Pie XII 1947



1.
2.
3. 236 false 21 false false false FR X-NONE X-NONE MicrosoftInternetExplorer4

DOCUMENTS PONTIFICAUX

de Ja Oamteté PIE XII

L'Eglise est toujours jeune ! Force et vertu de Dieu, gardienne et dispensatrice éternelle du divin dans le monde, elle ne peut, au cours des siècles, succomber sous le poids de l'âge. 7 septembre 1947. Pie XII

DOCUMENTS PONTIFICAUX



DOCUMENTS PONTIFICAUX

de ua oamtete PIE XII

publiés sous la direction de

Mgr SIMON DELACROIX

EDITIONS SAINT-AUGUSTIN SAINT-MAURICE (Suisse)


IMPRIMATUR

Seduni, die 26. Septembris 1961 Jos. BAYARD Vie. gen.

Tous droits réservés

PRÉFACE

DE SON ÉMINENCE LE CARDINAL LEFEBVRE Archevêque de Bourges

Dès les débuts, et jusqu'aux dernières heures de son glorieux pontificat, Pie XII eut le constant souci de faire la charité de son lumineux enseignement aux âmes en quête de vérité. La Providence divine l'avait placé à la tête de l'Eglise en une époque particulièrement tourmentée. Les problèmes les plus divers ne cessaient de surgir dans un monde bouleversé et en prodigieuse évolution. A tous, il voulut être attentif. Sur tous, qu'ils fussent doctrinaux, sociaux, juridiques, civiques, professionnels, il sut projeter, au prix d'un travail acharné, les rayons d'une haute sagesse divine et humaine. Il fut le docteur qui instruit et préserve de l'erreur ; le guide qui indique le chemin et éclaire la route. Son oeuvre reste une merveilleuse source de lumière où l'humanité continuera de venir s'éclairer.

Un volume de plus vient enrichir la précieuse collection où sont déjà réunis les discours, messages, exhortations, lettres, encycliques de Pie XII durant les dix dernières années de sa vie. Comme les autres, il contient tout un trésor de doctrine susceptible d'enrichir singulièrement l'intelligence, le coeur et l'âme des chrétiens.

Dans les pages qui suivent, le lecteur trouvera des documents particulièrement admirables.

L'encyclique « Mediator Dei » est une vigoureuse synthèse où la théologie et la spiritualité s'unissent étroitement pour faire découvrir le sens profond de la sainte Liturgie.

L'encyclique « Optatissima Pax » est comme un cri du coeur du Père commun des fidèles angoissé devant les ruines accumulées par la guerre et désireux de réunir peuples et classes sociales dans la charité du Christ.

La Constitution apostolique « Sacramentum Ordinis » met fin à de longues controverses et apporte des lumières nouvelles aux théologiens. L'encyclique « Fulgens radiatur », et maintes interventions du Souverain Pontife au cours des cérémonies de béatification ou de canonisation, sont une invitation pressante à inspirer notre vie de l'exemple des saints.

Dans divers discours et allocutions, on trouvera des précisions et orientations du plus grand intérêt en ce qui concerne l'Action catholique et l'Action sociale. Partout se manifeste la préoccupation du Saint-Père d'examiner de près tout ce qui est humain pour l'élever au plan surnaturel.

Mais pourquoi s'étendre davantage, alors que les textes sont là, s'offrant, pleins de substance, à la réflexion du lecteur. Que celui-ci les étudie et les médite, afin que la pensée du Sauveur vivant dans son Eglise inspire et soutienne son action !

C'est ainsi que, dans cette lumière, il pourra travailler utilement à étendre sur le monde le règne d'amour et de paix de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

f JOSEPH, cardinal LEFEBVRE

Bourges, le 11 juin 1961.


INTRODUCTION

Les deux documents les plus importants adressés par Pie XII au monde durant l'année 1947 sont d'une part la Constitution apostolique « Provida Mater » qui ouvre aux désirs de perfection et aux ambitions apostoliques des chrétiens des voies si nouvelles qu'elle marque sans nul doute un nouveau printemps, voué à une exceptionnelle fécondité, de la vie religieuse dans le monde et, d'autre part, l'encyclique « Mediator Dei » qui apporte une consécration officielle et donnera une impulsion décisive au renouveau liturgique, l'un des aspects les plus importants du renouveau catholique contemporain.

Le Pape reste aussi toujours très désireux d'entrer en contact aussi étroit que possible avec tous ses fils dispersés à travers la chrétienté. Aussi continue-t-il à s'associer aux grands événements de la vie religieuse des différents pays : Congrès eucharistiques nationaux de Cuba (24 février) et de France (4 juillet), Congrès international des congrégations mariales de Barcelone (7 décembre), Congrès mariaux du Canada (19 juin), des Pays-Bas (5 septembre) et d'Argentine (12 octobre), Conférence nationale des charités catholiques des Etats-Unis (12 octobre), Congrès national de la J. O. C. du Canada (24 mai), Semaines sociales de France (18 juillet) et du Canada (31 août).

Pie XII aime aussi à rappeler les leçons données par les saints qui ont marqué dans la vie de l'Eglise : 14e centenaire de saint Benoît qui est l'occasion de l'encyclique « Fulgens radiatur » du 21 mars et de l'homélie du 18 septembre, premier centenaire de sainte Marguerite de Cortone (7 janvier), 950e anniversaire de saint Adalbert, apôtre de la Tchécoslovaquie (21 mars), 4e centenaire de saint Gaétan de Thiene (7 août), 50e anniversaire de la mort de sainte Thérèse de Lisieux (7 août), 5e centenaire de sainte Colette de Corbie (5 décembre).

Les béatifications et canonisations sont aussi nombreuses, comme si, a-t-on dit, le Pape voulait se ménager la protection de nombreux saints au paradis: béatifications de Contardo Ferrini (14 avril), de Maria Goretti (28 avril), d'Alix Le Clerc (5 mai) et de Jeanne Delanoue (10 novembre); canonisations de Nicolas de Flue (15 mai), de Jean de Britto, Joseph Cafasso et Bernardin Realino (22 juin), de Michel Gari-coïts et Elisabeth Bichier des Ages (6 juillet), de Louis-Marie Grignion de Montfort (20 juillet) et, enfin, de Catherine Labouré (27 juillet).

Pie Xli reçoit aussi, avec une patience et une joie jamais lassées, tous les fils qui désirent lui faire visite, et, en chaque occasion, leur adresse des allocutions et parfois de véritables discours qui témoignent tout à la fois d'une bonté sans limites, d'une compétence qui ne cesse de susciter l'admiration des spécialistes, d'une perspicacité sans égale qui sait discerner les besoins et les aspirations des hommes de notre temps, à quelque nation, classe ou profession qu'ils appartiennent.

Pèlerins qui viennent à Rome prendre part aux cérémonies de béatifications et de canonisations, membres de l'Action catholique italienne des hommes (7 septembre), de l'Union internationale des Ligues féminines catholiques (11 septembre) et du mouvement de la «Renaissance chrétienne» (22 janvier), aumôniers de prisons (15 novembre), artisans chrétiens (20 octobre), parlementaires américains en de nombreuses occasions, délégués de la Croix-Rouge américaine et membres du Congrès de l'Union postale (31 mai et 8 juillet), membres du Congrès international pour le 50e anniversaire de la découverte de la T. S. F. (3 octobre), dirigeants de l'U.N.R.R.A. (6 avril), apiculteurs (27 novembre) et ophtalmologistes (30 septembre), tous, quelles que soient leur profession et la nature des problèmes qui les préoccupent, reçoivent les conseils les plus adaptés.

Mais l'esprit de Pie Xli en cette année 1947 continue à être hanté surtout par la situation dramatique dans laquelle se trouvent encore l'Europe et le monde « après les horreurs de la guerre, après les indicibles misères qui la suivirent, après les angoisses provenant d'une suspension des hostilités qui ne pouvait s'appeler et qui n'était pas la paix ». // saisit toutes les occasions pour attirer l'attention de tous les hommes sur les désastreuses conséquences du conflit mondial, les difficultés et l'urgence de la paix : réponses aux ambassadeurs d'Argentine (p. 26), de Chine (53), du Liban (65), de l'Uruguay (119), de Grande-Bretagne (190), d'Egypte (310), du Salvador (316), de Bolivie (328), de Panama (342) et d'Haïti (350), venus lui présenter leurs lettres de créance; allocutions aux membres de l'Action catholique italienne (271), aux membres du Congrès des Etats-Unis (292, 300, 302, 330, 340), aux membres de l'American Légion (293 et 301), aux journalistes (29), aux dirigeants de VU. N. R. R. A. (91), aux délégués de la Croix-Rouge (154), aux catholiques des Etats-Unis (423) et aux élèves des écoles catholiques de la grande République américaine auxquels il demande de venir au secours de la misère des millions d'enfants qui ont faim (56); voire même dans l'encyclique pour le 14e centenaire de la mort de saint Benoît (82), dans l'homélie pour la canonisation de Nicolas de Elue (139), etc.

La situation politique, économique, morale et religieuse du monde, et l'appel a la paix sont le thème principal de la majeure partie de ses allocutions et discours. Nul document cependant n'a mis ces problèmes qui le préoccupent en un relief aussi saisissant que l'allocution qu'il prononce pour sa fête patronymique de saint Eugène (2 juin), l'encyclique « Opta-tissima Pax « (18 décembre) et le radiomessage de Noël. Les trois documents dressent un tableau ému et émouvant des détresses qui accablent le monde bouleversé, analysent les causes des maux dont il souffre et préconisent les remèdes à leur apporter.

La description que Pie XII esquisse du cataclysme qui a submergé l'humanité frémit en maintes pages d'une douleur difficilement contenue. «- La famille des Etats et des peuples a passé par des catastrophes et des bouleversements inouïs dans l'histoire de l'humanité, jamais, en effet, l'humanité n'a eu dans un laps de temps relativement si court à frémir et à pleurer au spectacle de tant de sang versé, de tant de ruines amoncelées, de tant d'effondrements des valeurs matérielles et spirituelles» (351). « Tous les peuples de la terre, belligérants ou neutres au cours de la dernière guerre, se heurtent aujourd'hui à des problèmes et à des devoirs que les temps révolus ne connurent pas. Dans le domaine politique comme dans le domaine social, économique et spirituel, on enregistre des tensions et des contradictions capables de faire frémir les coeurs même les plus modérés» (121). «Quiconque a des yeux pour voir et des oreilles pour entendre, doit se rendre à l'évidence de ce fait douloureux et humiliant : l'Europe et le monde, jusqu'à la Chine lointaine et martyrisée, sont aujourd'hui plus que jamais loin de la vraie paix, d'une pleine et parfaite gué-rison de leurs maux, de l'établissement d'un ordre nouveau dans l'harmonie, dans l'équilibre et dans la justice » (459-460). Et Pie XII de souligner « l'antithèse apparemment inconciliable entre la terrible accumulation des problèmes à résoudre... et l'humiliante insuffisance de leurs solutions » (157). Car la paix est doublement menacée: la paix entre les nations, « après les vicissitudes d'une longue guerre, se fait encore attendre, comme tous le remarquent avec tristesse et inquiétude, et tient dans une attente anxieuse les esprits des peuples ; tandis que, par contre, en beaucoup de pays déjà dévastés par le conflit mondial..., les classes sociales, agitées par une haine exaspérée les unes envers les autres, occasion de nombreux troubles et tumultes, comme chacun le sait, menacent de fouler aux pieds et de saper les fondements mêmes des Etats » (455).

A qui, comme le Pape, le regarde avec amour, le spectacle de l'humanité a de quoi faire frémir : des « millions d'êtres humains continuant à vivre sous l'oppression et l'arbitraire », « l'impression de l'incertitude, la peur de la guerre », l'absence de sécurité qui presse le coeur des hommes « à voir se prolonger des conférences sans résultat » ( 161 ), car les diplomates eux-mêmes peuvent « juger combien les résultats actuels acquis par les chefs d'Etat concernant les fondements d'une paix certaine et durable ont satisfait ou déçu l'attente légitime de l'humanité » (54) ; « l'âme humaine déchirée par la crainte de l'attente » ( 191 ) ; le « contraste choquant entre la « démocratie en paroles » et la réalité concrète » (159) ; « le chaos économique et financier » qui « a stimulé et excité la soif de lucre qui pousse les esprits à de louches spéculations et manoeuvres» (268); la crise dans laquelle sont plongés des millions d'adolescents et d'enfants qui souffrent « de langueur, d'anémie physique et spirituelle, occasionnées par la pauvreté matérielle avec tout son cortège de misères, d'insuffisance ou même d'absence complète de la vie de famille, du manque d'éducation et d'instruction, ou peut-être enfin de longues années de prison ou d'exil » (159) ; la crise morale qui sévit parmi tant d'autres jeunes qui cependant vivent dans de meilleures conditions, « crise générale... (qui) sème dans le coeur de la jeunesse grandissante la défiance envers les plus âgés, qu'elle rend responsables de tous les maux qu'elle souffre, le scepticisme vis-à-vis de tous les principes et de toutes les valeurs que ces derniers ont tant exaltés et qu'ils leur ont transmis» (160); la crise des foyers qui «après avoir bien souvent payé, et plus que d'autres, leur tribut de sang durant la guerre, doivent supporter aujourd'hui plus particulièrement les conséquences de la pénurie générale de logement et de nourriture » ; la crise enfin des « héros du devoir conjugal » à qui « l'incompréhension, la dureté, le mauvais vouloir d'autrui rendent la vie pesante et presque insupportable », quelle « humiliation pour le monde d'être tombé si bas, dans un état social si contraire à la nature » !

Les raisons d'une situation si douloureuse et inquiétante f Le message de Noël les analyse avec une vigueur rarement atteinte. Ce qui frappe surtout le Saint-Père est la disparition de « la fidélité et de l'honnêteté dans la vie économique et sociale» (268), le manque de sincérité dans la vie internationale, « la tendance toujours plus manifeste à l'insincêrité » (461 ), insincérité et duplicité d'autant plus graves qu'elles sont une arme de combat, qu'elles sont employées comme « partie intégrante de la technique moderne dans l'art de former l'opinion », qu'elles sont mises au service de la volonté de puissance, qu'elles s'avèrent destructrices « de la dignité et de la liberté humaine » et qu'elles conduisent « à la suppression de toute action religieuse saine et indépendante » (461-462).

La seconde cause du mal ? « Les fauteurs de négation et de discordes avec toute la bande des profiteurs qui marchent à leur suite » (460), l'action de « faux prophètes sans scrupules qui propagent par la ruse et la violence des conceptions du monde et de l'Etat contraires à l'ordre naturel, antichrétiennes et athées, comme celles qui ont été condamnées par l'Eglise, spécialement dans l'encyclique « Quadragesimo anno » ( 161 ).

Pie Xli dénonce aussi « l'oubli de tout sens moral », <r la pression tyrannique d'organisations dotées d'une puissance monstrueuse » (33), « l'habit mensonger d'un soi-disant amour chrétien envers les opprimés », « la tactique démagogique... de promesses qui ne pourront jamais être tenues» (161); les «profiteurs des luttes de classes» qui appâtent «les déçus et les déshérités de ce monde en leur dépeignant la foi chrétienne et l'Eglise catholique sous les traits non d'une alliée mais d'une ennemie » ( 162) ; enfin, « la haine que nourrissent contre l'Eglise tous ceux qui, vivant de désordre et de conflits, ont à coeur de les attiser toujours davantage » (163).

A la base de tous ces maux, le Pape ne craint pas de signaler l'oubli de Dieu, de son amour et de sa loi. « La prospérité et la décadence des peuples dépendent de la façon dont leur vie familiale et leur moralité publique se maintiennent dans la ligne normale des commandements de Dieu ou bien n'en font pas cas ». Et le Pape de rappeler la maxime de saint Nicolas de Elue : « la paix est toujours en Dieu ; Dieu est dans la paix ». Et d'ajouter : « si le monde sans paix d'aujourd'hui revient à Dieu, il trouvera la paix ».

Les remèdes à cette triste situation ?

Le retour nécessaire à la véracité. « Personne aujourd'hui... n'a le droit de masquer son jeu, de vouloir paraître ce qu'il n'est pas, de recourir à la stratégie du mensonge, de la contrainte, de la menace, pour restreindre chez les citoyens honnêtes de tous les pays l'exercice de leur liberté et de leurs droits civils» (463).

La proclamation courageuse de la vérité, car la « vérité n'a rien perdu de son pouvoir pour rallier à sa cause les esprits les plus éclairés et les coeurs les plus nobles» (254). Aussi ceux qui la possèdent «doivent se faire un devoir de la définir clairement quand ses ennemis la déforment.

Ce que le monde doit chercher pour assurer sa sécurité, c'est un esprit sincère de fraternité qui unisse en un même amour toutes les races et toutes les nations » (465), c'est « l'union de tous les honnêtes gens » pour « la victoire de la fraternité humaine », c'est « la santé physique et morale du peuple, le bon ordre public à l'intérieur et, à l'extérieur, les relations normales de bon voisinage » ( 158).

Tout aussi nécessaires sont le respect de la liberté qui « ne peut fleurir que là où le droit et la loi gouvernent et assurent efficacement le respect de la dignité des individus aussi bien que des peuples» (158-159), la réhabilitation des valeurs morales « devant lesquelles le fort lui-même n'a qu'à s'incliner » et qui doit remplacer « la supputation mathématique des ressources respectives de la force matérielle », le rétablissement de « la loi morale comme fondement pour l'instauration et le perfectionnement d'un ordre social édifié sur les exigences de la vraie justice, du sain progrès et du bien-être commun » (26), le retour « aux principes moraux qui sont la base d'un esprit d'entente sincère » et sans lesquels «• les conférences des hommes d'Etat ne pourront donner la paix au monde fatigué de. lutter» (121). Sans doute l'Organisation des Nations Unies peut-elle faire entendre sa voix, mais « après les désillusions et les expériences souvent humiliantes de l'après-guerre, aucune intelligence clairvoyante et raisonnable » ne donnera « plus de valeur qu'il ne faut aux immédiates et palpables possibilités de cette tribune mondiale » (317).

Le mal a, en effet, des racines profondes que ne sauraient guérir les politiques. Comme Pie XII l'écrit au président Roosevelt : les assises « de la paix ne peuvent être solides que si elles reposent sur les bases inébranlables de la foi dans le seul vrai Dieu, le Créateur de tous les hommes » (258). « Servir la paix c'est élever les esprits vers le ciel et les arracher à la domination de Satan. Servir la paix c'est pratiquer la loi souveraine de Dieu qui est la loi de bonté et d'amour » (271). Le retour à Dieu s'impose parce que « la religion seule constitue le soutien du droit et de l'honnêteté » (83). A condition toutefois que cette religion s'insère dans la vie. « En effet, vouloir tirer une ligne de séparation entre la religion et la vie, entre le surnaturel et le naturel, entre l'Eglise et le monde, comme si l'une n'avait rien à faire avec l'autre, comme si les droits de Dieu ne s'appliquaient pas à toute la réalité multiforme de la vie quotidienne humaine et sociale, est parfaitement contraire à la pensée chrétienne et nettement antichrétien » (34). Seul l'amour de Dieu peut être la source d'« une charité fraternelle envers les hommes que tous, à quelque race, nation ou condition sociale qu'ils appartiennent, nous devons considérer comme nos frères dans le Christ, en sorte que de tous les peuples et de toutes les classes de la société se constitue une seule famille chrétienne non pas divisée par la recherche excessive de l'utilité personnelle, mais cordialement unie par un mutuel échange de services rendus» (83).

Et c'est parce que le mal dont souffre l'humanité est si profond qu'« aucune puissance de l'Etat ne pourra réformer l'esprit humain ». « C'est là la mission sacrée de la religion » (214) et de l'Eglise qui doit être entendue de même qu'elle doit parler. Car « l'Eglise, établie par Dieu comme un roc de fraternité et de paix, ne peut pactiser avec les idolâtres adorateurs de la violence brutale des luttes extérieures ou intérieures pour l'hégémonie universelle ». Elle « ne peut manquer au devoir de dénoncer l'erreur, d'ôter le masque «aux fabricateurs de mensonges» (Jb 13,4) ». «La mission de l'Eglise dans le monde, loin d'être terminée et périmée, va au-devant de nouvelles expériences et de nouvelles entreprises » (164). Aujourd'hui, l'Eglise doit intervenir davantage qu'autrefois. « Plus les puissances des ténèbres accentuent leur pression, plus elles s'efforcent de bannir l'Eglise et la religion du monde et de la vie, plus il est nécessaire que l'Eglise elle-même s'emploie avec ténacité et persévérance à reconquérir et à soumettre tous les domaines de la vie et de l'activité humaine à l'empire bienfaisant du Christ» (34). «Gardienne fidèle de la vérité éternelle et mère aimante de tous, depuis sa fondation, il y a près de deux mille ans, elle a été le champion de l'individu contre le despotisme, du travailleur contre l'oppression, de la religion contre la persécution... Elle ne peut pactiser avec l'ennemi avoué de Dieu. Elle doit continuer à enseigner à tout homme le premier et le plus grand commandement : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de toutes tes forces », et le second, qui lui est semblable : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (254).

L'Eglise, aujourd'hui plus que jamais, a surtout une mission à remplir dans le champ du progrès social. Cette mission, tout Etat devrait, même pour l'intérêt de son peuple, non seulement la « tolérer sans réserve », mais encore la « favoriser consciemment ». L'Eglise s'intéresse aux conditions de vie des travailleurs, non pas « qu'elle ait reçu un mandat direct pour s'occuper de la vie économique », mais parce que « l'ordre social et économique ne peut être séparé de l'ordre moral... c'est son privilège et son devoir d'affirmer et de proclamer les principes invariables de la moralité ». Toute organisation, toute action sociale doit proclamer en premier lieu « le respect de toute personne humaine, quelle que soit sa condition sociale ; deuxièmement la reconnaissance de la solidarité de tous pour former la vaste famille humaine, créée par la Toute-Puissance aimante de Dieu ; troisièmement l'exigence impérieuse qui impose à la société de placer le bien commun au-dessus de tout intérêt privé, le service de tous au profit de tous. Quand l'esprit humain sera réformé et stabilisé selon ces vérités, les conditions de vie des travailleurs seront améliorées... et l'Etat dont les assises sont fondées sur la moralité et la religion sera le protecteur et le défenseur le plus efficace des travailleurs » (214).

Tel est le « message invariable » de l'Eglise « que l'homme a tout d'abord des devoirs envers Dieu, ensuite envers son prochain ; que le serviteur le plus fidèle de Dieu est aussi le meilleur serviteur de son pays ; que le pays qui voudrait enchaîner la parole de Dieu donnée aux hommes par Jésus-Christ ne favorise nullement la paix durable dans le monde. En travaillant avec toutes les ressources dont elle dispose à amener les hommes et les nations à prendre clairement conscience de leurs devoirs envers Dieu, l'Eglise continuera, comme elle l'a toujours fait, d'apporter la contribution la plus efficace à la paix internationale et au salut éternel de l'homme» (254-255).

En cette année 1947, Pie XII s'affirme avec une vigueur accrue le défenseur intrépide de la personne humaine en danger et le héraut résolu de la mission, divine et humaine tout à la fois, de l'Eglise catholique.


S. DELACROIX

Ce nous est un amical devoir de rappeler au début de ce volume la mémoire du très regretté M. l'abbé Kothen qui avait entrepris la publication de cette collection et préparé une grande partie des documents de cette année 1947.

Nous remercions vivement M. l'abbé Charrot, aumônier des Religieuses de Saint-Rémy au diocèse de Besançon, pour le soin avec lequel il a établi les tables si précieuses de ce volume.

DOCUMENTS PONTIFICAUX



r LETTRE A L'OCCASION DU CENTENAIRE DE LA NAISSANCE DE SAINTE MARGUERITE ET DE LA MORT DU BIENHEUREUX GUIDO PROTECTEURS DE CORTONE

(7 janvier 1947) J

A l'occasion de ces deux centenaires, le Saint-Père a adressé à S. Exc. Mgr Franciolini, évêque de Cortone, la lettre suivante :

La lettre que vous Nous avez envoyée récemment Nous apprend que le diocèse de Cortone prépare des cérémonies solennelles en l'honneur de deux habitants du ciel, sainte Marguerite et le bienheureux Guido, qui ont tous deux, au cours de leur vie, illuminé votre cité de l'éclat de leur sainteté ; et que vous y êtes décidé non seulement dans l'union et la concorde de vos âmes mais aussi par un sentiment de reconnaissance, puisque vous rapportez à leur très puissant patronage le bienfait de la conservation de votre ville pendant la tempête prolongée de la récente guerre. L'année présente fournit une occasion favorable à votre prochaine célébration puisque, comme vous l'écrivez, le septième siècle s'achève depuis que l'une a commencé l'exil de sa vie terrestre et que l'autre, par une très pieuse mort, s'éleva au ciel. Nous louons paternellement le projet que vous avez formé, car Nous tenons pour assuré que les vertus et les très saints exemples des heureux habitants du ciel rappelés à la mémoire des hommes et opportunément placés dans leur lumière ne peuvent pas ne pas engendrer des fruits abondants et salutaires pour le bien de tous.

Vous connaissez bien les enseignements et avertissements donnés par tous deux, même pour notre époque. Marguerite avait dans sa

jeunesse cédé très misérablement aux séductions du siècle, mais éclairée par la lumière surnaturelle et comme frappée par une impulsion de la grâce divine, elle leva les yeux au ciel et comprit que la terre était souillée ; puis, par l'effet du tempérament ardent que la nature lui avait donné en partage, elle se tourna pour tout le reste de sa vie, avec une ardeur chaque jour accrue, vers le mépris des biens terrestres et une très rude pénitence, vers la contemplation des réalités surnaturelles et surtout vers un très ardent amour de Dieu. Et comme le souvenir de ses graves péchés passés était toujours enfoncé en son âme, il lui était très doux de verser des larmes continuelles, de souffrir volontairement des tourments expiatoires, d'embrasser, baiser, aimer profondément Jésus-Christ attaché à la croix, de corriger et de réparer par ses moeurs renouvelées les fautes de sa vie précédente, donnant ainsi un exemple public de sainte pénitence.

Le second suivit les traces du Patriarche d'Assise et, agrégé à son ordre, brilla tellement par le mérite d'une vertu éminente, brûla d'une ardeur si passionnée d'apostolat qu'il s'efforça, dans la mesure de ses moyens, de communiquer à de nombreux chrétiens, par ses prières continuelles, un travail infatigable et d'innombrables prédications, souvent confirmées d'une manière tout à fait merveilleuse par des signes surnaturels, la sainteté que par la libéralité divine il avait atteinte.

Que ces deux élus reviennent donc en quelque manière devant les yeux de leurs concitoyens par ces solennités ; qu'ils nous apprennent que l'âme chrétienne doit supporter les chagrins et les souffrances de cette vie comme moyens de correction et d'expiation ; qu'ils nous apprennent à préférer les valeurs célestes et surnaturelles aux biens passagers et fragiles de ce monde, et que tous les hommes ont le devoir de s'imprégner de la doctrine de l'Evangile, de manière à modeler leurs oeuvres et conformer leurs actes pour cette doctrine et, secondés par la grâce divine, à se diriger efficacement vers l'éternelle patrie céleste.

Tels sont les voeux que Nous formons pour vos solennités du centenaire, tandis qu'en gage de ces fruits très saints et en témoignage de Notre paternelle bienveillance, Nous vous accordons de très grand coeur la Bénédiction apostolique, tant à vous, Vénérable Frère, qu'à tout le troupeau qui vous est confié et spécialement à tous ceux qui prendront part aux cérémonies prochaines.


DISCOURS

AU PATRICIAT ET A LA NOBLESSE DE ROME

(8 janvier 1947) 1

Comme au début de chaque année, les membres du patriciat et de la noblesse de Rome sont venus présenter leurs voeux au Saint-Père qui leur a, en italien, adressé la réponse suivante sur leurs devoirs à l'égard des moins favorisés et les exigences qu'inclut cette mission.

L'hommage de votre piété et de votre fidélité, et les voeux augu-raux que chaque année, chers fils et chères filles, suivant une ancienne coutume, vous venez Nous offrir et qui ont été exprimés de façon si heureuse par votre excellentissime interprète, laissent dans Notre coeur un sentiment de reconnaissance. Ils ont naturellement coutume de refléter les pensées et les anxiétés qui, à des degrés différents, agitent les esprits devant les conditions variables des temps.

Dans un monde encore dominé par l'incertitude.

Après les horreurs de la guerre, après les indicibles misères qui la suivirent, après les angoisses provenant d'une suspension des hostilités qui ne pouvait pas s'appeler et qui n'était pas la paix, Nous vous avons parlé plus d'une fois en pareille occurrence des charges et des devoirs de la noblesse dans la préparation d'un nouvel état de choses dans le monde, et tout spécialement dans votre patrie si aimée. La note caractéristique était alors une complète incertitude. On marchait en pleine obscurité. Les délibérations, les manifestations de la volonté populaire se formaient et se transformaient incessamment. Qu'en sortirait-il ? Personne n'aurait pu le deviner avec quelque précision.

D'après ]e texte italien de Discorsi e Radiomessaggi, t. VIII, p. 367.

En attendant, sur la scène du monde, l'année qui vient de finir a offert à nos regards un spectacle dans lequel on ne pourrait certainement pas dire qu'ont manqué l'activité, les commotions, les surprises. Ce qui, par contre, a fait défaut comme dans les années précédentes, a été l'obtention des solutions qui laissent les esprits respirer tranquillement, qui éclairassent définitivement les conditions de la vie publique, qui montrent le droit chemin vers l'avenir, dût-il être ardu et rude. En sorte que, malgré certains progrès sérieux que Nous souhaitons voir durer, l'incertitude continue encore à être la note dominante du temps présent, non seulement dans les relations internationales où on attend avec anxiété des conclusions de paix au moins tolérables, mais aussi dans l'organisation interne de chaque Etat. Ici non plus on n'a pas pu prévoir avec certitude quel pourra être le résultat final de la rencontre ou du choc des tendances des forces variées et, par-dessus tout, des diverses et différentes doctrines dans le domaine religieux, social et politique. Par contre, il est aujourd'hui moins malaisé de déterminer, entre les différentes attitudes qui s'offrent à vous, quelle doit être votre conduite.

Devoir de la noblesse romaine : pas de désertion ni d'abstention.

Une première de ces attitudes n'est pas admissible : celle du déserteur, de celui qui a été justement appelé l'émigré à l'intérieur ; c'est l'abstention de l'homme fâché et en colère qui, par dépit ou par découragement, ne fait aucun usage de ses talents et de ses énergies, qui ne prend part à aucune des activités de son pays et de son temps, mais qui se retire, à l'instar d'Achille, sous sa tente, près des navires à la course rapide, loin des batailles, tandis que sont en jeu les destinées de la patrie.

Encore moins digne est l'abstention quand elle est l'effet d'une indifférence indolente et passive. Pire en effet que la mauvaise humeur, le dépit et le découragement, serait l'insouciance en face de la ruine, du désastre qui menacerait ses propres frères, son propre peuple. Elle tenterait vainement de se cacher sous le masque de la neutralité ; elle n'est nullement neutre ; elle est, qu'elle le veuille ou non, complice. Chacun des légers flocons de neige qui reposent doucement sur la pente de la montagne et qui l'ornent de leur blancheur contribue, en se laissant entraîner très passivement, à faire d'une petite masse de neige, si elle se détache de la cime, l'avalanche qui porte le désastre dans la vallée et qui y abat et y ensevelit les paisibles demeures. Seule l'arête ferme qui fait corps avec la roche fondamentale peut opposer à l'avalanche une résistance victorieuse ou tout au moins freiner sa course dévastatrice.

Mais le souci et le service du bien commun.

Tel est de même l'homme juste et ferme dans ses résolutions dont parle Horace dans une ode célèbre 2, qui ne se laisse ébranler dans ses fortes pensées ni par la fureur de ceux qui donnent de mauvais commandements, ni par l'allure menaçante d'un tyran, mais qui demeure impassible et intrépide, même si l'univers se brisait et tombait sur lui en débris : si fractus inlabatur orbis, impavidum ferient ruinae. Mais si cet homme juste et courageux est un chrétien, il ne se contentera pas de demeurer droit et impassible au milieu des ruines, il se sentira obligé par devoir de résister, d'empêcher le cataclysme, ou tout au moins d'en limiter les dommages. Que s'il ne réussit pas à en arrêter l'oeuvre destructrice, il sera encore là pour relever l'édifice abattu, pour ensemencer le champ dévasté. Telle doit être votre conduite. Elle consiste, sans que vous deviez pour cela renoncer à la liberté de vos convictions ou de vos jugements sur les choses humaines, à prendre l'ordre contingent des choses tel qu'il est et à diriger son activité et ses résultats vers le bien qui profite moins à une classe déterminée qu'à toute la communauté.

Ce bien commun, c'est-à-dire la réalisation de conditions publiques normales et stables, telles que les individus et les familles, usant de leurs forces propres, réussissent sans trop de difficultés à mener une vie digne, régulière, heureuse, conforme à la loi de Dieu, ce bien commun est la fin et la règle de l'Etat et de ses organes.

Les hommes, aussi bien les individus que la société humaine, et leur bien commun, sont toujours liés à l'ordre absolu des valeurs établi par Dieu. Or, précisément, pour réaliser et rendre efficace cette connexion, d'une manière digne de la nature humaine, a été donnée à l'homme la liberté personnelle et la protection de cette liberté est le but de tout règlement juridique digne de ce nom. Mais il s'ensuit que ne peuvent coexister la liberté et le droit de violer cet ordre absolu des valeurs. On arriverait donc à blesser cet ordre et à manquer à la défense de la moralité publique, qui est sans aucun doute l'un des principaux éléments du maintien du bien commun de la part de l'Etat si, pour ne citer qu'un exemple, on accordait, sans souci de cet ordre suprême, une liberté inconditionnelle à la presse et au film. Dans ce cas, on ne reconnaîtrait pas le droit à la vraie et authentique liberté, mais on arriverait à rendre légale la licence si on permettait à la presse et au film de détruire les fondements religieux et moraux de la vie du peuple. Pour comprendre et admettre ce principe il n'est pas nécessaire d'être chrétien ; il suffit de posséder l'usage de sa raison non troublée par les passions et d'un sens sain des choses morales et juridiques.

Il est fort possible que certains graves événements survenus au cours de l'année qui vient de s'achever aient eu dans le coeur de beaucoup d'entre vous des échos douloureux. Mais qui vit de la richesse de la pensée chrétienne ne se laisse ni abattre ni déconcerter par les événements humains quels qu'ils soient, et il tourne vaillamment ses regards vers tout ce qui est resté et qui est encore si grand et si digne de sa sollicitude. Ce qui est resté, c'est la patrie, c'est le peuple ; c'est l'Etat dont la fin suprême est le vrai bien de tous et dont la mission réclame la coopération commune dans laquelle chaque citoyen a sa place ; ce sont les millions d'âmes intègres qui aiment à voir ce bien commun dans la lumière de Dieu et à le promouvoir selon les dispositions jamais caduques de sa loi.

L'Italie est sur le point de se donner une nouvelle Constitution. Qui pourrait méconnaître l'importance capitale d'une telle entreprise ? Ce qu'est le principe vital dans le corps vivant, la Constitution l'est dans l'organisme social, dont le développement non seulement économique, mais aussi moral lui est étroitement conditionné. Si quelqu'un a donc maintenant besoin de tenir les regards fixés sur l'ordre établi par Dieu, si quelqu'un est tenu à avoir constamment devant les yeux le vrai bien de tous, ce sont assurément ceux auxquels est confiée la grande oeuvre de rédiger une Constitution.

D'autre part, à quoi servent les meilleures lois si elles restent lettre morte ? Leur efficacité dépend en grande partie de ceux qui doivent les appliquer. Entre les mains d'hommes qui n'en ont pas l'esprit et qui sont peut-être en désaccord avec les choses qu'elle règle, ou qui ne sont ni spirituellement, ni moralement capables de la traduire en actes, l'oeuvre législative perd beaucoup de sa valeur. Une bonne Constitution est assurément chose du plus haut prix. Et ce dont l'Etat a une absolue nécessité, c'est d'hommes compétents et experts en matière politique et administrative, qui se consacrent entièrement au plus grand bien de la nation, guidés par de clairs et saints principes.

Pour cela la voix de votre patrie qu'ont secouée dans ces dernières années de graves révolutions appelle à la collaboration tous les hommes et toutes les femmes honnêtes en qui, comme en leurs familles, vit le meilleur de la vigueur spirituelle, des énergies morales et des traditions vécues et toujours vivantes du pays. Cette voix les conjure de se mettre à la disposition de l'Etat avec toute la force de leurs convictions intimes et de travailler pour le bien du peuple. Et voilà qu'ainsi se découvre aussi pour vous le chemin de l'avenir.

Exigences d'une telle mission.

L'an passé, en la même circonstance, Nous vous avons montré comment, même dans les démocraties de fraîche date et qui n'ont derrière elles aucune trace d'un passé féodal, il s'est formé, par la force même des choses, une sorte de nouvelle noblesse, de nouvelle aristocratie. C'est la réunion des familles qui par tradition mettent toutes leurs énergies au service de l'Etat, de son gouvernement et de son administration, et sur la fidélité desquelles il peut constamment compter.

Votre mission est donc bien loin d'être négative. Elle suppose en vous beaucoup d'étude, beaucoup de travail, beaucoup d'abnégation et surtout beaucoup d'amour. Nonobstant la rapide évolution des temps, cette mission n'a pas perdu sa valeur, elle ne touche pas à son terme. Ce qui vous est aussi demandé et qui doit être la caractéristique de votre éducation traditionnelle et familiale, c'est la conviction et la volonté de ne vous prévaloir de votre condition, privilège désormais bien souvent grave et austère, que pour servir.

Abordez donc l'avenir, chers fils et chères filles, avec courage et avec une humble fierté. Votre fonction sociale, nouvelle dans sa forme, en substance demeure la même qu'aux temps passés de plus grande splendeur. Si parfois elle vient à vous paraître difficile, ardue et parfois aussi non exempte de déceptions, ne doutez pas que la divine Providence qui vous l'a confiée vous donnera à tous moments les forces et les grâces nécessaires pour la remplir dignement. Ces grâces, Nous les demandons pour vous à Dieu qui s'est fait homme pour relever la société humaine de sa décadence, pour établir la société nouvelle sur une base inébranlable, pour être Lui-même la pierre angulaire de l'édifice, pour le restaurer toujours de façon nouvelle de génération en génération.

Dans cette attente et comme gage des plus précieuses faveurs célestes, Nous vous donnons avec une affection paternelle à vous, à vos familles et à toutes les personnes que vous portez dans votre coeur, présentes et éloignées, et tout particulièrement à votre chère jeunesse, Notre Bénédiction apostolique.


Pie XII 1947