Pie XII 1945 - DISCOURS AUX CONGRÉGATIONS MARIALES DE ROME


ALLOCUTION AUX MEMBRES DE LA DÉPUTATION PROVINCIALE DE ROME

(25 janvier 1945) 1

En réponse à l'hommage des membres de la Députation provinciale de Rome, le Saint-Père les encourage à travailler au relèvement des ruines.

C'est avec une satisfaction particulière que Nous accueillons l'hommage que vous-même, Monsieur le président, ainsi que les membres de la Députation provinciale de Rome reconstituée, vous avez voulu Nous offrir ; Nous vous exprimons en même temps Notre gratitude pour les précieux souvenirs (parchemin et médailles) 2 de Notre prédécesseur Grégoire XVI, qui Nous ont été remis par vos soins dans une intention très noble.

Votre visite Nous procure une occasion opportune de vous témoigner, ainsi qu'aux populations de toute la province si durement éprouvée, combien Nous Nous sentons profondément uni à ceux que la plus atroce de toutes les guerres a jetés dans la douleur et dans la pauvreté, dans l'angoisse et dans les larmes.

Notre pensée Nous reporte ainsi à la veille du jour où devait se déchaîner l'épouvantable conflit, quand d'un site riant du Latium, qui offrait alors, dans la splendeur estivale de sa végétation luxuriante, l'image d'une paix sereine, Nous lancions au monde, aux gouvernements et aux peuples, Notre appel ardent et ému.

Le pressentiment angoissé d'un malheur imminent Nous arracha des lèvres ce cri : « Rien n'est perdu avec la paix ; tout peut être perdu avec la guerre ! » 3

1 D'après le texte italien de Discorsi e Radiomessaggi, t. VI, p. 291 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. VII, p. 35.

2 II s'agit d'un parchemin de 1841, relatif à la construction du pont San-Mauro, près de Subiaco, et des médailles et monnaies du pontificat de Grégoire XVI ; ces objets ont été recueillis lorsque le pont San-Mauro fut détruit en juin 1944, au cours des opérations militaires qui eurent lieu en cette contrée.

3 Radiomessage du 24 août 1939 ; cf. Documents Pontificaux 1939, p. 240.

Qui donc aurait été à ce moment-là, en mesure de prévoir la confirmation terrible que les faits donneraient à Notre avertissement sur le sol même de Notre province natale ?

A ce moment-là, la campagne romaine, les monts Albains dont Horace contemplait pendant l'hiver les champs fertiles qui se couvraient de neige : bruma nives Albanis Minet agris4, mais qu'il voyait à l'automne produire des fruits abondants et ce vin généreux préféré par Pline au Falerne lui-même : austera vel Falerno utiliora 5, les cités florissantes et les villages du Latium, les lieux qui cernent les bords de la mer, apparaissaient comme un séjour de labeur assidu et fécond, de sain bien-être, où les pauvres savaient pouvoir trouver un secours de la part de la bienfaisance publique non moins que de leurs concitoyens plus aisés.

Aujourd'hui, presque partout, pèsent l'affliction et la misère. D'innombrables édifices gisent à terre à l'état de ruines. Votre visite avait aussi pour but de nous signaler « les mesures nécessaires et urgentes qui s'imposent aux oeuvres hospitalières et d'assistance de la province, pour pouvoir fonctionner d'une manière efficace ». Et ce n'est là qu'un aspect de l'indigence commune. Combien de fabriques et d'ateliers ont été détruits ou se trouvent pour d'autres raisons condamnés à l'inaction ! La dépréciation croissante de la valeur fiduciaire orée toujours de nouvelles classes de pauvres honteux. L'absence ou l'insuffisance des conditions les plus élémentaires pour le rétablissement d'une vie économique normale engourdit l'élan commun, répand une sensation de fatigue indolente et met ainsi en péril les conditions d'esprit nécessaires pour une oeuvre de reconstruction active et hardie.

Il faut vraiment du courage et de la force de caractère pour s'acquitter, en des temps si sombres, de la charge qui vous a été confiée !

Mais votre présence ici est pour Nous une preuve manifeste de la générosité fervente avec laquelle vous considérez vos fonctions, des dispositions et de la promptitude dignes d'éloges avec lesquelles vous vous appuyez pour la solution de tant de problèmes ardus sur la coopération de ceux qui dans l'accomplissement des devoirs civils voient en même temps l'observation de ce précepte de l'amour, signe caractéristique des disciples du Christ (cf. Jean, Jn 13,35), et

Epist. I, 7, 10.

Natur, hist., 23, 19, 35.



la mesure d'après laquelle le souverain Juge prononcera sa sentence sur le mérite ou le démérite de notre vie terrestre.

Dieu soit remercié ! Même en ces temps troublés, on trouve dans toutes les classes et chez tous les peuples de grandes âmes et de nobles coeurs qui, même au milieu de la lutte pour leur propre vie, n'oublient pas ceux que le fléau de la guerre a le plus durement frappés.

C'est à eux que Nous sommes redevable, s'il Nous a été possible d'alléger beaucoup d'amères souffrances, de misères douloureuses, et Nous espérons fermement que leur magnanime générosité se retrouvera aussi à l'avenir toute prête à Nos côtés. Pour Notre part, Nous aurons soin de faire participer aux secours qui sont à Notre disposition les pauvres et les malheureux de la province de Rome avec une bienveillance impartiale et un amour paternel.

Nous avons le désir et l'espoir que, en un temps où le flambeau de la discorde et de la haine a causé tant de malheurs et tant de maux, votre distinguée Députation saura donner un magnifique exemple de solidarité au service du bien véritable de toute la population, pour le salut de tous ceux qui sont tombés dans la dernière misère, pour l'encouragement des âmes généreuses, pour votre honneur et votre mérite. Nous voudrions, en conséquence, exprimer en quelque sorte ce voeu qui est le Nôtre par le présage du doux Virgile, en lui donnant toutefois une signification sociale différente et beaucoup plus élevée :

Sit Latium, sint Albani per saecula reges, Sit Romana potens It ala virtute propago. 6

Dans cet espoir, Nous appelons sur vos lourds travaux les secours et les grâces du Tout-Puissant, en donnant du fond du coeur à toute la chère population de la province de Rome ainsi qu'à vous-mêmes qui en êtes les représentants vigilants, Notre Bénédiction apostolique.

• Enéide, 12, 826-827.


LETTRE AU GÉNÉRAL DE L'ARMÉE POLONAISE EN ITALIE

(27 janvier 1945)l

Cette lettre a été adressée par Pie XII à M. Ladislas Anders, général de l'armée polonaise en Italie.

De même que Nous avons ouvert Notre coeur paternel à vous-même et à tous ceux que Nous avons reçus en audience avec vous il n'y a pas si longtemps, et que Nous vous avons exprimé de profonds remerciements pour l'offrande d'un bouclier fabriqué avec un art remarquable, de même Nous voulons par cette lettre vous donner un nouveau témoignage de Nos sentiments ardemment bienveillants à l'égard de la nation polonaise.

Dans ce bouclier Nous apercevons en quelque sorte comme d'un coup d'oeil toute votre patrie actuellement dévastée par la guerre la plus affreuse, les gloires et les hauts faits de son histoire, sa foi invaincue, son amour inépuisable envers l'Eglise catholique et le Vicaire de Jésus-Christ. De ce bouclier rayonne quelque chose qui Nous commande, à Nous et à vous, d'avoir bon espoir : sur l'aigle d'argent qui occupe le milieu de cette oeuvre ciselée, et qui est comme enfermé et fortifié par les écussons de vos villes et de vos troupes, la Vierge Mère de Dieu, reine de la Pologne, secourable et bonne, resplendit et semble envelopper de sa maternelle protection votre peuple et sa terre antique.

Si chaque jour s'amoncellent des ruines plus considérables, si les événements sont encore incertains et alarmants, il ne faut pas pour cela, vous le savez bien, vous décourager ; car, au-dessus des plans et des efforts éphémères et périssables de l'esprit humain, comme l'enseigne aussi l'histoire de la Pologne, se dresse l'éternelle

1 D'après le texte latin des A. A. S., 37, 1945, p. 183 ; cf. la traduction française de» Actes de S. S. Pie XII, t. VII, p. 38.



et prévoyante volonté de Dieu, et c'est d'elle qu'il faut obtenir que tout le mal engendré par de funestes erreurs, des injustices, des tueries, des haines meurtrières, soit réparé, et que les choses soient restaurées et ramenées au bon ordre par la vérité, la justice et la charité.

Pour votre et Notre Pologne, Nous implorons spécialement ces grâces de la Très Sainte Vierge, que vous vénérez avec une piété particulière dans les sanctuaires d'Ostrabrama et de Czestochowa, tandis qu'à vous, cher fils, homme illustre et honorable, et à toute la nation polonaise qui Nous est si chère, en gage des célestes faveurs et en témoignage de Notre bienveillance, Nous donnons de tout coeur dans le Seigneur la Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION A UN GROUPE DE MÉDECINS SPÉCIALISTES

(30 janvier 1945j1

A cent vingt médecins spécialistes appartenant aux nations alliées, le Saint-Père rappelle les devoirs du médecin à l'égard de l'âme de ses malades.

L'exemple du bon Samaritain.

Votre présence, Messieurs, Nous remet en mémoire d'une façon saisissante une parabole prononcée, voici presque deux mille ans, par le Christ, le divin Médecin, lorsqu'il cheminait avec tant de bonté au milieu des hommes. C'est l'histoire du bon Samaritain ; elle a été conservée pour la postérité avec son saisissant réalisme dans l'Evangile écrit par saint Luc, qui 'lui-même était médecin. La scène vous est familière à tous. Une route solitaire, un blessé gisant, abandonné et couvert de sang, au bord de la route, évidemment victime de valeurs qui l'ont dépouillé après une lutte d'une sauvage violence. Le bon Samaritain, se hâtant vers sa demeure, l'aperçoit ; il s'écarte de son chemin, descend de sa monture, va à l'étranger qui souffre, examine avec sympathie ses blessures, y verse doucement de l'huile et du vin pour les laver et les panser, hisse le blessé sur son cheval et le conduit jusqu'à l'auberge la plus proche où il donne des ordres pour qu'on le soigne spécialement. Rien ne doit être épargné pour sa complète guérison.

Le cadre peut différer de par les circonstances communes de votre expérience. Mais l'esprit de dévouement prompt et désintéressé, celui des principes élevés qui inspirent de se sacrifier soi-même dans l'intérêt d'autrui, l'esprit de tendresse et d'amour, c'est

1 D'après le texte anglais de Discorsi e Radiomessaggi, t. VI, p. 297 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. III, p. 41.



ce même esprit qui a caractérisé votre profession à toutes les périodes de l'histoire humaine. L'humanité serait bien à plaindre s'il n'en était pas ainsi.

// faut respecter dans le malade ses intérêts et sa destinée surnaturels.

Car le médecin ne traite pas une matière inerte qui serait sans valeur. Celui qui souffre entre ses mains est une créature humaine, un homme comme lui. Comme lui, ce malade a un devoir à remplir dans une famille où des coeurs aimants l'attendent avec anxiété ; il a une mission à remplir, si humble soit-elle, dans la société humaine. De plus, le souffrant, l'estropié, le fiévreux, a un rendez-vous avec l'éternité ; et quand le dernier souffle quittera son corps, il commencera une vie immortelle dont la joie ou le tourment seront le reflet du succès ou de la faillite devant Dieu de sa mission terrestre. Précieuse créature issue de l'amour de Dieu et de sa toute-puissance !

L'âme et la poussière se sont unies pour former cette image de l'Infini ; elles vivent dans le temps et dans l'espace et pourtant elles sont orientées vers un terme qui les dépasse toutes deux : portion de l'univers créée et destinée cependant à partager la gloire et le bonheur du Créateur ; dès lors, cet homme qui se confie aux soins d'un médecin est quelque chose de plus qu'un amas de nerfs, de tissus, de sang et d'organes. Bien qu'on fasse venir le médecin pour qu'il guérisse le corps, il lui faut souvent donner des conseils, prendre des décisions, formuler des principes qui affectent l'homme au spirituel et ont rapport avec son éternelle destinée. En dernière analyse, c'est l'homme qu'il faut traiter ; un homme fait d'une âme et d'un corps, qui a des intérêts temporels, mais aussi éternels ! Et de même que ses intérêts temporels et ses devoirs envers sa famille et la société ne peuvent être sacrifiés aux fantaisies capricieuses et aux désirs exaspérés de la passion, de même ses intérêts éternels et ses devoirs envers Dieu ne peuvent jamais être subordonnés à la poursuite d'un avantage temporel quel qu'il soit.

« De là, disions-Nous récemment en Nous adressant aux médecins appartenant à l'Union italienne Saint-Luc, de là dérivent toute une série de principes et de normes qui règlent l'usage et le droit de disposer des organes et des membres du corps, et qui s'imposent également à l'intéressé et au médecin appelé à le conseiller. » 2

2 Allocution du 12 novembre 1944 ; cf. Documents Pontificaux 1944, p. 203.

Car l'homme n'est pas réellement le propriétaire et le maître absolu de son corps : il en a seulement l'usage et Dieu ne peut lui permettre d'en user de façon contraire aux fins intrinsèques et naturelles qu'il a assignées aux fonctions des différentes parties du corps.

Il est clair alors, comme Nous l'observions à la même occasion, que la profession médicale place bien nettement ceux qui l'exercent dans la sphère de l'ordre moral, afin qu'ils soient dans leur activité toujours dirigés par ses lois. Qu'il s'agisse d'enseigner, de donner un conseil, de prescrire un traitement ou d'appliquer un remède, le médecin ne peut pas franchir la frontière de la loi morale, en se désolidarisant des principes fondamentaux de l'éthique et de la religion. Sa vocation est noble, sublime ; sa responsabilité envers la société est grave ; mais Dieu ne manquera pas de le bénir de ses efforts dévoués et sans limites pour alléger les souffrances de ses frères en humanité sur cette terre, pourvu toutefois qu'il n'échoue pas dans la conquête des joies incomparables du ciel. C'est Notre prière très instante que cette bénédiction vous soit à tous accordée en abondance par la bonté miséricordieuse de Dieu.


ALLOCUTION A UN GROUPE DE MÉDECINS CHIRURGIENS

(13 février 1945) 1

A cent soixante-dix médecins chirurgiens des forces armées alliées, le Saint-Père a adressé l'allocution suivante :

Nous avons plaisir à vous souhaiter la bienvenue, membres distingués du corps médical de l'armée et à vous dire personnellement Notre satisfaction d'apprendre la tenue de votre congrès ici, à Rome. En dépit des nécessités d'une guerre violente qui ne connaît pas de répit, vous avez jugé possible, pour ne pas dire indispensable, de vous réunir durant quelques jours pour discuter des problèmes de votre profession et perfectionner par cette aide mutuelle les moyens de les résoudre. Cela montre que vous êtes très sensibles au premier devoir de tout médecin, à savoir d'augmenter continuellement sa somme de connaissances et de se tenir parfaitement au courant des progrès scientifiques qui se sont accomplis dans le champ de sa spécialité.

La maladie et la mort.

Ce devoir naît immédiatement de la responsabilité du médecin envers l'individu et la communauté. Dieu n'est pas l'auteur de la mort. Ce monstre a réussi à entrer dans le monde par le péché, ce péché originel qui, en éteignant la vie surnaturelle dans l'âme humaine, s'assura aussi une forte prise sur son corps en le privant de ce don de l'immortalité que Dieu avait voulu lui accorder à l'encontre des exigences de la nature.

1 D'après le texte anglais de Discorsi e Radiomessaggi, t. VI, p. 303 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. VII, p. 45.

Et l'homme commença cette lutte plus ou moins continue, plus ou moins vive, contre la faiblesse physique, la douleur, la souffrance et la décomposition qui, s'accusant toujours davantage, marquent les étapes de son chemin, jusqu'à ce qu'il atteigne le point où l'inexorable sentence, suspendue sur toute chair, lui permette de trouver le soulagement béni. Mais dans cette lutte, Dieu n'a pas abandonné la créature de son tout-puissant amour. « Le Très-Haut fait sortir de terre les remèdes, l'homme sensé ne les méprise pas. C'est lui aussi qui donne aux hommes la science pour qu'ils se glorifient de ses oeuvres puissantes » (Si 38, 4, 6). Ainsi s'exprime le livre de l'Ecclésiastique et l'écrivain inspiré poursuit : « Mon fils, quand tu es malade, ne te laisse pas aller..., aie recours au médecin, car le Seigneur l'a créé lui aussi, ne l'écarté pas, car tu as besoin de lui... » (Si 38, 9, 12).

Oui, il est indispensable, et le besoin qu'en a l'homme sera la mesure des devoirs du docteur. Combien est élevé, combien digne de tout honneur le caractère de votre profession ! Le médecin a été désigné par Dieu pour satisfaire aux besoins de l'humanité souffrante. Lui qui a créé cet être consumé par la fièvre ou couvert de blessures qui est là entre vos mains, lui qui l'aime d'un amour éternel, il vous confie la tâche ennoblissante de le rendre à la santé.

Charité dévouée et désintéressée du médecin.

Vous apporterez dans la chambre du malade et sur la table d'opération quelque chose de la charité de Dieu, de l'amour et de la tendresse du Christ, le Maître médecin de l'âme et du corps.

Cette charité n'est pas un sentiment superficiel et non effectif ; elle n'écrit pas un diagnostic pour plaire ou se faire bien voir ; elle se refuse à considérer aussi bien les séduisants atours de la richesse que le misérable et déplaisant spectacle de la pauvreté et du dénuement ; elle est sourde aux invitations d'une méprisable passion qui chercherait une coopération dans le mal. Car c'est un amour qui embrasse tout l'homme, un frère en humanité dont le corps malade est encore vivifié par une âme immortelle que lient à la volonté de son divin Maître tous les droits dérivant de la création et de la rédemption. Cette volonté est clairement écrite pour ceux qui veulent bien la lire, d'abord dans la fin essentielle que la nature a manifestement attribuée aux organes humains, puis, de façon positive, dans le décalogue. Cet amour sincère exclura toute raison, si grave soit-elle, qu'on pourrait alléguer pour autoriser un malade ou un médecin, à faire ou à conseiller quelque chose qui contreviendrait à cette volonté suprême de Dieu.

Dieu, seul maître du corps et de la vie de l'homme.

Voilà pourquoi un médecin digne de sa profession, s'élevant jusqu'au sommet du dévouement désintéressé et intrépide à sa noble mission de guérir et de conserver la vie, méprisera toute suggestion qui lui sera faite de détruire la vie, si frêle et si humainement inutile que cette vie puisse paraître, sachant qu'à moins qu'un homme soit coupable de quelque crime méritant la peine de mort, Dieu seul et nul pouvoir terrestre ne peut disposer de la vie. En tant que ministre spécial du Dieu de la nature, le médecin n'encouragera jamais ce qui frustrerait délibérément l'inestimable pouvoir de la nature de transmettre la vie. D'une loyauté sans compromission à l'égard de ces principes et des autres principes fondamentaux de l'éthique et de la morale chrétienne, la profession médicale sera le plus ferme soutien de l'individu et de la société, le plus solide rempart contre les ennemis de l'extérieur et de l'intérieur, un véritable canal de bénédictions terrestres et célestes pour la nation qu'elle honore. L'habileté du médecin Pélèvera à une place éminenre au milieu des hommes et en présence des grands on le louera ; les présents du roi lui seront réservés (cf. Eocli., 38, 2).

Que la bénédiction du Roi des rois descende sur vous, sur tous ceux qui vous sont chers, sur vos bien-aimés pays, et y demeure à jamais ! C'est le souhait et la prière qui montent de Notre coeur plein d'affection paternelle.


INSTRUCTION PASTORALE AUX CURÉS ET AUX PRÉDICATEURS DE CARÊME DE ROME

(17 février 1945j1

Après que, les années précédentes, le Saint-Père eut proposé comme thèmes les articles du Credo (voir * Documents Pontificaux », année 1941, p. 48, et année 1942, p. 27), l'importance de la prière et de la célébration du dimanche («Documents Pontificaux », année 1943, p. 59) et les préceptes du décalogue ("Documents Pontificaux », année 1944, p. 28), le Saint-Père recommande cette fois aux prédicateurs de carême et aux curés de Rome de prêcher le développement de la vie sacramentale parmi les fidèles.

LES GRAVES DEVOIRS DE LA CHARGE PASTORALE A L'HEURE PRÉSENTE

En moins d'un an depuis la dernière fois que Nous eûmes la consolation de Nous trouver au milieu de vous, chers fils, lors de la traditionnelle audience donnée aux curés de Rome et aux prédicateurs de carême en cette ville, quelle cruelle tragédie est venue éclairer de ses sinistres lueurs ce que Nous vous disions en cette circonstance en parlant du décalogue 2 et de quelques graves devoirs de votre ministère sacré ! Ces devoirs se sont accrus d'une manière extraordinaire à cause de si formidables événements jusqu'à vous imposer de lourds sacrifices pour étendre la sollicitude de votre zèle et de votre charité au-delà de vos propres paroissiens, aux

1 d'après le texte italien des A. A. S., 37, 1945, p. 33 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie Xli, t. vii, p. 48. Les sous-titres sont ceux du texte original.

2 Cf. Documents Pontificaux 1944, p. 30 et suiv.

foules de réfugiés qui, comme des torrents débordés, ont afflué de toutes parts dans la ville de Rome.

Qui pourrait prévoir toutes les conséquences de pareils bouleversements et de migrations aussi confuses et évaluer exactement les résultats obtenus sur le terrain de la charge pastorale ? Ces résultats dépendent principalement de la correspondance de la libre volonté de l'homme à la grâce divine. Cet élément essentiel doit être considéré avec d'autant plus de lucidité en un temps comme le nôtre, que les âmes sont plus exposées aux puissants assauts des tentations contre Dieu et contre sa loi et par conséquent ont besoin, en plus d'une assistance spirituelle plus empressée et plus attentive, d'une aide et d'un secours surnaturel de la grâce tout particuliers, que l'on doit humblement demander à Dieu dans la prière. D'autre part, Nous avons pu constater, avec une profonde satisfaction et consolation, que le clergé de Rome et d'Italie a généralement surmonté et surmonte encore la terrible épreuve avec grande dignité et, en de nombreux cas, avec un véritable et magnifique héroïsme.


LES SACREMENTS, SOURCES DE VIE SURNATURELLE

Mais ces forces surnaturelles, cette grâce divine, ont leur source principale dans la sainte messe et dans les sacrements qui, précisément, constituent cette année le sujet qui a été fixé aux prédicateurs de carême.

Avec ce thème nous voici introduits directement dans le monde de la vie surnaturelle et des mystères chrétiens, monde certainement mystérieux, mais non pour cela irréel ; il est même de la réalité la plus élevée, qui surpasse la réalité naturelle, comme l'éternel l'emporte sur le temporaire, le permanent sur le caduc, le divin sur l'humain. C'est à ce monde qu'appartiennent les sacrements.

Comme les forces naturelles, mais à un degré incomparablement supérieur, les sacrements sont des réalités et des réalités opérantes. Ils ont le pouvoir d'élever l'homme au-dessus de lui-même et au-dessus de tout l'ordre naturel pour le placer dans la sphère du divin ; ils ont la puissance d'infuser en lui une vie nouvelle pour qu'il vive véritablement de Dieu, et non seulement le pouvoir d'infuser cette vie, mais aussi de la conserver et de l'accroître, de telle sorte qu'ainsi l'homme, né de Dieu, n'est plus seulement la créature, mais le fils de Dieu en un sens vrai et réel, le frère et le cohéritier du

Christ, avec un titre propre à la vie éternelle, à la vision béatifique et à la parfaite possession de Dieu.

Ce caractère est strictement propre à la foi chrétienne : cette dernière est la religion de l'amitié personnelle entre Dieu et sa créature, la religion de la filiation divine de l'homme, et les sacrements — en tout premier lieu le baptême — sont, pour ainsi dire, les canaux qui communiquent à l'homme ce nouveau mode d'être, cette vie mystérieuse.

Dans le mariage chrétien, la vertu du sacrement est liée au consentement mutuel des époux ; leur « oui » devient une source de la grâce ; et ainsi le lien matrimonial est marqué de cette dignité surnaturelle qui en fait le symbole de l'union du Christ avec l'Eglise, pendant que, avec la sanctification elle-même du mariage, les effets bienfaisants du monde supérieur de la grâce rejaillissent également sur la famille et, par elle, sur toute la vie sociale.

Dans ce merveilleux courant de grâce sacramentelle, l'authentique et réel sacerdoce du Nouveau Testament affirme sa valeur. Par sa parole, le prêtre du Seigneur remet les péchés et offre le sacrifice du Christ, également réel, également présent, également vivant pour tous les temps et pour tous les lieux.


CAUSES DE L'INDIFFÉRENCE RELIGIEUSE

Ce sont là de fortes vérités, c'est là une réalité surhumaine, qui a la propriété et la vertu de pénétrer, de combler, de perfectionner tout l'homme. Mais quand nous considérons l'humanité qui nous entoure et que nous nous demandons si elle est disposée et apte à recevoir en elle cette réalité, la réponse, pour beaucoup, ne peut malheureusement pas être affirmative. Le monde surnaturel leur est devenu étranger, il ne leur dit plus rien ; c'est comme si les organes spirituels de la connaissance de vérités si élevées et si salutaires étaient en eux morts et atrophiés. On a prétendu expliquer un tel état d'âme par les défauts de la liturgie de l'Eglise ; on a cru qu'il suffirait de la purifier, de la réformer, de la sublimiser pour voir les égarés d'aujourd'hui retrouver l'accès aux divins mystères.

Quiconque raisonne ainsi montre qu'il a une conception très superficielle de cette anémie ou apathie spirituelle. Celle-ci a des racines incomparablement plus profondes. Nous en avons déjà parlé devant vous ces deux dernières années. L'exclusion progressive de la religion de tous les secteurs de la vie sociale, le débordement de l'irréligion sous toutes ses formes, la fascination éblouissante des progrès surprenants dans tout le domaine de la vie matérielle ont sensiblement affaibli chez beaucoup l'aptitude et la disposition à comprendre et à assimiler les valeurs de la vie surnaturelle et en particulier les mystères de la foi.

Si, par exemple, la foi dans la sainte Eucharistie était demeurée vivante et inébranlable, telle qu'elle était jadis, comment la sanctification des fêtes de précepte et du dimanche pourrait-elle être négligée à un tel degré par tant de monde ? On peut bien dès lors appliquer à la langueur actuelle de la vie religieuse la parole du Rédempteur : Quoniam abundavit iniquitas, refrigescet caritas multorum, « l'iniquité allant grandissant, la charité d'un grand nombre se refroidira » (Mt 24,12). La marée croissante de l'indifférence religieuse et de l'athéisme a affaibli d'une façon inquiétante la force de la foi qui vient de l'état de grâce et de l'amour de Dieu.

C'est votre devoir, chers fils, de rééduquer les fidèles, autant dans les prédications du carême que dans tout l'exercice du saint ministère, à une conscience plus vive, à une intelligence plus complète, à une plus juste estime de la grâce et des divins sacrements.


LES RITES SACRAMENTAUX

Comme vous le savez, le sacrement est le signe d'une réalité sacrée en tant qu'elle est sanctifiante pour les hommes : signum rei sacrae, in quantum est sanctificans homines3. Telle est, dans sa vigoureuse brièveté, la définition scolastique des sacrements. Ou encore, pour employer l'harmonieuse expression du catéchisme ad parochos, le sacrement est le signe visible d'une grâce invisible, instituée pour notre justification, invisibdis gratiae visibile signum ad nostram iustificationem institutum *. Mais pour si puissante que soit l'efficacité de ces signes mystérieux, ils présentent cependant le caractère d'extrême simplicité qui caractérise la vraie grandeur. L'Eglise les a néanmoins entourés de la magnificence de ses rites, de ses prières, de ses fonctions sacrées, comme on place une perle très fine dans un écrin somptueux. Tous les arts, l'architecture, la peinture

Summa theol., III*, q. 60, a. 2 in c.

et la sculpture, la poésie et la musique, mettent en relief leur majesté extérieure et glorifient par-dessus tout le sacrement des sacrements, le mystère des mystères, la très sainte Eucharistie.

Chaque période de l'histoire de l'Eglise a contribué à enrichir ces rites sacramentels, comme l'attestent clairement — pour citer des exemples qui nous sont plus familiers — le Missel et le Rituel romain. Le développement progressif de certains de ces rites fait facilement reconnaître le souci de l'Eglise de rechercher les formes les mieux adaptées à leur but. On entend souvent, également à propos de la liturgie, l'affirmation : retour à l'Eglise primitive ! Phrase sonore, dont on devrait pour chaque cas indiquer le sens et la raison, mais qui rarement pourrait paraître justifiée. Devrons-nous, par exemple, repousser et supprimer l'office et la messe du Très Saint Sacrement uniquement parce qu'ils ne remontent qu'au XIIIe siècle ? Ou bien encore l'Eglise devra-t-elle, dans la distribution de la sainte communion, revenir à des pratiques que depuis longtemps déjà elle a remplacées par d'autres qui conviennent mieux à la dignité du sacrement et correspondent davantage aux dispositions spirituelles et physiques des fidèles ?


TENUE ÉDIFIANTE DU PRÊTRE DANS LES CÉRÉMONIES SACRÉES

Est-il nécessaire de rappeler que l'administration des sacrements et la célébration de la messe et en général toutes les fonctions sacrées doivent être assurées avec une dignité et une piété édifiantes ? Aussi, encore qu'il ne soit pas conforme à la vérité que ce serait uniquement dans la liturgie que se trouverait le remède efficace contre l'éloignement des âmes des mystères de la foi, ils seraient toutefois aujourd'hui moins excusables que jamais les ministres de l'autel qui accompliraient les fonctions sacrées d'une façon négligente, précipitée, purement mécanique, détournant ainsi les fidèles de l'assistance aux offices divins, choquant et éloignant pour ainsi dire dès le seuil du sanctuaire ceux qui viennent du dehors pour chercher la lumière. Que toujours, en conséquence, dans les cérémonies sacrées le prêtre apporte et fasse paraître cette majesté sans affectation qui atteste une foi profonde et le recueillement intérieur.

Nous louons hautement les soins et les efforts qui tendent à rendre le service divin, surtout les dimanches et autres fêtes de précepte, d'une édification toujours plus grande pour le peuple chrétien. Car le but dernier de toutes les fonctions sacrées est de glorifier Dieu et de faire grandir les fidèles dans la grâce. Tout doit converger vers ce but, même l'impression psychologique que laissent les cérémonies religieuses. Le dimanche, on ne va pas à l'église comme à une audition musicale ou à un délassement esthétique ; on y va pour exprimer et réaliser d'une façon toujours nouvelle la louange et la glorification du Seigneur, selon la profonde parole de l'apôtre saint Paul : « A celui dont la puissance agissant en nous est capable de faire bien au-delà, infiniment au-delà de tout ce que nous pouvons demander ou concevoir, à Lui la gloire dans le Christ Jésus, pour tous les âges et tous les siècles. Amen. » (Ep 3,20-21)

Combien de fidèles doivent aujourd'hui s'estimer heureux, si, privés comme ils le sont de tout ce qui pourrait naturellement toucher et émouvoir leur coeur, ils ont encore cependant la messe et les sacrements, quoique dans le cérémonial le plus simple et dépouillé de toute splendeur extérieure. C'est le cas des soldats du front, ou de tous ceux qui vivent dans les camps de prisonniers. C'est le cas de nombreuses populations dont les églises ne sont plus qu'un amas de décombres et de cendres ou bien auxquelles la persécution violente a enlevé le prêtre et l'autel et qui ne peuvent recevoir les sacrements que rarement et en secret. A eux tous, l'amour et la grâce du Christ doivent suffire, et avec ce trésor, ils s'estimeront et ils sont véritablement riches.


L'« OPUS OPERATUM » ET L'« OPUS OPERANTIS »

Les sacrements — pour employer le langage de l'Ecole consacré par le Concile de Trente 5 confèrent la grâce ex opere operato. Pourtant la disposition et la coopération du sujet concourent, avec l'action du sacrement, à obtenir l'effet qui lui est propre.

5 Sess. VII, can. 8.

La distinction entre Vopus operantis et Vopus operatum a été introduite au XIIIe siècle par Pierre de Poitiers. "Vopus operantis désigne l'action en tant qu'elle émane de l'agent, qu'elle est qualifiée par ses dispositions bonnes ou mauvaises, méritoires ou non. L'opus operatum désigne l'action sacramentelle considérée en elle-même, dans son efficience objective. L'administration d'un sacrement par un ministre hérétique ou pécheur, sa réception par un chrétien mal disposé, pourra être mauvaise ex opere operantis ; elle sera valide et capable de sanctifier ex opere operato. L'efficacité ex opere operato vient de Dieu, non de l'homme ; elle est indépendante en elle-même des dispositions morales du ministre ou du sujet du sacrement ; mais elle peut, dans son actualisation, rencontrer un obstacle à sa puissance : les dispositions suffisantes chez le sujet qui reçoit le sacrement ne sont pas une cause, mais bien une condition sine qua non de cette efficacité du sacrement.

Pareil concours de la volonté humaine est si essentiel que, selon la doctrine de l'Eglise, personne, une fois parvenu à l'usage de la raison, ne peut recevoir validement et, à plus forte raison dignement et avec fruit, un sacrement s'il n'est pas dans les conditions nécessaires. Il doit ouvrir son âme au sacrement et au torrent de la grâce pour que cette dernière puisse librement l'inonder et la remplir. Mais la benignitas et humanitas... Salvatoris Nostri Dei (Tt 3,4) se manifestent avec une plus grande splendeur que dans l'efficacité des sacrements dans lesquels sa bonté et son amour pour l'homme vont jusqu'à l'extrême limite du possible. Cette limite, l'homme la trace lui-même par l'acte de sa volonté libre et de sa propre responsabilité. Telle est, par exemple, dans certaines conditions, la puissance du sacrement des malades que cette simple onction peut libérer un moribond, déjà sans connaissance, des péchés les plus graves, lui conférer la grâce surnaturelle et lui assurer le droit à la bienheureuse immortalité, à la condition cependant que cet homme, quand il avait encore l'usage de ses facultés, fût-ce au dernier instant, ait de quelque manière, même seulement avec une contrition imparfaite, détesté ses péchés et dirigé son coeur vers Dieu.


Pie XII 1945 - DISCOURS AUX CONGRÉGATIONS MARIALES DE ROME