Pie XII 1947 - DISCOURS EN ALLEMAND1


DISCOURS EN FRANÇAIS14

Nicolas de Flue, disions-Nous, personnifie en lui de façon admirable l'accord de la liberté naturelle et terrestre avec la liberté céleste et surnaturelle. En cela, précisément, consiste la parfaite unité de sa vie apparemment si multiple et si diverse. Et voilà comment, Suisse authentique du XVe siècle et par son éducation, par sa vie, par son caractère, homme du moyen âge, il est pourtant digne d'être proposé en exemple et en modèle à tous les chrétiens et en particulier aux hommes de notre temps.

On entend souvent identifier moyen âge et civilisation catholique. L'assimilation n'est pas tout à fait exacte. La vie d'un peuple, d'une nation, se meut dans un domaine fort varié qui déborde celui de l'activité proprement religieuse. Dès lors que, dans toute l'étendue de ce vaste domaine, une société respectueuse des droits de Dieu s'interdit de franchir les limites marquées par la doctrine et la morale de l'Eglise, elle peut légitimement se dire chrétienne et catholique. Aucune culture ne saurait se donner en bloc comme spécifiquement telle ; pas même la culture médiévale ; sans compter que celle-ci suivait une évolution continue et que, précisément à cette époque, elle s'enrichissait par l'afflux d'un nouveau et puissant courant de culture antique.

Cette réserve faite, il est juste de reconnaître au moyen âge et à sa mentalité une note vraiment catholique : la certitude indiscutable que la religion et la vie forment, dans l'unité, un tout indissoluble. Sans déserter le monde, sans perdre le vrai sens de la vie, il ordonne toute l'existence humaine vers un objectif unique : ('adhaerere Deo, le prope Deum esse (Ps. LXXII, 28), vers la prise de contact avec Dieu, vers l'amitié de Dieu, convaincu qu'il ne saurait y avoir hors de là nulle paix solide, ni pour le coeur de l'homme, ni pour la société, ni pour la communauté des peuples.

Actualité de saint Nicolas.

Qu'il soit difficile de parvenir à une fin si haute, c'est évident, et le moyen âge ne se faisait, à cet égard, aucune illusion. Nicolas de Flue, lui, a su pourtant l'atteindre, réalisant en sa personne cette synthèse de la religion et de la vie. Cela lui est commun, sans doute, avec tous les autres saints. Mais ce qui frappe particulièrement en lui, c'est sa providentielle actualité. Il est de ceux qui, intimement mêlés aux réalités concrètes de leur temps, étaient cependant tellement unis à Dieu que l'Eglise les a élevés à la gloire des autels. Fut-il jamais citoyen plus attaché à son pays natal, époux plus affectueux, père de famille nombreuse plus diligent dans l'éducation des enfants, homme public plus soucieux des intérêts de sa patrie ? Et c'est dans la pratique de toutes ces vertus domestiques, civiques, sociales, autant que par les austérités de sa vie érémitique, que Nicolas, gravissant à pas de géant les rampes escarpées qui conduisent au sommet de l'amour et de la perfection, s'est montré, par le rayonnement de la ressemblance divine, l'ami de Dieu que, si ardemment, il voulait être.

Saisissez-vous, chers fils et chères filles, la terrible gravité de l'heure présente et la poignante antithèse dont elle nous donne le spectacle ? D'un côté, nous qui célébrons la gloire des saints du moyen âge, des saints qui ont réalisé en eux-mêmes, dans l'unité de la religion et de la vie, la « dévotion à Dieu » ; de l'autre, au pôle opposé, une trop grande partie de l'univers réalisant la « dévotion au monde », l'idolâtrie du monde jusqu'à la négation de Dieu, jusqu'à la profession de l'athéisme le plus absolu.

Quelle sera pratiquement la solution en ce qui vous concerne, vous qui vivez au milieu de ce bouleversement des plus hautes valeurs spirituelles et morales ? Un retour au moyen âge ? Personne n'y songe ! Mais un retour, oui, à cette synthèse de la religion et de la vie. Elle n'est point un monopole du moyen âge : dépassant infiniment toutes les contingences des temps, elle est toujours actuelle, parce qu'elle est la clé de voûte indispensable de toute civilisation, l'âme dont toute culture doit vivre, sous peine de se détruire de ses propres mains, de rouler dans l'abîme de l'humaine malice qui s'ouvre sous ses pas dès qu'elle commence, par l'apostasie, à se détourner de Dieu.

La conclusion pour vous s'impose : que chacun et chacune, en ce moment, s'engagent à faire de sa vie personnelle un hommage permanent d'adoration et de dévouement au service de Dieu, à user

de tous les moyens à sa portée pour remettre ceux qui l'entourent sur le chemin qui conduit à Dieu et à la restauration en eux de cette unité. Que saint Nicolas soit le témoin de vos engagements et votre protecteur pour y demeurer fidèles !


DISCOURS EN ITALIEN15

Nicolas de Flue est votre saint, chers fils et filles, non seulement parce qu'il a sauvé la Confédération en un moment de profonde crise, mais encore parce qu'il a tracé pour votre pays les grandes lignes d'une politique chrétienne18. Vous les connaissez ; elles peuvent se résumer dans les points suivants :

Protégez la patrie contre toute agression injuste. Seulement dans ce cas, pour une guerre défensive, empoignez vigoureusement les armes.

Ne faites aucune politique d'expansion : «• Liebe Freunde, conseillait-il à ses compatriotes, macht den Zaun nicht zu weit, damit ihr desto besser in Freiheit, Ruhe und Einigkeit verbleiben kônnt. Chers amis, n'élargissez pas trop la frontière de la Confédération, afin que vous puissiez d'autant mieux rester dans la liberté, la tranquillité et l'union. Pourquoi vous laisseriez-vous gagner par l'envie de guerroyer ? »

Ne mettez pas en péril la patrie, en la précipitant inconsidérément dans la mer orageuse de la politique extérieure et en l'impliquant dans les luttes des grandes puissances.

Maintenez hauts la moralité du peuple et le respect envers l'autorité établie par Dieu.

Conservez l'unité et la fraternité : évitez l'envie, la haine, la rancoeur et l'esprit de parti. On dirait aujourd'hui : que les rivalités nées de la concurrence n'empoisonnent pas la vie économique, et que la lutte de classes et la prédominance oppressive d'un parti ne troublent pas la vie sociale. Que régnent, au contraire, la justice et l'amour, lesquels assurent à tous ceux qui utilisent toutes leurs forces avec bonne volonté une vie tranquille et digne.

Vous savez, chers fils et filles de la Suisse — et peut-être aucun siècle de votre histoire nationale n'en a fait une expérience aussi vivante que le siècle présent, — quelle plénitude de biens ces exhortations ont signifiée et signifient pour votre peuple.

16 Durrer, B. I, p. 209 ; B. II, pp. 846, 982 s.

La paix vient de Dieu.

Cependant, si en ces jours de glorification de votre saint, vous rappelez à votre esprit les deux horribles guerres mondiales dont l'incendie a entouré, mais non franchi, les frontières de la libre Suisse, si, disons-Nous, vous levez un regard plein de reconnaissance vers Nicolas de Flue, n'oubliez pas, bien plus, gravez profondément en vous la pensée que ces principes fondamentaux de votre Confédération n'ont de vie et de force que s'ils sont élevés à une plus grande hauteur par la sage maxime de l'ermite du Ranft : la paix est toujours en Dieu ; Dieu c'est la paix. Par-dessus tout, ayez Dieu devant vos yeux et observez courageusement ses commandements. Demeurez fermes dans la foi et dans la religion de vos pères !

La paix est seulement en Dieu. Ces paroles du saint à ses compatriotes ont une valeur universelle, comme aussi — sauf quelques exceptions — ses autres avertissements pour le bien de la patrie. Si le monde d'aujourd'hui sans paix revient à Dieu, il trouvera la paix ; seuls, les hommes qui courbent le front devant Dieu sont à même de donner au monde une paix vraie, juste et durable.

Puisse le saint, amant de la paix, Liebhaber des Friedens, ainsi que l'appelèrent, de son vivant même, le bailli et le conseil de la cité de Soleure17, intercéder auprès du trône de Dieu, afin que vous puissiez conserver le précieux bien de la paix et que ce bien soit accordé au monde entier.

Avec ce voeu et comme gage de la grâce surabondante et de l'amour de Jésus-Christ qui combleront vos âmes et vous rendront de dignes et aptes témoins et promoteurs de son règne dans votre patrie, tout en vous exprimant Notre vive gratitude pour vos généreuses offrandes par lesquelles le vénérable épiscopat, le zélé clergé, les ordres et congrégations religieuses et le cher peuple suisse ont voulu Nous seconder dans Notre oeuvre d'assistance et de charité, Nous vous donnons à vous tous, avec effusion de coeur, Notre paternelle Bénédiction apostolique 18.

" Durrer, B. I, p. 116.

18 Etaient présents LL. EE. Nosseigneurs Christian Caminada, évêque de Coire ; François von Streng, évêque de Baie ; François Charrière, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg ; Victor Bieler, évêque de Sion ; Angelo Giuseppe Jelmini, administrateur apostolique de Lugano ; Louis Haller, abbé de St-Maurice d'Agaune. L'évêque de St-Gall, malade, était représenté par Mgr Albert Oesch. On a noté aussi la présence de M. Enrico Celio, vice-président de la Confédération helvétique, et de Mme Etter, l'épouse du président, ainsi que des délégués officiels des gouvernements des cantons catholiques d'Obwald, Nidwald, Uri, Schwyz, Lucerne, Zug, Fribourg, Valais, Appenzell Rhodes intérieures et Tessin.


LETTRE A S. EXC. MONSEIGNEUR JOSEPH CHARBONNEAU ARCHEVÊQUE DE MONTRÉAL A L'OCCASION DU CONGRÈS DE LA J. O. C.

(24 mai 1947) 1

A l'approche de l'ouverture d'un congrès et d'une semaine d'études organisés à Montréal par la Jeunesse ouvrière chrétienne canadienne et internationale, le Souverain Pontife a tenu à encourager ces assises en une lettre adressée à S. Exc. Mgr Joseph Charbonneau, archevêque de Montréal, dont voici le texte original :

Dans quelques semaines, votre capitale accueillera de nombreux jeunes travailleurs, venus de tous les points du Canada, et rassemblés sous le signe du Christ Jésus, pour célébrer ensemble un Congrès national de la Jeunesse ouvrière chrétienne du Canada. A cette occasion, élargissant leur horizon, ces chers jeunes gens tiendront une Semaine d'études, à laquelle ils convient leurs frères des Amériques et de tous les pays, voulant montrer par là la fraternité spirituelle qui unit toute la jeunesse du monde du travail, sous quelques cieux qu'elle milite, comme aussi l'unité et la coordination des moyens d'apostolat mis en oeuvre, pour rendre à tant d'âmes matérialisées leur dignité et leur liberté d'enfants de Dieu.

C'est là un événement d'importance, dont le Père commun des fidèles ne pouvait se désintéresser. Déjà, à la veille de cette guerre dévastatrice, Il s'apprêtait à recevoir dans la Ville éternelle des légions de jeunes travailleurs chrétiens, et à leur réserver le plus paternel accueil. En attendant que les circonstances mondiales permettent à nouveau de réaliser ce projet, c'est avec joie qu'il profite


CONGRÈS DE LA J. O. C.

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de l'occasion de ces prochaines assises canadiennes pour leur renouveler, par votre bienveillant intermédiaire, ses exhortations et ses encouragements. La place qu'ils occupent dans la grande famille catholique est bien digne en effet d'une particulière considération. N'ont-ils pas, plus encore que d'autres, besoin d'aide et de réconfort, comme prenant une part plus grande, de par leur état, à la peine des hommes, et comme étant exposés aussi à plus de dangers ? Et sera-t-on surpris, dès lors, que le Vicaire de Jésus-Christ réserve, dans son coeur, une place de choix à ces chers enfants ? Nous vous prions donc de leur faire savoir ou plutôt de leur redire — car Nous leur en avons déjà donné mainte preuve — que Nous les chérissons d'un amour de prédilection et qu'ils sont tout spécialement l'objet de Nos prières et sollicitudes pastorales.

Le Congrès de Montréal leur fournira aussi l'occasion de réfléchir à nouveau sur les grands principes, qui doivent guider leur formation et leur zèle. A la base, une solide connaissance des vérités de la foi, que leurs cercles d'études approfondiront et fortifieront en eux : car des aspirations, si généreuses fussent-elles, sans la lumière de la doctrine révélée, ne seraient que feux de paille ou illusions ; une pratique loyale de la morale chrétienne, alimentée par la fréquentation des sacrements, où la grâce divine est puisée à sa source ; un grand attachement à l'Eglise, columna veritatis (1Tm 3,15), par le moyen de la hiérarchie, en qui réside l'autorité même de Notre Seigneur Jésus-Christ. Telles sont les conditions essentielles de toute véritable Action catholique, par laquelle les laïques ont à exercer eux-mêmes, comme dit saint Pierre dans une métaphore inspirée, un sacerdoce royal. Les jeunes travailleurs, les jeunes travailleuses y sont spécialement appelés. Notre prédécesseur Pie XI, d'heureuse mémoire, ne disait-il pas, dans sa célèbre encyclique Quadragesimo anno, que « les apôtres des ouvriers seront les ouvriers » ? C'est ce qu'a si bien compris le grand mouvement de la Jeunesse ouvrière chrétienne et les résultats, dont pourra faire état le Congrès de Montréal, après une période déjà riche d'expériences, seront la preuve la plus convaincante de cet apostolat.

Mais Nous savons aussi que les problèmes se posent désormais, non seulement localement, mais souvent, comme on l'a dit, à l'échelle mondiale. Les barrières tendent, grâce à Dieu, à s'abaisser entre pays et même entre continents, par où s'affirme davantage l'unité du genre humain. Et le progrès des techniques vient à son tour favoriser de plus en plus l'interpénétration des peuples. On comprend dès lors que même les questions se référant à l'apostolat soient à envisager sous l'angle international. Le front du travail, en particulier, qui tend à s'instaurer partout depuis la guerre, comporte des aspects d'ordre spirituel qui veulent aussi être abordés avec les mêmes soucis d'universalité. Aussi n'est-il pas indifférent que le Congrès et la Semaine d'études jocistes de Montréal, avec la participation de tant de délégations étrangères, se préoccupent d'assurer à la Jeunesse ouvrière chrétienne, dans tous les pays où elle est établie, une unité de méthode et d'action, tout en sauvegardant, bien entendu, les règles institutionnelles et les traditions imprescriptibles de l'Eglise. Nul doute alors que la solution de ce problème ne puisse et ne doive être trouvée. Nous comptions pour cela sur la sagesse et la perspicacité des chefs formés par la Jeunesse ouvrière chrétienne, sur la profondeur de leur sens chrétien, en même temps que sur les directives appropriées de la hiérarchie. Nul doute enfin que, si bien intentionnés, les membres du Congrès de Montréal n'accomplissent, sous votre égide éclairée, un excellent travail, que le Seigneur ne manquera pas de féconder de ses lumières et de ses énergies divines.

Nous attendons donc beaucoup de ces journées canadiennes, qui seront d'un grand exemple pour les sections jocistes de tous pays. Encore une fois, Nous Nous réjouissons vivement des saintes victoires que ce mouvement a déjà remportées partout ; Nous en félicitons de tout cceur son fondateur, ses dirigeants, ses aumôniers, et Nous faisons passer, par vos mains empressées, à l'intention de cette portion choisie du troupeau du Christ Jésus, comme gage des meilleures faveurs célestes, Notre apostolique Bénédiction.


ALLOCUTION AUX DÉLÉGUÉS AMÉRICAINS AU CONGRÈS DE L'UNION POSTALE

(31 mai 1947) 1

Recevant en audience privée les délégués américains au Congrès international de l'Union postale de Paris, c'est-à-dire M. Bernard F. Dickmann, alors syndic de Saint-Louis dans le Missouri, et M. Frank Pace, chef de la délégation accompagné de quelques personnes de sa suite, le Saint-Père s'adressa aux distingués visiteurs en ces termes :

Quand Nous parvint de Paris la demande de recevoir en audience la délégation américaine au Congrès postal international, Nous fûmes très heureux de répondre immédiatement que Nous étions disposés à la recevoir. Vous voici et Nous vous assurons ainsi qu'à tous les membres de votre groupe que Nous vous souhaitons avec joie la bienvenue.

Nous suivons avec un intérêt particulier tout congrès international. Il signifie en effet la démolition de barrières inutiles et un effort d'union entre les nations. C'est donc « un but à souhaiter vivement » 2. Nous espérons que vos plans et vos résolutions soient aptes à poursuivre les intérêts les plus nobles et les plus vitaux de l'humanité. Vous vous occupez des grandes voies de communication. Le long de ces voies, l'esprit du mal aussi bien que l'ange de pureté, de justice, et les vertus ancestrales peut se déplacer. Un congrès comme celui que vous venez de tenir doit apporter sa contribution pour promouvoir le progrès spirituel des peuples et par là une paix stable. Puisse-t-il y réussir !

Avec une paternelle affection, Nous invoquons sur vous et sur tous ceux qui vous sont chers et sur ceux que vous représentez ici, les meilleures bénédictions célestes.


ALLOCUTION AUX DÉLÉGUÉS DE LA CROIX-ROUGE AMÉRICAINE

(31 mai 1947)1

Durant la même matinée du 31 mai, Sa Sainteté admettait en audience privée les délégués de la Croix-Rouge américaine au Congrès de l'Union postale. A ces dirigeants très méritants, le Saint-Père adressa les paroles suivantes :

C'est une joie pour Nous que l'honorable président de la Croix-Rouge américaine et ses distingués collaborateurs aient pu venir à Rome et prendre immédiatement un contact personnel avec le Saint-Siège. Le Saint-Siège, traditionnellement un centre de charité et de bonté pour toute l'humanité, est aujourd'hui chargé d'un fardeau incroyable : il a la tâche difficile d'étendre ses secours aussi loin que possible, avec l'aide de la Providence divine, à des indigents innombrables et tout particulièrement dans les pays dévastés et ruinés par la guerre en Europe. Nous sommes heureux de pouvoir dire qu'en réalisant cette oeuvre de charité chrétienne le Saint-Siège a, durant ces dernières années, reçu une collaboration efficace de la Croix-Rouge américaine.

Si Nous pouvions exprimer une pensée qui ne Nous quitte pas et que vous pouvez rapporter aux membres de votre organisation aux Etats-Unis, c'est celle-ci : durant ses nombreuses années d'existence, la Croix-Rouge américaine a gagné une réputation méritée, entre autre pour l'organisation des secours prompts et efficaces à l'occasion des grandes calamités naturelles. Aux communautés souffrantes, paralysées par les flots, les incendies, les tremblements de terre ou autres catastrophes, vos travailleurs volontaires ont apporté des secours immédiats, une organisation éprouvée et la possibilité

de reconstruire et de revivre. Vous avez trouvé le moyen de mobiliser rapidement les puissantes forces de la collaboration humaine.

Mais les désastres qui, aujourd'hui, réclament votre aide ne sont pas provoqués par les forces aveugles de la nature. Ils sont le résultat des erreurs de l'homme lui-même, le fruit amer du péché, la conséquence terrible de ses désobéissances à la loi de Dieu et son refus d'écouter la voix si éloquente de l'amour de Dieu, Rédempteur compatissant. Les cendres du feu matériel sont rapidement éteintes, les flots de l'inondation matérielle reculent aisément, mais le feu des inimitiés humaines et le flot des dévastations spirituelles persistent longtemps et ajoutent leur poids au fardeau de la misère générale.

Pour le succès complet de vos travaux, il est donc essentiel que vous gardiez devant l'esprit le but dernier de toute oeuvre de secours, qui ne consiste pas seulement à atténuer les souffrances physiques, mais, grâce aux secours matériels, à favoriser la vie spirituelle de l'homme, à rendre possible aux familles, aux parents comme aux enfants, la délivrance de conditions de vie qui empêchent l'exercice des vertus qui créent un foyer sain et une société civile normale, qui tentent de bannir le désespoir et qui élèvent les coeurs vers le Créateur céleste, l'auteur et la fin de toute vie. Telle est l'aide indispensable qu'il faut apporter en vue de la restauration de la paix.

Le maintien dans votre organisation de tels buts élevés et spirituels vous préservera de toutes les erreurs matérialistes contemporaines et vous invitera, vous et vos collaborateurs, à faire toujours de plus grands sacrifices. Sur vous et sur ceux qui vous sont chers, sur vos collaborateurs et sur l'oeuvre de charité chrétienne que la Croix-rouge américaine pourra réaliser, Nous demandons la Bénédiction de Dieu.


ALLOCUTION AU SACRÉ COLLÈGE POUR LA FÊTE DE SAINT EUGÈNE

(2 juin 1947)1

A l'occasion de la fête de saint Eugène, patron du Pape, Son Em. le cardinal Granito Pignatelli di Belmonte, doyen du Sacré Collège, entouré de dix-sept cardinaux, a offert au Saint-Père les voeux du Sacré Collège et loué particulièrement l'admirable oeuvre de charité accomplie par Pie Xli dans le monde entier. Celui-ci a répondu par l'allocution suivante dans laquelle il dresse un tableau de la situation du monde deux ans après la guerre et donne aux catholiques les consignes d'action que cette situation exige.

L'ANNÉE 1947

Une fois de plus, le retour de la fête de Notre saint prédécesseur et céleste patron Nous offre l'occasion d'aborder un peu avec vous, Vénérables Frères, les importantes questions que soulèvent les graves événements de l'heure présente, ainsi que les dangers qui menacent le monde entier. Que cet épanchement cordial de Notre âme et la réciprocité des pensées et des sentiments, dont votre vénéré doyen Nous a donné un si agréable témoignage, soient pour chacun de vous, Nos conseillers intimes et fidèles collaborateurs, et pour Nous également, un stimulant à poursuivre avec un renouveau de confiance, un redoublement d'énergie, un serein abandon, cette oeuvre d'apostolat qui, aujourd'hui plus que jamais, pèse sur les ouvriers de la vigne du Seigneur, sur tous les ministres du sanctuaire.

L'année 1947 ! Quel jugement porteront sur elle les siècles a venir ? La voici bientôt parvenue à la moitié de sa course, et jusqu'à

maintenant, jusqu'au moment où Nous vous parlons, qu'a-t-elle apporté d'autre au monde que l'antithèse apparemment inconciliable entre la terrible accumulation des problèmes à résoudre, où l'on s'enfonce et l'on s'embarrasse, et l'humiliante insuffisance de leurs solutions ?

Le verdict de l'histoire correspondra aux résultats qui sortiront des faits et des échanges de vues durant les mois de l'année qui restent à s'écouler.

Les générations futures la béniront ou la maudiront selon qu'elle représentera pour la grande famille humaine un point de départ vers le réveil du sentiment de fraternité, s'actualisant dans une organisation du droit et de la paix digne de l'homme, utile à tous et supportable par tous ; ou au contraire, une décadence progressive vers ces marécages stagnants de la discorde et de la violence, dont la fange ne peut exhaler que les miasmes méphitiques et délétères de nouvelles et incalculables calamités.


LA SÉCURITÉ

Les blessures occasionnées par la guerre ne sont pas encore cicatrisées ; quelques-unes même se sont plutôt approfondies et irritées.

A-t-on jamais autant parlé de sécurité générale, qui aurait dû être le fruit de la victoire ? Mais où est-elle ? Se sont-elles évanouies, se sont-elles au moins atténuées, l'impression de l'incertitude, la peur de la guerre ? Si l'on considère les choses dans leur réalité, il faut reconnaître qu'il n'est pas possible, même avec les meilleures intentions, de faire régner d'emblée cette sécurité vers laquelle l'humanité aspire si ardemment. Mais alors, de grâce, qu'on ne prenne pas ces mesures d'après-guerre et de temps de paix, qui n'ont rien à voir avec la punition des criminels de guerre, mais suscitent les plus amères désillusions, spécialement chez les irresponsables des fautes commises par les régimes passés, qui furent même persécutés et opprimés par ceux-ci ! Ou bien, pense-t-on peut-être parvenir à édifier la sécurité générale en accumulant dans ses fondements de vastes ruines, pas seulement matérielles, mais atteignant aussi l'humanité vivante ? Comment pourrait-elle se sentir en sécurité, une Europe dont les membres seraient en proie au désespoir et au découragement, obscures et lugubres puissances de désagrégation, dont abuseront facilement les séducteurs de demain, comme l'ont fait ceux d'hier ?

Nous ne connaissons que trop l'étendue et la gravité des horreurs sans nom, par lesquelles un régime vaincu couvrit de désolation la face de l'Europe, et Nous ne voulons pas diminuer l'accumulation de ses fautes. Mais comment les peuples vainqueurs pourraient-ils adopter à leur tour ou tolérer les méthodes de haine et de violence dont vécut et se servit ce régime, employer les armes dont l'usage en d'autres mains souleva leur juste indignation ? Et quel homme sensé voudrait jamais chercher dans la ruine et la misère d'un voisin une garantie pour sa propre sécurité et stabilité ?

C'est pourquoi, encore une fois, Nous voudrions exhorter et avertir les peuples : la sécurité, pour autant qu'il est possible de l'atteindre ici-bas, ne peut avoir d'autre base solide que la santé physique et morale du peuple, le bon ordre public à l'intérieur et, à l'extérieur, les relations normales de bon voisinage. Or, ces relations normales, même après la seconde guerre mondiale, il est toujours possible de les renouer. Puissent les gouvernants des Etats ne pas laisser échapper cette occasion ; elle pourrait (à Dieu ne plaise !) être la dernière.


LA PROSPÉRITÉ

On a tant parlé d'une prospérité universelle, qui aurait dû également venir à maturité comme fruit de la victoire. Où est-elle ? Sans doute, il y a des pays où les machines tournent d'un rythme rapide et travaillent sans interruption, à plein rendement. Production, surproduction ! C'est la clef d'or de Sésame, le secret pour effacer jusqu'aux derniers vestiges les méfaits de la guerre, pour combler tous les gouffres qu'elle a creusés. Mais la prospérité des nations ne peut être ferme et assurée, si elle n'est pas le sort commun de toutes. Aussi n'est-il pas exclu que l'inertie et l'impossibilité des échanges auxquels se voient contraints certains peuples, n'entraînent avec elles, avant qu'il soit longtemps, crises économiques et chômage même chez les autres.

LA LIBERTÉ

On a tant parlé encore de l'établissement de la liberté, qui serait un autre fruit exquis de la victoire, liberté triomphante sur l'arbitraire et la violence. Mais elle ne peut fleurir que là où le droit et la loi gouvernent et assurent efficacement le respect de la dignité des individus aussi bien que des peuples. En attendant, le monde doit encore attendre, réclamer que le droit et la loi créent des conditions stables pour les hommes et pour les sociétés; en attendant, des millions d'êtres humains continuent à vivre sous l'oppression et l'arbitraire. Rien n'est sûr pour eux : ni le gîte, ni les biens, ni la liberté, ni l'honneur ; et ainsi s'éteint dans leur coeur le dernier rayon de sérénité, la dernière étincelle d'ardeur.

Nous adressant, dans Notre message de Noël 1944, à un monde tout enthousiaste de la démocratie et désireux d'en être le champion et le propagateur, Nous Nous efforcions d'exposer les principaux postulats moraux d'un ordre démocratique qui soit juste et sain. Beaucoup craignent aujourd'hui que la confiance en cet ordre ne soit affaiblie par le contraste choquant entre la « démocratie en paroles » et la réalité concrète.

Si Nous élevons en ce moment Notre voix, ce n'est pas pour décourager les multiples bonnes volontés, qui se sont déjà mises à l'oeuvre, ni déprécier ce qui a été obtenu jusqu'ici, mais seulement par le désir de contribuer, autant qu'il est en Nous, à un progrès de la situation présente. Il n'est pas trop tard, encore aujourd'hui, pour que les peuples de la terre puissent d'un commun et loyal effort réaliser les conditions indispensables tant à la vraie sécurité et à la prospérité générale, ou du moins à l'établissement d'un mode de vivre tolérable, qu'à une bienfaisante organisation de la liberté.


LA JEUNESSE

Un intérêt primordial rend nécessaire cet effort commun : c'est le bien de la jeunesse et de la famille.

L'Eglise, tendre mère, n'est pas la seule à craindre pour le sort de la jeunesse. Dans quelques pays, les nouvelles générations souffrent, tant les adolescents que les enfants, de langueur, d'anémie physique et spirituelle, occasionnées par la pauvreté matérielle avec tout son cortège de misères, d'insuffisance ou même d'absence complète de la vie de famille, du manque d'éducation et d'instruction, ou peut-être enfin de longues années de prison ou d'exil. Chez les peuples, au contraire, qui vivent dans de meilleures conditions, des périls d'un autre genre — conséquences souvent d'un excès de bien-être et de plaisir — menacent — et combien plus tristement ! — la santé physique et morale des jeunes. Mais voici qui est plus grave encore et rend le mal plus difficilement guérissable : la crise généraie, en se prolongeant indéfiniment, par les troubles qu'elle provoque, par l'incertitude du lendemain qu'elle apporte fatalement, sème dans le coeur de la jeunesse grandissante la défiance envers les plus âgés, qu'elle rend responsables de tous les maux qu'elle souffre, le scepticisme vis-à-vis de tous les principes et de toutes les valeurs que ces derniers ont tant exaltés et qu'ils leur ont transmis.

Il y a grand danger que d'innombrables jeunes gens, intoxiqués par ces ferments malsains, ne finissent par tomber dans un nihilisme absolu. Malheur aux peuples le jour où dans l'âme de la jeunesse vient à s'éteindre le feu sacré de la foi, de l'idéal, de la promptitude au sacrifice, de l'esprit de générosité ! Pour peu que dure un tel état de choses, quelle pourra devenir leur destinée ?


LA FAMILLE

Dans un pareil état de précarité et d'incertitude qui tend à se perpétuer, quel peut être aussi le sort de la famille, de cette pépinière naturelle et de cette école, où grandit et se prépare l'homme de demain ? De navrantes nouvelles Nous arrivent des territoires les plus éprouvés sur la misère de la famille, de la jeunesse, de la femme. Spécialement tragique est la condition de ces foyers — si on peut encore donner ce nom à ces groupes errants — sur lesquels la fidélité des époux à la loi de Dieu avait attiré la bénédiction d'une riche couronne d'enfants. Après avoir bien souvent payé, et plus que d'autres, leur tribut de sang durant la guerre, ils doivent supporter aujourd'hui plus particulièrement les conséquences de la pénurie générale d'habitations et de vivres. Dieu, certes, ne manque pas à sa parole, comme l'insinuent les ricanements des égoïstes et des jouisseurs ; mais l'incompréhension, la dureté, le mauvais vouloir d'autrui rendent la vie pesante et presque insupportable aux héros du devoir conjugal. Seul, en effet, un véritable héroïsme, soutenu par la grâce divine, peut maintenir dans le coeur des jeunes époux le désir et la joie d'une nombreuse progéniture. Mais quelle humiliation pour le monde d'être tombé si bas, dans un état social si contraire à la nature !

Devant Dieu, devant la douloureuse vérité, Nous appelons de toutes Nos forces un prompt remède, et Nous avons la confiance que Notre cri d'angoisse résonnera jusqu'aux extrémités du monde, qu'il trouvera un écho dans l'âme de ceux qui, préposés au bien public, ne peuvent ignorer que, sans une famille saine et vigoureuse,

un peuple et une nation sont perdus. Rien peut-être n'exige avec autant d'urgence la pacification du monde que la misère indicible de la famille et de la femme !


NE CRAIGNEZ PAS!

Quelle est pourtant la réalité ? Qui oserait affirmer que les deux années écoulées depuis la cessation des hostilités aient marqué de notables pas en avant sur la route de la restauration et du progrès social ?

A voir se succéder les conférences sans résultat, se prolonger la série des tractations interrompues ou différées, les peuples, amèrement déçus dans leur désir d'ordre, de paix et de reconstruction, finissent par perdre courage et patience.

Nous ne voulons pas lancer d'accusations. Nous avons devant les yeux une fin plus élevée que de porter un jugement sur le passé ; Nous visons à prévenir de nouveaux et plus graves malheurs dans un avenir plus ou moins lointain.

En un temps de profond bouleversement des esprits et d'événements déconcertants, Nous plaçons toute Notre confiance en Dieu, Père de Notre Seigneur Jésus-Christ et Seigneur des puissants (2Co 1,3 1Tm 6,15), et, après Dieu, dans les fidèles du monde entier. C'est pourquoi Nous leur adressons les paroles que le divin Maître répétait à ses disciples : Ne craignez pas !

S'il y a aujourd'hui quelque chose qui doit faire peur, c'est la peur elle-même. Il n'y a pas de pire conseillère, surtout dans les circonstances présentes. Elle ne sert qu'à donner le vertige, à aveugler, à éloigner de la route droite et sûre de la vérité et de la justice.

De faux prophètes sans scrupules propagent par la ruse et la violence des conceptions du monde et de l'Etat contraires à l'ordre naturel, antichrétiennes et athées, et comme celles condamnées par l'Eglise, spécialement dans l'encyclique Quadragesimo anno, de Notre grand prédécesseur Pie XI. Ni les difficultés du moment, ni le feu croisé de ces propagandes ne doivent nous effrayer ou nous égarer.

La peur, honteuse d'elle-même, excelle dans le travestissement. Parfois, elle se cache sous l'habit mensonger d'un soi-disant amour chrétien envers les opprimés ; comme si les peuples souffrants pouvaient tirer avantage des erreurs et des préjudices, de la tactique démagogique et de promesses qui ne pourront jamais être tenues !

D'autres fois, elle se voile sous les apparences de la prudence

n chrétienne, et avec ce prétexte reste muette, quand le devoir exigerait de dire aux riches et aux puissants un intrépide Non licet, de les prévenir ouvertement : il n'est pas permis, pour satisfaire la passion du lucre ou de la domination, de quitter la ligne inflexible des principes chrétiens, fondement de la vie sociale et politique, rappelés par l'Eglise à maintes reprises et avec toute la clarté voulue aux hommes de notre temps. A vous surtout s'adresse l'invite de collaborer sans réserve à l'avènement d'un ordre public, qui réalise, au point le plus haut possible, une saine économie et la justice sociale, de manière à enlever aux profiteurs des luttes de classes la possibilité d'appâter les déçus et les déshérités de ce monde, en leur dépeignant la foi chrétienne et l'Eglise catholique sous les traits non d'une alliée mais une ennemie.

Par une disposition de la divine Providence, l'Eglise catholique a élaboré et promulgué sa doctrine sociale. Elle indique la route à suivre, et aucune crainte de perdre biens ou avantages temporels, d'apparaître moins attachés à la civilisation moderne, moins patriotes ou moins sociaux, ne pourrait autoriser les vrais chrétiens à s'écarter, même d'un seul pas, de ce chemin.


Pie XII 1947 - DISCOURS EN ALLEMAND1