Pie XII 1946 - II Compétence de l'Eglise dans les questions et les procès de mariage.


LETTRE AU PATRIARCHE DE VENISE POUR APPROUVER LES NOUVEAUX STATUTS DE L'ACTION CATHOLIQUE ITALIENNE

(11 octobre 1946)1

Cette lettre adressée à S. Em. le cardinal Piazza, patriarche de Venise, est une approbation des nouveaux statuts de l'Action catholique italienne ; elle marque les avantages et la signification de cette approbation pontificale.

Nous sommes heureux que l'ouverture très prochaine de la XXe Semaine sociale des catholiques d'Italie, convoquée en votre ville patriarcale, Nous offre l'heureuse occasion de donner Notre approbation aux nouveaux statuts de l'Action catholique italienne, préparés par la commission episcopale nommée par Nous à cet effet, et excellemment présidée par vous. Et il Nous plaît de signaler que de tels statuts, tout en étant encore susceptibles de modifications ultérieures que l'avenir pourra opportunément suggérer, réunissent cependant dans une forme synthétique, et fixent dans des règles basées sur l'expérience, une longue tradition de travail auquel le laïcat catholique italien, de concert avec le clergé, a consacré une immense somme de soins et d'énergie, en exerçant une fonction de plus en plus déterminée dans le champ de l'apostolat ecclésiastique, et en donnant à la société, graduellement oublieuse des principes chrétiens, l'incomparable bienfait de leur illustration moderne dans le domaine de la doctrine et de leur vivante réalisation dans la pratique.

Aussi, en accomplissant l'acte présent, sommes-Nous réconforté à la pensée de pouvoir reconnaître dignement les longs et laborieux efforts de ces catholiques qui, sans autre arme que leur vaillant amour pour le Christ et pour l'Eglise, ont apporté en ces derniers


NOUVEAUX STATUTS DE L'A.C. ITALIENNE

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temps une aide puissante à la milice chrétienne, et de couronner de cette manière l'oeuvre constante et sage de Nos prédécesseurs qui ont toujours montré à l'égard de l'Action catholique une paternelle sollicitude, et ont fait d'elle un fort et fidèle instrument pour la défense de l'Eglise et la diffusion de ses enseignements. Nous caressons, par ailleurs, l'espoir qu'en agissant ainsi Nous ouvrons à l'Action catholique, grâce à l'observance des dispositions concordataires qui la concernent, une nouvelle période d'activité féconde : les évêques étant appelés à partager avec Nous la direction de ces groupements croissants de fidèles désireux de perfectionnement spirituel et d'activité sociale ; les dirigeants laïques, judicieusement choisis, se voyant confier à nouveau, sous leur responsabilité, des fonctions pratiques propres ; 'le clergé se consacrant à une haute mission bien répartie d'assistance spirituelle et morale ; les organes directeurs des différents degrés de toute l'organisation étant perfectionnés ; la possibilité d'expansion étant ouverte par la création de nouvelles oeuvres et l'adhésion de nouvelles institutions ; l'existence légitime de diverses autres associations catholiques étant affirmée, tandis qu'est promue entre toutes une solidaire collaboration fraternelle. Nous avons l'espoir que sont ainsi établis cet équilibre et cette vitalité qui doivent être propres aux mouvements nés de la charité du Christ et agissant dans son Eglise et qui, aujourd'hui encore, en démontrent la perpétuelle fécondité.

Mais plus encore que sur la lettre des règles statutaires complexes et délicates, Notre attention se porte sur la signification que prend la sanction pontificale donnée à ces règles, c'est-à-dire 'la nouvelle reconnaissance et l'encouragement donné à la collaboration des laïques à l'apostolat hiérarchique, et, par là, le conseil et l'invitation adressés à tous les bons catholiques, véritablement conscients des besoins du temps, d'accorder à la profession de leur foi un esprit agissant et militant. C'est pourquoi, que le clergé voie dans l'Action catholique l'affirmation du besoin, rendu pressant par les conditions de la vie moderne et de la pénurie de prêtres, de créer parmi les catholiques des collaborateurs généreux et l'offre d'une méthode bien éprouvée pour procéder à leur formation et à leur organisation ; de leur côté, que les laïques voient dans l'Action catholique un stimulant à servir l'Eglise librement, mais avec discipline, et une haute considération de l'aide que tout simple fidèle peut apporter à la cause du Christ. Nous voudrions, par ailleurs, que le peuple tout entier vienne à considérer l'Action catholique non comme un cercle fermé de personnes initiées à des idéals exclusifs ou comme un instrument de lutte stérile ou de conquête ambitieuse, mais plutôt comme un groupement ami de citoyens qui ont fait leur la maternelle intention de l'Eglise de racheter le monde entier et de garantir à la société l'irremplaçable et indispensable ferment de la vraie civilisation.

C'est avec ces exhortations et ces voeux que Nous vous bénissons, Monsieur le cardinal, ainsi que les membres de la commission episcopale, les assistants ecclésiastiques, les dirigeants et les membres de l'Action catholique italienne, et que pour elle Nous faisons Nôtre l'invocation du psalmiste au Seigneur : Respice de caelo et vide et visita vitem hanc. Et protege eam, quam plantavit dextera tua, « observe des cieux et vois, visite cette vigne. Protège-la, celle que ta droite a plantée» (Ps., lxxix, 15).

LETTRE DE LA SECRÉTAIRERIE D'ÉTAT A L'ÉVÊQUE DE BERGAME A L'OCCASION DE LA XXe SEMAINE SOCIALE


D'ITALIE

(12 octobre 1946)1

La XXe Semaine sociale des catholiques italiens portant sur les problèmes du travail, le Saint-Père rappelle l'intérêt que l'Eglise leur a toujours porté et les témoignages que les papes ont encore donnés récemment de cet intérêt, en une lettre adressée par S. Exc. Mgr Montini, substitut de la Secrétairerie d'Etat, à S. Exc. Mgr Bernareggi, évêque de Bergame.

Il a semblé vraiment opportun au Saint-Père le choix du thème : « Les problèmes du travail », fait par la XXe Semaine sociale, que les catholiques italiens s'apprêtent à tenir à Venise.

Ces problèmes, en effet, qui, sous divers aspects, touchent aux intérêts de toutes les catégories de personnes, ont acquis en cette dernière période une importance si vaste qu'elle réclame aussi grandement l'attention des autorités civiles de presque toutes les nations.

Intérêt de l'Eglise pour les problèmes du travail.

L'Eglise, toujours soucieuse de diriger les activités humaines vers les fins suprêmes et éternelles de la vie, apporte, dès sa naissance, tous ses soins pour racheter le travail manuel de la dure oppression de l'esclavage et en revendiquer la dignité et les droits. Aux employeurs, elle ne cesse, au cours des siècles, de rappeler avec vigueur l'inestimable valeur de la personne humaine, qui, même dans le plus humble des serviteurs, est l'image de Dieu.

Avec une force singulière, le Saint-Père a déjà proclamé : « L'Eglise est l'avocate, la protectrice, la mère des travailleurs. Qui voudrait affirmer le contraire et élever artificieusement un mur de séparation entre l'Eglise et le monde ouvrier, serait amené à nier des faits d'une lumineuse évidence. » 2

Malgré cela, les ennemis de Jésus-Christ, aujourd'hui plus que jamais, s'efforcent de répandre, particulièrement dans les milieux plus humbles, la calomnie que l'Eglise, au lieu de prendre la défense des travailleurs, est la constante alliée de ces catégories d'hommes qui exploitent le travail avec la puissance de l'argent.

Que le souci des catholiques italiens, dans les séances d'études de la prochaine Semaine sociale, soit donc de mettre nettement en relief que la doctrine catholique, tout en reconnaissant les droits du capital, qui est un premier élément de la production, réprouve tout système économique qui accorde au capital lui-même des privilèges excessifs qui soient de nature à porter réellement atteinte à la dignité ainsi qu'aux droits légitimes du travail.

Le travail, en tant qu'activité de la personne humaine, intelligente et libre, doit indubitablement avoir, dans le champ de la production, la primauté sur les facteurs purement instrumentaux.

Il sera, en outre, d'une grande importance que les catholiques italiens mettent en évidence que, dans le domaine du travail, l'Eglise ne s'est pas limitée à des affirmations théoriques et stériles. En effet, lorsque la défense du patrimoine de la vérité chrétienne comme aussi les prescriptions de la justice sociale le demandaient, elle n'a pas hésité à descendre courageusement sur le terrain de l'action pratique, en bénissant et en favorisant les activités et les organisations qui semblaient le mieux protéger et favoriser les légitimes intérêts des travailleurs.

Déclarations récentes des papes qui l'attestent.

Récentes sont les vigoureuses et chaleureuses exhortations du pape régnant au clergé et au laïcat catholique à estimer « comme un devoir d'apostolat le fait de s'adonner aux études et à l'action sociale » 3


XX« SEMAINE SOCIALE D'ITALIE

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et de considérer presque comme un privilège des plus fidèles disciples, celui de servir le Christ dans ses frères, dont il ennoblit la fatigue humaine 4.

Et puis, dans le champ des activités que nous venons de désigner et qui offrent aux catholiques les plus larges possibilités de rapprochement des travailleurs, il ne sera jamais assez rappelé que la défense des droits du travail ne peut en aucune façon être séparée de la défense constante et énergique des intérêts surnaturels des âmes.

A ce propos, les paroles lumineuses adressées par Sa Sainteté aux membres du premier Congrès national des A. C. L. I. le 29 septembre 1946 5, sont une claire indication. « Ayez le courage de ne pas donner votre adhésion et votre collaboration là où l'on méprise et foule aux pieds les lois de Dieu, les saints principes, la dignité humaine. Vous expérimenterez combien la fidélité à Dieu vous rendra vaillants dans la marche en avant, sans peur en face des dangers, insensibles aux menaces, forts dans la souffrance, invincibles dans la lutte pour la défense de la justice, inaccessibles à la peur, afin de ne pas succomber dans la vie privée et dans la vie publique aux séductions, aux ruses, aux courants auxquels un catholique à la foi solide ne peut donner son assentiment. Vous pouvez et devez être, au contraire, le levain qui pénètre dans les masses ouvrières pour les transformer et les vivifier de la pensée et des vertus chrétiennes. »

Pour renforcer l'énergie avec laquelle les catholiques italiens feront valoir les lois de la justice et de la vérité, les études et les voeux qui vont être l'objet de cette Semaine sociale seront certainement d'un grand secours en vue également de cette « législation du travail » que, semble-t-il, ont tant à coeur et avec raison tous ceux qui s'intéressent à la préparation de la nouvelle charte constitutionnelle d'Italie.

L'auguste pontife, qui suit avec une particulière attention tous les projets et efforts capables d'améliorer les conditions sociales des peuples, espère donc que tous ces problèmes du travail trouveront, à la lumière des principes éternels de l'Evangile, les meilleures solutions et que, surtout, ils susciteront des volontés fortes et décidées à les mettre en pratique, même au prix de sacrifices personnels.

Il souhaite enfin que la XXe Semaine sociale des catholiques italiens, par le sérieux des études et l'union des buts, indique à tous

* Message au premier Congrès national des assistants ecclésiastiques des A. C. L. I. (Action catholique des travailleurs italiens), du 21 août 1946 ; cf. ci-dessus, p. 261.

les catholiques d'Italie le chemin, afin qu'ils puissent travailler efficacement pour que le nouvel ordre social, si souvent invoqué, porte les marques authentiques de la doctrine de Jésus-Christ, fondement et garantie de toute justice et de tout bien-être.

Afin que Dieu donne abondance de fruits aux travaux et aux résolutions de ceux qui prennent part à cette Semaine, le Saint-Père accorde de tout coeur à Votre Excellence Révérendissime et à tous les congressistes la Bénédiction apostolique.


DISCOURS AUX PÈLERINS VENUS A ROME POUR LA BÉATIFICATION DE MARIE-THÉRÈSE DE SOUBIRAN

(22 octobre 1946)1

Lors de la réception des pèlerins venus à Rome pour la béatification de la fondatrice des Soeurs de Marie-Auxiliatrice, le Saint-Père a prononcé un discours où il a évoqué la vie, les épreuves, le courage et les leçons de la vie de la bienheureuse.

La voie de Marie-Thérèse de Soubiran.

A moins de considérer les choses uniquement sous la lumière surnaturelle de la foi, l'esprit humain demeure déconcerté par le récit de la vie mortelle de votre bienheureuse mère, chères religieuses et pupilles de Marie-Auxiliatrice, par le contraste entre l'oeuvre grandiose et lumineuse à laquelle Dieu la destinait et la série de vicissitudes à travers lesquelles il l'a conduite, par l'apparente contradiction entre les divers jugements qu'elle-même portait sur son étrange voie.

Toute la vision de son esprit, tout l'élan de son coeur paraissent s'exprimer dans cette exclamation du psaume qui lui est particulièrement chère : « Il m'a ouvert un chemin spacieux parce qu'il m'a véritablement aimée » (cf. Ps 17,20 Ps 30,9). La voie de Marie-Thérèse de Soubiran, un chemin spacieux ouvert par l'amour ! Fut-il jamais sentier plus étroit, plus escarpé, plus raboteux, plus obscur ? Sentier plus incohérent même ? dirait la pauvre sagesse humaine. Et il fut tel toute sa vie, depuis sa prime jeunesse jusqu'au lendemain de sa mort. Les faits vous sont bien connus.

La fondation de l'oeuvre de Marie-Auxiliatrice.

Irrésistiblement attirée à la vie d'oraison intime, elle aspire au Carmel, quand elle se voit lancée dans le soin actif du salut des âmes. Elle s'y livre, dit-elle, entièrement et elle s'y dépense de toutes ses forces dans une congrégation d'Enfants de Marie. Elle a seize ans et elle y reçoit « de vives lumières sur la beauté du travail apostolique » 2. Sa destinée semble donc désormais orientée vers une de ces formes de la vie mixte où, dans une fraternelle harmonie, s'unissent l'activité de Marthe et la contemplation de Marie, où l'esprit, le coeur, toute l'âme se remplissent continuellement de Dieu et de sa lumière pour la déverser incessamment sur le prochain. Il n'en est rien ; il lui faut maintenant commencer une vie nouvelle, une vie qui, bien loin de joindre l'une à l'autre, ainsi qu'elle l'avait rêvé, la splendeur des deux flammes, paraît faite à dessein pour les éteindre toutes les deux en une existence terne qui ne se consume de zèle ni dans la solitude ardente au fond du cloître, ni dans l'apostolat frémissant au milieu du monde, une vie neutre qui comporte à la fois toute la banalité du monde et tout l'isolement du cloître.

Elle obéit et déjà l'appel divin la fait monter plus haut ; il exige d'elle cette vie mixte à laquelle, par obéissance, elle venait de renoncer ; au sein même de sa congrégation mariale, elle commence à exercer, avec des compagnes choisies, l'apostolat le plus intense, cette fois dans une véritable vie religieuse : l'oeuvre de Marie-Auxiliatrice se dessine nettement, elle suivra l'appel de Dieu, au prix de quelles angoisses et de quels déchirements ! Il lui faut pour cela, elle, ardente mais timide, vaincre des obstacles terribles ; l'un d'eux se trouve levé par Dieu même, qui lui reprend un père tendrement aimé ; l'autre avait été posé par celui qui devait être et qui était depuis la plus petite enfance son guide et son appui, à qui elle était attachée par tous les liens de la parenté, de la reconnaissance, à qui elle avait confié toute la conduite spirituelle de son âme ; il lui faut rompre ces liens, le coeur déchiré et l'esprit dans la nuit. Elle n'hésite pas. Est-elle libre enfin ? Il semblerait. L'oeuvre de Marie-Auxiliatrice est fondée, la vie religieuse y est aussi contemplative que possible, aussi apostolique que possible, la tâche qu'on y poursuit est le salut, la félicité temporelle et éternelle, la sanctification des jeunes filles les plus nécessiteuses physiquement, matériellement, spirituellement. Est-ce maintenant que la voie spacieuse va enfin s'ouvrir devant ses pas ?

Les épreuves de la fondatrice.

C'est maintenant dans l'intime même de l'oeuvre, de d'Institut, de la famille religieuse douloureusement enfantée par son amour, que se lève la tempête, que sévit l'orage : toute son action est entravée, contrariée, contredite ; elle se courbe dans l'humilité, elle se donne tous les torts. Loin de désarmer une rivalité ombrageuse et hostile, son abnégation la stimule encore. Privée de toute initiative, elle est chargée de toutes les responsabilités, accusée d'attirer sur Marie-Auxiliatrice la malédiction du ciel. Dans sa détresse, toujours obéissante, elle prend conseil de ceux qui lui semblaient donnés par Dieu pour être ses guides, les directeurs de sa vie personnelle, hommes justement estimés et vénérés, en grande réputation de sagesse, de prudence, de sainteté. La Providence divine permet qu'ils soient aveuglés : ils la condamnent, ils l'abandonnent. Obligée d'assister à la ruine de toute son oeuvre, elle en est chassée ignominieusement, exclue de toute participation à la vie religieuse et commune, mais maintenue de force dans des liens qui entravent tous ses pas. Errante, sans feu ni lieu, réduite à passer une nuit à la belle étoile en rase campagne, elle croit du moins voir enfin luire l'espoir de réaliser le rêve de son adolescence, d'aller se réfugier dans cette vie contemplative qui n'a cessé de l'attirer : les cloîtres lui ferment leurs portes ; elle se retire à l'hôpital de Clermont ; au jour le jour, on l'y tolère durant sept mois, mais sans lui donner jamais l'assurance du lendemain. Enfin, Notre-Dame de la Charité l'accueille ; c'est le port où elle terminera sa vie, où elle achèvera sa course ; elle n'y aura désormais de Marie-Auxiliatrice et de ses filles que les rares nouvelles qui sont de nature à la torturer davantage ; elle mourra sans avoir revu la lumière.

Voilà ce qu'appelle « la voie spacieuse ouverte par l'amour », celle qui fut successivement Sophie de Soubiran La Louvière, Mère Marie-Thérèse, Soeur Marie du Sacré-Coeur.

Son courage héroïque et son total détachement.

Est-elle donc de bronze, cette femme, ou bien l'exaltation mystique a-t-elle rendu son esprit aveugle et son coeur impassible au point de ne sentir pas ce qui eût accablé, abattu même tant d'autres femmes du plus mâle courage ? Et elle appelle cela « une voie spacieuse » !

Elle n'est pas insensible, tant s'en faut ; tout la blesse au coeur : contradiction, rebuts, ruine de tous ses rêves, de tout son idéal, de toute son oeuvre, abandon et isolement sans un conseil ami ; plus encore elle souffre de sentir sa misère personnelle, le désarroi de sa vie intérieure. Si nous refaisions avec elle le trajet parcouru le long de la « voie spacieuse », nous entendrions à chaque pas ses gémissements ou ses sanglots. Surprenons du moins au passage quelques-uns seulement de ceux qu'elle laisse échapper ou qu'elle permet à sa plume de traduire. Sous la manifestation progressive de sa vocation : « Dégoûts, appréhensions, combats contre ce que le bon Dieu me montrait être sa volonté. Mon âme était remplie d'angoisses ; elle se débattait souvent avec violence. »3 Sous la conduite d'un directeur qui est pour elle un père 'et plus qu'un père : « Pendant près de quatre ans, mon âme fut remplie d'obscurités, de tentations violentes contre la foi..., et cela presque sans relâche. » 4 Sous la croix du supériorat : « Pendant vingt ans, mon âme n'a pas trouvé son lieu de repos, toujours obligée par une force divine de rester là, toujours comme harcelée, poussée avec violence. » 5 Sous le coup de l'expulsion cruelle qui l'arrache à Marie-Auxiliatrice : « Le 9 février 1874, tout se brisait pour moi, tout semblait se briser autour de moi. La tempête me sépara violemment de tout ce qui m'était justement cher ici-bas. Abandonnée de ceux que j'aimais, de ceux en qui j'avais placé toute ma confiance, je fus rejetée sans asile, chargée de la responsabilité de tout ce qui s'effondrait. » Elle-même, héroïquement, se voue au silence et laisse tout peser sur elle, « afin que pour les âmes le scandale ne fût pas plus grand ». « Oh ! dit-elle, le poids des âmes est une douleur à nulle autre pareille, et que seul peut comprendre celui qui l'a soufferte. » 6 C'est pourtant de la même main qu'elle écrit : « Il m'a ouvert un chemin spacieux, parce qu'il m'a véritablement aimée ! » 7

Dans l'obscurité de la foi.

Faut-il croire alors que les consolations, les faveurs célestes vinssent, comme un baume, endormir la douleur des blessures ou bien, par leur intensité, lui faire oublier les tortures passées, la rendant elle-même, bien que par grâce surnaturelle, un peu semblable à ces natures dont les impressions, moins profondes que vives, ne laissent plus de traces dès que d'autres sont venues les effacer ?

Rien de tout cela non plus. Il est vrai que, parfois, la lumière est, aux yeux de son esprit, tout éclatante ; il est vrai que, parfois, un fleuve de paix vient inonder son âme : mais ces moments sont fugitifs et n'atténuent en rien la vivacité de la peine, l'angoisse de l'agonie. Ce sont des éclairs d'un instant, des « traits de feu », dit-elle 8. Ils suffisent à la rendre certaine qu'elle marche dans la voie tracée par Dieu ; ils ne suffisent pas à lui donner la joie d'y marcher dans la lumière.

Les leçons de sa vie.

En vain, les psychologues avec leurs subtiles analyses s'évertueront à résoudre ce qui leur paraît contradiction et incohérence : c'est plus haut qu'il faut chercher la clé du mystère ; et la voici : Marie-Thérèse est dans la vérité. Or, la vérité lui enseigne deux choses.

La première, qu'elle apprend par sa propre expérience, c'est le secret du détachement total qui la libère des défiances du coeur, de l'orgueil de l'esprit, qui lui montre le néant et l'instabilité des choses créées, simples jouets aux mains de leur Créateur. Quelle magnifique humilité dans la conclusion qu'elle en tire : « Dieu a fait le monde et il le bouleverse uniquement pour faire des saints, rien que pour cela. Et ne m'associerai-je pas à ce grand mouvement que Dieu donne pour mon salut à toutes choses ?» 9

La seconde, elle la recueille des lèvres mêmes du divin Maître : « Si le grain de froment ne tombe dans la terre et n'y meurt, il reste seul : mais s'il meurt, il portera beaucoup de fruits. » (Jn 12,24)

Telles sont les deux grandes leçons qui ont dominé toute la vie de la bienheureuse Marie-Thérèse de Soubiran. Il nous est donné aujourd'hui d'en admirer la puissante efficacité. Par tant de bouleversements, quelle merveille de sainteté Dieu a réalisée en elle ! De son abaissement, de son enfouissement dans le plus profond abîme de l'humiliation, quelle admirable moisson a germé ! Et quelle voie large et spacieuse l'amour a ouverte sous ses pas !

Vous, ses filles et héritières de son oeuvre, religieuses de Marie-Auxiliatrice, vivez de son esprit, livrez-vous comme elle à la conduite amoureuse de Dieu qui veut, avant tout, faire de vous des saintes. Et vous, chères enfants, objet de la tendre sollicitude de cet institut, rappelez-vous de quel amour et de quelles souffrances il est le fruit. Que cette pensée vous soutienne, vous encourage, vous stimule dans vos difficultés et vos peines de toutes sortes ; livrez-vous avec confiance aux soins maternels qu'on vous prodigue ; sous leur influence pacifiante, devenez ferventes chrétiennes, tendez à devenir, par la grâce de Dieu, apôtres et saintes, à l'exemple de tant de vos Soeurs, dont les vertus ont tissé la délicieuse « légende dorée de Villepinte ».

Nous vous confions, chères filles d'une telle mère, chers pèlerins de France, d'Angleterre et d'Italie, à la protection de la nouvelle bienheureuse, sous le manteau de Marie-Auxiliatrice, et Nous vous donnons de grand coeur, à vous-mêmes, à votre méritant institut, à vos familles, à ceux et celles qui vous sont chers, Notre Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION A DES JOURNALISTES ET A DES ÉDITEURS AMÉRICAINS

(23 octobre 1946)1

Cela Nous procure vraiment un grand plaisir de saluer ce groupe distingué d'éditeurs et de rédacteurs américains qui sont venus se rendre compte de la situation en Europe à un moment si critique de l'histoire du monde.

La nature est pleine de ressources pour cacher les ravages de la guerre. En peu de temps elle recouvre les champs de bataille avec sa verdure, à ce point qu'un observateur d'occasion ignore les ruines dérobées à sa vue.

Quelque chose d'analogue peut arriver à des hommes qui vivent loin des scènes de l'après-guerre d'aujourd'hui. La distance peut cacher la situation réelle et leur faire estimer que ce qui est loin d'eux n'existe pas.

Vous avez, Messieurs, observé au cours de votre voyage que des milliers de victimes innocentes du dernier conflit sont encore sans toit et privées de tout ce qu'exige une vie convenable. Il n'est pas nécessaire d'entrer dans le détail ; la vision en est encore bien vivement présente devant vos yeux. Le tumulte des armes a cessé depuis longtemps, mais pour des dizaines de milliers de personnes, les ravages de la guerre sont encore actuels. Il y a un immense besoin de réorganisation matérielle, mais il y en a un plus grand encore de restauration spirituelle, et on peut difficilement achever l'un sans l'autre. Il faut, de toute nécessité, amener les hommes à une appréciation renouvelée de ces vérités éternelles qui, tout en garantissant l'espérance d'une récompense sans fin pour les souffrances supportées comme il faut, donne le courage d'endurer les infortunes du présent.

il

Votre profession vous donne l'occasion de prendre part à ce double relèvement, car il vous appartient non seulement d'informer vos lecteurs de ce que vous avez vu, mais de suggérer un jugement droit par une exacte interprétation de ce que vous avez observé.

Nos voeux et Nos prières désirent que le Père des miséricordes et le Dieu de vérité favorise vos efforts sur ce noble champ d'alerte et qu'il vous bénisse surabondamment, vous et tous ceux qui vous sont chers.


LETTRE AU R. P. GEMELLI, RECTEUR MAGNIFIQUE DE L'UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE MILAN

(23 octobre 1946) 1

Dans cette lettre au recteur de l'université catholique de Milan, le Saint-Père rappelle les débuts méritoires de l'Université du Sacré-Coeur, l'expansion que le R. P. Gemelli lui a donnée et l'encourage, ainsi que tous les bienfaiteurs, à poursuivre son action.

Voici vingt-cinq ans que votre université a été heureusement inaugurée et le peuple catholique d'Italie qui la désirait vivement depuis longtemps ne fut pas le seul à voir avec joie et plein d'espoir s'élever ce nouvel établissement d'études, mais aussi le Siège apostolique qui toujours, au cours des siècles, encouragea, favorisa et stimula selon son pouvoir ce genre d'institution, et qui surtout à notre époque les estime absolument nécessaires, les recommande et les soutient. Ce siège apostolique sait parfaitement « que l'éducation chrétienne est l'élément sans doute le plus important pour la formation non seulement de chaque homme, mais aussi de la famille et de la société, éducation dont la valeur et la force prennent leur origine dans la valeur et la force des éléments qui la composent » 2.

Nous, qui dès les débuts avons eu à coeur de soutenir cette louable entreprise, Nous désirons vivement apporter le témoignage de Notre satisfaction et de Nos félicitations à ceux grâce à qui cette entreprise est vivante et florissante et à vous d'abord, cher fils, parce que c'est à votre habileté et à votre activité que cette savante université doit son origine, malgré nombre de difficultés, d'essais et d'épreuves ; puis, à tous ceux qui collaborent à cette oeuvre par l'enseignement, ou la direction, ou l'administration, enfin, au peuple d'Italie qui, à la suite de ses êvêques, a fait par ses généreuses offrandes que la bonne semence confiée à la terre il y a cinq lustres est devenue un arbre vigoureux, dépassant l'attente de tous.

Ce que vous avez fait pendant cet espace de temps avec la grâce de Dieu est sans nul doute le gage de plus grands et plus heureux progrès. Il Nous est agréable, non seulement pour vous complimenter, mais aussi pour augmenter et stimuler votre zèle, de rappeler ici et de mettre en lumière vos oeuvres les plus marquantes : création de nouvelles et importantes chaires d'enseignement ; éditions nombreuses, témoins de votre application studieuse aux disciplines humaines ; participation appréciée à des congrès scientifiques ; culture de la philosophie dans un esprit de fidélité aux directives souvent données par le Siège apostolique et dans le but de découvrir la vérité ; collation enfin de titres toujours plus nombreux à vos étudiants et à vos docteurs, formés chez vous aux principes droits et sains qui les ont rendus capables d'appliquer leur science à la culture religieuse et civile aussi bien qu'à l'utilité privée et publique. Que si l'horrible conflagration de la guerre, enfin terminée, a aussi nécessairement ralenti le progrès de votre université et accumulé les ruines les plus tristes dans votre si magnifique établissement ; maintenant cependant les cours de votre université sont de nouveau repris avec un nombre accru d'auditeurs et, conformément à Nos voeux, aux vôtres et aux voeux de tous les gens de bien, de nouveaux bâtiments ont été construits et bien pourvus.

Continuez donc, comme vous l'avez fait jusqu'à présent, d'un coeur joyeux et avec une volonté efficace à poursuivre votre oeuvre. Vous savez ce que les temps exigent. Ce ne sont pas seulement les villes, les places fortes, les villages qui en maints endroits ont été dévastés par la guerre, ni de nombreuses ressources et richesses englouties et détruites ; mais aussi les intelligences et les esprits en grand nombre qui, troublés par les erreurs et détournés du droit chemin de la vérité et de la charité par la haine et les rivalités, ont été entraînés à agir pour leur perte et pour la perte de beaucoup. Les arts et les sciences enfantés par le génie des hommes pour servir la vérité, l'homme et la société, sont devenus, hélas ! en ces dernières années, presque partout sur la terre des instruments de carnage et de ruines. Mais si ces arts et ces sciences redeviennent conformes aux principes de la sagesse chrétienne, s'ils n'ont plus pour mobile la jalousie mais l'amour, alors ils ne seront plus source de ténèbres et


UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE MILAN

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d'erreur, mais de 'lumière et de vérité, ni d'envie, de ruines et de carnage, mais de charité fraternelle et de véritable prospérité pour l'humanité.

Il y a aujourd'hui beaucoup à rétablir et à restaurer dans les choses et dans 'les esprits ; cependant ainsi que l'affirmait Notre prédécesseur d'impérissable mémoire Pie XI, il est absolument évident « que toute restauration serait sans effet si l'on ne donne à la jeunesse une éducation droite ; ce n'est pas n'importe quelle éducation qui est capable d'atteindre cette fin, mais celle-là seulement dans laquelle l'enseignement même de la science s'appuie sur la religion et la vertu, comme sur son fondement, ainsi que l'Eglise n'a cessé de le recommander de toutes façons » 3. Que cela soit — ce dont d'ailleurs Nous ne doutons pas — la base de votre enseignement, de votre formation et de votre éducation ; et ainsi nous pourrons tenir pour certain que votre université sera à même de produire des fruits toujours plus abondants et plus riches.

Que le divin Rédempteur, au Coeur Sacré de qui votre université a été dédiée dès le début et que vous adorez chaque jour respectueusement dans le silence recueilli de votre chapelle, vous dispense ces fruits. La vérité et la vertu chrétiennes qui alimentent tout votre enseignement et votre éducation ne peuvent s'acquérir que par l'inspiration et avec le secours de Dieu ; car « tout ce qui peut nous être donné de meilleur et de parfait vient d'en haut, descendant du Père des lumières » (Jc 1,17). C'est ce que Nous vous souhaitons de tout Notre coeur paternel et que Nous supplions Dieu de vous accorder. En gage des célestes faveurs et en témoignage de Notre particulière bienveillance, Nous vous donnons très affectueusement dans le Seigneur la Bénédiction apostolique, à vous, cher fils, à tous ceux qui sont le soutien de votre université par leurs conseils, par leur travail ou par leur générosité, ainsi qu'à tous vos professeurs et à tous vos étudiants.

(25 octobre 1946)1

Aux membres du premier Congrès national de stomatologie, le pape a montré l'importance des connaissances et qualités nécessaires à un médecin-dentiste, l'aspect social de cette science, les services qu'elle a rendus aux victimes de la guerre.

Vous avez manifesté, chers fils, à l'occasion du premier Congrès national de stomatologie, le désir de venir Nous exprimer vos sentiments de filial hommage. Nous vous en sommes vivement reconnaissant et c'est avec Notre coeur paternel que Nous vous accueillons et vous adressons Nos encouragements et, s'il en était besoin, une parole de réconfort. Vous respectez et aimez votre profession, soit en elle-même, sans doute, soit également pour la mission morale et sociale qu'elle comporte. Néanmoins, serait-il téméraire d'affirmer qu'ils sont nombreux dans le monde ceux qui savent parfaitement apprécier l'élévation de cette profession et de cette mission, même parmi ceux qui vous gardent et vous témoignent la reconnaissance qu'ils vous doivent personnellement ?

Votre profession en elle-même, avons-Nous dit en premier lieu. Combien, parmi les profanes, réfléchissent assez pour évaluer adéquatement ou seulement pour imaginer de quelque façon la somme d'études et de connaissances qu'exige la profession de dentiste, les efforts, pénibles parfois, qu'elle demande, les vertus morales qu'elle porte à pratiquer ?

Le dentiste a besoin, avant tout, d'une vaste science : science de la médecine générale, afin de percevoir et de discerner les actions et réactions réciproques de tout l'organisme, et des organes, et des tissus, multiples et délicats, qui sont l'objet de vos soins ; science approfondie et détaillée de chacun de ces organes et de ces tissus : ils sont d'une sensibilité extrême et, en même temps, d'une grande complexité ; recueillis dans le petit espace de la cavité buccale, ils sont le siège des fonctions les plus diverses et les plus importantes, mais aussi de nombreuses altérations et d'indicibles souffrances. Le dentiste a besoin de connaître la physique et la chimie, la botanique et la pharmacologie. Autant de connaissances qui lui permettent de découvrir les origines du mal et d'y apporter des remèdes appropriés.

Connaissances et qualités nécessaires au médecin-dentiste.

Il lui faut, en outre, un art exquis, fait d'intuition naturelle et d'expérience acquise à force de temps et d'attention, pour diagnostiquer les causes, éloignées parfois et souvent cachées derrière les symptômes extérieurs visibles ou autrement sensibles. A cet art, de caractère intellectuel, doit se joindre une habileté à préparer et exécuter des travaux de la plus grande précision, avec la parfaite exactitude et avec la sûreté de l'oeil et de la main qu'ils exigent.

Il lui faut enfin un tact et un sens psychologique des plus fins pour posséder la force de persuasion et l'autorité morale souvent nécessaires pour prévenir ou vaincre les répugnances ou les appréhensions instinctives, d'ordinaire encore plus pénibles et plus rebelles que la souffrance elle-même. Mais en plus de tout cela, de combien de constance, de combien de patience, de combien de résistance physique n'avez-vous pas besoin ! Quelle fatigue n'avez-vous pas à supporter — beaucoup de vous, durant des journées entières, durant de longues années — dans une tension continuelle de vos sens, de vos nerfs, de tout votre corps, de votre esprit, de votre volonté, de votre sensibilité, toujours debout dans une position souvent incommode, les yeux fixés dans l'attention ; chacune de vos deux mains est occupée, elles doivent rester agiles, éviter de contracter les doigts lorsqu'elles manient plus d'un instrument à la fois, tous mouvements rendus souvent difficiles par les réflexes et les réactions du patient, qu'il n'est pas toujours possible d'empêcher ! Et dans cette application intense, vous devez maintenir immuables votre calme, votre politesse, votre douceur, votre esprit de charité.

Si on connaissait et si on méditait un peu toutes ces circonstances, on comprendrait mieux le secret de votre estime et de votre amour pour la profession à laquelle vous vous êtes voués, considérée en elle-

même pour sa beauté technique et sa beauté morale, pour les résultats bienfaisants qui en découlent.

portance sociale et professionnelle du bon état et du bon fonctionne-de l'appareil dentaire chez l'homme.

Et ceci n'est encore que l'aspect, pour ainsi d'ire, personnel de cette beauté. Quelques moments de réflexion suffiront pour en faire apprécier également l'aspect social. Qu'on pense seulement à l'importance qu'a, dans la vie privée et publique de l'homme, chacune des parties : organes, tissus, muqueuses, muscles, nerfs, glandes, vaisseaux artériels et veineux, dont l'ensemble se trouve renfermé dans la bouche. Un désordre quelconque, une altération même légère d'un de ces éléments peut avoir sa répercussion sur la santé, sur le bien-être, sur le caractère, sur le rendement du travail, sur les relations de l'homme avec ses semblables.

Des conditions bonnes ou mauvaises de l'appareil dentaire et salivaire dépendent les fonctions bonnes ou mauvaises de l'appareil digestif, et, par conséquent, de tout l'organisme. De l'état bon ou mauvais du tissu épithélial et des différentes papilles de la langue dépendent les sensations spécifiques du goût, sensations dont on peut abuser et dont on abuse de fait trop souvent, mais qui, en elles-mêmes, sont si utiles pour le choix et l'usage des aliments. Une légère douleur, un simple malaise entre les gencives suffisent parfois pour irriter le système nerveux et ôter à un homme la sérénité de l'esprit : signe humiliant, mais manifeste, de la faiblesse et de l'infirmité de la nature humaine.

Allons encore un peu plus loin. Qui ne sait combien la conformité et l'intégrité du palais, de la langue, de la denture, des parois internes des joues, des mâchoires et des lèvres influent sur la voix de l'homme, sur son ton et sur sa clarté, sur l'articulation des paroles ? Tout cela a une grande importance, qu'il s'agisse de l'activité de l'orateur, du lecteur, du professeur ou des simples relations de la vie quotidienne, du charme de la conversation ou de la capacité élémentaire de se faire comprendre.

Plus mystérieux et plus surprenant encore est le rôle silencieux que joue la bouche dans l'expression du caractère et des sentiments ; cette expression ne paraît pas entièrement et seulement sur le front et dans les yeux, mais aussi sur la partie inférieure du visage : un simple pli des lèvres peut souvent l'avilir ou la nuancer comme à l'infini.

Services multiples rendus par la stomatologie aux victimes de la guerre aux blessures du visage.

Déjà, durant la première guerre mondiale, la science et l'art de la stomatologie fournirent des preuves éclatantes de leur pouvoir et réalisèrent des progrès remarquables. On peut bien parler de résurrection morale et sociale en songeant à tant de victimes de la guerre, des accidents et des tumeurs, qui ont bénéficié des progrès de la stomatologie : victimes terriblement déformées ou mutilées, dont le visage, n'ayant plus rien d'humain, sinon parfois l'éclat douloureux du regard, faisait une impression d'horreur que même la tendresse la plus affectueuse ne réussissait pas toujours à dissimuler entièrement.

Pour venir en aide à tant de malheureux, les différents spécialistes de la stomatologie ont uni leur science et leur habileté, tous les moyens fournis par les progrès les plus récents : radiographie, anesthésie, chirurgie, prothèses, greffes, mécanique et plastique. En particulier, ils ont apporté à cette oeuvre tout leur coeur d'hommes et, beaucoup d'entre eux, toute leur charité de chrétiens. Et voilà que des mains de ces admirables sculpteurs, de pauvres ruines humaines, atterrées la veille encore à l'idée d'une vie en marge de la société, découragées, peut-être désespérées, sont sorties belles et vigoureuses, prêtes à reprendre leur place dans le monde et à remplir la tâche qui leur a été assignée.

Vous avez le droit d'être fiers de leur reconnaissance et de celle de leurs familles, fiers d'avoir fourni une collaboration aussi noble à l'ouvrage du Créateur. Ne doutez pas qu'il vous bénisse. Et Nous, son humble représentant sur terre, Père commun de ceux qui souffrent et de ceux qui guérissent les malades, Nous accordons de grand coeur à vous, à vos familles, à toutes les personnes qui vous sont chères, à votre association, Notre Bénédiction apostolique.

RADIOMESSAGE AU VIIIe CONGRÈS NATIONAL CATÉCHISTIQUE DES ÉTATS-UNIS A BOSTON

(26 octobre 1946) 1

Au VIIIe Congrès national organisé aux Etats-Unis par l'importante Confrérie de la doctrine chrétienne, si répandue dans ce pays, le Saint-Père a rappelé l'importance de la connaissance de Dieu et de Jésus Crucifié, la mission d'enseignement confiée par Lui à l'Eglise et la nécessité de l'instruction religieuse.

Vénérables Frères de Pépiscopat, bien-aimés fils du clergé séculier et régulier, Nos très chers enfants laïques, tous membres du Corps du Christ (1Co 12,27), qu'il est admirable que vous ayez répondu avec un si loyal et si saint enthousiasme à l'invitation du zélé archevêque de Boston au large coeur, et que des vastes régions des trois Amériques on soit accouru en foule à ce congrès national ! Ce Corps, dont vous êtes membres, a été menacé. Ce Corps du Christ qui est son Eglise (Ep 1,23) a été menacé non seulement par des puissances hostiles du dehors, mais aussi par des ferments intérieurs de faiblesse et de décadence. Vous avez été alertés du danger. La croissante faiblesse, le mouvement de dévitalisation qui se poursuit — Nous le disons non sans tristesse dans Notre coeur — dans quelques régions de l'Eglise, est dû principalement à l'ignorance ou, plutôt, à une connaissance très superficielle des vérités religieuses enseignées par l'affectueux Rédempteur de tous.

Oh ! Nous sommes pleinement au courant des magnifiques résultats réalisés par les missions catholiques parmi les infidèles à travers le monde ; trois millions et plus sont instruits dans la foi, près d'un demi-million entrent dans l'Eglise chaque année. Et l'instruction des nouveaux convertis ne s'arrête pas après le baptême ; avec la ferveur de ceux qui ont trouvé un trésor insoupçonné, ils sont avides d'accroître et d'approfondir leur connaissance de l'éternelle vérité ; et les missionnaires, prêtres, frères et soeurs, qu'assistent leurs dévoués catéchistes laïques, ne trahissent pas ces désirs. Mais votre congrès s'est intéressé davantage à ceux qui vivent en des contrées où la vraie foi a prospéré pendant des générations, qui sont nés de parents catholiques et baptisés comme il le faut ; et c'est à eux que Nous pensons quand Nous disons que la vigueur de l'Eglise et sa croissance sont menacées par leur trahison à garder la foi qu'ils professent.

Dieu n'est pas un mot vide.

Au moment de sa Passion, ayant achevé la dernière Cène, à peine une heure ou deux seulement avant d'entrer dans l'écrasante agonie de Gethsemani, entouré de ses apôtres qui, à cause de leur faiblesse à tous en ce moment, s'attachaient à lui avec la plus profonde affection de leurs coeurs, Jésus, levant les yeux au ciel, parla : « Père, l'heure est venue ! Glorifie ton Fils, pour que ton Fils te glorifie, et... qu'il donne la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés. La vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent, toi le seul véritable Dieu, et ton envoyé, Jésus-Christ » (Jean, xvrn, 1-3).

Connaître le seul vrai Dieu, savoir qu'il existe, savoir qui il est, c'est le premier pas, indispensable, vers la vie éternelle. Or Dieu n'est pas un mot vide appliqué à quelque fantôme, évoqué des sombres profondeurs du paganisme. Dieu n'est pas quelque idée abstraite apprêtée par les penseurs dans une langue séduisante pour capter l'adulation d'hommes ou de femmes vains et égoïstes, et il ne doit pas être identifié non plus avec l'institution la plus palpable appelée l'Etat qui, par moment, prétendrait se glorifier d'être lui-même la source et la fin de tous les droits et devoirs comme des libertés de l'homme. Avant l'origine de toutes ces choses, le seul vrai Dieu, votre Dieu, existait déjà. Il transcende tout ce qui est, et tout ce qui existe tient de lui son existence. « Avant que les montagnes fussent nées, enfantés la terre et le monde, de toujours à toujours tu es Dieu » (Ps., lxxxix, 2). « Depuis longtemps tu as fondé la terre, et les cieux sont l'ouvrage de tes mains ; eux périssent, toi tu restes, tous comme un vêtement ils s'usent, comme un habit qu'on change, tu les changes ; mais toi, le même, sans fin sont tes années » (Ps., ci, 26-28). Des millions d'hommes peuvent se hâter le long des rues, dans les grandes

villes, absorbés par leurs affaires, ou leurs plaisirs, ou leurs peines, sans jamais penser à Dieu, et cependant, le seul vrai Dieu n'en est pas moins réel ; c'est lui qui les soutient dans leur existence. Des hommes s'assemblent pour élaborer les lois d'un peuple ou avec le but digne d'éloge d'arracher leurs compagnons aux marécages de misères ou de désespoir où les a jetés l'injustice, en même temps que, délibérément, ils excluent la reconnaissance du suprême Législateur et du Souverain universel, et cependant le seul vrai Dieu n'en est pas moins réel pour cela. Et s'il a donné à sa créature, l'homme, la faculté spirituelle de délibérer et d'agir en pleine liberté, il lui demandera très certainement un compte strict de ses pensées comme de sa conduite. Saint Paul l'enseignait clairement quand il écrivait aux Romains : « Tous, en effet, nous comparaîtrons au tribunal de Dieu. C'est donc que chacun de nous rendra compte à Dieu pour soi-même » (Rm 14, 10, 12).

N'est-ce pas cette négation ou négligence de Dieu, Créateur et Juge suprême de l'homme, qui est la source principale de ce flot montant du mal qui épouvante les esprits sérieux de nos jours et couvre le sentier de la vie humaine de tant de foyers brisés ? Si des hommes croyant en Dieu, pour faire encore écho à saint Paul, si des hommes croyant en Dieu ne le glorifient pas comme Dieu, ne lui rendent pas grâces, s'ils enferment leur foi dans le réduit caché de leur chambre intime, alors que l'impudeur, la méchanceté, l'avarice et toutes les formes de perversité ont le plein usage du salon et de tous les rendez-vous publics, est-il surprenant que Dieu les ait livrés dans les désirs luxurieux de leurs coeurs à l'impureté, de sorte que les femmes ont changé l'usage naturel en celui qui est contre nature, que les hommes soient devenus pleins d'envie et de pensées homicides, de querelles, pleins de haine envers Dieu, arrogants, hautains, fanfarons, rebelles à leurs parents, sans affection, sans fidélité, sans miséricorde ? (Rm 1,18-32). Il faut amener les hommes à prendre conscience du fait que Dieu existe, de leur entière dépendance à l'égard de sa puissance, de son amour, de sa miséricorde ; et de leur obligation morale de régler leur vie de chaque jour d'après sa volonté très sainte.

Et cela serait-il si difficile à apprendre ? Dieu ne l'a-t-il pas rendu clair pour ceux qui cherchent à savoir ? Dans la première des deux lettres que saint Paul envoyait à sa communauté de Corinthe, il leur rappelle que la première fois qu'il vint parmi eux il professait ne connaître qu'un seul sujet. C'était Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié. Certes, saint Paul était un homme instruit et cultivé, bien versé dans la loi, un universitaire, comme on l'appellerait aujourd'hui, et pourtant, comme pasteur des âmes, il n'avait qu'un intérêt qui l'absorbait, qu'un désir qui le consumait, c'était d'amener son peuple à Jésus crucifié. Car c'est, il le savait, la vie éternelle que connaître le seul vrai Dieu et Celui qu'il a envoyé : Jésus-Christ.

Connaître Jésus-Christ crucifié.

Connaître Jésus-Christ crucifié, c'est connaître l'amour infini de Dieu pour l'homme. « Il a manifesté son amour pour nous en cela qu'il a envoyé son Fils unique dans le monde pour que nous vivions par lui » (Jn 4,9). « Et nous avons vu — c'est encore le disciple que Jésus aima qui parle — et nous attestons que le Père a envoyé son Fils pour être le Sauveur du monde » (1Jn 4,14). « Si Dieu nous a ainsi aimés, nous aussi nous devons nous aimer les uns les autres» (ibid., 4, 11).

Connaître Jésus crucifié c'est connaître l'horreur de Dieu pour le péché. Sa culpabilité ne peut être effacée que dans le sang précieux du Fils unique de Dieu devenu homme.

Peut-être que le plus grand péché dans le monde d'aujourd'hui, c'est que les hommes ont commencé à perdre le sens du péché. L'étouffer, l'amortir — on peut difficilement l'arracher du coeur de l'homme — ne pas permettre qu'il s'éveille par quelque rayonnement du Dieu-Homme mourant sur la croix du Golgotha pour payer la peine du péché, et que reste-t-il pour empêcher les hordes de l'ennemi de Dieu de déchaîner l'égoïsme, l'orgueil, la sensualité et les ambitions illégitimes de l'homme pécheur ? Une législation purement humaine suffira-t-elle ? Ou des conventions et des traités ? Dans le sermon sur la montagne, le divin Rédempteur a indiqué le sentier qui mène à la volonté du Père et à la vie éternelle ; mais du gibet du Golgotha coule à pleins bords et sans cesse le torrent de grâces, de forces et de courage qui seul peut rendre l'homme capable de suivre ce sentier d'un pas ferme et infaillible.

L'Eglise a le mandat divin d'enseigner.

Ces grâces sont canalisées jusqu'à nos âmes par l'Eglise. L'oeuvre du Christ n'était pas entièrement accomplie à sa mort. Dans un sens, elle n'était que commencée. Il a achevé, parfaitement achevé l'oeuvre que lui avait assignée son Père à accomplir dans son corps mortel. Mais il vivrait pour assurer que ses bien-aimées créatures profiteraient de la Rédemption qu'il avait accomplie. Et ainsi il annonça à ses disciples qu'il allait bâtir une Eglise ; son fondement, la base de sa force et de son unité, serait l'un d'eux, Pierre. Inébranlable contre les puissances du mal, imperturbable parmi l'écroulement des institutions purement humaines, recevant toujours son extension et son unité de celui qui, dans une ligne continue et sans brisure, serait le successeur du premier Vicaire du Christ, elle doit subsister jusqu'à ce que le temps et l'espace ne soient plus, jusqu'à ce que le livre de l'histoire humaine soit fermé. Il lui donna le mandat divin d'aller de l'avant et d'enseigner tous les hommes de toutes les nations. Elle serait le soutien et le principal appui de la vérité. Elle serait la mère sainte communiquant à ses enfants la vie de foi et de sainteté qui est le gage de la vie éternelle. Elle serait son Epouse bien-aimée pour laquelle il s'est livré afin de la sanctifier, pour la faire paraître sainte et sans tache (Ep 5,26 s.)

Tel est l'appel éveilleur d'âmes transmis du Coeur du Christ au congrès national, alors qu'il s'apprête à clore des jours remplis d'activité spirituelle et apostolique : c'est que l'Eglise soit sainte et sans tache. Il ne peut en être ainsi que si ses membres comprennent la plénitude de la beauté de leur foi et leurs obligations comme membres du Corps du Christ. Car sûrement être tenu d'être saint et sans tache aux yeux de Dieu est une belle chose, n'est-ce pas ? C'est refléter, bien qu'imparfaitement, la sainteté véritablement immaculée de Dieu.

Nécessité de l'instruction religieuse. Le rôle des laïques.

L'instruction religieuse est donc nécessaire ; elle est indispensable, non seulement pour les enfants dans les écoles du dimanche (classes de catéchisme) et pour la jeunesse grandissante dans les classes supérieures. L'instruction religieuse devrait avoir une place d'honneur au collège et dans les cours d'université. Des millions d'hommes, vous le savez bien, n'entrent jamais au collège ou à l'université, et pourtant, de leur sein sortiront des leaders dans les sphères importantes de la vie nationale. Vont-ils aborder leurs devoirs avec la très maigre et superficielle connaissance de leur Dieu, de leur affectueux Rédempteur et de leur Mère l'Eglise ? Quel vaste champ à moissonner s'ouvre aux labeurs de votre zèle ! Et combien profonde est la consolation qui remplit Notre coeur de Père quand Nous apprenons les progrès constants que vous faites, stimulés par la direction et l'exemple de vos êvêques, vers la récolte de cette moisson. Les prêtres ne suffiront pas à l'oeuvre ; les religieuses, auxquelles l'Eglise en Amérique est redevable d'une dette si incalculable, n'y suffiront pas. Les laïques doivent prêter leur vaillant concours et, les premiers de tous, les parents catholiques devraient estimer que c'est leur devoir sacré de s'instruire de telle sorte qu'ils soient capables d'expliquer au moins les plus simples notions du catéchisme à leurs enfants.

Cette année, et durant ce mois, l'Eglise commémore le IIIe centenaire qui s'est écoulé depuis que ce héros si grand, Isaac Jogues, et son compagnon laïque, Jean Lalande, ont remporté la gloire du martyre, près d'Auriesville, qui se trouve maintenant dans l'Etat de New York. L'histoire de leur zèle, de leurs souffrances, de leur sacrifice vous est familière. Ils furent des catéchistes, ils venaient enseigner les vérités de la Révélation divine au Nouveau-Monde. Vous êtes les successeurs de leur apostolat. Ils ont rejoint la blanche armée des martyrs devant le trône de l'Agneau. Mais leur affection pour leur pays d'adoption, comme leur gloire, est tout ce qu'il y a de plus durable. Avec confiance, par conséquent, Nous faisons appel à leur puissante intercession en faveur de la Confrérie de la doctrine chrétienne, en même temps que Nous accordons, comme un gage de Notre vif et paternel intérêt, à tous ses membres et spécialement à tous ceux qui ont pris part au IIIe Congrès national de Boston, la Bénédiction apostolique.


Pie XII 1946 - II Compétence de l'Eglise dans les questions et les procès de mariage.