PieXII 1951 - DISCOURS A L'ACADÉMIE DES SCIENCES


ALLOCUTION AUX PARTICIPANTS DE LA CONFÉRENCE DE LA FOOD AND AGRICULTURE ORGANISATION

(23 novembre 1951) 1

La Conférence de la F. A. O. s'étant tenue à Rome en novembre 1951, le Saint-Père reçut les personnalités présentes :

Nous saisissons avec plaisir, Messieurs, l'occasion que vous Nous offrez, aujourd'hui, de vous exprimer de façon vivement sentie, le cordial intérêt que Nous inspire « l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture », et Notre estime pour ceux qui s'y dépensent avec ardeur. Nous ne saurions trop louer, non seulement votre oeuvre bienfaisante, mais surtout la grande leçon de courage que vous donnez au monde. C'est qu'il en faut du courage, pour poursuivre avec une sainte obstination une tâche difficile et dont les résultats, malgré leur importance réelle, échappent en grande partie à l'observation de ceux-là mêmes qui, pourtant, en sont les bénéficiaires.

A la vue des ruines accumulées par les guerres ou les révolutions sur toute la surface du globe, des villes écroulées et des campagnes dévastées ; à la vue des fléaux naturels qui ont désolé d'immenses contrées et des misères inouïes qui s'ensuivent partout ; à la vue des populations contraintes de fuir à l'aventure, sans gîte et sans ressources, devant la montée des eaux envahissantes, plus redoutables parfois et plus ravageuses encore que les éruptions volcaniques et les tremblements de terre d'hier ; la tentation est forte — et beaucoup, hélas ! y succombent — de se laisser aller au découragement, de gaspiller en lamentations, trop compréhensibles assurément, ou en récriminations injustes contre ceux qui n'en peuvent mais, les forces qui permettent de lutter et de réagir.

Pour vous, au contraire, cette détresse générale est un aiguillon puissant qui stimule votre initiative ; et votre Organisation met tout en oeuvre, avec autant de sagesse, d'habileté et de-méthode pratique que de dévouement illimité pour y remédier. Sans jamais perdre de vue la situation dans son ensemble et dans ses détails, vous vous êtes attachés à l'analyser pour répartir entre de multiples services et dans les diverses contrées, les compétences spéciales.

De fait, cette situation est si complexe ! Il faut pourvoir à tant de besoins, faire face à tant de difficultés, triompher de tant d'obstacles de toute nature et dans des conditions locales ou régionales si différentes !

Il s'agit, en effet, tout à la fois, de la production, de la conservation, de la répartition, du transport et de la distribution des denrées de première nécessité, de l'exploitation, aussi fructueuse que possible des richesses immenses de la terre et de la mer, des forêts et des cours d'eau, de l'agriculture, de la pêche et du cheptel.

N'est-il pas déplorable de voir, depuis si longtemps et, en certains cas, depuis toujours, des pays admirablement favorisés par la nature, rester indéfiniment à peu près improductifs, faute de méthodes ou d'outillage un peu perfectionnés, nécessaires à l'utilisation de leurs richesses naturelles ; d'en voir d'autres complètement dépourvus de telles ou telles denrées indispensables, et encombrés de produits ardemment convoités ailleurs, mais dont ils n'ont que faire et qu'ils sont incapables d'écouler, n'ayant pas de moyens de transports ? La liste serait tristement longue de ces anomalies et de ces problèmes, qui ne peuvent être résolus que par une entente internationale active et la collaboration de hautes compétences de tous ordres.

C'est à quoi tendent vos efforts, Messieurs, avec un zèle digne de tout éloge, dans un esprit d'universelle fraternité. Vous faites de bon coeur ce qui est humainement possible, mais, par-dessus les possibilités humaines, plane la puissance divine, prête à seconder paternellement votre bonne volonté et votre peine, n'attendant que la prière confiante pour le faire. Aussi, de Notre part, Nous élevons instamment la Nôtre, appelant sur vous, sur votre travail, sur vos collaborateurs et vos familles la bénédiction du ciel, en gage de laquelle Nous vous donnons Notre Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION AUX ASSOCIATIONS FAMILIALES D'ITALIE

(26 novembre 1951) 1

Un Congrès ayant eu lieu au « Front de la Famille » et de la « Fédération des Associations des Familles nombreuses d'Italie », plus de deux cents délégués furent reçus en audience à Castel-Gandolfo et Pie XII déclara :

Le Pape commence par exalter la mission de la famille :

Dans l'ordre de la nature, parmi les institutions sociales, il n'en est aucune que l'Eglise ait plus à coeur que la famille. Le Christ a élevé à la dignité de sacrement le mariage qui en est comme la racine. La famille elle-même a trouvé et trouvera toujours dans l'Eglise défense, protection, appui, dans tout ce qui regarde ses droits inviolables, sa liberté, l'exercice de sa haute fonction.

Aussi éprouvons-Nous, chers fils et chères filles, une joie particulière à souhaiter la bienvenue dans Notre demeure au Congrès national du « Front de la Famille » et des familles nombreuses, et à vous exprimer à la fois Notre satisfaction pour les efforts déployés dans les buts que vous poursuivez et Nos voeux paternels pour que vous en obteniez l'heureuse réalisation.

Le but des Associations familiales est précisé comme suit :

Un mouvement familial, comme le vôtre, qui s'emploie à rendre pleinement vivante dans le peuple l'idée de la famille chrétienne, ne peut manquer, sous la poussée de la force intérieure qui l'anime et des nécessités du peuple même au sein duquel il vit et grandit, de se mettre au service du triple but qui fait l'objet de vos soins : ^

a) II faut influencer les législatures :

l'influence à exercer sur la législation dans le vaste domaine qui, directement ou indirectement, touche la famille ;

2) Il faut créer de la cohésion entre les familles chrétiennes :

la solidarité entre les familles chrétiennes ;

3) Il faut former les familles :

la culture chrétienne de la famille. Ce troisième objet est fondamental ; les deux autres doivent concourir à le seconder et à le promouvoir.

¦

L'Eglise vient au secours de la famille, blessée par les guerres :

Nous avons souvent, et dans les occasions les plus diverses, parlé en faveur de la famille chrétienne2, et dans la majeure partie des cas, ce fut pour venir ou inviter à venir à son secours, pour la sauver des situations les plus angoissantes. Avant tout pour lui venir en aide dans les calamités de la guerre. Les dommages causés par le premier conflit mondial étaient bien loin d'être pleinement réparés quand la seconde conflagration, plus terrible encore, vint y mettre le comble.

Il faudra encore bien du temps et bien des peines de la part des hommes, et aussi une plus grande assistance divine, avant que commencent à se cicatriser vraiment les profondes blessures que ces deux guerres ont infligées à la famille.

La famille souffre de la crise du logement :

Un autre mal dû en partie aussi aux guerres dévastatrices, mais causé, en outre, par la surpopulation et par le jeu

2 Pie XII a abordé les problèmes familiaux notamment dans :

10 Ses discours aux nouveaux époux (de 1039 à 1943). Voir Editions de l'OEuvre

St-Augustin, St-Maurice (Suisse), 2 volumes. 20 Message de Pie XII au monde, ier juin 1941, A. A. S., 33, pp. 195-205. 30 Allocution aux mères de familles, 26 octobre 1941, A. A. S., 33, p. 450. 40 Radiomessage au Congrès Eucharistique de Bolivie, 30 janvier 1949. (Documents

Pontificaux 1949, p. 44 et sq.) 50 Discours à l'Union internationale des organismes familiaux, 20 septembre 1940-

(Documents Pontificaux 1949, p. 394 et sq.)

d'influences particulières, inefficaces ou intéressées, est la crise du logement. Tous ceux qui s'efforcent d'y porter remède — législateurs, hommes d'Etat, membres d'ceuvres sociales — accomplissent, même si leur action est seulement indirecte, un apostolat d'éminente valeur.

Il est à regretter que le manque de moyens de subsistance force souvent la mère de famille à travailler hors du foyer :

Il en va de même du fléau du chômage et de l'établissement d'un salaire familial suffisant pour que la mère ne soit pas obligée, comme c'est trop souvent le cas, de chercher du travail hors de chez elle, mais puisse se consacrer davantage à son mari et à ses enfants.

L'éducation chrétienne est un soutien pour la famille :

Travailler en faveur de l'école et de l'éducation religieuse, voilà encore une précieuse contribution au bien de la famille ; c'en est une aussi d'y favoriser le naturel et la saine simplicité des moeurs, d'y renforcer les convictions religieuses, de développer autour d'elle une atmosphère de pureté chrétienne, apte à la libérer des influences délétères du dehors et de toutes les excitations malsaines qui éveillent des passions désordonnées dans l'âme de l'adolescent.

La famille n'est pas simplement un organe au service de l'Etat :

Mais, il y a une misère plus profonde dont il faut préserver la famille : c'est l'humiliant servage auquel la réduit une conception qui tend à en faire un pur organisme au service de la communauté sociale en vue d'engendrer à celle-ci une masse suffisante de « matériel humain ».

Un grave danger menace aujourd'hui la famille, les atteintes à la morale conjugale :

Et que dire d'un autre péril qui menace la famille, non pas d'hier mais dès longtemps, péril qui, croissant aujourd'hui à vue d'oeil, peut lui devenir funeste car il l'attaque jusque dans son germe. Nous voulons parler du bouleversement de la morale conjugale dans toute son extension.

ss

Au cours de ces dernières années, Nous avons saisi toutes les occasions pour traiter tel ou tel point essentiel de cette morale ; plus récemment Nous l'avons exposée dans son ensemble, non seulement en réfutant les erreurs qui la corrompent, mais en en montrant aussi de façon positive le sens, la fonction, l'importance, la valeur, tant pour le bonheur des époux, des enfants et de toute la famille, que pour la stabilité et le plus grand bien de la société, depuis le foyer domestique jusqu'à l'Etat et à l'Eglise elle-même 3.

En particulier, l'Eglise a toujours condamné l'avortement :

Au centre de cette doctrine, le mariage est apparu comme une institution au service de la vie. En étroite relation avec ce principe, et selon l'enseignement constant de l'Eglise, Nous-mêmie avons développé une thèse qui est un des fondements essentiels de la morale conjugale comme aussi de la morale sociale en général : à savoir que l'attentat direct à la vie humaine innocente, comme moyen en vue d'une fin — dans le cas présent la fin de sauver une autre vie — est illicite.

La vie humaine innocente, en quelque condition qu'elle se trouve, échappe, dès le premier instant de son existence, à toute attaque directe volontaire. C'est là un droit fondamental de la personne humaine, de valeur générale dans la conception chrétienne de la vie ; il vaut aussi bien pour la vie encore cachée dans le sein de la mère que pour celle qui est déjà apparue au dehors ; aussi bien contre l'avortement direct que contre le meurtre direct de l'enfant avant, pendant et après l'accouchement. Pour fondée que puisse être la distinction entre ces divers moments du développement de la vie, née ou encore à naître, par rapport au droit profane et ecclésiastique et à certaines conséquences civiles pénales, selon la loi morale, il s'agit dans tous ces cas d'un grave et illicite attentat à la vie humaine inviolable.

Toute vie humaine doit toujours être respectée :

Ce principe vaut pour la vie de l'enfant comme pour celle de la mère. Jarriais et dans aucun cas, l'Eglise n'a enseigné que la vie de l'enfant doit être préférée à celle de la mère. II est erroné de poser la question selon cette alternative : ou la vie de l'entant, ou la vie de la mère. Non, ni la vie de la mère, ni celle de l'enfant ne peuvent être soumises à un acte de suppression directe. Dans un cas comme dans l'autre, il n'y a qu'une chose qui puisse être exigée : c'est qu'on fasse tous ses efforts pour sauver la vie des deux, de la mère et de l'enfant4.

C'est une des plus belles et des plus nobles aspirations de la médecine de chercher toujours de nouvelles voies pour assurer la vie de l'un et de l'autre.

Il faut toutefois s'incliner quand la médecine se déclare impuissante à sauver une mère lors de la naissance de son enfant :

Que si, malgré tous les progrès de la science, il reste encore et doit rester dans l'avenir des cas où il faille envisager la mort de la mère, quand celle-ci veut conduire à son terme la vie qu'elle porte en elle et non la détruire en violation du commandement de Dieu : « Tu ne tueras point » ; alors rien d'autre ne reste à l'homme qui, jusqu'au dernier instant se sera efforcé de secourir et de sauver, qu'à s'incliner avec respect devant les lois de la nature et les dispositions de la divine Providence.

Mais — objecte-t-on — la vie de la mère, surtout d'une mère de famille nombreuse est d'un prix incomparablement supérieur à celle d'un enfant encore à naître. L'application au cas qui nous occupe de la théorie des valeurs comparées a déjà trouvé accueil dans les discussions juridiques. La réponse à cette douloureuse objection n'est pas difficile.

L'inviolabilité de la vie d'un innocent ne dépend pas de son plus ou moins de valeur. Il y a plus de dix ans déjà, l'Eglise condamnait formellement le meurtre de la vie estimée « sans valeur » 5et, pour qui connaît les tristes précédents qui provoquèrent cette condamnation, pour qui sait peser les funestes conséquences auxquelles on arriverait si l'on voulait juger de l'intangibilité de la vie innocente selon sa valeur, il n'est pas difficile d'apprécier les motifs qui ont conduit à cette disposition.

Du reste, qui peut décider avec certitude laquelle des deux vies est en réalité la plus précieuse ? Qui peut savoir quel sentier suivra cet enfant et quels sommets il pourra atteindre dans l'ordre de l'action et de la perfection ? On compare ici deux grandeurs alors qu'on ne connaît rien de l'une d'entre elles.

Pape illustre sa thèse d'un exemple :

Nous voudrions à ce propos, citer un exemple, déjà connu peut-être de certains d'entre vous, mais qui n'en est pas pour autant moins suggestif. Il remonte à 1905. Vivait alors une jeune femme, de noble famille et de sentiments plus nobles encore, mais frêle et délicate de santé. Adolescente, elle avait souffert d'une petite pleurite au sommet du poumon, qui semblait guérie; mais quand, à la suite d'un heureux mariage, elle sentit une nouvelle vie éclore en elle, elle ne tarda pas à éprouver un malaise physique spécial qui consterna les deux médecins de valeur qui veillaient sur elle avec une sollicitude pleine de coeur. Ce mal ancien du poumon, ce foyer jadis cicatrisé s'était réveillé ; à leur avis, il n'y avait pas de temps à perdre, si l'on voulait sauver la jeune mère, il fallait provoquer sans le moindre délai l'avortement thérapeutique. Le mari comprit lui aussi la gravité du cas et déclara consentir à cet acte douloureux. Mais quand le médecin accoucheur annonça à la jeune femme avec grand ménagement la décision de ses confrères, la conjurant de se ranger à leur avis, elle répondit avec fermeté : « Je vous remercie de vos conseils compatissants ; mais je ne puis supprimer la vie de mon enfant ! Je ne le puis pas ! Je le sens déjà palpiter dans mon sein ; il a le droit de vivre ; il vient de Dieu et il doit connaître Dieu pour l'aimer et jouir de lui ». Le mari pria, supplia, implora ; elle demeura inflexible et attendit l'événement avec sérénité. Une petite fille naquit normalement ; mais, aussitôt après, la santé de la mère s'aggrava. Le foyer pulmonaire s'étendit ; elle dépérit progressivement. Deux mois plus tard, elle était à toute extrémité ; elle revit son bébé qui croissait plein de santé auprès d'une excellente nourrice ; ses lèvres esquissèrent un doux sourire, et paisiblement, elle expira. Les années passèrent. Dans un Institut religieux, on pouvait remarquer particulièrement une jeune Soeur, toute dévouée au soin et à l'éducation de l'enfance abandonnée ; les yeux rayonnant d'amour maternel, elle se penchait sur les jeunes malades comme pour leur donner la vie. C'était elle, l'enfant du sacrifice, dont le grand coeur se répandait maintenant en bienfaits parmi les petits abandonnés. L'héroïsme de la mère intrépide n'avait pas été vain6. Et Nous demandons : Le sens chrétien, et même simplement humain aurait-il disparu à ce point qu'on ne sache plus comprendre le sublime holocauste de la mère et l'action visible de la Providence divine qui, de cet holocauste, fit naître un fruit si splendide ?

En dehors des cas du meurtre direct de Y embryon, qui est toujours défendu, on peut concevoir le cas où une intervention normale peut sauver une mère, et avoir pour conséquence indirecte de tuer l'enfant. Le Pape prescrit les conditions exigées pour que cet acte soit permis :

Nous Nous sommes toujours servi à dessein de l'expression « attentat direct à la vie » de l'innocent, « meurtre direct ». Parce que si, par exemple, la conservation de la vie de la future mère, indépendamment de son état de grossesse, requérait d'urgence une opération chirurgicale ou une autre action thérapeutique qui aurait pour conséquence accessoire, nullement voulue ou cherchée, mais inévitable — la mort de l'embryon, un tel acte ne pourrait plus être qualifié d'attentat direct à une vie innocente. Dans ces conditions, l'opération peut être licite, comme le serait d'autres interventions médicales similaires, pourvu toutefois qu'il s'agisse d'un bien de valeur élevée, comme la vie, et qu'il ne soit pas possible de renvoyer l'opération après la naissance de l'enfant, ni de recourir à un autre remède efficace.

La famille doit être une source abondante de vie :

Puisque donc la fonction première du mariage est d'être au service de la vie, Notre plus vive satisfaction et Notre paternelle gratitude vont à ces époux généreux qui, par amour de Dieu et se confiant en Lui, élèvent courageusement une nombreuse famille.

• Cf. Andréa Majocchi, Tra bistori e forbici, 1940, p. 21 et sq.

D'ailleurs, l'Eglise salue avec sympathie les découvertes récentes qui permettent d'employer des moyens légitimes de régler les naissances :

D'autre part, l'Eglise sait considérer avec sympathie et compréhension les réelles difficultés de la vie matrimoniale à notre époque. Aussi, dans Notre dernière allocution sur la morale conjugale, avons-Nous affirmé la légitimité et en même temps les limites — bien larges en vérité — d'une « régulation » des naissances, laquelle contrairement à ce qu'on appelle « contrôle des naissances », est compatible avec la loi de Dieu. On peut même espérer (mais en cette matière l'Eglise laisse naturellement l'appréciation à la science médicale) que celle-ci réussira à donner à cette méthode licite une base suffisamment sûre, et les plus récentes informations semblent confirmer une telle espérance.

Mais ce seront principalement les ressources de la grâce qui permettront aux familles d'accomplir leur devoir :

Du reste, ce qui aide surtout à surmonter les multiples épreuves de la vie conjugale, c'est la foi vive et la fréquentation des sacrements, d'où jaillissent des torrents de force, de la puissance desquels ceux qui vivent hors de l'Eglise peuvent difficilement se faire une idée claire. C'est par ce rappel de l'aide d'en-haut que Nous voulons conclure Nos paroles. A vous aussi, chers fils et chères filles, il pourrait arriver un jour ou l'autre de sentir vaciller votre courage sous la violence de la tempête déchaînée autour de vous, et plus dangereusement encore au sein de la famille, par les doctrines subversives de la saine et normale notion du mariage chrétien. Ayez confiance. Les énergies de la nature, et surtout celles de la grâce, dont le Seigneur a enrichi vos âmes par le sacrement du mariage, sont comme un roc solide, contre lequel se brisent impuissantes les vagues d'une mer déchaînée. Et si les drames de la guerre et de l'après-guerre ont porté au mariage et à la famille des blessures qui saignent encore, durant ces années pourtant la constante fidélité et l'inébranlable persévérance des époux, et l'amour maternel, prêt à d'indicibles sacrifices, ont remporte dans d'innombrables cas de véritables et splendides triomphes.

Poursuivez donc énergiquement votre travail, confiants dans le secours divin, en gage duquel Nous vous donnons dans l'effusion de Notre coeur, à vous et à vos familles, Notre paternelle Bénédiction apostolique.


DÉCLARATION DE LA SACRÉE CONGRÉGATION DU CONCILE AU SUJET DE L'ALIÉNATION DES BIENS ECCLÉSIASTIQUES

(17 décembre 1951) 1

Le Décret de la Sacrée Congrégation Consistoriale du 13 juillet 1951 ayant disposé que « ... dans l'application des prescriptions des canons CIS 534, § 1 et CIS 1532 § 1 n. 2 du Code de droit canon... aussi longtemps que dureront les circonstances présentes., on doit recourir au Saint-Siège chaque fois qu'il s'agit d'une somme d'argent qui dépasse mille lires ou francs-or », on a demandé à la Sacrée Congrégation du Concile, dont le rôle est entre autres, selon le canon CIS 250 § 2 du code de droit canonique, de « régler... ce qui concerne les biens ecclésiastiques, meubles et immeubles », « si la somme d'argent reçue pour les aliénations de cette sorte de biens ecclésiastiques, doit être utilisée uniquement pour l'acquisition de biens immeubles au profit de l'église ou du propriétaire intéressé ».

La Sacrée Congrégation du Concile, après avoir soigneusement examiné tous les éléments de cette question et avec l'approbation de Sa Sainteté le Pape Pie XII, a répondu au doute proposé : « Oui, nonobstant toutes dispositions contraires ».


LETTRE A SON ÉMINENCE LE CARDINAL RUFFINI A L'OCCASION DU CONCILE DE SICILE

(20 décembre 1951) 1

Le Saint-Père, voulant montrer tout l'intérêt qu'il porte aux travaux de ce Concile envoya la lettre suivante :

La Sicile, non moins célèbre par les fastes et les gloires de sa culture chrétienne que par sa situation, la fécondité de son sol et son ciel, nous est tellement chère que si quelque chose d'heureux lui arrive qui y accroisse la religion, grandisse son honneur et l'élève, c'est pour Notre âme un spécial plaisir.

C'est pourquoi Nous Nous sommes grandement réjoui quand, récemment, Nous avons appris que les évêques de Sicile avaient prescrit un Concile plénier et qu'ils voulaient se proposer ce but en entreprenant une tâche si grande et si laborieuse, à savoir, qu'il en surgisse des avantages de tous genres, tant au profit du clergé et des fidèles que de la foi catholique.

Tout ceci Nous l'approuvons, non seulement de Notre consentement, mais Nous désirons vivement, en quelque sorte, être présent aux assemblées qui se tiendront pendant ce même Concile : C'est pourquoi il Nous a paru bon, de vous choisir, de vous constituer, vous, Notre cher Fils, Notre Légat, afin que là, en Notre nom, vous fassiez connaître aux pasteurs sacrés Nos encouragements et Nos voeux pour l'utilité de vos réunions et de vos entreprises.

Il advint rarement aux temps anciens que l'Eglise de Dieu se trouvât aux prises avec de si grands combats qu'au moment présent alors que les erreurs trompeuses se glissant furtivement de tous côtés travaillent avec acharnement au point que les institutions chrétiennes et les lois sont extirpées radicalement des âmes.

A la vérité, pour briser les chocs des ennemis et pour que la foi, don du ciel, exerce son souverain pouvoir jusqu'aux âmes, il faut qu'il existe la plus étroite union de toutes les forces qui défendent la cause du Christ.

C'est pourquoi Nous pressons vivement les evêques de l'île de Sicile, pour que, en vue de réaliser parfaitement les buts utiles, l'accord des idées et la concorde des volontés les dirigent eux-mêmes.

Mais parmi les sujets qui seront proposés de plein accord à vos délibérations, Nous voulons seulement brièvement mentionner ceux qui Nous paraissent de plus brûlante actualité.

L'éducation religieuse et l'instruction des adolescents et des fidèles adultes, le rétablissement des bonnes moeurs, le rejet des opinions qui combattent la vérité chrétienne, que répandent surtout les livres, les revues, les journaux, le lancement dans le public des ouvrages imprimés qui sont bons, doivent être considérés, non sans raison, comme les points sur lesquels doivent veiller avec un soin vigilant ceux qui sont les conducteurs et les maîtres des âmes.

Qu'ils songent ensuite, suivant en cela les traces de notre très doux Sauveur qui chérit principalement les pauvres et les hommes accablés d'épreuves, à secourir par une active miséricorde les hommes qui souffrent du dénuement et de la misère.

Ils sont tellement nombreux chez vous les salariés engagés à la journée ; nombreux sont les ouvriers des mines de soufre ; ils ne sont pas peu, les plus misérables de tous, ceux qui sont forcés de chômer.

Avec la charité pour guide, elle qui exige que la justice ait le pas sur la bienfaisance, que les evêques veillent tout particulièrement à se préoccuper du besoin religieux de la foule des prolétaires, même de ceux placés à l'écart des villes et des grands centres et qu'ils pourvoient à leurs nécessités. Ce que, à la vérité, ils obtiendront plus facilement si, comme il est juste, ils encouragent de toutes manières les associations chrétiennes des ouvriers et leurs libres syndicats.

Mais l'action que réclame impérieusement l'époque actuelle, extraordinaire par ses épreuves et ses fléaux, ne doit pas être limitée à de vagues champs d'activité, mais avec un plan arrêté

et une réalisation pratique il faut toucher autant que cela peut se faire chaque assemblée de citoyens, chaque foyer et chaque homme : autrement, plus habiles envers ceux qui sont privés de biens, « les fils des ténèbres » peuvent remporter de funestes triomphes.

Assurément, lorsque nous regardons le zèle éprouvé et la sollicitude des évêques de Sicile à remplir la charge pastorale qui leur est confiée, il Nous paraît pouvoir affirmer que le Concile plénier, sous votre direction, se fera avec soin et réflexion, de telle manière qu'à la fin commenceront à mûrir les fruits les plus abondants de vertu et ensuite, en fait, ils s'épanouiront en très fécondes et nombreuses réalisations.

Ce que souhaitant de tout coeur à tous, et en premier lieu à vous, Notre cher Fils, ainsi qu'au clergé et au peuple à vous confiés, Nous accordons très affectueusement la Bénédiction apostolique.


RADIOMESSAGE AU MONDE

(24 décembre 1951) 1

Selon la tradition, la veille de Noël, Sa Sainteté Pie XII a envoyé au monde par la voie des ondes le message suivant :

Voici déjà la treizième fois que la grâce de l'Eternel et Souverain Prêtre Nous accorde, au retour des fêtes de Noël, d'adresser de ce Siège auguste Notre parole à l'univers catholique. Chaque année, cette solennité si douce Nous offre l'occasion d'exprimer à tous les fidèles du monde Notre salut paternel, et Nous sentons profondément le lien mystérieux qui, au pied du berceau du Sauveur nouveau-né, unit entre eux, dans la foi, dans l'espérance et dans l'amour, ceux que le Christ a rachetés.

Devant l'écroulement de tant d'institutions terrestres, la faillite de tant de programmes caducs, l'Esprit de Dieu soutient son Epouse, l'Eglise, la comble d'une plénitude de vie, dans la vigueur d'une jeunesse qui se renouvelle incessamment, dont les manifestations toujours plus lumineuses révèlent le caractère surnaturel : ineffable réconfort pour tout croyant, indéchiffrable énigme pour les ennemis de la foi.

Et, néanmoins, si grande que puisse être Notre joie de Nous retrouver, à l'occasion de Noël, rattaché aux fidèles de tous les continents — à tous ceux aussi qui Nous sont unis dans la foi en Dieu — les dures réalités de l'heure jettent sur la joyeuse solennité l'ombre attristante des nuées qui pèsent encore sur le monde d'une manière menaçante.

Une fois de plus, le Pape indique la contribution que l'Eglise apporte à la cause de la paix :

Nous savons bien avec quelle satisfaction intime et avec quelle docilité inconditionnée Nos fils dévoués écoutent toujours

la voix du Père commun, mais Nous n'ignorons pas non plus avec quelle anxiété ils attendent de nouveau une parole de Lui sur la grande question de la paix, qui émeut et agite tous les coeurs, une parole précise et concrète spécialement sur la contribution de l'Eglise à la cause de la paix elle-même ; à savoir en quoi cette contribution ne peut pas consister ; en quoi elle peut et doit consister ; en quoi elle consiste réellement. Daigne le Père céleste qui, à la naissance de son divin Fils, envoya les choeurs des anges chanter la paix sur la terre, inspirer Nos paroles !

En quoi la contribution de l'Eglise ne peut donc pas consister : L'Eglise demeure politiquement neutre devant les blocs qui aujourd'hui s'affrontent :

La situation actuelle demande de Nous un jugement franc et sincère sur les faits. Mais ces faits sont devenus si clairs qu'ils Nous obligent à voir le monde scindé en deux camps opposés, l'humanité elle-même divisée en deux groupes si nettement séparés qu'ils sont difficilement disposés à laisser à qui que ce soit, ou en quelque manière que ce soit, la liberté de maintenir entre les partis adverses, une attitude de neutralité politique.

Or, ceux qui à tort considèrent l'Eglise comme une quelconque puissance terrestre, comme une sorte d'empire mondial, sont facilement amenés à exiger d'elle comme des autres, la renonciation à la neutralité, l'option définitive en faveur de l'un ou de l'autre parti. Il ne peut toutefois s'agir pour l'Eglise de renoncer à une neutralité politique, pour la simple raison qu'elle ne peut se mettre au service d'intérêts purement politiques.

Et que l'on ne s'imagine pas que ceci soit un pur jeu de mots et de concepts. Il suffit pour Nous comprendre d'avoir une notion élémentaire du fondement sur lequel repose l'Eglise comme société, sans qu'il soit besoin de plus amples explications. Le divin Rédempteur a fondé l'Eglise dans le but de communiquer par son intermédiaire à l'humanité sa vérité et sa grâce jusqu'à la fin des temps. L'Eglise est son « Corps mystique ». Elle est entièrement au Christ et le Christ est à Dieu2.

Des hommes politiques, et parfois même des hommes d'Eglise, qui voudraient faire de l'Epouse du Christ leur alliée ou l'instrument de leurs combinaisons nationales ou internationales, porteraient atteinte à l'essence même de l'Eglise et causeraient un dommage à sa vie propre ; en un mot, ils l'abaisseraient au plan même sur lequel se débattent les conflits d'intérêts temporels. Et ceci est et demeure vrai, même si des fins et des intérêts en soi légitimes en étaient la raison.

Qui donc voudrait détacher l'Eglise de sa neutralité supposée, ou faire pression sur elle dans la question de la paix, ou réduire son droit de déterminer librement si et quand et comment elle veut prendre parti dans les différents conflits, ne faciliterait pas sa coopération à l'oeuvre de la paix, car une telle prise de parti de la part de l'Eglise, même dans les choses politiques, ne peut jamais être purement politique, mais doit toujours se présenter sub specie setemitatis, dans la lumière de la loi divine, de son ordre, de ses valeurs, de ses normes.

Le cas n'est pas rare où l'on voit des puissances et des institutions purement terrestres sortir de leur neutralité pour se ranger aujourd'hui dans un camp, demain peut-être dans un autre. C'est un jeu de combinaisons qui peut s'expliquer par les fluctuations incessantes des intérêts temporels.

L'Eglise juge, non en vertu d'intérêts personnels mais en vertu sa mission divine :

Mais l'Eglise se tient à l'écart de semblables combinaisons changeantes. Si elle juge, ce n'est pas de sa part sortir d'une neutralité jusque là observée, car Dieu n'est jamais neutre envers les choses humaines, en face du cours de l'histoire ; et à cause de cela, son Eglise non plus ne peut être telle. Si elle parle, c'est en raison de sa mission divine voulue de Dieu. Si elle parle et porte un jugement sur les problèmes du jour, c'est avec la conscience claire d'anticiper, par la vertu du Saint-Esprit, la sentence qu'à la fin des temps son Seigneur et Chef, Juge de l'univers, confirmera et sanctionnera.

Telle est la fonction propre et surhumaine de l'Eglise au regard des choses politiques. Que veut donc dire la phrase vide de sens où il est question d'une neutralité à laquelle l'Eglise devrait renoncer ?

D'autres, au contraire, veulent la neutralité de l'Eglise dans l'intérêt de la paix. Mais ceux-là non plus n'ont pas une juste idée de la place qu'occupe l'Eglise dans le cours des grands événements mondiaux.

Elle ne peut descendre de la haute sphère surnaturelle qui ne connaît pas de neutralité politique — dans le sens où ce concept s'applique aux puissances terrestres — ce qui n'exclut pas, mais approfondit au contraire la part qu'elle prend aux angoisses et aux souffrances de ses membres séparés dans l'un ou l'autre camp, et l'inquiétude qu'elle éprouve en voyant s'opposer les opinions et les désirs dans ses propres rangs. L'Eglise ne peut consentir à juger selon des critères exclusivement politiques ; elle ne peut lier les intérêts de la religion à des orientations déterminées par des buts purement terrestres ; elle ne peut s'exposer au danger que l'on ait des raisons de douter de son caractère religieux ; elle ne peut oublier, ne fût-ce qu'un moment, que sa qualité de représentante de Dieu sur la terre ne lui permet pas de demeurer indifférente, même un seul instant, entre le « bien » et le « mal » dans les choses humaines. Si on le lui demandait, elle devrait s'y refuser, et les fidèles de l'un et de l'autre parti devraient, en vertu de leur foi et de leurs espérances surnaturelles, comprendre et respecter une telle attitude de sa part.

Car, enfin, si cette contribution ne peut être exclusivement politique, si l'Eglise n'a pas sa place normale et sa mission essentiellement là où les Etats, amis, adversaires ou neutres, se rencontrent continuellement, apportant avec eux leurs idées et leurs tendances politiques concrètes, quelle devra donc être sa contribution à la paix ? Quel sera le titre juridique, quelle sera la nature particulière de cette contribution ?

Quel est le titre juridique que l'Eglise a là où elle a à se prononcer sur la paix internationale ?

L'Enfant de Bethléem nous l'indique :

« Son titre juridique ? Regardez. En aucun endroit vous ne le trouverez aussi évident et aussi palpable que devant le berceau de Bethléem. L'enfant qui y repose est le Fils éternel de Dieu fait homme, et son nom est Princeps Pacis Prince de la paix. Prince et fondateur de la paix, tel est le caractère du Sauveur et Rédempteur de tout le genre humain. Sa haute et divine mission est d'établir la paix entre chacun des hommes et Dieu, entre les hommes eux-mêmes et entre les peuples.

Cette mission, cependant, et cette volonté de paix, ne naissent pas d'une pusillanimité et d'une faiblesse, capables d'opposer au mal uniquement la résignation et la patience. Tout dans la fragilité de l'enfant de Bethléem est majesté et force contenue, que l'amour seul retient, pour donner aux coeurs des hommes la capacité de faire germer et de maintenir la paix, et la vigueur pour vaincre et dissiper tout ce qui pourrait en compromettre la sûreté.

L'Eglise a hérité du Christ sa mission pacificatrice :

Mais le Sauveur divin est aussi le Chef invisible de l'Eglise ; c'est pourquoi sa mission de paix continue à subsister et à valoir dans l'Eglise. Chaque année le retour de Noël ravive en elle l'intime conscience de son titre à contribuer à l'oeuvre de la paix, titre unique, qui transcende toute chose terrestre et émane directement de Dieu, élément essentiel de sa nature et de sa puissance religieuse.

Cette année encore l'Eglise se prosterne devant la crèche, et le divin enfant, Prince de la paix, lui transmet sa mission. Près de Lui, elle respire le souffle de la véritable humanité, véritable dans le sens le plus plein du terme, car, c'est l'humanité même de Dieu, son Créateur, son Rédempteur et son Restaurateur. Les yeux amoureusement fixés sur le visage du Prince infiniment aimable de la paix, elle sent les battements de son coeur annonçant l'amour qui embrasse tous les hommes, elle s'enflamme d'un zèle ardent pour la mission pacificatrice de son Seigneur et Chef, mission qui est aussi la sienne.

Léon XIII a rappelé à la fin du siècle dernier ce principe :

La conscience de cette mission de paix s'est toujours révélée vivante et efficacement opérante dans l'Eglise, spécialement en ses chefs visibles, les Pontifes romains ; aussi est-ce à bon droit que notre grand prédécesseur Léon XIII rappela à la mémoire des peuples cette action pacificatrice des Papes quand en 1899, à la veille de la première Conférence pour la paix, il prononçait ces paroles : « Et ce qui les incita (les Pasteurs romains), ce fut la conscience d'un ministère très haut, ce fut l'impulsion d'une paternité spirituelle qui unit comme des frères et qui sauve » 3.

Et aujourd'hui encore, c'est la même chose, comme Nous l'avons déjà dit.

Or, le monde ne reconnaît pas de fait cette autorité de l'Eglise :

Pauvres myopes, dont le champ de vue restreint ne s'étend pas au-delà des possibilités qui peuvent se rencontrer à l'heure présente, au-delà des chiffres des potentiels militaires et économiques ! Comment pourraient-ils se faire la moindre idée du poids et de l'importance de l'autorité religieuse pour la solution du problème de la paix ? Esprits superficiels, incapables de voir dans toute sa vérité et dans toute son ampleur la valeur créatrice du Christianisme, comment pourraient-ils ne pas demeurer sceptiques et méprisants à l'égard de la puissance pacificatrice de l'Eglise ? Mais les autres — et Dieu veuille qu'ils soient la majorité — se rendront compte plus ou moins consciemment, que, en soustrayant à l'autorité religieuse de l'Eglise ce qui est présupposé pour une action efficace en faveur de la paix, la condition tragique du monde moderne bouleversé a été rendue encore plus grave.

Le fait qu'un grand nombre d'hommes a fait défection de la foi catholique a poussé à cette faute presque intolérable. Et l'on dirait que Dieu a répondu au crime, qui consiste à s'éloigner du Christ par le fléau d'une menace permanente pesant sur la paix et du cauchemar angoissant de voir la guerre éclater.

La valeur de la contribution que l'Eglise apporte à l'oeuvre de la paix est aussi incomparable que son titre juridique.

Pie Xli définit les rapports entre l'Eglise et l'Etat :

L'Eglise n'est pas une société politique, mais religieuse ; cela toutefois ne l'empêche pas d'être avec les Etats dans des rapports non seulement extérieurs mais aussi intérieurs et vitaux.

Ces rapports sont d'ordre extérieur:

L'Eglise, en effet, a été fondée par le Christ comme une Société visible, et comme telle, elle se rencontre avec les Etats sur le même territoire, elle embrasse dans sa sollicitude les mêmes hommes, et en de multiples formes et sous divers aspects, elle use des mêmes biens et des mêmes institutions.

Ces rapports sont également d'ordre intérieur :

A ces rapports extérieurs, et comme naturels, dus à la vie des hommes en commun, s'en ajoutent d'autres intérieurs et vitaux, qui ont leur principe et leur origine dans la personne de Jésus-Christ, en tant que Chef de l'Eglise. Car le Fils de Dieu en se faisant homme, et vrai homme, contracta par le fait même un nouveau rapport vraiment vital avec le corps social de l'humanité, avec le genre humain, dans son unité qui implique l'égale dignité personnelle de tous les hommes, et dans les multiples sociétés particulières, celles surtout qui, au sein de cette unité, sont nécessaires pour assurer l'ordre extérieur et la bonne organisation, ou qui du moins leur donnent un plus grand perfectionnement naturel.

L'Eglise admet que naturellement, les Etats forment une unité supérieure : une Société des Etats.

A ces sociétés appartiennent en premier lieu la famille, l'Etat et aussi la Société des Etats, car le bien commun, fin essentielle, de chacune d'elles, ne peut ni exister ni être conçu, sans leur relation intrinsèque avec l'unité du genre humain. Sous cet aspect, l'union indissoluble des Etats est un postulat naturel, un fait qui s'impose à eux et auquel, bien que parfois avec hésitation, ils se soumettent comme à la voix de la nature, s'efforçant d'ailleurs de donner à leur union un règlement extérieur stable, une organisation.

L'Etat et la Société des Etats avec son organisation — par leur nature, selon le caractère social de l'homme, et malgré toutes les ombres, comme l'atteste l'expérience de l'histoire — sont donc des formes de l'unité et de l'ordre entre les hommes, nécessaires à la vie humaine et coopérant à son perfectionnement. Leur concept même dit la tranquillité de l'ordre, cette tranquillitas ordinis qui est la définition que saint Augustin donne de la paix ; elles sont essentiellement une organisation pour la paix.

L'Eglise doit entrer en rapport avec la Société des Etats :

Avec l'Etat et la Société des Etats considérés comme une organisation pour la paix, Jésus-Christ, Prince de la Paix — et avec Lui l'Eglise, dans laquelle il continue à vivre — est entré

M dans un nouveau rapport intime d'élévation et de confirmation vitales. Tel est le fondement de la contribution singulière que l'Eglise donne à la paix par sa nature, autrement dit quand son existence et son action entre les hommes ont la place qui leur revient.

Et comment s'effectue tout ceci sinon par le moyen de l'influence continue, illuminante et fortifiante de la grâce du Christ sur l'intelligence et sur la volonté des citoyens et de leurs chefs, afin que ceux-ci reconnaissent et poursuivent les buts assignés par le Créateur dans tous les domaines de la vie des hommes en commun, qu'ils s'appliquent à diriger vers ces fins la collaboration des individus et des peuples et exercent la justice et la charité sociales à l'intérieur des Etats et entre eux ?

Dans la mesure où cette union de l'Eglise et des Etats sera harmonieuse, la paix s'établira :

Si l'humanité, se conformant à la volonté divine, applique ce sûr moyen de salut qu'est le parfait ordre chrétien dans le monde, elle verra bien vite s'évanouir pratiquement jusqu'à la possibilité de la guerre juste elle-même, qui n'aura plus de raison d'être du moment que sera garantie l'activité de la Société des Etats comme véritable organisation pour la paix.

Quelle est la contribution pratique que l'Eglise donne à la cause de la paix ?

L'ordre chrétien est le seul fondement et la seule garantie de la paix :

Nos dernières paroles montrent clairement Notre pensée sur ce problème. Aujourd'hui encore, comme d'autres fois déjà, devant la crèche du divin Prince de la Paix, Nous Nous voyons dans la nécessité de déclarer : le monde est bien éloigné de l'ordre voulu par Dieu dans le Christ, cet ordre qui garantit une paix réelle et durable. On dira peut-être que dans ce cas il ne valait pas la peine de tracer les grandes lignes de cet ordre et de mettre en lui la contribution fondamentale de l'Eglise à l'oeuvre de la paix. On Nous opposera enfin que Nous donnons effectivement raison à qui voit dans la « paix armée » le mot dernier et définitif dans la cause de la paix, solution déprimante pour les forces économiques des peuples, exaspérante pour leurs nerfs.

Nous estimons cependant indispensable de fixer le regard sur l'ordre chrétien, aujourd'hui perdu de vue par trop de gens, si on veut non seulement en théorie mais aussi en pratique se rendre compte de la contribution que tous, et en premier lieu l'Eglise, peuvent en vérité apporter, même en des circonstances défavorables et en dépit des sceptiques et des pessimistes.

Avant tout, ce regard convaincra tout observateur impartial que le noeud du problème de la paix est présentement d'ordre spirituel, qu'il est déficience ou défaut spirituel. Trop rare dans le monde d'aujourd'hui est le sens profondément chrétien, trop peu nombreux sont les vrais et parfaits chrétiens. De la sorte, les hommes eux-mêmes mettent obstacle à la réalisation de l'ordre voulu par Dieu.

Il faut que chacun se persuade du caractère spirituel Inhérent au péril de guerre. Inspirer une telle persuasion est en premier lieu un devoir de l'Eglise, c'est aujourd'hui sa première contribution à la paix.

Il faut condamner l'usage des armes atomiques ou autres semblables, mais il faut encore bien davantage condamner le fait qu'on refuse d'admettre l'ordre chrétien.

Nous aussi — et plus que quiconque — Nous déplorons la monstrueuse cruauté des armes modernes. Nous les déplorons et Nous ne cessons de prier Dieu qu'elles ne soient jamais employées. Mais d'autre part, n'est-ce pas une sorte de matérialisme pratique, de sentimentalisme superficiel, que de considérer dans le problème de la paix uniquement ou principalement l'existence et la menace de telles armes, alors qu'on ne fait aucun cas de l'absence de l'ordre chrétien, qui est le vrai garant de la paix ?

De là, entre autres motifs, les désaccords et même les inexactitudes sur la licéité ou l'illicéité de la guerre moderne ; de là également l'illusion d'hommes politiques qui comptent trop sur l'existence ou sur la disparition de ces armes. La terreur qu'elles inspirent perd à la longue son efficacité, comme tout autre cause d'épouvante ; ou du moins ne suffirait pas, l'occasion venue, à arrêter le déchaînement d'une guerre, spécialement là où les sentiments des citoyens n'ont pas un poids suffisant sur les déterminations de leurs gouvernements.

De même le désarmement matériel doit — pour être efficace — être accompagné d'un désarmement spirituel : abolir les haines.

D'autre part, le désarmement, c'est-à-dire la réduction simultanée et réciproque des armements, que Nous avons toujours désirée et appelée, est une garantie peu solide de paix durable, si elle n'est accompagnée de l'abolition des armes de la haine, de la cupidité et du désir démesuré de prestige. En d'autres termes, qui unit trop étroitement la question des armes matérielles avec celle de la paix, a le tort de négliger l'aspect premier et spirituel de tout péril de guerre. Son regard ne va pas au-delà des chiffres, et en outre, il est nécessairement limité au moment où le conflit menace d'éclater. Ami de la paix, il arrivera toujours trop tard pour la sauver.

Si l'on veut vraiment empêcher la guerre, on doit avant tout chercher à subvenir à l'anémie spirituelle des peuples, à l'inconscience de leur propre responsabilité devant Dieu et devant les hommes, du fait que manque l'ordre chrétien, lequel est seul capable d'assurer la paix. Voilà vers quoi sont actuellement tournés les efforts de l'Eglise.

L'ordre chrétien suppose aussi que les personnes et les peuples soient vraiment libres.

Mais elle se heurte ici à une difficulté particulière, due à la forme des conditions sociales actuelles : son exhortation en faveur de l'ordre social chrétien, en tant que facteur principal de pacification, est en même temps un stimulant à la juste conception de la vraie liberté. Car finalement, l'ordre chrétien, en tant qu'organisation pour la paix, est essentiellement un ordre de liberté. Il est le concours solidaire d'hommes et des peuples libres pour la réalisation progressive, dans tous les domaines de la vie, des buts assignés par Dieu à l'humanité. C'est pourtant un fait douloureux qu'aujourd'hui on n'estime plus ou ne possède plus la vraie liberté. Dans ces conditions, la vie des hommes en commun, comme organisation pour la paix, est intérieurement énervée et exsangue, extérieurement exposée à des périls constants.

Il est faux de vouloir tout attendre de la collectivité sans vouloir faire effort personnellement :

Ceux qui, par exemple, dans le domaine économique ou social voudraient tout faire retomber sur la société, même la

direction et la sécurité de leur existence ; ou qui attendent aujourd'hui leur unique nourriture spirituelle quotidienne, toujours moins d'eux-mêmes — c'est-à-dire de leurs propres convictions et connaissances — et toujours plus, déjà préparée, de la presse, de la radio, du cinéma, de la télévision, comment pourraient-ils concevoir la vraie liberté, comment pourraient-ils l'estimer et la désirer, si elle n'a plus de place dans leur vie ?

Cela veut dire que ces hommes ne sont plus que de simples rouages dans les divers organismes sociaux ; ce ne sont plus des hommes libres, capables d'assumer ou d'accepter une part de responsabilité dans les affaires publiques. C'est pourquoi, s'ils crient aujourd'hui : jamais plus de guerre ! comment serait-il possible de se fier à eux. Ce n'est pas, en effet, leur voix ; c'est la voix anonyme du groupe social, dans lequel ils se trouvent engagés.

L'Eglise devient impuissante devant des hommes privés de conscience :

Telle est la condition douloureuse qui entrave l'Eglise dans ses efforts de pacification, dans ses rappels à la conscience de la vraie liberté humaine, élément indispensable, selon la conception chrétienne, de l'ordre social, considéré comme organisation de paix. En vain multiplierait-elle ses appels aux hommes privés de conscience, et encore plus inutilement les adresserait-elle à une société réduite à un pur automatisme.

Il faut condamner toute forme de régime de servitude : i. Celle imposée au « monde libre »... par des servitudes qu'il ignore lui-même :

Telle est la faiblesse malheureusement trop répandue d'un monde qui aime à s'appeler avec emphase « le monde libre ». Il s'illusionne et ne se connaît pas lui-même : sa force ne réside pas dans la vraie liberté. C'est un nouveau péril qui menace la paix et qu'il faut dénoncer à la lumière de l'ordre social chrétien. De là dérive aussi chez bien des personnes autorisées du monde dit « libre », une aversion contre l'Eglise, contre cette importune qui recommande quelque chose que l'on n'a pas, mais que l'on prétend avoir et que, par un étrange renversement d'idées, on lui refuse précisément à elle, Nous voulons dire l'estime et le respect de l'authentique liberté.

2. Celle imposée par la collectivité dans les régimes dictatoriaux :

Mais l'invitation de l'Eglise trouve encore moins de résonance dans le camp opposé. Là, en effet, on prétend être en possession de la véritable liberté parce que la vie sociale ne flotte pas suspendue à l'inconsistante chimère de l'individu autonome, ni ne rend l'ordre public le plus possible indifférent à des valeurs présentées comme absolues, mais où tout est étroitement lié et ordonné à l'existence et au développement d'une collectivité déterminée.

Le résultat toutefois du système dont Nous parlons actuellement n'a pas été heureux, et l'action de l'Eglise n'y est pas devenue plus facile, car là se trouve encore moins protégé le véritable concept de la liberté et de la responsabilité personnelle. Et comment pourrait-il en être autrement alors que Dieu n'y occupe pas sa place souveraine, que la vie et l'activité du monde ne gravitent pas autour de Lui, n'ont pas en Lui leur centre ? La société n'est qu'une énorme machine, dont l'ordre n'est qu'apparent, car ce n'est plus l'ordre de la vie, de l'esprit, de la liberté, de la paix. Comme dans une machine, l'activité s'exerce matériellement, destructrice de la dignité humaine et de la liberté !

Dans ces régimes, la jeunesse est déformée

— soit en concentrant ses efforts en vue d'atteindre de fausses valeurs

Dans une telle société, la contribution de l'Eglise à la paix, et son exhortation à l'ordre vrai dans la vraie liberté se trouvent dans des conditions très défavorables. Les prétendues valeurs sociales absolues peuvent cependant enthousiasmer une certaine jeunesse à un moment important de la vie,

— soif en perdant toute confiance en soi et dans les autres.

alors que dans l'autre camp, il n'est pas rare qu'une autre jeunesse, prématurément désillusionnée par d'amères expériences, soit devenue sceptique, fatiguée et incapable de s'intéresser à la vie publique et sociale.

L'Eglise demeure cependant prête à présenter en toutes circonstances ses bons offices en vue d'obtenir la solution pacifique des conflits :

La paix, comme nous l'avons dit, ne peut être assurée si Dieu ne règne pas dans l'ordre de l'Univers par Lui établi, dans

la société dûment organisée des Etats, dans laquelle chacun d'eux réalise, à l'intérieur, l'organisation de paix des hommes libres et de leurs familles et à l'extérieur celle des peuples, dont l'Eglise dans son champ d'action et selon son offfce se fait garante.

Tel a toujours été le désir des hommes grands et sages, même en dehors d'elle, et dernièrement encore, à l'occasion du Concile 4.

En attendant, l'Eglise apporte sa contribution à la paix en suscitant et en stimulant l'intelligence pratique du noeud spirituel du problème ; fidèle à l'esprit de son divin Fondateur et à sa mission de charité, elle s'efforce, selon ses possibilités, d'offrir ses bons offices partout où elle voit surgir une menace de conflit entre les peuples. Ce Siège Apostolique surtout ne s'est jamais soustrait, ni se soustraira jamais à un tel devoir.

L'Eglise est réduite au silence sous le régime communiste. Mais là aussi, à sa façon, elle témoigne de sa volonté de paix.

Nous savons bien et Nous le déplorons avec un coeur profondément affligé, que Notre invitation à la paix, dans de vastes régions du monde n'arrive qu'amortie à une « Eglise du silence ». Des millions d'hommes ne peuvent professer ouvertement leur responsabilité devant Dieu pour la paix. Dans leurs foyers, même, dans leurs églises, jusqu'à l'antique tradition de la crèche, si intime et si familière, a été exterminée par l'arbitraire despotique des puissants. Des millions d'hommes ne sont pas en état d'exercer leur influence chrétienne en faveur de la liberté morale, en faveur de la paix, parce que ces paroles — liberté et paix — sont devenues le monopole usurpé de perturbateurs de profession et d'adorateurs de la force.

Néanmoins, tout en ayant les mains liées, les lèvres closes, « l'Eglise du silence » répond hautement à Notre invitation. Elle indique du regard les tombes encore fraîches de ses martyrs, les chaînes de ses confesseurs, dans la confiance que son holocauste muet et ses souffrances seront les plus solides renforts à la cause de la paix, parce qu'ils sont la plus haute évocation et le titre le plus puissant pour obtenir du divin Prince de la paix grâce et miséricorde dans l'accomplissement de sa mission. Da pacem Domine, in diebus nostris — Accordez, Seigneur, la paix à notre temps !



PieXII 1951 - DISCOURS A L'ACADÉMIE DES SCIENCES