Pie XII 1945 - L'EGLISE ET LE NATIONAL-SOCIALISME


ALLOCUTION A DEUX GROUPES DE SÉNATEURS AMÉRICAINS

(3 juin 194S-)1

Le Saint-Père ayant reçu deux groupes de sénateurs des Etats-Unis, membres du sous-comité du Comité de commerce international du Sénat américain et du sous-comité du Comité spécial de recherches concernant le programme de défense nationale, qui se trouvaient en voyage en Europe, en Afrique et en Asie, s'est adressé successivement aux deux groupes et a prononcé les paroles suivantes :

Nous espérons que vous avez été satisfaits de votre visite à la pauvre Europe en détresse et Nous sommes heureux que vous ayez pu inclure Rome dans votre voyage. Nous vous souhaitons la bienvenue la plus cordiale dans Notre Cité du Vatican.

Il y a un an aujourd'hui, les armées se battaient presque aux portes de Rome ; combien Nous étions et Nous sommes reconnaissant que la Providence de Dieu ait épargné la Cité éternelle. Les sanctuaires sacrés de la foi chrétienne, les monuments sans prix d'art et d'histoire sont encore debout pour la postérité.

Très honorés Messieurs, vous êtes les membres du plus vénérable corps législatif de votre pays. Nous prions Dieu de vous illuminer et de vous guider, vous et vos collègues, sous la constante direction compétente de votre président très estimé, en apportant une contribution réellement effective et vraiment chrétienne à la paix et à la prospérité du monde qui se prépare : la paix et la prospérité dans la justice et la charité. Ceci, Nous le savons, est votre propre désir et le but que vous poursuivez.

1 D'après le texte anglais de Discorsi e Radiomessaggi, t. VII, p. 81.

C'est avec cette prière dans le coeur que Nous demandons à Dieu de vous bénir abondamment vous et tous les êtres qui vous sont chers.

Comme Nous venons de le faire remarquer aux honorables membres du Sénat, Nous sommes à la veille du premier anniversaire de la bataille de Rome. Nos pensées se reportent naturellement à ces journées d'attente nerveuse et de grave anxiété qui devaient finir cependant dans un hymne de reconnaissance, parce que la Cité éternelle a été épargnée. Ce qui ne veut pas dire que Rome dans ses quartiers extérieurs n'ait pas souffert des terribles conséquences des méthodes de guerre modernes. Les cicatrices en sont restées sur les maisons réduites en cendres et ses victimes se comptent par milliers. Mais, à une exception près, sont restés debout des sanctuaires si ehers au coeur religieux du monde et le précieux legs d'art et de culture antiques qui est l'héritage de toute civilisation. Nous espérons que votre bref séjour vous permettra de voir quelques-uns de ces trésors. Ils sont très souvent un témoignage silencieux mais éloquent au fait que la foi en Dieu peut seule être la fondation sûre et ferme d'un ordre international qui apporte 'la promesse ou 'l'espérance d'une vraie paix dans la justice et dans la charité.

Nous aurons été heureux de vous saluer et Nous appelons les meilleures bénédictions de Dieu sur vous, sur les êtres qui vous sont chers, sur votre pays bien-aimé et sur ses dirigeants.


DISCOURS AUX JEUNES ROMAINS DE L'ACTION CATHOLIQUE POUR L'ANNIVERSAIRE DE LA PRÉSERVATION DE ROME DES OPÉRATIONS DE GUERRE

(10 juin 1945) 1

A cinq mille jeunes gens des associations de jeunesse catholique de Rome, venus le saluer comme le défenseur de la cité, le Saint-Père rappelle les vertus que l'heure présente exige des hommes et des jeunes gens.

L'ANNIVERSAIRE DE LA PRÉSERVATION DE ROME

Quel anniversaire vous êtes venus aujourd'hui commémorer près de Nous, après l'avoir célébré avec tant de solennité dans le majestueux préau du Collège romain, chers fils de la jeunesse catholique de Rome ! Il Nous semble les voir encore, les foules enthousiastes qui, en cet après-midi du mardi 6 juin de l'année dernière, affluaient comme les vagues pressées d'une grande mer humaine, de tous les quartiers de la ville vers cette vaste place Saint-Pierre, qui paraissait trop étroite pour les contenir ! C'était un vrai délire d'allégresse et de reconnaissance pour la protection et la libération de la Ville éternelle, mais la flamme de l'enthousiasme, l'ivresse de la joie ne sont que de courte durée ; elles cèdent la place à la réflexion, à une vue plus calme de tout le cours des événements. Et voici que cette réflexion fait paraître aujourd'hui encore plus admirable l'intervention céleste et encore plus éclatant le prodige de ces dates historiques.

Jamais ne s'effaceront de la mémoire des Romains les angoisses du mois de mai 1944. Les populations des alentours se précipitaient vers la ville pour y chercher refuge. Même la grande Mère de famille, la Très Sainte Vierge Marie, palladium de ces lieux frappés ou menacés, les abandonnait pour suivre ses fils errants. Aux pieds de son image vénérée, les fidèles accouraient en foule, se prosternaient, implorant son intercession maternelle pour la préservation de Rome et la paix du monde, et lui offraient leurs promesses, surtout celle d'un retour sincère et effectif à une vie et à une conduite plus dignes de vrais chrétiens.

Et Rome fut sauvée ! Les heurts sanglants, les réactions violentes d'une colère longuement réprimée, les troubles civils et sociaux que l'on pouvait craindre, lui furent évités. Les deux partis belligérants, auxquels Nous ne voulons pas omettre, dans cette occasion encore, de redire Notre gratitude, respectèrent la capitale, la cité mère du monde.

Maintenant, quelle explication peut-on donner à la tranquillité surprenante de cette retraite et de cette occupation quasi simultanées ? Le bon sens du peuple n'hésite pas un instant : il y vit et il y voit encore, comme le premier jour, le doigt de Dieu, l'intercession de notre Mère très aimante. Aussi élevons-Nous de nouveau la voix pour reconnaître la miséricorde du Seigneur tout-puissant : Misericordiae Domini quia non sumus consumpti, « c'est une grâce du Seigneur que nous ne soyons pas anéantis » (Lm 3,22), la démence infinie de l'adorable Trinité ; quia fecit nobiscum misericordiam suam (cf. Tob. Tb 12,6), la douce tendresse du Coeur immaculé de Marie.

Mais votre gratitude, Nous le savons bien, veut s'étendre aussi à Notre humble personne, pour ce que Nous avons fait ou tenté de faire en vue de la défense de la cité, multipliant Nos efforts pour conjurer le fléau, en hâter la fin, en adoucir les rigueurs, en atténuer les conséquences ; pour panser les plaies et soulager les misères, pour promouvoir, avec la protection de la ville, la pacification du monde.

Assurément, vous l'avez bien compris, si grand que puisse être Notre amour pour Rome, où la Providence a placé Notre berceau, ce ne fut pas un sentiment strictement personnel qui Nous incita à intervenir avec tant d'ardeur pour obtenir qu'elle demeurât saine et sauve.

A d'autres villes aussi, Notre coeur reste uni par les liens les plus chers, et Nous Nous sommes employé à les préserver, et sur leurs ruines, sur la douleur et les angoisses de leurs habitants, qui sont

également Nos fils et Nos filles, Nous avons pleuré. De la Tamise à la Volga, des pays baltes aux régions de l'Afrique septentrionale, d'autres cités incarnaient l'histoire et la vie de grands peuples ; par leur esprit d'entreprise, par leur puissance, par leur activité, elles apportaient une contribution élevée à la vie économique, politique et intellectuelle du monde, et cependant elles furent le point de mire de coups vraiment cruels qui devaient laisser sur leur sol des monceaux gigantesques de ruines et de cendres ! D'autres, au passé riche de glorieux souvenirs, dans toute l'Europe, dans les belles provinces de l'Italie, aux alentours mêmes de Rome, où elles ceignaient la ville d'un diadème orné des joyaux les plus précieux de la nature et de l'art, maintenant détruites en grande partie sous la grêle meurtrière des bombardements, présentent le spectacle de la plus tragique désolation. Il n'est aucune de leurs épreuves, aucune de leurs plaies sanglantes, aucune larme de leurs enfants, qui n'ait profondément blessé Notre coeur, le coeur du Père commun.

Pour toutes Nous avons prié, pour toutes Nous avons fait appel, en même temps qu'à la miséricorde de Dieu, à l'équité et à l'humanité des combattants ; pour toutes, sans exception. Mais entre toutes, Rome était, de par sa position géographique, sa signification morale, son caractère sacré, le point de mire des stratégies les plus habiles et du plus haut intérêt. C'est pourquoi, mettant Rome au centre de Nos pensées et de Nos préoccupations, Nous travaillions et luttions en même temps pour le monde entier.

Rome est une cité unique : unique par la grandeur de son histoire et par son rôle prépondérant dans l'évolution de la civilisation universelle ; unique surtout en raison de sa mission surnaturelle, qui la place en dehors du cours des temps et au-dessus des distinctions de nationalités. Rome est la mère patrie de tous les catholiques répandus sur la surface de notre globe.


LA ROME CHRÉTIENNE ET LA ROME PAGANISANTE

On peut, dès lors, bien croire que c'est précisément pour ces raisons que la Providence divine l'a préservée si prodigieusement au milieu de la tourmente. Mais tout cela impose à chacun de vous, qui êtes la verte jeunesse et l'avenir de la Rome catholique, le devoir de conserver à tout prix, autant qu'il dépend de vous, le caractère chrétien de la Ville éternelle et, par là même, de toute votre patrie italienne.

Vous voilà donc comme devant un carrefour : les forces qui, conscientes ou non du but auquel elles tendent ou vers lequel on les dirige, menacent de déchristianiser et de paganiser le peuple, sont depuis longtemps à l'oeuvre. C'est votre rôle de descendre dans l'arène durant cette période aiguë de la lutte entre la Rome chrétienne et une nouvelle Rome paganisante.

Mais quelle barrière pouvez-vous et devez-vous opposer à la profanation de Rome ? Votre foi catholique, une foi consciente, forte, vive. Voilà ce qu'exige l'heure présente, ce que Dieu attend de vous ; voilà l'ex-voto qui témoignera de votre reconnaissance envers le Christ et envers l'Eglise pour la préservation de la ville.


POUR CONSERVER LE CARACTÈRE CHRÉTIEN DE LA CITÉ IL FAUT :

1° Des hommes et des jeunes gens d'une foi consciente...

L'heure présente exige en premier lieu des hommes et des jeunes gens d'une foi consciente et éclairée.

Habituées comme vous l'êtes dès l'enfance à respirer à pleins poumons ce que l'on a appelé « le parfum de Rome », ayant grandi dans ce cadre incomparable de monuments et de traditions, élevés, au moins pour la plupart, au sein de familles qui vous ont formés dans une sainte crainte de Dieu et dans un esprit profondément chrétien, vous avez pu conserver votre foi catholique dans toute sa fraîcheur et vous en goûtez sans peur la douceur bienfaisante. C'est là une foi d'un prix incomparable ; mais cette foi en quelque sorte sensible ne peut suffire aux catholiques dans la vie publique, il leur faut une foi précise, sûre, appuyée sur des bases solides, au large horizon qui les mette en mesure, où qu'ils se trouvent, de défendre la vérité et de la propager autour d'eux.

La vie, chers fils, vous entraîne inévitablement dans les courants intellectuels les plus divers, dans lesquels se heurtent ou s'unissent, se mélangent ou se séparent confusément, parfois d'une façon inextricable, le vrai et le faux, la certitude et l'hypothèse, dans un miroitement éblouissant de raisons spécieuses, capables de séduire les esprits d'une culture médiocre, insuffisamment avertis, et d'ébranler une foi trop peu sûre d'elle. Ne craignez pas le conflit entre la raison ou la science et la foi. L'une et l'autre, vous le savez bien, ont le même Auteur ; l'objet de l'une et de l'autre est l'oeuvre du même Etre suprême. Mais la vérité révélée et la vie surnaturelle, la vérité scientifique et l'activité naturelle ne sont pas enfermées en deux camps séparés par des frontières infranchissables, elles ne se meuvent pas sur des plans parallèles privés de toute communication entre eux. Au contraire, tout en restant distinctes, essentiellement, les sciences physiques et biologiques, psychologiques et morales, historiques et sociales, ne trouveront jamais leur épanouissement que grâce à la révélation chrétienne d'où jaillissent de puissantes énergies pour la solution définitive et apaisante des problèmes spécifiquement modernes concernant la vie et les conditions matérielles et spirituelles de l'humanité.

... d'une foi robuste...

L'heure présente exige en outre des hommes et des jeunes gens d'une foi robuste.

Votre foi doit être inconditionnée, de même que la vérité est absolue. Il fut un temps — celui du libéralisme intellectuel — où le catholique était considéré comme un être inférieur, parce que sa foi, disait-on, le rend prisonnier du dogme, l'enferme comme derrière une palissade de définitions et de propositions auxquelles — et cela est vrai — il a l'obligation d'adhérer sans réserve et sans condition.

Mais ce temps est passé. Le nôtre, tout au contraire, n'estime que les hommes de convictions solides et fermes. Dans les grands conflits d'idées qui agitent présentement la société humaine et qui s'étendent jusqu'aux dernières impasses de la vie économique, il n'y a place que pour les esprits fermes et inébranlables. Les autres, les esprits douteux, ondoyants, incertains, malgré toute l'intelligence dont ils peuvent être doués, doivent se résigner à faillir et à succomber. Sur ce point, les idéologies qui sont entrées en scène ces derniers temps ont copié l'Eglise ou l'ont contrefaite. Car, même en partant souvent de principes faux, elles prétendent affirmer des doctrines et des buts inexpugnables et exigent de leurs adhérents une « foi » sans réserve et une soumission inconditionnée à cette « foi ». A plus forte raison donc, nous qui possédons la vérité pure, la vérité qui vient de Dieu, toute la vérité, devons-nous marcher avec un saint orgueil de notre foi, et nous montrer résolus à la professer et à la défendre avec une constance indéfectible !

Un chrétien croyant doit embrasser avec fermeté tous les articles du dogme révélé et toutes les vérités dérivant nécessairement du dogme lui-même et par conséquent aussi, d'une manière particulière, les principes fondamentaux sur lesquels repose l'édifice de toute saine doctrine sociale. Et, à ce propos, Nous avons hâte, aujourd'hui, de renouveler le grave avertissement paternel que Nous avons adressé récemment aux représentants de l'Action catholique italienne : ces principes fondamentaux obligent en conscience tous les catholiques, et il n'est permis à aucun d'eux de pactiser avec les systèmes ou tendances en contradiction avec ces mêmes principes, ou contre lesquels l'Eglise a mis les fidèles en garde.

3° ... d'une foi vivante.

L'heure présente exige enfin des hommes et des jeunes gens d'une foi vivante.

Rome, ainsi que Nous l'avons dit, a contracté une dette immense de gratitude envers Dieu pour le fait de sa préservation. Mais cette dette, chers fils, a-t-elle été suffisamment acquittée ? Beaucoup, sans doute — et leur nombre est peut-être plus grand que ce que pourrait faire supposer un simple regard superficiel sur l'aspect extérieur de la ville — beaucoup, disons-Nous, par leur conduite chrétienne, même au prix de graves privations et renoncements, ont témoigné dignement leur reconnaissance envers le Seigneur. Mais aussi, d'un autre côté, quelles douloureuses expériences au cours d'une année ! Et notez bien qu'il ne s'agit pas seulement de cette décadence morale qui, hélas ! accompagne presque toujours les guerres avec leur séquelle de misères, mais de cette licence effrénée qui fait fi des exigences les plus élémentaires de la morale, moins sous la pression d'un besoin que pour satisfaire un désir méprisable d'expériences illicites.

Ce qui afflige le plus profondément, c'est l'art avec lequel, ouvertement et d'une façon systématique, par les spectacles, les films, les romans et les revues contraires à la morale, on inocule le venin de la corruption et, par là même, de l'irréligion, dans les veines du peuple, et surtout de la jeunesse et de l'adolescence. Le mal, dira peut-être quelqu'un, est de tous les temps et la plainte n'est pas nouvelle. Soit. Mais, dans le passé, même avec peine, on réussissait, au moins dans une certaine mesure, à enrayer le progrès du mal. Aujourd'hui, les digues étant rompues, le mal précipite sa course, tel un torrent qui dévaste villes et campagnes et submerge dans ses eaux immondes et fangeuses des populations entières. Est-ce là vraiment la gratitude que l'on veut montrer envers le Dieu libérateur, ou n'est-ce pas plutôt une manière de provoquer sa juste colère ? L'expérience et l'exemple d'autres pays montrent que de tels attentats généralisés contre les bonnes moeurs sont habituellement le signe précurseur des plus graves tempêtes religieuses, et non pas seulement religieuses.

Réagir ouvertement et avec énergie contre un si grave dommage est un devoir primordial de l'Action catholique romaine. Mais cette résistance ne peut être efficacement soutenue que par des hommes et des jeunes gens d'une foi vivante.

Par ces mots, Nous entendons signifier les hommes qui vivent de foi et de prière, qui ne se bornent pas à accomplir les oeuvres de piété strictement prescrites par l'Eglise en forme d'obligation grave, mais qui consacrent chaque jour à l'oraison le temps qui convient, sanctifient les fêtes avec ferveur, fréquentent dévotement les sacrements ; les hommes qui, à la prière, joignent les oeuvres, sans lesquelles la foi est morte (Jc 11,26) ; les hommes qui, dans la vie privée comme dans la vie publique, dans la sphère de leur métier ou de leur profession comme dans les rangs de leurs organisations, savent se montrer, par l'exemple et par la parole, des apôtres sans tache et sans peur. C'est ainsi que se comporte la foi vivante.


EXHORTATION

Par conséquent, chers fils, toutes les fois que sont en jeu les intérêts de Dieu ou de la religion, de la morale et de l'esprit chrétien, soyez là pour les affirmer et les défendre, et sachez vous prévaloir de tous les droits comme de toutes les libertés que vous reconnaissent les conditions présentes. C'est en cela que consistent aussi bien le loyal service de Dieu que le véritable amour de la patrie. Le temps presse pour l'action. Soyez des hommes forts et tenez-vous prêts à combattre : Accingimini, et estote filii potentes, et estote parati in mane, ut pugnetis, « préparez-vous, soyez braves et soyez prêts de bon matin pour combattre » (1M 3,58).

Que ce soit là votre remerciement au Tout-Puissant pour la préservation de Rome. Puissent votre vertu et votre courage attirer également pour l'avenir sur la Ville éternelle les miséricordes de Dieu et la préserver des maux qui la menacent ! C'est avec cette confiance que Nous vous donnons du fond du coeur, à vous, à vos familles, à vos associations, à tous les fidèles du cher diocèse de Rome Notre paternelle Bénédiction apostolique.


LETTRE A S. ÉM. LE CARDINAL GERLIER POUR LE VII\2e\0 CENTENAIRE DU PREMIER CONCILE OECUMÉNIQUE DE LYON

(10 juin 1945) 1

Il y a sept siècles bientôt achevés que Notre prédécesseur d'heureuse mémoire, Innocent IV, « noble par sa naissance, plus noble encore par sa vie, remarquable par sa science, réputé pour sa vertu », convoqua et présida le premier concile de Lyon, le XIIIe des conciles oecuméniques. Nous avons appris le projet, digne de tout éloge, que vous avez formé de commémorer comme il le mérite un événement si heureux qui, certes, fut glorieux et profitable à l'Eglise, mais qui ne fait pas moins d'honneur à la France.

En effet, le pontife, quittant Rome, dans sa grande sagesse, pour mettre en sûreté sa liberté et celle du Siège apostolique, gagna Gênes d'abord, puis à l'étranger, Lyon, où le clergé et le peuple lui firent un accueil triomphal. Il y séjourna, afin de pourvoir de toutes ses forces aux difficiles et graves affaires de la chrétienté et d'écarter, si possible, la crise qui menaçait la catholicité ou, du moins, d'y porter remède. Ayant donc réuni un concile oecuménique, il y défendit, avec un courage dont rien ne put triompher, les droits de l'Eglise ; il ramena la discipline du clergé et du peuple à des règles plus strictes ; enfin, il ordonna la reprise de la croisade.

Cette guerre sainte, comme vous le savez bien, le saint roi de France Louis IX, seul des princes chrétiens, l'entreprit d'un coeur pieux et généreux, en réunissant et équipant une flotte et des troupes pour répondre, dans la mesure de ses forces, au désir du


ANNIVERSAIRE DU PREMIER CONCILE DE LYON

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Souverain Pontife et du concile de Lyon. Que si cette entreprise n'eut pas le dénouement heureux que la noble ardeur du roi et l'espérance que tous les gens de bien escomptaient, cependant la valeureuse bravoure des Français et de leur roi n'en parut pas pour autant avec moins d'éclat, comme aussi leur piété magnifique et leur fidélité agissante et infatigable à l'Eglise catholique et au Souverain Pontife.

Tout cela, il vous a paru qu'il y avait lieu de le remettre en lumière et de le célébrer prochainement. Il Nous semble, à Nous, que même pour le présent il y a des avantages, et multiples, à y repenser attentivement. Si, en effet, ce ne sont pas les mêmes dangers qui menacent, ni les mêmes difficultés auxquelles nous devons faire face, il faut que tous soient embrasés de la même flamme de religion et de charité et se signalent par le même dévouement actif pour la défense des droits de Dieu et de l'Eglise, dans l'union très étroite des coeurs.

Mais, sur ce point, Nous estimons superflu de vous exhorter dans cette lettre, car Nous connaissons, et par expérience, cher Fils, votre zèle pastoral et Nous avons absolument confiance que, grâce à lui, le clergé et le peuple qui vous sont confiés auront, de leur côté, le dévouement que les conjonctures très graves d'aujourd'hui demandent à tous les gens de bien.

Il ne Nous reste donc qu'à implorer pour vous, dans une prière suppliante, une aide puissante de Dieu et à souhaiter à vos fêtes des fruits abondants de salut. Trouvez-en le présage dans la Bénédiction apostolique que, en témoignage de Notre bienveillance paternelle, à vous, cher Fils, à tout le peuple confié à vos soins, à tous ceux qui vont venir à Lyon célébrer ce centenaire, Nous accordons avec la plus grande affection en Notre-Seigneur.


RADIOMESSAGE AUX FAMILLES DE FRANCE RÉUNIES DANS LA BASILIQUE DE MONTMARTRE

(17 juin 1945j 1

Aux représentants des familles de France réunis à Montmartre, le Saint-Père rappelle l'importance de la famille et de sa consécration au Coeur de Jésus.

Nous sommes de coeur au milieu de vous, familles de France qui venez de renouveler votre consécration au Coeur de Jésus. Un million de familles consacrées au Coeur du Christ qui aime les Francs : quelle splendeur, quelle puissanoe ! Quelle responsabilité aussi, car les destinées de votre patrie sont entre vos mains, mais à la double condition que, fiers de votre appartenance au Christ et conscients de la force qu'elle vous confère, vous vous montriez imperturbablement fidèles à cette appartenance et que vous usiez vaillamment de cette force.

I La famille saine et honnête, force de la société.

La valeur et la prospérité d'un peuple résident non pas dans l'action aveugle d'une multitude confuse, mais dans l'organisation normale des familles saines et nombreuses, sous l'autorité respectée du père, sous la sage et vigilante providence de la mère, dans l'union intime et coopérante des enfants. Chaque famille s'étend, se dilate dans la parenté qu'unissent les liens du sang. Et les alliances entre

1 D'après le texte français des A. A. S., 37, 1945, p. 189.

familles viennent encore, par leurs harmonieux enchevêtrements, constituer de maille en maille tout un réseau dont la souplesse et la solidité assurent l'unité vitale d'une nation, grande famille au grand foyer qu'est la patrie.

Réseau tellement parfait et délicat que chaque maille qui viendrait à se rompre ou à se relâcher risquerait de compromettre, avec l'intégrité du réseau, tout l'organisme de la société. Or, cette rupture ou ce relâchement, cet affaiblissement ou cette dégénérescence de la famille se produisent avec leurs funestes conséquences toutes les fois qu'une atteinte est portée à la sainteté ou à l'indissolubilité du mariage, à la fidélité ou à la fécondité conjugale, toutes les fois que l'autorité paternelle, par abdication des parents, ou par insubordination des enfants, se trouve mise en échec. Des fragments de familles brisées ou désagrégées ne sont guère plus propres à constituer une société saine et stable que le conglomérat amorphe d'individus dont Nous parlions récemment 2.

Grande certes et noble et pure est la félicité d'un foyer patriarcal, intact dans son intégrité comme dans sa dignité. Mais — qui oserait le nier ? — cette félicité est le prix de l'attachement à des devoirs austères, de la victoire sur des obstacles ou des attraits, sur les passions déréglées ou les tentations de la chair ou du coeur. Or, il y faut du courage, un courage généreux et, surtout, permanent, continu, à longueur d'année, à longueur de vie. A moins d'ignorer étrangement la faiblesse humaine, de fermer obstinément les yeux devant l'évidence, force est de reconnaître qu'un tel courage ne peut surgir, moins encore se soutenir, par le seul effet des arguments de la simple et froide raison.

La doctrine pure, la morale sublime, les espérances éternelles de la foi chrétienne contribuent grandement à l'engendrer, mais ce n'est pas surtout son action extérieure qui donne à la religion du Christ cette salutaire influence, cette vertu merveilleuse de sauvegarder la pureté, la sainteté du mariage et de la famille au milieu d'une fausse civilisation corrompue et corruptrice. Le Christ agit dans les âmes par l'infusion de sa grâce plus encore que par ses enseignements, ses exhortations, ses promesses : surtout il est, par son Eucharistie, la « source de la vie et de la sainteté » 3. Quel temple auguste devient

2 Radiomessage de Noël 1944.

3 Litanies du Sacré-Coeur.

le foyer où le père, la mère, les enfants vivent, nourris et abreuvés de la chair et du sang de Dieu !

Quand une famille vit ainsi du Christ, que par sa consécration au Coeur du Christ elle a ratifié son union avec Celui qui a vaincu le monde et s'est vouée à l'amour, au service, au règne de ce Coeur divin, qu'elle a fait de son règne l'idéal qui la fascine et auquel visent toutes ses aspirations ; quand plusieurs familles, animées du même esprit, tendues vers le même idéal, sont unies dans la compacte intégrité du Corps mystique de PHomme-Dieu, quand ces familles sont des milliers, des centaines de milliers, quand un million de pères, de mères, des millions et des millions d'enfants consacrent avec une ardeur passionnée toutes leurs énergies à promouvoir la cause et le règne de Jésus, qui mesurera la puissance d'une telle armée sous un tel chef ?

La timidité, l'hésitation, la défiance abattant vos courages et brisant votre élan, stériliseraient tous vos efforts. Et c'est pourquoi Nous vous indiquions la fierté de votre appartenance au Christ, la conscience de votre force, pour restaurer tout en lui sous sa conduite et dans son règne, comme condition essentielle pour la voir produire ses effets merveilleux.

Courage donc, familles chrétiennes, familles françaises du Sacré-Coeur ! Votre phalange est assez considérable, assez forte pour marcher en assurance. Et pourtant, regardez ! Ne voyez-vous pas autour de vous d'autres familles en nombre bien plus imposant que le vôtre, fixer les yeux sur vous et n'attendre pour marcher avec vous que de recevoir de vous le branle ?



II

La consécration au Sacré-Coeur de Jésus.

Votre consécration au Coeur de Jésus scelle un pacte entre lui et vos familles. Il en a pris l'initiative par sa promesse : « Je les bénirai », disait-il à sainte Marguerite Marie. De votre côté, avec toute la solennité que vos moyens vous permettaient, sous la bénédiction du prêtre, son représentant, vous avez mis son image à la place d'honneur de votre foyer dont vous le proclamiez le souverain, vous engageant officiellement à le regarder et à le traiter comme tel. Lui, ne manquera jamais à sa parole : Il est le Dieu fidèle. Ne manquez pas à la vôtre. Faites-le régner chez vous et autour de vous.

Consacrée, votre demeure est donc par définition, une demeure désormais sacrée : rien n'y doit offenser les yeux, les oreilles, le Coeur de Jésus. Il en est le Roi : il doit y recevoir de votre fidélité un hommage permanent de respect, de dévotion, d'amour. Chef très aimant de votre foyer, il est associé intimement à toute sa vie et l'on n'y conçoit aucune peine, aucune joie, aucune inquiétude, aucune espérance, à laquelle vous le laisseriez étranger. C'est le royaume du Christ : il est sacré !

Il n'y aurait qu'une vaine et stérile complaisance d'amour-propre, ou plutôt qu'une humiliante contradiction à prendre conscience de votre force si vous n'en deviez user pour le maintien, la défense, la conquête des droits du Coeur de Jésus qui sont aussi vos droits, les droits de votre famille et de votre patrie. Pères de familles chrétiennes, qui sont l'honneur et la vitalité de la France, il vous appartient et vous avez le devoir de parler et d'agir au nom de vos familles, au nom de la France, de cette France qui, au lendemain de douloureux désastres, a gravé sur le fronton de votre basilique de Montmartre l'émouvante humilité de son repentir, l'ardeur de son amour et de sa dévotion. Poenitens et devota !

Au nom donc de vos familles et de la France, défendez la sainteté du mariage et l'unité du foyer, ravagées par le divorce ; défendez l'autorité des parents et leur liberté d'élever chrétiennement leurs enfants sans dommage ; défendez l'enfance et l'adolescence contre les propagandes impies et déshonnêtes, contre la séduction des spectacles scandaleux, contre les licences pernicieuses d'une presse et d'une radio sans contrôle.

Au nom de vos familles et de la France, revendiquez pour vos cités la décence, la dignité des rues et des places publiques, le droit pour tous vos concitoyens de pratiquer ouvertement leur religion, pour votre clergé, vos religieux, vos religieuses, celui de faire du bien aux petits, aux ignorants, aux pauvres, aux malades, aux mourants.

Au nom de vos familles et de la France, préparez et procurez l'avènement du règne de Dieu et du Coeur de Jésus dans votre patrie, la reconnaissance de sa divine majesté, dans la sanctification du dimanche et des fêtes, dans l'exercice du culte public, dans la pratique de la justice, de la charité sociale, de la fraternité chrétienne entre tous les Français par la réconciliation mutuelle, dans la paix.

Vous venez de proclamer, une fois de plus, que vous croyez à la vocation chrétienne de la France. Il est fidèle, l'Auteur de

cette sublime vocation : Fidelis Deus, per quem vocati estis (1Co 1,9). Que par vous, familles chrétiennes consacrées au Coeur de Jésus, la France, de son côté, soit fidèle à y répondre !

C'est dans cette confiance que Nous vous donnons à vous tous, à tout votre bien-aimé peuple, à la jeunesse surtout, espoir de la patrie, avec toute l'effusion de Notre coeur, Notre Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION A M. JEAN BRUNNER COMMANDANT EN CHEF DES VÉTÉRANS DE LA « FOREIGN WARS » AUX ÉTATS-UNIS

(26 juin 1945) 1

C'est un plaisir pour Nous de vous saluer, et Nous espérons que, quoique vous ayez déjà fait de nombreux voyages longs et historiques, vous trouverez votre visite au petit Etat de la Cité du Vatican intéressante et agréable.

Vous, M. Brunner, Nous le comprenons, vous avez une très grande responsabilité dans une organisation qui, d'après la nature des choses, exerce une grande influence dans votre pays et, par conséquent, dans le monde entier. S'il existe un groupe d'hommes indiqués pour atteindre le but désiré de la paix, ce sont évidemment les vétérans des guerres modernes avec l'étranger. Ils savent ce que cela veut dire d'être envoyés de l'autre côté de la mer dans des pays situés à des milliers de milles de leurs familles et de leurs amis, d'avoir à interrompre leurs études ou leurs carrières et ambitions d'affaires, quelquefois détruits pour toujours. Ils connaissent, par expérience, le froid et la chaleur, la pluie et la boue, les angoisses et l'agonie des champs de bataille. N'ont-ils pas également été témoins du mépris démoralisant, cruel et humiliant, de la vie humaine et de l'idéal humain, qui est souvent une des conséquences de la guerre ? Et si la paix ne doit pas mettre fin à tout cela ?

Et pourtant, Messieurs, vous devez savoir, les membres de votre organisation doivent savoir qu'il n'y aura pas de paix, qu'il ne peut y avoir de paix dans le monde si les hommes ne se tournent pas vers Dieu qui est le Père de tous et qui rend frères tous les peuples et toutes les nations.

Il ne peut y avoir de paix si la charité et la justice ne sont pas assurées et si elles ne sont pas défendues en cas de nécessité contre les assauts d'une force physique prédominante. Personne ne sera surpris qu'une forte et même violente réaction souffle parmi les masses dans les pays qui ont été entièrement dévastés par une guerre qui n'aurait jamais dû être commencée. Mais la paix ne se trouve pas dans cette direction, ni la prospérité, ni le bonheur. Les hommes de calme jugement, les hommes qui dirigent les autres dans tous les domaines, doivent comprendre que c'est leur devoir de protéger ces masses contre elles-mêmes et contre ceux qui sont prêts à exploiter les périodes critiques de la vie des nations pour satisfaire de basses et aveugles passions.

Nous prions tous les jours Dieu de susciter des chefs — hommes clairvoyants, courageux, de foi et de confiance inébranlables en Dieu, le Rédempteur aimant les hommes — vrais patriotes, qui placent le suprême bien de leur patrie au-dessus de leurs propres ambitions.

Avec cette prière Nous demandons aussi à Dieu de vous bénir, ainsi que ceux qui vous sont chers à la maison, de bénir tous les vétérans des guerres et de les guider dans la grande oeuvre qu'ils peuvent accomplir pour le bien de leur chère patrie et du monde entier.


Pie XII 1945 - L'EGLISE ET LE NATIONAL-SOCIALISME