait tout entier à soulager les besoins et les souffrances, à donner — dans les limites trop restreintes de Nos ressources matérielles — du pain et des vêtements à ceux qui n'avaient plus rien et qui manquaient de tout, à réunir ceux que les combats et les invasions avaient dispersés. Il n'est pas un effort que Nous n'ayons fait, un empressement que Nous ayons omis pour épargner aux populations les horreurs de la déportation et de l'exil. Quand la dure réalité a déçu Nos plus légitimes attentes, Nous avons tout mis en action afin d'en atténuer au moins la rigueur. Mais bien conscient de l'insuffisance des moyens en Notre pouvoir, Nous n'avons cessé d'appeler au secours, comme un père qui, souffrant de voir ses enfants malheureux, sollicite l'aide des voisins et des personnes éloignées au coeur généreux. Des âmes dévouées et charitables n'ont pas manqué de répondre à Notre appel ; Notre profonde reconnaissance en conserve les noms dans Notre mémoire, et elle les présente à Dieu pour qu'il les inscrive au livre de l'éternelle récompense. Mais en cette heure particulièrement grave pour la ville de Rome, tant martyrisée, lacérée dans la chair vive de ses habitants tués, mutilés ou blessés, cité dans laquelle les souffrances plus aiguës se sont multipliées, où les nécessités urgentes et quotidiennes ont augmenté, Nous prions de nouveau, Nous supplions, Nous conjurons tous ceux qui possèdent des moyens de venir en aide aux autres, aussi bien par des aumônes que par leur travail et leur collaboration, de ne pas refuser leur efficace contribution et concours à une action aussi urgente et aussi charitable.

Appel aux chefs des nations belligérantes pour qu'ils respectent la ville de Rome.

Que si chacune des villes dévastées, presque dans tous les continents, par une guerre aérienne qui ne connaît ni lois ni freins, constitue déjà un terrible acte d'accusation contre la cruauté de

semblables moyens de combat, comment pourrons-Nous croire que quelqu'un puisse jamais oser transformer Rome — cette auguste cité, qui appartient à tous les temps et à tous les hommes et sur laquelle le moride chrétien et civilisé fixe avec crainte son regard — transformer, disions-Nous, la ville en un champ de bataille, en un théâtre de guerre, perpétrant ainsi un acte autant militairement sans gloire qu'abominable aux yeux de Dieu et d'une humanité consciente des valeurs spirituelles et morales les plus hautes et les plus intangibles ? C'est pourquoi Nous ne pouvons pas, une fois de plus, ne pas Nous adresser à la clairvoyance et à la sagesse des hommes responsables dans les deux parties belligérantes, assuré qu'ils ne voudront pas lier leur nom à un acte qu'aucun motif ne pourrait jamais justifier devant l'histoire, mais qu'ils tournent plutôt leurs pensées, leurs intentions, leurs désirs, leurs travaux vers l'avènement d'une paix libératrice de toute violence intérieure et extérieure, pour que leur mémoire soit bénie et non maudite pendant les siècles sur la surface de la terre.

Exhortation au peuple de Rome.

Cher peuple romain ! Devant ce tourbillon de malheurs et d'épreuves, Nous sentons et reconnaissons dans la tristesse de Notre âme combien tous les secours humains sont inférieurs et inégaux à l'immense excès d'une misère sans nom. Il y a des infortunes pour lesquelles la main de l'homme, même la plus large et la plus généreuse, reste impuissante.

C'est pourquoi, chers fils et chères filles, levez les yeux vers Celui qui vous donnera la force de porter votre croix avec une foi vive et un courage chrétien, vers Jésus-Christ Notre-Seigneur et Sauveur.

Nous voulons vous conduire à lui ; il vous invite et vous dit : « Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai » (Mt 11,28). Il a voulu subir les misères de cette vie terrestre, les maux et les afflictions, les spasmes et les tourments plus atroces qui viennent des hommes.

Il vous précède avec sa croix : suivez-le !

Il porte sa croix, lui qui est l'innocence même ; portez aussi la vôtre par pénitence et en expiation de vos péchés et de ceux des autres, qui ont provoqué les justes châtiments divins.

Il porte la croix pour le salut du monde ; portez-la vous aussi avec lui, pour que la foi et la crainte de Dieu, les bonnes moeurs et l'amour chrétien revivent dans tous les coeurs, dans toutes les familles, dans la vie sociale et chez tous les peuples.

Il porte la croix pour la paix du monde ; portez-la, vous aussi, avec lui, pour obtenir sur vous et sur tout le genre humain la paix avec Dieu et la paix entre les nations.

Prière pour les réfugiés et pour la ville de Rome.

O Jésus, Dieu tout-puissant et éternel, qui avez daigné prendre notre nature, vous faisant notre frère et le consolateur des affligés, jetez un regard de grâce et de miséricorde sur la multitude de Nos fils et de Nos filles auxquels la guerre a enlevé le foyer si aimé, qui regardent avec l'angoisse la plus triste vers un avenir incertain et obscur.

La foi qu'ils eurent en vous dans les jours sereins et heureux est devenue, aujourd'hui, alors qu'une souffrance indicible les frappe, plus que jamais leur suprême appui, leur espoir, leur réconfort dans toutes les étapes du sentier douloureux où les ont conduits les vicissitudes de la guerre.

O Fils du Père céleste, sagesse divine qui dirigez le cours des siècles et la succession des peuples, commandez aux tempêtes et aux bourrasques qui troublent la tranquillité du genre humain que vous avez racheté ; demeurez avec nous, misérables et malheureux ; travaillez et vivez avec nous, afin que nous vivions en vous ; soyez à tout instant notre soutien, notre consolation, notre grâce, notre vertu, notre justification, notre pardon pour toutes les chutes que la faiblesse humaine peut produire en nous.

Vous qui, dans les bras de la très sainte et très douce Mère Marie, et sous la garde vigilante de votre chaste père adoptif, Joseph, avez voulu, étant encore enfant délicat, être un réfugié, accordez à ceux qui aujourd'hui errent comme des vagabonds sans toit cette inébranlable conformité au vouloir divin qui, à ce moment, a sanctifié les souffrances de votre exil et de votre famille.

Vous qui, tout en étant le Maître de tous les biens de la terre, avez pu dire de vous-même : « Les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel ont des nids ; le Fils de l'homme, lui, n'a pas où reposer la tête » (Mt 8,20), faites que Nos fils et Nos filles, étreints par des peines indicibles et chassés de leurs maisons, puisent dans l'exemple de votre pauvreté volontaire la force divine et le courage chrétien de supporter avec une méritoire patience et dignité les amertumes de leur vie infortunée.

Eternel et souverain Prêtre qui, voulant dans votre bienveillance rassembler toutes les nations en un seul troupeau et sous un seul pasteur, avez montré à Pierre le chemin de Rome et de cette manière avez placé sur la tête 'de Rome un diadème de vérité et de grâce, devant lequel les fidèles de l'univers s'inclinent avec respect et reconnaissance, prenez cette ville, en une heure de dangers qui vont croissant, sous les grandes ailes de votre toute-puissance et de votre protection. Accordez à ceux qui l'habitent le changement de ces jours de crainte et d'angoisse en des jours de recueillement spirituel, de retour résolu et sincère à vous-même et à votre loi si souvent oubliée et transgressée.

O Seigneur, au nom de tous ceux que le terrible conflit a jetés dans le deuil, dans la misère et dans les pleurs, uni à tous, Nous vous supplions avec la prière de la sainte liturgie : montrez-nous, ô Dieu clément, votre ineffable miséricorde ; purifiez-nous de tous nos péchés et en même temps délivrez-nous des peines qu'ils nous ont méritées 2. Donnez à tous ceux qui ont confiance en vous de voir luire le jour où pasteur et troupeau, vous louant dans votre bonté infinie, pourront s'écrier avec joie et reconnaissance : « C'est par la miséricorde du Seigneur que nous sommes sauvés » (Lam., ur, 22). Oui, sauvés ici-bas et pour toute l'éternité. Ainsi soit-il.

2 Messe Pro quacumque necessitate.


Pie XII 1944 - I. — DES COMMANDEMENTS DE DIEU EN GÉNÉRAL