Pie XII 1949 - ALLOCUTION AUX MEMBRES DE LA CATHOLIC YOUNG MEN SOCIETY


ALLOCUTION AUX ORPHELINS DE L'OEUVRE DE LA DIVINE PROVIDENCE DE GRAPPA

(16 octobre W49) 1

Recevant un groupe d'orphelins de cette OEuvre, le Pape leur adressa l'allocution que voici :

Votre présence, chers fils et amis de l'OEuvre « la petite Madone de Grappa » 2, Nous prouve une de ces rencontres qui sont la preuve palpable des miracles de la divine Providence dans ses égards envers les plus abandonnés de ses créatures.

1 D'après le texte italien de 1'OsserOafore Romano du 19 octobre 1949.
2 Grappa est une montagne du nord de l'Italie. Dans ses environs, Mgr Giulio Facibeni a édifié un orphelinat il y a 25 ans.

Une âme sacerdotale qui avait fait appel en vain à la charité des hommes pour sauver de l'abandon cinq petits enfants orphelins, les accueillit sous son toit, sans autres ressources que celles d'un pauvre presbytère dans un quartier ouvrier, sans autre programme que celui que la Providence même voudrait faire connaître.

Et la Providence, sous les auspices et par l'intercession de la Vierge, Reine du Ciel, est intervenue, récompensant une confiance qui ne pouvait être déçue. Don Facibeni — l'homme, le prêtre qui portait dans son nom le secret de sa vie — s'est trouvé — il ne saurait peut-être bien lui-même dire comment — bien vite entouré non plus de quelques orphelins en quête de tendresse et de secours, mais d'une foule, d'une multitude de petits qui n'a fait que croître et, débordant de l'humble asile, s'est prodigieusement étendue, si bien qu'aujourd'hui, l'oeuvre que Nous saluons est installée en quatorze maisons, florissantes de pupilles et de protecteurs, sous la bonne garde de la Vierge très sainte qui soutient, au nom de la divine Providence, la tâche assumée par cette oeuvre, il y a vingt-cinq ans, dans la charité de Jésus-Christ.

A cette charité, fils bien-aimés, vous Nous invitez à rendre hommage avec vous. Et Nous, non sans profonde émotion, Nous sommes heureux de le rendre de tout coeur, reconnaissant une fois de plus, que Celui-là tient ses promesses qui pense aux lis des champs et aux oiseaux de l'air mais avec combien plus d'amour aux fils de la douleur restés seuls dans le désert de la vie.

Il a si bien, Lui, en ces vingt-cinq années, pourvu aux besoins de 2426 orphelins que non seulement le pain matériel, mais le pain de la piété, de l'étude, de l'honnête métier, de la profession, de la culture, du sacerdoce a été largement distribué aux fils de la petite Madone de Grappa. Ceux-ci par les routes variées de la terre, portent aujourd'hui — ou se préparent à porter — le témoignage manifeste d'un gouvernement du monde qui outrepasse toutes les prévoyances humaines.

A ce témoignage, vous devez ajouter, fils bien-aimés, celui d'une vie véritablement chrétienne, qui soit au regard du monde le digne couronnement de tout ce que le bon Dieu a fait pour vous. Et Nous ne doutons pas que l'OEuvre dont Monseigneur Facibeni a été l'instrument providentiel, ne reçoive de vous aujourd'hui et toujours, cette glorieuse attestation.

C'est dans ce sens qu'il Nous est extrêmement agréable de former Nos voeux pour vous tous. Et tandis que Nous demandons au Seigneur que l'OEuvre de la petite Madone de Grappa affermisse son existence et multiplie ses fruits, étendant son action bienfaisante à toutes sortes de malheureux et d'humbles, portant le baume de l'espérance chrétienne partout où l'on travaille et l'on souffre, Nous vous accordons de grand coeur, chers fils, aux amis de l'OEuvre, à ses anciens protégés et à tous ceux qui de quelque manière l'aident, la Bénédiction apostolique.


LETTRE A L'ÉPISCOPAT ALLEMAND

(18 octobre 1949) 1

Pie XII commence par féliciter les Evêques de leur zèle pastoral :

Nous avons reçu votre lettre, témoignage de déférence, d'attachement et de révérence envers cette arche de la catholicité. Nullement imprévue mais souhaitée, vous Nous l'avez adressée, Nos très chers Fils et Vénérables Frères, lors de votre réunion annuelle au tombeau de Saint Boni-face. Elle est le témoignage encore plus manifeste des vertus dont Nous vous voyons ornés et dont Nous vous félicitons, louons à juste titre : poids de l'autorité, maturité des avis, gravité des moeurs, zèle diligent de votre vigilance pastorale. C'est conduits et comme poussés par ces vertus que vous veillez aux besoins des troupeaux confiés à vos soins, toujours ardents d'espérance, sans crainte des difficultés, « attentifs à garder l'unité de l'Esprit dans le lien de la paix » (Eph. IV, 3). Le travail ne vous manque jamais ni ne vous fait défaut parce que votre amour ne s'attiédit pas et que vous regardez comme une joie vos travaux et souffrances pour le triomphe de la cause de l'Evangile et l'établissement solide du royaume du Christ-Roi, source et accompagnement de tous biens.

L'Eglise doit constamment lutter pour garder son droit à éduquer la jeunesse :

Vous nous apportez vos remerciements de ce que Nous sommes venu au secours de vos compatriotes accablés sous le poids du besoin et de la nécessité, et de ce que Nous avons travaillé instamment à protéger les droits sacrés, surtout en matière scolaire. Une mémoire si reconnaissante de votre part Nous rend plus douce la consolation que Nous sentons fixée en Notre coeur, en rappelant à notre esprit ce que Nous avons fait et aiguise nos voeux de continuer dans le même sens, si Dieu qui Nous en donne la volonté Nous en fournit la possibilité.

Toute l'Eglise se solidarise aûec ceux qui souffrent la persécution :

Et avec cette charité qui nous ordonne de pleurer avec ceux qui pleurent, vous vous êtes profondément affligés des tristesses qui accablent l'Eglise en plusieurs régions, au point que dans la guerre faite au nom catholique, des mains téméraires n'épargnent pas les pasteurs sacrés et que les fidèles doivent souffrir la ruine et la prison. Les prières que vous répandez pour les justes injustement frappés et que vous continuez à répandre, avec le long cortège de vos bonnes oeuvres, hâteront certainement la victoire que le courage inébranlable de tant de héros et l'accumulation des puissants mérites de la confession de la foi rendent certaine. Fasse Dieu qu'en réponse à nos voeux communs arrive vite le moment où, la tempête apaisée et la justice transformée en jugement, l'Eglise puisse s'acquitter en paix dans toutes les nations de l'oeuvre de piété qui lui est confiée et pourvoir au salut de tous.

Les Evêques allemands ont pris hardiment la défense de la justice sociale :

Nous nous réjouissons complètement de ce qu avec vos efforts aussi, notre chère Allemagne sorte peu à peu du gouffre lamentable où la guerre sinistre l'a plongée, et l'espoir est désormais solide que les choses aillent bientôt mieux partout. Toutes les forces inhérentes à la loi morale et à la religion doivent être suscitées et dirigées vers 1 établissement d'un bien commun digne de ce nom. Nous vous approuvons, applaudissons, louons de tourner vos pensées vers le progrès de la justice sociale. 11 faut aller avec toutes vos ressources et tous vos efforts au-devant de la foule lamentable des indigents. La pauvreté évangélique est un bien, elle est amie de la vertu et elle se contente de peu, mais la misère elle-même est un mal, ainsi que les maux qui en découlent : la première doit être aimée, la seconde doit être chassée et abolie. Dieu qui a donné la vie à l'homme, lui fournit par l'aide et l'ordonnance de sa loi secourable le nécessaire pour bien vivre. La justice sociale, qui est le plus beau lien de sagesse, de bienveillance et d'honnêteté, doit veiller attentivement à atteindre ce but, en réglant convenablement la répartition et l'usage des richesses de manière à ce qu'elles ne soient pas ici concentrées d'une manière excessive et ne fassent pas là totalement défaut : les richesses sont en effet le sang de la communauté humaine et doivent donc circuler normalement parmi tous les membres du corps social.

En particulier la question du logement doit être étudiée très sérieusement :

Il nous plaît par-dessus tout et profondément que vous concentrez la lumière des enseignements, les avis et les réalisations dans le but de construire et d'aménager des maisons pour les familles dépourvues de toit. Qu'y a-t-il de plus nécessaire à une vie digne de la condition humaine, qu'une maison ? Elle est l'abri contre les intempéries, le lieu de restauration des forces physiques, la gardienne de l'honnêteté, la protection de la paix et de la joie si douce au coeur, un petit nid pour les enfants, un inviolable asile pour les exemples et le souvenir des aïeux et, si la grâce évangélique y fleurit, elle est une église domestique et un coin souriant du royaume de Dieu. Les citoyens qui en sont privés sont comme frappés de désespoir, profondément aigris, et entraînés par le désir des nouveautés, ils se précipitent aisément dans le pire.

Que les Evêques s'appuient sur l'Action Catholique pour résoudre les problèmes sociaux :

Vous avez eu, vous aussi autrefois, des hommes célèbres en doctrine et actes dans la solution des questions sociales : que leur exemple suscite un très grand nombre de continuateurs qui, avec au coeur le souci de la tranquillité et du bonheur de l'Etat, s'appliquent à résoudre à la lumière de l'Evangile et des enseignements de ce Siège Apostolique cette question sociale d'un si grand poids et d'une suprême importance. C'est la tâche surtout des membres de l'Action Catholique, sur lesquels vous devez vous appuyer en premier lieu comme auxiliaires et consacrer vos plus grands soins à leur affermissement en veTtus et en nombre. Car ils sont comme le levain évangélique adapté à notre siècle ; formé très soigneusement par vous et par vos prêtres, que ce ferment passe dans toute la masse, pour que celle-ci, menacée par une grande corruption, soit purifiée et guérie. Que dans le bon combat du Christ, personne ne faiblisse mais que chacun donne et consacre à promouvoir une si grande cause tout son talent et sa persévérance et s'applique ce noble conseil de Saint Bernard : « Toute ma gloire et mon orgueil est le triomphe de l'Eglise » (Lettre 147; Ml 182,48-49). Après ces exhortations, Nous demandons humblement à Dieu qu'il favorise vos efforts et que par sa toute-puissante volonté, Il donne à leur réalisation rendue difficile par l'injustice des hommes et le malheur des temps une suite favorable. Entretemps et en gage de ce secours surnaturel, nous vous accordons très affectueusement dans le Seigneur, à vous, Nos Très Chers Fils, au clergé et aux fidèles confiés à votre garde, Notre Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION A DES MEMBRES DU CONGRÈS DES ÉTATS-UNIS

(22 octobre 1949) 1

Un groupe de parlementaires américains voyageant en Europe pour étudier l'activité des organisations internationales, fut reçu en audience par le Saint-Père qui prononça l'allocution suivante :

Lorsqu'il y a à peine quelques semaines 2, Nous recevions un groupe de vos honorés collègues de la Chambre des Représentants, Nous leur avons exprimé, une nouvelle fois, Notre profonde et constante préoccupation envers le sort misérable de vastes populations que la marée brutale de l'après-guerre a déracinées et éparpillées sur les continents européen et asiatique et où l'avenir se dresse devant elles incertain et désespérant. Pour les petits surtout, créatures innocentes, espoir de cette génération, tout coeur humain doit souffrir. Votre Comité, Nous a-t-on dit, est aussi particulièrement intéressé par ce problème posé par ces membres affligés de la famille humaine dont la dignité humaine et les droits humains n'ont pas été diminués par leur misère et leur malheur. La générosité américaine a apporté de larges contributions aux différentes associations internationales de secours. Vous avez raison de venir constater comment ces secours ont été et sont encore apportés à ceux qui en ont le plus grand besoin.

Mais Nous osons dire qu'une autre question a surgi plus d'une fois dans Notre esprit si par sur Nos lèvres, est-ce que la politique d'immigration est aussi libérale que les ressources naturelles le permettent dans un pays aussi abondamment béni par le Créateur et telle que les besoins d'autres pays semblent l'exiger ? Vos voyages apporteront sans nul doute, de nombreuses données pour répondre à cette question l.

La tâche consistant à chercher à procurer la paix et une prospérité décente aux peuples dans la détresse, est gigantesque ; mais que tous ceux qui travaillent dans ce sens avec générosité se rappellent que le divin Maître a dit : « Si quelqu'un donne un verre d'eau au plus petit de ceux-ci... il ne restera pas sans récompense » (Matth. X, 42). « Ce que vous avez fait au plus petit de vos frères, c'est à Moi que vous l'avez fait » (Matth. XXV, 40).

Nous prions et Nous avons confiance que sous Son inspiration, et avec Son aide, les efforts faits par tant de personnes, dont le coeur est rempli de sympathie et d'amour humain, porteront des fruits toujours plus abondants.

Ce fut un plaisir pour Nous de vous recevoir, Messieurs, et Nous demandons que des bénédictions célestes de choix vous soient accordées pour vous et tous ceux qui vous sont chers.

1 Les statistiques prouvent que les Etats-Unis ont admis: en 1945, 38.119 immigrants; en 1946, 108.721 immigrants; en 1947, 147.292 immigrants; en 1948, .570 immigrants (dont 20.755 personnes déplacées).


ALLOCUTION A DES SÉNATEURS AMÉRICAINS

(27 octobre 1949) 1

Un groupe de sénateurs américains, en mission d'études, chargés d'examiner les répercussions en Europe de l'application du plan Marshall d'aide économique, ont été reçus en audience par le Pape qui déclara :

On répète souvent aujourd'hui, Messieurs les Membres du Sénat des Etats-Unis, que le monde est devenu beaucoup plus petit qu'il l'était il y a un siècle ou même, il y a une génération. Les grandes enjambées parcourues par l'industrie et par le génie inventif de l'esprit humain ont jeté autour du globe terrestre des liens qui ont rapproché les régions les plus distantes, où tous travaillent et se réjouissent, aiment et souffrent et luttent pour assurer la paix et la prospérité.

Et cela est vrai. Mais il est non moins vrai, et il est encourageant d'être le témoin du fait, que cette souffrance même, qui est le lot commun et qui, tôt ou tard, sous telle forme ou sous telle autre, qui frappe tout homme, même celui qui aspire à la paix, cette souffrance cimente —¦ peut-être pas encore une authentique amitié — du moins un sens profond d'intérêt réciproque, de sympathie et d'aide mutuelle. La sagesse des hommes d'Etat tendra à consacrer leurs efforts éclairés et efficaces afin de renforcer, de rendre durables et nobles, ces sentiments.

Qu'il Nous soit permis d'ajouter — et vous serez d'accord avec Nous — que ce but tant désiré ne sera atteint que si on admet un autre fait à savoir que le seul fondement solide en vue de réaliser l'harmonie du monde, consiste dans cette union essentielle déjà existante entre tous les hommes qui reconnaissent Dieu comme leur Créateur, leur Père commun dans les Cieux, qui a livré Son Fils unique pour notre salut a tous et à chacun d'entre nous. C'est la mission de l'Eglise de hâter le jour où tous universellement reconnaîtront ce fait. Toute Notre journée et tous les jours sont consacrés à cette oeuvre. Sa réalisation est une des nombreuses bénédictions que Dieu puisse vous accorder à vous et à tous ceux qui vous sont chers et Nous prions Dieu à cette intention.


ALLOCUTION A L'ORATOIRE DE SAINT PIERRE

(30 octobre 1949) 1

C'est une rencontre particulièrement agréable que Nous procure aujourd'hui, comme pour servir de couronnement à vingt-cinq années d'une vie aussi féconde en bonnes oeuvres, l'Oratoire de Saint Pierre 2 ; c'est comme la visite de personnes d'une même famille qui, séparées par la force des choses, et d'autant plus unies de coeur, parviennent à se revoir, dans l'ardeur de quelque grande occasion et confirment ainsi par la présence l'affection réciproque qui la liait indissolublement.

Vous êtes si près de Nous, à l'ombre — Nous pouvons le dire — de Notre demeure même du Vatican, et vos réunions religieuses, catéchistiques, vos fêtes, vos prières, vos divertissements, toute votre vie collective parfois bruyante se déroule comme sous Nos yeux, dirions-Nous, et pourtant Nous n'en recueillons que les échos, fussent-ils même pour Nous porteurs de satisfaction et de joie. Et voici qu'aujour-d hui, Nous vous voyons tous réunis autour de Nous des plus petits aux plus petites — préférés du Coeur de Jésus, si bons, si pieux, si dociles, si obéissants, consolation de leurs parents, de leurs maîtres et maîtresses — jusqu'aux plus grands et aux plus grandes ; Nous vous voyons dans votre belle organisation, avec vos dirigeants — parmi lesquels, Nous saluons d'illustres très dignes et très zélés Pré-

1 D'après le texte italien de l'Osservatore Romano des 31 octobre et 1 novembre 1949.

3 L'« Oratorio di S. Pietro » est un « oratoire » au sens où l'entendait S. Philippe de Néri, ou un « patronage » dépendant de la Cité du Vatican et destiné aux jeunes des quartiers avoisinants. Il a été doté par les Chevaliers de Colomb de chapelle, salles de jeux et de récréation, de cinéma et de spectacles, et de terrains de sports. Il est un champ d'apostolat pour les prélats de la Curie.

lats romains — avec vos visages ouverts à la joie, pleins du désir de Nous exprimer votre dévouement et vos promesses.

Merci, chers fils et chères filles, pour ce que votre présence Nous dit et que votre avenir Nous fait espérer. Aujourd'hui, dans l'exubérance de votre jeunesse, volontairement appliqués à votre sérieuse formation chrétienne, dans la piété, la pureté, l'étude, le travail ; demain, hommes honnêtes et travailleurs, femmes exemplaires, membres de la Cité terrestre pour la servir avec religieuse fidélité, moeurs intègres, noblesse d'aspirations ; et, en même temps, fils dévoués de l'Eglise, afin de mûrir vos âmes pour la Cité stable éternelle, celle de la vie bienheureuse et indéfectible dans le Royaume glorieux de Dieu.

Par la générosité des « Chevaliers de Colomb » à qui doit tant l'Oratoire de Saint Pierre, de sa providentielle fondation aux moindres besoins de sa multiforme activité quotidienne, rien ne vous manque de ce qui peut rendre facile et joyeuse votre formation spirituelle et morale, dans la victoire sur les passions désordonnées, contre les tentations et les périls qui guettent aujourd'hui, plus que jamais les jeunes coeurs — au milieu du triste spectacle d'une jeunesse que d'autres s'emploient à élever sans Dieu, sans vertu, ni honnêteté, sans autre idéal que les basses jouissances de ce monde. Chez vos dirigeants, pour qui le sentiment paternel de la vie sacerdotale est la norme irréfragable de leur activité et de leur affection, vous trouvez des soutiens et des maîtres par lesquels l'Oratoire représente à la fois l'aimable accomplissement de votre vie de famille et le guide sûr de vos âmes.

Mais si le souffle vital que vous respirez, le cercle de personnes au milieu duquel vous vivez, exercent tant d'influence sur l'homme, il doit en tirer profit pour le développement normal de ses forces. De même votre présence à l'Oratoire, si elle doit être nombreuse et assidue, doit se révéler surtout volontaire, c'est-à-dire attentive à tirer de l'Oratoire même l'esprit. Portant cet esprit partout avec vous, vous serez vous-mêmes, toujours partout où cela vous sera possible, des semeurs de ce bien que l'Oratoire vous a prodigué avec tant de largesse. Vous ferez ainsi dès maintenant ce que plus tard et en formes plus consistantes, votre esprit chrétien ne manquera pas d'accomplir avec une conscience plus formée et vous vous sentirez aussi dès maintenant investis de l'honneur d'un précieux apostolat, pour ramener à la vertu et à Dieu tant de jeunesse moins privilégiée que vous.

Avec ces sentiments, élevant vers Notre-Seigneur, Nos voeux ardents pour l'accroissement et la mission toujours plus fructueuse de l'Oratoire de Saint Pierre. Nous accordons de grand coeur à vous, à vos dirigeants, et à ceux qui vous soutiennent, à vos familles et à quiconque vous est cher. Notre paternelle Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION AUX DÉLÉGUÉS DE LA CHAMBRE DE COMMERCE DU CANADA

(31 octobre 1949) 1

De passage à Rome des membres de la Chambre de Commerce canadienne furent reçus par le Pape qui se plut à indiquer devant eux le rôle du commerce :

Votre présence auprès de Nous, chers fils et chères filles, est un témoignage de l'esprit qui vous anime dans l'usage des biens de ce monde. Nous en sommes touché et Nous vous remercions.

Les biens matériels doivent être administrés au profit de toute la communauté :

Vous vous en considérez avec raison comme les dépositaires, plutôt que comme les maîtres, pour les administrer au profit des moins favorisés, plutôt que pour en jouir vous-mêmes.

De plus, ceux qui possèdent les biens de la fortune doivent utiliser ceux-ci pour secourir les indigents :

Que telle soit non seulement votre disposition de coeur, mais aussi votre attitude effective. Nous en voyons la preuve tangible et dans ce que vous avez fait jusqu'ici pour soulager la misère du pauvre, pour honorer la dignité personnelle de l'indigent, et par ce que vous vous préparez à faire de plus en plus en vue de promouvoir, par une sage et forte organisation, la croisade de la charité.


CHAMBRE DE COMMERCE DU CANADA

Canada mérite les éloges du Pape pour les dons qu'il a l'adresse des miséreux d'Europe :

Tant de fois, après avoir fait Nous-même ce que Nous avons pu, et manifesté Notre reconnaissance envers tous ceux qui Nous avaient aidés à le faire, Nous avons renouvelé, en maintes circonstances, Notre pressant cri d'appel ! Le Canada tient une belle place d'honneur parmi tous les peuples dans la réponse à cet appel, part d'autant plus belle que, par-dessus la simple oeuvre de bienfaisance, louable certes, mais purement naturelle, vous pratiquez la véritable charité chrétienne surnaturelle celle qui dans le pauvre besogneux voit un frère en Jésus-Christ, objet de la prédilection du Fils de Dieu fait Homme.

Par là, vous ajoutez à tant d'autres encore un titre de plus à Notre affection paternelle pour votre bien-aimée patrie, toujours fidèles à ses vieilles et nobles traditions d'esprit de famille, d'amour pour la Vierge Marie, de dévouement à la cause du Christ et de son Eglise.

Aussi est-ce de tout Notre coeur que Nous lui donnons à elle, à vous-mêmes, et à tous ceux qui vous sont chers, Notre Bénédiction apostolique.


LETTRE DE MGR MONTINI Substitut à la Secrétairerie d'État A L'AUMONIER GÉNÉRAL DE L'ASSOCIATION DES SCOUTS CATHOLIQUES ITALIENS

(3 novembre 1949) 1

Tandis que l'Association scoute catholique italienne, au premier lustre de sa reprise, se recueille dans la prière, pour l'âme de son fondateur, le Comte de Carpegna, à l'occasion du vingt-cinquième anniversaire de sa mort, l'hommage qu'elle a bien voulu offrir au Saint-Père dans une protestation de fidélité, de dévouement, de soumission absolue lui agrée particulièrement. Elle est bien connue sans doute de Votre Révérence, la sympathie toute spéciale de Sa Sainteté pour un mouvement comme celui des Scouts catholiques, destiné à former dans les rangs de la jeunesse les hommes et les chrétiens intégraux dont l'Eglise a besoin.

Une telle entreprise, importante entre toutes, est d'autant plus nécessaire de nos jours que les procédés les plus insidieux sont aujourd'hui mis en oeuvre pour diminuer, pour détruire même si possible dans l'âme des enfants et des jeunes gens la foi en Dieu et dans les valeurs de la grâce, en diminuant et détruisant parallèlement dans leurs coeurs la candeur et la simplicité des moeurs.

L'expérience rend bon témoignage de la valeur forma-tive du Scoutisme ; et les valeurs qu'il inculque — honneur, loyauté, esprit chevaleresque et généreux, de service du prochain — tandis qu'elles s'adaptent si bien au caractère ardent du garçon, constituent un solide fondement naturel sur lequel se greffe ou se développe plus facilement la vie de la grâce.

1 D'après le texte italien de l'Osservatore Romano du 10 novembre 1949.

Justement en raison de cette harmonieuse rencontre d'éléments naturels et surnaturels, il s'est fait, que bon nombre de vocations sacerdotales et religieuses ont trouvé dans le scoutisme le climat le plus favorable à leur développement.

Aussi Sa Sainteté a-t-elle bien raison de compter que l'Association Scoute Catholique Italienne, fidèle à sa tradition de méthode éducative voudra poursuivre, avec une volonté résolue, une activité qui s'est révélée si féconde en bons fruits et en instrument si efficace d'apostolat.

Les dirigeants et les membres voudront donc surtout s'efforcer de conquérir à la bonté et à la vérité des garçons qui entreraient difficilement dans des associations catholiques d'un autre genre.

En cette noble entreprise, leur zèle sera remarquablement aidé par les qualités caractéristiques de leur formation, c'est-à-dire par l'heureux mélange d'application au réel et de culte de la fantaisie, d'esprit d'initiative personnelle et de sens très vif de la solidarité, d'humble souci du pratique immédiat et d'élan vers les grands idéaux de la vie.

Qu'ils ne s'abandonnent pas à une excessive confiance dans les promptes adhésions des garçons pour faire nombre ; car à des adhésions faciles correspondent des désertions faciles. Que plutôt ils persévèrent à déposer la semence, certains que leurs efforts recevront du Seigneur la récompense du fruit et de la croissance.

De plus, ils devront se garder de limiter leur action à un cercle restreint de privilégiés. Qu'ils aillent aussi avec amour et intelligence aux groupes nombreux de garçons qui fréquentent l'école ou déjà gagnent leur pain par le travail.

Finalement, les dirigeants sachant bien que rien ne peut s'acquérir en fait de véritable bien spirituel par leurs propres efforts, si leur âme n'est pas abondamment nourrie de vie intérieure, devront donner tous leurs soins à cette vie même, intensifiant leur prière et mettant à la place d'honneur dans leur journée la méditation des éternelles vérités de l'Evangile. Grande est donc leur responsabilité d'exemple et d'influence morale vis-à-vis des garçons, mais ils y seront sûrement inférieurs si leur vie n'est alimentée de profonde vertu chrétienne, d'amour de recueillement et de prière.

Le Saint-Père, en outre, voit avec satisfaction que l'Association Scoute Catholique Italienne répète aujourd'hui, après les cinq premières années de fervente reprise, sa volonté de fraternelle collaboration avec les autres associations de jeunesse catholiques, de parfaite soumission à l'Eglise, d'empressement à servir en toute circonstance toutes oeuvres bonnes et charitables.

La prochaine Année Sainte, avec ses solennelles manifestations de piété donnera de fréquentes occasions aux Scouts catholiques de pratiquer ces vertus de service et de l'exemple qui les rendent sympathiques aux hommes, suprêmement agréables au Seigneur. De cette mission qui leur incombe, ils voudront se rendre dignes non moins dans l'esprit que dans l'activité extérieure. Et, ils voudront nourrir leur esprit de piété avec les moyens que leur Association même leur donnera à tous largement.

Tous les voeux de Sa Sainteté vont à cette fin. Et entretemps, à titre d'encouragement dans leurs résolutions et en gage de Son affection paternelle, Elle me charge de vous communiquer, Monseigneur, au Président, au Commissaire central, aux dirigeants et à tous les membres de L'Association Scoute Catholique Italienne sa particulière Bénédiction apostolique.

Le Premier Congrès des Juristes catholiques italiens s'est tenu à Rome en novembre 1949. Le Pape accueillit les congressistes à Castel-Gandolfo et prononça le discours suivant :

Vous avez eu l'heureuse pensée, chers fils, de préférer Rome à d'autres villes d'Italie, qui auraient pu dignement vous accueillir comme siège du premier Congrès de l'Union des Juristes catholiques italiens, à laquelle vous avez donné ces jours-ci sa forme définitive et sa constitution interne. Vous en avez discuté et approuvé le statut et élu le président qui, suivant les normes fondamentales établies par vous, devra favoriser son développement et diriger son activité. Cependant, tout en Nous réjouissant avec vous du travail accompli, Nous ne pouvons manquer de relever que votre désir et votre souci de vrais et dignes juristes catholiques ont été d'entourer le berceau de votre Association d'une double auréole : l'une qui emprunte son éclat à la Rome éternelle et l'autre qui répond à l'appellation dont vous êtes fiers.

Le Pape exalte le rôle du Droit :

Vous êtes, en effet, avant tout juristes fervents de la noble science qui, entre bien d'autres, étudie, règle et applique les normes sur lesquelles sont fondés l'ordre et la paix, la justice et la sécurité, au sein de la communauté civilisée des individus et des nations.


DISCOURS AUX JURISTES CATHOLIQUES ITALIENS

(6 novembre 1949) 1

C'est à Rome que fut le plus exactement codifié le Droit :

Or, Rome a la gloire d'être la mère par excellence du Droit. Si dans l'antiquité, d'autres peuples se glorifièrent de la splendeur de leurs arts, de leur philosophie, du raffinement de leur culture, le peuple romain, lui, ne fut inférieur à aucun pour le sens profond du Droit, pour la constitution de ces admirables institutions juridiques, grâce auxquelles il unifia le monde connu alors, en laissant derrière lui, une tradition qui a résisté à la morsure du temps.

De plus, les juristes catholiques trouvent à Rome de nouvelles lumières, du fait que cette ville est le centre de l'Eglise catholique :

Mais vous, non contents d'être juristes, vous êtes encore et vous vous proclamez juristes catholiques ; et Rome est, par un dessein de la divine Providence, le phare toujours resplendissant de la foi du Christ et le centre de l'unité visible de l'Eglise, le siège du suprême magistère des âmes où la catholicité présente une force et une grandeur particulières et est plus tangible que dans tout autre pays du monde, par suite de l'afflux de toutes les nations au lieu de la Chaire et du tombeau de Pierre.

Alors que l'Europe était envahie et ruinée par les barbares, l'héritage spirituel de Rome survécut :

Après l'écroulement de l'empire des Césars, sous la poussée des peuples qui envahirent ses frontières, deux choses survécurent à la décadence de la plus grande et de la plus auguste ville que mentionne l'histoire :

1° Les principes du Droit romain marquèrent les siècles à venir :

La première, son Corpus Juris, devenu le droit de toute l'Europe civilisée, encore appliqué, en un grand nombre de ses parties, dans des institutions contemporaines ; encore objet d'étude passionnée, tel un tronc vivant, dont la sève ne s'est pas desséchée au cours des années ; encore doué de cette puissance unificatrice dont il fit preuve durant son lent processus de formation.

2° La foi chrétienne, malgré les attaques, demeure ferme, toujours centrée sur Rome :

La seconde, la foi nouvelle que Pierre et Paul y apportèrent, nouveau tronc de vérité que le premier chef visible de l'Eglise, élu directement par le Christ, et investi du pouvoir souverain des clés, y planta solidement, en élisant Rome comme siège. Le siècles ont passé, en s'inclinant devant son bloc granitique, sans l'entamer ; il a connu des sorts multiples qui devaient l'abattre et l'ébranler : tout a été vain ; et vous le voyez encore aujourd'hui ferme et intact, s'éle-vant au-dessus des nations comme un signe visible de la pérennité de l'oeuvre du Christ.

Ces deux éléments se conjuguèrent pour édifier un Droit d'inspiration chrétienne :

C'est ainsi qu'à Rome, et dans le monde déjà glorifié par sa civilisation, les deux réalités les plus vitales — l'une fruit de la sagesse juridique d'un peuple, et par conséquent d'origine humaine ; l'autre, reflet du monde de la révélation, annoncée par le Fils de Dieu fait homme, donc d origine divine et transcendante — se rencontrèrent et fusionnèrent intimement et, c'est alors que le Droit de Rome, pénétré par la nouvelle lumière qui émanait du message chrétien, transforma graduellement son esprit, éleva ses conceptions, perfectionna un grand nombre de ses institutions, enrichit ses dispositions, en accueillant progressivement les principes, les idées, les préceptes supérieurs de la nouvelle doctrine.

L'oeuvre législative des empereurs chrétiens naquit de cette union de la sagesse humaine et de la sagesse divine, et il nous en reste des traces indélébiles telles, q;u elles démontrent au monde moderne qu'entre la véritable science juridique et l'enseignement de la foi chrétienne, il n'y a pas opposition, mais concordance, car la foi ne peut que marquer de son sceau la vérité que l'esprit humain découvre, examine et ordonne. Aussi, avons-Nous dit que vous avez été sagement inspirés en choisissant Rome comme siège de votre premier Congrès. Mais en même temps, ce choix vous révèle, combien noble et haute est votre profession et quelles exigences dans son exercice vous impose à chacun de vous la qualification particulière dont vous vous glorifiez.

Le Pape précise la mission du juriste :

La noblesse de votre profession a été magnifiquement décrite par Ulpien 1 qui définissait la jurisprudence : « Divinarum atque humanarum scientia, la connaissance des choses divines et humaines, la science du juste et de l'injuste » (I. 10. D. i. I). Quel noble objet il assigne dans cette définition à la science juridique, et combien il s'élève au-dessus des autres branches du savoir humain ! Le regard du juriste digne de ce nom prospecte un très large horizon, dont l'étendue et la variété sont indiquées par les choses mêmes vers lesquelles il doit tourner son attention et son étude.

Le juriste doit fonder le droit sur Dieu :

Il lui faut connaître avant tout les choses divines, divinarum rerum notitia, non seulement parce que dans la vie humaine sociale, la religion doit avoir la première place et diriger pratiquement la conduite du croyant, à laquelle le droit devra, lui aussi, dicter ses normes ; non seulement parce que quelques unes des principales institutions, comme celle du mariage, ont un caractère sacré, que le droit ne peut ignorer, mais surtout parce que dans cette connaissance supérieure des choses divines, le panorama humain, qui est le second et le plus immédiat objet, humanarum rerum notitia, sur lequel doit s'arrêter l'esprit du juriste, resterait privé de ce fondement qui dépasse toute vicissitude humaine, dans le temps et dans l'espace et repose dans l'absolu, en Dieu.

Sans doute, le juriste n'est pas appelé par sa profession, à se consacrer à la spéculation théologique pour connaître l'objet de son étude ; mais s'il ne sait pas s'élever jusqu'à la vision de la réalité souveraine et transcendante de la volonté de laquelle provient l'ordre de l'univers visible et de cette toute petite partie qui est le genre humain avec ses lois immuables et moralement nécesaires, il lui sera impossible de voir, dans toute son admirable unité et dans ses plus intimes profondeurs spirituelles, le réseau des relations sociales, auxquelles le droit préside, ainsi que leurs normes

1 Ulpien (170-228) est un des plus célèbres jurisconsultes romains dont l'ouvrage le plus connu est le Liber singularis regularum.

régulatrices. Si, ainsi que l'affirme le grand jurisconsulte et orateur romain, « natura juris... ab hominis repetendo (est) natura » (Cicéron, De Legibus, 1. Ier, chap. V, § 17) ; la nature ou l'essence du droit ne peut dériver que de la nature même de l'homme ; et, parce que, d'autre part, cette nature ne peut être connue, pas même approximativement, quant à sa perfection, sa dignité, son élévation et ses fins, qui en commandent, subordonnent à soi les actions, sans la connexion ontologique par laquelle elle est liée à sa Cause transcendantale, il est clair qu'il ne sera pas possible au juriste d'acquérir une saine notion du Droit, ni d'obtenir son ordonnance systématique, sinon en renonçant à voir l'homme et les choses humaines en dehors de la lumière qui, telle une pluie, descend de la divinité pour éclairer le pénible chemin qu'il suit dans ses investigations.

Le positivisme juridique a prétendu fonder le Droit sur l'homme 1 :

L'erreur du rationalisme moderne a consisté précisément dans sa prétention de vouloir construire le système des droits humains et la théorie générale du droit, en considérant la nature de l'homme comme un être existant par lui-même, n'ayant pas de rapport nécessaire d'aucune sorte avec un être supérieur, de la volonté créatrice et ordonnatrice duquel dépendent son essence et son activité.

En ce faisant le Droit a sombré dans le vague et le caduc :

Vous savez dans quel dédale inextricable de difficultés s'est trouvée la pensée juridique contemporaine, par suite de l'embarras provoqué par cette déviation initiale ; vous savez aussi que le juriste qui s'est conformé à la règle établie par le dit positivisme a failli à sa tâche, en perdant, avec la juste connaissance de la nature humaine, la saine con

1 Le positivisme juridique était déjà dénoncé par Pie XII dans son Radio-message du 24 décembre 1942 où il est cité parmi les systèmes erronés: « Le positivisme juridique qui attribue une majesté trompeuse à l'émission des lois purement humaines et fraie la voie à un fatal détachement des lois de la moralité ». Et plus loin le Pape ajoute que le positivisme « altère et vicie le sens juridique d'aujourd'hui ».

ception du droit, lequel a ainsi manqué de cette force coactive sur la conscience de l'homme, qui est son premier et principal effet. Les choses divines et humaines qui, suivant la définition d'Ulpien, forment l'objet le plus général de la jurisprudence, sont tellement conjointes, qu'on ne peut ignorer les premières sans perdre l'exacte estimation des secondes.

L'objet du Droit est l'énoncé des conditions d'exercice de la justice, dans ce qu'elle a d'absolu, et donc dans ce qui lui est imparti par Dieu :

C'est d'autant plus vrai que l'oo;'ef le plus spécifique de la science juridique est le juste et l'injuste, justi atque injusti scientia, c'est-à-dire la justice, dans sa fonction équilibrante des exigences individuelles et sociales au sein de la famille humaine. La justice n'est pas seulement une conception abstraite, un idéal externe, auquel les institutions doivent chercher à s'adapter, pour autant que cela est possible dans un moment historique donné, mais elle est encore quelque chose d'immanent pour l'homme, la société, ses institutions fondamentales, à cause de la somme de principes pratiques qu'elle dicte et impose, des normes de conduite plus universelles, lesquelles font partie de l'ordre objectif humain et civilisé établi par l'esprit sublime du premier Facteur. La science du juste et de l'injuste suppose donc une sagesse plus élevée qui consiste à connaître l'ordre du créé et conséquemment son Ordonnateur. Le droit, ainsi que l'enseigne Saint Thomas d'Aquin, est objectum justttiae (S. Th. II^-II3*, q. LVII), c'est la norme dans laquelle se concrétise et se réalise la grande et féconde idée de la justice, et comme telle, si elle conduit à Dieu, éternelle et immuable justice, dans son essence, elle reçoit de Dieu lumière et clarté, vigueur et force, sens et contenu.

Le juriste se meut donc dans l'exercice de sa profession, entre l'infini et le fini, entre le divin et l'humain, et c'est dans ce mouvement nécessaire que consiste la noblesse de la science qu'il cultive. Les autres titres dont il se glorifie aux yeux de la communauté humaine, peuvent être considérés comme la conséquence de ce qui a été dit.

Le sujet du Droit est la personne humaine en tant que celle-ci doive recevoir des ordres pour pouvoir constituer avec d'autres personnes des communautés harmonieuses :

Si les normes juridiques sont l'objet de ses recherches, 3e sujet auquel ces normes sont destinées est l'homme, la personne humaine, laquelle entre ainsi dans le domaine de ses compétences. Ce n'est pas, qu'on le note bien, l'homme dans sa partie inférieure et moins noble qu'étudient d'autres sciences, utiles, elles aussi, et dignes d'admiration, mais l'homme dans sa partie supérieure, dans sa propriété spécifique d'agent raisonnable qui, pour se conformer aux lois de la raison, doit agir, guidé par certaines règles de conduite, qui lui sont ou bien directement dictées par sa conscience, reflet et écho d'une loi plus haute, ou bien prescrites par l'autorité humaine, régulatrice de la vie de communauté. Il est vrai, qu'au regard du juriste, l'homme ne se présente pas toujours sous les aspects les plus élevés de sa nature raisonnable, mais il offre souvent à son étude les côtés moins avantageux, ses mauvaises inclinations, sa perversité et sa malice, la faute et le délit ; cependant même sous la splendeur obscurcie de sa rationalité, le vrai juriste doit voir toujours le fond humain, dont ni la faute ni le délit ne parviennent jamais à effacer le sceau imprimé par la main du Créateur.

Mais le chrétien, sujet de droit, élève ce dernier au plan surnaturel :

Si vous regardez ensuite le sujet du droit avec l'oeil de la foi chrétienne, quelle auréole lumineuse n'apercevez-vous pas autour de son front, auréole qui lui vient de la Rédemption du Christ, du sang répandu pour son rachat, de la vie surnaturelle que le Christ lui a restituée et à laquelle il l'a fait participer, de la fin dernière qui lui a été assignée comme terme de son pèlerinage ici-bas ! Dans la nouvelle économie, le sujet du droit n'est pas l'homme dans sa nature pure, mais l'homme élevé par la grâce du Sauveur à l'ordre surnaturel, et par cela même mis en contact avec la divinité au moyen d'une nouvelle vie, qui est la vie même de Dieu, bien que sous forme de participation. Sa dignité croît donc dans des proportions infinies, et partant augmente aussi dans une proportion égale, la noblesse du juriste, qui en fait l'objet de sa science.

Aujourd'hui, cette noble conception du droit n'est plus toujours respectée, aussi les juristes catholiques se trouvent-ils parfois devant des difficultés :

Les insolubles oppositions entre la haute conception de l'homme et du droit, selon les principes chrétiens, que Nous avons essayé d'exposer brièvement, et le positivisme juridique peuvent être dans la vie professionnelle, des sources de profonde amertume. Nous savons bien, chers fils, que souvent dans l'âme du juriste catholique, qui veut s'en tenir à la conception chrétienne du droit, surgissent des conflits de conscience, en particulier lorsqu'il faut appliquer une loi que la conscience condamne comme injuste.

Toutefois les juristes italiens ne rencontrent plus désormais de difficultés concernant le divorce :

Grâce à Dieu votre devoir est ici notablement allégé du fait qu'en Italie, le divorce (cause de tant d'angoisses intérieures, même pour le magistrat qui doit exécuter la loi) n'a pas trouvé droit de cité.

Mais dans d'autres pays ces difficultés subsistent et c'est pourquoi le Souverain Pontife formule ici quelques règles :

En réalité cependant, depuis la fin du xviiie siècle, — spécialement dans les régions où sévissait la persécution contre l'Eglise, — se sont multipliés les cas où les magistrats catholiques se sont trouvés devant l'angoissant problème de l'application de lois injustes. C'est pourquoi, Nous profitons de l'occasion que Nous offre votre réunion autour de Nous, pour éclairer la conscience des juristes catholiques, en énonçant certaines normes fondamentales :

1. Quand une loi est injuste, la première culpabilité retombe sur les législateurs qui ont fait la loi ; toutefois, le juge qui applique cette loi est coupable à son tour :

Pour toute sentence vaut le principe que le juge ne peut purement et simplement repousser loin de soi la responsabilité de sa décision, pour la faire retomber tout entière sur la loi et sur ses auteurs. Assurément, ils sont les principaux responsables des effets de la loi elle-même, mais le juge qui l'applique au cas particulier est cause concomitante, et partant solidairement responsable de ses effets.

2. Il est défendu au juge d'imposer des attitudes qui vont à l'encontre de la morale :

Le juge ne peut jamais, pas sa décision, obliger quelqu'un à n'importe quel acte intrinsèquement immoral, c'est-à-dire contraire par sa nature à la loi de Dieu et de l'Eglise.

3. Le juge ne peut montrer son accord avec les lois injustes :

Il ne peut en aucun cas, reconnaître ni approuver expressément la loi injuste (laquelle du reste ne saurait jamais constituer le fondement d'un jugement valide en conscience et devant Dieu). C'est pourquoi il ne peut prononcer une sentence pénale, qui équivaudrait à une telle approbation. Sa responsabilité serait aussi plus grave si la sentence occasionnait un scandale public.

4. Il est toutefois des cas où le juge peut porter une sentence qui est application d'une loi injuste quand, par là, il peut éviter un plus grand mal :

Cependant, toute application d'une loi injuste n'équivaut pas à sa reconnaissance ou à son approbation. Dans ce cas, le juge peut — parfois même il doit — laisser la loi injuste suivre son cours, quand c est le seul moyen d empêcher un mal plus grand. Il peut infliger une peine pour la transgression d'une loi injuste, si cette peine est de telle sorte que celui qui en est frappé se trouve raisonnablement disposé à la subir pour éviter un préjudice ou pour garantir un bien d'une importance beaucoup plus grande, et si le juge sait ou peut prudemment supposer que cette sanction sera, pour des motifs supérieurs, acceptée volontiers par le transgresseur. Dans les temps de persécution, souvent des prêtres et des laïques se sont laissé condamner, sans opposer de résistance, même par des magistrats catholiques, à des amendes ou à la privation de la liberté personnelle pour infraction à des lois injustes, lorsque par ce moyen, il était possible de conserver au peuple, une magistrature honnête et de détourner de l'Eglise et des fidèles de bien plus terribles calamités.

Mais ceffe tolérance doit demeurer dans certaines limites :

Naturellement, plus la sentence judiciaire est grave dans ses conséquences, plus important et général doit être le bien à protéger ou le préjudice à éviter. Il existe cependant des cas où l'idée de la compensation par l'obtention de biens supérieurs ou l'éloignement de maux plus grands ne peut avoir d'application, comme dans la condamnation à mort.

Le Pape ajoute une précision concernant le divorce civil :

En particulier, le juge catholique ne pourra prononcer, sinon pour des motifs de grande importance, une sentence de divorce civil (là où il est en vigueur) au sujet d'un mariage valide devant Dieu et devant l'Eglise. Il ne doit par oublier que pareille sentence, pratiquement n'affecte pas seulement les effets civils, mais encore, en réalité, conduit plutôt à faire considérer faussement le lien actuel comme rompu et le nouveau comme valide et entraînant obligation.

En terminant, Pie XII souhaite que les juristes catholiques puissent toujours obéir à leur conscience :

C'est pourquoi, chers Fils, Nous vous souhaitons de grand coeur que la divine Providence vous accorde de pouvoir toujours exercer votre fonction dans le cadre d une législation juste et conforme aux légitimes exigences sociales. Employez-vous de toute manière à réaliser en vous l'idéal parfait du juriste, qui, par sa compétence, par sa sagesse, par sa conscience, par sa droiture, mérite et se concilie l'estime et la confiance de tous.

En formulant ce voeu, et en gage des plus abondantes faveurs divines, Nous vous donnons avec une paternelle bienveillance, à vous ainsi qu'à votre Association naissante, et déjà si fructueuse, Notre Bénédiction apostolique.

LETTRE A S. E. LE CARDINAL GILROY Archevêque de Sydney à l'occasion de sa nomination de légat au Concile des Indes

(7 novembre 1949) 1

Pour la première fois, en janvier 1950, un Concile plénier réunissait tous les Evêques des Indes. Pie XII envoya la lettre suivante à son Cardinal légat, président de ce Concile :

Déjà depuis nombre d'années, la nécessité se faisait sentir de réunir un Concile Plénier pour stabiliser heureusement le gouvernement de l'Eglise dans la très vaste région des Indes Orientales, et toutes les études et délibérations entre les chefs de l'Eglise ont été plusieurs fois consacrées à la réalisation de ce voeu ; mais les graves et diverses difficultés des temps et des événements ont empêché ces entreprises de zèle d'être menées à leur terme. Mais actuellement que l'Inde entière, malgré la diversité de ses nations, de ses caractères et de ses régions est devenue depuis peu autonome, les Evêques actuels ont jugé que cette idée de célébrer un Concile Plénier tant désiré était arrivée à maturité. Car nombreuses et de grand poids sont les questions à discuter dans les assemblées d'Evêques dont la solution apparaît de nature à amener un heureux accroissement de la cause catholique, pour que les fidèles catholiques des Indes perçoivent les bienfaits d'un régime plus équitable et mieux ordonné, et que la foule des autres citoyens, non encore membres de la vraie Eglise, tourne ses yeux et ses coeurs vers la montagne compétente de la maison du Seigneur. Et en vérité le champ s'ouvre très large au zèle pastoral pour veiller de toutes ses forces au salut des âmes dans les Indes et même pour favoriser la prospérité de l'ordre civil. En effet, non seulement les limites de plusieurs diocèses et provinces ecclésiastiques doivent être adaptées aux nouvelles situations, mais encore il faut promouvoir aux Indes un accord de tous, clercs et laïcs avec une coordination des oeuvres et des institutions qui rende plus aisée la propagation de l'idée catholique, en même temps qu'une pratique plus répandue des vertus chrétiennes. C'est pourquoi il faudra veiller à ce que la troupe du clergé indigène s'accroisse de jour en jour et à ce que sa formation et son instruction soient perfectionnées ; à ce que l'Action Catholique des laïcs soit mieux adaptée d'une manière convenable à notre temps, à ce qu'on prépare l'établissement d'une Université catholique, à l'affermissement et la multiplication des institutions de charité et d'éducation, à la connaissance répandue en long et en large de la religion catholique surtout au moyen de l'imprimerie.

Quant au Conseil des Evêques, préposé depuis longtemps à la direction des intérêts catholiques dans l'Inde entière, le prochain Concile Plénier lui donnera sans aucun doute une force et une autorité accrues. Mais en une matière si importante et si utile, le Code de droit canonique a veillé très opportunément à ce que le Concile Plénier tire sa première autorité et un ferme stimulant à poursuivre son travail, de la Chaire de Pierre elle-même, représentée par un Légat Pontifical qui y préside. Nous vous choisis-son donc et nommons par cette lettre, Notre Cher Fils, orné de la pourpre Romaine qui tient le gouvernail du noble siège de Sidney, comme notre Légat « a Latere », afin que tenant Notre place vous présidiez en Notre nom et par Notre Autorité au Concile Plénier du prochain mois de janvier, dans la ville de Bangalore. Et Nous tenons pour assuré que vous vous acquitterez selon votre piété et votre prudence de cette fonction particulièrement honorable. Nous vous accordons en outre la faculté de bénir au jour fixé, à l'issue de la S. Messe pontificale, en Notre nom et par Notre autorité les fidèles présents, avec indulgence plénière à gagner selon les prescriptions de l'Eglise. Entretemps, en présage des lumières et dons célestes et en gage de Notre particulière affection, Nous vous accordons de grand coeur à Vous, Notre Cher Fils, à tous les Prélats et à tous ceux qui prendront part au Concile la Bénédiction apostolique.


Pie XII 1949 - ALLOCUTION AUX MEMBRES DE LA CATHOLIC YOUNG MEN SOCIETY