Pie XII 1946 - AU PATRICIAT ET A LA NOBLESSE DE ROME

LETTRE APOSTOLIQUE DÉCLARANT SAINT ANTOINE DE PADOUE DOCTEUR DE L'ÉGLISE UNIVERSELLE (16 janvier 1946)

1 D'après le texte latin des A. A. S., 38, 1946, p. 200 ; cf. la traduction française de» Actes de S. S. Pie XII, t. VIII, p. 20.


Avant de déclarer saint Antoine de Padoue docteur de l'Eglise, le Saint-Père rappelle les différentes étapes et les principaux caractères de sa vie, en même temps que les éloges que lui ont déjà décernés ses prédécesseurs.

L'enfance de saint Antoine.

Réjouis-toi, heureux Portugal ! Réjouis-toi, heureuse Padoue ! Car la terre et le ciel vous sont redevables d'un homme qui, à l'instar d'un astre lumineux aussi célèbre par la sainteté de sa vie et l'insigne renommée de ses miracles que par la splendeur de sa doctrine céleste, illumina et continue d'illuminer tout l'univers.

Né à Lisbonne, capitale du Portugal, de parents chrétiens, illustres par leurs vertus et par leur sang, on peut admettre, après de nombreux et véridiques témoignages, que, dès sa plus tendre enfance, il fut largement enrichi par la main toute-puissante de Dieu des trésors de l'innocence et de la sagesse. Encore tout jeune homme, ayant revêtu l'habit monastique chez les chanoines réguliers de Saint-Augustin, il s'appliqua de toutes ses forces pendant onze années à orner son âme des vertus religieuses et son esprit de la science céleste.

Son départ pour le Maroc.

Elevé ensuite par la grâce de Dieu à la dignité sacerdotale, tandis qu'il aspire à une vie plus parfaite, les cinq premiers martyrs franciscains de la mission du Maroc consacrent de leur sang les commencements éclatants de l'Ordre séraphique 2. Antoine, enthousiasmé par le triomphe glorieux de la foi chrétienne et enflammé d'un très vif désir du martyre, s'embarqua, revêtu de l'habit franciscain et le coeur tout joyeux, sur un navire en partance pour le Maroc, et aborda heureusement sur le rivage africain. Atteint peu de temps après d'une grave maladie, il se vit contraint de se rembarquer pour retourner dans sa patrie. Mais une terrible tempête se déchaîna et, ballotté de-ci de-là, au gré des vents et des flots, il fut finalement, par un dessein de la divine Providence, jeté sur un rivage perdu de l'Italie.

2 Par la lettre apostolique Primos ex inclyto, du 9 janvier 1933, ces cinq martyrs ont été nommés patrons principaux du vicariat apostolique de Rabat (Maroc).

Le professeur de théologie.

Ne connaissant personne et inconnu de tous, il pensa se rendre de là à Assise, où s'étaient rassemblés récemment un grand nombre de ses confrères franciscains et des maîtres de l'ordre. A son arrivée, il fut tout heureux de voir et de connaître le séraphique Père saint François, dont l'aspect si doux le combla d'un bonheur si suave et si grand qu'il embrasa son âme d'une très généreuse ardeur pour l'esprit séraphique. Comme la renommée de la science théologique d'Antoine s'était déjà répandue au loin, le patriarche séraphique, après s'en être assuré, voulut confier à Antoine la charge d'enseigner à ses frères la théologie, en lui adressant ce message exquis : « A Frère Antoine, mon évêque, Frère François envoie son salut. Je serais heureux que tu enseignes aux Frères la théologie sacrée, à condition cependant que pendant cette étude ne s'éteigne ni en toi ni en eux l'esprit de la sainte prière et de la dévotion, ainsi que le veut la règle. »

Antoine remplit fidèlement sa charge de professeur de théologie et doit, à ce titre, être considéré comme le premier lecteur de l'ordre franciscain. Il enseigna d'abord à Bologne, alors siège principal des études, puis à Toulouse, et enfin à Montpellier, où les études étaient également florissantes. Antoine enseigna donc ses confrères, enseignement qui produisit les fruits les plus abondants et, ainsi que lui avait prescrit le séraphique patriarche, il ne laissa aucunement s'alanguir, ni en lui ni dans les autres, l'esprit de prière et de dévotion. Bien au contraire, le saint de Padoue chercha à instruire ses élèves non seulement par le magistère de la parole, mais bien plus par l'exemple d'une vie très sainte, en conservant et en défendant spécialement le lis très blanc de la pureté virginale.

Combien cet amour de la pureté, dans Antoine, fut agréable au Christ, l'Agneau divin, le Seigneur ne tarda pas à le lui manifester ouvertement plusieurs fois. En effet, fréquemment, tandis qu'Antoine priait tout seul dans sa cellule d'ermite, l'esprit et les yeux fixés dans le ciel, voilà que soudain, dans un faisceau éclatant de lumière, lui apparut le divin Enfant Jésus qui, étreignant de ses petits bras le cou du jeune Franciscain, combla, tout souriant, notre saint de suaves caresses ; ange revêtu de chair et ravi en extase, en compagnie des anges et du divin Agneau, Antoine « se repaît parmi les lis » (Ct 2,16).

Son enseignement et sa prédication

De quelle lumière resplendit l'enseignement d'Antoine, tout comme sa prédication de la parole de Dieu, les auteurs contemporains et les plus récents l'attestent : tous sont unanimes à célébrer et à louer très haut sa sagesse en même temps qu'ils portent aux nues sa puissante éloquence. Quiconque parcourt attentivement les Sermons du Padouan découvre en lui l'éminent exégète et commentateur des Ecritures sacrées, le théologien remarquable, habile à expliquer lumineusement les vérités dogmatiques, enfin l'insigne Docteur et maître en matière d'ascétisme et de mystique. Toutes ces prédications, sorte de trésor de l'art divin de la parole, peuvent aider grandement et tout particulièrement les hérauts de l'Evangile et constituent comme une très riche mine de laquelle les orateurs sacrés surtout peuvent extraire en abondance les preuves et les arguments les plus puissants pour défendre la vérité, combattre les erreurs, réfuter les hérésies et ramener les égarés dans le droit chemin.

... le font surnommer Docteur évangêlique.

En outre, Antoine ayant coutume de toujours prouver ses affirmations par des passages et des sentences tirés de l'Evangile, c'est à bon droit qu'il mérite le titre de Docteur évangêlique. Dans ses écrits, en effet, comme dans une source intarissable d'une eau très limpide, un grand nombre de savants théologiens et d'orateurs sacrés ont constamment et largement puisé dans le passé et puisent encore aujourd'hui la saine doctrine, précisément parce qu'ils considèrent Antoine comme un maître et le regardent comme un Docteur de la sainte Eglise. De fait, Sixte IV, dans la lettre apostolique Immensa, du 12 mars 1472, écrivait ceci : « Le bienheureux Antoine de Padoue, tel un astre éclatant qui luit dans le ciel, par ses vertus et mérites éminents, par sa profonde sagesse et son enseignement des choses saintes, et par son ardente prédication, a illustré, glorifié et consolidé notre foi orthodoxe, ainsi que l'Eglise catholique. » Pareillement, Sixte V, dans la bulle apostolique du 14 janvier 1586, a écrit : « Le bienheureux Antoine de Lisbonne fut un homme d'une éminente sainteté..., rempli aussi de divine sagesse. »

Les éloges qui lui ont été décernés.

De plus, Notre prédécesseur immédiat, Pie XI, d'heureuse mémoire, dans sa lettre apostolique Antoniana solemnia, publiée le 1er mars 1931, à l'occasion du VIIe centenaire de la mort du saint, et adressée à l'excellentissime Mgr Elie Dalla Costa, alors évêque de Padoue et maintenant cardinal de la sainte Eglise romaine et archevêque de Florence, célébra cette science divine que possédait abondamment le grand apôtre franciscain et dont il fit preuve dans la restauration de l'intégrité de la sainteté de l'enseignement évangêlique.

De cette même lettre de Notre prédécesseur, il Nous plaît de rappeler encore les paroles suivantes tout à fait à leur place : « Le thaumaturge de Padoue a apporté à la société de son époque tourmentée et partout infectée de moeurs dissolues, les splendeurs de sa sagesse chrétienne et le suave parfum de ses vertus... [En Italie] en particulier se signala la puissance de son ardent apostolat ; ce fut là le théâtre de ses travaux exténuants. Mais ce fut aussi en de nombreuses provinces de la France. En effet, sans faire acception de races ou de nationalités, Antoine embrassait d'un même zèle actif tous les hommes, que ce fussent ses compatriotes portugais, les Africains, les Italiens, les Français, tous ceux enfin qui lui paraissaient avoir besoin de la vérité ou de l'enseignement catholique. Mais surtout, il engagea contre les hérétiques, Albigeois, Cathares et Patarins, qui, à cette époque, faisaient presque partout d'énormes ravages et s'efforçaient d'éteindre la lumière de la vraie foi dans les âmes chrétiennes, une lutte si véhémente et si fructueuse qu'il mérita d'être appelé « le marteau des hérétiques ».

On ne peut non plus passer ici sous silence, mais le tenir pour très considérable et important, le magnifique éloge que fit de notre saint le pape Grégoire IX qui, après avoir entendu Antoine prêcher et avoir joui de son admirable conversation, voulut le proclamer Arche du Testament et Arsenal des Ecritures sacrées. Très digne de mémoire est aussi le fait que, le 30 mai 1232, onze mois à peine après sa précieuse mort, le thaumaturge de Padoue fut inscrit au catalogue des saints ; on rapporte qu'à la fin de la cérémonie pontificale solennelle de la canonisation, Grégoire IX, lui-même, entonna en l'honneur du nouveau saint, l'antienne propre des Docteurs de l'Eglise : O doctor optime, Ecclesiae Sanctae lumen, beate Antoni divinae legis amator, deprecare pro nobis Filium Dei.

Sa proclamation de Docteur de l'Eglise.

Et ce fut là précisément le motif pour lequel, depuis ce moment, dans la liturgie sacrée, on commença à attribuer au bienheureux Antoine le culte propre aux Docteurs de l'Eglise, et que fut insérée en son honneur la messe des Docteurs dans le Missel secundum consuetudinem Romanae Curiae (en usage dans la Curie romaine). Par la suite, même après la correction introduite dans le calendrier par le pape saint Pie V, en l'année 1570, cette messe ne cessa jamais d'être en usage jusqu'à nos jours dans toutes les familles franciscaines et chez l'un et l'autre clergé (séculier et régulier) du diocèse de Padoue et des territoires du Portugal et du Brésil.

En raison même de tout ce que Nous avons dit jusqu'ici, il arriva qu'immédiatement après la canonisation d'Antoine, dans les peintures et les sculptures proposées à la vénération du peuple chrétien, le grand apôtre franciscain fut représenté tenant dans une main un livre ouvert, signe de la sagesse et de la science, et, dans l'autre, une flamme, symbole de la foi et de la charité.

Il n'y a donc pas lieu de s'étonner si, non seulement tout l'ordre franciscain, spécialement à l'occasion de chapitres et d'assemblées générales, mais encore beaucoup d'illustres personnalités de toute classe et de toute condition ont exprimé à maintes reprises leur très vif désir de voir confirmés et étendus à l'Eglise entière le titre et le culte de Docteur qui, depuis des siècles, sont attribués au thaumaturge de Padoue. Ces voeux s'étant grandement intensifiés à l'occasion du VIIe centenaire de l'heureuse mort et de la canonisation de saint Antoine, l'ordre des Frères Mineurs adressa d'instantes suppliques, d'abord à Notre prédécesseur immédiat, Pie XI, et, récemment, à Nous également, afin que Nous ayons la bonté de mettre Antoine au nombre des saints Docteurs de l'Eglise universelle. Et comme, pour renforcer ce pieux désir, vinrent s'ajouter aussi bien les voeux d'un grand nombre d'éminentissimes cardinaux de la sainte Eglise romaine, d'archevêques et d'évêques, que de supérieurs d'ordres et de congregâtions religieuses, ainsi que d'autres très savantes personnalités, soit du clergé, soit du laïcat, et enfin de membres d'universités, d'instituts et d'associations, Nous jugeâmes opportun de confier à l'examen de la Sacrée Congrégation des Rites une affaire d'une telle importance.

Cette Sacrée Congrégation faisant preuve, comme toujours, d'empressement à exécuter Notre ordre, désigna une commission compétente pour examiner avec soin la question. On demanda donc et on obtint le votum distinct de chacun des membres de cette commission, votum qui fut ensuite imprimé, et il ne restait plus qu'à demander aux membres de cette même Sacrée Congrégation si — étant données les trois conditions requises par Notre prédécesseur Benoît XIV d'heureuse mémoire, pour être proclamé Docteur de l'Eglise universelle, à savoir une sainteté insigne, une science théologique éminente et une déclaration pontificale — ils estimaient qu'on pût en venir à déclarer saint Antoine Docteur de l'Eglise universelle.

Or, dans la session ordinaire tenue au Vatican le 12 juin 1945, les éminentissimes cardinaux faisant partie de la Sacrée Congrégation des Rites, après que Notre cher Fils Raffaele-Carlo Rossi, cardinal-prêtre, secrétaire de la Sacrée Congrégation Consistoriale et postulateur de cette cause, en eut présenté la relation requise, et après qu'ils eurent aussi pris l'avis de Notre cher Fils Salvatore Natucci, promoteur général de la foi, donnèrent leur propre assentiment. Les choses étant ainsi, Nous, spontanément et bien volontiers, acquiesçant au désir de tous les Franciscains et de toutes les autres personnes ci-dessus nommées, par les présentes lettres, en connaissance de cause et après mûre délibération, et en vertu de la plénitude du pouvoir apostolique, Nous établissons et déclarons saint Antoine de Padoue, confesseur, Docteur de l'Eglise universelle. Nonobstant les constitutions et ordonnances apostoliques et toute autre chose contraire.

Nous établissons ces choses, décrétant que Nos présentes lettres doivent être et rester toujours fermes, valides et efficaces ; recevoir et retenir leurs effets pleins et entiers ; qu'il en faut juger et définir de la sorte. Nous déclarons nul et sans valeur tout ce qui, de quiconque et de quelque autorité que ce soit, porterait atteinte à ces décisions.

LETTRE AUX ÊVÊQUES DE POLOGNE

(17 janvier 1946) 1

En réponse à la lettre collective qu'ils lui avaient envoyée lors de leur réunion à Czestochova, le pape annonce au cardinal Hlond, archevêque de Gniezno et Poznan, et aux êvêques polonais qu'il interviendra pour que les êvêques expulsés rentrent dans leur diocèse, condamne l'attitude du gouvernement et leur donne des conseils pour l'accueil aux populations déportées et l'accroissement du recrutement sacerdotal.

Lors de votre première assemblée episcopale, tenue après la guerre, auprès du sanctuaire de la Bienheureuse Vierge Marie de Czesto-chowa, tournant d'abord vos pensées vers le Siège apostolique, qui est comme la citadelle et la sauvegarde de la foi catholique, vous avez exprimé votre respect à l'égard de la Chaire de Pierre, présenté vos hommages au Vicaire du Christ sur terre, puis vous avez inauguré et poursuivi vos travaux en vue de restaurer dans votre chère patrie la vigueur et l'éclat de la religion et des bonnes moeurs.

Le pape et les souffrances de l'Eglise de Pologne.

C'est avec satisfaction que Nous avons lu la lettre que vous Nous avez envoyée de là-bas et Nous avons réfléchi sur les choses écrites ouvertement, comme aussi sur celles que vous avez insinuées plus encore par votre silence que par vos paroles. En parcourant vos signatures, Nous avons vu qu'il manquait des noms de pasteurs de diocèses qui, il y a six ans, avaient pris part à l'assemblée du même genre réunie à Czestochowa. Au cours de la guerre, plusieurs de ces êvêques ont été exilés de leur patrie ou sont morts dans les prisons publiques ; quant à d'autres, ils sont forcés actuellement, en vue d'ordonnances les plus néfastes, de vivre loin de leurs troupeaux. Avec vous, Nous avons commémoré les morts qui, dignes de perpé

1 D'après le texte latin des A. A. S., 38, 1946, p. 172 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. VIII, p. 25.

melle mémoire, ont souffert la persécution pour le règne et le nom 'du Christ, consacrant ainsi par la constance invaincue de leur patience la sainteté de leur fonction pastorale et acquérant pour votre pays des mérites qui — ainsi que les bons en nourrissent l'espoir — feront lever dans l'avenir une riche moisson de fruits salutaires. Nous sommes intervenu — bien que vainement jusqu'à présent — et Nous interviendrons activement pour obtenir que les êvêques expulsés de leur siège reviennent dans leurs villes respectives ; quant aux diocèses restés veufs, Nous prendrons sans retard Nos dispositions pour pourvoir à cet état de choses, ce que Nous n'avons pu faire jusqu'à présent.

Dénonciation injuste du concordat par l'autorité civile.

Votre assemblée episcopale s'est tenue dans des circonstances qui, pour l'Eglise de Pologne, sont difficiles et dures. Peu de temps avant — ainsi que vous le rappelez vousnmemes — le pouvoir civil a dénoncé le concordat qui, depuis vingt ans, régissait et maintenait les rapports entre l'Eglise et l'Etat en Pologne. Cette solennelle convention a été rejetée, comme si l'Eglise avait manqué aux engagements qu'elle avait pris dans ce pacte ; accusation, certes, calomnieuse et déshonorante, qu'il n'est pas nécessaire de réfuter ; elle est, en effet, tellement vaine et futile, qu'elle ne peut même pas être soutenue. Car vous êtes bien persuadés que si, en temps de guerre, des nominations ou des mesures extraordinaires ont été décidées en Pologne, demandées et exigées par les besoins des fidèles, elles n'ont été en aucune façon en opposition ou en violation avec les accords conclus. Aussi la 'dénonciation du concordat, non seulement Nous lèse, mais encore elle est pour Nous une cause d'affliction, parce qu'elle démontre chez certaines personnes de chez vous l'existence d'une lamentable mentalité qui les porte à agir contre les institutions de la religion et les biens primordiaux de votre pays.

Loi contraire à la sainteté et à la stabilité du mariage. *"™ **

Notre crainte est désormais justifiée et fondée : on vient, en effet, dë publier chez vous une nouvelle loi qui met en péril la sainteté et la stabilité du mariage 2. Conformément aux devoirs de votre charge,

2 Au sujet de cette loi et de la lettre de l'épiscopat polonais du 7 décembre 1945, voir Documentation Catholique, t. XLIII, 1946, col. 107.

vous avez mis tout en oeuvre pour maintenir inviolable la famille qui, fondement de la société humaine tout entière et pépinière de la cité, constitue par elle-même et tout naturellement le foyer où la personne humaine grandit et se forme comme il sied et comme il se doit. Cependant, votre voix a retenti sans être écoutée. Efforcez-vous donc, ainsi que le requiert votre zèle pastoral, d'avertir vos fidèles que les lois divines ne sont ni abolies ni atténuées par les décrets contraires émanés des hommes, et qu'ils ne doivent pas, contrairement à ce qui est permis, invoquer en vue de rompre les liens conjugaux des dispositions opposées aux commandements de Dieu.

pprobation des missions populaires pour réveiller le sens religieux

Nous approuvons, par ailleurs, votre intention, inspirée à votre âme par votre vigilance pastorale, d'organiser des missions parmi les populations, en vue de réveiller la piété du peuple. Elles se sont avérées, dans leur emploi répété, très avantageuses, au point que, sortant de leur engourdissement religieux, les coupables, ébranlés par leurs malheurs mêmes, en viennent aux pratiques de la piété religieuse, et que tous ceux qui sont dans l'infortune cherchent la douceur de la paix, qu'ils n'ont pu trouver au-dehors, dans la paix du for intérieur et dans une vie amendée ; en effet, ce qui est intérieur est éternel, et seul ce qui est éternel comble les désirs immenses des âmes.

. pour encourager l'accueil fraternel des populations déportées vers l'Est

Nous voulons dire aussi un mot sur un autre sujet. Venant des régions orientales, des multitudes d'êtres humains affluent vers les contrées occidentales, victimes souvent de cruelles épreuves, désolés d'avoir été forcés de tout abandonner et dignes, en raison de leur détresse inopinée, d'être secourus sans retard. Par vos actes et vos exhortations, cher Fils et Vénérables Frères, faites en sorte de leur apporter vous-mêmes, et par vos prêtres et vos fidèles, l'aide d'une charité prévoyante et efficace. Que l'assistance spirituelle ne leur fasse jamais défaut, afin qu'ils se voient réconfortés, grâce au soulagement que procurent la foi et l'espérance chrétiennes, et qu'ils s'engagent courageusement dans la voie salutaire de la sainte croix. Même au milieu du bouleversement des hommes et des institutions, il faut que restent immuables les lois de la justice qui ordonnent de respecter les droits d'autrui et de ne nuire à personne ; c'est, en effet, en vertu de l'obligation de ces lois que l'Etat demeure stable et que la société humaine acquiert dans l'honneur et dans la tranquillité les avantages et les biens après lesquels soupirent tous les coeurs. N'est-ce pas bien gouverner que d'être toujours soumis aux lois de la justice éternelle ?

pour remédier à la pénurie de prêtres.

Nous avons éprouvé une nouvelle peine en apprenant par les rapports récemment parvenus ici de Pologne qu'il manque beaucoup de prêtres dans vos diocèses ; parmi ces manquants, les uns ont été envoyés en exil, d'autres, morts au milieu de cruelles souffrances, sont entrés dans la lumière des saints. Leurs noms sont inscrits en lettres d'or dans les annales de l'Eglise ; leurs éclatantes vertus offrent un magnifique exemple à imiter de constance dans la foi ; leurs âmes jouissant dans le Christ d'une éternelle jeunesse veillent sur les destinées de la Pologne. Que là où ils ont vécu, surgissent des phalanges de lévites sacrés qui soient de dignes héritiers de tant de piété et qui, suivant de près leurs traces, se préparent à mener une vie sacerdotale telle que la veulent leur ministère et la vérité, faite de dévouement et de bonté effective, en y joignant, dans une union féconde, l'humilité et la charité. Mettez donc tout en oeuvre pour que les séminaires ecclésiastiques excellent de plus en plus dans la pratique de la discipline et pour que la jeunesse de l'un et l'autre sexe reçoive, avec le plus grand soin, une profonde éducation chrétienne et présente des moeurs conformes à la dignité évangêlique. Ce sujet, du reste, ainsi qu'il convenait, a déjà fait l'objet de vos préoccupations lors de votre assemblée episcopale.

En vous écrivant ces lignes, Nous nourrissons le ferme espoir que luira pour la Pologne qui Nous est chère l'aurore d'une ère très glorieuse. S'il est vrai que la vertu pratiquée au milieu de toutes sortes de luttes et de souffrances accumule des mérites et produit une véritable grandeur, Nous estimons que la Pologne excelle en cette grandeur, elle dont le courage ne fléchit pas en ces temps rigoureux et ne cède pas dans sa lutte contre les difficultés. Cependant que l'authentique doctrine de l'Eglise et son esprit très pur, qui promettent et obtiennent toujours l'immortalité victorieuse, fortifient constamment son espérance et corroborent ses forces ! Quelle crainte peut-on concevoir, si l'esprit de l'Eglise, qui est l'Esprit même de Dieu, persiste vivace et impérieux ? « Rien, en effet, n'est plus fort que l'Eglise. Que ton espérance soit l'Eglise ; ton salut, l'Eglise ; ton refuge, l'Eglise... Jamais elle ne vieillit, elle est toujours vigoureuse. Aussi, voulant montrer sa fermeté et sa stabilité, l'Ecriture Sainte lui donne le nom de montagne ; son incorruptibilité, elle l'appelle vierge ; sa magnificence, elle la proclame reine, sa parenté avec Dieu, elle la surnomme sa fille. » 3

Tels sont Nos voeux que Nous prions Dieu de vouloir bien combler par le don de sa grâce, et en implorant pour vous, cher Fils et Vénérables Frères, ainsi que pour vos troupeaux, tout ce qui est salutaire, heureux, souhaitable, Nous vous donnons très affectueusement, comme gage céleste de ces faveurs, Notre Bénédiction apostolique.

3 S. Jean Chrysoscome, Homilia II in Eutropium ; Migne, P. G., LU, 402.


LETTRE DE LA SECRÉTAIRERIE D'ÉTAT A L'ÉVÊQUE DE GRENOBLE POUR LE CENTENAIRE DE L'APPARITION DE LA SALETTE

(19 janvier 1946) 1

Le Saint-Père a fait adresser à S. Exc. Mgr Caillot, êvêque de Grenoble, la lettre suivante à l'occasion du centenaire de Notre-Dame de La Salette :

La filiale adresse que Votre Excellence a fait parvenir au Saint-Père à la veille de l'année 1946 qui verra se dérouler dans votre diocèse 'les fêtes du centenaire de l'apparition de la Très Sainte Vierge sur la montagne de La Salette, ne pouvait manquer de trouver un accueil particulièrement bienveillant auprès de son auguste destinataire.

Sa Sainteté a déjà, à plusieurs reprises et récemment encore dans la lettre autographe qu'elle adressait au regretté R. P. Cru-veiller, supérieur général de la Congrégation des Pères Missionnaires de La Salette 2, manifesté l'intérêt paternel qu'elle portait à ces célébrations mariales et son désir de les voir porter des fruits de salut les plus abondants. Aussi, est-ce avec une vive satisfaction qu'elle a pris connaissance, par la lettre de Votre Excellence, de l'activité qu'y déploie, d'ores et déjà, l'évêque de Grenoble pour assurer un plein succès, d'une part au Ve Congrès mariai national qui se tiendra dans sa ville episcopale du 2 au 8 septembre 1946, d'autre part au grand pèlerinage final de clôture à la montagne de La Salette.

Vous demandez finalement au Père commun de vouloir bien bénir à l'avance les fêtes qui se préparent et assurer par là leur effi

1 D'après le texte français de la Documentation Catholique, t. XLIII, col. 859.

2 Cf. Documents Pontificaux 1945, p. 239.

cacité spirituelle. Comment ne le ferait-il pas, et de très bon coeur, puisqu'il s'agit de glorifier la Très Sainte Vierge et d'attirer par là sur votre diocèse, sur la France et sur le monde si peu enclin encore, hélas ! semble-t-il, à une véritable pacification, la protection plus particulière de Celle qui nous a donné le « Prince de la paix » ?

Dès maintenant, Sa Sainteté appelle donc de tout coeur les faveurs maternelles de la Vierge réconciliatrice sur Votre Excellence, sur tous ceux qui l'aideront dans la préparation des fêtes commémora-tives de septembre et sur tous ceux et celles qui y prendront part, et elle accorde à tous la faveur implorée de la Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION A DES SÉNATEURS DES ÉTATS-UNIS

(23 janvier 1946) 1

Le Saint-Père ayant reçu en audience des membres de la Commission sénatoriale d'études du programme de la défense nationale des Etats-Unis leur a adressé l'allocution suivante :

Nous vous adressons à tous une très cordiale bienvenue. Votre présence, honorables sénateurs, renouvelle pour Nous un plaisir que Nous avons souvent éprouvé l'an dernier, quand Nous avons reçu beaucoup de vos distingués collègues du Congrès des Etats-Unis.

Aussi est-ce un plaisir pour Nous de vous saluer et de dire un mot d'encouragement à ceux qui aujourd'hui portent une si lourde responsabilité dans un monde entouré de ténèbres et d'obscurité, qui cherche à tâtons les premiers fermes rayons de la paix. Durant ces longues années, les chefs militaires ont porté la responsabilité de ce fardeau. Elle passe maintenant aux chefs d'Etat et à ceux dont le devoir est de faire les lois qui gouverneront et guideront les peuples de demain. Si seulement la paix pouvait être obtenue en demandant : paix, paix ! Mais il n'en est pas ainsi ; ce que le génie intellectuel et le maître de la psychologie humaine, saint Augustin, a dit des individus vaut aussi pour les nations : « Vous nous avez faits pour vous, Seigneur, et nos coeurs ne seront jamais en repos tant qu'ils ne se reposeront pas en vous ». Dieu est prêt et désireux de donner la paix et la concorde à Son monde, mais les hommes doivent être assez humbles pour l'accepter de ses mains en s'approchant de lui par le chemin de la vérité, de la justice et de la charité. Les fidèles amis de la paix ont leur tâche clairement définie par lui. Notre constante prière au Dieu de toutes les nations est qu'ils puissent avoir le courage, la résolution de l'accomplir. Que les bénédictions les plus choisies du ciel descendent sur vous et sur tous ceux qui vous sont proches et qui vous sont chers.

1 D'après le texte anglais de Discorsi e Radïomessaggi, t. VII, p. 343.


DISCOURS AUX REPRÉSENTANTS DES ORGANISATIONS PATRONALES ET OUVRIÈRES DE L'INDUSTRIE ÉLECTRIQUE

ITALIENNE

(24 janvier 1946) 1

Dans cette lettre, le Souverain Pontife repousse les fausses théories de la lutte des classes, expose le rôle de l'organisation professionnelle et rappelle la nécessité de l'insertion du spirituel dans les rapports économiques.

Votre présence, chers fils, Nous est particulièrement agréable, non seulement parce qu'elle manifeste votre filiale dévotion, mais aussi à cause de la signification morale et sociale que prend votre fraternelle rencontre qui tend à aboutir à de profitables ententes entre les deux forces productrices, les employeurs et les travailleurs, pour le meilleur développement de la prospérité nationale et du progrès civil.

Fausses théories de la lutte des classes.

Une doctrine erronée affirme que vous, les représentants du travail, et vous, les possesseurs du capital, vous êtes, pour ainsi dire, en vertu d'une loi naturelle, destinés à vous combattre réciproquement dans une lutte âpre et implacable, et que la pacification industrielle ne peut être réalisée qu'à ce prix.

Vous comprenez cependant, sans qu'il faille recourir à de trop subtils raisonnements, que la pacification sociale, si elle veut être raisonnable et humaine, ne peut s'obtenir par l'élimination pure et simple de l'un des éléments en conflit, car on en viendrait ainsi à

1 D'après le texte italien de Discorsi e Radiomessaggi, t. VII, p. 349 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. VIII, p. 63.


INDUSTRIE ÉLECTRIQUE ITALIENNE

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détruire cette paix du travail qui donne la vie et la vigueur à l'économie publique et privée.

Et l'on ne peut même pas songer qu'avec l'organisation collective qui en résulterait, la compétition serait réellement écartée, car les éléments de la lutte étant changés, le conflit éteint entre le travail et le capital privé se rallumerait entre le travail et le capitalisme d'Etat. En effet, de quelque manière que soit organisée par le collectivisme la répartition du gain, en parts égales, en parts inégales, en proportion des heures de travail, ou suivant les besoins de chacun, on ne pourrait éviter que surgissent des contestations et des différends et sur les parts obtenues, et sur les conditions de travail, et sur la conduite pas toujours irréprochable des dirigeants, et que ne pèse sur la classe ouvrière le danger de tomber esclave du pouvoir public.

Le rôle de l'organisation professionnelle et du syndicat.

C'est pourquoi, en vue d'obtenir la concorde désirée entre le travail et le capital, on a eu recours à l'organisation professionnelle et au syndicat, entendu non comme une arme exclusivement destinée à une guerre défensive ou offensive, qui provoque des réactions et des représailles, non comme un fleuve débordant qui submerge et sépare, mais comme un pont qui unit.

Nous avons déjà eu l'occasion d'exposer comment, au-dessus de la distinction entre employeurs et travailleurs, il existe cette plus haute unité qui lie entre eux tous ceux qui collaborent à la production. Cette unité doit être le fondement de l'ordre social futur.

L'organisation professionnelle et le syndicat sont des auxiliaires provisoires, des formes transitoires ; leur fin est l'union et la solidarité des employeurs et des travailleurs, en vue de pourvoir ensemble au bien commun et aux besoins de la communauté entière.

Nécessité de l'insertion du spirituel dans les rapports économiques.

Toutefois, chers fils, ni l'organisation professionnelle et le syndicat, ni les commissions mixtes, ni le contrat collectif, ni l'arbitrage, ni toutes les prescriptions de la législation sociale la plus attentive et la plus avancée ne parviendront à réaliser une concorde pleine et durable et à produire tous leurs fruits, si une action prévoyante et constante n'intervient pas pour communiquer un souffle de vie spirituelle et morale à l'établissement même 'des rapports économiques.

Aujourd'hui, après une guerre épouvantable qui a couvert le monde de sang et de ruines, dans les esprits les plus réfléchis et les plus avertis renaît un vif besoin de retour aux traditions spirituelles de cette chère patrie italienne, dont vous êtes les fils laborieux, traditions qui, en même temps, se sont révélées des sources toujours jaillissantes de nobles sentiments, irremplaçable rempart de la paix entre les individus et entre les groupements ou classes de la nation.

Nous voyons donc avec satisfaction les efforts réalisés pour créer dans les entreprises une atmosphère de spiritualité plus pure, plus élevée et plus noble, afin que les connaissances techniques ne soient pas inefficaces et encore moins ne se transforment en instruments d'agitations et de contestations. C'est pourquoi Nous bénissons avec effusion l'oeuvre des aumôniers du travail qui, dans les usines, au-dessus de tout parti et excluant tout intérêt matériel, apportent avec Dieu la lumière de vérité et la flamme d'amour qui font fraterniser les âmes. Nous saluons aussi, dans la phalange croissante de ces travailleurs qui, chaque année, trempent dans le recueillement et dans la prière leur esprit, le levain puissant au sein de la classe ouvrière. Et avec une paternelle sollicitude, Nous rappelons aux employeurs le devoir d'assistance et d'apostolat commun à tous, mais plus impérieux pour eux à l'égard de leurs maîtrises.

En souhaitant que cette bienfaisante transformation se réalise dans les industries que vous dirigez ou dans lesquelles vous travaillez, c'est avec une particulière affection que Nous vous accordons à vous tous et à ceux que vous représentez, à vos familles et à toutes les personnes que vous portez dans votre coeur, Notre Bénédiction apostolique.


Pie XII 1946 - AU PATRICIAT ET A LA NOBLESSE DE ROME