Pie XII 1949 - ASSOCIATIONS PATRONALES CATHOLIQUES


LETTRE A S. EXC. MGR GIOVANNI PERELLO POU

Evêque de Vich à propos du centenaire de la mort de l'abbé Jacques Balmès

(8 mai 1949) 1

Depuis les débuts de l'Eglise, la doctrine catholique a rencontré des adversaires acharnés qui n'hésitèrent pas à l'attaquer et à la mettre en danger sans aucun respect pour les dogmes ou les institutions chrétiennes. Toujours on vit des hommes sages pour engager la lutte contre ces maîtres d'erreurs et de mensonges : ce sont les apologistes qui, sous le contrôle de la Foi surent employer les arguments de la science humaine afin de conserver fidèlement le trésor de la Révélation chrétienne.

Parmi ceux-là une place d'honneur doit être laissée à un homme illustre de la ville de Vich, le prêtre Jacques Balmès 2 qui, en ces derniers temps, soutenu par une solide piété et les vertus sacerdotales, se fit le vengeur jaloux et intrépide de l'autorité de l'Eglise et du Vicaire du Christ contre leurs ennemis. Consacrant l'apostolat de sa vie aux personnes cultivées non encore chrétiennes, afin de les gagner au Christ, il prêcha avec courage les doctrines, les commandements et les droits de l'Eglise, tant de vive voix que par ses célèbres écrits, en une claire exposition d'une vérité maintes fois repensée, sans dureté ni relâchement,

1 D'après le texte latin des A. A. S., XXXXI, 1949, p. 356.

3 Jacques Balmès est né à Vich, en Catalogne, en 1810; devenu prêtre, il publia un grand nombre d'ouvrages traitant des problèmes sociaux. Parmi ceux-ci citons : Considérations politiques sur la situation de l'Espagne ; Le Protestantisme comparé au Catholicisme dans ses rapports avec la civilisation européenne; L'art d'arriver au vrai; Philosophie élémentaire.

mais dans un suave esprit de charité. Le centième anniversaire de la mort de cet homme illustre étant arrivé, l'idée est née opportunément de rassembler dans sa ville natale, des savants de tous pays afin qu'on y discute, en présence de nombreuses compétences l'adaptation de la science apologétique aux nécessités de notre temps.

Ce ne seront pas en effet des points de peu d'importance qui seront traités en ce congrès à la fin de ce mois : entre autres il y sera question de l'unité du genre humain et de la dignité de la personne, quelle que soit sa race ou sa nation ; des droits de l'Eglise et de sa situation dans chaque pays ; des questions de justice sociale à éclairer et à résoudre suivant les préceptes et les documents ecclésiastiques ; de l'accord fraternel de tous les peuples et de leur collaboration féconde : tous problèmes intéressant non seulement l'intégrité et l'unité de l'Eglise mais aussi la prospérité de la société civile. La présence et la science de Notre très cher Fils le Cardinal Frédéric Tedeschini, que Nous avons apprise avec plaisir, augmentera certes le lustre et l'importance de cette réunion. C'est pourquoi Nous approuvons tous les projets concernant le Congrès Balmès et le recommandons de Notre autorité avec Nos voeux de réussite favorable. A notre époque surtout où les moyens de répandre les opinions, soit vraies, soit fausses, sont devenus si puissants et rapides pour le salut ou la perte des nations, les enfants de la lumière doivent être plus prudents encore que les enfants du siècle : qu'ils placent donc en pleine lumière les données de la sagesse chrétienne avec plus de soin et d'habileté que jamais. Comme Tertullien le disait en son temps, dans la cause chrétienne, la vérité « sait qu'elle est sur terre comme en voyage et qu'elle trouve facilement des ennemis tandis qu'au ciel elle a sa famille, son siège, sa beauté et sa dignité. Elle n'a qu'un souci : de ne pas condamner ceux qui l'ignorent » (Apolog. I).

Qu'elle vous assure donc les lumières célestes et vous soit le gage de Notre affection, cette Bénédiction apostolique que Nous vous accordons, Vénérable Frère, ainsi qu'à votre clergé, au peuple qui vous est confié ainsi qu'à tous les participants du prochain Congrès.

LETTRE AU R. P. KRAMER, SUPÉRIEUR GÉNÉRAL DES MISSIONNAIRES DU PRÉCIEUX SANG (10 mai 1949) 1

Pie IX institua le 10 mai 1849 la fête du Précieux Sang ; à l occasion du premier centenaire de cette fête, Pie XII écrivit la lettre que voici :

Il y aura bientôt un siècle que Notre Prédécesseur d'immortelle mémoire, Pie IX, a institué dans l'Eglise universelle la fête du Précieux Sang de Jésus-Christ, par un Décret de la S. Congrégation des Rites. Il est dès lors normal que votre Compagnie, auquel ce culte tient particulièrement à coeur, désire commémorer dignement cet événement, comme Nous l'avons appris par vos lettres 2.

Nous louons fortement votre projet, et Nous avons confiance que la célébration de ce centenaire vise spécialement à rappeler aux hommes, souvent oublieux des bienfaits dont Notre Sauveur nous a gratifiés en versant son sang, qu'ils doivent méditer cet amour infini d'une âme attentive et s'efforcent à l'appliquer à eux-mêmes. Que tous se souviennent que le prix divin de notre rédemption fut offert au Père éternel afin de nous délivrer de la captivité du démon et de nous restituer dans l'adoption des fils de Dieu, c'est pourquoi que chacun ayant détesté ses péchés, s'efforce de réparer pour sa part les injures faites à Notre Rédempteur et L'entoure d'un amour sans bornes, prouvé par les témoignages d'une vie menée à nouveau suivant les moeurs chré-tienines.

1 D'après le texte latin des A. A. S., XXXXI, 1949, p. 358.

2 Les Missionnaires du Précieux Sang ont été fondés en 1815 et sont actuellement au nombre de 700. Le Supérieur général réside à Rome, 49, Piazza dei Crociferi.

Puisque le Christ a sanctifié la douleur humaine en versant son sang, que tous apprennent donc à supporter d'un esprit apaisé et tourné vers le ciel, leurs épreuves et leurs misères se rappelant cette parole divine : « Celui qui me prend pas sa croix pour me suivre n'est pas digne de moi » (Matth. X, 38). Et, de même que notre Sauveur a voulu adoucir nos peines au milieu de ses supplices les plus affreux, apprenons donc à son exemple, à soulager les souffrances et les douleurs des autres en leur fournissant des remèdes et des consolations dans toute la mesure possible.

Voilà ce qu'enseigne le Sang très précieux de Jésus-Christ qu'il ne versa pas seulement autrefois par ses blessures mais qu'il offre encore aujourd'hui pour nous tous dans le sacrifice Eucharistique en hostie propitiatoire.

Méditez ces vérités d'une âme attentive, vous surtout dont l'Institut a pris le nom de ce culte, proposez-le en méditation à tous les autres chaque fois que l'occasion vous en est donnée, alors il est certain que la prochaine célébration du centenaire aura les fruits les plus salutaires.

Qu'elle en soit l'auspice ainsi que le témoignage de Notre bienveillance cette Bénédiction apostolique que Nous vous accordons volontiers cher fils ainsi qu'à tous les membres de votre famille religieuse.

LETTRE A S. EXC. MGR RENÉ JOSEPH PIÉRARD Evêque de Châlons à l'occasion du VIIIe centenaire de la consécration de la Cathédrale (14 mai 1949) 1

Nous ne sommes pas surpris que la vénérable église de Châlons ait à coeur de célébrer le VIII" centenaire d'un événement dont elle n'a pas cessé de tirer fierté et profit spirituel : à savoir la consécration de sa Cathédrale par Notre saint Prédécesseur Eugène III, en 1147. Si les longues suites de la dernière guerre n'ont pas permis de fêter ce jubilé à sa date exacte, vous n'aviez cependant rien de plus pressé, aussitôt réparées les brèches de cet auguste monument, que de procéder, comme vous le ferez ces jours prochains, à la commémoration d'un souverain acte liturgique, où vous voyez à bon droit les lettres de noblesse de votre Diocèse.

Il n'était pas indifférent, en effet, que le Vicaire de Jésus-Christ vînt en personne procéder à la consécration de cette cathédrale, dont les destinées devaient être, au cours des siècles, particulièrement illustres. C'était en des temps bien troublés : la Sainte Eglise connaissait de multiples épreuves et soucis, dont les menaces sacrilèges de l'Islam n'étaient pas les moindres. C'est donc en allant susciter l'élan des princes chrétiens en faveur d'une Croisade, si éloquemment prêchée par son ancien père spirituel Saint Bernard, qu'Eugène III, s'arrêtant à Châlons, oignit du

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CATHEDRALE DE CHALONS

saint Chrême les murs de votre cathédrale pour en faire la demeure consacrée au Christ, « Qui aime les Francs ».

Un tel événement ne laisse pas de comporter de hautes et salutaires leçons, que ce jubilé vous donnera l'occasion de tirer pour le plus grand bien de votre peuple : leçons d'inébranlable fidélité à une si noble vocation, leçons d'affectueux attachement à ce Siège de Pierre, d'où l'actuel Successeur d'Eugène III, comme lui profondément uni de coeur à la nation française, vous envoie, ainsi qu'à l'Eglise de Châlons, et à toute la France catholique, comme gage de paix et de prospérité spirituelle, la Bénédiction apostolique.

RADIOMESSAGE AU CONGRÈS EUCHARISTIQUE DU PÉROU (15 mai 1949) 1

A l'occasion du IV Congrès eucharistique national qui eut lieu en mai à Cuzco, le Pape adressa à Vassemblée de clôture le message 'que voici :

Pour la quatrième fois dans le bref délai de quelques années — Vénérables Frères et bien-aimés fils — la très noble nation péruvienne se présente en ce moment réunie près du Trône du Roi Eucharistique, pour répéter sa profession de foi, son témoignage d'adoration et ses propos de renouvellement chrétien, et, pour la troisième fois, depuis que la Providence divine, sans regarder Notre indignité, Nous plaça en ce Siège de Pierre, Nous avons la consolation de pouvoir adresser Notre voix à un Congrès Eucharistique péruvien, pour offrir au Divin Roi votre adoration et votre foi, pour vous exhorter à tenir vos promesses et pour vous bénir paternellement 2. '

Du premier de ces triomphes magnifiques fut témoin l'aristocratique Lima, « la ville des Rois ». Pour le second fut élue la « Rome du Pérou », l'illustre Arequipa. Le troi-sième eut pour digne cadre Trujillo, « l'antique, la chevaleresque, le berceau de la liberté ». Cette quatrième fois vous vous êtes assemblés dans le Cuzco impérial, la ville qui fut le siège du premier Congrès Eucharistique péruvien ;

1 D'après le texte espagnol des A. A. S., XXXXI, 1949, p. 294.

2 On trouvera ces radiomessages :

— au IIe Congrès eucharistique à Arequipa, le 27 octobre 1940, dans A. A. S., 32, 1940, p. 429.

— au IIIe Congrès eucharistique à Trujillo, le 31 octobre 1943, dans A. A. S., 35, 1943, p. 353.

celle qui déjà vers le milieu du seizième siècle — fidèle héritière de l'esprit catholique de la Mère Espagne — célébrait les fêtes du Saint Sacrement avec une grandeur et une somptuosité qui la rendait émule de cette autre ville impériale, l'historique Tolède ; celle qui par la bouche d'un de ses meilleurs fils — un Inca Garcilaso, un Jean de Espi-nosa, le « Démosthènes indien » — sut chanter ou narrer, comme peu d'autres, les gloires eucharistiques en des pages immortelles. Combien de gloires et combien d'histoires suggère le seul nom de Cuzco !

Heureux jours que ceux là, quand tout un peuple professait, sentait et vivait la même foi, participait aux mêmes sacrements, trouvant là son lien le plus ferme de cohésion intérieure. Demandez maintenant au Dieu caché sous les blanches espèces que ces temps reviennent vite pour cette pauvre humanité tourmentée et endolorie, qui en perdant l'unité de sa foi, se précipita dans cette phase de désagrégation, dont nous regardons, en témoins angoissés, la période la plus pénible. Proposez à la société, comme base de ce renouvellement chrétien, que vous promettez, le retour à l'Eucharistie, au Sacrement de l'amour, sans lequel il n'y a pas, il ne peut y avoir parfaite unité. Parce que, quoiqu'il soit vrai que par la vocation à une foi commune, à un même Baptême et à un Esprit identique, tous les êtres humains sont appelés à former un Corps, cette unité ne sera pas consacrée, ni ne pourra arriver à sa dernière perfection, si ce n'est dans la participation d'un seul pain céleste. « Nous tous qui participons à un même pain — dit l'Apôtre des Nations — quoique plusieurs, nous devenons un seul pain, un seul corps » (1Co 10,17).

Désagrégation de l'homme, corrompu par son éloigneraient de Dieu ; désagrégation du foyer, dissous par la révolte des enfants et par le manque d'amour entre les époux ; désagrégation de la société, gangrenée par l'antagonisme des classes ; désagrégation des nations, ennemies entre elles par la convoitise immodérée des richesses et du pouvoir. En un mot, désagrégation par manque de charité.

Eh bien, sept fontaines ouvertes, — les sept Sacrements — coulent dans le jardin de l'Eglise pour donner et augmenter la grâce divine, et par conséquent, la charité ; mais une seule, l'Eucharistie, le fait directement et uniquement. Le Docteur angélique nous dit : h Res autem huius sacramenti est charitas, non solum quantum ad habitum, sed etiam quantum ad actum » (S. Th. III, p. q. LXXIX, art. 4 in c). L'effet de se Sacrement est la charité, non seulement habituel, mais actuel.

Courez donc, bien-aimés fils, à cette source intarissable où le Christ en personne vient à nous pour guérir nos âmes de toutes ces inclinations, contraires à la charité ; pour prendre possession d'elles ; pour se les unir, les identifier à Lui-même, et leur faire répéter en vérité ses propres paroles : « Je me sanctifie Moi-même pour eux, afin qu'eux aussi soient sanctifiés dans la vérité » (Jn 17,19).

Ces Ineas, puissants et intelligents, à la splendide civilisation, dont nous parlent encore aujourd'hui les imposantes pierres millénaires de votre Cuzco, ainsi que les tissus merveilleux et les riches céramiques, oeuvres de leurs mains, eurent aussi leur culte, dans lequel certains ont voulu apercevoir quelque reste lointain de la révélation primitive, et même quelque pratique humanitaire, qui préludait déjà, d'une certaine manière à la resplendissante charité chrétienne. Qui sait si ce n'est pas justement à cause de cela que Dieu Notre Seigneur leur donna cette grande prospérité matérielle et cette splendeur ? Qui sait s'il n'est pas providentiel que la grandeur de votre Cuzco qui, passant du paganisme au Christianisme, fut en mesure d'apporter à la nouvelle et vraie religion, non seulement le mode et la solennité extérieure de ses anciennes cérémonies, mais aussi un ordre civil, des voies de communication, et tout un système social qui devait faciliter la chrietianisation de cette partie du Nouveau Monde, faisant que des sièges insignes comme ceux de Lima, Quito, Charcas et Santiago ne fussent plus tard que des branches fleuries du robuste tronc Cuzcain ?

Dieu veuille que comme conséquence de votre solennelle Assemblée, se Tépande, de cette ville fameuse, relique des siècles et carrefour des civilisations, sur tout votre pays, ce divin incendie de charité, pour le purifier d'abord, l'élever ensuite et l'unir finalement autour de cette Hostie, de cet Autel, comme vous l'êtes en ce moment, bien-aimés fils.

Avec le désir ardent de vous faire le plus de bien possible, Nous demandons cela à l'Auteur et au Donateur de tout bien, par le moyen de vos grands Saints, Turibe de Mongrovejo, François Solano et Rose de Lima, mais surtout Nous l'implorons par la très puissante intercession de la Mère de Dieu de « Suntur Huasi », votre très douce Reine, figure providentielle en votre histoire. Que ces saints vous obtiennent la paix extérieure et intérieure, fondée sur un juste équilibre social ; la sanctification de vos foyers, menacés par des attaques contre l'indissolubilité du lien du mariage ; la persévérance dans la foi, minée par les propagateurs de l'erreur ; et un grand nombre de prêtres savants et saints, surtout saints, qu'exige d'une manière pé-remptoire tant la diffision de l'Evangile que la conservation de la foi catholique en votre pays.

Que la Bénédiction du Dieu Tout-puissant, dont celle-ci que Nous vous donnons paternellement veut être le gage, descende riche en grâces et en dons célestes, sur vous Notre très digne Légat, sur l'Episcopat, le clergé et le peuple présents, avec ses illustres autorités, et sur tout le bien-aimé Pérou.


HOMÉLIE LORS DE LA CANONISATION DE SAINTE JEANNE DE LESTONNAC

(15 mai 1949) 1

En ce jour, le Souverain Pontife, au cours de la cérémonie traditionnelle de canonisation, déclarait :

En l'honneur de la Sainte et Indivisible Trinité, pour l'exaltation de la foi catholique et pour l'accroissement de la religion chrétienne, par l'autorité de Notre Seigneur Jésus-Christ, des bienheureux Apôtres Pierre et Paul, et la Nôtre : après une mûre délibération, çt ayant souvent imploré le secours divin, de l'avis de Nos vénérables Frères les Cardinaux de la Sainte Eglise romaine, les Patriarches et Evêques présents dans cette ville, Nous décrétons et définissons Sainte et nous inscrivons au catalogue des Saintes, parmi les non-vierges, la Bienheureuse Jeanne de Lestonnac, statuant que sa mémoire devra être célébrée tous les ans avec une pieuse dévotion dans l'Eglise universelle, le jour de sa mort, soit le 2 février. Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit \

1 D'après le texte latin des A. A. S., XXXXI, 1949, p. 212; traduction française dans La Croix de Paris du 24 mai 1949.

2 Sainte Jeanne de Lestonnac est née en 1556, à Bordeaux, d'une famille aristocratique ; elle avait Montaigne pour oncle. Dès son enfance, elle dut subir les assauts de sa mère devenue protestante; mais elle garda intacte sa foi. En 1573, elle épousa Gaston de Montferrand qui, en 1597, mourait très pieusement. De

Le Saini-Père prononçait ensuite l'homélie suivante :

Chaque fois que l'Eglise est troublée par de nouvelles hérésies ou ébranlée par de nouveaux assauts de ses ennemis, elle expérimente la promesse de son fondateur : « Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde » (Mt 28,20). Jamais le Christ ne saurait manquer à sa très pure Epouse ; jamais ne saurait s'éteindre en elle l'éclat de la sainteté qui invite les égarés à rentrer dans la voie de la vérité, rappelle les pécheurs sur le droit chemin, tire de leur torpeur les indolents.

Au XVIIe siècle, dans le sud-ouest de la France, le protestantisme s'étendait rapidement ; la nouvelle sainte apporta sa contribution pour enrayer cette avance :

Cette assistance divine parut aux temps de Jeanne de Lestonnac. Une nouvelle hérésie, née en Allemagne, se pro-:pageait en France et dans les autres pays. Le déclin et la corruption des moeurs privées et publiques ne frayaient que trop la voie aux erreurs et aux vices. La France ressentit l'action des novateurs au point de voir compromise sa traditionnelle unité religieuse.

Vains efforts ! Dieu suscita, dans le sein même de la fille aînée de l'Eglise, des hommes et des femmes d'une sainteté éminente. Aidés de la grâce de Dieu, ils arrêtèrent la vague montante de l'hérésie et l'empêchèrent d'inonder leur patrie bien-aimée.

Parmi ces saints brille Jeanne de Lestonnac, noble par sa naissance, plus noble encore par ses vertus.

son mariage étaient nés deux fils et trois filles. A quarante et un ans, elle chercha une nouvelle voie ; elle crut la trouver en entrant dans un monastère de Cisterciennes, mais la maladie l'obligea à le quitter après quelques mois. Ce n'est qu'en 1606, après en avoir reçu l'ordre, qu'elle fonda une nouvelle Congrégation religieuse destinée à l'éducation des jeunes filles; celle-ci prit le nom de «Compagnie des Filles de Notre-Dame ». Au milieu de grandes difficultés, cette Congrégation prospéra et la fondatrice mourut en 1640. Elle fut déclarée Vénérable en 1834 et Bienheureuse en 1900. Les couvents des Filles de Notre-Dame sont aujourd'hui au nombre de 78 et répartis à travers l'Europe et l'Amérique (cf. Paula HoESL, Sainte Jeanne de Lestonnac. Ed. Spes, Paris, 1949).

Le Pape retrace les grandes lignes de la vie de la nouvelle sainte :

Dès son enfance, elle mit tout en oeuvre pour ramener au sein de l'Eglise catholique sa mère qui en était séparée. L'insuccès de ses douces exhortations ne diminua en rien leur mérite. Les efforts qu'encore petite fille, elle déploya au foyer paternel, elle s'efforça tout au cours de sa vie, de les étendre à un champ d'apostolat beaucoup plus vaste.

Docile à la voix de ses parents, elle se marie à l'âge de 1 7 ans, malgré son vif désir d'un genre de vie plus parfait.

Epouse fidèle et mère exemplaire, elle porta ses enfants aux vertus chrétiennes, par ses paroles et ses exemples. Son mari mourut. Après avoir réglé ses affaires, et assuré l'avenir de ses enfants, elle entra dans un Ordre religieux, pour se consacrer totalement au service de Dieu.

Mais la Providence voulait qu'elle fondât elle-même un Institut religieux, voué tout à la fois à la contemplation et à l'action, suivant cette maxime : « 11 est plus parfait d'éclairer que de briller seulement ; de communiquer aux autres ce qu'on a contemplé que de contempler seulement » (S. Thomas, 11-11, q. CLXXXIII, art. 6). Conduite par une inspiration d'en-haut et obéissant à son directeur de conscience, elle fonda un nouvel Ordre.

Le Saint-Père caractérise comme suil le rôle particulier de la « Congrégation des Filles de Notre-Dame » fondée par la Sainte :

Il avait pour but la perfection de ses membres par la prière et la méditation, et l'éducation chrétienne des jeunes filles. Cette dernière oeuvre répondait à un urgent besoin des temps : trop souvent, en effet, il arrivait que, infectée par l'hérésie, ou contaminée par l'immoralité, la jeunesse s'écartait de l'Eglise.

Rien d'étonnant donc si, dans ce vaste champ de travail, Jeanne de Lestonnac recueillit une belle et riche moisson. C'est que, loin de compter sur ces propres forces, elle faisait fonds, dans toute son activité, sur l'aide de Dieu et la protection de Marie. Jeanne avait pour la Mère de Dieu un amour et un culte tout particuliers. Elle la choisit pour patronne de son Ordre.

L'Eglise pyropose aujourd"hui cette Sainte en modèle à tous les chrétiens :

Chacun trouve de magnifiques exemples dans la vie de la Sainte. Les jeunes filles peuvent imiter son culte de la pureté ; les épouses et mères, sa modestie, sa fidélité, la ferveur de son zèle d'éducatrice. Quant aux personnes vouées à l'éducation de la jeunesse et au soin des malades, elles trouveront en Jeanne de Lestonnac, un modèle dont l'imitation leur permettra, avec la grâce de Dieu, de répondre parfaitement à leur vocation.

Que tous enfin, c'est l'objet des voeux les plus vifs et des prières les plus ferventes du Pape, que tous s'appliquent à pratiquer de mieux en mieux la vertu de charité. Capable de vaincre toutes les difficultés et de surmonter tous les obstacles, elle seule peut remédier efficacement aux maux qui affligent aujourd'hui la société.

DISCOURS AUX PÈLERINS VENUS A ROME A L'OCCASION DE LA CANONISATION DE SAINTE JEANNE DE LESTONNAC (17 mai 1949) 1

Le 15 mai 1949, en la Basilique Saint-Pierre, le Pape Pie XII canonisait sainte Jeanne de Lestonnac 2. Recevant deux jours plus tard les pèlerins venus à Rome en cette occasion, le Pape déclara :

C'est Dieu Lui-même qui, après avoir sanctionné, par des miracles incontestables 3 le jugement des hommes sur l'héroïque sainteté de certains parmi ses innombrables élus, dispose les événements et les coeurs en vue de leur glorification solennelle par l'autorité suprême de son représentant sur la terre.

Si sainte Jeanne de Lestonnac, ayant vécu il y a plus de trois siècles, n'a été canonisée qu'en 1949, c'est sans doute parce que sa vie comporte des enseignements particulièrement lumineux pour notre temps :

Qui oserait scruter les mystérieux desseins de sa Providence ? Définir les raisons de son choix entre tant de héros de l'Eglise triomphante ? Les motifs pour lesquels il a déterminé le temps et les circonstances de leur apothéose ici-bas ? Il est pourtant permis et louable de constater et d'admirer humblement les aspects qui donnent à l'exemple

1 D'après le texte français des A. A. S., XXXXI, 1949, p. 286.

* On trouvera p. 175 la traduction de l'homélie prononcée par le Souverain Pontife durant la cérémonie de canonisation.

" En 1941, une religieuse des Filles de Notre-Dame, Mère Colombo, du couvent de Tournemire (Aveyron) fut guérie miraculeusement d'une tumeur au cerveau.

et au patronage des nouveaux saints une opportunité tout actuelle. C'est particulièrement sur cette actualité de votre Mère que Nous voudrions vous inviter, chères filles, à fixer aujourd'hui votre attention.

D'ailleurs l'Eglise honore un grand nombre d'éducatrices de la jeunesse :

Il Nous a été donné, à Notre grande consolation, de béatifier et de canoniser, au cours de ces années, plusieurs éducatrices de la jeunesse féminine 1. Quelques unes sont plus récentes qu'elle ; d'autres, sont ses contemporaines ou lui sont antérieures, présentant avec elle certains traits communs assez caractéristiques et suscitées comme elle au temps de la prétendue réforme pour apporter à la contagion du mal et de l'erreur, le contrepoids d'une éducation vraiment chrétienne et catholique ; plus d'une — et votre sainte Mère est du nombre — a voulu s'inspirer, tant pour la vie religieuse que pour la mission d'éducatrice, des principes et des règles de saint Ignace de Loyola, ayant à coeur de faire pour les jeunes filles ce qu'il avait fait pour les jeunes gens.

Mais il y a des leçons particulières à recueillir de la vie de sainte Jeanne de Lestonnac :

Que pouvait bien apporter de nouveau Jeanne de Lestonnac, et pourquoi, sous la conduite manifeste de la Pro

1 Parmi les éducatrices béatifiées et canonisées par Pie XII, citons :

— Marie Euphrasie Pelletier, fondatrice de l'Institut des Soeurs du Bon Pasteur: canonisée le 2 mai 1946.

— Françoise Xavier Cabrini, fondatrice de l'Institut des Soeurs Missionnaires du Sacré-Coeur de Jésus: canonisée le 7 juillet 1946.

— Jeanne Elisabeth Bichier des Ages, fondatrice des Filles de la Croix : canonisée le 6 juillet 1947.

—¦ Alex Leclercq, fondatrice des Chanoinesses de Saint-Augustin, congrégation de Notre-Dame: béatifiée le 5 mai 1947.

— Catherine Labouré de la Société des Filles de la Charité de Saint-Vincent de Paul: canonisée le 27 juillet 1947.

— Jeanne Delanoue, fondatrice de la Congrégation Sainte-Anne de la Providence : béatifiée le 10 novembre 1947.

vidence, vint-elle fonder, en dépit de son horreur pour le titre de fondatrice, un Ordre de plus ?

Elle met en lumière l'importance de l'éducation intellectuelle — naturelle et surnaturelle — de la femme en vue de son rôle dan® la société au cours de la vie normale comme parmi les luttes de l'Eglise. Notre Sainte apparaît à l'un des moments les plus marquants de l'histoire morale, sociale, religieuse. Son temps est un temps de déchirements profonds, de ruines et de constructions gigantesques, d'apostasies et de miraculeuses conversions, un temps de formidables hérésies et de sublime sainteté. Deux mondes s'affrontent, réalisant, comme jamais peut-être jusqu'alors, la vision prophétique qui épouvantait David : « Pourquoi les nations s'agitent-elles en tumulte et les peuples méditent-ils de vains projets ? Les rois de la terre se soulèvent et les princes tiennent conseil ensemble contre Jahveh et contre son Christ ». Rarement a retenti plus farouche le blasphème : « Dirumpamus vincula eorum et projiciamus a nobis laqueos eorum. — Brisons leurs liens, et jetons loin de nous leurs chaînes. » (Ps. Il, 1-3). Mais rarement aussi s'est élevé avec plus de force le cri du vieux Mathathias : « Maintenant règne l'orgueil et sévit le châtiment, temps de ruine et d'ardente colère. Maintenant donc, mes fils, déployez votre zèle pour la Loi et donnez vos vies pour l'alliance de nos pères. » (I Mac-chab. II, 49).

Dominant toutes les clameurs, toutes les hésitations du coeur et de l'esprit dans l'apparent conflit entre les devoirs sacrés, gravés par la main même de Dieu, profondément, dans la chair de l'homme, résonne, suavement impérieuse, la consigne de Jésus : « Je suis venu apporter le glaive. ... Si quelqu'un aime son père ou sa mère plus que moi, il n'est pas digne de moi. » (Matth. X, 34-37). L'alternative se dresse, concrète, immédiate, sans possibilité de faux-fuyants : pour ou contre le Christ et son Eglise. La lutte n'est plus seulement entre régions ou nations, entre écoles ou, partis, entre familles rivales, elle est au sein même de la famille et rend inéluctable le devoir de choisir entre Dieu et les plus profondes affections de la nature.

Jeanne a compris qu'il fallait, coûte que coûte, restaurer au foyer domestique la vie d'union des esprits et des coeurs, mais que cette restauration n'était réalisable que dans l'unité de la foi en Dieu, de la docilité à l'Eglise romaine, unique et immortelle Epouse du Christ, Mère des âmes. Si elle l'a compris, c'est que Dieu lui a fait comprendre d'expérience personnelle, la préparant, dans ses mystérieux desseins, à porter remède précisément à cette misère sans pareille.

Aujourd'hui comme à la fin du XVI" siècle, les forces de désintégration religieuse et sociale manifestent leur action, et tout d'abord au sein même des familles :

Sa mission est aujourd'hui d'une poignante actualité. Faute de cohésion d'une solidité à toute épreuve, entre les esprits dans l'intégrité de la foi, entre les volontés et les coeurs dans l'absolue conformité de la conduite aux préceptes de la morale, la désunion règne dans la société, dans la patrie, au foyer même, dont les membres vont adhérer aux factions les plus opposées.

Le milieu familial où naquit et grandit notre Sainte fut le théâtre d'un drame domestique des plus navrants. Sa mère, femme d'une grande valeur et d'une réelle vertu humaine, foncièrement imbue des doctrines et de l'esprit calvinistes, faisait tout ce qui était en son pouvoir pour façonner selon les mêmes idées et les mêmes principes l'intelligence et le coeur de sa petite fille. Combien profonde est l'influence d'une mère, surtout dans les premières années de formation de ses enfants !

Cette influence est bien souvent décisive, non seulement pour le temps de l'adolescence, mais pour leur vie tout entière, et pour peu que ces enfants aient acquis de charme et d'ascendant, le rayonnement s'allonge à l'infini. Elle était soeur du célèbre écrivain Michel de Montagne.

Celui-ci prit sur lui d'avertir son beau-frère du péril où sa propre soeur mettait la petite Jeanne, et il lui fit aisément entendre et accomplir son devoir de soustraire l'éducation de l'enfant à l'influence pernicieuse de la mère.

Qu'on se représente, si l'on peut, la tragique scission intime de ce foyer. On vit côte à côte sous le même toit, on mange à la même table, on se rencontre à toute heure du jour, mais une barrière sépare la famille en deux camps. Jusque là on s'aimait. Depuis, l'amour maternel s'est graduellement mué en haine, une haine qui ne parvient pas à vaincre ni la tendresse, ni le respect de la fille, ni son obéissance prévenante, tant que la religion n'est pas en jeu. Et pourtant, tout : dons de l'esprit et du coeur, vertus humaines, harmonie des caractères, tout semblait devoir faire de cette maison, un séjour idéal de paix et de joie. Tout, oui, hormis une seule chose : l'unité dans la vraie foi.

Aux yeux du monde, elle ne vaut pas qu'on lui sacrifie l'union, la gaîté, le plaisir, le bien-être, aucun des intérêts terrestres. Et cependant que de fois, il les sacrifie sans remords au service d'un parti politique ou social, à la tyrannie d'une passion aveugle et humiliante ! Voilà le monde qui taxe d'étroitesse d'esprit, de rigorisme intolérant quiconque met, au-dessus de ce qui passe, l'Eternel ! Comme il a toujours besoin de tels exemples de fermeté et de courage I

La blessure était douloureuse à tous ; elle avait sauvé Jeanne ! Car déjà le doute avait commencé à effleurer son âme, de l'effleurer seulement ; mais enfin certaines complaisances, en faisant, jusque dans sa vieillesse, couler ses larmes, attiseront durant toute sa vie son zèle apostolique. Rien de plus ; Jeanne était sauvée et pouvait chanter : « Anima nostra sicut avis erepta est de laqueo venantium ; laqueus contritus est et nos liberati sumus. — Notre âme comme le passereau, s'est échappé du filet de l'oiseleur ; le filet s'est rompu, et nous avons été délivrés. » (Ps. CXXIII, 7). Mais devenue objet de haine pour une mère aimée, qui mourra obstinée dans son erreur, pouvait-on lui reprocher de s'écrier : « La suprême amertume est devenue mon salut. — Ecce in salutem mutavit mihi ameritudinem. » (Is. XXXVIII, 17).

Il faut aujourd'hui comme autrefois apporter au monde le message du salut :

Dieu pourtant avait sur elle d'autres et plus vastes desseins que celui de son salut personnel. Il voulait se servi» d'elle pour le salut et la sanctification de beaucoup d'âmes. La grâce agit profondément dans son coeur, le pénétrant avec autant de force que de suavité, tout à la fois d'une immense pitié pour cette belle société française qui subissait l'influence de Calvin, et d'un désir intense de travailler pour son salut. Sa décision est prise ; elle vouera toute sa vie, dans le cloître à prier et souffrir pour le triomphe de l'Eglise contre l'hérésie.

Mais la connaissance exacte d'un milieu social est une des conditions de succès pour présenter à ce milieu le message de l'Evangile :

Malgré la sincérité et la véhémence de ses désirs, la fermeté de sa résolution, elle n'est pas prête encore ; elle doit passer par la longue et dure école du monde. Son père qui avait été, consciemment et par devoir l'instrument de son salut, va être maintenant, bien inconsciemment et par les obstacles mêmes qu'il y oppose, celui de sa vocation. Pour lui obéir, elle s'engage dans les liens du mariage : en apparence, c'est la faillite de ses projets, la ruine de ses saintes ambitions ; en réalité c'en est la mystérieuse élaboration. Elle veut sauver la société de son temps et en particulier le milieu auquel, par sa naissance, elle appartient. Il faut qu'elle connaisse à fond, qu'elle connaisse ses misères profondes, ses périlleux déficits, ses inclinations, ses peines et ses joies, les difficultés de l'austère devoir, les sacrifices héroïques que parfois il impose.

Tout apôtre doit passer par le creuset de la souffrance. Le Pape rappelle les épreuves qui ont frappé sainte Jeanne de Lestonnac :

Le stage qu'elle devait faire dans la vie du siècle a forgé son âme, étendu et mûri son expérience. L'appel de Dieu se fait entendre alors de nouveau, clair et impérieux : se retirer maintenant dans la solitude du cloître pour y sauver les âmes par la prière et la souffrance, mieux qu'elle n'eût fait par ses relations et son influence directe. La mort d'un époux aimé a délié le noeud formé par l'obéissance ; elle a pourvu à l'éducation et à l'avenir de ses enfants ; il faut à présent suivre l'appel : à présent, elle ne lui oppose donc aucun délai. Elle s'arrache à des enfants chéris, elle ne s'accordera pas même la consolation de rejoindre ses deux filles aux Annonciades. C'est enfin le dépouillement total, absolu, croirait-on ? Pas encore.

Tout semblait indiquer, dans le choix qu'elle faisait du monastère des Feuillantines, l'exécution de la volonté divine. Et c'était bien la volonté divine qui l'y conduisait : pour y passer seulement, alors qu'elle pensait y engager sa vie. Là s'offrait à elle une existence d'une régularité et d'une austérité fort rares dans les couvents d'alors. La solitude, la mortification purifieraient sa nature de la moindre poussière déposée par le contact du monde ; l'obéissance dégagerait sa volonté de toutes les adhérences de la chair et de l'esprit propre ; le recueillement tempérerait ce qui pouvait rester encore de trop humain dans son activité apostolique ; par la contemplation et la prière, elle n'aurait plus, comme Thérèse d'Avila, de conversation qu'avec les anges. C'était magnifique était trop pour ses forces ; elle y succomberait infailliblement sans que soins et remèdes y puissent rien. Question de vie ou de mort. Son choix est fait : elle préfère le cloître et la mort.

Une fois de plus la volonté de Dieu se manifeste à sa servante : elle le fait par la voix de l'obéissance. Le coeur brisé, mais soumis, sans hésitation ni réserve, elle se retire. Le cloître n'était pour elle qu'une étape de sa préparation. Maintenant la préparation est achevée, à quoi bon vouloir la prolonger encore ?

Pie XII précise comme suit la mission de l'Ordre fondé par la Sainte :

Elle est prête pour travailler à la grande oeuvre : donner au monde des femmes qui sachent y tenir leur place de militantes pour le maintien dans la société de la foi et de la fidélité à Dieu et à l'Eglise. Toute sa vie, en apparence décousue, n'a été que l'élaboration du plan providentiel. Le temps est venu de sa réalisation. La lumière se fait ; plus de doute. Il lui faut fonder un Ordre religieux qui aura cette mission à remplir. Ici encore sa part est la part douloureuse. Ses filles devront joindre à la vie contemplative, celle de l'instruction et de l'éducation ; si difficile, à certains égards, qu'elle puisse être, cette vie mixte, a pourtant ses attraits. Pour elle, après les labeurs et les soucis de fondations dans les conditions les plus ardues ; après la rédaction, bien souvent entravée, des Constitutions ; après les tracas des installations, sa part, au sein même de la famille dont elle est la mère, sera d'être clouée, souffrante et humiliée sur la croix. Elle y trouve lumière et courage, car, au comble de la souffrance, et de l'humiliation, Jésus voyait sa Mère et , le disciple aimé : « Ecce filius tuus ; ecce Mater tua »

(Jean XIX, 25-27). Cette double dévotion, chère au coeur de Jeanne depuis l'enfance, l'inspire. En revanche, contre l'hérésie de son temps, acharnée à proscrire Marie, elle veut donner à Marie des enfants pleines d'amour et de dévouement, et donner à celles-ci Marie pour Mère. L'Ordre nouveau sera celui de Filles de Notre-Dame vouées à son service, au culte de sa Conception immaculée, et les petites filles seront consacrées à Marie dans le mystère de la Présentation.

Le Pape exhorte les Filles de Notre-Dame à poursuivre leur oeuvre :

Depuis, la protection de Marie ne vous a jamais manqué, jamais elle ne vous manquera, tant que vous lui resterez fidèles. Aujourd'hui, aussi l'hérésie, ou encore plus l'irréligion, s'attaque à l'Eglise et sape les fondements de toute société, les bases de la famille, les principes de l'instruction et de l'éducation chrétienne ou simplement morale. Elevez donc la jeunesse dans l'inébranlable adhésion de la volonté, du coeur; de l'esprit à l'Eglise du Christ, dans l'inaltérable, filiale et solide dévotion envers Celle qui a triomphé et triomphera toujours de toutes les erreurs. C'est par ce souhait que Nous voulons terminer, en vous donnant, chères Filles de Notre-Dame, à vous, à toutes vos maisons, à toute la jeunesse confiée à vos soins, Notre Bénédiction Apostolique.

DISCOURS à M. le Dr. JAVIER PAZ-CAMPERO Ambassadeur de Bolivie (24 mai 1949) 1

Lors de la présentation des Lettres de créance de M. le Docteur Javier Paz-Campero 2, le Pape déclara :

La solennelle présentation des Lettres avec lesquelles Monsieur le Président de la République de Bolivie 3 vous accrédite Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire auprès de Nous, assume, grâce aux paroles que Votre Excellence vient de prononcer, un ton spirituel élevé, qui fait honneur non seulement à Votre Excellence qui les a prononcées, mais aussi au peuple bolivien qu'Elle représente.

Ce sont des paroles d'une personne qui, après avoir servi inlassablement la science pendant de longues années, et après avoir prodigué sa collaboration dans les organes législatifs et exécutifs de son propre pays, se rend compte maintenant, sous le ciel romain et européen, de l'étendue et de la difficulté des terribles problèmes, à la solution desquels travaillent anxieusement ceux qui régissent le sort des peuples.

Ce sont des paroles d'un catholique profondément convaincu de la mission que, l'humanité de nos jours, dans une de ses phases les plus critiques, reconnaît comme propre de celui qui, étant Père et Maître, a le devoir sacré de concilier harmonieusement une amoureuse compréhension

1 D'après le texte espagnol des A. A. S., XXXXI, 1949, p. 291.

* Le nouvel ambassadeur naquit en 1899; il fut député, sénateur et Ministre du Travail, ensuite Ministre des Affaires Etrangères.

8 Le Président de la République de la Bolivie est, depuis le IO mars 1947, le Dr. Enrique Hertzog, chef du Parti républicain socialiste.

des justes aspirations de chacun des peuples avec une large et sûre vision de ce qui constitue les intérêts généraux de la communauté des nations.

Nous qui, en vertu de Notre charge apostolique, sommes habitué et obligé à considérer les événements de ce monde, souvent si agité, « sub specie aeternitatis », Nous remarquons avec satisfaction que, dans les délibérations des hommes, le facteur irremplaçable formé par les éléments spirituels, moraux et religieux, commence à présent, en bien des lieux, à entrer en ligne de compte beaucoup plus qu'il ne l'a fait dans un passé encore récent.

Tous les esprits sages et prévoyants peuvent constater aujourd'hui que la première cause des misères des temps présents est l'exclusion consciente de la religion, en tant que force de civilisation et de perfection, accomplie par quelques mouvements des masses, dont la décadence spirituelle est notoire pour tous.

De là il s'en suit — sinon partout, au moins en bien des endroits — un bienfaisant réveil du sentiment de la responsabilité morale et du sentiment religieux, qui fait naître des nouvelles impulsions et des nouvelles initiatives en tous les domaines et à tous les degrés de la vie politique et sociale.

Précisément à cause de cela c'est pour Nous une spéciale satisfaction de pouvoir compter Votre Excellence dans le nombre de ceux qui pensent et qui agissent pénétrés de cet esprit, puisqu'Elle est, dès cet instant, le digne Réprésentant auprès du Père de la Chrétienté, du peuple bolivien, si aimé de Notre coeur.

Les derniers événements mondiaux ont mis fin à l'isolement local et spirituel qui séparait auparavant les continents, et dans une mesure telle que, jusqu'à il y a peu de temps, cela aurait été inconcevable. De nos jours, les grands mouvements spirituels et sociaux font entendre avec une puissance accrue la rumeur agitée de leur élan vital, même au-delà des mers, et ses échos résonnent aussi bien sur le plateau bolivien que dans les hautes et blanches cimes de vos Cordillères.

Il en résulte actuellement que tout peuple —- même petit en nombre et très éloigné des centres qui régissent les grands événements mondiaux — se trouve, qu'il le veuille ou non, au milieu des difficultés et des périls de cette époque formidable qui est la nôtre, pleine de responsabilités et de problèmes, de la solution desquels dépend le bonheur ou le malheur commun.

Par conséquent, tous les peuples ont le devoir de ranimer la flamme de leurs énergies naturelles, dont on ne sait pas toujours tirer parti, et de les rendre tellement efficaces sur le terrain économique, social, culturel et religieux, qu'elles ne servent pas seulement pour leur propre bien-être, mais qu'elles leur permettent aussi de prendre part, le plus intensément possible, aux efforts du monde pour obtenir le progrès et le bien-être de toute la famille humaine.

En ce chemin royal vers un avenir meilleur, la religion catholique, à qui la Constitution bolivienne en son troisième article reconnait une place d'honneur, peut être un guide sûr, expert et maternel.

Là où les moeurs et l'esprit catholiques se conservent intacts et libres, se crée tout de suite une atmosphère profonde d'intégrité morale, de sincère et généreuse disposition pour servir le bien de l'Etat et du peuple, ainsi qu'une bienfaisante immunité contre les erreurs et les maux spirituels, qui usent la vigueur de l'humanité actuelle et l'empêchent d'obtenir finalement une paix sûre et une loi juste.

L'Etat qui reconnait et garantit la liberté d'action aux énergies religieuses qui porte en son sein la foi chrétienne, comme un antidote procuré par le Seigneur contre l'erreur et le relâchement moral, et qui en même temps témoigne pratiquement avoir compris quelle est la mission de l'Eglise vis-à-vis de l'éducation religieuse de la jeunesse, du maintien de l'idéal dans les familles chrétiennes et de la formation d'un clergé à la hauteur de sa tâche, se rend à lui-même le meilleur et le plus important de tous les services, et use du meilleur ciment pour la construction de son propre avenir.

Pour cela, invoquant la protection divine en faveur du progrès pacifique et de la plus grande prospérité possible de votre nation, Nous bénissons de tout coeur, ainsi qu'on Nous l'a demandé, votre Gouvernement et votre peuple, tous nos bien-aimés fils de Bolivie et, d'une manière spéciale Votre Excellence, sa distinguée famille et tous ses collaborateurs.


Pie XII 1949 - ASSOCIATIONS PATRONALES CATHOLIQUES