Pie XII 1945 - (28 octobre 1945


ALLOCUTION A UN GROUPE D'ENFANTS ROMAINS ABANDONNÉS

f28 octobre 1945J 1

Cette allocution a été adressée à deux mille petits « sciuscia », c'est-à-dire des enfants abandonnés à la rue, qui lui ont été présentés par les Pères salêsiens et les prêtres de la Compagnie de Saint-Paul qui les ont recueillis.

Chers enfants, Nous lisons en ce moment dans vos yeux la joie que vous éprouvez à vous presser autour de Nous. Puissiez-vous, à votre tour, lire sur Notre visage l'aillégresse que Nous ressentons à vous accueillir et la reconnaissance émue avec laquelle Nous recevons vos dons ! Don de vos prières et de vos sacrifices, don de vos coeurs, qui veulent être purs et généreux ; don de votre charité délicatement fraternelle, qui vient en aide aux enfants infidèles des pays de missions.

Beaucoup d'entre vous sont bien petits, mais vous êtes tous très jeunes, même les plus grands parmi vous ; vous avez cependant déjà fait l'expérience de la vie ; vous avez connu beaucoup de misères et beaucoup de tristesses ; nombre d'entre vous n'ont probablement pas eu le bonheur de naître et de grandir dans une famille chrétienne. Sur la religion, les prêtres et le pape, vous n'avez peut-être entendu que des moqueries et des calomnies ; peut-être même, sans vous en apercevoir, vous étiez-vous habitués à penser et à parier de la même façon.

Si quelqu'un vous avait dit, en montrant du doigt la colline du Vatican, qu'un jour vous y seriez entrés tous ensemble, contents de vous voir accueillis par le pape, comme par un Père qui vous aime de tout son coeur, et que vous vous seriez trouvés à l'aise auprès de lui, pleins de confiance et de tendresse filiale ; si quelqu'un vous avait prédit tout cela, il y a quelques mois, vous ne l'auriez pas cru. Et pourtant, vous voilà ici présents !

Car, depuis quelques mois, tout est changé pour vous : vous avez été recueillis affectueusement et soignés avec bonté dans votre corps et dans votre âme ; vous avez appris à 'l'école du catéchisme tant de belles et grandes choses ; vous savez qu'au-dessus de cette terre affligée de tant de maux et de misères, il y a un Dieu bon qui vous a créés, qui s'est fait petit et pauvre pour vous, pour vous montrer la voie du salut, qui est mort sur la croix pour vous ouvrir la porte du ciel fermée par le péché, pour vous appeler un jour à lui et vous faire vivre dans son beau paradis. Vous savez que le Fils unique de Dieu, pour se faire petit, a voulu naître d'une Mère, la meilleure, la plus pure, la plus sainte, la plus douce des mères, et qu'il a décrété dans sa bonté qu'à sa ressemblance vous seriez les fils chéris de la Très Sainte Vierge ; vous savez que ce bon Jésus a voulu demeurer au milieu de vous, présent et caché dans le tabernacle de nos églises, où vous n'avez plus peur d'entrer, et qu'il désire vivement vous voir vous approcher de lui pour le recevoir dans votre coeur à la Table eucharistique.

Ainsi, la vie est bien changée pour vous ; elle est meilleure, elle est plus belle, elle est plus riante. Mais le démon cherchera à vous détourner de ce bon chemin pour vous reconduire à la triste vie d'autrefois ; ne l'écoutez pas, ayez confiance en ceux qui vous ont montré tant d'amour et qui vous font tant de bien. Que si par malheur le péché venait à souiller plus ou moins votre âme avec la poussière ou la boue de la rue où vous erriez autrefois, vous savez que le bon Dieu est toujours prêt à vous pardonner, à laver votre âme dans son Sang, dès que vous aurez confié votre misère au prêtre pour obtenir de lui l'absolution dans le sacrement de la pénitence.

Chers enfants, quelques-uns d'entre vous n'ont même pas connu leur papa et leur maman ; pour d'autres parmi vous, leurs parents n'ont peut-être pas eu le bonheur d'être instruits comme vous l'êtes à présent, ils n'ont pas suivi le droit chemin, ils n'aiment ni Dieu, ni la religion, ni l'Eglise ; d'autres enfin, parmi vous, durant les années douloureuses de l'horrible guerre, des bombardements, de la fuite, de l'exil, ont vu mourir ceux qu'ils aimaient tendrement et se sont sentis malheureux, seuls, abandonnés, jusqu'au jour où de bons prêtres, des religieux, des religieuses les ont recueillis. Priez pour vos chers défunts, et à ceux que vous pouvez voir encore, dites bien clairement que le pape les aime, les bénit, qu'il prie Dieu de leur faire trouver, comme à vous, le sentier du bonheur éternel dans le ciel et de la consolation sur la terre, et racontez-leur doucement, gentiment, avec respect et affection, les belles choses que vous avez apprises ; quelle sera votre joie, le jour où vous pourrez les conduire à Jésus, à la Vierge immaculée, à l'Eglise !

Chers enfants, il est temps maintenant de nous séparer. Mais Notre coeur vous suit, même quand vous serez loin, Notre prière vous accompagne. Et avec toute l'effusion de Notre coeur, Nous vous accordons à vous, à ceux et celles dont l'amour et la bonté vous entretiennent, vous éduquent et vous guident, paternellement, Notre Bénédiction apostolique.


LETTRE A L'ÉVÊQUE D'EICHSTAETT EN ALLEMAGNE POUR LE XII\2e\0 CENTENAIRE DE LA FONDATION DE SON DIOCÈSE

(30 octobre 1945)l

Cette lettre a été adressée à S. Exc. Mgr M. Rackl, évêque d'Eichstâtt.

Par la très aimante lettre que vous venez de Nous adresser, Nous avons appris que le diocèse d'Eichstâtt que vous dirigez si dignement allait bientôt commémorer le XIIe siècle de sa constitution régulière.

Il convient, en effet, malgré les grosses difficultés des temps, de rappeler cet événement par des célébrations opportunes ; en considérant ce long espace de temps et tous les événements qui s'y sont produits, maintes raisons se présentent à votre esprit pour rendre à Dieu si bon et si grand les actions de grâces que vous lui devez pour les innombrables bienfaits reçus, pour en tirer augure favorable qui vous permettent de surmonter la dureté des temps présents et pour agir dans l'union des forces et des esprits de telle façon qu'il soit évident que la foi ancestrale et la vertu des aïeux n'ont rien perdu chez vous de leur antique éclat et de leur ancienne dignité.

En rappelant à Notre mémoire les débuts de votre illustre Eglise, Nous voyons comme avec les yeux de l'esprit ces temps si anciens où, d'une part éclata tellement l'ardente charité des Pontifes romains envers votre nation et d'autre part ne brilla pas moins la docilité de votre nation à embrasser pleinement et de plein gré la religion catholique qui lui était prêchée. Et voici que se présentent à Notre esprit ces ardents semeurs de la doctrine évangélique qui, sous la vaillante conduite de saint Boniface, l'apôtre de la Germanie, ont instruit votre nation par leur labeur infatigable et l'amenant de ses moeurs rudes à une vie chrétienne et humaine en ont tiré tant de fleurs de vertu et de sainteté. Et Nous n'ignorons pas, comme vous l'écrivez vous-même, les liens étroits qui unissent dans le présent le diocèse d'Eiehstàtt au Siège apostolique, comme dès les débuts les fondateurs de votre Eglise ont voulu qu'il soit uni par une union qui s'est maintenue dès les temps anciens pleinement, sans faiblesse et avec bonheur.

Lorsque, selon la tradition, le très saint Willibald, le disciple le plus renommé de Boniface, qui devint par la suite le premier évêque de votre diocèse, fut envoyé, il y a douze siècles, par Notre prédécesseur de vénérée mémoire, Grégoire III, pour prêcher la vérité évangélique dans ces régions, les conditions des lieux et des choses n'étaient certes pas faciles, la lumière de la doctrine chrétienne ou bien y était totalement ignorée ou bien n'y brillait pas encore fortement. Mais son courage n'en fut pas brisé, et son zèle apostolique n'en fut pas affaibli ; bien mieux, plus amères étaient les difficultés, plus dure était la résistance qu'il éprouvait de tous côtés, plus aussi son travail se fit pressant, plus vivante sa foi, plus ardente sa charité. Mais Dieu couronna ses travaux de succès (Sg 10,10). Car il eut le bonheur de voir d'innombrables foules instruites par son oeuvre et sa sueur venir des superstitions impures aux préceptes très saints de Jésus-Christ et y conformant leurs moeurs et leur conduite sur son modèle. Enfin, au cours des temps, s'inscrivent en lettres d'or dans les annales de votre diocèse les hauts faits de vos insignes pasteurs qui eurent à coeur non seulement de construire de magnifiques édifices pour le bien de leur troupeau, mais aussi de procurer par leur zèle apostolique paternel son progrès spirituel et qui surtout veillèrent tout particulièrement à protéger de toutes leurs forces sa foi chrétienne et la morale catholique. Parmi ces pasteurs, il convient de rappeler la mémoire de Gebhard Ier, ce vaillant défenseur de la discipline ecclésiastique et de la moralité chrétienne qui, élevé sur le trône de Pierre par un décret de la divine Providence, prit le nom de Victor II et gouverna l'Eglise universelle en ces temps agités par la tempête.

De célèbres institutions de piété, de charité, de culte religieux et de culture humaine ont fait suite à l'oeuvre de saint Willibald et de ses successeurs ; ces institutions se sont perpétuées jusqu'à notre époque et ont beaucoup contribué à la prospérité de votre diocèse et

à son avancement spirituel. Parmi ces institutions, il y a lieu de rappeler d'une façon particulière l'Institut fondé par l'homme de science que fut Charles-Auguste von Reisach qui gouverna d'abord votre Eglise, puis celle de Munich, et qui en raison de ses mérites éminents fut honoré de la pourpre romaine ; Nous voulons parler de cet institut de haute philosophie et de sciences théologiques qui brilla par son goût des recherches doctrinales et par son soin à donner à ses élèves une bonne formation selon l'esprit de l'Eglise ; aux jours pénibles du Kulturkampf contre l'Eglise catholique, ainsi qu'au cours de la tempête de ces dernières années, cet institut voulut ouvrir ses portes non seulement aux élèves provenant des autres diocèses d'Allemagne, mais aussi à ceux qui avaient dû s'enfuir d'autres parties du monde.

Les épreuves et les misères n'ont certes pas manqué à votre cher diocèse, épreuves qui vous ont causé de lourdes pertes mais n'ont pu cependant en briser la force et le courage ; bien plus, muni du secours du Dieu tout-puissant qui ne saurait manquer, votre diocèse sortit de ces épreuves et de ces difficultés comme ramené à une nouvelle jeunesse. Et cela d'une façon telle — Nous l'avons appris avec grande consolation — que ceux qui se glorifient de porter le nom de catholiques, et certes ils ne sont pas rares, gardent leur foi avec ténacité et la défendent contre les erreurs ; c'est en elle qu'ils cherchent les forces et les consolations surnaturelles pour vaincre les difficultés présentes, pour adoucir et apaiser leurs douleurs et pour diriger le cours de leur vie vers le seul but où tous les hommes pourront obtenir la récompense méritée par leurs vertus, le plein repos de l'esprit et atteindre la vraie patrie qui durera éternellement.

Que les chers fils du diocèse d'Eichstâtt continuent, sous votre inspiration, votre enseignement et votre direction, à marcher sur les traces du grand saint Willibald et que cette commémoration séculaire enflamme leur courage pour accomplir joyeusement et avec force tout ce que notre temps exige des fidèles disciples de Jésus-Christ. Notre temps exige d'eux que, toute erreur écartée, les intelligences soient pleinement éclairées par la lumière de la vérité évangélique ; il en exige que l'Eglise, la famille, les écoles et les lettres se prêtent leur aide réciproque pour former la jeunesse et la rendre forte selon les préceptes catholiques ; il exige aussi que tous les fidèles par leur foi droite et solide comme par la dignité de leur vie raffermissent les esprits en proie au doute et chancelants et les pénètrent de la véritable lumière ; notre temps exige enfin — Nous savons avec une grande joie que vous l'avez fait selon vos forces dans les années précédentes — que chacun accorde son aide pour soulager l'indigence, la misère, le malheur du prochain et qu'il le fasse de grand coeur ; et que tous fassent leurs efforts pour réprimer et apaiser les haines, les jalousies, les rivalités et qu'ils n'épargnent aucune peine pour que l'inépuisable charité chrétienne puisse porter remède à l'accumulation des maux qu'une guerre trop longue a engendrés.

Ce sera pour vous un agréable devoir, Vénérable Frère, de communiquer au troupeau qui vous est confié Nos exhortations et Nos avis et de porter à sa connaissance, est-ce bien nécessaire ? combien Nous sommes présent auprès de vous par Notre pensée paternelle et aimante, combien Nous prenons part à vos peines, combien Nous désirons augmenter votre espoir en implorant pour vous les consolations divines.

Que la Bénédiction apostolique que Nous vous accordons de tout coeur dans le Seigneur à vous, Vénérable Frère, à tout le clergé et au peuple confié à vos soins, soit l'augure et le gage de tous ces voeux.


LETTRE AUX ÉVÊQUES D'ALLEMAGNE

(Ie' novembre 1945)1

Cette lettre est la réponse du Saint-Père à la lettre qui lui a été adressée par les évêques d'Allemagne à l'occasion de leur première réunion d'après-guerre à Fulda :

La conférence de Fulda.

La guerre, ce conflit gigantesque, terminée, vous avez tenu, dès qu'il fut possible de le faire, votre réunion traditionnelle à Fulda auprès du tombeau illustre de saint Boniface, évêque et martyr ; c'est là que vous avez coutume de puiser tous les ans, aux périodes heureuses comme aux périodes sombres de votre histoire nationale, la lumière d'en haut, afin qu'elle vous montre la voie à suivre, qu'elle dévoile et manifeste les dangers à éviter et qu'elle vous fasse discerner les oeuvres à réaliser et à promouvoir, qui soient susceptibles de procurer au mieux et le plus opportunément, avec l'aide de la grâce divine, le bien du peuple confié à votre vigilante sollicitude. Nous déplorons vivement l'absence, à votre conférence, de Notre cher Fils Adolf Bertram2, archevêque de Breslau, qui, pendant de longues années, l'a présidée avec tant de sagacité et tant de zèle. Avec vous, Nous avons prié Dieu d'accorder à ce regretté prélat la félicité éternelle afin que du haut du ciel il puisse être propice à son troupeau, ainsi qu'à tous vos compatriotes, et continue à leur venir en aide.

La condamnation du national-socialisme.

Mais avant de commencer les délibérations et les travaux de votre conférence, vous avez voulu élever vos pensées jusqu'à Nous et,

1 D'après le texte latin des A. A. S., 37, 1945, p. 278 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. VII, p. 242.

2 Le cardinal Adolf Bertram est mort le 8 juillet 1945, loin de sa ville archiépiscopale de Breslau.



par une lettre collective, témoigner à nouveau des liens très étroits qui vous unissent si intimement, vous et vos fidèles, au Siège apostolique. Dans votre lettre d'hommage filial, vous avez bien voulu aussi Nous exprimer votre reconnaissance pour le fait que, pendant la persécution perfide et astucieuse dont l'Eglise d'Allemagne a été victime ces dernières années, Notre prédécesseur et Nous-même nous ayons fait tout ce qui était en Notre pouvoir pour vous venir en aide. Dans ce domaine, Nous n'avons pas seulement, conscient de Notre devoir, condamné les fausses doctrines qui avaient envahi les lois et les institutions publiques de votre pays et déclaré qu'elles devaient céder la place à des règles chrétiennes et plus humaines, Nous avons encore déploré la violation de conventions librement conclues et élevé les protestations qui s'imposaient ; et lorsque tous les moyens humains apparurent inutiles, Nous avons, en union avec vous, adressé Nos prières et Nos supplications au Dieu des miséricordes, afin qu'il daigne mettre fin lui-même à une situation si douloureuse.

Mais Nous savions fort bien — et il faut vous en louer ici publiquement — que, conscients de votre devoir, vous vous opposiez et résistiez de toutes vos forces aux principes et aux méthodes insensés du « nationalisme » effréné, et qu'en cela vous aviez l'assentiment de l'élite de votre peuple. Il convient donc de ne pas perdre de vue cela et de bien en tenir compte quand on décide d'infliger des peines et des sanctions en raison des événements si tristes qui se sont produits, de manière à ne pas punir à la fois les innocents et les coupables. Pour tout ce que vous avez fait dans ces circonstances extrêmement difficiles, Nous prions de tout coeur Dieu, source de tout bien et juste rémunérateur, de vous récompenser largement. Nous le supplions surtout de vous assister à chaque instant de sa grâce puissante dans l'accomplissement de la tâche ardue qu'est la réparation des ruines immenses causées par les partisans de ce nationalisme effréné et par une longue guerre.

Encouragement pour les tâches de reconstruction.

Sans doute, vous ne disposez pas des moyens humains qu'il faudrait pour entreprendre et mener à bien ces entreprises d'une importance capitale et l'oeuvre de la reconstruction, surtout que vous avez éprouvé de lourdes pertes, non seulement parmi le laïcat, mais aussi parmi votre clergé, dont beaucoup de membres sont morts dans les camps de concentration, confesseurs de la foi et dispensateurs zélés des consolations de la religion.

Malgré ce nombre diminué, vous ne perdez pas courage et votre zèle apostolique ne se relâche pas. Car Nous connaissons la foi et la charité ardentes qui vous animent et, Nous n'en doutons pas, vous en êtes déjà arrivés au point que vos forces augmentent, et vous pouvez remplacer dans leur travail ceux qui ne sont plus. Nous avons donc pleine confiance et Nous sommes persuadé, cher Fils et Vénérables Frères, que vous et les prêtres qui travaillent à vos côtés, loin de rester inactifs et de vous laisser décourager par les malheurs présents, vous mettrez une fois de plus en évidence que, si nous invoquons Dieu dans nos prières et que nous lui restions intimement unis, il accordera aux hommes cette force à laquelle rien ne saurait résister et que de son secours et de sa Providence dépend l'avènement d'une époque meilleure et plus heureuse.

Nous n'ignorons pas, cependant, que l'oeuvre que vous allez entreprendre est très difficile, très ardue et semée d'obstacles. La seule situation matérielle est d'une gravité et d'une difficulté telles qu'elle n'exige pas seulement votre sagacité et votre dévouement à vous, mais encore le concours unanime et l'aide généreuse de votre clergé et de vos concitoyens. Semblable à un ouragan gigantesque qui emporte tout sur son chemin, la guerre a renversé et dévasté nombre de vos cathédrales, consacrées par la religion autant que par leur antiquité et leurs trésors artistiques ; elle a ravagé également les évêchés et les presbytères, les maisons des religieux et des vierges vouées à Dieu, les séminaires et les établissements scolaires presque innombrables fondés par l'Eglise. Ces édifices — dont Nous avons visité et hautement admiré un grand nombre pendant Notre nonciature en Allemagne et qui Nous sont très chers aussi à cause des prières que Nous y avons faites — Nous avons le ferme espoir qu'ils se relèveront de leurs ruines comme l'exigent les fonctions pastorales qu'on doit y exercer et les décisions qu'on a prises de reconstruire vos villes. Ainsi, les monuments religieux qu'ont érigés, au cours des âges, la foi antique et le génie artistique des Allemands, seront sauvés et subsisteront comme un exemple et seront pour les fidèles des lieux où ils pourront convenablement se réunir pour y prier et y recevoir une bonne instruction religieuse.

Et si, comme Nous l'avons déjà dit, ces besoins immenses sont sans proportion avec les ressources dont vous disposez, il ne faut pas pour autant, vous le savez bien, perdre courage : l'histoire même de l'Allemagne montre qu'un peuple chrétien, qui brille par la pureté de ses moeurs, son esprit d'ordre et son ardeur infatigable au travail, peut, avec l'aide de la grâce divine et en bandant toute sa volonté, surmonter et vaincre toutes les difficultés, et est capable, si grande que soit sa pauvreté, de mener à une bonne et heureuse fin ses entreprises.

Mais ce qui, à juste titre, vous angoisse et vous préoccupe plus que les innombrables ruines de votre patrie, ce sont les dommages bien plus funestes causés aux âmes par les doctrines impies qui, au mépris de la loi évangélique, ont voulu instituer les droits et les impératifs de la race, du sang et de l'orgueil. Aussi, est-ce à bon droit que vous vous promettez de ne rien négliger qui puisse ramener les égarés dans la bonne voie, et relever, mettre à nu et faire disparaître les préjugés et les erreurs qui se sont multipliés ces dernières années concernant le Christ, Verbe de Dieu fait homme, l'Eglise qu'il a fondée, ses commandements et ses préceptes divins. Car ce sont uniquement ces préceptes, bien mis en lumière et pratiqués courageusement et avec soin, qui peuvent procurer un jour le bonheur éternel, et même la prospérité et le bonheur temporel que l'on peut obtenir ici-bas. Aussi votre patrie, bouleversée aujourd'hui par tant d'afflictions, pourra réellement se relever et connaître des temps plus heureux si elle professe dans la vie privée comme dans la vie publique la paix, la charité et l'humilité évangéliques.

La presse.

Pour atteindre ce but, on comprend facilement combien il importe de faire revivre le plus vite dans votre pays — et c'est Notre vif désir — les oeuvres et les organisations de presse destinées à promouvoir et à propager, pour le plus grand bien de la cause chrétienne, les publications catholiques de tout genre. De cette manière, vous aurez la possibilité de faire connaître les vrais principes de la doctrine et les solutions les plus sûres aux problèmes discutés, qu'il s'agisse de la question sociale et des problèmes particuliers qu'elle soulève, du gouvernement et de l'administration de la chose publique, ou enfin d'autres matières de la plus haute importance, telles que l'éducation de la jeunesse, le mariage et la famille, au sujet desquelles Nos prédécesseurs d'heureuse mémoire, Léon XIII et Pie XI, ainsi que Nous-même, avons déjà donné à l'occasion opportune les directives voulues.

Les ouvriers.

Dans le domaine social, une question d'importance primordiale est certainement celle de l'organisation du monde ouvrier puisque, comme vous Nous l'écrivez, on se propose de les grouper « bientôt en un syndicat unique ». Nous sommes d'avis que, provisoirement, tant que durera la situation exceptionnelle d'aujourd'hui, on peut admettre cette forme d'association. Mais comme ce genre et cette forme d'organisation ne vont pas sans de graves dangers, il appartiendra assurément à vos soins vigilants de guider et de diriger les travaux d'études, l'orientation et les aspirations du monde ouvrier, de manière que les travailleurs catholiques ne se détachent pas en quoi que ce soit des principes de la doctrine sociale basée sur l'Evangile et le droit naturel que les générations passées nous ont transmise avec tant de clarté et de justesse ; il faudra mettre tout en oeuvre pour que ce syndicat unique ne donne pas lieu à une lutte passionnée de classes et de partis politiques, mais, qu'au contraire, nos ouvriers contribuent, chacun selon ses forces, à la concorde, à la stabilité et à l'ordre dans la société. Car si le régime politique des dernières années, basé sur la violence et l'oppression, doit être suivi d'une autre tyrannie, affichant le même dédain et le même total mépris à l'égard des principes de la vie spirituelle qui, en tant qu'ils sont les normes de la liberté essentielle et de la dignité de l'homme, constituent le fondement et la base de la société, ce serait indubitablement de nouveau, pour votre patrie, une catastrophe irréparable.

Les écoles.

Quant à la décision sans équivoque que vous avez cru devoir prendre au sujet des écoles confessionnelles (Bekenntnisschule), Nous l'approuvons pleinement. Car si les pouvoirs publics distribuent dans votre pays un enseignement primaire obligatoire, c'est une raison de plus pour les catholiques de ne pas renoncer aux écoles confessionnelles. Une excellente et ancienne tradition, les droits des citoyens et les stipulations du concordat conclu entre le Saint-Siège et l'Allemagne exigent d'ailleurs le maintien de ces écoles. Quel que soit, du reste, à l'avenir, le régime scolaire dans votre pays, il faut reconnaître aux pères et mères de famille et à leurs remplaçants le droit légitime d'envoyer leurs enfants dans les écoles catholiques.

De même que les écoles confessionnelles, la persécution inique qui a déferlé sur votre pays a malheureusement supprimé et confisqué, on le sait, les établissements scolaires privés, notamment les pensionnats de filles tenus par des religieuses, et beaucoup d'autres. Mais l'acharnement qu'on a mis à supprimer et à dissoudre ces institutions est précisément la meilleure preuve qu'elles étaient hautement qualifiées pour donner une bonne éducation chrétienne. C'est pourquoi Nous ne pouvons qu'espérer qu'elles reprendront bientôt leur activité, apportant à la famille et à la société les bienfaits les plus étendus.

Les associations catholiques.

Nous savons qu'avant 1933 l'Allemagne comptait d'innombrables associations catholiques. Maintenant se pose, avec la question de leur reconstitution, celle de savoir comment et dans quelle mesure il convient de les rétablir. En cela, cher Fils et Vénérables Frères, l'important n'est pas de considérer les oeuvres du passé et ce que les générations antérieures vous ont légué dans ce domaine, encore que ce soient, certes, de glorieux souvenirs ; avant tout, il faut accorder toute votre attention aux organisations qui répondent aux nécessités présentes et qui soient plus adaptées, plus efficaces ou plus fécondes pour l'avenir. Pour les associations qui ont déjà fait leurs preuves et dont la gravité de l'heure actuelle a augmenté plutôt que diminué l'importance, par exemple les syndicats d'ouvriers catholiques, il conviendra de les rétablir telles quelles, sous votre contrôle et direction, groupées, selon que vous le jugerez plus opportun et que le comporte leur but spécial, soit dans chaque diocèse, soit dans plusieurs diocèses. D'autre part, il importe fort, vous le savez bien, qu'entre l'Action catholique et les autres associations s'établissent des relations nettement définies, de manière à favoriser la bonne entente et une collaboration féconde.

Dieu seul, cher Fils et Vénérables Frères, peut mesurer la somme d'angoisses et de misères que vous a apportées, à vous et à votre peuple, cette longue guerre dont vous supportez aujourd'hui les si tristes conséquences. Aussi est-ce une grande consolation pour Notre coeur paternel d'apprendre que la Ligue catholique de la charité a repris son activité afin de remédier dans la mesure du possible à cette immense détresse, et qu'elle travaille déjà énergiquement et avec fruit à l'accomplissement de sa tâche.

Berlin et l'Allemagne de l'Est.

Tout en faisant Nôtres les angoisses et les souffrances de vous tous, Nous voulons affirmer Notre sollicitude particulière à l'égard des habitants de Berlin et de l'Allemagne de l'Est. Nous connaissons leur sort cruel et Nous voyons, pour ainsi dire de Nos yeux, les ruines et les destructions épouvantables que les dernières phases de la guerre ont causées dans ces provinces, ces cités, ces villes autrefois florissantes. Surtout Nous déplorons avec vous le traitement indigne et les malheurs dont nombre de femmes et de jeunes filles allemandes ont été les victimes. Si Nous sommes très douloureusement affecté par toutes les souffrances que cette guerre inhumaine a causées, en Orient et en Occident, dans les pays d'Europe, d'Asie et d'Afrique, Nous le sommes aussi en particulier par les calamités de toute sorte qu'elle vous a infligées à vous, parmi qui Nous avons passé de longues années de travail fécond et dont Nous avons constaté de Nos yeux la foi vive et ardente lors des congrès cathdliques de Berlin, de Breslau et de Magdebourg. Nous implorons donc dans Nos prières la miséricorde divine sur tous vos compatriotes et particulièrement sur ceux qui, chassés de leurs foyers, errent par milliers et milliers dans tout le pays. Les mois derniers déjà, Nous n'avons voulu laisser passer aucune occasion pour alléger, dans la mesure de Nos moyens, votre sort et celui des vôtres, surtout en ce qui concerne la situation alimentaire ; et, aujourd'hui encore, Notre unique préoccupation est de voir se réaliser heureusement les voeux ardents que Nous formons pour vous.

Comme Nous connaissons bien les tristes événements qui sont survenus ces derniers mois en Allemagne orientale, Nous exhortons avec instance toutes les victimes à ne pas répondre à la violence par la violence, mais à s'appuyer plutôt sur la force du droit. Nous demandons pareillement que, ayant recours au jugement impartial de la justice, on ne confonde pas avec les vrais coupables qui, par conséquent, méritent un châtiment, des catégories de citoyens qui, en Allemagne comme dans d'autres pays, ne sont pas responsables de la guerre et ne se sont souillés d'aucun crime.

Puisse la commune foi catholique, qui compte un grand nombre d'adhérents de part et d'autre, réprimer et apaiser les instincts de haine et de rancune qui montent partout à un degré effrayant, et frayer ainsi la voie à l'esprit de pacification et de charité. Telle est Notre exhortation ; telle est Notre espérance et tel aussi Notre désir le plus vif. Nous voudrions, comme vous le savez, être présent par la consolation et par le secours partout où il y a des larmes à essuyer, partout où la tristesse serre les coeurs. Soyez donc assurés que, malgré de grands obstacles et l'extrême difficulté des temps, Nous mettrons tout en oeuvre pour vous apporter quelque secours, pour soulager, soit par des oeuvres de charité, soit par des démarches et des négociations, la misère qui règne dans votre patrie, pour alléger, dans la mesure du possible, le son de vos prisonniers, pour obtenir enfin selon Nos forces, et chaque fois que c'est possible, que ces époux, fils et frères, puissent envoyer des nouvelles à leurs familles.

De votre côté, vous vous rappelez sûrement que le divin Rédempteur veut que ce soit lui-même qu'on voie dans les pauvres, ceux qui sont nus, les affamés, les abandonnés ; tâchez donc de toutes vos forces et avec instance d'allumer dans le coeur des autres la vive flamme de la charité sincère qui brûle dans le vôtre. Puissent, par sa lumière et sa douce chaleur, les pensées, les volontés, les desseins de tous s'élever et se purifier, les intérêts privés le céder au bien commun, les différends s'apaiser et les volontés de tous n'aspirer qu'au bien commun et s'unir pour travailler au relèvement de votre patrie.

C'est avec ces souhaits et dans ces sentiments que Nous vous accordons très affectueusement dans le Seigneur, à chacun de vous, cher Fils et Vénérables Frères, au clergé, tant séculier que régulier, et à tous les fidèles dont vous avez la charge, qu'ils soient auprès de leur foyer ou qu'ils en soient encore malheureusement éloignés, la Bénédiction apostolique, présage des largesses divines et gage de Notre bienveillance paternelle.



ALLOCUTION A DES DIPLOMATES DES ÉTATS-UNIS

(2 novembre 1945)1

Le Saint-Père a adressé les paroles suivantes sur l'assistance que Dieu porte aux législateurs au sénateur Edelbert D. Thomas, président de la Commission des affaires militaires du Sénat, et aux personnes qui l'accompagnaient :

Nous vous adressons une très cordiale bienvenue à vous qui êtes tous des représentants distingués de votre pays, quoique dans des champs d'action divers. Un champ cependant, semble-t-il, vous attire tous et dans ce champ l'honorable sénateur qui est ici possède une autorité incontestée. Nous voulons parler du champ des relations internationales et de la loi internationale.

C'est là une question d'importance immense et vitale à toutes les époques, mais spécialement aujourd'hui quand tant d'efforts si nobles et si dignes de louanges sont faits pour établir une paix ferme et durable entre les peuples du monde. Car c'est la loi internationale qui doit assurer et défendre la vie de cette paix ; mais une loi internationale qui reconnaît son fondement dans la loi naturelle écrite par Dieu dans la conscience de tout homme et qui tire en définitive sa force contraignante de cette loi naturelle. L'alternative, c'est la loi du plus fort ; dans ce cas, la défense de la paix tombera à la première attaque lancée par ceux pour qui la puissance crée le droit.

C'est pourquoi, tous les hommes sincèrement désireux de la paix prient pour que l'Esprit-Saint illumine les intelligences des leaders et des législateurs des nations et fortifie leurs mains pour que puisse s'établir loyalement une longue paix sur la base de la loi de Dieu. Telle est Notre prière quotidienne qui jaillit d'un coeur plein d'amour pour tous les hommes. Que Dieu vous l'accorde. Comme expression personnelle de cet amour, Nous implorons les bénédictions les plus choisies du ciel sur vous et sur tous ceux qui sont proches de vous et qui vous sont chers.



Pie XII 1945 - (28 octobre 1945