Pie XII 1948 - ENCYCLIQUE " IN MULTIPLICIBUS " (24 octobre 1948)


ALLOCUTION AUX MEMBRES DE L'OEUVRE DES RETRAITES D'ESPAGNE

(24 octobre 1948) 1

Vous êtes venus, très aimés fils, des bords de l'Urole et du Cardoner, ainsi que d'autres régions de l'Espagne, aux rives du Tibre, pour clôturer près de Nous les fêtes commémoratives de l'approbation pontificale du Livre des Exercices de Saint Ignace de Loyola, en même temps que pour solenniser les Noces d'Argent de votre CEuvre d'Exercices Paroissiaux de Barcelone.

Il est tout naturel que le pèlerin des Exercices aille à Loyola, qu'il monte à Monserrat et qu'il descende à Manrèse pour visiter les lieux consacrés par la conversion, les austérités et les illuminations du grand Patriarche; mais il n'est pas moins raisonnable qu'il vienne à Rome, comme Ignace vint — boitant à la suite de son accident et avec son modeste petit livre dans la scarcelle —, comme François de Borgia désira venir pour se jeter aux pieds de Notre insigne Prédécesseur Paul III et lui demander humblement l'approbation légale de l'Église en faveur du petit manuel de Manrèse. Ce qu'il ne put faire personnellement, il l'obtint par l'entremise de son légat en la Ville Éternelle. Les luttes que ces pages, simples et peu nombreuses, avaient provoquées jusqu'à ce moment, n'auraient plus déjà, à l'avenir, de raison d'être; Rome avait parlé, elle avait dit que le Livre respirait la piété et la sainteté, qu'il était utile et profitable, et que, à cause de cela, le Vicaire de Jésus-Christ l'approuvait, le louait et le confirmait. Plus de trente Souverains Pontifes répéteraient à peu prèsles mêmes choses en divers documents, et Nous-même, lorsque cela a été opportun, Nous n'avons pas omis de le faire. C'est pour cela que vous êtes ici maintenant, ainsi qu'on Nous a informé, pour commémorer et rendre grâces à propos de ces documents solennels.

Soyez donc les bienvenus, mais sachez que votre présence a aussi un autre aspect, que Nous pouvons appeler complémentaire. Vous venez remercier pour ces approbations; mais, sans le vouloir, vous venez aussi rendre témoignage que, à juger par les fruits qu'elles ont produits, ces approbations ont été et sont très opportunes.

Parce qu'effectivement, vous êtes en ce moment la représentation d'un peuple profondément catholique, dont la persévérance dans la foi — ardente et vive — s'explique aussi, entre autres raisons, par l'efflorescence que les Exercices de Saint Ignace ont sur votre sol natal. Qu'êtes-vous — très aimés fils de l'CEuvre des Exercices paroissiaux de Barcelone — avec vos soixante-trois mille Retraitants et vos mille sept cents groupes de retraites fermées, sinon le corps même d'une organisation qui peut se présenter comme un modèle de ferveur et de vie chrétienne ? Bien grand fut son courage à l'heure de l'épreuve, lorsque au milieu de la persécution, votre fidélité et votre esprit de sacrifice, furent écrits avec le sang de vos héroïques frères. Bonne pratique des résolutions de retraite, réalisées non par la vie, mais par la mort !

Mais votre exemple Nous sert aussi pour louer l'efficacité des Exercices de Saint Ignace, lorsqu'on est fidèle à l'esprit et à la méthode, ainsi que grâce à Dieu il en est parmi vous. Il n'est pas vrai que la méthode ait perdu de son efficacité, ou qu'elle ne réponde pas aux exigences de l'homme moderne. Par contre c'est une triste réalité que la liqueur perde sa force et la machine sa puissance, lorsqu'on la délaye dans les eaux incolores de la superadaptation, ou lorsqu'on démonte quelques pièces fondamentales de l'engrenage ignatien. Les exercices de Saint Ignace seront toujours un des moyens les plus efficaces pour la régénération spirituelle du monde et pour sa droite orientation, mais à la condition qu'ils continuent à être authentiquement ignatiens.

Vous avez parcouru, à Rome, les lieux où la Compagnie de Jésus naissante essayait ses premières armes en donnant les Exercices; vous avez prié devant la glorieuse tombe de son auteur, et maintenant vous avez voulu vous serrer autour de Nous pour consoler Notre coeur éprouvé de Père et Nous demander une bénédiction. Que Dieu vous bénisse, comme Nous vous bénissons. Et que, à l'invocation de Notre voix, descendent de là-haut — par l'intercession du Saint qui nous a donné les Exercices et des nombreux Saints que les Exercices nous ont donnés — les meilleures grâces : grâces de prospérité pour vos organisations, grâces de fécondité pour votre apostolat, grâces de sanctification pour les Retraitants; grâces de paix et de tous les biens que vous désirez pour vous, pour ceux que vous aimez et pour votre chère patrie.

DÉCRET DU SAINT OFFICE CONDAMNANT TOUTES LES OEUVRES DE JEAN PAUL SARTRE

1 (30 octobre 1948)2

En son assemblée générale du mercredi 27 octobre 1948, la Suprême Congrégation du Saint-Office, les Éminentissimes et Révérendissimes Cardinaux préposés au maintien de la foi et des moeurs, après avoir pris l'avis des Révérends Consulteurs ont condamné et ordonné d'insérer au catalogue des livres prohibés (l'Index) toutes les oeuvres écrites par Jean-Paul Sartre.

Et le jeudi suivant, 28 du même mois, et de la même année, Sa Sainteté Pie XII Pape par la divine Providence, en l'audience habituelle, accordée à l'Excellentissime et Révérendissime Assesseur du Saint Office, a approuvé la décision soumise par les Eminentissimes Cardinaux; Il l'a confirmée et décidé qu'elle soit publiée.


RADIOMESSAGE AU CONGRÈS EUCHARISTIQUE DE PORTO ALEGRE (Brésil)

(31 octobre 1948) 1

Pour la cinquième fois, dans le bref retour des années, se réunit aujourd'hui le peuple catholique du Brésil, faisant la cour d'honneur autour du trône eucharistique du Roi divin, pour lui rendre les hommages qui lui sont dus de sa foi sincère, de sa ferme espérance, de son amour reconnaissant.

Cette fois la réunion se fait dans la capitale de la province de Rio Grande do Sui, dans la noble cité de Porto Alegre, qui, il y a justement cent ans, fut constituée en Évêché indépendant, pour accéder peu après au rang d'Archevêché et le diocèse se transforma en une grande et florissante Province ecclésiastique.

Ainsi ce Cinquième Congrès Eucharistique National revêt une signification propre et caractéristique. N'est-il pas une apothéose d'adoration et de louange, d'amour et d'action de grâces dues au Dieu de l'Eucharistie, constamment présent dans des milliers de Tabernacles parsemés dans les Terres de Cru-zeiro, les protégeant, les sanctifiant, les vivifiant surnaturelle-ment; — et en premier heu un hommage de gratitude que les fidèles de l'Archidiocèse de Porto Alegre et des Diocèses suffragants, et avec elles — unis en un seul coeur et en une seule âme — les fidèles de tous les États de la grande Confédération Brésilienne font monter vers le Seigneur pour un siècle de bienfaits signalés, dont la libéralité divine a enrichi si largement toute la Province de Sao Pedro do Rio Grande do Sui.

Dorsque le premier Évêque de Porto Alegre vit tomber inopinément sur ses épaules la croix d'un nouvel Évêché, elle lui pesa lourdement : si grande était la disette de collaborateurs pour l'aider à la porter. De Clergé était insuffisant pour les rares, mais immenses paroisses; presque personne pour le séminaire qu'il essayait de fonder ! Enfin partout en de vastes étendues, un spectacle presque aussi douloureux que celui que le divin Rédempteur contemplait dans ses courses apostoliques à travers la Palestine, qui faisait vibrer de compassion les fibres les plus intimes de son très tendre Coeur.

Aujourd'hui, grâce au zèle persévérant des Pasteurs d'âmes, — grâce à la correspondance des fidèles, qu'un de vos grands Évêques qualifiait de « peuple noble et généreux, qui sait si bien profiter des grâces abondantes que Dieu répand sur lui », — grâce surtout à la Providence avec laquelle le divin Pasteur veille sur son Église, — aujourd'hui le poids de la croix episcopale est portée par six zélés Prélats; le Clergé, quoique pas encore proportionné à la grandeur du troupeau et à l'immensité des terres dans lesquelles il doit paître, est cependant nombreux et plus abondant que dans d'autres diocèses, pendant que plusieurs Instituts Religieux leur prêtent une aide désintéressée, tout en servant d'émulation à leur zèle. Da vie catholique, grandement dilatée et cultivée, témoigne sa vitalité dans diverses manifestations et dans de multiples institutions religieuses et sociales ; en un mot, toute la Province ecclésiastique, matériellement et spirituellement florissante, offre à la terre et aux cieux un spectacle fécond en consolations, abondant en fruits, riche en espoirs pleins de promesses.

Donc, il est juste et il est dû cet hommage d'amour et de gratitude au divin Roi; et Nous, qui faisons Nôtres les joies et les succès de nos chers fils, Nous exultons en esprit, bénissant le Père et Seigneur des cieux et de la terre, parce qu'il lui a plu de révéler en vous les merveilles de sa grâce et de sa miséricorde, parce qu'il vous a bénis dans le Christ avec toutes sortes de bienfaits spirituels et célestes, vous choisissant en Dui pour être saints et immaculés en sa présence par la charité.

D'ardente piété, l'enthousiasme et la ferveur eucharistique, si splendidement témoignés dans les Congrès diocésains, dont les grandioses échos traversant les mers arrivèrent jusqu'à Nous, atteignent dignement aujourd'hui leur point culminant dans l'apothéose incomparable de l'actuel Congrès.

Oh ! veuille le ciel que l'hymne de gratitude et d'amour qui émane de lui, ne s'affaiblisse pas, ne s'éteigne pas, mais au contraire qu'il demeure et qu'il s'accroisse pour l'éternité !

Il demeurera sûrement si tous les participants au.Congrès savent tirer la leçon pratique que non seulement il leur suggère, mais qu'il leur impose : la leçon d'une vie nourrie chaque jour davantage de l'Eucharistie.

Lorsque le Roi divin, sur le point de quitter ce monde pour aller au Père, décida dans l'excès de son amour infini de rester avec nous jusqu'à la consommation des siècles, ce ne fut pas pour se condamner à être un prisonnier éternel, oublié dans l'obscurité des Tabernacles abandonnés. Ce ne fut pas non plus, ni principalement, pour en sortir de temps en temps, afin de recevoir dans des trônes resplendissants de lumières et couverts de fleurs, les hommages d'adoration et de gloire qui sont d'autant plus dus à sa Majesté infinie qu'elle est plus cachée ! S'il resta, ce fut pour être le Coeur éternellement vivant et palpitant de son Corps mystique; pour être le centre propulseur, la source intarissable de vie, et de vie abondante pour son Église et pour tous et chacun de ses membres.

Il savait que le monde « in maligno positus » continuerait à se noyer dans des déluges d'iniquité, même après que la Rédemption serait consommée; c'est pour cela que vous l'avez là, à toutes les heures du jour et de la nuit, Victime Sainte en des milliers d'autels, comme en autant de Calvaires, s'immolant en holocauste latreutique et propitiatoire à la Sainteté et à la Justice éternelle. Il savait, et II l'avait répété à plusieurs reprises, que son Église à travers les siècles ressemblerait à une armée sans cesse engagée en d'acharnées et continuelles batailles, dont personne ne pourrait s'en dispenser, et où la victoire appartiendrait aux héros qui sauraient persévérer jusqu'à la fin, sans se rendre ni aux flatteries ni aux menaces, sans reculer devant le travail que le devoir impose, ni devant le sacrifice qui tient Heu de croix, sans craindre ceux qui peuvent tuer le corps, mais n'arrivent pas à tuer l'âme; qui sont toujours prêts à renoncer à tout et à se renoncer eux-mêmes pour suivre le Christ, pour servir et gagner Dieu, comme pèlerins dans le temps et citoyens dans l'éternité. Cependant II savait aussi que, pour faire cela, le chrétien, après tout n'est qu'un homme, n'avait pas en lui-même les ressources suffisantes. Et c'est pour cela que nous l'avons là sous les apparences de pain, devenu non seulement le compagnon inséparable dans notre marche vers l'éternité, mais l'ahment quotidien, la source de salut, de force et de vie divine.

« O si scires donum Dei ! » Si les fidèles, si tous les fidèles comprenaient bien le don de Dieu, avec queUe ferveur ils se précipiteraient pour puiser la vie dans la source de la vie !

parce qu'enfin « pour être bons catholiques — ce qui veut dire saints — nous devons être les sarments de cette vigne plantureuse, nous devons nous désaltérer dans cette fontaine qui jaillit pour la vie éternelle, boire de cette eau qui étanche toute soif, manger de ce pain qui donne la vie et l'immortalité ». (B. Contardo Ferrini, Scritti religiosi raccolti dal Sac. Carlo Pellegrini, ed. 2P 299-300)

En effet, c'est dans la contemplation du très parfait Modèle de toute sainteté et à son mystérieux contact, qu'on apprend les vertus qui font le vrai chrétien et qu'on puise les énergies pour les pratiquer. C'est là, au pied du saint autel, où se renouvelle l'unique sacrifice qui efface les péchés du monde, que l'on voit comment la liturgie authentique de l'Église est celle qui fait des fidèles, en union avec la Victime immaculée, une hostie vivante, sainte, agréable à Dieu par l'immolation généreuse des vices et autres concupiscences, et par la conformité à l'image de Celui qui du trône de la croix sur la terre fit un escabeau obligatoire pour monter au trône éternel de sa gloire. Dà vous verrez s'accroître et s'éclairer chaque fois plus votre foi, et avec elle vous discernerez la vérité évangélique d'avec les faux évangiles, qui ne sont pas l'évangile; la vraie spiritualité, qui élève et divinise l'âme, d'avec les faux mirages des esprits fantaisistes qui la dégradent dans la fraude et le mensonge. Dà, assis tous à la même table divine, participant tous du même banquet spirituel, unis tous dans le Christ et faits en Dui une seule famille, un seul corps, vous sentirez s'enflammer la charité; mais une charité sincère, généreuse, dépourvue d'égoïsme, qui nivelle toutes les différences de races, qui raccourcit toutes les distances sociales, qui concilie tous les antagonismes des classes, qui triomphe de tous les intérêts opposés; alors, même les crises sociales qui affligent l'humanité et se font sentir plus ou moins parmi vous, disparaîtront par enchantement; parce que, ou elles n'ont pas de solution, ou elles l'ont résolues chrétiennement dans la justice vivifiée par la charité.

Mais outre ce grand bienfait d'une portée incalculable nous pouvons attendre, de cette efflorescence de vie eucharistique, un accroissement de vocations sacerdotales. Qui fréquemment « s'assoie à cette table du Paradis et savoure les délices d'être fils de Dieu » (1. c.) comprend mieux quel grand bienfait est pour une patrie le Sacerdoce, par lequel Jésus a, et sans lequel Il ne peut avoir, sa demeure au milieu d'elle ni sanctifier sa terre. Et alors elle aspire nécessairement à l'honneur de voir quelque membre de sa famille ennobli de la noblesse divine du caractère sacerdotal, qui fait de lui un autre Christ sur la terre, et en attendant se réjouira de collaborer autant que possible au recrutement et à la formation des vocations sacerdotales; afin que, multipliant ses bons pasteurs et nourrissant bien le troupeau du Christ, le Brésil soit réellement dans toute la portée du terme la grande Nation catholique du continent sud-américain.

Qu'Elle daigne la Vierge de l'Apparition, sous le patronage de laquelle vous avez placé ce Congrès, étendre l'azur de son manteau sur le ciel du Cruzeiro; qu'EUe daigne, la Médiatrice qui donna Jésus au monde et avec Lui toutes les grâces, vous le donner de nouveau, appelant les âmes à l'Eucharistie : non seulement à l'innocence pour conserver immaculés les lis de sa candeur, ni seulement à la jeunesse pour la faire entrer saine et forte dans l'arène où se forgent les athlètes du Christ, mais aussi et plus encore à l'âge mûr, qui doit soutenir le plus grand poids de la lutte, sur lequel pèsent les plus lourdes responsabilités pour le bien ou pour le mal, car de son exemple et de son action dépendent principalement l'échec ou le triomphe final.

Avec ces voeux, confiés à la Vierge de l'Apparition, Reine du Brésil, comme gage des faveurs célestes, à vous, Vénérables Frères et chers fils, et à tout votre Clergé, à Monsieur le Président de la République, aux membres du Gouvernement et aux autres autorités civiles et militaires, et à tout le bien aimé Peuple Brésilien Nous donnons, avec amour et paternelle affection, la Bénédiction apostolique.


ALLOCUTIONS AUX OUVRIERS DES USINES FIAT DE TURIN (31 octobre 1948)

1

Le 31 octobre 1948, en la fête du Christ-Roi, le Pape reçut en audience environ 900 ouvriers des usines Fiat de Turin.

Dans son adresse, le Saint-Père glorifie les deux villes de Turin et de Rome ; Turin parce qu'elle est devenue un des centres d'activité industrielle les plus importants d'Italie, et Rome parce qu'elle est revêtue de noblesse et de sainteté.

Soyez les bienvenus, chers fils et filles de Turin, de cette industrieuse métropole à qui le travail moderne et la technique moderne ont donné une physionomie spéciale parmi les villes d'Italie; soyez les bienvenus dans la Rome éternelle, éternelle non seulement par les oeuvres et la valeur des hommes, mais aussi par cette divine vertu de l'Évangile, dont parle Saint Paul au début de sa Lettre aux Romains (I, 16) 2; par le sang des Princes des Apôtres, qui l'ont élevée à la dignité de maîtresse de vérité; par le Siège de Pierre et de ses successeurs, dans la longue série des Pontifes romains.

Sans doute le progrès technique apporte à l'homme des bienfaits considérables, néanmoins la religion est seule à donner à l'homme sa noblesse véritable, car elle lui dicte qu'il est de la race même de Dieu.

Quelle impulsion et quel désir vous ont conduits ici, hommes et femmes du travail, du très moderne et aussi, aujourd'hui, du

si urgent travail dans les célèbres Établissements « Fiat » ? Du lieu de vos inlassables labeurs, vous êtes venus en pèlerinage au centre de la Sainte Église catholique, parce que vous êtes persuadés que ni le travail seul, ni la plus parfaite organisation, ni le plus puissant outillage ne sauraient former et assurer la dignité du travailleur, mais bien la religion et tout ce qui est ennobli et sanctifié par elle.

D'homme est l'image de Dieu un et trine, et partant lui aussi personne, frère de l'Homme-Dieu Jésus-Christ et avec lui et par lui, l'héritier d'une vie éternelle : voilà quelle est sa véritable dignité.

On a voulu faire croire à la classe ouvrière que la religion était de nature à endormir ses énergies et à entraver son effort d'émancipation.

Plus qu'aucun homme au monde, il est certain que le travailleur doit toujours plus se convaincre et s'imprégner de cette vérité. Depuis longtemps, déjà, on a affirmé et on continue d'affirmer que la religion rend le travailleur flasque et mou dans la vie quotidienne, dans la défense de ses intérêts privés et publics, que, tel l'opium, elle l'endort, le tranquillisant entièrement par l'espérance d'une vie au-delà.

Il faut, au contraire, dénoncer les systèmes abusivement dénommés « sociaux » qui, de fait, ne voient dans l'homme qu'un instrument de production, un organe de l'économie, un élément du tout social.

Précisément ces rénovateurs du monde, qui revendiquent pour eux le souci des intérêts des ouvriers presque comme un monopole propre et déclarent que leur système est le seul vraiment « social », ne protègent pas la dignité personnelle des travailleurs, mais font de sa capacité productive un simple objet, dont la « société » dispose pleinement suivant sa volonté et à son gré.

La doctrine sociale de l'Église cherche, en premier lieu, le bien de l'homme.

D'Église, chers fils et filles, veut et cherche sincèrement votre bien. Elle vous dit que la liberté humaine a ses limites

dans la loi divine et dans les multiples devoirs que la vie comporte; mais en même temps, elle s'emploie et s'emploiera toujours jusqu'à la fin pour que chacun dans chaque foyer et dans les conditions de vie honnêtes et tranquilles, puisse couler ses jours en paix avec Dieu et les hommes (cf. ITim. II, 1-21).

Certains systèmes préconisent entre les hommes un égalitarisme absolu Celui-ci est irréalisable et d'ailleurs il n'est pas désirable. L'Église professe à ce sujet:

i° Il y a des inégalités sociales indispensables entre les hommes :

D'Église ne promet pas cette égalité absolue que les autres proclament, parce qu'elle sait que la vie humaine en commun, produit toujours et nécessairement toute une échelle de degrés et de différences dans les qualités physiques et intellectuelles, dans les dispositions et les tendances intérieures, dans les occupations et dans les responsabilités.

20 II y a toutefois une égalité naturelle et surnaturelle fondamentale entre tous les hommes:

Mais en même temps, elle assure à tous la pleine égalité dans la dignité humaine, comme aussi dans le coeur de Celui qui appelle à lui tous ceux qui sont accablés et surchargés, et les invite à prendre sur eux son joug, afin de trouver la paix et le repos de leurs âmes, car son joug est doux et son fardeau suave et léger (cf. Matth. Mt 11,28-30).2

L'Église favorise le plein épanouissement de la personne humaine et condamne les systèmes qui l'écrasent.

De cette façon, pour protéger et la liberté et la dignité humaine, et non pour favoriser les intérêts particuliers de tel ou tel groupement, l'Église repousse tout totalitarisme.

L'Église enseignant la destinée étemelle des hommes, maintient que, dès ici-bas, tout homme doit jouir en pleine dignité des prérogatives humaines et divines qui lui ont été octroyées.

Et elle n'affaiblit pas, par les pensées de l'au-delà, la juste défense des travailleurs sur terre.

Il faut dénoncer ceux qui trompent le peuple en lui faisant croire que sa grandeur se réalisera uniquement grâce au progrès économique et technique.

Bien plutôt, ces rénovateurs du monde que Nous avons signalés tout à l'heure, lorsqu'ils font luire aux yeux du peuple le mirage d'un avenir de prospérité chimérique et de richesse irréalisable, avec la superstition de la technique et de l'organisation, sacrifient la dignité de la personne humaine et le bonheur domestique aux idoles d'un progrès terrestre mal compris.

La doctrine sociale de l'Église professe de son côté, très clairement :

i° Le bonheur total ne sera acquis qu'au ciel :

L'Église, éducatrice expérimentée de la famille humaine, et fidèle à la mission que lui a confiée son divin Fondateur, proclame la vérité du seul bonheur parfait qui nous est préparé au ciel.

2° Le bonheur éternel est acquis à la suite d'une vie terrestre intègre:

Mais précisément à cause de cela, elle place solidement et puissamment les fidèles sur le terrain de la réalité terrestre.

Dès lors, le sens du progrès humain est exactement défini. Le progrès réalisé sur terre doit mener au bonheur éternel, sinon c'est un faux progrès.

Telle est l'unique mesure de tout progrès véritable, attendu que ce progrès est réel et non fictif seulement s'il nous rapproche aussi de Dieu et nous rend plus semblables à Lui. Toutes les mesures purement terrestres du progrès sont une illusion, Nous allions dire une dérision pour l'homme, au milieu d'un monde qui est sous la loi du péché originel et de ses suites, et qui, dès lors, imparfait même avec la lumière et la grâce de Dieu, tomberait sans cette lumière et cette grâce, dans un abîme de misère, d'injustice et d'égoïsme.

Déjà, ici-bas, on vérifie aisément la justesse de ces affirmations car, il est illusoire de vouloir créer un mouvement ouvrier cohérent et sain en se basant uniquement sur des valeurs terrestres et matérielles; celles-ci, par elles-mêmes engendrent la division, car elles sont partielles et limitées:

Seule cette idée religieuse de l'homme peut conduire par ailleurs à l'unité dans la conception de ses conditions de vie. Dà où Dieu n'est pas principe ni fin, là où l'ordonnance de la création n'est pas pour tous le guide et la mesure de la liberté et de l'action, l'unité parmi les hommes est irréalisable. Des conditions matérielles de la vie et du travail, prises seules en considération, ne peuvent jamais constituer le fondement de l'unité de la classe ouvrière, établi sur une prétendue uniformité d'intérêts. Ne serait-ce pas faire violence à la nature et créer seulement de nouvelles oppressions et divisions au sein de la famille humaine, à un moment où tout travailleur honnête aspire à un ordre juste et pacifique dans l'économie privée et publique, et dans toute la vie sociale?

Par contre, si on base le mouvement social sur les valeurs spirituelles authentiques du christianisme, on engendre l'ordre et la paix :

Chers fils et filles, tout pouvoir légitime sur les hommes ne peut prendre origine et existence que du pouvoir de Celui qui, par sa nature, le possède au ciel et sur la terre, sans limites de temps ni d'espace : de Jésus-Christ, qui domine sur les grands de ce monde, qui nous aime et nous a rachetés au prix de son sang; auquel appartiennent à jamais la gloire et la puissance (cf. Ap 1,6 1). A Dui va le tribut de votre adoration et de votre reconnaissance. Mettez-vous à son service afin d'ouvrir « à son règne de vérité et de vie, de sainteté et de grâce, de justice et de paix », un chemin dans les rangs de vos compagnons d'usine; afin que les rayons qui émanent de Dui, Soleil de justice et Fournaise ardente d'amour, dissipent tout sentiment coupable, toute envie, toute haine, toute discorde, et que la paix de Dieu règne dans les coeurs, dans les maisons et dans les ateliers, dans les villes et dans les campagnes, dans les employeurs et dans les employés, dans votre peuple et dans toutes les nations. Car il a plu au Père que fussent réconciliées par Dui, avec Dui-même, toutes choses, celles de la terre comme celles du ciel (cf. Col 1,20

En formulant ce voeu, Nous vous donnons de tout coeur à vous, à vos familles et à tous ceux qui vous sont chers, à vos compagnons, à vos compagnes de travail, comme gage et présage des grâces les plus précieuses, Notre paternelle Bénédiction apostolique.

1. Texte français d'après les A. A. S., 40, 1948, p. 507.

2. Dans son allocution du 2 juin 1948, le Souverain Pontife disait :

« ...Sans vouloir faire entrer l'Église dans l'enchevêtrement d'intérêts purement terrestres, Nous avons estimé opportun de nommer un repré sentant personnel spécial au « Congrès de l'Europe » qui s'est tenu récemment à Da Haye afin de montrer la sollicitude et de porter l'encouragement du Saint-Siège pour l'union des peuples » (Allocution au Sacré-Collège, 2 juin 1948 p. 218).

DISCOURS AUX DÉLÉGUÉS DU CONGRÈS INTERNATIONAL DE L'UNION EUROPÉENNE DES FÉDÉRALISTES (il novembre 1948.) \21

Le chaos économique et politique qui a suivi la deuxième guerre mondiale (1939-1945) a montré clairement que la reconstruction de l'Europe ne peut se concevoir que dans la collaboration de toutes les nations. C'est dans ce but qu'on a préconisé ces dernières années plusieurs formules tendant à renforcer l'unité de l'Europe.

Parmi ces formules, il en est une qui a rallié des appuis puissants, elle a pour titre: l'Union Européenne des Fédéralistes.

Lors de son Congrès, tenu à La Haye en avril 1948, V Union proclamait :

— il est du devoir urgent des nations de l'Europe de créer une union économique et politique pour assurer la sécurité et le progrès social.

— l'heure est venue pour les nations de l'Europe de transférer certains de leurs droits souverains pour les exercer désormais en commun, en vue de coordonner et de développer leurs ressources.

C'est aux membres de ce mouvement que SS. Pie XII a adressé le discours suivant:

Nous sommes très sensible à votre démarche, Messieurs, Elle nous prouve que vous avez compris et apprécié les efforts que, depuis près de dix ans, Nous multiplions sans relâche en vue de promouvoir un rapprochement, une union sincèrement cordiale entre toutes les nations. Soyez-en remerciés.

De fait l'Eglise invite les peuples à se rapprocher :

C'est précisément ce souci qui Nous inspirait le 2 juin dernier, quand Nous parlions en faveur d'une union européenne a.

Toutefois l'Église ne se prononce pas sur l'opportunité ou l'inopportunité de tel programme concret, visant des objectifs temporels:

Nous l'avons fait en Nous gardant bien d'impliquer l'Église dans des intérêts purement temporels. Da même réserve est également de mise sur la question de savoir quel degré de vraisemblance ou de probabilité assigner à la réalisation de cet idéal, de combien on en est loin encore ou de combien l'on s'en est rapproché.

De fait, de nombreux obstacles se dressent sur la voie de la réalisation de tels projets, parmi ces obstacles il faut d'abord citer les dissentiments subsistant entre peuples hier ennemis sur les champs de bataille. Toutefois, il faut agir promptement:

Que l'établissement d'une union européenne offre de sérieuses difficultés, personne n'en disconvient. De prime abord, on pourrait faire valoir le besoin, pour la rendre psychologiquement supportable à tous les peuples de l'Europe, d'un certain recul qui éloigne d'eux le souvenir des événements de la dernière guerre. Cependant, il n'y a pas de temps à perdre. Et si l'on tient à ce que cette union atteigne son but, si l'on veut qu'elle serve utilement la cause de la liberté et de la concorde européenne, la cause de la paix économique et politique intercontinentale, il est grand temps qu'elle se fasse. Certains se demandent même s'il n'est pas déjà trop tard.

Pourquoi réclamer que le souvenir de la guerre se soit d'abord estompé dans le recul d'une perspective lointaine, alors que, tout au rebours, ses effets, encore douloureusement sentis, sont précisément pour ces peuples d'Europe un encouragement à déposer une bonne fois leurs préoccupations égoïs-tement nationales, sources de tant de jalousies et de tant de haines, une incitation à pourvoir à leur légitime défense contre toute politique de violence ouverte ou larvée?


Un autre obstacle serait que certaines grandes puissances veuillent profiter de leur supériorité pour tenter de subordonner d'autres puissances en les asservissant sur le plan économique.

Il est un point sur lequel on ne saurait trop insister : l'abus d'une supériorité politique d'après-guerre en vue d'éliminer une concurrence économique. Rien ne réussirait mieux à envenimer irrémédiablement l'oeuvre de rapprochement et de mutuelle entente.

De même certains pays pourraient, se réfugiant dans leurs souvenirs glorieux des siècles passés, s'imaginer qu'ils doivent encore jouer le même rôle aujourd'hui :

Des grandes nations du continent, à la longue histoire toute chargée de souvenirs de gloire et de puissance, peuvent aussi faire échec à la constitution d'une union européenne, exposées qu'elles sont, sans y prendre garde, à se mesurer elles-mêmes à l'échelle de leur propre passé plutôt qu'à celle des réalités du présent et des prévisions d'avenir. C'est justement pourquoi l'on attend d'elles qu'elles sachent faire abstraction de leur grandeur d'autrefois pour s'aligner sur une unité politique et économique supérieure. Elles le feront d'autant meilleur gré qu'on ne les astreindra pas, par souci exagéré d'uniformité, à un nivellement forcé, alors que le respect des caractères culturels de chacun des peuples provoquerait, par leur harmonieuse variété, une union plus facile et plus stable.

Néanmoins, les nécessités actuelles imposent cette union. Toutefois, cette union ne sera valable que si elle se fonde sur une base spirituelle. Seule, la religion est capable de cimenter les nations en un bloc cohérent :

Quelle qu'en soit la valeur, toutes ces considérations et bien d'autres le cèdent en intérêt et en importance à une question, ou plutôt à la question fondamentale qui se pose inéluctablement en matière de reconstruction européenne, et de laquelle Nous n'avons pas le droit de détourner notre attention.

Personne, croyons-Nous, ne pourra refuser de souscrire à cette affirmation qu'une Europe unie, pour se maintenir en équilibre, et pour aplanir les différends sur son propre continent — sans parler ici de son influence sur la sécurité de la paix universelle —, a besoin de reposer sur une base morale inébranlable. Où la trouver cette base? Daissons l'histoire répondre : il fut un temps où l'Europe formait, dans son unité, un tout compact et, au milieu des faiblesses, en dépit de toutes les défaillances humaines, c'était pour elle une force; elle accomplissait, par cette union, des grandes choses. Or, l'âme de cette unité était la religion qui imprégnait à fond toute la société de foi chrétienne.

Une fois la culture détachée de la religion, l'unité s'est désagrégée. A la longue, poursuivant comme une tache d'huile, son progrès lent, mais continu, l'irréligion a pénétré de plus en plus la vie publique et c'est à elle, avant tout, que ce continent est redevable de ses déchirements, de son malaise et de son inquiétude.

Si donc l'Europe veut en sortir, ne lui faut-il pas rétablir, chez elle, le lien entre la religion et la civilisation ?

Le Saint-Père indique certains points qui devront figurer dans la charte de l'Europe :

C'est pourquoi Nous avons eu grand plaisir à lire, en tête de la résolution de la Commission culturelle à la suite du Congrès de Da Haye, en mai dernier, la mention du « commun héritage de civilisation chrétienne ». Pourtant, ce n'est pas encore assez tant qu'on n'ira pas jusqu'à la reconnaissance expresse des droits de Dieu et de sa loi, tout au moins du droit naturel sur lequel sont ancrés les droits de l'homme. Isolés de la religion, comment ces droits et toutes les libertés pourront-ils assurer l'unité, l'ordre et la paix?

Et puis, oubliera-t-on encore de recenser parmi les droits de l'homme ceux de la famille, parents et enfants? D'Europe unie ne peut se bâtir sur une simple idée abstraite. Elle a pour support nécessaire des hommes vivants. Qui seront-ils? Bien difficilement les anciens dirigeants des vieilles puissances européennes : ils ont disparu ou ils n'ont plus d'influence. Moins encore les éléments d'une masse telle que Nous l'avons définie dans Notre message de Noël 1944 1 : la vraie démocratie avec son idéal de saine liberté et égalité n'a pas d'adversaire plus redoutable.

Reste donc à nous demander d'où viendra l'appel le plus pressant à l'unité européenne? Il viendra des hommes aimant sincèrement la paix, des hommes d'ordre et de calme, des hommes qui — tout au moins d'intention et de volonté — ne sont pas encore « déracinés » 1 et qui trouvent dans la vie de famille, honnête et heureuse, le premier objet de leur pensée et de leur joie. Voilà ceux qui porteront sur leurs épaules l'édifice de l'Europe unie. Tant qu'on fermera l'oreille à leur appel, on ne fera rien de durable, rien qui soit à la mesure des crises présentes.

Le Pape indique également cette exigence inéluctable: il faut que les esprits soient prêts à accepter cette union.

Mais, Nous nous le demandons, trouvera-t-on aussi la compréhension nécessaire dans ces conjonctures, la compréhension au défaut de laquelle toutes les tentatives sont vouées à l'échec? Voilà le grand problème; il exige une solution, si l'on veut parvenir à la réalisation de l'union européenne.

Grâce à Dieu, le mouvement enrôle déjà et entraîne tant d'hommes de bien, tant d'hommes de coeur, que Nous ne Nous lasserons pas d'espérer qu'on finira par trouver le vrai remède aux maux de ce continent. En tout cas, avec la plus vivante sympathie, Nous prions le Père de lumières de vous éclairer, de vous assister dans vos travaux et de bénir vos efforts, tendus vers la paix si ardemment convoitée.


Pie XII 1948 - ENCYCLIQUE " IN MULTIPLICIBUS " (24 octobre 1948)