Pie XII 1944 - UNION TRÈS ÉTROITE DE SAINT CYRILLE AVEC LE SIÈGE APOSTOLIQUE


LETTRE AU SECRÉTAIRE D'ÉTAT POUR PRESCRIRE DES PRIÈRES PUBLIQUES EN FAVEUR DE LA PAIX

(24 avril 1944) 1

Comme les années précédentes, le Saint-Père appelle le monde entier, et spécialement les enfants, à la prière pour la paix durant le mois de mai.

Partout où Nous portons le regard et la pensée, partout cette guerre meurtrière et fratricide ne Nous fait apercevoir que souffrances, carnages, ruines épouvantables. Cet ouragan de haine et d'effets si dévastateurs menace d'ébranler et de ruiner les fondements mêmes de la communauté humaine. De même qu'autrefois Nous avons cherché par Nos prières et Nos instantes sollicitations à l'éloigner, ainsi dans la suite, le voyant chaque jour grandir et devenir plus redoutable, Nous Nous sommes pareillement efforcé, selon Notre pouvoir, par la parole et par l'action, d'en diminuer les effets et de les rendre moins cruels. Mais encore que les nombreuses oeuvres ou organisations charitables établies par Nous aient adouci le sort, les souffrances et les angoisses de beaucoup de personnes, Nous avouons, avec une immense tristesse, être impuissant devant l'étendue et la grandeur des misères auxquelles Nous désirons porter remède. Hélas ! Nous devons aussi reconnaître que, malheureusement, la volonté des hommes ne seconde pas, parfois, avec l'empressement qu'il faudrait, Nos continuelles et attentives sollicitudes.

C'est pourquoi Nous adressons avec confiance Nos prières au « Père des miséricordes » (2Co 1,3). Nous souhaitons ardemment que tous les fidèles, en union avec Nous, fassent monter d'instantes et persévérantes supplications vers Celui qui seul peut, par sa divine lumière et par les bienfaits de sa grâce transformante, non seulement adoucir les souffrances et les rendre plus supportables et salutaires en les surnaturalisant, mais aussi éclairer, pacifier, diriger les esprits de ceux de qui dépend le sort des peuples, de telle façon que la haine cède le plus tôt possible la place à la charité ; que pareillement le droit, la concorde, un ordre plus équitable se substituent à la violence, aux destructions, à l'universel bouleversement. Il n'est pas permis au regard de l'homme de voir dans l'avenir le moment où cette heure si désirée de la paix surgira du sein de cette furieuse tempête. Nous savons cependant que toutes choses dépendent de la volonté de Dieu, qui est éternel. C'est pour cela que de nouveau Nous exhortons tous ceux qui sont Nos fils dans le Christ à vouloir bien raviver, renouveler, accroître la foi de leurs ancêtres ; de s'adonner de bon coeur, en ce temps difficile, à des oeuvres de pénitence chrétienne ; ainsi disposés, qu'ils obtiennent du Père céleste, pour le genre humain accablé de lassitude et tremblant de peur, cette paix qui est gouvernée par le sceptre de la justice et reçoit sa vigueur du souffle divin de la religion chrétienne.

Puisque l'on est déjà tout près du mois de mai consacré à la Vierge Mère de Dieu, Nous exhortons cette année encore tous les fidèles à une sainte croisade de prière ; Nous y convions spécialement les enfants, que la candeur resplendissante de leur âme rend plus agréables et plus chers à notre divin Rédempteur et à Marie sa Mère toute bonne. C'est pourquoi que les pères et mères de famille, que les prêtres, que tous ceux enfin qui souhaitent l'avènement d'une paix chrétienne et véritable, aient soin de conduire avec eux, durant le mois prochain, près de l'autel de la Vierge Marie, des groupes nombreux de petits garçons et de petites filles pour lui apporter dans leur innocence des fleurs, leurs prières et leurs pieuses pratiques de pénitence.

Que si la paix tant désirée n'a pas encore souri à tant de supplications et de voeux, ce n'est pas une raison de perdre courage et confiance. Il faut plutôt que tous les fidèles poursuivent cette sainte émulation dans la prière avec cette persévérance chrétienne si recommandée par Jésus-Christ.

Mais comme le terrible conflit belliqueux s'est déjà beaucoup rapproché de la Ville éternelle, dont la situation et les conditions très affligeantes se répercutent profondément dans Notre âme angoissée, pressant sur Notre coeur paternel ce groupe particulièrement aimé du troupeau du Christ, Nous ne pouvons Nous empêcher de l'exhorter d'une façon spéciale à suivre l'exemple des ancêtres. Dans


PRIÈRES PUBLIQUES EN FAVEUR DE LA PAIX

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les siècles passés, chaque fois que le peuple romain était frappé et épouvanté par des calamités publiques, il se réfugiait en suppliant auprès de l'autel de Celle qui porte le titre de Salus populi romani, et très souvent il éprouva le bienfait de son très puissant patronage. De même, qu'aujourd'hui les fidèles de la Ville éternelle recourent avec confiance à la Très Sainte Mère de Dieu, qu'ils promettent sincèrement et fermement de rétablir les moeurs chrétiennes, que par la prière et par la pénitence ils implorent de Marie non seulement la paix, la tranquillité et la prospérité, mais qu'ils s'efforcent, par leurs prières et leurs supplications, d'obtenir que le fléau dévastateur imminent soit écarté de cette ville, centre et capitale du monde catholique, resplendissante de tant de glorieux souvenirs, d'obtenir aussi que de nouveaux deuils soient épargnés aux citoyens, d'empêcher que des dommages et des destructions indignes atteignent ces monuments illustres de l'art et de la religion qui, d'une certaine manière, appartiennent à toute nation civilisée.

Ce sera votre rôle, cher Fils, de communiquer de la manière que vous estimerez la plus apte, aux évêques, au clergé, au peuple chrétien, ces exhortations et ces voeux de Notre coeur paternel dans l'affliction ; Nous sommes sûr que tous répondront de bon coeur et avec empressement à Nos désirs.

En attendant, Nous accordons de grand coeur, à vous, cher Fils, et à tous ceux — spécialement aux enfants — qui, avec une volonté pieuse, écouteront Notre appel, la Bénédiction apostolique, présage des grâces célestes et témoignage de Notre bienveillance.


LETTRE APOSTOLIQUE ÉTABLISSANT SAINTE THÉRÈSE DE L'ENFANT-JÉSUS PATRONNE SECONDAIRE DE LA FRANCE ENTIÈRE

(3 mai 1944) 1

C'est à la demande de S. Em. le cardinal Suhard, interprète de l'épis-copat français, que le Saint-Père lui a adressé cette lettre :

Le cardinal de la Sainte Eglise romaine, archevêque de Paris, Nous fait connaître, parlant aussi au nom de tous les autres cardinaux, archevêques et évêques de France, son souhait ardent de Nous voir daigner, par un effet de Notre bienveillance, déclarer sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus patronne secondaire de la France entière.

Comme la très noble nation française a déjà, depuis plusieurs siècles, pour patronne principale la Très Sainte Vierge Marie, Mère de Dieu, et pour patronne secondaire, sainte Jeanne d'Arc, depuis sa canonisation, les évêques, d'un commun accord, ont jugé opportun, surtout en ces temps de détresse, de ménager aux fidèles de France une autre intercession particulière auprès de Dieu, celle de la sainte carmélite de Lisieux qui, pour que la foi catholique se conserve toujours et avec fermeté chez ses compatriotes, a témoigné à sa patrie un grand amour en la recommandant à Dieu le plus possible.

Le cardinal de Paris ajoute que Notre prédécesseur, de récente mémoire, le pape Pie XI, avait bien voulu instituer sainte Thérèse patronne des missions ; et puisque aujourd'hui la France elle-même,

1 D'après le texte latin des A. A. S-, XXXVI, 1944, p. 329 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. VI, p. 129.


SAINTE THÉRÈSE DE L'ENFANT-JÉSUS

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en raison des ruines immenses tant spirituelles que temporelles que la dure et terrible guerre présente lui a causées, peut être considérée comme un très vaste champ à cultiver par le labeur missionnaire pour que son peuple soit ramené à la foi de ses aïeux et à la pratique religieuse, il ne faut pas douter que ce saint patronage, instamment sollicité, tournera au plus grand bien et au profit spirituel de la nation française ; car tout le monde connaît de quelle affection, de quelle gloire, de quel culte vous, les Français, même des classes les plus humbles, honorez sainte Thérèse.

Au vrai, Nous-même déjà, avant d'être élevé au pontificat suprême, lorsque Nous accomplissions les fonctions de légat dans la ville de Lisieux, en 1937, Nous avons recueilli à ce sujet des témoignages éclatants et mémorables, si bien que les voeux que le cardinal de Paris, parlant à la fois en son nom personnel et au nom des autres évêques, Nous présente avec instance, Nous estimons qu'ils doivent être favorablement accueillis aujourd'hui.

C'est pourquoi, après avoir entendu Notre Vénérable Frère le cardinal de la Sainte Eglise romaine, évêque de Palestrina, préfet de la Sacrée Congrégation des Rites, de science certaine, et après mûre délibération, usant de la plénitude de Notre pouvoir apostolique, par la teneur de la présente lettre et d'une façon perpétuelle, Nous déclarons et instituons sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus patronne secondaire de toute la France auprès de Dieu, en ajoutant tous les privilèges liturgiques et les honneurs qui appartiennent d'ordinaire aux célestes patrons de ce genre. Nonobstant toutes choses contraires.

Nous accordons et proclamons ces faveurs en décrétant que la présente lettre est et restera toujours valable dans toute sa force et son efficacité, qu'elle a et gardera ses effets pleins et entiers, qu'aujourd'hui et à l'avenir elle assurera la plénitude de ses avantages à ceux à qui elle s'adresse ou pourra s'adresser ; qu'il faut ainsi juger et décider, et que serait nul et sans effet à partir de maintenant tout ce qui pourrait être tenté en dehors de ceci, sciemment ou par ignorance, par qui que ce soit, par n'importe quelle autorité.


LETTRE AU PRÉPOSÉ DE LA CONGRÉGATION DE L'ORATOIRE DE ROME

(28 mai 1944) 1

A l'occasion du IVe centenaire de saint Philippe de Néri, le Saint-Père a adressé la lettre suivante au R. P. Caresana, supérieur de la Congrégation de l'Oratoire.

C'est un rappel et un encouragement inattendus pour la tendre piété que Nous avons nourrie dès l'enfance pour le cher saint Philippe de Néri que la date imminente du quatrième centenaire du charisme singulier de charité dont fut favorisé par Dieu l'apôtre de Rome par la dilatation visible de son coeur. Le souvenir solennel de ce prodige nouveau par lequel il plut à la bonté divine de confirmer de façon sensible la sainteté de son serviteur et d'une façon particulière son élan d'amour pour le divin Maître Jésus, pour sa sainte Mère Marie et pour le salut des âmes, tombe à une heure d'autant plus opportune que les hommes — et même parfois bien des chrétiens — semblent avoir oublié comment ce suprême amour est le couronnement de la religion et de la civilisation et que par conséquent il est la garantie assurée du bonheur des nations et de tous les hommes.

C'est pourquoi, présent en esprit avec vive satisfaction à cette célébration, Nous Nous portons par la pensée à la demeure qui fut celle de cet aimable saint et le témoin de ses miracles et de son amour séraphique. Mais Notre pensée va surtout à cette furie aveugle des haines déchaînées par le fléau de la guerre ; et par l'intercession de Philippe Nous demandons que soient épargnés à l'humanité affligée, et 'particulièrement à Notre Rome bien-aimée,

1 D'après le texte italien de l'Osservatore Romano, du 28 mai 1944.


CONGRÉGATION DE L'ORATOIRE

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d'autres maux, deuils ou douleurs et qu'à tous soit donné de se retrouver en frères sous les étendards de Jésus-Christ, prince de la Paix.

C'est dans ces sentiments que, renouvelant au protecteur de Notre enfance l'expression de Notre affection et de Notre reconnaissance, Nous faisons des voeux pour que la célébration projetée produise les plus abondants fruits de bien ; et en gage de Notre particulière bienveillance, et des plus abondantes grâces pour votre ministère pastoral, Nous vous accordons, cher fils, à vous, à vos confrères de l'Oratoire et à tous ceux qui participeront à la solennité du centenaire le réconfort de la Bénédiction apostolique.

DISCOURS AU SACRÉ COLLÈGE EN LA FÊTE DE SAINT EUGÈNE Ier

(2 juin 1944) 1

C'est une tradition désormais que la fête de saint Eugène donne au Saint-Père l'occasion de traiter des grands problèmes de la vie du monde dans le discours qu'il prononce en remerciement aux voeux que lui adressent les cardinaux.

Le discours ci-dessous aborde les sujets suivants : l'oeuvre de charité à entreprendre pour soulager les misères de l'après-guerre, la primauté de l'Eglise romaine, enfin les principes qui devront présider à la conclusion de la paix.


I. — L'OEUVRE DE CHARITÉ

Douloureuses catastrophes.

Une année s'est écoulée, Vénérables Frères, depuis qu'en la fête de Notre saint patron et prédécesseur, Nous avions la joie de recueillir pour la cinquième fois, des lèvres du vénérable et si aimé cardinal doyen, que Nous avons la peine de ne pas voir aujourd'hui au milieu de vous, vos souhaits empressés, l'assurance de vos prières, la promesse de votre application à remplir des devoirs toujours plus nombreux et à porter les lourdes responsabilités du ministère apostolique, le renouvellement de votre engagement à participer assidûment aux soucis et aux sollicitudes du Père de la chrétienté.

Une année s'est écoulée : breve aevi spatium et cependant année remplie de très douloureux et très tristes événements et

1 D'après le texte italien des A. A. S., 36, 1944, p. 166 ; cf. la traduction française des ^4c(es de S. S. Pie XII, t. VI, p. 131. Les sous-titres sont ceux du texte original.

d'immenses et indicibles souffrances, parce que la cruelle tragédie du conflit mondial se développant devant et autour de Nous n'a-t-elle pas atteint un degré et des formes d'atrocité qui bouleversent et font frissonner d'horreur tout sens chrétien et humain. Aussi, en ce retour du jour de Notre fête, en vous voyant de nouveau réunis ici, Nous sentons le besoin de vous confier les angoisses intimes de Notre âme et de déplorer avec vous la foudroyante aggravation des sanglantes destructions, des ruines, du carnage, qui sont parvenus à un tel paroxysme que ce qui, l'an passé, pouvait sembler à beaucoup une chose invraisemblable ou impossible, est malheureusement devenu une réalité.

La Ville éternelle, cellule mère de la civilisation, et même le territoire sacré qui entoure le tombeau de Pierre, ont dû expérimenter et éprouver à quel point l'esprit des méthodes de guerre d'aujourd'hui, devenues pour différentes raisons toujours plus féroces, s'est éloigné des règles indéfectibles qui autrefois étaient regardées comme des lois inviolables.

Cependant, au milieu d'une si grande douleur, Nous ne voulons pas omettre de relever que la menace des incursions aériennes sur les zones hors de la périphérie de Rome a fait place à une pratique et à des procédés plus humains. Nous nourrissons l'espoir que cette tendance plus modérée et plus juste prévaudra sur les considérations opposées d'apparente utilité et sur ce qu'on appelle les exigences et les nécessités militaires, et que Rome sera, en tout cas et à tout prix, préservée du malheur de devenir un théâtre de guerre. Aussi osons-Nous répéter encore une fois, dans un esprit d'impartialité et avec un ferme sentiment de Notre devoir : « Quiconque oserait lever la main contre Rome se rendrait coupable du crime contre sa mère devant le monde civilisé et dans le jugement éternel de Dieu. »

Si ensuite Nous observons les conditions générales présentes du monde, Nous Nous trouvons devant des événements qui, dans leurs effets spirituels et matériels, Nous remplissent d'une légitime anxiété. L'âpreté des discordes et des luttes entre les enfants d'un même peuple, qui portent en elles les germes des plus terribles conséquences, crée une atmosphère dans laquelle l'autorité de l'Eglise, qui est au-dessus des terrestres et variables courants de pensée, se voit entraînée par l'une ou l'autre partie dans le tourbillon des discussions dans lesquelles bien souvent font défaut l'indispensable clarté des idées et le juste équilibre du jugement. Aussi, le poids de la responsabilité qui pèse sur Nos pauvres épaules grandit et augmente

dans une mesure inconnue en d'autres temps, et exige de Nous, jour après jour, heure après heure, une vigilance qui ne se relâche pas, une promptitude dans l'action qui ne s'interrompe jamais, un coeur large et généreux, ouvert à toutes les âmes qui cherchent sincèrement la vérité et le bien.

L'action du Siège apostolique pour défendre la justice et soulager la misère.

Il est opportun ici de rappeler les sentiments exprimés en 449 par un évêque d'Orient, Eusèbe de Dorylée, dans une lettre adressée au pape saint Léon le Grand : « Le Siège apostolique, écrivait-il, a coutume, depuis l'origine, de défendre celui qui est victime d'injustices... et de relever, selon les possibilités, celui qui est par terre. Vous avez, en effet, compassion de tous les hommes. La cause en est dans la rectitude de l'esprit qui vous anime et dans votre attachement inébranlable à la foi du Christ, et encore dans la charité éclatante dont vous faites preuve à l'égard de tous vos frères et de ceux qui sont appelés au nom du Christ. » 2

Ces nobles paroles qui attestent chez le Siège apostolique le souci constant de défendre la vérité et le droit, ainsi que son amour généreux pour les malheureux et les opprimés, furent dictées par l'expérience des premiers siècles du christianisme. Mais l'Eglise romaine reconnaissante loue le Seigneur de l'avoir maintenue par l'assistance divine dans cette sainte coutume, aussi dans les temps qui ont suivi. C'est ainsi qu'un des historiens les plus renommés du XIXe siècle, qui n'est certainement pas suspect de sentiments favorables au Siège de Pierre, n'hésitait pas à avouer, en terminant son ouvrage sur la ville de Rome au moyen âge, que « l'histoire n'a pas assez de titres de héros pour qualifier même d'une façon tout approximative, l'activité mondiale, les grandes créations et la gloire impérissable des papes. » 3

Entraîné par l'exemple de Nos prédécesseurs, Nous aussi, Vénérables Frères, considérons pour Notre part, en ces temps de restrictions et de pauvreté sans exemple, comme Notre devoir sacré, de tourner Notre sollicitude pastorale, avec une ampleur jusqu'ici difficilement dépassée ou même atteinte, du côté de l'indigence

2 Cf. Edouard Schwartz, Acta Conciliorum acumen., t. II, (Conc. univ. Chalcedonense) vnl. 71, p. 1, 1932, p. 79.

3 Ferdinand Gregorovius, Geschichte der Stadt Rom im Mittelalter, t. VIII, Stuttgart 1896, p. 668.

qui nous entoure de toute part et qui crie au secours. Ce n'est pas que l'Eglise, surtout à l'heure présente, aspire de quelque manière à des avantages terrestres ou à la gloire humaine, mais une seule préoccupation oriente Nos pensées jour et nuit, à savoir comment il Nous sera possible d'affronter une si terrible épreuve, en venant au secours de tous, sans distinction de nationalité ou de race, et comment il Nous sera donné de travailler à rendre enfin la paix au monde torturé par la guerre ?

Sollicitude pour la grave situation de Rome.

Que si présentement Notre sollicitude s'étend d'une façon particulière sur Rome, cela vient des conditions misérables dans lesquelles vient de se trouver une si grande partie de la population de la ville qui est aussi Notre diocèse. Certainement, ce n'est pas la première fois que l'ouragan secoue la Ville éternelle. Au cours de sa longue histoire, la Rome chrétienne a connu d'autres et très dures adversités : occupations et sacs depuis Alaric jusqu'à l'horrible pillage de 1527 ; luttes intestines des partis, comme au Xe siècle ; abandon, durant la période des papes d'Avignon et à l'époque du grand schisme ; peste, comme aux jours de calamité du grand saint Grégoire et sous le pontificat de Sixte IV ; faim et famine, pour des raisons naturelles, comme durant le pontificat de Clément XIII, dans les années 1763 et 1764 4. Dans cette dernière calamité publique, des foules affamées, venant de tous les Etats de l'Eglise, même de la Toscane et de Naples, se réfugièrent aussi à Rome. Il fallut les plus grands efforts pour leur prêter assistance en leur donnant logement et nourriture. Le pape, par ses libéralités généreuses et infatigables, réussit à empêcher une catastrophe. Pourtant, qu'étaient les 6000 réfugiés d'alors, joints à moins de 160 000 Romains — l'Etat pontifical, dans son ensemble, comptait un peu plus de 2 millions d'habitants — qu'était cela, 'disons-Nous, si on fait la comparaison avec les conditions d'aujourd'hui ? Avec le nombre des habitants, avec la disette, les dangers, les angoisses, les séparations, les douleurs de toute espèce qui font trembler de peur et souffrir tant de personnes ?

A l'heure présente, il y a peu d'endroits sur le sol italien, pour ne pas dire dans le monde, où la pénurie des choses nécessaires à

4 Cf. Pastor, Geschichte der Pàpste, t. II, p. 579 ; t. XVI, p. 1, pp. 461-463.

la vie soit aussi grande qu'à Rome et dans les environs ; où il y ait autant de danger que cette pénurie grandisse pour devenir un incommensurable appauvrissement de masses entières de population. D'autre part, la force d'attraction que Rome exerce sur beaucoup de victimes de la guerre qui cherchent un logis et du secours place ceux qui s'occupent à leur procurer une demeure et une subsistance en face de problèmes parfois presque insolubles. Malgré les louables empressements des autorités publiques et associations très méritantes, l'armée des pauvres grandit de jour en jour. Toujours plus angoissés, ces malheureux tournent leurs regards vers le Père commun, élevant leurs mains vers lui dans un geste de supplication ; un grand nombre se voient aujourd'hui contraints d'implorer cette charité que, hier encore, ils pratiquaient eux-mêmes avec une très large libéralité.

Jusqu'à l'extrême limite de Nos moyens et de Nos forces, aidé par les aumônes d'âmes généreuses, soutenu par l'action organisatrice de personnes compétentes, prévoyantes et industrieuses, par le courage et par l'esprit d'abnégation de travailleurs honnêtes et vaillants, auxquels Nous adressons l'expression de Notre vive gratitude, Nous avons pu souvent faire luire, au sein de l'obscurité créée par la misère la plus angoissante et par le plus cruel abandon un rayon réconfortant d'amour paternel secourable, encore qu'il ne puisse toujours égaler l'étendue du besoin et le profond désir de Notre coeur.

Ne reculant devant aucun sacrifice, sans Nous décourager par aucun refus, toujours dressé contre toutes les violations de notre droit, Nous n'avons pas cessé d'apporter tout Notre concours, dans la mesure de Nos moyens, au ravitaillement de la population de Rome et de la région environnante, au moins en aliments les plus nécessaires et les plus urgents. Nous avons également fait des démarches pour effectuer des transports de vivres par mer, à l'aide de navires pontificaux. Mais on attend encore l'autorisation d'une des parties belligérantes pour réaliser cette entreprise, qui apporterait un remède vraiment efficace à une si grande détresse. Quoi qu'il arrive, Nous ne diminuerons pas pour Notre part Nos efforts pour surmonter les obstacles et vaincre les résistances dans l'espoir qu'à Notre ville natale et episcopale, qui compte aujourd'hui dans ses murs des fils et des filles d'Italie plus qu'en aucun autre moment de son histoire, soit autant que possible épargnée, en l'une des heures les plus douloureuses de son histoire, si riche de gloire et de peines, la douleur de devoir appliquer à elle-même la parole du prophète : « Son peuple tout entier gémit en quête de pain... Les petits enfants réclament du pain : personne ne leur en partage » (Lm 1,11 iv, Lm 4).


IL — LA PRIMAUTÉ DE L'ÉGLISE ROMAINE

Le mandat divin.

Mais au-delà de tous ces soucis extérieurs et des devoirs particuliers imposés par les contingences de temps et de lieu, Vénérables Frères, se dresse Notre devoir central et suprême qu'il n'est dans la puissance d'aucun pouvoir humain de Nous détourner d'accomplir pleinement et consciencieusement, dont aucune difficulté extérieure ne peut Nous détacher, l'absolue obéissance au commandement du Seigneur : Pasce agnos meos, pasce oves meas, « Pais mes agneaux, pais mes brebis » (Jn 21,15-17).

Ce divin mandat qui, du premier Pierre à travers la longue suite des Pontifes romains a passé jusqu'à Nous, leur indigne successeur, renferme au milieu de la confusion et du déchirement de notre monde actuel une accumulation encore plus élevée de saintes responsabilités, et rencontre des obstacles et des oppositions qui exigent de l'Eglise, en la personne de son Chef visible et dans ses membres, un accroissement de vigilance et d'activité.

Funestes conséquences de la séparation d'avec l'Eglise Mère.

Aujourd'hui, en effet, plus que jamais, apparaît aux yeux de tout observateur attentif et impartial le bilan tristement déficitaire que les séparations d'avec l'Eglise Mère ont imposé au cours des siècles à la chrétienté. Dans une époque troublée et agitée comme la nôtre, au moment où l'humanité est sur le point de subir les conséquences d'une déchéance spirituelle qui l'a précipitée dans l'abîme et où de tous les pays s'élèvent des voix qui réclament pour l'entreprise gigantesque d'une nouvelle organisation, non seulement toutes les garanties extérieures, mais aussi les fondements indispensables du droit et de la morale, il est d'une importance capitale de savoir quelle influence le courant des idées et des règles de la vie chrétienne pourra exercer sur le contenu et sur l'esprit de cette future organisation et contre le retour de la prédominance de fausses et funestes tendances.

L'Eglise Mère catholique romaine, demeurée fidèle à la constitution reçue de son divin Fondateur, et qui aujourd'hui encore s'appuie, inébranlable, sur la solidité de la pierre sur laquelle sa volonté l'a bâtie, possède dans la primauté de Pierre et de ses légitimes successeurs, l'assurance garantie par les promesses divines de conserver et de transmettre dans son intégrité et sa pureté, à travers les siècles et les millénaires, jusqu'à la fin des temps, toute la somme de vérités et de grâces qui est contenue dans la mission rédemptrice du Christ.

Et pendant que l'Eglise, stimulée et réconfortée par la conscience de ce double trésor, y trouve la force de triompher de tous les obscurcissements de l'erreur et de tous les égarements moraux, elle déploie son activité pour le bien, non seulement de la chrétienté, mais du monde entier, en inspirant des sentiments de justice conciliante et d'authentique amour fraternel, dans les grandes controverses dans lesquelles, souvent, bénédiction et calamité, moisson abondante et pauvre récolte, viennent à se trouver voisines l'une de l'autre.

Mais combien plus fort et plus efficace serait le rayonnement de la pensée et de la vie chrétiennes sur les bases morales des futurs plans de paix et de reconstruction sociale, s'il n'y avait la vaste division et séparation des confessions religieuses qui se sont détachées de l'Eglise Mère au cours des siècles ! Qui aujourd'hui pourrait ne pas reconnaître quelles valeurs, quel patrimoine de foi, quelle force profonde de résistance contre les influences antireligieuses ont été perdus dans de nombreux groupes par suite de cette séparation ?

Une preuve éloquente parmi tant d'autres d'une aussi douloureuse réalité, c'est l'histoire du rationalisme et du naturalisme dans les deux derniers siècles. Là où la charge confiée à celui qui a été investi de 'la primauté, confirma fratres tuos (Lc 22,32), n'a pu exercer et déployer son activité pour protéger et préserver, la zizanie du rationalisme a pénétré de mille façons diverses avec ses tiges et ses graines nocives dans la pensée et les sentiments de beaucoup d'âmes qui se disent chrétiennes ; elle a intoxiqué ce qui restait en elles de semence divine de la vérité révélée, en produisant pardessus tout un obscurcissement, une scission et un abandon croissant de la foi en la divinité du Christ.

Volonté du Christ dans l'institution de la primauté pontificale.

Entre le Christ et Pierre subsiste depuis le jour de la promesse près de Césarée de Philippe et de son accomplissement sur la mer de Tiberiade un lien mystérieux, mais éminemment réel, survenu une fois dans le temps, mais qui plonge ses racines dans les éternels desseins du Tout-Puissant. Le Père céleste qui a révélé à Simon, fils de Jonas, le mystère de la filiation divine du Christ et l'a ainsi rendu apte à répondre par une profession nette et prompte à la demande du Rédempteur, avait, de toute éternité, prédestiné le pêcheur de Bethsaïde à sa charge spéciale ; le Christ lui-même ne faisait qu'accomplir la volonté du Père, quand dans la promesse et la collation de la primauté, il se servait de formules qui devaient fixer la place unique et privilégiée attribuée à Pierre.

Dès lors, ceux qui, comme il n'y a pas longtemps il a été affirmé (ou mieux répété) par certains représentants de confessions religieuses qui se disent chrétiennes, déclarent qu'il n'y a pas de Vicaire du Christ sur la terre, parce que le Christ lui-même a promis de demeurer avec son Eglise comme son Chef et Seigneur jusqu'à la consommation des siècles, ceux-là non seulement suppriment le fondement de toute charge episcopale, mais méconnaissent et faussent le sens profond de la primauté pontificale, qui n'est pas la négation, mais la réalisation de cette promesse du Christ. C'est pourquoi, s'il est vrai que le Christ, du fait de la plénitude de son pouvoir divin, dispose des moyens les plus divers pour éclairer et sanctifier, moyens grâce auxquels il est réellement avec ceux qui le confessent, il est non moins certain qu'il a voulu confier à Pierre et à ses successeurs la conduite et le gouvernement de l'Eglise universelle, et les trésors de vérité et de grâce de son oeuvre rédemptrice. Les paroles du Christ à Pierre ne laissent aucun doute sur leur signification. Ainsi ont jugé et cru, avec une admirable entente, l'Occident et l'Orient, à une époque non suspecte. Vouloir créer une opposition entre le Christ comme Chef de l'Eglise et son Vicaire, prétendre voir dans l'affirmation de l'un la négation de l'autre, équivaut à dénaturer les pages les plus claires et les plus lumineuses de l'Evangile, à fermer les yeux devant les témoignages les plus anciens et les plus vénérables de la tradition, à priver la chrétienté de cet héritage précieux dont la saine connaissance et l'estime pourront, au moment connu de lui seulement, et grâce à la lumière de la grâce accordée par lui, éveiller chez nos frères séparés la nostalgie de la maison paternelle et la volonté efficace d'y retourner.

Lorsque, chaque année, dans la soirée qui précède la fête des Princes des apôtres, Nous visitons Notre basilique patriarcale du Vatican, afin d'implorer sur le tombeau du premier Pierre la force de servir le troupeau que, selon ses desseins et ses buts, le Prêtre souverain et éternel Nous a confié, dans l'entablement de ce haut édifice, Nos regards rencontrent dans la mosaïque étincelante les paroles puissantes par lesquelles le Christ a exprimé sa volonté de bâtir son Eglise sur le roc de Pierre, et Nous Nous souvenons de Notre imprescriptible devoir de conserver intact cet incomparable héritage du divin Rédempteur. Puis Nous voyons resplendir devant Nous la gloire du Bernin, et au-dessus de la chaire soutenue par les gigantesques statues des saints Ambroise et Augustin, Atha-nase et Jean Chrysostome, Nous voyons resplendir dans une magnifique lumière le symbole de l'Esprit-Saint. Nous saisissons et sentons tout le caractère sacré, toute la mission surhumaine, que la volonté du Seigneur, avec l'assistance de l'Esprit promis et envoyé par lui, a communiqués à ce point central de l'Eglise du Dieu vivant : Columna et firmamentum veritatis, « colonne et appui de la vérité » (1Tm 3,15). En cette octave de la Pentecôte, de Notre coeur et de Nos lèvres jaillit la prière à l'Esprit créateur, pour qu'il daigne donner à nos frères séparés le désir ardent du retour à l'unité perdue et la force de suivre la poussée de ce désir. Puissent tous ceux qui christiana professione censentur comprendre quel champ inégalable d'action serait réservé à la chrétienté au moment actuel si, dans une totale union de foi et de vouloir, ils consacraient leur activité à sauver la famille humaine et à la préparer pour un avenir meilleur !


Pie XII 1944 - UNION TRÈS ÉTROITE DE SAINT CYRILLE AVEC LE SIÈGE APOSTOLIQUE