Pie XII 1944 - PENSÉES DE CHARITÉ


PENSÉES DE PAIX

Nous n'avons sans doute pas de plus ardent désir que de voir luire au plus tôt le jour où, le fracas des armes venant de se taire, une si grande partie de l'humanité torturée et presque à bout de forces physiques et morales recouvrera la paix, la sécurité, la prospérité.

Des coeurs sans nombre soupirent après ce jour comme les naufragés après le lever de l'étoile du matin. Beaucoup, néanmoins, se rendent compte dès à présent que le passage de la tempête furieuse à la grande tranquillité de la paix peut être encore plein de peines et d'amertumes ; ils comprennent que les étapes sur le chemin qui conduit de la cessation des hostilités à l'établissement des conditions normales de vie peuvent réserver de plus graves difficultés qu'on ne pense. Aussi est-il d'autant plus nécessaire qu'un robuste sens de solidarité renaisse entre les peuples, afin de rendre plus rapide et durable la guérison du monde.

Essais d'institutions internationales.

Déjà, dans Notre discours de Noël 1939, Nous augurions la création d'organisations internationales qui, évitant les lacunes et les déficiences du passé, fussent réellement de nature à sauvegarder la paix, selon les principes de la justice et de l'équité, contre toute menace possible pour l'avenir. Aujourd'hui que, à la lumière de tant de terribles expériences, le désir d'une telle institution universelle de paix s'impose de plus en plus à l'attention et à la sollicitude des hommes d'Etat et des peuples, Nous exprimons avec plaisir Notre satisfaction et Nous formons le voeu que la réalisation concrète corresponde vraiment dans la plus large mesure à la grandeur du but qui est le maintien, à l'avantage de tous, de la tranquillité et de la sécurité dans le monde.

Le retour des prisonniers et des internés civils.

Mais personne, peut-être, n'appelle avec autant d'anxiété la fin du conflit et la renaissance de la mutuelle concorde entre les nations que les millions de prisonniers et d'internés civils contraints par la guerre à manger le pain amer de la captivité ou du travail forcé sur la terre étrangère. La douleur que leur fait ressentir l'interminable éloignement de leurs mères, de leurs épouses, de leurs enfants, et la longue séparation de toutes les personnes et choses qui leur sont chères, les ronge, les mine et éveille en eux un vif sentiment de désolation et d'abandon : seul peut s'en faire une idée celui qui a su pénétrer dans l'intime détresse de leurs coeurs. Et parce que cette guerre, avec toutes ses conséquences, nécessaires ou arbitraires, a conduit à la plus immense et tragique migration de peuples qu'ait jamais connue l'histoire, ce sera faire oeuvre noblement humaine de clairvoyante justice et de sagesse ordonnatrice que de ne pas faire attendre à ces malheureux, au-delà des limites de la stricte nécessité, la libération déjà trop longtemps différée.

Une telle résolution — sous réserve, bien entendu, de toutes les mesures de prudence que l'on jugerait indispensables — serait, pour tant d'infortunés, un premier rayon de soleil dans la sombre nuit, le symbolique héraut d'une ère nouvelle, au cours de laquelle, grâce à la progressive détente des coeurs, toutes les nations amies de la paix, grandes et petites, puissantes et faibles, victorieuses et vaincues, auront leur part des droits et des devoirs, autant que des bienfaits d'une véritable civilisation.

L'épée peut, et parfois, hélas ! doit ouvrir la voie qui mène à la paix.

L'ombre de l'épée peut peser encore sur le trajet de la cessation des hostilités à la conclusion formelle de la paix.

La menace de l'épée peut paraître inévitable, dans les limites juridiquement nécessaires et moralement justifiables, même après la conclusion de la paix, pour garantir l'observation des justes obligations et prévenir les tentatives de nouveaux conflits.

Mais l'âme d'une paix digne de ce nom, son esprit vivifiant, ne peut être autre qu'une justice qui, dans une mesure impartiale, donne à tous ce qui est dû à chacun et exige de tous ce à quoi chacun est tenu, une justice qui ne donne pas tout à tous, mais qui à tous donne l'amour et ne fait tort à personne, une justice fille de la vérité, mère d'une saine liberté et d'une solide grandeur.


MESSAGE AU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE POLONAISE EN RÉPONSE A UN APPEL

(14 septembre 1944) 1

En réponse à l'appel que M. Raczkiewicz lui avait adressé à la suite de la terrible répression du soulèvement de Varsovie 2, le Saint-Père a fait parvenir la lettre suivante :

Vous avez voulu vous adresser une fois encore à Nous, dans un élan de filiale confiance, pour Nous manifester les graves préoccupations que vous causent, ainsi qu'à votre gouvernement, les tristes nouvelles qui arrivent de Pologne, et notamment de la lutte qui est en cours dans la ville de Varsovie.

Nous n'avons pas besoin de vous redire quel profond écho trouvent dans Notre âme les douleurs de toutes les victimes de cette terrible guerre, et parmi elles, de façon toute particulière, celles de Nos bien-aimés fils de Pologne, qui affrontent depuis cinq ans d'indicibles angoisses et des tribulations sans nombre. Le récent

1 D'après le texte français de ['Osservatore Romano, du 14 septembre 1944.

2 Voici les termes de cet appel :

« Très Saint Père,

« Les nouvelles concernant les moyens de lutte employés par les Allemands dans les combats à Varsovie, qui parviennent à moi et à mon gouvernement, suscitent ia douleur et l'horreur.

« Les Allemands détruisent la capitale de la Pologne avec une cruauté sans pareille et s'efforcent d'en exterminer la population. Ils tuent publiquement les vieillards, les femmes et les enfants. Us font avancer des colonnes de population civile devant leurs chars armés et leurs détachements qui attaquent les unités de l'armée nationale luttant pour la liberté de la capitale.

« Le 10 de ce mois, les Allemands ont publié un ordre ultimatif enjoignant à toute la population civile, sous menace des plus terribles représailles, de quitter immédiatement la ville.

« En ce moment tragique pour la Pologne, je m'adresse, du fond de mon coeur, à Votre Sainteté pour Vous prier, Saint Père, d'élever votre voix pour la protection de cette population, des femmes et des enfants de cette capitale martyrisée ».


PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE POLONAISE 165

appel que Nous ont adressé les femmes de Varsovie Nous a ému jusqu'au fond de l'âme.

Vous savez d'autre part que, de même que Nous n'avons cessé de prier et de faire prier le Tout-Puissant pour que, dans sa miséricorde, il abrège les jours de douleur et hâte l'heure de la paix, ainsi, à maintes reprises, au cours de ces années, Nous avons élevé la voix pour rappeler au monde aussi bien les principes qui doivent régler la conduite de la guerre que les fondements de justice et de charité sur lesquels devra reposer l'édifice de la paix future : paix que, il y a quelques semaines encore, recevant en une audience particulièrement chère un groupe choisi de Nos fils de Pologne, Nous augurions durable et accompagnée d'une heureuse prospérité pour votre nation 3.

Chacun sait que, dans l'exercice de Notre ministère apostolique, Nous nous sommes élevé, avec tous les moyens dont Nous disposions, pour la défense des opprimés et avons invoqué pour eux la protection du droit.

En ce qui concerne en particulier la Pologne, qui se fait gloire du titre de semper fidelis, Nous avons appelé de Nos voeux l'heure de sa résurrection. Aussi est-ce de tout coeur que Nous accueillons le nouvel appel qui Nous est adressé, désireux de ne rien négliger de ce qui est en Notre pouvoir pour sauver tant de vies humaines menacées.

Dieu veuille agréer Nos désirs et Nos supplications, rendre efficace Notre activité et faire que cessent de couler tant de sang et tant de larmes. C'est avec cette prière sur les lèvres et ces sentiments dans le coeur que Nous accordons à tous ceux et celles qui l'ont invoquée avec des accents si émouvants, à vous-même, cher fils, et à toute la nation polonaise dont vous vous êtes fait l'interprète, en témoignage de Notre paternelle affection et comme gage de l'aide céleste et du réconfort dans l'angoisse, Notre Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION AUX MEMBRES DE L'ARMÉE POLONAISE

(15 septembre 1944) 1

A l'audience générale habituelle du vendredi 15 septembre accordée aux soldats des armées alliées, le Saint-Père, après avoir adressé quelques paroles dans leurs langues respectives aux soldats américains, anglais, français et italiens, a prononcé l'allocution suivante à l'adresse des soldats polonais :

Et maintenant Nous voulons adresser un salut paternel spécial à vous, chers fils de la Pologne, chers à Notre coeur pour votre fidélité au Christ et à son Eglise, fidélité dont votre peuple a donné tant d'admirables preuves, doublement chers en raison des blessures reçues et des douleurs endurées par votre patrie bien-aimée. Les paroles s'éteignent sur Nos lèvres, impuissantes à exprimer efficacement les sentiments dont Nous sommes animé envers vous aujourd'hui plus que jamais. Que ce soit cependant pour vous un réconfort de savoir que Notre coeur a saigné sur les ruines de Var-> sovie, votre grande capitale, entre les murs de laquelle s'est déroulée une des plus douloureuses mais aussi des plus héroïques tragédies de toute l'histoire de votre nation. Cependant, malgré tant de souffrances et d'anxiétés, brille toujours à vos yeux l'étoile de l'espérance et resplendissent toujours les vicissitudes souvent amères, mais toujours glorieuses, de votre antique race et de votre patrie !

Certes Nous avons déjà fait et Nous continuerons à faire pour vous tout ce qui est en Notre pouvoir et Nous ne cesserons pas d'élever Notre voix pour inspirer aux uns des sentiments d'humanité contre les horreurs indicibles et les atrocités d'une aussi terrible guerre, aux autres des pensées de justice qui respecte votre droit


ARMÉE POLONAISE

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et de charité fraternelle qui cherche par tous les moyens à venir en aide aux angoisses dans lesquelles, non moins que les combattants eux-mêmes, agonisent d'innombrables foules sans armes et innocentes.

Mais, au-dessus de tout secours humain, invoquez, chers fils, le secours qui vient d'en haut ; élevez votre regard vers la croix, dont nous avons célébré hier dans la liturgie sacrée l'exaltation et la puissance, vers cette croix aux pieds de laquelle nous contemplons aujourd'hui la Mère du divin Crucifié en larmes, vers cette croix que nous saluons comme notre unique espérance, vers cette croix qui est un symbole de triomphe et de vie.

Courage donc et confiance, très chers fils ! Nous avons confiance que par l'intercession de la Mère de Dieu, de vos saints et de vos martyrs, ne tardera pas à sonner l'heure où vous chanterez au Seigneur l'hymne de la libération et du salut, où Dieu changera en jours de joie les jours de tribulation, les années de vos malheurs en années de prospérité et de gloire (cf. Ps., lxxxix, 15).

Telle est l'ardente prière que Nous élevons vers le Tout-Puissant, en même temps qu'avec toute l'effusion de Notre coeur Nous vous accordons à vous, à tous vos frères et soeurs qui souffrent, luttent et prient, à vos familles, à toutes les personnes qui vous sont chères, à tous ceux qui vous assistent et vous assisteront, à toute la chère Pologne, Notre paternelle Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION A DES SOLDATS MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ DU SAINT-NOM

(17 septembre 1944) 1

La Société du Saint-Nom à laquelle le Saint-Père a adressé l'allocution suivante est une association d'apostolat agrégée à l'ordre de Saint-Dominique, spécialement répandue en Angleterre et aux Etats-Unis.

Voici une audience qui Nous donne une joie et une consolation toutes particulières. Vous êtes, fils bien-aimés, venus ici comme membres de la Société du Saint-Nom des armées alliées. Vous êtes des soldats au service de vos pays ; mais vous n'avez pas voulu oublier que vous êtes aussi et que vous serez toujours des soldats de l'Eglise militante, une garde d'élite composée de volontaires unis pour protéger et défendre l'honneur du commandant suprême, votre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ. C'est à lui que « Dieu a exalté et donné le Nom qui est au-dessus de tout nom, pour que tout au nom de Jésus s'agenouille au plus haut des cieux, sur la terre et dans les enfers » ; et l'Apôtre des gentils ajoute que tous « doivent confesser pour la gloire de Dieu que Jésus-Christ est le Seigneur » (Ph 2,9-11). Voilà le chef proposé par votre société à votre sens du dévouement et de la loyauté. Comme il est Dieu, il réclame le respect et l'adoration de l'homme. Comme il est Dieu, ses préceptes sont divins et réclament de la part de l'homme une observance constante et fidèle.

Oh ! la guerre est une chose terrible. Elle balaie un pays, nivelant de précieux monuments chargés d'ans et torturant les coeurs humains par le chagrin et l'angoisse. Mais qui pourrait dire la ruine


SOCIÉTÉ DU SAINT-NOM

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opérée par le compagnon trop habituel de la guerre, le péché, dans les âmes des hommes, dans des âmes achetées par Jésus-Christ au prix de sa propre agonie et de son propre crucifiement, dans des âmes qui furent créées pour être les temples du Saint-Esprit et qui sont profanées par son ennemi rebelle ? Vous qui êtes membres de la Société du Saint-Nom, vous êtes décidés à faire en sorte que le temple du Saint-Esprit, qui est votre âme, reste intact, indemne au milieu du feu et de la fumée de la bataille ; et par votre exemple et votre parole prudente, vous désirez enrôler vos compagnons dans la lutte incessante contre l'ennemi insigne du Christ et de la nature humaine. La victoire ne sera gagnée qu'au prix d'un grand courage et d'un sacrifice désintéressé. Nous savons que vous êtes prêts à en payer le prix. En avant donc, pour votre noble croisade comme champions de la pureté et de l'honnêteté dans votre vie, de la charité envers les membres pauvres et souffrants de Dieu, d'une foi qui soit profonde, sûre, vivante et active. Comme gage des grâces de Dieu dont vous avez besoin et de sa faveur pour encourager vos efforts, Nous sommes très heureux de donner avec toute l'affection de Notre coeur paternel la Bénédiction apostolique au supérieur général de votre association, ici présent, à vous, à vos familles, à votre zélé directeur, à tous les directeurs, membres et amis de la Société du Saint-Nom dans vos pays.

ALLOCUTION AUX PRÊTRES ET AUX FIDÈLES DU DIOCÈSE DE VELLETRI

(23 septembre 1944)*

Le Saint-Père a adressé l'allocution suivante aux autorités, aux prêtres

et aux fidèles du diocèse de Velletri venus rechercher, à la fin de la

guerre, le tableau de Notre-Dame des Grâces qu'ils avaient déposé en l'église du Gesù :

Chers fils, en vous voyant aujourd'hui près 'de Nous, il Nous est agréable de penser que la Très Sainte Vierge des Grâces, patronne principale de la ville et du diocèse de Velletri, vous a inspiré elle-même le désir de vous réunir ici autour d'elle avant de la reconduire dans sa séculaire demeure. Vous n'auriez pu trouver une manière plus délicate de Nous témoigner votre gratitude. Dans vos personnes, Nous voyons en ce moment tout le diocèse avec son zélé évêque auxiliaire et ses actifs curés et chaque commune dignement représentée par son syndic et les notabilités du lieu.

Quand, sous la violence de la tempête homicide et dévastatrice, vous avez dû abandonner la terre natale, votre sollicitude filiale a voulu mettre en lieu sûr l'image de la Mère bien-aimée. Et où aurait-elle pu avoir un refuge plus doux à son coeur que dans la maison qui porte le nom de son divin Fils, dans la vénérable église du Gesù ? C'était pour vous un réconfort que d'aller la saluer, lui confier vos angoisses et vos peines, lui manifester vos espérances, lui demander conseil, lui soumettre vos intentions. L'exil est toujours douloureux, surtout quand il a fallu laisser le foyer domestique avec tout ce que l'on possédait, avec tous les souvenirs accumulés à travers tant de générations ; mais combien la peine est plus légère quand on a avec soi sa mère et que malgré tout l'on peut se réunir autour d'elle !


FIDÈLES DU DIOCÈSE DE VELLETRI

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Et voici que l'heure du retour de l'image vénérée a sonné. Retour attendu impatiemment, mais dont la joie est troublée par l'a pensée de tant de ruines de votre ancienne cité. En présence d'un spectacle si désolant, qui oserait faire un reproche aux coeurs de se sentir serrés, aux yeux de se baigner de larmes ? Cependant, une fois payé le juste tribut de douloureux regrets aux vestiges d'un passé irréparablement perdu et sans cesser de porter secours à tant de chers défunts par vos suffrages, votre devoir est de vous relever au plus tôt pour continuer courageusement le travail de reconstruction déjà commencé, pour reprendre l'oeuvre qui vous a été laissée en héritage par ceux qui sont tombés.

Mais ce ne sont pas seulement les maisons de pierre et de ciment qui doivent être relevées, mais bien tout l'édifice spirituel, moral et social. Promouvoir cette reconstruction, voilà la noble mission qui vous est propre à vous, pasteurs des âmes, et à vous à qui est confiée l'administration des communes. Nous savons bien que ce n'est pas la bonne volonté qui fait défaut pour accomplir cette mission et votre présence ici est un témoignage éloquent de votre foi qui met votre action sous la protection de Dieu et de votre céleste patronne.

Dans l'oeuvre de réédification matérielle, Nous ne pouvons que louer et encourager la résolution de ceux qui, quoique désireux de faire revivre les lignes et les formes symboliques et esthétiques d'un passé qui vous reste cher entendent appliquer aux nouvelles constructions et aux réparations les méthodes perfectionnées de la technique moderne.

Il importe à plus forte raison que dans l'oeuvre de rénovation spirituelle, morale et sociale, renouant la chaîne trop souvent rompue des saintes traditions religieuses et familiales, se préparent avec un louable sens du progrès un avenir meilleur et plus sain, une famille plus fermement fidèle à la loi de Dieu, une société plus fraternelle, plus honnête, plus juste, en un mot plus vraiment et profondément chrétienne.

L'entreprise est ardue ; comme serait difficile celle de reconstruire un foyer domestique dévasté, si le regard de la mère de famille n'était pas vigilant, si elle n'était pas là pour aider les autres par ses avis et par son activité, pour les animer de son sourire, pour embellir toutes choses par ces délicates attentions que seul le coeur maternel connaît et qui égaient même la plus pauvre demeure.

Ce n'est pas autrement et ce sera même avec une sollicitude d'autant plus pleine d'amour que plus efficace est son patronage que la Mère des Grâces, reprenant sa place dans l'antique chapelle où tant de fronts se sont courbés, où même des Souverains Pontifes sont venus la vénérer pieusement, présidera à la résurrection de votre famille diocésaine martyrisée.

Sur le dur labeur que vous aurez à soutenir, elle fera descendre les bénédictions du ciel, elle inspirera à tous confiance et courage, son sourire virginal fera fleurir sur le visage des épouses et des jeunes filles chrétiennes une pureté, une modestie plus délicate ; sa main tendre guérira les blessures encore sanglantes de tant de deuils et de tant de destructions ; son regard plein de bonté fera fondre à la chaleur de la charité tout ce qui, après tant de peines supportées ensemble, pourrait encore rester de discordes entre concitoyens, de rancunes entre frères, de glaciale froideur et de haine entre les classes.

Telles sont les grâces que Nous demandons avec ferveur pour vous dans la ferme espérance que, sous la protection et avec le secours de la très puissante Mère de Dieu, toutes ces chères populations sortiront de l'épreuve élevées et sanctifiées ; en même temps avec toute l'effusion de Notre Coeur, Nous vous donnons à vous et à vos familles, à votre très cher cardinal évêque, à son digne auxiliaire ici présent, au clergé, à tout le peuple, Notre paternelle Bénédiction apostolique en gage et en souhait de réconfort, de prospérité et de paix.


ALLOCUTION AUX TCHÈQUES RÉSIDANT A ROME

(28 septembre 1944) 1

A l'occasion de la fête de saint Venceslas, le Saint-Père a adressé l'allocution suivante aux Tchèques résidant à Rome et aux élèves du Collège pontifical Népomucène :

Chers fils et chères filles, après avoir assisté ce matin même en la basilique patriarcale vaticane, sanctuaire commun de tous les peuples et de tous les temps, au saint sacrifice de la messe célébré à l'autel de saint Venceslas, en mémoire de son cruel martyre, vous êtes venus près de Nous pour Nous apporter votre hommage, pour attester votre fidélité inébranlable à l'Eglise du Christ et votre filiale dévotion au Siège de Pierre.

Sans doute déjà auparavant, chaque année, vous avez rendu au saint duc et martyr le tribut de votre vénération et avez invoqué sa protection sur vos concitoyens dont les souffrances Nous ont toujours ému et Nous ont rapproché d'eux. Mais aujourd'hui, vous êtes dominés par la pensée de l'importance capitale de l'heure présente et de l'avenir réservé à votre pays, aussi avec combien plus de ferveur — Nous en sommes sûr — vous avez élevé vers lui votre prière suppliante !

Terres bénies que sont les vôtres ! Terres que la nature a douées de beautés variées, des campagnes fertiles de l'Elbe et de la Moldau jusqu'aux majestueux massifs des Tatra ; terres fécondes qui élèvent vers le ciel l'opulence de leurs forêts et cachent dans leurs entrailles les précieux trésors du sol ; terres habitées par des populations sobres et laborieuses dont la culture n'a pas perdu le contact avec la nature et avec le sentiment populaire ! Longue et pleine de vicissitudes est leur histoire. Elle semble avoir atteint le sommet de la grandeur vers l'an 1350 au temps de l'empereur Charles IV, quand Prague, la Zlatâ Praha, Prague la Dorée, était le centre de la civilisation européenne. L'ère dans laquelle nous vivons n'est pas moins pour nous riche d'événements sereins et lumineux ou angoissants et obscurs et de péripéties dont vous attendez avec anxiété l'issue définitive.

Nos voeux paternels vous accompagnent dans vos craintes et dans vos espoirs. Puissent les prochaines délibérations vous apporter la sécurité extérieure et à l'intérieur une vraie paix, paix fondée sur le principe reconnu ouvertement et loyalement mis en pratique de l'égalité des droits pour tous.

La vie et la mort de saint Venceslas soulèvent diverses questions que les recherches historiques n'ont pas entièrement éclaircies jusqu'à ce jour 2. Un fait toutefois est certain : il est tombé en luttant pour la foi de son peuple, pour cette foi catholique romaine qui fut apportée à vos ancêtres par de généreux apôtres venus soit de l'Orient comme Cyrille et Méthode, soit de l'Occident germanique. Donner à son autorité et à son pays une empreinte chrétienne : tels furent l'intention et le désir qui animaient l'esprit du saint. Martyr héroïque, il continua à vivre dans la mémoire des fidèles comme le symbole et le héros de la conception chrétienne de l'Etat et vous aussi vous tournez aujourd'hui le regard vers lui et vous l'invoquez pour lui confier votre avenir. Lui, qui vous a protégés dans les temps passés quand les plus graves dangers menaçaient votre foi, ne vous abandonnera pas dans le moment présent ni dans l'avenir.

Elevez vers lui vos supplications : qu'il conserve et fortifie la vie religieuse si florissante dans tant de vos terres natales ; qu'il enveloppe de sa chaude et fortifiante atmosphère de foi et de piété les faibles et 'les tièdes ; que par ses prières le Seigneur vous donne des prêtres selon son coeur qui infusent dans vos âmes et dans les âmes de votre jeunesse de solides vertus, une sainte pureté et surtout un grand amour pour le Christ ; qu'il vous soit donné, une fois le tourbillon de la guerre passé, d'établir et de modeler en pleine liberté et pleine indépendance votre vie familiale, l'éducation de vos enfants, votre organisation sociale et vos institutions publiques selon les principes que Nos prédécesseurs et Nous-même avons pu exposer au monde et qui enfoncent leurs racines dans l'esprit et dans 'la doctrine du Christ.

2 Cf. Propylaeum ad Acta SS. Dec. - Martyr. Rom., Î940, p. 421 et suiv.


TCHÈQUES RÉSIDANT À ROME

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Vous savez bien combien est nécessaire la grâce et l'assistance divine pour que ces espoirs au milieu de conjonctures si orageuses puissent se réaliser. Mais le Seigneur est le roi des siècles : c'est dans ses mains que sont les coeurs des dirigeants des peuples. Que la puissante intercession de la Mère de Dieu si vénérée dans vos régions et celle de saint Venceslas vous obtiennent du Père céleste ce que l'Eglise implore dans sa liturgie : « Concédez-nous, Seigneur, nous vous en prions, que la marche du monde conformément à l'ordre que vous avez établi soit dirigée dans les voies pacifiques et que votre Eglise jouisse dans la joie d'une tranquille dévotion. » 3

C'est en formulant ce voeu que, en gage des plus abondantes faveurs célestes, Nous vous donnons de tout coeur à vous ici présents, à vos familles et à tous vos concitoyens Notre paternelle Bénédiction apostolique.


DISCOURS AU TRIBUNAL DE LA SACRÉE ROTE ROMAINE

(2 octobre 1944)1

Après avoir, dans les discours précédents à la Sacrée Rote romaine, traité du droit naturel au mariage et des incapacités de le contracter, des principes qui doivent présider aux procès en instance de nullité et du caractère de la certitude requise pour les jugements, le Souverain Pontife, dans ce cinquième discours, parle de la fin que doivent s'efforcer d'atteindre les membres du tribunal, les avocats et les parties.

LE BUT UNIQUE DANS LA FAÇON DE TRAITER LES CAUSES MATRIMONIALES

L'inauguration de la nouvelle année judiciaire de la Sacrée Rote romaine Nous a fourni l'occasion dans les années écoulées de mettre en relief certains points particuliers dans la façon de traiter les causes matrimoniales et aussi de montrer comment l'Eglise, conformément à sa mission et à son caractère, voit et traite ces points et dès lors, comment elle veut qu'ils soient considérés et traités par le juge et par ceux qui font partie des tribunaux ecclésiastiques.

Avant tout, Nous avons parlé du droit naturel au mariage et de l'incapacité psychique et physique de contracter mariage. De même, Nous avons traité de certains principes fondamentaux concernant la déclaration de nullité du mariage et la dissolution du lien validément établi 2. Nous avons ensuite présenté diverses réflexions sur la certitude requise chez le juge afin qu'il puisse procéder au prononcé de la sentence. Nous avons remarqué qu'il suffisait de la certitude morale, c'est-à-dire celle qui exclut tout doute raisonnable au sujet de la véracité du fait ; Nous avons néanmoins rappelé que cette certitude morale doit avoir un caractère objectif et ne pas reposer seulement sur l'opinion ou sur le sentiment purement subjectif du juge 3.

Dans la même intention de traduire l'esprit et la volonté de l'Eglise, qui attribue au mariage une souveraine importance pour le bien du peuple chrétien et pour la sainteté de la famille, Nous Nous proposons aujourd'hui — après avoir entendu le vaste et fidèle rapport annuel de votre digne et méritant doyen4 — de parler de l'unité de but qui doit donner un cachet spécial à l'activité et à la collaboration de tous ceux qui interviennent dans les procès matrimoniaux devant les tribunaux ecclésiastiques de tout degré et de tout genre et qui doit les animer et les réunir en une même unité d'intention et d'action.


TRIPLE ÉLÉMENT DE L'UNITÉ D'ACTION

1. — En principe, l'on doit établir d'avance que l'unité de l'action humaine résulte et provient des éléments suivants : un but unique, une direction commune de tous vers ce but unique, une obligation juridico-morale de prendre et de garder cette orientation. Vous saisissez nettement que la fin unique constitue le principe et le terme formel de ces éléments, tant du côté de l'objet que du côté du sujet. Dès lors, de même que tout mouvement reçoit sa détermination du but vers lequel il tend, ainsi l'activité consciente de l'homme se spécifie d'après le but qu'elle vise 5.

Eh bien ! la fin unique dans le procès matrimonial est une sentence conforme à la vérité et au droit, dans le procès de nullité, elle porte sur l'affirmation de la non-existence du lien conjugal ; dans

2 Cf. discours du 3 octobre 1941 ; Documents Pontificaux 1941, p. 234.

3 Cf. discours du 1er octobre 1942 j Documents Pontificaux 1942, p. 247.

4 II s'agit de Mgr Giulio Grazioli. Voir le texte de son rapport dans VOsservatore Romano du 2-3 octobre 1944.

5 S. Thomas, I* II", q. 1, a. 2.

le procès informatif de vinculo solvendo elle porte sur l'existence ou l'absence des présupposés nécessaires pour la dissolution du lien. En d'autres termes, la fin ou le but dans le procès matrimonial est l'affirmation faite avec autorité et la mise en vigueur de la vérité et du droit correspondant, relativement à l'existence ou à la continuation d'un lien matrimonial.

La tendance ou direction personnelle vers la fin se réalise par la volonté de tous et de chacun de ceux qui prennent part à la procédure, en tant qu'ils dirigent et subordonnent pleinement leur pensée, leur vouloir, leur activité dans les choses du procès à l'obtention de cette fin. C'est pourquoi, si tous ceux qui jouent un rôle dans le procès suivent constamment cette orientation, il s'ensuivra chez eux, par une conséquence naturelle, l'unité d'action et de collaboration.

Enfin, le troisième élément, à savoir l'obligation juridico-morale de maintenir cette orientation vers la fin découle dans le procès matrimonial du droit divin. De fait, le contrat matrimonial est de par sa nature propre et, quand il s'agit des baptisés, en raison de son élévation à la dignité de sacrement, organisé et réglementé non par la volonté de l'homme, mais par Dieu lui-même. Il suffit de se souvenir de la parole du Christ : « Ce que Dieu a uni, l'homme ne doit pas le séparer » (Mt 19,6), ainsi que de l'enseignement de saint Paul : « Ce mystère est de grande portée, je veux dire qu'il s'applique au Christ et à l'Eglise » (Ep 5,32). L'extrême gravité de cette obligation qui dérive originairement du droit divin comme de sa source suprême et inépuisable, pour être au service de la vérité dans le procès matrimonial, doit toujours être fortement affirmée et inculquée. Que jamais il n'arrive que dans les procès matrimoniaux devant les tribunaux ecclésiastiques on ait à constater des tromperies, des parjures, des subornations ou des fraudes de n'importe quelle espèce ! C'est pourquoi tous ceux qui prennent part d'une façon ou d'une autre à ces procès doivent garder une conscience vigilante et, si besoin en est, la réveiller et la raviver en se souvenant que ces procès sont au fond conduits non devant le tribunal des hommes, mais devant celui de Dieu et que par conséquent les sentences qui les concernent sont sans valeur devant Dieu et dans le champ de la conscience si certaines tromperies, qui atteignent la substance, les rendent fausses.


L'UNITÉ DE BUT ET D'ACTION CHEZ CHACUN DE CEUX QUI PARTICIPENT AUX PROCÈS MATRIMONIAUX

2. — L'unité et la collaboration dans les procès matrimoniaux se réalisent donc grâce à l'unité de fin, à l'orientation vers la fin, à l'obligation de la subordination à la fin. Ce triple élément impose à l'activité personnelle de chacun de ceux qui prennent part au procès des exigences essentielles et lui imprime un cachet particulier.

a) Le juge

Avant tout, en ce qui regarde le juge qui est comme la justice vivante, son activité atteint son plus haut degré dans le prononcé de la sentence : cette dernière affirme et établit juridiquement la vérité et lui donne valeur légale, aussi bien pour ce qui concerne le fait à juger que pour ce qui se rapporte au droit à appliquer dans le cas. C'est à cette manifestation et à ce service de la vérité qu'est ordonné comme à son but tout le procès. Dans cette orientation objective vers le but, le juge trouve également une règle sûre pour le diriger dans route son enquête personnelle, dans le jugement, les ordonnances, les défenses que la marche du procès comporte. Il apparaît, de ce chef, comment l'obligation juridico-morale à laquelle le juge est soumis n'est pas autre que celle déjà mentionnée dérivant du droit divin, c'est-à-dire l'obligation de rechercher et de déterminer, conformément à la vérité, si un lien qui, d'après les signes extérieurs, a été noué, existe en réalité, ou bien si les présupposés nécessaires pour le défaire se trouvent vérifiés ; puis, la vérité étant établie, le juge doit prononcer la sentence en conformité avec cette vérité. C'est en cela que résident le rôle capital et la responsabilité personnelle du juge dans la direction et dans la conclusion du procès.

b) Le défenseur du lien

Il appartient au défenseur du lien matrimonial de défendre ou de soutenir l'existence ou bien la continuation du lien conjugal, non certes d'une façon absolue mais en dépendance de la fin du procès qui est la recherche et la connaissance de la vérité objective.

Le défenseur du lien doit collaborer à la fin commune, en tant qu'il cherche, expose et démontre tout ce que l'on peut apporter en faveur du lien. On doit le considérer comme une pars necessaria ad iudicii validitatem et integritatem6. Afin qu'il puisse remplir efficacement sa charge, la législation réglant la procédure judiciaire lui attribue des droits particuliers et lui assigne des tâches déterminées 7. De même que si le défenseur du lien se contentait d'examiner sommairement les actes du procès et de faire quelques remarques superficielles, cette façon d'agir ne se concilierait pas avec l'importance de sa charge ni avec le soigneux et fidèle accomplissement de son devoir ; 'de même, il ne convient pas de confier la charge de défenseur du lien à ceux qui n'ont pas encore l'expérience de la vie et la maturité de jugement 8. Le fait que les remarques ou observations du défenseur du lien soient soumises à l'examen des juges ne l'exempte pas de suivre la règle indiquée, car les juges doivent trouver dans son travail soigneux une aide et un complément de leur propre activité, et il n'y a pas non plus à vouloir que les juges refassent toujours tout le travail et toutes les recherches du défenseur pour pouvoir se fier à son exposé.

D'un autre côté, on ne peut pas non plus exiger du défenseur du lien qu'il imagine et prépare coûte que coûte une argumentation habile, sans se soucier si ses affirmations ont, ou non, un sérieux fondement. Une pareille exigence serait contraire à la droite raison ; elle imposerait au défenseur une fatigue inutile et sans valeur ; elle n'éclaircirait pas, mais embrouillerait plutôt la cause à juger ; elle ferait traîner en longueur le procès avec de réels dommages. Dans l'intérêt même de la vérité et pour la dignité de sa fonction, on doit dès lors reconnaître en principe au défenseur du lien, là où le cas le demande, le droit de déclarer que, après un examen diligent, attentif et consciencieux des actes du procès, il n'a trouvé aucune objection raisonnable à élever contre la demande du requérant ou de l'auteur de la supplique.

Ce fait et cette conscience de ne pas devoir inconditionnellement soutenir une thèse qui lui a été imposée, mais bien d'être au service de la vérité déjà existante, préservera le défenseur du lien de poser des questions ou interrogations unilatéralement suggestives et insidieuses ; d'exagérer ou de transformer les possibilités en probabilités ou même en faits accomplis ; d'affirmer ou d'établir des contradictions là où un jugement sain ne les voit pas ou les résout facilement ; d'attaquer la véracité des témoins à cause des désac

6 Benoît XIV, const. Dei miseratione, du 3 novembre 1741, § 7.

7 Voir p. ex. les canons 1967-1969.

8 Voir Normes du tribunal de la S. Rote romaine, 29 juin 1934, art. 4, § 2.

cords ou des inexactitudes en des points secondaires ou sans importance pour l'objet du procès, divergences et inexactitudes dont la psychologie des dépositions des témoins apprend qu'elles restent dans la sphère des causes normales d'erreurs et qu'elles n'ôtent pas sa valeur à la substance de la déposition elle-même. La conscience de devoir être au service de la vérité empêchera enfin le défenseur du lien d'exiger de nouvelles preuves lorsque celles qui ont déjà été fournies sont pleinement suffisantes à établir la vérité ; ce que, dans une autre circonstance, Nous avons désigné comme ne devant pas être approuvé.

Que l'on n'objecte pas que le défenseur du lien n'a pas à proposer ses animadversiones pro rei veritate, mais pro validitate matrimonii. Si par cette formule on veut signifier que le défenseur du lien a comme mission de mettre en relief tout ce qui milite en faveur du lien et non ce qui est contre l'existence ou la continuation du lien conjugal, l'observation est juste. Si, au contraire, on voulait affirmer que le défenseur du lien n'est pas tenu de concourir lui aussi dans son action à la constatation de la vérité objective, comme à la fin dernière du procès, mais qu'il doit, inconditionnellement et indépendamment des preuves et des résultats du procès, soutenir la thèse obligatoire de l'existence ou de la nécessaire continuation du lien, pareille assertion serait à considérer comme fausse. De la sorte, tous ceux qui ont un rôle à jouer dans le procès doivent, sans aucune exception, faire converger leur action vers la fin unique : pro rei veritate ! 1

c) Le promoteur de justice

Il Nous faut faire aussi quelques brèves remarques pour ce qui a rapport au promoteur de justice. Il peut arriver que le bien public réclame la déclaration de nullité d'un mariage et que le promoteur de justice en fasse la demande régulière au tribunal compétent. En aucun autre cas autant qu'ici, on ne pourrait être fortement enclin à mettre en doute l'unité de but et de collaboration de tous dans le procès matrimonial. En effet, dans ce procès, deux fonctionnaires publics semblent prendre position l'un contre l'autre devant le tribunal : l'un, le défenseur du lien, doit en vertu de sa charge refuser ce que l'autre, lui aussi par sa fonction, est appelé à solliciter. Au contraire, précisément ici se montrent d'une façon manifeste l'unité de but et l'unité d'orientation de tous vers ce but ; en effet, tous les deux, nonobstant leur opposition apparente, présentent au fond au juge la même requête : qu'il porte une sentence conforme â la vérité et à la réalité du même fait objectif. La rupture de l'unité de but et de collaboration se réaliserait seulement si le défenseur du lien et le promoteur de justice considéraient leurs buts prochains et opposés comme des buts absolus et s'ils les détachaient et les dégageaient de leur lien et de leur subordination au but final commun.

d) L'avocat

L'unité de la fin à atteindre, l'orientation vers cette fin, l'obligation de tout lui subordonner dans le procès matrimonial doivent être examinées et posées avec une attention particulière quand il s'agit du conseiller légal ou avocat dont se servent le demandeur ou la partie civile ou l'auteur de la supplique, parce que personne n'est plus exposé que lui à les perdre de vue.

L'avocat assiste son client pour la rédaction du libelle intro-ductif d'instance dans l'exacte détermination de l'objet et du fondement de la cause controversée ou du litige, dans la mise en relief des points décisifs du fait à juger ; il lui indique les preuves à alléguer, les documents à produire ; il lui suggère les témoins qu'il doit faire citer pour le procès ; il lui indique quels points sont péremp-toires dans les dépositions des témoins ; durant le procès, il l'aide à évaluer avec justesse les exceptions et les arguments contraires, et à les réfuter, en un mot, l'avocat recueille et fait valoir tout ce qui peut être invoqué en faveur de la demande de son client.

Dans cette activité multiple, l'avocat peut certes mettre tous ses efforts en vue d'obtenir le triomphe de la cause de son client ; mais dans toute son action il ne doit pas se soustraire au but final, unique et commun : à savoir la découverte, la constatation, l'affirmation légale de la vérité, du fait objectif. Vous, juristes ici présents, éminents et défenseurs intègres du for ecclésiastique, vous savez bien comment la conscience ou connaissance d'une telle subordination doit guider l'avocat dans ses réflexions, dans ses conseils, dans ses assertions et dans ses preuves. Vous savez en outre comment cette conscience va d'abord le préserver d'imaginer habilement et de défendre des causes privées de tout fondement sérieux, de recourir à des fraudes ou à des tromperies, de pousser les parties et les témoins à faire une déposition mensongère, de recourir à n'importe quel procédé malhonnête. De plus, cette même connaissance le portera réellement, durant toute la série des actes du procès, à agir conformément au dictamen de la conscience. Vers ce but suprême de la vérité à faire luire, il est nécessaire que convergent aussi bien le travail de l'avocat que l'oeuvre du défenseur du lien, parce que ces deux activités, tout en partant de points opposés pour des fins prochaines différentes, sont tenues de tendre au même but final.

On voit par là ce qu'il faut penser du principe suivant, par trop souvent énoncé ou suivi en fait : « L'avocat, dit-on, a le droit et le devoir de produire tout ce qui est utile à sa thèse, tout autant que le fait le défenseur du lien par rapport à la thèse opposée qu'il soutient. La règle pro rei veritate ne vaut pour aucun des deux. L'appréciation est exclusivement la charge du juge. Charger l'avocat d'une pareille sollicitude équivaudrait à empêcher ou encore à paralyser complètement son activité. » Ce raisonnement repose sur une erreur théorique et pratique : il méconnaît la nature intime et le but final essentiel du débat juridique. Cette controverse, quand il s'agit de procès matrimonial, ne peut être assimilée à un concours ni à une joute où les deux rivaux n'ont pas un but final commun, mais où chacun poursuit son but particulier et absolu qui non seulement n'a pas de rapport mais se trouve en opposition avec celui de son adversaire : ce but c'est de mettre en déroute l'adversaire et de remporter la victoire. En cette circonstance, le vainqueur, par sa lutte couronnée de succès, crée le fait objectif qui est pour le juge, dans ce concours ou dans cette joute, le motif déterminant pour attribuer et conférer le prix ou la récompense, puisque pour ce juge la loi est celle-ci : le prix au vainqueur. Il en va tout autrement dans le débat juridique d'un procès matrimonial. Ici, il ne s'agit pas de créer un fait par le moyen de l'éloquence et de la dialectique, mais de mettre en évidence et de faire valoir un fait déjà existant. Le principe énoncé ci-dessus cherche à séparer l'activité de l'avocat du service de la vérité objective, et il voudrait d'une certaine manière attribuer à une habile plaidoirie la force de créer le droit comme celle que possède l'activité du concurrent victorieux dans un concours.

La même réflexion de l'obligation inconditionnée à l'égard de la vérité est valable aussi dans le cas de la simple procédure infor-mative à la suite d'une demande de dissolution du lien conjugal. L'instruction de la cause devant le for ecclésiastique ne prévoit pas l'intervention d'un avocat défenseur du demandeur ; mais c'est un droit naturel pour ce dernier de se servir pour son compte personnel des conseils, de l'aide d'un juriste pour rédiger la demande, en préciser les motifs, pour choisir et présenter les témoins, pour surmonter les difficultés qui se présentent.

Le conseiller légal, ou l'avocat, peut également ici mettre tout son savoir et toute son habileté en faveur de son client ; mais dans cette activité extrajudiciaire, il doit aussi se souvenir de l'obligation qui l'astreint au service de la vérité, de sa soumission à la fin commune et du rôle qu'il doit remplir dans le travail commun pour atteindre cette fin.

De tout ce que Nous avons exposé, il ressort manifestement comment dans les procès de mariage jugés par le tribunal ecclésiastique, juge, défenseur du lien, promoteur de justice, avocat doivent faire, pour ainsi dire, cause commune et collaborer tous ensemble, non certes en confondant les tâches particulières à chacun, mais dans une union consciente et voulue et dans la soumission à la même fin.

e) Les parties, les témoins, les experts

Il est superflu d'ajouter que les autres personnes qui prennent part au procès sont également soumises à l'obligation de la même loi fondamentale, à savoir rechercher, rendre manifeste et faire valoir légalement la vérité. Pour assurer l'obtention de ce but, on leur impose le serment. Dans cette subordination à la fin, elles trouvent une règle très nette pour leur orientation intérieure et pour leur action extérieure, et elles en retirent sécurité de jugement et tranquillité de conscience. Il n'est pas permis aux deux parties, aux témoins, aux experts d'inventer ou d'imaginer des faits inexistants, de donner aux faits existants une interprétation sans fondement, de les nier, de les mélanger, de les embrouiller. Tout cela serait incompatible avec le service que l'on doit rendre à la vérité, comme la loi de Dieu et le serment prêté y obligent.


Pie XII 1944 - PENSÉES DE CHARITÉ