Pie XII 1947 - AU PATRICIAT ET A LA NOBLESSE DE ROME


RÉPONSE A S. EXC. M. CONRAD TRAVERSO AMBASSADEUR D'ARGENTINE

(12 janvier 1947) 1

En présentant ses lettres de créance au Pape, le nouvel ambassadeur d'Argentine auprès du Saint-Siège l'assura que les principes de la morale chrétienne, fruits d'une longue tradition de foi, continuaient à inspirer la vie de son pays et l'oeuvre sociale du gouvernement. Il évoqua la grande figure d'un prêtre argentin du XIXe siècle, Frà Mamerto Esquiù. Et il rappela l'impression extraordinaire produite sur le peuple argentin par le Saint-Père lors de sa légation au Congrès eucharistique de Buenos Aires et l'admiration de son gouvernement pour l'oeuvre de paix entreprise par le Pape qui répondit en espagnol dans les termes suivants :

En vertu de la mission que M. le président de la République argentine a confiée à Votre Excellence, elle se présente aujourd'hui devant Nous pour la première fois comme le nouveau représentant d'une très noble nation qui attend avec raison de le voir accueilli par Nous avec cette bienveillance et cette confiance que mérite l'intime union de votre peuple avec le centre de l'Eglise.

Les paroles que vous avez voulu prononcer dans la solennelle présentation des lettres de créance pour indiquer les principes dont vous entendez vous inspirer dans l'exercice de votre haute charge laissent voir clairement, à Notre vive satisfaction, que le gouvernement et le peuple de votre pays ne veulent oublier jamais la part prépondérante qui revient à la loi morale, comme fondement pour l'instauration et le perfectionnement d'un ordre social édifié sur les exigences de la vraie justice, du sain progrès et du bien-être commun.

Il Nous a été particulièrement agréable d'entendre le témoignage


AMBASSADEUR D'ARGENTINE

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que votre Excellence vient de rendre à l'abnégation et à l'activité du clergé argentin ; et Nous ne pouvons douter que dans l'avenir il méritera les mêmes louanges.

Votre Excellence vient, avec un élan particulier, de faire allusion à Notre sollicitude pour l'avènement d'une paix imprégnée de l'esprit de la morale chrétienne ; et vous ajoutiez encore la certitude que les principes fondamentaux de cette paix, exposés publiquement par Nous à diverses reprises, ont vivifié et consolidé, aussi bien dans les sphères gouvernementales que dans le peuple argentin, le dessein de collaborer avec énergie à son développement progressif.

Une telle assurance ne pouvait pas moins faire que de Nous plaire spécialement à l'heure présente où le chemin de la paix se voit traversé de tant d'obstacles et d'empêchements, ce qui exige des gouvernants un degré rare de prévision et de sagesse pour les voir à temps et pour arriver à s'y opposer énergiquement.

Aujourd'hui les nations qui ont goûté l'ineffable bonheur de ne pas être enveloppées dans les orages qui ont entraîné la plus tragique de toutes les guerres sont peut-être celles qui se trouvent les mieux préparées spirituellement et les mieux disposées à comprendre objectivement et à apprécier avec sérénité quels sont les éléments essentiels qui peuvent servir de base à une paix digne et durable.

A de telles nations est réservé un travail aussi important qu'ardu de pacification afin de vaincre, là où elle existe, cette tendance à l'irritation et aux représailles, qui pour n'être pas explicable en elle-même, n'est pas cependant moins dangereuse.

Nous avons pleine confiance que la nation argentine qui, il y a plus de douze ans, se consacrait sous Nos yeux en sa magnifique capitale, avec une piété inoubliable au divin Sauveur et Pacificateur, se rendra parfaitement compte de ce qu'exigent les circonstances du temps présent et ne laissera pas échapper l'occasion de collaborer aussi intensément que possible à un si noble but.

Nous éprouvons aussi le besoin de vous manifester une fois encore Notre vive gratitude pour l'intérêt efficace que votre pays a voulu plusieurs fois montrer à secourir les victimes de la guerre en Europe. Et tandis que Nous exprimons le désir que dure dans l'avenir cette générosité en faveur des plus pauvres entre les pauvres, Nous sommes sûr que tout arrivera comme Nous l'espérons.

Cette certitude Nous est confirmée par la récente arrivée d'un fils de saint Jean Bosco, spécialement chargé par le gouvernement argentin d'étudier sur place le projet d'une vaste émigration qui doit sauver de la misère spirituelle et matérielle beaucoup de malheureux auxquels l'Europe appauvrie et dévastée n'offre plus les possibilités ordinaires de travail et de vie.

La réalisation d'un tel projet ne servira pas seulement à enrichir l'Argentine en lui incorporant de précieuses forces productrices, mais elle écrira aussi dans les annales de cette après-guerre troublée et misérable une grande et belle page de miséricorde spirituelle et corporelle que les futures générations d'Européens liront toujours avec gratitude. C'est dans ces perspectives consolantes que Nous invoquons la protection et la grâce du Tout-Puissant sur le chef de l'Etat, sur le gouvernement et le peuple de cette nation qui est si près de Notre coeur et Nous assurons Votre Excellence que dans l'exercice de son importante et honorable mission elle trouvera sans cesse en Nous une aide bienveillante et sûre.


DISCOURS A DES JOURNALISTES AMÉRICAINS

(18 janvier 1947) 1

Le 18 janvier, dix journalistes américains envoyés par le ministre de la guerre des Etats-Unis pour étudier les principaux problèmes de l'après-guerre en Europe 2, ont été reçus en audience par le Saint-Père qui leur a adressé les paroles suivantes :

Vous êtes venus en Europe, Nous a-t-on dit, désireux d'avoir des informations directes sur les conditions d'après-guerre. C'est là pour les membres de votre profession une mission importante et celle-ci peut produire du bien à longue échéance.

Rien n'est plus intéressant pour les millions de personnes qui composent votre public de lecteurs et d'auditeurs que de connaître les faits. Le monde avait cru et espéré qu'après la guerre il serait délivré de toute tyrannie inhumaine pesant tant sur les esprits que sur les corps, et qu'on pourrait créer un ordre nouveau dans lequel tous les peuples seraient libres et jouiraient de la liberté des enfants dont le Père commun vit dans les cieux. Cet espoir a adouci la tristesse des mères, des épouses, des familles, lorsque le messager de malheur vint frapper à leur porte, alors que la bataille venait de prendre fin ; elle les a fortifiées dans le sacrifice exigé d'elles, sacrifice qui n'a pas eu son pareil dans l'histoire.

Devrez-vous leur dire que leur espoir a été déçu et qu'une nouvelle tyrannie s'annonce ?

L'Amérique, après avoir mené la guerre, s'est astreinte généreusement à porter secours aux victimes qui ont survécu au terrible

1 D'après le texte anglais de Discorsi e Radiomessaggi, t. VIII, p. 381.

2 Voici les noms des journalistes présents : MM. Coleman Harwell du Nashviîle Tennesean, Elon F. Tomkins du New York fournal-American, Gene Gillette de VUnited Press, John H. Martin de YInternational News Service, Frabier Hunt du Mutual Broadcasting System, Victor O. Jones du Boston Globe, Everett Holles du Columbia Broadcasting System, Dwight Young du Dayton Ohio Journal-Herald, Virginius Dabney du Richmond Times-Dispatch, Erik Oberg du Machinery.

holocauste. On ne pensait guère que les aliments et les vêtements qu'avec tant de prodigalité on envoyait au-delà des océans seraient dans certains pays vendus au prix très élevé de l'adhésion à un parti politique. Le refus de reconnaître aux hommes leurs droits civils et religieux persiste toujours. La persécution brutale des consciences n'a pas pris fin. Ce fait ne surprend pas. Mais il est tragique. Il pourrait être déprimant si l'on songe que la mort héroïque de centaines de milliers de jeunes gens, de cette jeunesse forte et pleine de promesse, n'a permis d'édifier qu'une paix, une justice et une charité caduques.

Mais il ne faut cependant pas se décourager. On ne manquera pas à l'avenir de chefs, d'hommes au caractère trempé, ne cherchant pas leurs aises personnelles, mais totalement dévoués au mieux-être physique et social de toutes les classes et qui dans la lumière des principes chrétiens reconnaîtront joyeusement et efficacement ce qui était déjà clair devant les yeux de Celui que vous appelez le père de votre patrie, que la religion et la moralité sont les supports indispensables de la prospérité politique et que la moralité ne peut être maintenue sans religion.

Tous les jours Nous prions Dieu afin qu'il accorde à ces dirigeants le courage patient d'affirmer leurs convictions et la force de diriger la civilisation à nouveau vers son port d'attache. Nous vous bénissons ainsi que vos proches et Nous formulons l'espoir que vous puissiez découvrir la vérité et la proclamer sans crainte.


DISCOURS AUX GROUPES DE « RENAISSANCE CHRÉTIENNE »

(22 janvier 1947) 1

Le mercredi 22 janvier 1947, le Saint-Père accordait une audience spéciale à plusieurs centaines d'hommes et de femmes membres des groupes de différentes régions d'Italie du mouvement de «La Renaissance chrétienne». Parmi eux se trouvaient les deux responsables générales : celle de la branche masculine, la duchesse Immaculata Salviati, et celle de la branche féminine, Mme Vera Castellett. A la même audience participait un groupe important des « Dames de charité » de Rome, qui venaient de se réunir en congrès.

Le Souverain Pontife se plut à donner à la fervente assemblée les directives que voici :


LE MOUVEMENT DE « RENAISSANCE CHRÉTIENNE »

A l'aube de l'histoire de l'Eglise, sous le règne de Trajan, saint Ignace d'Antioche a écrit une phrase dont la splendeur saisit encore les âmes de notre temps comme la découverte d'un trésor d'expérience deux fois millénaire : « Lorsque le christianisme est l'objet de la haine du monde, ce n'est plus de paroles persuasives qu'il s'agit, mais de grandeur d'âme ».2

Cette phrase de l'héroïque évêque et confesseur de la foi Nous revient à la mémoire, très chères filles, en vous voyant réunies autour de Nous. Votre mouvement de « Renaissance » traduit le même esprit que les paroles que Nous venons d'emprunter au martyr du Christ. Et vraiment, dans la crise religieuse de notre temps, la plus grave peut-être que l'humanité ait traversée depuis

1 D-après le texte italien des A. A. S., 39, 1947, p. 58.

2 Ad Rom., 3, 3.

les origines du christianisme, l'exposé raisonné et scientifique des vérités de la foi, si efficace qu'il puisse être et qu'il soit en réalité, n'est plus suffisant par lui-même. Et pas davantage l'influence de la vie chrétienne telle que trop souvent elle est vécue, médiocre, faite d'habitudes et de conventions. Il faut aujourd'hui la grandeur d'un christianisme vécU dans toute sa plénitude avec amnstance et Ãerse9vérance. Il y faut le courage `e cette légion d'hommes et de femmes qui, tout en vivant au milieu du monde, sont toujours prêts à combattre pour leur foi, pour la loi de Dieu, pour le Christ, les yeux fixés sur Lui comme sur le modèle qu'ils doivent imiter et le chef qu'ils doivent suivre dans leur travail d'apostolat. Telle est, très chères filles, la règle de vie que vous vous êtes proposée.


SES FONDEMENTS : FOI CATHOLIQUE PLEINE ET ENTIÈRE

Et avant tout, vous voulez être animées d'une foi catholique pleine et entière. Récemment encore, conseil a été donné au christianisme, s'il entend conserver encore quelque importance, s'il veut dépasser le point mort, de s'adapter à la vie et à la pensée modernes, aux découvertes scientifiques et à la puissance extraordinaire de la technique de notre époque, car, par comparaison, ses formes historiques et ses dogmes surannés ne seront bientôt plus que les lumières presque éteintes d'un temps révolu. Quelle erreur ! Et comme elle révèle l'illusion vaniteuse d'esprits superficiels ! Ils semblent vouloir faire entrer l'Eglise ainsi qu'en un lit de Procuste dans les cadres étroits d'organisation purement humaines. Comme si la nouvelle configuration du monde, comme si le règne actuel de la science et de la technique occupaient tout le champ de la réalité et ne laissaient plus aucune place à la vie surnaturelle qui les déborde de toute part. Elles ne sont pas à même de l'abolir ni de l'absorber. Au contraire, ces admirables découvertes scientifiques (que l'Eglise favorise et encourage) font ressortir avec plus de force et d'efficacité que jamais « l'éternelle puissance de Dieu » (Rm 1,20).

Mais la pensée et la vie modernes doivent être reconquises et ramenées au Christ. Le Christ, sa vérité, sa grâce, ne sont pas moins nécessaires à l'humanité de notre temps qu'à celle d'hier et d'avant-hier, de tous les siècles passés et futurs. Telle est l'unique source de salut : la foi catholique, non pas une foi mutilée, anémique, édul-corée, mais dans toute son intégrité, sa pureté et sa vigueur. Certains considèrent cette foi comme une « folie » ; ce n'est pas là chose

nouvelle, il en était déjà ainsi au temps de l'apôtre saint Paul. Pour vous, au contraire, elle est « force de Dieu » (1Co 1,18) et vous ambitionnez de la communiquer à votre siècle, avec la confiance en la victoire qui animait les coeurs des premiers chrétiens. Nous louons vos desseins. Veuille le Seigneur les féconder par la surabondance de ses bénédictions.


TÉMOIGNAGE D'UNE VIE CHRÉTIENNE SANS RÉSERVES NI CONCESSIONS

A la fermeté de la foi, vous unissez le courage de prendre au sérieux l'observance des commandements de Dieu et de toute la loi du Christ et de son Eglise.

Et, en réalité, ce n'est pas là un mince mérite, spécialement dans les circonstances actuelles. Quand on regarde bien en face les conditions dans lesquelles vous vivez, les conceptions et les habitudes de vie d'aujourd'hui, le monde moderne avec ses misères et ses malheurs, mais aussi avec ses séductions et sa fascination presque diabolique, la pression tyrannique d'organisations dotées d'une puissance monstrueuse, il faut reconnaître que rester fidèle, partout et toujours, sans réserves et sans concessions, aux commandements de Dieu, requiert jour après jour une maîtrise de soi, un effort constant, une abnégation qui touche parfois à l'héroïsme, cet héroïsme qui est précisément le signe caractéristique du témoignage du sang.

Nous avons dit : sans réserves et sans concessions ; car, qui pourrait affirmer qu'une âme sert fidèlement Dieu si, dans l'accomplissement des pratiques chrétiennes, elle manifeste un esprit nettement mondain, si, venant à l'église, elle y apporte des sentiments d'intérêt, de vanité, de sensualité, si elle croit pouvoir justifier ou sanctifier une vie frivole ou profane parce qu'elle y insère quelque exercice d'une piété toute superficielle, lorsque ce n'est pas une dévotion puérilement superstitieuse ?

Oui, vous avez bien raison de poser la question suivante : la parole du Christ : « Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il se renonce, prenne chaque jour sa croix et me suive » (Lc 9,23), cette parole vaut-elle oui ou non, aujourd'hui comme autrefois ? Oui ? Alors, elle doit être pour chacun de nous, règle de vie. Et Nous vous le demandons, dans toute sa conduite, qu'il s'agisse de sa vie personnelle ou de ses relations sociales : mariage, famille, profession, la femme, aussi bien que l'homme, est-elle libre de se gouverner à sa guise et à sa fantaisie ? Ou bien doit-elle reconnaître que, en tout domaine, il y a des questions dont la solution dépend toujours des ordres imprescriptibles de Dieu ? En ce cas, arrière toute pusillanimité et toute vaine crainte ; si Dieu commande, il ne manquera pas de donner, avec le précepte, la grâce de l'accomplir.

De là votre résolution : préparer la voie au Seigneur et à sa volonté (cf. Is. Is 40,3) d'abord dans votre vie, ensuite dans celle du prochain. Nous bénissons ces nobles intentions. Daigne Dieu les vivifier par la rosée céleste de sa grâce.


ZÈLE ENFLAMMÉ

Cependant, la fermeté de la foi et le courage de la vertu ne suffisent pas encore à vos désirs ; il faut que s'allume dans vos coeurs la flamme claire et ardente du zèle. Résolues comme vous l'êtes à pratiquer pleinement dans votre vie de jeunes filles, d'épouses, de mères, la loi sainte de Dieu, vous voulez contribuer, chacune dans le cadre où les circonstances providentielles vous ont placées, à reconduire les âmes au seul Seigneur, à leur rendre, dans la soumission à la volonté divine, dans la docilité à la doctrine infaillible, dans la sanctification par le moyen de la grâce, l'unique vraie liberté qui les affranchit de l'humiliante servitude de l'erreur et du mal. Tel est le sens de l'oeuvre entière de la Rédemption, et tout apostolat, qu'elle qu'en soit la forme, n'est qu'une participation à cette oeuvre rédemptrice du Christ.

Vouloir tirer une ligne de séparation entre la religion et la vie, entre le surnaturel et le naturel, entre l'Eglise et le monde, comme si l'une n'avait rien à faire avec l'autre, comme si les droits de Dieu ne s'appliquaient pas à toute la réalité multiforme de la vie quotidienne, humaine et sociale, est parfaitement contraire à la pensée chrétienne, et nettement antichrétien. Par conséquent, plus les puissances de ténèbres accentuent leur pression, plus elles s'efforcent de bannir l'Eglise et la religion du monde et de la vie, plus il est nécessaire que l'Eglise elle-même s'emploie avec ténacité et persévérance à reconquérir et à soumettre tous les domaines de la vie et de l'activité humaines à l'empire bienfaisant du Christ, afin que son esprit y souffle plus largement, que sa loi y règne plus souverainement, que son amour y triomphe plus victorieusement. Voilà ce que l'on doit entendre par le règne du Christ.

Ce devoir de l'Eglise est bien ardu ; mais ils ne seraient que des déserteurs inconscients ou illusionnés, ceux qui, au nom d'un surnaturalisme mal compris, voudraient enfermer l'Eglise dans le domaine « purement religieux », comme ils disent, faisant ainsi le jeu de ses adversaires.

Contre de tels courants, vous réagissez courageusement, comme l'exige notre époque. Nous avons pris connaissance avec satisfaction de votre programme de formation, de vos travaux, de vos succès. Nous rendons hommage à votre ardeur et à votre activité et Nous appelons sur vous la plénitude de la force et de la grâce du Christ.


FORMES D'APOSTOLAT EXIGÉES DE TOUS

Pour votre apostolat, vous suivez la parole du divin Maître : « Le règne de Dieu ne se réalise pas de manière à attirer les regards » (Lc 17,20). Vous ne voulez pas d'une action ostentatoire aux éclatantes manifestations publiques et, de même, la technique de votre organisation reste délibérément dans l'ombre et se réduit au strict nécessaire. Nous avons parlé de vous en commençant comme d'une troupe d'assaut. Cependant votre contre-offensive se prépare et s'exécute, non dans le bruit et l'agitation, mais dans le calme et le recueillement, par la prière silencieuse, les renoncements connus de Dieu seul, le bon exemple donné constamment, la profession vigoureuse de vos convictions solides et des principes chrétiens dans des milieux qui pensent et qui vivent selon d'autres conceptions, enfin par une action lente, continuelle, progressive, pour ramener peu à peu au Christ tous ceux que vous pourrez influencer.

Sans doute, aucune oeuvre, quelle qu'elle soit, ne peut avoir une durée stable sans un minimum d'organisation. Mais celle-ci, quoique indispensable, reste toujours un moyen, et rien qu'un moyen d'apostolat. De même les manifestations publiques ont leur valeur et leur importance, elles peuvent même, en certains cas, être nécessaires, spécialement là où les forces adverses s'en prévalent largement dans leur propagande. Mais pour le but auquel tend votre mouvement, vous avez choisi la bonne méthode de travail ; la voie sur laquelle vous avancez est une voie sûre et vous pouvez la suivre avec confiance.

La modestie et la discrétion qui conviennent au déploiement de votre zèle ne peuvent aucunement être confondues avec la passivité ou une énervante monotonie. Bien au contraire ! Chacune de vous, s'appliquant à l'oeuvre commune, doit y venir avec son caractère, son tempérament, ses dons et ses moyens personnels. C'est même le concours de ces qualités si variées qui donne à votre collaboration fraternelle son harmonie et sa physionomie particulière. Toutes, vous pouvez et devez mettre en oeuvre l'apostolat de l'exemple, de la prière et du sacrifice. Mais alors, à partir précisément de ce qui est pour chacune de stricte obligation, il reste un champ immense, dans lequel les possibilités physiques, qui diffèrent beaucoup d'une personne à l'autre, et la générosité d'âme par laquelle — supposé, il va de soi, un jugement sain et une intention droite — vous correspondez aux impulsions de la grâce doivent déterminer la juste mesure qui convient à votre action.

Cette diversité dans la mesure et dans la forme de votre apostolat trouve son application aussi bien dans l'ordre matériel que dans l'ordre spirituel. A celles d'entre vous à qui des conditions économiques et autres circonstances favorables permettent d'exercer l'apostolat de la charité en faveur des nécessiteux, Nous disons avec saint Paul : « Ne vous laissez pas vaincre par le mal, mais remportez, à force de bien, la victoire sur le mal » (Rm 12,21). A l'esprit de calomnie, de basse délation, d'envie, de haine, de cruauté, d'oppression, vous opposez inlassablement la bonté et l'amour, l'amour dans le coeur, l'amour sur les lèvres, l'amour dans les oeuvres de vos mains.

Comment pourrions-Nous omettre en ce moment d'adresser une parole paternelle aux Dames de charité qui sont ici présentes et qui viennent de tenir avec d'excellents résultats un congrès pour rendre leur travail plus efficace et pour l'adapter aux nécessités actuelles du pauvre ? Qu'à vous aussi, qui êtes toujours prêtes à secourir les indigents, aille l'expression de Notre satisfaction, de Nos encouragements et de Nos voeux, afin que votre père et fondateur, saint Vincent de Paul, astre resplendissant de bonté, secourable pour le malheur sous toutes ses formes, vous obtienne toujours plus largement l'esprit de pitié, de générosité, de charité, de sagesse.


L'ACTION APOSTOLIQUE RÉSERVÉE A UNE ÉLITE

Reste à considérer l'apostolat dans le sens propre du mot, l'apostolat de l'action personnelle, immédiate sur le prochain, pour le gagner au Christ. Elle n'appartient pas à tous. Il y faut des qualités spéciales, une préparation, une formation qui ne peuvent être que le privilège d'une élite. Et encore, cela supposé, faut-il noter que la capacité d'exercer un tel apostolat religieux est très différente selon les personnes. Appliquez-vous donc à vous connaître vous-mêmes, pour devenir, chacune à votre manière, messagères de Dieu. Mais quelle que soit la manière et, pour ainsi dire, le trait personnel de chacune, le caractère prédominant qui doit vous marquer toutes est cette grandeur spirituelle si magnifiquement exaltée par le martyr saint Ignace.

Les buts que vos esprits se sont fixés, très chères filles, sont d'une grande élévation ! Vous avez donc besoin d'un zèle éclairé et généreux, d'une inébranlable confiance en Dieu, d'un secours d'En-Haut, abondant et puissant, pour réaliser et développer ces objectifs avec continuité. Faites vôtre, humblement, la prière du psalmiste : « Viam mandatorum tuorum curram, cum dilataveris cor meum » (Ps. CXVIII, 32). Je parcourrai la voie de vos commandements lorsque vous aurez amplifié mon coeur !

Et Nous vous laissons, comme souhait final, ces paroles du Prince des apôtres : « Le Dieu de toute grâce, qui nous a appelés à sa gloire éternelle, en Notre Seigneur Jésus-Christ, vous conduira par un peu de souffrance à la perfection, Il vous donnera vigueur et réconfort. Qu'il règne et soit glorifié dans tous les siècles » (1P 5,10-11).

Avec ce souhait et cette espérance dans le coeur, Nous vous donnons à toutes, ainsi qu'à vos oeuvres et à vos familles et à toutes les personnes qui vous sont chères, comme un gage des faveurs célestes les plus choisies, Notre Bénédiction apostolique.


CONSTITUTION APOSTOLIQUE « PROVIDA MATER ECCLESIA » AU SUJET DES DIVERS ÉTATS CANONIQUES ET DES INSTITUTS SÉCULIERS DE PERFECTION CHRÉTIENNE

(2 février 1947)1

1 D'après le texte latin des A. A. S., XXXIX. 1947, p. 114 ; traduction et sous-titres de la Nouvelle Revue Théologique d'avril 1947.

Avec la Constitution apostolique «• Provida Mater », Sa Sainteté Pie XII donne une reconnaissance stable et officielle d'une nouvelle forme de perfection chrétienne dans les Instituts séculiers, qui s'ajoute ainsi à celle déjà existante et riche de vie intarissable des anciens Ordres religieux et à celle, plus récente, des Congrégations religieuses.


L'Eglise, mère attentive, regardant comme ses enfants de prédilection 2 ceux qui dévouent leur vie entière au Christ leur Seigneur et le suivent par la voie libre et austère des conseils, a toujours mis tout son zèle et sa maternelle affection à les rendre dignes de cette surnaturelle intention et d'une vocation si angélique 3, ainsi qu'à ordonner sagement leur manière de vivre. C'est ce que démontrent abondamment, depuis les origines jusqu'à nos jours, les textes mémorables des pontifes, des conciles et des Pères, ainsi que le cours entier de l'histoire ecclésiastique et tout l'ensemble de la discipline canonique.

2 Pius XI, Nuncium radiophonicum, 12 feb. 1931 (ad religiosos). Cf. A. A. S., 23, p. 67.
3 Cf. Tertulliani, Ad uxorem, lib. I, c. IV (P. L., 1, 1281) ; Ambrosius, De Virginibus, 1, 3, It (P. L., 16, 202) ; Eucherius Lugdun., Exhortatio ad Monachos, 1 (P. L., 50, 865) ; Bernardus, Epistola CDXLIX (P. L., CLXXXII, 461) ; id., Apologia ad Guillelmum, c. x (P. L., CLXXXII, 912).

L'effort doctrinal et apostolique de l'Eglise pour diriger et aider la pratique des conseils date des tout premiers temps.

Et en effet, dès le berceau du christianisme, le magistère lui-même de l'Eglise s'est employé à illustrer les appels à la perfection, exprimés dans la doctrine et les exemples du Christ 4 et des apôtres 5, et a enseigné avec sûreté la manière dont se devait conduire et régler la vie vouée à la perfection. D'autre part, par son action et son ministère, l'Eglise a intensément favorisé et propagé le don plénier et la consécration au Christ. C'est ainsi que, dès les premiers temps, les communautés chrétiennes offraient spontanément aux conseils évangéliques une bonne terre toute prête à recevoir la semence et assurée des meilleurs fruits 6 et, peu après, comme il est facile de le démontrer par les Pères apostoliques et par les écrivains ecclésiastiques les plus anciens7, la profession publique de la vie parfaite se développa tellement dans les diverses Eglises, que ceux qui la pratiquaient commencèrent dès lors à apparaître, dans le sein de la société ecclésiastique, comme un ordre, une classe sociale reconnue sous les divers noms d'ascètes, de continents, de vierges, etc., et objet d'éloges et de vénération 8.

Dans la suite des siècles, la discipline canonique développa et encouragea la profession publique des conseils, soit individuelle, soit surtout sous sa forme « pleinement achevée » et « plus pleinement publique », de la communauté érigée par l'Eglise elle-même.


4 Matth., XVr, 24 ; XIX, 10-12, 16-21 ; Marc, 10, 17-21, 23-30 ; Luc, 18, 18-22, 24-29 ; XX, 34-36.
5 I Cor., 7, 25-35, 37-38, 40 ; Matth., 19, 27 ; Marc, 10, 28 ; Luc, 18, 28 ; Act., 21, S-9 ; Apoc, 14, 4-5.
6 Luc, 8, 15 ; Act., 4, 32, 34-35 ; I Cor., 7, 25-35, 37-39, 40 ; Eusèbe, Historia ecclesiastica, 3, 39 (P. G., 20, 297).
7 S. Ignace, Ad Polycarp., V (P. G., 5, 724) ; S. Polycarpi Ad Philippen., 5, 3 (P. G., 5, 1009) ; Justin le Philosophe, Apologia I pro christianis (P. G., 6, 349) ; Clément d'Alexandrie, Stromata (P. G., 8, 224) ; Hipoolyte, In Proverh. (P. G., 10, 628) ; id., De Virgine Corinthiata (P. G., 10, 871-874) ; Origine, In Num., hom., 2, 1 (P. G., 12, 590) ; Méthode, Convivium decem virginum (P. G., 18, 27-220) ; Tertullien, Ad uxorem, lib. I, c. VII-VIII (P. L., 1, 1286-1287) ; id., De resurrectione carnis, c. VIII (P. L., 2, 806) ; Cyprien, Epistola XXXVI (P. i., 4, 327) ; id., Epist. LXII, 11 (P. L., 4, 366) ; id., Testimon., adv. iudeos, lib. III, c. LXXIV (P. L., 4, 771) ; Ambroise, De viduis, 2, 9 et suiv. (P. L., 16, 250-251) ; Cassien, De tribus generibus monachorum, V (P. L., 49, 1094) ; Athenagore, Legatio pro christianis (P. G., 6, 965).
8 Act., 21, 8-10 ; cf. S. Ignace d'Antioche, Ad Smyrn., XIII (P. G., 5, 717) ; id. Ad Polyc, V (P. G., 5, 723) ; Tertullien, De virginibus velandis (P. L., 2, 935 et ss.) ; id., De exhortatione castitatis, c. VII (P. I., 2, 922) ; S. Cyprien, De habitu virginum, II (P. I., 4, 443) ; S. Jérôme, sisto/* LVIII, 4-6 (P. t., 22, 582-583) ; S. Augustin, Sermo CCXIV (P. L., 38, 1070) ; id., Contra Faustum Manichaeum, lib. V, c. IX (P. L., 42, 226).


Au cours des siècles, l'Eglise, fidèle au Christ son Epoux et toujours semblable à elle-même, développa graduellement, sous la conduite du Saint-Esprit, d'un pas sûr et ininterrompu, la discipline de l'état de perfection jusqu'à la promulgation du Code actuel de Droit canonique. Penchée maternellement sur ceux de ses enfants qui d'un coeur généreux professaient extérieurement et en public, bien que sous des formes diverses, la vie parfaite, elle ne cessa jamais d'encourager de toute manière une résolution si sainte, et cela dans une double direction. D'abord la profession individuelle de perfection, toujours cependant émise à la face de l'Eglise et d'une manière publique — telle cette antique et vénérable bénédiction et consécration des vierges9 qui s'accomplissait selon les rites liturgiques — fut par l'Eglise elle-même non seulement reçue et reconnue, mais munie de règles sages, fermement défendue et pourvue même de nombreux effets canoniques. Pourtant les faveurs de l'Eglise se tournèrent surtout, et à bon droit, vers cette profession pleinement achevée et plus strictement publique de vie parfaite, réalisée dans les premiers temps qui suivirent la paix constantinienne et émise au sein d'associations et de communautés érigées avec la permission ou l'approbation ou sur l'ordre de l'Eglise elle-même.

9 Cf. Optat., De schismate donatistarum, lib. VI (P. L., 1071 sq.) ; Pontificale Romanum, II : De benedictione et consecratione Virginum.


La vie religieuse canonique est si intimement unie à l'histoire de la sainteté et de l'apostolat catholique qu'une législation toujours plus achevée en a fait d'abord une des pierres angulaires du droit des personnes...

Personne n'ignore l'intime compénétration qui associe l'histoire de la sainteté dans l'Eglise et de l'apostolat catholique avec celle de la vie religieuse canonique, telle que, sous l'impulsion vivifiante de la grâce du Saint-Esprit, elle ne cessa de croître et de s'affermir, étonnamment variée, au sein d'une unité toujours plus profonde et plus efficace. Il n'est pas surprenant que l'Eglise ait suivi fidèlement aussi, sur le terrain des lois, ce mouvement que la sage Providence divine indiquait si nettement, et qu'elle ait entouré de vigilance et délibérément ordonné l'état canonique de perfection, au point d'élever sur lui, comme sur un de ses fondements angulaires, l'édifice de la législation ecclésiastique. De là vient que tout d'abord l'état public de perfection fut compté parmi les trois principaux états ecclésiastiques et que l'Eglise ne prit pas d'autre base que cet état lui-même pour définir le second ordre ou degré canonique de personnes (can. 107). Chose, en effet, digne de grande attention : tandis que les deux autres ordres canoniques de personnes, savoir clercs et laïques, se fondent, de par le droit divin (auquel s'ajoute l'institution ), sur l'Eglise, en tant que société hiérarchiquement constituée et ordonnée, la classe des religieux, placée entre clercs et laïques et qui peut être commune tant aux clercs qu'aux laïques (canon 107), dérive de l'étroite et particulière relation de cet état à la fin de l'Eglise, savoir à la sanctification et aux moyens efficaces et adéquats de la poursuivre.


... ensuite une institution rigoureusement précisée sous le nom de Religion.

Mais l'Eglise n'en resta pas là. Pour que cette profession publique et solennelle de la sainteté ne risque pas d'être vouée à l'échec, l'Eglise, avec une rigueur toujours croissante, ne voulut reconnaître cet état canonique de perfection que dans des sociétés fondées et réglées par elle, savoir dans des Religions (can. 488, 1°) dont, après mûr examen, elle avait fixé par son magistère la forme et l'ordonnance générale, dont ensuite dans chaque cas elle avait vérifié de près l'Institut et les règles, non seulement au regard de la doctrine et dans l'abstrait, mais encore à la lumière de son expérience et dans la pratique. Toutes ces dispositions ont été définies dans le Code d'une manière si rigoureuse et si précise que, dans aucun cas, pas même par exception, l'état canonique de perfection ne serait reconnu, si la profession n'en était pas émise dans une Religion approuvée par l'Eglise. Enfin la discipline canonique de l'état de perfection, en tant qu'état public, a été de telle sorte ordonnée très sagement par l'Eglise que dans les Religions cléricales, pour tout ce qui regarde la vie cléricale des religieux, c'est la Religion elle-même qui remplirait le rôle de diocèse et que pour eux l'incar-dination à un diocèse serait remplacée par le rattachement à la Religion (ce. 111, § 1 ; 115, 585).


Admission des Congrégations de voeux simples parmi les Religions. Statuts des sociétés imitant la vie religieuse.

Après que le Code de Pie X et de Benoît XV, dans la seconde partie du Livre II, consacrée aux religieux, eut confirmé de multiples façons, par sa législation des religieux, soigneusement recueillie, revue et corrigée, sous son aspect public, et qu'achevant avec sagesse l'oeuvre commencée par Léon XIII d'heureuse mémoire dans son immortelle Constitution Conditae a Christo10, il eut admis les congrégations de voeux simples parmi les Religions proprement dites, rien désormais ne paraissait plus à ajouter à la discipline de l'état canonique de perfection. Pourtant l'Eglise, si large d'esprit et de coeur, jugea bon, en un geste vraiment maternel, d'ajouter à la législation des religieux un titre succinct qui lui fût comme un complément très opportun. Dans ce titre (tit. XVII, Livre II), l'Eglise voulut assimiler assez pleinement à l'état canonique de perfection d'autres sociétés très méritantes envers elle-même et fréquemment aussi envers la société civile, sociétés dépourvues, il est vrai, de plusieurs propriétés juridiques nécessaires pour constituer l'état canonique complet de perfection, tels les voeux publics (ce. 488, 1° et 7°, 487), mais qui cependant, à cause de leurs autres qualités, considérées comme appartenant à la substance de la vie de perfection, ont avec les vraies Religions des liens d'une étroite similitude et comme de parenté.


Apparition des Instituts de vie parfaite sans voeux publics et sans vie de communauté.

Par toute cette législation, sage, prudente et marquée d'un grand amour, il avait été pourvu largement au bien de cette multitude d'âmes qui, hors du siècle, désiraient embrasser un état canonique strictement dit, uniquement et entièrement consacré à l'acquisition de la perfection. Mais le Seigneur très bon qui a invité si souvent tous les fidèles, sans acception de personnes 11, à l'exercice de la perfection 12, a voulu dans un dessein admirable de sa divine Providence que, même dans le siècle si corrompu, prospèrent, surtout de nos jours, de nombreux groupes d'âmes choisies qui, non contentes de brûler du zèle de leur perfection individuelle, ont pu découvrir, tout en restant dans le monde, pour obéir à un appel particulier de Dieu, de nouvelles et très heureuses formes d'associations, spécialement adaptées aux nécessités actuelles et qui leur permettent de mener une vie très propre à l'acquisition de la perfection chrétienne.

10 Const. Conditae a Christo Ecclesiae, 8 dec. 1900 : cf. Leonis XIII, Acta, vol. XX, p. 317-327.
11 II Par., 19, 7 ; Rom., 2, H ; Eph., 6, 9 ; Col., 3, 25.
12 Matth., 5, 48 ; XIX, 12 ; Col., 4, 12 ; Jacques, 1, 4.


Sollicitude du Saint-Siège pour ces Instituts. De quels Instituts s'agit-il f

Tout en recommandant instamment à la prudence et au zèle des directeurs spirituels les nobles efforts de perfection accomplis par les fidèles en particulier au for interne, Nous dirigeons en ce moment Notre sollicitude vers ces associations qui s'efforcent, à la face de l'Eglise et au for externe, selon l'expression juridique, de conduire leurs membres à une vie de solide perfection. Il n'est pas cependant question ici de tous les groupements qui recherchent sincèrement la perfection chrétienne dans le siècle, mais seulement de ceux qui, dans leur constitution interne, dans l'ordonnance hiérarchique de leur gouvernement, dans le don plénier libre de tout autre lien qu'ils exigent de leurs membres proprement dits, dans la profession des conseils évangéliques, dans leur manière enfin d'exercer les ministères et l'apostolat, se rapprochent davantage de ce qui constitue la substance des états canoniques de perfection, et spécialement des sociétés sans voeux publics (tit. XVII) bien qu'elles adoptent d'autres formes de vie extérieure que celle de la communauté religieuse.


Confiance motivée et manifeste de l'Eglise dans ces « Instituts séculiers ».

Ces associations qui, désormais s'appelleront « Instituts séculiers », apparurent dans la première moitié du siècle dernier, non sans une spéciale inspiration de la Providence divine, avec le but « de pratiquer fidèlement dans le siècle les conseils évangéliques et de s'acquitter avec une plus grande liberté des offices de charité que le malheur des temps défend ou rend difficiles aux familles religieuses » 13. Or, les plus anciens de ces Instituts ont donné des preuves de leur valeur. Ils ont démontré concrètement, de manière plus que suffisante, que grâce au choix exigeant et prudent de leurs membres, par la formation attentive et suffisamment longue qu'ils leur donnent, par une règle de vie bien adaptée, ferme et souple à la fois, peut être obtenue avec certitude, même dans le siècle, grâce à un appel spécial de Dieu et avec son aide, une consécration de soi au Seigneur assez stricte, assez efficace et pas seulement intérieure, mais externe et presque religieuse. Ils ont démontré que l'on peut ainsi former un instrument très utile de pénétration et d'apostolat. Aussi, pour toutes ces multiples raisons, « ces sociétés de fidèles ont été plus d'une fois louées par le Saint-Siège, tout autant que de vraies Congrégations religieuses » 14.

13 S. C. Episcoporum et Regularium dec. * Ecclesia Catholica », d. 11 augusti 1889 ; cf. A. S. S., 23, 634.
14 S. C. Episcoporum et Regularium dec. * Ecclesia Catholica * l" Cf. A. S. S., 23, 634.


Aide efficace qu'ils peuvent apporter à l'Eglise ; dangers que, par contre, ils peuvent courir.

Les heureux accroissements de ces Instituts montrèrent de jour en jour avec plus d'évidence l'aide multiple et efficace qu'ils pouvaient apporter à l'Eglise et aux âmes. Mener en tout temps et en tout lieu une réelle vie de perfection, embrasser cette vie dans des cas où la vie religieuse canonique serait impossible ou peu adaptée, rechristianiser intensément les familles, les professions, la société civile par le contact immédiat et quotidien d'une vie parfaitement et entièrement consacrée à sa sanctification, exercer l'apostolat de multiples manières et remplir des fonctions que le lieu, le temps ou les circonstances interdisent ou rendent impraticables aux prêtres et aux religieux, autant de précieux services dont on peut facilement charger ces Instituts. Par ailleurs, l'expérience a démontré les difficultés et les dangers que comporte parfois, et même facilement, cette vie de perfection ainsi menée librement sans le secours extérieur de l'habit religieux et de la vie en commun, sans la vigilance des Ordinaires, desquels, en fait, elle pouvait aisément rester ignorée, et des supérieurs souvent éloignés.


La nature juridique de ces Instituts, qui ne sont pas des Religions, éclaircie déjà en plusieurs points par Léon XIII, n'a pas encore été fixée.

La question s'est posée aussi de la nature juridique de tels Instituts et de la pensée du Saint-Siège en les approuvant. Aussi, avons-Nous jugé opportun de faire mention de ce décret Ecclesia catholica publié par la S. Congrégation des Evêques et des Réguliers et qui fut confirmé le 11 août 1889 par Notre prédécesseur d'immortelle mémoire de Léon XIII 15. Dans ce décret il n'était pas défendu d'accorder louange et approbation à ces Instituts, mais il était spécifié que, quand la S. Congrégation le faisait, elle voulait les louer et les approuver « non pas certes comme des Religions de voeux solennels ou comme de vraies Congrégations de voeux simples, mais seulement comme de pieuses associations dans lesquelles, outre l'absence d'autres qualités requises par la discipline actuelle concernant les religieux, on n'émet pas de profession religieuse proprement dite, et où les voeux, si on en fait, sont censés purement privés, nullement publics, comme sont les voeux reçus par le supérieur légitime au nom de l'Eglise ». De plus, ces associations, comme l'ajoutait la S. Congrégation, sont louées et approuvées à cette condition essentielle qu'elles se fassent pleinement et parfaitement connaître par leurs Ordinaires respectifs et se soumettent entièrement à leur juridiction. Ces prescriptions et ces déclarations de la S. Congrégation des Evê-ques et des Réguliers contribuèrent utilement à éclaircir la nature de ces Instituts et à en diriger, sans les gêner, l'évolution et les progrès.

Aujourd'hui, les Instituts séculiers se sont multipliés dans le silence, sous des formes assez diverses, en pleine autonomie ou en union plus ou moins étroite avec des Religions ou des Sociétés religieuses. A leur sujet, la Constitution apostolique Conditae a Christo qui ne s'occupait que des congrégations religieuses n'a rien décidé. Le Code de Droit canonique, lui aussi, s'est délibérément abstenu de parler de ces Instituts, laissant à une législation future le soin de leur donner éventuellement un statut qui ne lui paraissait pas encore assez mûr.


Raisons qui poussent le Saint-Père à donner aux Instituts séculiers, comme il déclare le faire dans cette Constitution, un statut général de vie parfaite pleinement adapté à leur but et à leur bien. Mandat confié à la Sacrée Congrégation des Religieux.

Ayant pesé à plusieurs reprises tout ce que Nous venons de dire, poussé par le devoir de Notre conscience et en raison de Notre amour paternel pour des âmes qui poursuivent si généreusement la sainteté dans le siècle, désireux en même temps de rendre possible un sage et sérieux discernement entre ces sociétés et voulant que celles-là seulement soient reconnues comme véritables Instituts, qui professent authentiquement et pleinement la vie de perfection ; afin que soient évités les dangers inhérents à l'érection trop multipliée d'Instituts toujours nouveaux — comme en effet il s'en érige souvent sans prudence et à la légère ; afin que, par ailleurs, les Instituts qui méritent d'être approuvés reçoivent le statut juridique spécial qui répond exactement et pleinement à leur nature, à leurs fins et aux circonstances, Nous avons projeté et décidé de faire pour les Instituts séculiers cela même que Notre prédécesseur d'immortelle mémoire Léon XIII a fait avec tant de prudence pour les Congrégations à voeux simples, par la Constitution apostolique Conditae a Christo 16.

C'est pourquoi Nous approuvons par les présentes lettres le statut général des Instituts séculiers que la Suprême S. Congrégation du Saint-Office a diligemment examiné pour sa part de compétence et que la S. Congrégation des Religieux a composé et revu avec soin, selon Notre ordre et sous Notre direction. Et en vertu de Notre autorité apostolique Nous édictons, décrétons et établissons toutes les dispositions qui suivent.

Quant à leur exécution, Nous députons la S. Congrégation des Religieux, en la munissant de toutes les facultés nécessaires et utiles.

16 Cf. Léon XIII, Acta, vol. XX, p. 317-327.



Pie XII 1947 - AU PATRICIAT ET A LA NOBLESSE DE ROME