Pie XII 1948 - DISCOURS AUX DÉLÉGUÉS DU CONGRÈS INTERNATIONAL DE L'UNION EUROPÉENNE DES FÉDÉRALISTES (il novembre 1948.) \21


LETTRE A SON EM. LE CARDINAL EMMANUEL SUHARD ARCHEVÊQUE DE PARIS

(20 novembre 1948.) 1

En 1948, Son Êminence le Cardinal Suhard célébrait le cinquantième anniversaire de son ordination sacerdotale 2. A cette occasion, le Pape lui envoyait la lettre que voici:

Nous avons accueilli avec faveur la résolution de vos fidèles de célébrer, à la suite du clergé, par des manifestations qui feraient éclater leur joie et leur reconnaissance, le 50e anniversaire de votre ordination sacerdotale. Au cours de cette longue succession d'années, vous avez rempli avec une ardeur merveilleuse les charges qui, par la protection de Dieu, vous ont été confiées en même temps que l'ordre de la prêtrise, et vous y avez excellé sans contredit, donnant l'exemple d'une rare piété envers Dieu, d'une charité inépuisable à l'égard du prochain et vous distinguant par la fermeté de votre doctrine.

Jeune prêtre encore, nommé professeur au Grand Séminaire de Daval, vous vous êtes appliqué à l'enseignement de la philosophie et de la théologie avec une compétence et un zèle de tous les instants. Pendant près de trente ans, vous avez prodigué à un grand nombre de séminaristes les trésors de la raison humaine et de la science divine, cultivant leur intelligence et leur proposant comme règle de conduite la sagesse et les exemples du Docteur Angélique.

Vous aviez à coeur de ne pas perdre de vue vos élèves, une fois engagés dans leur ministère sacerdotal. Vous occupiez le temps de vos vacances à les visiter, vous vous faisiez un devoir de les aider de vos conseils. Par votre présence et par les entretiens confiants que vous aviez avec eux, vous vous efforciez, en usant de fermeté et de douceur, de développer en eux la dignité et l'intelligence avec lesquelles ils devaient satisfaire à leur charge.

Il y a vingt ans, vous avez été élevé à l'épiscopat. Vous avez administré le diocèse de Bayeux et Disieux, puis vous avez été promu au siège métropolitain de Reims et enfin vous avez pris possession du siège illustre de Paris, où votre lumière et votre flamme apostolique ont brillé au loin sur un champ plus vaste encore.

Parmi vos éclatants mérites, en qualité d'homme d'Eglise et de bon citoyen, Nous ne pouvons pas laisser dans l'ombre le souci constant et la pieuse industrie dont vous avez fait preuve pour procurer à votre clergé les ressources nécessaires à son existence, pour recommander, de tout votre pouvoir la vie communautaire qui doit rendre l'apostolat plus efficace, pour construire de nouvelles églises, pour promouvoir de saintes impulsions missionnaires dans les paroisses, non pas seulement sur le très vaste territoire de Paris, mais dans la France entière, afin d'agréger au bercail du Christ de plus nombreux fidèles et de les amener ainsi à éprouver la puissance et la vertu de la religion catholique.

De culte du Très Saint-Sacrement, la dévotion à Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus ont largement bénéficié de votre labeur et de vos sollicitudes. On vous doit aussi ces beaux rassemblements de groupes d'Action Catholique et ces Congrès qui réunissent des fidèles dont le talent égale la vertu.

Dans les années de guerre et pendant l'occupation des armées ennemies dans votre ville archiépiscopale, vous avez mis tout en oeuvre pour soulager les maux de votre peuple. Vous avez prévenu les dangers qui le menaçaient, vous l'avez aidé dans ses difficultés, vous avez adouci les souffrances de tout ordre qu'il avait à subir. Soldats et prisonniers ont été assistés de vos secours spirituels, et quant aux ouvriers contraints pour vivre, de travailler hors de leur patrie, vous les avez réconfortés par tous les moyens que vous suggéraient votre piété et votre charité.

Nous nous plaisons, Fils très cher, à Nous remettre en mémoire ces titres de louanges. Et Nous vous félicitons, de bon coeur, pour votre saint ministère de pasteur que vous avez rendu si fécond dans sa longue durée.

En même temps, Nous supplions Dieu qu'il vous favorise de grâces plus abondantes et plus précieuses et qu'il vous conserve en parfaite santé jusqu'à l'âge le plus avancé pour le bien de votre troupeau.

Afin que les solennités prochaines puissent produire des fruits de salut plus nombreux Nous vous accordons de bénir, le jour de votre Jubilé, après la messe pontificale, en Notre nom et par Notre autorité, les fidèles présents. Il vous appartiendra de leur proposer de gagner, d'après les conditions en usage dans la sainte Église l'indulgence plénière.

Puisse la Bénédiction apostolique que Nous vous donnons très affectueusement, en Notre Seigneur, Fils bien-aimé, à vous, à vos évêques auxiliaires, à tout votre clergé et au peuple fidèle confié à votre vigilance, être la messagère et la médiatrice des biens célestes et le témoignage de Notre particulière dilection.

2. Le Supérieur Général en est le Père Vincent Tomek, né en 1892, en Hongrie, il a été élu Supérieur Général en 1947. La Société des Pauvres Clercs Réguliers de la Mère De Dieu des Écoles Pies (en italien Scolopi) a été fondée en 1617. Elle compte aujourd'hui près de 2.000 religieux. Cette Société est répandue en Italie, en Espagne, en Europe centrale et en Amérique.



DISCOURS AUX PÈLERINS VENUS A ROME POUR CÉLÉBRER LE TROISIÈME CENTENAIRE DE LA BÉATIFICATION DE SAINT JOSEPH CALASANCE

(22 novembre 1948)1

Le Saint-Père recevait en audience, le 22 novembre 1948, à Castel Gandolfo, le Supérieur Général et le Conseil des Pauvres Clercs Réguliers des Ecoles pies a; ainsi qu'un groupe \de pèlerins. A cette occasion, le Pape déclarait:

Quelle allégresse, quel triomphe est pour votre saint fondateur cette nombreuse phalange de ses fils « sa joie et sa couronne » : (cf. Phil. IV, I). Les uns prolongent dans leur vie religieuse sa vie terrestre, sainte et apostolique; les autres, formés et instruits dans les écoles pies, répandues dans toutes les parties du monde, lui attribuent, d'un coeur reconnaissant, l'honneur et le mérite de l'éducation sainte et forte qu'ils y ont reçue.

Nous vous avons donné, chers fils, un témoignage solennel de Notre admiration pour votre Père et législateur dans le Bref apostolitique : Providentissimus Deus par lequel Nous l'avons déclaré et proclamé le patron céleste de toutes les écoles populaires chrétiennes 3. -

Pie XII rappelle les notes dominantes de l'oeuvre éducatrice de Saint eph Calasance:

Saint Joseph Calasance, né dans la catholique Espagne a fondé l'école élémentaire pour les enfants, mais plus précisément pour les enfants pauvres et abandonnés. D'autres ont parcouru ensuite, et très noblement le même chemin ; lui, cependant les a tous précédés, humble et vaillant porte-étendard dans cette oeuvre sainte. Sans doute, Calasance et l'Ordre fondé par lui ont-ils, suivant que les circonstances le conseillaient ou le requéraient, ouvert aussi des écoles supérieures pour les jeunes gens de condition élevée; mais le grand amour de votre fondateur fut toujours pour les enfants du pauvre et simple peuple; et l'école qu'il institua, entendit non seulement les instruire et les éduquer dans la foi chrétienne — qui restait constamment son but le plus élevé, — mais il voulut également leur donner, grâce à une sage méthode pédagogique basée sur l'expérience, de solides connaissances, pour les préparer et les former à la vie. A lui donc revient vraiment le titre honorifique qui lui a été récemment attribué1.

Toute oeuvre durable et vraiment chrétienne doit être fondée sur l'épreuve :

Votre Père a édifié son Institut sur le fondement que le divin Rédempteur a établi comme base de toute son (Euvre et qui sera toujours la sûre garantie de l'authenticité et de la continuité de toute institution dans l'Église : sur le fondement de la Croix. Ce qu'il endura, avec une vertu héroïque, pendant les dernières années de sa longue vie, resplendit comme l'une des perles les plus précieuses et les plus brillantes dans l'histoire des saints. Aussi Nous réjouissons-Nous d'autant plus du grandiose édifice si solidement élevé sur ce fondement.

On peut bien appliquer très excellemment à Calasance la promesse du Psalmiste : « Qui seminant in lacrimis, in exulta-tione metent. » « Ceux qui sèment dans les larmes, récoltent dans la joie. » (Ps. CXXV, 6).

Par une singulière disposition de la divine Providence, cette année 1948 marque lumineusement les deux moments de la promesse. De 25 août 1648, est encore le temps des douloureuses semailles, des larmes, de la crucifiante épreuve, tandis que, en même temps que semeur, il était le grain de blé jeté dans le sillon pour y mourir et y germer. Mais voici que le blé renaît, croît, mûrit, et que le semeur, vivant dans l'éternité de lumière, voit, encourage, bénit les moissonneurs. Cent ans plus tard, au grand soleil de la gloire, même sur terre, le Bienheureux apparaît aux yeux du monde, portant joyeusement dans ses bras les belles gerbes dorées.

Se tournant vers les éducateurs, le Souverain Pontife leur demande de x promouvoir l'éducation chrétienne intégrale :

Vous tous, rassemblés, ici, unis à tous ceux qui ne peuvent être présents que de coeur, vous lui rendez l'hommage mérité. Mais il attend principalement de vous que vous poursuiviez et promouviez toujours mieux suivant son exemple, sous sa direction et sa protection, ce qui fut l'idéal de sa vie et de sa pensée : l'éducation chrétienne complète de la jeunesse.

Vous surtout, ses fils par votre profession religieuse; vous . qui, animés de son esprit, avez comme lui consacré votre vie à l'apostolat si cher à son coeur. Et Nous pensons en ce moment aux eminentes figures de dignitaires ecclésiastiques, de théologiens, de gens de lettres et de savants qui ont illustré votre Ordre; mais Notre souvenir va avec une reconnaissance et un amour particuliers au « scolope inconnu », à tous les membres de votre Institut qui, par leur modeste travail, souvent trop peu considéré du monde, ont formé des miniers et des milliers d'enfants au savoir et à toutes les vertus religieuses et civiles.

Cet idéal est très élevé parce qu'il a pour objet suprême la formation surnaturelle et par conséquent le salut éternel des élèves confiés à leurs soins, il est d'autre part très vaste, car il vise à former des hommes parfaits par leur culture intellectuelle, morale, scientifique, sociale, artistique, suivant la condition, la position, les légitimes aspirations de chacun, de façon qu'aucun d'eux ne devienne un déclassé ou un inapte et que, par ailleurs, aucun ne voie fermé devant ses pas le chemin qui monte vers les sommets; magnifique et sainte tâche qui requiert chez les éducateurs, en même temps que de de la finesse et du tact, dons destinés à les mettre à même d'infuser à chaque élève, en matière de connaissances solides et - vastes, ce qui lui convient particulièrement, l'art de plier et d'adapter leur enseignement à l'intelligence et à la capacité des adolescents, et qui suppose surtout du dévouement de l'amour et, dans la mesure de leurs forces, un saint enthousiasme, lequel suscite l'intérêt spontané des élèves et stimule leur ardeur au travail.

La vie spirituelle des éducateurs est la source de cette pédagogie authen-tiquement chrétienne:

Mais où donc puiserez-vous ce trésor de pédagogie supérieure dont vous avez besoin? Dans votre vie spirituelle intérieure; dans la prière, dans l'étude, en un mot dans la pratique exacte et fidèle des devoirs de votre état, que le saint Fondateur vous a inculquée par ses exemples, par les Constitutions émanées de lui, par ses admirables lettres qu'un amour filial, joint à une érudition diligente et profonde, a mises ou mettra prochainement dans vos mains. Ce maître incomparable vous apprendra toujours plus parfaitement ce que vous devez savoir et faire, et comment vous devez imiter sa magnanimité dans les souffrances, car l'éducation est avant tout une oeuvre d'amour, et la grande école de l'amour c'est la croix.

Puis, se tournant vers les élèves, le Pape leur demande de se consacrer de bon coeur à l'oeuvre de leur propre formation:

Mais c'est vers vous aussi que Nous Nous tournons, chers élèves, vers vous qui pouvez déjà comprendre, ou du moins entrevoir quelle grande oeuvre est votre éducation; grande par la fin qu'elle se propose, grande par ce qu'elle coûte à vos éducateurs, grande par la collaboration qu'elle requiert de vous. Ainsi la concevait le Saint, que vous honorez spécialement aujourd'hui, mais auquel vous devez rendre un culte et un hommage constants, non moins par des actes de dévotion qu'en faisant de votre mieux pour correspondre aux intentions de son coeur à votre sujet. C'est pourquoi, vous qui croissez dans l'atmosphère des écoles calansanciennes vous ne pouvez certainement pas aller chaque jour en classe étudier diligemment les leçons et faire consciencieusement les devoirs prescrits, uniquement parce que vous y êtes obligés, ou seulement pour enrichir votre esprit de connaissances toujours plus vastes, pour affiner votre intelligence par l'exercice et la culture, pour vous assurer une honnête condition de vie. Non; outre ces buts justes, et droits, l'éducation a pour fin supérieure de former et perfectionner en vous le chrétien digne de son caractère naturel et surnaturel, utile à la société, quelle que soit la fonction à laquelle la Providence le destine. Mais pour façonner de tels hommes, avez-vous réfléchi à quel travail, à quelles fatigues, à quels renoncements totaux et continus vos maîtres et professeurs doivent se soumettre? Vous imaginez-vous ce qu'il leur en coûte, à eux qui vous aiment comme ils vous aiment, pour s'imposer l'obligation du travail, accepté de bon coeur, sans doute, mais certainement austère, ainsi que l'observance de la discipline, aimable tout en étant forte? D'oeuvre de la formation comporte inévitablement quelques restrictions. Or, la restriction peut être ou subie de mauvais gré, ou acceptée volontiers, ou encore généreusement et joyeusement accueillie par vous-mêmes, en filiale collaboration avec vos éducateurs. C'est à cette collaboration que vous appelle la pédagogie de saint Joseph Calasance, aussi bien dans l'étude intellectuelle, profane et religieuse, que dans la culture morale et surnaturelle, où il s'agit pour vous non pas tant d'enregistrer les bons résultats, comme de simples récepteurs passivement exacts, que de coopérer avec une activité, à la fois sociale et personnelle.

Aujourd'hui, l'éducation doit viser d'une manière spéciale:

— à donner de solides convictions;

— à apprendre à vivre dignement. ...

Tout cela est vrai en général. Mais chaque époque a son propre aspect auquel l'éducation chrétienne doit nécessairement s'adapter. Aussi, nous estimons que l'école catholique doit avoir présents deux buts spéciaux :

i° A l'inquiétude, à la multiplicité démesurée, à la pression de la vie moderne, qui enserre comme dans une spirale l'homme presque tout entier et ne le laisse plus rentrer en lui-même, à la frénésie de la réussite, suivant laquelle on juge sans faire attention si elle est vraie ou fausse, bonne ou mauvaise, licite ou illicite, l'éducation catholique est appelée à opposer l'homme animé de claires, sûres et profondes convictions.

N'est-ce pas là la voix de l'expérience quotidienne? Regardez. Quiconque n'a pas de solides principes est aujourd'hui emporté sans résistance par les hautes vagues des luttes idéologiques. C'est pourquoi tant de regards se tournent présentement, pleins d'espérance, vers l'Église. Celle-ci a derrière elle une histoire admirable de sainteté et de grandes oeuvres, elle est riche de vieilles coutumes, de beauté et de formes sublimes. Mais ce qui en elle attire surtout les âmes, c'est la conviction, ferme comme sur un roc, de la vérité absolue, de la force divine de cette foi, de laquelle tout le reste reçoit vie et valeur.

2° A l'instabilité morale, vers laquelle la jeunesse est attirée de mille façons par la superculture, par le livre, par les images, par le « film », c'est la tâche de l'éducation catholique d'opposer l'homme, qui sait se dominer soi-même, conserver et défendre sa dignité humaine et chrétienne.

Da morale catholique a le coeur large; elle accueille et embrasse tout ce qui se trouve dans l'ambiance de cette dignité. Dà cependant sont marquées les limites qu'il n'est pas permis de dépasser. Maintenir inviolables ces umites, constamment et en toute circonstance, c'est la gloire et le mérite des âmes fortes; mais la grâce et la prière sont nécessaires pour les obtenir — grâce et prière sans lesquelles la victoire n'est pas possible, — il est nécessaire que le jeune homme soit exercé dès ses premières années aux renoncements, au sacrifice, à la maîtrise de lui-même.

C'est pourquoi, sur vous tous, éducateurs et élèves, nous invoquons l'intercession du saint fondateur, homme à la foi inébranlable et à l'héroïque abnégation, et, plaçant avec lui les écoles pies de la Mère de Dieu sous la puissante protection de la Vierge très pure, Nous vous donnons avec une paternelle affection, la Bénédiction apostolique.


DISCOURS AUX PÈRES CAPUCINS

(25 novembre 1948)1

Au cours du mois de novembre se tint à Rome une semaine d'études réunissant 150 pères Capucins d'à peu près toutes les provinces de l'Ordre pour étudier « Les nécessités actuelles de l'apostolat ». Les participants furent reçus en audience par le Souverain Pontife qui invita les Pères Capucins à rénover leurs méthodes d'apostolat:

Depuis longtemps, très chers Frères mineurs Capucins, Nous souhaitions Nous acquitter envers vous aussi, en quelque façon du devoir de charité qui Nous oblige à l'égard de tous, la bienveillance que Nous avons pour vous Nous y incite, en effet, et Nous y presse, ainsi que la grande estime que Nous avons pour vous et pour tout ce qui est vôtre; que Nous sentons pour ainsi dire innée et gravée en Notre âme. En cela, Nous ne voulons pas être inférieur à Nos prédécesseurs qui vous ont comblés de faveurs ; par exemple, Grégoire XIII qui s'intéressa à votre diffusion et à votre expansion, même au-delà des frontières de l'Italie ; Paul V, qui vous reconnut juridiquement ; Urbain VII qui compléta et approuva vos règles et constitutions ; Déon XIII, qui, de beaucoup de manières, favorisa votre développement.

Nous Nous réjouissons donc grandement de ce que l'occasion Nous est maintenant offerte de vous témoigner Notre sollicitude à vous qui, de votre pays êtes venus à Rome où, en une éminente assemblée groupant presque toutes les provinces de votre Ordre, vous vous apprêtez à traiter des questions d'une grande importance pour votre vie et votre activité.

Renouvelant, ou plutôt ranimant l'esprit et le souffle de votre Institut, vous vous proposez d'entreprendre de nouvelles oeuvres adaptées aux changements et aux besoins actuels.

II faut en effet, avoir constamment le souci d'adapter ses efforts aux conditions nouvelles :

Car les religieux doivent avoir grandement à coeur d'imprégner le siècle dans lequel ils vivent de la saine influence et de la grâce de l'Évangile, et, par les méthodes et les voies appropriées, de gagner au Christ les hommes de leur génération. Quoi de plus désirable que ce but poursuivi? Quoi de plus salutaire que ces oeuvres? Nous ne pouvons manquer d'approuver ces heureux desseins.

Il faut sans cesse faire un discernement entre ce qui doit être conservé et ce qui doit être transformé:

Da loi même de la vie exige la conjonction des choses nouvelles et des choses anciennes, afin que la vie reste toujours identique et qu'elle soit en même temps active.

Parmi les choses à conserver fidèlement inchangées, il faut citer la vie religieuse elle-même, dans tout ce qu'elle a d'essentiel, et en particulier, l'esprit de pauvreté de Saint François d'Assise:

C'est pourquoi il vous faut conserver intégralement et précieusement cette forme de vie religieuse. C'est pour la pratiquer et la professer que vous avez été fondés. Ce que vos pères proposèrent pour eux-mêmes, et pour leurs compagnons, même futurs, et qu'on doit sauvegarder avec un soin extrême, c'est la pauvreté évangélique, à pratiquer suivant le précepte et l'exemple du patriarche d'Assise. Quelle foule de maux sont nés de l'exécrable soif des richesses : guerres, révoltes, famines, perversion des moeurs, bouleversements. De même l'écart qui existe entre ceux qui sont trop riches et ceux que rongent la misère et le dénuement engendre de mortels désordres. De remède à cette calamité et à cette corruption, c'est l'exemple de la pauvreté évangélique : elle est la compagne de l'esprit de travail ordonné par Dieu, l'amie de la vertu, la maîtresse des peuples, la gardienne et l'honneur du royaume du Christ, le gage le plus ferme d'un avenir meilleur. Son noble étendard a été remis entre vos mains; maintenez-le sans tache. Il ne convient pas de l'exalter en paroles flatteuses et mensongères et en réalité de le fouler aux pieds.

Cette pauvreté doit éclater extérieurement : '

Il peut arriver à tout Institut religieux, par suite de son expansion et de son développement, d'avoir besoin de locaux nouveaux et plus vastes. On peut compléter ce qui manque, mais en usant de juste mesure et de modération. Il ne faut pas que la lumineuse pauvreté qui tient son éclat de l'habitation et du vêtement, soit misérablement ternie par les raffinements du confort de l'existence ni que les actes contredisent les paroles.

Par contre l'Ordre des Capucins doit briller par sa richesse spirituelle :

De même zèle que vous manifestez dans l'amour d'une honnête pauvreté quant aux choses extérieures, il vous faut aussi le montrer en amassant les fruits réels de la richesse spirituelle : l'amour envers Dieu et envers le prochain, l'estime de la pénitence, la connaissance des doctrines sacrées, le désir ardent d'étendre le royaume du Christ. Il vous appartient de briller par la simplicité de vos moeurs, par une bonté sincère, par l'épanouissement de votre sainte joie; et, humbles, de servir les humbles dans l'accomplissement du ministère divin; mais surtout d'aimer et d'assister les plus faibles d'entre eux que les méchants s'efforcent d'attirer à eux par toutes sortes d'artifices pervers.

Par l'humilité, les Pères toucheront ceux qui sont dans d'humbles condition de vie : . .\;,k,>.

Oui, que votre principal ornement soit l'humilité chrétienne, laquelle compagne de la bienveillance et de la bonté, sait vaincre et s'attacher judicieusement les hommes. Ceux-ci se retranchent dans une réserve impénétrable, et il est très difficile de la forcer pour faire leur conquête. Des coeurs humbles s'ouvrent devant l'humihté ; à elle seule sont promis les victoires et les magnifiques triomphes. C'est cette vertu conquérante qui a communiqué un merveilleux éclat aux saints du ciel qui, en grand nombre furent ici-bas des vôtres, tels que Félix de Cantalice, Daurent de Brindisi, Joseph de Déonissa, Fidèle de Sigmaringen, Conrad de Parzham.

C'est armé de cette façon qu'on peut songer à fonder de nouvelles oeuvres :

Allez donc, et pleins d'une antique vertu, entreprenez de nouvelles oeuvres, conformes à votre profession religieuse;

ainsi vous porterez secours au siècle bouleversé, vous qui pratiquez si ardemment la charité séraphique, nourrie en vos âmes, manifestée à l'extérieure.

D'ailleurs c'est la charité consumant les coeurs qui sera la clé de tous les problèmes:

Quoi de plus précieux que la charité dont vous devez, vous, riches, enrichir les autres? Nous proposons à votre réflexion et à votre méditation ces splendides paroles de saint Bernard : « Oh ! quelle bonne mère que la charité ! soit qu'elle soulage les faibles, soit qu'elle encourage ceux qui vont de l'avant, soit qu'elle calme, soit qu'elle gourmande les troublions, se montrant différente suivant les catégories d'âmes, elle aime tous les hommes comme ses propres enfants. Elle est douce, entreprenante, simple; elle sévit avec bonté, elle charme sans feinte, elle sait s'irriter patiemment, s'indigner humblement; blessée, elle ne riposte pas; méprisée, elle ne réplique pas. Car elle est la mère des anges et des hommes. »

Joyeux, libres, dégagés de tout fardeau, il vous faut chanter et pratiquer le cantique de la charité. Votre louange ne cessera pas, si vous ne cessez de progresser dans la vertu : « Il loue Dieu celui qui vit pour Dieu; il chante son nom celui qui travaille pour sa gloire. »

Le Saint-Père attend avec confiance les conclusions des débats des congressistes :

Bien que vous n'ayez nul besoin de ces exhortations, vous qui, Nous le savons, vous acquittez diligemment de votre tâche, Nous avons tenu cependant, comme marque de Notre affection et de Notre bienveillance, envers vous, à vous adresser ces conseils, car Nous attendons et espérons beaucoup de vous.

Afin que ces voeux soient amplement réalisés, Nous implorons l'aide de la grâce céleste sur vous et sur toutes vos entreprises. Enfin la Bénédiction apostolique que Nous vous donnons de tout coeur à vous présents ici, et à tous vos compagnons, en est 1'auspice et le gage.

LETTRE AU R. P. CLÉMENT DE MILWAUKEE MINISTRE GÉNÉRAL DES FRÈRES MINEURS CAPUCINS (4 décembre 1948)\21

Le Saint-Père revenant encore une fois sur le sujet qu'il avait traité dans son Discours aux Pères Capucins réunis en congrès à Rome en novembre 1948 2, insiste dans une Lettre envoyée au R. P. Clément de Milwaukee, ministre général des Frères Mineurs Capucins, sur la nécessité de se diriger vers de nouvelles activités apostoliques:

Ainsi que Nous l'avons dit, à vous et à vos Fils, en l'audience que Nous vous avons accordée à l'occasion du Congrès de la presque totalité de vos provinces, qui vient de se tenir à Rome, c'est avec une grande joie que Nous vous voyons engagés avec tant d'ardeur et de soin à doter votre Institut — qui a dans le passé prouvé merveilleusement sa vitalité en s'appliquant à la perfection de la vie religieuse, comme en se consacrant au ministère apostolique — activités toujours plus étendues et toujours plus nombreuses.

Le Souverain Pontife insiste sur le fait que ces oeuvres doivent être créées tant dans les pays de missions étrangères que dans les pays à tradition catholique :

Ces oeuvres d'apostolat, comme vous le savez, paraissent de nos jours non seulement opportunes, mais absolument nécessaires. Il nous faut en effet, un nombre plus grand et plus zélé de « crieurs » de l'Évangile, qui diffusent chaque jour davantage les enseignements de Jésus-Christ et son règne de paix, aussi bien dans les pays qui n'ont pas encore été initiés à la vie chrétienne, que dans leur propre patrie : autrement dit, même dans les régions qui, depuis longtemps, ont l'avantage de la religion et de la civilisation apportées par le Dieu Rédempteur.

Il ne faut pas se faire illusion sur le sens religieux de nos contemporains :

Car personne n'ignore combien la foi est languissante dans plusieurs classes de la société, au point d'engendrer souvent dans les coeurs tiédeur et négligence pour les choses divines.

Les riches négligent leurs devoirs pour jouir:

D'une part, ceux qui possèdent largement les biens de la terre ne songent souvent qu'à se livrer sans frein aux plaisirs et aux jouissances de la vie présente.

Les travailleurs se laissent entraîner par les fausses doctrines notamment par le communisme:

De l'autre, ceux qui se trouvent dans l'indigence; ceux qui sont obligés — au prix de leur sueur et de leur travail — de se procurer pour eux-mêmes et pour leur famille une nourriture insuffisante, séduits par des promesses fallacieuses et de fausses doctrines, s'éloignent de l'Église, comme si elle ignorait ou négligeait leur misérable sort.

Et cependant l'Église se fait la promotrice d'une vigoureuse action sociale en faveur des travailleurs :

D'Église, au contraire, cherche de toutes ses forces non seulement à faire briller la vérité dans leur intelligence, à soutenir leur âme par l'espoir réconfortant des biens célestes mais aussi à soulager, dans toute la mesure de ses ressources, les nécessités de leur vie présente.

Il convient de faire connaître aux masses la doctrine et l'action sociales de l'Église:

Dans cet enseignement salutaire et dans ce travail, il est de toute nécessité que ne manquent pas à l'Église des collaborateurs qui l'aident de leur concours actif et généreux. Des immenses masses populaires le réclament surtout, elles qui, en raison de leur dure indigence et de leur culture moins parfaite, sont plus facilement trompées par les apparences et écartées trop souvent du chemin de la vérité, au grand dommage de la religion et de l'État.

Cette mission revient d'une manière spéciale aux Frères Mineurs Capucins :

Or, toujours et dès leurs origines, les Frères Mineurs Capucins se vouèrent spécialement aux oeuvres d'apostolat et de charité pour le bien des masses populaires. Comment aujourd'hui n'intensifieraient-ils pas avec une ardeur plus attentive ce travail pénible, alors que les nécessités augmentent d'une façon si étendue?

A cet effet, il faudra aujourd'hui exercer l'apostolat sur les places publiques et partout où le peuple vit:

Des temps actuels réclament qu'ils exercent cet apostolat non seulement dans les églises — trop souvent ceux qui en auraient besoin les désertent —, mais aussi chaque fois que s'offre à eux comme prêtres l'occasion d'exercer le saint ministère : dans les campagnes, les ateliers, les usines, dans les hôpitaux et les prisons, et quand ils se trouvent au milieu des travailleurs, qu'ils deviennent les frères de leurs frères pour les gagner tous au Christ.

En particulier on n'hésitera pas à se mêler aux ouvriers :

Qu'ils joignent leurs sueurs apostoliques à celle des ouvriers ; qu'ils libèrent leur esprit des ténèbres de l'erreur et l'élèvent vers la lumière de la vérité; qu'ils s'efforcent de pacifier et d'imprégner les esprits aigris parfois par la haine et par les rivalités. Surtout, qu'ils leur fassent bien comprendre que l'Église est leur vraie Mère; une Mère qui songe non seulement à leur assurer le salut éternel, mais aussi à les tirer de leur misère pour les élever à de meilleures conditions de vie, non par des idéologies fallacieuses, des procédés violents et des révolutions, mais par la justice, l'équité et une amicale entente entre les différentes classes sociales.

Il faudra veiller à l'éducation religieuse des travailleurs :

Mais avant tout, il faut les éduquer à la pratique des commandements de Dieu, les inciter à la profession convenable de la religion, à la fréquentation des sacrements, à la réforme des moeurs privées et publiques. En effet, comme vous le savez, quand on néglige la vérité évangélique, qu'on abandonne la vertu et la vie chrétienne à laquelle le divin Rédempteur appelle tous les hommes, tout croule, tout vacille et tôt ou tard périt misérablement.

Le Pape invite des Pères Capucins à pénétrer les masses de l'esprit de Charité :

Engagez-vous dans cet apostolat, le coeur brûlant d'amour de Dieu, sans ménager vos peines. Pénétrez au milieu des masses comme médiateurs de paix, maîtres de vérité, apôtres de la piété et de la religion chrétiennes. Que votre exemple brille aux yeux de tous : ainsi vous gagnerez plus facilement les coeurs à vous-même et au Christ. Ce n'est qu'en suivant cette voie que, avec l'inspiration et l'aide de la grâce divine, émules des saintes et glorieuses entreprises de vos prédécesseurs, vous recueillerez des fruits toujours plus abondants de salut.

Cet apostolat sera efficace à condition que les Pères soient mus par l'authentique esprit franciscain :

Toutefois, soyez convaincus et ne perdez pas de vue cette vérité capitale : pour entreprendre ces oeuvres d'apostolat plus intense que les temps nouveaux exigent aussi de vous, vous ne devez nullement adoucir et encore moins modifier radicalement le genre de vie propre à votre vocation religieuse. Il faut au contraire, qu'il se pénètre et s'inspire toujours plus de l'esprit évangélique, de telle sorte qu'en vous tous brille la pauvreté franciscaine ; que vous vous distinguiez par une simplicité et une humilité aimables, et surtout que vous conserviez votre traditionnelle austérité de vie, de manière toutefois qu'elle n'entrave pas votre apostolat; mais qu'elle soit comme adoucie par la joie surnaturelle du devoir accompli; il faut enfin que vous brûliez de cette charité envers Dieu et le prochain, qui consuma pendant toute sa vie le séraphique patriarche d'Assise.

Ce n'est qu'en restant fidèles à ces principes et en intensifiant chaque jour la ferveur de votre piété et de votre vie intérieure que vos oeuvres extérieures se pénétreront de cette force qui surmonte et maîtrise heureusement toutes les difficultés terrestres.

A ces conditions, les apôtres peuvent résolument entreprendre un apostolat nouveau auprès des masses :

Voilà ce que Nous vous souhaitons, voilà ce à quoi, d'un coeur paternel, Nous vous exhortons, vous invitant à aller de l'avant avec empressement, tout en implorant sur vous de Dieu le secours céleste qui vous est nécessaire.

Que Notre Bénédiction apostolique en soit l'augure et l'appui. C'est en témoignage de Notre particulière bienveillance et avec effusion de coeur que Nous vous l'accordons, à vous, Fils bien-aimés, et à toute la famille des Frères Mineurs Capucins.


Pie XII 1948 - DISCOURS AUX DÉLÉGUÉS DU CONGRÈS INTERNATIONAL DE L'UNION EUROPÉENNE DES FÉDÉRALISTES (il novembre 1948.) \21