Pie XII 1953 - 1 CONGRES INTERNATIONAL DE LA SOIE


DISCOURS

AUX PARTICIPANTS DU PREMIER CONGRÈS DE LA FÉDÉRATION INTERNATIONALE D'INGÉNIEURS

(g octobre 1953)1






Le premier Congrès de la Fédération Internationale d'Ingénieurs s'é-tant tenu à Rome, les participants furent reçus en audience à Castelgan-dolfo où Pie XII prononça le discours suivant :

Nous n'hésitons pas, Messieurs, à considérer comme un événement important le 1er Congrès de la Fédération Internationale des Associations Nationales d'Ingénieurs, qui vous réunit à Rome pour débattre certaines questions concernant la formation générale de l'ingénieur en vue de ses devoirs sociaux. L'intérêt du sujet et la haute qualification des membres de votre assemblée permettent d'augurer que vos travaux trouveront partout de nombreux échos. Aussi sommes-Nous heureux de vous accueillir ici pour vous dire combien Nous faisons Nôtres vos préoccupations.

Les arguments que vous traitez dans vos sessions rejoignent en effet l'un de Nos soucis habituels, car ils touchent à certains aspects les plus typiques de la société moderne et conditionnent aussi son orientation future. Notre intention n'est pas d'ajouter des considérations nouvelles à celles que vous avez déjà développées avec autorité et compétence ; mais plutôt de Nous arrêter sur certains points qui Nous paraissent mériter une attention particulière, tant pour leur contenu intrinsèque que pour les conséquences qui en découlent.

Cette Fédération a pour but de préciser le rôle technique et social de l'ingénieur.

Votre présente session fixe incontestablement une étape dans la croissance des Associations d'Ingénieurs et leur collaboration sur le plan international. Sans doute, on tend déjà, sur le plan européen, à l'unification des activités, non seulement politiques et économiques, mais aussi professionnelles et culturelles. Toutefois les motifs qui vous poussent, et la signification que vous attribuez à vos travaux, permettent d'en espérer des résultats spécialement féconds. Loin de vous borner au seul problème de la formation de l'ingénieur, à son rôle dans la profession technique, vous envisagez aussi sa fonction dans l'économie, la vie publique, la structure sociale de la nation, et même dans l'ensemble des professions et dans le cadre de l'Europe elle-même. Il Nous plaît également de voir avec quelle sincérité et quelle conviction ces matières complexes ont été abordées par les différents rapporteurs. Un examen sérieux vous a permis de déceler dans les divers pays les positions de chaque groupe, ses convictions et ses espoirs, ses déficiences aussi et la manière dont il envisage les remèdes. Même s'il n'est pas possible d'entrer dans le détail des solutions, même si celles-ci ne dépendent pas entièrement de vous, vous avez du moins pris conscience des données générales de la situation et des lignes à suivre pour l'améliorer. Vous avez surtout avivé un esprit collectif qui, pardessus les diverses nuances locales, vous réunit dans un accord fondamental, où les tendances similaires et les points de contact sont bien plus nombreux que les divergences. Vous savez que vous constituez une force dans le domaine professionnel, et plus encore sur le plan moral : cette force unifiée et bien dirigée est capable à son tour d'entraîner dans son sillage beaucoup d'individus et d'ensembles encore indécis, dépourvus peut-être de programme bien défini d'étude et d'action, et qui, maintenant, subiront l'attraction de votre mouvement et des idées dont il s'est fait le promoteur.

Voilà pourquoi votre Congrès ne manquera pas d'exercer une influence durable et profonde, si du moins, fidèles aux méthodes qui vous inspirent, vous conformez vos démarches personnelles aux principes dont vous avez apprécié le bien-fondé et l'efficacité.

L'ingénieur, en général, ne joue pas dans la société le rôle qui lui revient.

Plus d'une fois les rapporteurs ont dénoncé avec regret la situation paradoxale qui semble être faite à votre profession. Il est en effet hors de doute que l'ingénieur occupe, parmi ceux qui ont construit et continuent à élaborer le monde moderne, une position eminente. La civilisation actuelle se distingue par une extraordinaire évolution des moyens d'action de l'homme, de sa capacité d'observer les phénomènes, de fabriquer des outils destinés à transformer la matière, de construire des engins susceptibles de triompher des distances, et d'établir des échanges rapides et sûrs entre les divers pays ; et ces résultats sont le fruit des recherches de l'ingénieur et de ses longues et minutieuses mises au point. Cependant, malgré l'ampleur considérable de son apport, il constate qu'on lui accorde une place trop réduite dans l'organisation de la société, qu'il accède rarement aux postes de commande. Prêt à fournir sa collaboration pour l'exécution des projets d'autrui, il prendra rarement en mains la direction des forces économiques, administratives, politiques, dont dépend la marche des institutions publiques. Vous avez indiqué diverses causes de cet état de choses : l'une d'elles retiendra Notre attention, parce qu'elle Nous paraît plus significative que les autres.



L'ingénieur doit s'efforcer de dépasser l'immédiat :

On a relevé, à juste titre, combien la formation propre de l'ingénieur, basée sur l'étude des mathématiques, et des sciences expérimentales le rendait apte à l'observation des réalités concrètes, à l'appréciation des forces et des ressources de la nature et de leurs possibilités d'utilisation. La construction de machines et d'ouvrages d'art exige la plus grande précision, autant dans les calculs préliminaires que dans la construction elle-même et l'agencement des différentes pièces. Même de très petits défauts se remarquent très vite et la sanction de la réussite ou de l'échec vient sans retard. L'exercice continu d'un métier aux exigences aussi impérieuses habitue l'ingénieur à s'attacher étroitement aux problèmes concrets, dont les solutions doivent être immédiatement utilisables. Le progrès technique est à ce prix et une invention se voit périmée dès qu'apparaît un procédé plus efficace et moins coûteux. Aussi, appliqué constamment à résoudre des questions pratiques, l'ingénieur cède parfois à la tentation de négliger quelque peu l'aspect scientifique de sa carrière, de préférer les procédés empiriques aux solutions théoriques vraies et définitives. Obligé souvent d'obéir à des considérations administratives et économiques, il risque peu à peu de rétrécir sa vision intellectuelle des problèmes et de s'absorber trop exclusivement dans un cercle d'intérêts immédiats au détriment de points de vue supérieurs, moins immédiatement utiles peut-être, mais plus universels, et par conséquent de plus grande portée. Vous insistez donc à juste titre sur la nécessité d'une culture scientifique générale, qui permette à l'ingénieur de dépasser aisément sa spécialité et les contingences trop étroites de ses occupations ordinaires pour s'intéresser aux branches connexes et s'aider de leurs ressources. Son pouvoir créateur s'en trouve intensément stimulé et, par là, son efficacité dans la branche qui lui est propre.



7/ doit de plus dépasser le stade technique pour aborder l'humain.

Il faut cependant avoir le courage d'aller plus loin. Si les applications de la technique ont grandement accru la prospérité économique et répandu un bien-être réel parmi des couches plus larges de la population, ceci ne représente encore qu'un acquis partiel. Nous dirions volontiers qu'il s'agit d'un premier stade, qui sera le point d'appui de tous les autres, mais ne peut se suffire à lui seul. L'histoire montre que les ères de découvertes et d'inventions ouvrent d'habitude une crise plus ou moins profonde des institutions et des moeurs. Une sorte de révolution intellectuelle bouleverse les esprits et les façons de vivre. Il faut alors un certain temps avant que la société reprenne pleinement possession d'elle-même et maîtrise les nouveaux moyens d'action qu'on lui a mis entre les mains pour accéder au véritable épanouissement, à l'efflorescence équilibrée de tous les domaines de la culture. En ce sens, on peut dire de l'ingénieur qu'il accomplit une tâche de précurseur, qu'il va de l'avant, tendu vers les acquisitions nouvelles et vers l'extension continue du potentiel technique. Cela pourtant ne suffit pas, il doit aussi pour exercer sur son temps l'influence qu'il ambitionne, savoir pour ainsi dire se retourner et mesurer son action non au progrès de l'équipement scientifique et industriel, mais à celui du développement d'ensemble de l'humanité. Il ne s'agit nullement de contester l'excellence de la technique, les innombrables services qu'elle rend, les qualités intellectuelles et morales qu'elle exige de ceux qui s'y adonnent. Mais elle ne satisfait qu'une catégorie de besoins de l'humanité : exaltée pour elle-même et indépendamment du reste, elle devient nocive et trouble l'ordre existant plutôt qu'elle ne l'améliore réellement.

C'est dire que si l'ingénieur aspire à remplir un rôle de guide et d'initiateur des démarches sociales, il importe d'abord qu'il possède une vue réfléchie des fins générales de la société humaine et de tous les éléments qui conditionnent son évolution. Non qu'il doive être compétent en toutes les matières des sciences juridiques, économiques et autres, bien qu'elles puissent lui apporter un utile complément d'information. Mais il lui faut acquérir une idée personnelle et suffisamment approfondie des lois naturelles qui gouvernent l'homme et régissent son activité comme individu et comme membre des divers groupes sociaux, en particulier de la famille et de la nation. A cette fin, on ne peut se contenter de considérer l'homme d'aujourd'hui ; il est nécessaire de l'expliquer en suivant son élaboration à travers les périodes qui ont marqué le développement de la civilisation. On aperçoit mieux la signification des éléments particuliers en les replaçant dans le plan général où ils s'intègrent et où ils apparaissent dans leur juste perspective. N'est-ce pas là d'ailleurs le signe de la vraie culture, soucieuse de distinguer l'essentiel de l'accessoire et de discerner dans un résultat global la part qui revient à chacun des composantes ? Il ne s'agit nullement, répétons-le, de devenir spécialistes en ces domaines, mais bien de garder l'esprit ouvert à toutes les formes du bien et de la beauté créées par l'initiative et le dévouement des hommes, celles de notre époque et celles du passé, et d'apercevoir les relations qui les enchaînent et en commandent la hiérarchie.



cette matière, l'Eglise montre la voie.

E>e cette largeur d'esprit, l'Eglise elle-même fournit un exemple trop peu remarqué. Chargée depuis vingt siècles d'éduquer la vie religieuse et morale de l'homme, elle ne s'est nullement désintéressée de ses autres préoccupations ou de ses besoins, qu'il s'agisse de sa situation matérielle ou juridique, de son éducation, de l'organisation familiale et civile. L'Eglise n'est jamais restée cantonnée dans une conception étroite de l'homme, parce qu'elle sait la complexité de sa nature et connaît mieux que d'autres la condition humaine. Sa doctrine sociale reflète très exactement cette position centrale et s'efforce de faire respecter l'ordre des exigences de l'homme total, corps et âme, individu et membre de la société, enfants des hommes et de Dieu. C'est pourquoi les principes chrétiens sont les plus sûrs garants d'une évolution normale et heureuse de l'humanité.

En particulier, l'ingénieur aura une attitude nettement sociale devant les problèmes posés par les travailleurs.

Nous avons loué tantôt votre souci de répondre pleinement à votre rôle social. Votre situation au sein des entreprises, où vous constituez le lien entre la direction générale et les agents d'exécution, réclame de vous non seulement des aptitudes professionnelles, mais un sens profondément humain. Vous avez à diriger des personnes intelligentes et libres. Si vous vous efforcez de garder devant les yeux la vue de l'homme, totale et compréhensive, dont nous venons de parler, vous n'aurez pas de peine à vous rendre compte que les problèmes personnels qui engagent votre vie et votre destinée, ceux qui touchent aux couches les plus intimes de votre esprit et de votre coeur, se posent avec autant d'acuité, bien que d'une manière moins réfléchie, pour le plus humble de vos subordonnés. Vous aimez qu'on vous confie des responsabilités, qu'on vous laisse la liberté de prendre des initiatives ; vous désirez percevoir le but poursuivi et enregistrer au fur et à mesure les étapes qui vous en rapprochent, vous souhaitez déborder le cadre purement professionnel pour développer votre personnalité tout entière : tout cela est bon et légitime. Il est donc souhaitable que le travailleur le plus modeste y participe progressivement. Après l'avoir traité trop longtemps comme un outil de production, corvéable à merci, on s'est préoccupé des conditions matérielles de son existence, On reconnaît à présent qu'il serait bien insuffisant d'en rester là. Puisque le travail est pour tout homme une nécessité, il faut que les occupations professionnelles ne briment pas ses sentiment les plus naturels et les plus spontanés, mais respectent pleinement sa dignité. C'est dire qu'il ne peut suffire de voir en lui un producteur de biens, mais qu'il faut le traiter comme un être spirituel que son travail doit ennoblir et qui attend de ses chefs plus encore que de ses égaux, l'intelligence de ses besoins et une sympathie fraternelle.

Ainsi de grandes tâches s'ouvrent aux ingénieurs.

Pour accroître son influence et le prestige de sa profession, il n'est pas nécessaire que l'ingénieur cherche à sortir de son rôle. Dans un univers où s'ouvrent tant de chantiers des tâches splendides l'attendent, s'il prend garde de ne pas laisser rétrécir son champ de vision, ni alanguir sa générosité. Pour cela, que sa vie personnelle soit ordonnée : qu'il respecte en lui les aspirations les plus hautes, d'ordre religieux et moral ; que jamais des intérêts égoïstes, l'attachement aux commodités ou à la richesse, la poursuite d'avantages matériels ou honorifiques, n'entachent son idéal que pendant ces jours d'étude vous avez voulu regarder dans toute sa noblesse.

Nous vous souhaitons le courage optimiste que n'entament pas les échecs et les difficultés inévitables. Vous rencontrerez sur votre route du scepticisme et de l'incompréhension. Mais votre foi aux destinées authentiques de l'humanité n'en sera pas affectée. Dieu qui connaît le fond des coeurs approuve vos intentions généreuses. Qu'il vous donne la force de les réaliser et protège vos personnes, vos familles et vos collaborateurs.


EXPERTS-COMPTABLES



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ALLOCUTION A DES EXPERTS-COMPTABLES

(10 octobre 1953)1






Le premier Congrès de l'Union Européenne des Experts-Comptables économiques et financiers s'étant tenu à Rome, les participants furent reçus en audience à Castelgandolfo où Pie XII prononça l'allocution suivante :

Lorsque Nous avons connu, Messieurs, le thème général du premier Congrès Général de l'Union Européenne des Experts-Comptables économiques et financiers, à savoir, la contribution qu'un tel groupement pourrait fournir à l'unification économique européenne, Nous avons salué avec joie ce nouvel effort de collaboration internationale, et Nous formons dès maintenant les voeux les plus sincères en faveur des buts élevés que se propose votre association.

Le vaste champ d'études, défini par le programme du Congrès de Florence et de Rome, montre assez l'ampleur de vos recherches et laisse entrevoir des travaux de longue haleine, pour lesquels Nous vous adressons Nos chaleureux encouragements.

Le rôle toujours plus considérable de votre profession dans les affaires privées et publiques est lui-même fonction du développement rapide de la technique économique dans le monde actuel.
Pie XII esquisse une histoire de la technique de la comptabilité.


1 D'après le texte français de l'Osservatore Romano des 12-ij octobre 1953




Or cette technique a son histoire. Les méthodes et le vocabulaire se sont constitués selon les zones d'échange commercial et les langues des divers pays. Autrefois chaque région avait plus ou moins sa manière particulière de tenir les comptes. Il y avait la méthode de Venise et celle d'Anvers, celle d'Angleterre et celle de France. Certaines banques ou maisons de commerce plus importantes perfectionnèrent toutefois la rédaction des livres et firent en quelque sorte école de comptabilité. Ensuite naquirent les théoriciens qui étudièrent méthodiqu:ment les avantages et les inconvénients des divers systèmes ; ce sont eux, par exemple, qui firent prévaloir la comptabilité dite Bipartie double. Mais il fallut attendre le milieu du XIXe siècle pour que fussent étendues à de nouveaux domaines les évaluations mathématiques de la comptabilité : inventaires, devis, budget, calcul des prix, des ressources, du mouvement des affaires ; autant de chapitres dans lesquels une comptabilité plus savante rendit les plus grands services à la gestion et à l'administration des entreprises. Aujourd'hui, la science des comptes se subdivise en diverses branches, dont certaines, comme la statistique constituent une discipline autonome. L'évolution de cette science est loin d'être achevée, et vos travaux. Messieurs, auront leur part dans cette orientation.



Toutefois le Pape veut insister sur l'aspect moral de la profession de Vexpert-comptable.

L'examen du point de vue technique dans les questions que Nous venons d'énumérer, relève de votre compétence ; mais vous Nous avez demandé de dire quelques mots sur l'aspect moral de votre profession et de son exercice.
1. Le comptable doit avoir une personnalité morale bien formée.


Pour répondre à ce souhait, Nous voudrions d'abord vous parler de la personnalité morale que le comptable doit éduquer et former en lui.

Dans votre profession, vous êtes en même temps spécialistes, experts, hommes de confiance. Ceci présuppose des connaissances et des aptitudes bien définies et réclame l'assurance que vous les exercerez comme le demandent votre rôle et les prescriptions du droit. Votre personnalité morale vous imposera donc de connaître les normes morales qui vous concernent et d'en tenir compte, c'est-à-dire de savoir ce que prescrivent la loi naturelle, le droit positif dûment établi, l'équité, la loyauté, l'estime de la personnalité humaine ; ce qu'exigent l'amour du prochain, les obligations de la justice et le sens social.

Cet élément intellectuel cependant n'est qu'une condition • le facteur essentiel, c'est la volonté fermement résolue de prendre comme règle de vie ce dont on a reconnu la rectitude morale. Dans votre profession, les situations sont souvent très difficiles, parce que le jugement moral ne peut intervenir qu'une fois donnée l'appréciation technique sur un état de choses. Mais le point décisif n'est pas là : il consiste dans la prise de position volontaire et la détermination de ne pas s'écarter du devoir, dès que le spécialiste en vous, juge que l'action dont il s'agit n'est pas morale, quel que soit du reste celui qui doit en tirer avantage ou en pâtir, le fisc ou le contribuable, le grand industriel eu la collectivité ouvrière, une banque hypothécaire ou immobilière, un vendeur de terrains ou celui qui les achète.

Quelle lucidité, quel sens du réel, quelle réflexion tranquille sont souvent requis avant de pouvoir énoncer dans un cas particulier un jugement clair, objectif, moralement irréprochable ; vous le savez mieux que Nous. Mais vous admettrez avec Nous, qu'un comptable, chez lequel la « personnalité morale » ne s'est pas développée, court souvent le danger d'accepter des offres ou des occasions d'avantages matériels que sa conscience n'approuve pas, quel que soit le nom dont on désigne ce profit et la manière dont on le porte en compte.



Le comptable ne doit poser que des actes conformes à la loi morale.

Un deuxième point concerne l'acte moral. La personnalité morale dont Nous parlions ne se présente pas comme quelque chose de statique, mais de dynamique, c'est-à-dire qu'elle a pour tâche et pour but de se manifester dans l'exercice de la profession et de lui imprimer sa marque. Vous attirez l'attention sur le fait que dans votre domaine professionnel, comme en beaucoup d'autres similaires, apparaît une dépravation morale qui prend une extension rapide, suscite de sérieuses préoccupations et appelle une réaction énergique de défense commune. Une action de ce genre demande pour être efficace, qu'on s'aide l'un l'autre pour refuser de collaborer à ce qu'un esprit sérieux et réfléchi flétrira comme immoral ; pour promouvoir et exécuter ce qui répond à la moralité de la profession, c'est-à-dire ce qui réalise et assure l'avantage justifié des intéressés immédiats et le bien commun. Nous ne voulons pas entrer dans l'explication d'une casuistique détaillée et exposer toutes les manières possibles de réaliser un gain moralement contestable : transcriptions illicites, camouflages, inscriptions fausses, comptes fictifs, dissimulations de gains excessifs, etc., toutes choses qui vous tombent souvent sous les yeux, quand vous opérez des vérifications, que l'on vous demande de taire, ou peut-être qu'on vous demande d'accomplir vous-mêmes.

Un comptable doit être fier de s'entendre dire qu'il est inaccessible à certaines « gratifications », « participations aux bénéfices », « dédommagements de risques », etc. Quand de tels caractères unissent à la probité une compétence réelle, ils se frayent un chemin et ils seront des conseillers et des aides appréciés dans les situations les plus difficiles.



Le comptable doit servir le bien commun.

En troisième lieu, Nous voudrions vous parler de la conscience sociale. Le sens de la communauté et la volonté de la servir doivent caractériser votre attitude intime et votre activité professionnelle. Il existe un « attachement à soi-même », pour ne pas dire un « repliement sur soi » financier et économique, qui implique à la fois une erreur intellectuelle et une déviation basse et immorale des sentiments et de la volonté.

Les industriels, les sociétés financières et les banques, le commerce en gros, en un mot, toute la vie économique avec sa machinerie, de nos jours si compliquée, et ses relations internationales interviennent dans la vie de la société et l'influencent d'une manière profonde. Mais la société a droit à l'existence, elle prétend ne pas être sacrifiée aux intérêts des particuliers. Il s'ensuit que ceux qui ont de l'influence sur le fonctionnement de l'économie et de la finance doivent orienter leurs jugements et leur action d'après les principes de la morale sociale. La société, avec laquelle ils ont affaire, est un corps dans lequel les organes particuliers ont des tâches et des fonctions diverses ; elle comprend diverses classes et doit les servir toutes, non pas seulement l'une d'elles, celle des entrepreneurs, par exemple, ou celle des ouvriers, celle des grands ou celle des petits propriétaires ; les exigences de la justice sociale sont partout les mêmes dans leur formulation abstraite, mais leur forme concrète dépend aussi des circonstances de temps, de lieu et de culture.

Le comptable doit pouvoir se rendre compte de l'efficacité de ses fonctions.

Un dernier mot d'orientation morale que Nous voudrions indiquer est le contrôle moral du succès.

Il ne s'agit pas ici d'une « morale du succès » qui tire sa valeur et sa justification du succès matériel obtenu sous la forme d'un gain considérable. Le manque de conscience peut aussi conduire à de gros profits et reste cependant un manque de conscience.

Mais les succès moraux et les effets d'un système en fournissent une vérification. Celle-ci s'appuie sur la conviction qu'on peut reconnaître aux fruits d'un arbre s'il vaut quelque chose ou s'il ne vaut rien. Le bon arbre ne peut porter de mauvais fruits, ni le mauvais de bons fruits.

Dans la vie des affaires, beaucoup de manipulations sont si compliquées et il est au début si difficile d'y voir clair, que le temps seul permet de se rendre compte si le chemin suivi est moral et licite ou non, s'il concorde avec le vrai bien de l'individu et de la communauté ou s'il s'y oppose. Il est très important ici de savoir jeter un regard en arrière. Le contrôle du succès et du jugement de valeur qui s'ensuit seront souvent plus sûrs et plus complets dans une délibération commune, que si chacun s'appuie uniquement sur son jugement propre.

Voilà ce que Nous voulions vous dire au sujet de cet aspect de votre activité. Toute contribution que vous pourrez apporter, Messieurs, à une conception plus noble et plus désintéressée de votre profession et de la vie des affaires aura pour effet de favoriser la restauration morale que Nous appelons avec vous de Nos voeux les plus ardents. A cette intention, et pour attirer sur vous les faveurs divines, Nous vous accordons de grand coeur la Bénédiction apostolique. Cette Bénédiction s'étend, selon votre désir, non seulement à vous-mêmes qui êtes ici présents mais également à vos familles, à tous vos collègues empêchés de se trouver eux aussi réunis aujourd'hui au milieu de vous, et à tant d'autres qui, s'ils jouissaient de leur liberté civile, se seraient certainement unis à votre manifestation d'hommage filial et dévoué.










ALLOCUTION LORS DE L'INAUGURATION DU NOUVEAU COLLÈGE NORD-AMÉRICAIN

(14 octobre 1953) 1




En présence de trois cardinaux et d'un grand nombre d'évêques des Etats-Unis, Pie XII a béni la chapelle du Nouveau Collège Nord-Américain situé sur le Mont-Janicule à Rome.

Le Pape prononça l'allocution suivante :

En ce jour d'heureuse réalisation et de promesse, Eminentis-simes membres du Sacré-Collège, Vénérables Frères et chers Fils, la pensée se reporte naturellement à ce jour de janvier, voici quatre-vingt-treize ans, lorsque Notre Prédécesseur de sainte mémoire se rendit à l'ancien couvent de la via dell'Umiltà pour honorer de sa présence et encourager de son conseil paternel le Collège Nord-Américain naissant, la plus récente création de son zèle pontifical et de sa charité universelle 2. Il semblait que s'élevait alors une voix appelant à travers l'espace de près d'un siècle un autre Pie pour consacrer à Dieu et au service de l'Eglise le Collège qui succède à celui de la via dell'Umiltà. C'est ainsi que Nous sommes venu parmi vous, ce matin, vous donner une preuve palpable que Notre coeur bat à l'unisson de votre hymne de jubilation et d'action de grâces à Dieu.

Pendant plusieurs années, Nous avons suivi avec un vif intérêt les préparatifs et la construction de votre nouveau séminaire. Notre Vénérable Frère, le Recteur dévoué, courageux, attentif à tout détail Nous a tenu informé de ses progrès, jusqu'à ce que Nous l'ayons vu de Nos propres yeux refléter le soleil du matin comme une cité située sur une montagne. Laissez-Nous vous





















exprimer quelques-unes des pensées que sa vue a éveillées dans Notre âme.

C'est une construction qui a ses fondations solidement appuyées sur les généreux et souvent durs sacrifices des évêques des élèves et des bons fidèles auxquels ils se dévouent. Que Dieu les récompense. Ses lignes, amples et majestueuses quoique sévères, dessinées par un architecte d'une rare distinction dans sa profession, ont été mesurées par la sagesse prévoyante d'une hiérarchie zélée. Son achèvement allume une flamme plus vigoureuse d'espérance pour l'Eglise aux Etats-Unis et dans le monde. Tout cela, Nous semblait-il, s'ajoute à une responsabilité grave et sacrée qui repose sur vous, chers jeunes séminaristes, et sur ceux qui vous suivront. Les sacrifices joyeusement offerts pour vous seront-ils compensés de la même manière et avec intérêt ? Les espoirs et les desseins caressés par vos évêques, caressés par Nous-même, seront-ils réalisés ? Vos coeurs ardents sont empressés à répondre : oui. Mais réfléchissez un instant. Cela ne sera qu'à une condition, à savoir que vous deveniez des prêtres dignes de ce nom.

Dans le sacerdoce, l'homme est élevé à une hauteur pour ainsi dire vertigineuse, médiateur entre le monde tourmenté et le royaume céleste de la paix. Ambassadeur du Christ, gardien des mystères de Dieu, il exerce un pouvoir divin. Héritier des fonctions sacerdotales et souveraines du divin Rédempteur, il est chargé de continuer la mission de salut en conduisant les âmes à Dieu et en donnant Dieu aux âmes. N'oubliant donc jamais la suprême importance d'une telle vocation, le prêtre ne se laissera pas distraire par des choses vaines. Modelant sa vie sur celle de Celui qu'il représente, il se sacrifie pour le bien des âmes. Ce sont les âmes qu'il cherche partout et toujours, et non point ce que le monde peut lui offrir. « Etre un prêtre et être un homme consacré au travail est une seule et même chose », écrivit le bienheureux Pie X ; et il aimait citer les paroles du synode présidé par saint Charles Borromée : « que chaque clerc se répète sans cesse qu'il n'a pas été appelé à une vie d'aises et de plaisirs, mais à travailler dur dans l'armée spirituelle de l'Eglise ».

Ces paroles, chers fils, rappellent un autre fait qu'on ne doit pas oublier. Nous appartenons à l'Eglise militante ; elle est militante parce que sur la terre les puissances des ténèbres sont toujours actives pour tenter de la détruire. Non seulement aux siècles lointains de l'Eglise primitive, mais à travers toutes les époques et de nos jours, les ennemis de Dieu et de la civilisation chrétienne s'enhardissent à attaquer la puissance suprême du Créateur et les droits humains les plus sacrés. Le clergé n'est pas épargné à aucun rang, et les fidèles — leur nombre est légion — inspirés par la courageuse endurance de leurs pasteurs et pères dans le Christ, résistent avec fermeté, prêts à souffrir et à mourir comme les martyrs de l'antiquité pour la seule vraie foi enseignée par le Christ. Dans cette milice, vous cherchez à être admis comme chefs.

L'emprisonnement et le martyre, Nous le savons, ne se profilent pas sur l'horizon qui s'offre à vos yeux. Dans une atmosphère de liberté, sans entraves, où « la parole de Dieu n'est pas enchaînée », l'Eglise de votre pays a grandi en nombre, en influence, en force d'orientation dans tout ce qui fait le bien et la prospérité commune. Le collège de la via delïUmiltà a vu vos prêtres augmenter de deux mille cinq cents à quatre mille et plus, fier et glorieux tribut de la généreuse et sage vie de famille catholique qui prévaut chez vous ; un pays de mission devenu une pépinière d'apôtres pour les terres étrangères. Mais l'Eglise militante est « un seul corps, avec un seul esprit... avec le même Seigneur, la même foi, le même baptême » 3. Et cet Esprit réclame plus qu'un élan d'héroïsme chez tout prêtre qui veut être digne de ce nom, quelles que soient les circonstances extérieures de temps et lieu. L'esprit des martyrs anime toute âme sacerdotale, qui, dans la succession des devoirs pastoraux et dans ses efforts sereins et incessants pour croître en sagesse et en grâce, rend témoignage au Prince des Pasteurs qui subit la croix et méprise la honte « quand II se donna Lui-même pour nous en exhalant le parfum de son sacrifice qu'il offrait à Dieu » 4.

Nous adressons une fervente prière à Marie Immaculée, sous le patronage de laquelle vous avez placé votre pays, Marie glorieusement élevée au ciel, que vous avez désiré honorer ici dans votre chapelle, afin qu'elle manifeste toujours une affectueuse sollicitude de mère envers le clergé d'Amérique et qu'elle vous guide, chers séminaristes, porteurs de si hautes espérances, le long du chemin conduisant à cette sainteté qui l'amènera à reconnaître en vous une ressemblance sans cesse plus grande avec son Fils divin.

Et de la sorte, Vénérables Frères d'Amérique, ce séminaire sera votre fierté et votre joie. Tous les diocèses de votre pays, espérons-Nous, en recevront l'influence apostolique. Pour les générations futures, il demeurera comme un monument de votre amour pour Rome et de votre dévotion pour le Siège de Pierre et vos successeurs s'inspireront de votre lumineux et durable zèle pastoral pour conduire l'Eglise, dans votre cher pays, à de plus grandes conquêtes d'âmes pour le Royaume éternel de Dieu 3.









DISCOURS A L'OCCASION DU IVe CENTENAIRE DE L'UNIVERSITÉ GRÉGORIENNE
(17 octobre 1953) 1








L'Université Pontificale Grégorienne fut fondée sous le titre « Collège Romain » par saint Ignace de Loyola et saint François Borgia et reçut tous les droits d'une Université Pontificale du Pape fuies III en 1552 ; elle fut constamment agrandie et dotée de chaires nouvelles.

Aussi le Souverain Pontife tint-il à prononcer un discours pour commémorer le quatrième centenaire de cette Université.

C'est le coeur plein de joie, Vénérables Frères et chers Fils, que Nous vous voyons devant Nous en cet heureux jour. Nous saluons avec une bienveillance particulière les professeurs ici réunis, et vous, élèves de Notre Université Grégorienne, venus avec un pieux empressement à la suite de ceux qui dirigent vos études sacrées, le Cardinal Préfet de la Sacrée Congrégation des Séminaires et des Universités, votre Grand Chancelier, le Supérieur Général de la Compagnie de Jésus, Vice-Grand Chancelier, ainsi que l'éminent et zélé Recteur de cette Université. Nous saluons les évêques et prêtres de l'un et de l'autre clergé, groupe nombreux et brillant des anciens élèves, les représentants des autres Instituts et Universités et les nobles hôtes que Nous accueillons très cordialement. Vous vous êtes tous volontiers réunis à Rome pour célébrer le quatrième centenaire de la fondation de l'Université Grégorienne, et Nous lisons sur vos visages le désir de Nous voir la louer et l'encourager par Notre parole à continuer sa glorieuse tradition.










5 On lira aussi la Lettre au Recteur du Collège Américain du 13 septembre 1053, A. A. S., XXXXV, 1953, p. 664.



Nous ne pensons pas Nous écarter de la vérité en affirmant que pendant ces dernières décades le dessein que saint Ignace nourrissait en fondant le Collège Romain s'est parfaitement et entièrement réalisé. Ce qu'il désirait, ce qu'il voulait c'était d'attirer dans la citadelle de l'Eglise des jeunes gens venus de toutes les parties du monde, pour qu'ils retournent dans leurs pays comme prêtres du Christ et apôtres de l'Evangile après avoir solidement développé leur science et leur vertu.



Le Pape précise le rôle de cette Université.

Le projet de saint Ignace, empêché à son époque et assez longtemps après sa mort par la difficulté des voyages et d'autres obstacles, est maintenant, Dieu merci, passé en actes. Cinquante-huit nations de tous les continents ont envoyé dans cette ville l'espoir de leur clergé pour y puiser à la source abondante tout l'ensemble des principes philosophiques, toutes les richesses de la vérité révélée, pour y étudier la constitution de l'Eglise, sa vie, sa croissance, les dangers qui s'opposent à son développement ; ils apprennent son histoire, son droit, la manière dont le Royaume de Dieu s'est étendu à travers le monde durant les siècles passés et dont il croît aujourd'hui dans les Missions. Ils reçoivent enfin la formation nécessaire à de courageux et intègres représentants de Dieu qui les fera entrer dans les sentiments de l'Eglise et se dévouer pour la cause du Christ jusqu'au dernier souffle de leur vie.



Ceffe Université a de nombreux titres de gloire.

Le Collège Romain ou Université Grégorienne a toujours mérité la faveur des Pontifes romains. Il serait trop long de rappeler tous ceux qui lui témoignèrent une bienveillance particulière. Qu'il Nous soit permis en l'occasion présente d'en nommer quelques-uns : Jules III et Paul V qui élevèrent le Collège Romain à la dignité d'école de philosophie et de théologie ; Grégoire XIII qui a mérité par sa grande largesse la reconnaissance très spéciale de votre Institut, à qui II a donne son nom et dont il est presque considéré comme le fondateur.

Nous ne pensons pas non plus pouvoir taire Benoît XIV, qui traitait familièrement avec certains professeurs comme le P. Roger Boscovich, et qui recherchait avec eux un rapprochement plus étroit entre les sciences expérimentales et la philosophie et la théologie spéculative ; Léon XII, qui confia l'administration du Collège Romain à la Compagnie de Jésus rétablie et qui lui donna le nom nouveau d'Université Grégorienne. Les Souverains Pontifes des XIXe et XXe siècles lui ont donné tant de marques de leur bienveillance que Nous croirions faire tort aux autres en distinguant tel ou tel d'entre eux.

En ce qui concerne la philosophie et la théologie, votre Institut a connu pendant le premier demi-siècle de son existence tant de maîtres et de docteurs remarquables que cette époque a pu justement être appelée son âge d'or ; mais cela n'enlève rien à la gloire des siècles suivants ; car les Généraux de la Compagnie de Jésus n'ont jamais cessé jusqu'à présent de lui fournir de bons et même d'excellents professeurs.



XII loue la méthode scolastique.

Nous louons la méthode scolastique que l'on utilise chez vous. Nous n'ignorons pas en effet qu'ailleurs, elle est souvent négligée et méprisée. On abandonnera une telle attitude si l'on se souvient que les Souverains Pontifes l'ont souvent recommandée, qu'Us ont même exhorté à lui garder une place d'honneur dans les cours de philosophie et de théologie.

Le but poursuivi par la méthode scolastique est de faire parcourir à la raison humaine les vérités révélées par Dieu et leurs appuis philosophiques en précisant les notions qu'elles contiennent et en présentant les arguments qui soutiennent leur certitude ; c'est en outre de résoudre les objections qu'on leur propose et de s'efforcer d'harmoniser toutes les vérités, celles de la métaphysique naturelle et celles de la révélation divine : tel a toujours été et tel est encore le but certain et ferme de la philosophie et de la théologie. On ne doit pas s'imaginer que la connaissance des mystères de la foi et de leurs supposés philosophiques peut s'acquérir facilement et être maîtrisée par notre intelligence sans avoir fait l'objet de longues études, de discussions méthodiques bien menées, de réflexions et de méditations prolongées.

Ne craignez pas que les études spéculatives fassent tort aux sciences positives, spécialement à la théologie positive. Il n y a en effet aucune opposition entre les unes et les autres ; bien plus les sciences positives procèdent d'autant plus sûrement qu'elles s'appuient sur les sciences spectatives2. Prenez pour exemple le Docteur Angélique lui-même, qui était passionné de connaissances positives, et parmi les théologiens des premiers temps du Collège Romain, François Suarez que l'on met à juste titre au rang des plus grands théologiens après saint Thomas, et plus récemment Te Cardinal Jean-Baptiste Franzelin, pour ne nommer que lui, qui cultiva avec le plus grand zèle l'une et l'autre discipline et les unit d'une manière admirable.



Il ne faut toutefois pas négliger la théologie positive.

L'ordonnance de vos études et vos programmes annuels comportent une part abondante de matières positives fort utiles aux prêtres de notre temps, et surtout vos traités de théologie dogmatique consacrent une place importante à la théologie positive ; plaise à Dieu que l'étude des Saints Pères et des écrivains ecclésiastiques fleurisse et se développe parmi vous.



Il faut maintenir au sommet et d'une manière incorruptible le donné de foi.

2 Nous tenons à citer ici le texte latin :

Neve timueritis, ne ob studia spectativi generis illae quae « positivae » scientiae nun-cupantur et praecipue theologia <c positiva » aliquid detrimenti capiant. Inter utrasque enim nulla oppositio, quin etiam illae eo securius prodeunt, quo firmius hisce superstruuntur.




En ce qui concerne vos études et votre apostolat, évitez de mélanger la doctrine catholique et les vérités naturelles qui s'y rattachent et qui sont connues de tous les catholiques, avec les essais des érudits pour les expliquer, ou aussi avec les éléments qui leur sont propres ou les raisons particulières, par lesquels les différents systèmes philosophiques et théologiques, qui se trouvent dans l'Eglise, se distinguent entre eux. Il ne faut aussi jamais agir, comme si les matériaux de l'éloquence sacrée et la doctrine religieuse en émanaient et en dépendaient. Aucune attitude d'esprit de ce genre n'est la porte par laquelle quelqu'un devrait entrer dans l'Eglise. Même du plus saint et plus prestigieux docteur, l'Eglise n'a jamais fait et ne fera jamais la source principale de la vérité. Elle considère saint Thomas et saint Augustin comme de grands Docteurs et elle leur accorde les plus grands éloges mais elle ne reconnaît l'infaillibilité qu'aux auteurs inspirés de la Sainte Ecriture. Par mandat divin, dépositaire de la Tradition qui vit en Elle, l'Eglise seule est la porte du salut, elle seule est par elle-même, sous la protection et la conduite du Saint-Esprit, la source de la Vérité.

De même il faut tenir aux principes permanents énoncés par la philosophie traditionnelle :

Les divers systèmes que l'Eglise permet de tenir doivent concorder avec ce que la philosophie antique et la philosophie chrétienne reconnaissaient depuis les débuts de cette même Eglise. Soit que l'on considère leur cohérence interne, soit que l'on s'attache à leur accord éclatant avec les vérités de la foi, ces vérités n'ont jamais été proposées de manière aussi lucide, aussi perspicace, aussi parfaite, n'ont jamais été systématisées de manière aussi solide que par saint Thomas d'Aquin selon les formules expressives de Notre Prédécesseur Léon XIII : « Distinguant nettement comme il convient la raison de la foi, les unissant toutefois fraternellement, il maintient les droits et la dignité de l'une et de l'autre, de telle sorte que la raison humaine a été portée par lui au plus haut point et qu'il est presque impossible à la foi de recevoir de la raison des soutiens plus nombreux et plus solides que ceux que saint Thomas lui a donnés 3 ».

Parmi ces vérités auxquelles Nous venons de faire allusion, il faut compter, par exemple, ce qui a trait à la nature de notre connaissance, à celle de la vérité ; aux principes métaphysiques absolus fondés sur la vérité ; à un Dieu infini, personnel, créateur de toutes choses ; à la nature de l'homme, à l'immortalité de l'âme, à la dignité de la personne humaine, aux devoirs que la morale naturelle lui fait connaître et lui impose.



Toutefois on est libre d'accepter ou non ce qui est demeuré matière à controverse, ou encore les données des sciences naturelles.

Mais il n'y a pas lieu de ranger au nombre des vérités requérant l'assentiment certain de la raison ce qui est encore controversé chez les grands commentateurs et les meilleurs disciples de saint Thomas au sujet des vérités qui se situent au niveau de la nature.

3 Encycl. Aeterni Patris, Leonis XIII, Acta, ed. Romana, 1, 1881, p. 274.




Nous ne parlons pas non plus des choses dont on discute pour savoir si elles appartiennent à l'enseignement du saint

Docteur et comment on doit les interpréter ; de même, Nous passons sous silence, parce que caduques, les simples conséquences de la connaissance imparfaite qu'avaient les anciens de la physique, de la chimie, de la biologie et des autres sciences naturelles.

Tel est bien le sens du Canon 1366 §2 par lequel le Code établit saint Thomas guide et maître de toutes les écoles chrétiennes, ainsi que l'affirmait Notre Prédécesseur d'heureuse mémoire, Pie XI : « Que chacun d'eux considère comme inviolable le précepte du Code de droit canonique selon lequel „ les professeurs doivent diriger les études de philosophie rationnelle et de théologie et la formation des élèves dans ces disciplines entièrement selon la méthode du Docteur Angélique, selon sa doctrine et ses principes " et que tous se conduisent selon cette règle de telle sorte qu'ils puissent eux-mêmes l'appeler leur maître. Mais que l'on n'exige pas des uns et des autres plus que n'exige l'Eglise, maîtresse et mère de tous ; dans les choses, en effet, au sujet desquelles les meilleurs auteurs discutent dans les écoles catholiques, personne ne doit être empêché d'embrasser toujours l'opinion qui lui semble la plus vraisemblable » 4.

C'est de cette façon que vos auteurs et maîtres insignes unirent magnifiquement la fidélité qu'ils gardèrent sans cesse au grand docteur avec la liberté exigée par la recherche scientifique et qui fut toujours sauvegardée par Nos Prédécesseurs, Léon XIII et ceux qui l'ont suivi sur la Chaire de Pierre.

Dans les limites fixées plus haut et qu'il ne faut pas dépasser, il sera donc permis à chaque professeur d'adhérer à une des écoles qui se sont acquis un droit de cité dans l'Eglise, à condition cependant qu'il distingue nettement les vérités à tenir par tous de celles qui caractérisent une école particulière et que, en maître sage, il note ces différences dans son enseignement.



Il faut en plus de la philosophie et de la théologie étudier les sciences sociales.

4 Encycl. Studiorum ducem, 29 septembre 1923, p. 324, I.




Venons-en aux autres disciplines que l'on enseigne à l'Université Grégorienne. Nous commençons par l'Institut des Sciences sociales, instauré en dernier lieu et qui a été récemment annexé à l'Institut de Philosophie. Vous savez bien, très chers fils, l'importance que l'Eglise attribue à l'étude de la question sociale et à sa juste solution, s'il est permis de l'espérer ; à tel point qu'il n'y a guère d'autre affaire — Nous n'hésiterions pas à l'affirmer — qui ait en ces derniers temps fait l'objet de plus de soucis pour le Saint-Siège. Aussi Nous accordons tous Nos éloges paternels à cet Institut fondé par vous dans le but d'y former tout particulièrement, mais non exclusivement, les piètres et les étudiants ecclésiastiques aux doctrines sociales. Sachant comment il fonctionne, Nous ne pouvons Nous empêcher de vous féliciter de tout coeur et de vous décerner des louanges bien méritées pour l'ardeur avec laquelle vous avez commencé et la riche doctrine que vous enseignez aux élèves.

Cet Institut a entrepris d'enseigner la doctrine sociale de l'Eglise dont les points principaux sont contenus dans les documents du Saint-Siège, c'est-à-dire dans les Encycliques, les Allocutions et les Lettres Pontificales. A ce sujet, diverses écoles sociales ont vu le jour qui ont expliqué les documents pontificaux, les ont développés et les ont mis en systèmes. Et cela, Nous estimons qu'on a eu raison de le faire. Mais il était impossible d'éviter que dans l'application des principes, et dans les conclusions, ces mêmes écoles ne procèdent diversement et assez souvent ne diffèrent beaucoup entre elles. Aussi dans ce domaine également, il faut se rappeler ce que Nous avons dit plus haut de l'enseignement de la foi catholique et des écoles théologiques et veiller à ne pas confondre la doctrine sociale authentique de l'Eglise avec les positions différentes propres à chaque école : ces deux aspects doivent toujours être distingués avec grand soin.

est important aussi de connaître le Droit Canon.

A votre enseignement théologique appartiennent aussi les Facultés de Droit Canon, d'Histoire ecclésiastique et de Missio-logie.

Pour en venir au Droit Canon, Nous Nous rappelons avec plaisir l'époque où comme étudiant ecclésiastique ou comme jeune prêtre Nous Nous adonnions tout spécialement à ces études ou encore lorsque, invité à prêter Notre collaboration à la rédaction du Droit Canon, Nous y avons consacré plusieurs années. A cette occasion, Nous ne pouvons passer sous silence le P. François-Xavier Wernz qui fut si longtemps remarquable professeur à votre Université, puis Général de la Compagnie de

Jésus, avec qui Nous Nous sommes souvent alors entretenu de questions juridiques et qui occupa, semble-t-il, une place émi-nente parmi les maîtres de son temps en cette matière. Instruit par cette longue expérience, Nous estimons devoir recommander deux points dont l'un concerne l'acquisition d'une connaissance exacte de cette science, l'autre le ministère sacerdotal.

Que doit faire l'étudiant en Droit pour l'assimiler à fond ? D'abord il faut qu'il connaisse bien le système du droit en vigueur, qu'il en possède les normes générales selon leur sens « positif » et « spéculatif ». On ne peut donner à quelqu'un le titre de spécialiste en Droit Canon si, compétent dans l'interprétation des Canons, il ne connaît à fond les principes du droit et leurs relations mutuelles. Vous avez le mérite d'accorder une grande importance à la réalisation de cet objectif.

Ceci vaut aussi pour l'étude de la Théologie morale, il est bon de le noter. La Théologie Morale, vous le savez bien, fut cultivée tout spécialement dès les débuts de votre Université, à l'école du cardinal Lugo, autrefois professeur au Collège Romain, qui associa admirablement la science spéculative aux applications de la science positive. En vous aidant des disciplines juridiques et des recherches récentes, continuez donc, comme vous le faites, remarquablement, à enseigner fidèlement et d'une manière pratique et à expliquer les vérités morales, naturelles et « positives » aux hommes de notre temps dont les moeurs sont en danger et qui mettent en question jusqu'aux principes moraux eux-mêmes.

Ensuite celui qui veut posséder le Droit Canon doit étudier l'Histoire du Droit très utile pour apprécier, mûrement les choses qui le concernent ; qu'il connaisse l'avis des anciens sur les mêmes institutions juridiques, qu'il apprenne l'origine du droit, son développement et ses changements, de manière à pouvoir comparer entre eux les systèmes juridiques. Enfin, il faut compléter l'étude de la théorie par celle de la pratique et des applications du droit ; à cela peuvent utilement contribuer vos « exercices », d'autant plus qu'ici à Rome, vous avez l'occasion — qui n'existe nulle part ailleurs — de fréquenter les leçons qui se tiennent auprès des Offices du Saint-Siège.

En considérant la nature de sa charge, le spécialiste en Droit Canon se persuadera que le Droit Canon, comme tout ce qui est dans l'Eglise, est orienté tout entier au bien des âmes pour que, en obéissant aux lois tutélaires, les hommes possèdent la vérité et la grâce du Christ ; qu'ils vivent, grandissent, meurent saintement, pieusement, fidèlement. Lorsqu'il administre les affaires ecclésiastiques, lorsqu'il exerce les fonctions de juge, lorsqu'il aide de ses conseils les ministres sacrés ou les fidèles, il pensera constamment au salut des âmes auxquelles il peut aussi nuire beaucoup et dont il devra rendre compte. Aussi puisque les cours de Droit Canon doivent précéder l'exercice de l'apostolat, il est extrêmement nécessaire qu'ils y préparent leurs élèves avec soin.



L'Histoire ecclésiastique a sa place également dans l'enseignement de l'Université.

Nous apprécions vivement les développements que l'Histoire ecclésiastique a reçus dans votre Université où elle constitue une Faculté distincte à laquelle se rattachent les recherches de la Faculté de Missiologie sur l'histoire des Missions, et ses travaux remarquables sur l'ethnologie, la sinologie et l'islamologie, qui contribuèrent à leur développement.

En Histoire de l'Eglise, un des objectifs principaux que vous poursuivez avec fermeté est d'apprendre aux élèves la méthode de la recherche critique tant dans ses principes que dans ses applications pratiques. Cet effort n'a rien d'étonnant ; bien plus, il est louable, d'autant qu'ici l'exemple d'autrui vous éclaire. Avec quel zèle et combien fructueux, après l'ouverture des Archives secrètes du Vatican, des Instituts historiques et des chercheurs non-catholiques ont étudié longuement les écrits et les documents qui attestent les travaux de l'Eglise pendant les siècles passés, en ont tiré des renseignements nombreux et intéressants et les ont édités.

Avec quel profit également les Instituts et les savants catholiques sur les traces des Bénédictins de Saint-Maur et des Bol-landistes, honneur et gloire de la Compagnie de Jésus, ne se sont-ils pas appliqués à ce genre de recherches !

Nous félicitons donc Notre Université Grégorienne qui suit le même chemin glorieux et, depuis vingt ans, pour exercer ses élèves à cette discipline, les envoie à la Bibliothèque et aux Archives Vaticanes.

Nous sommes persuadé qu'il n'y a guère de branche du savoir qui l'emporte sur l'Histoire ecclésiastique pour entretenir, aiguiser, amener à maturation l'art de sentir avec l'Eglise, pourvu que l'on observe la règle de mesure et de prudence qui consiste à ne pas s'arrêter plus qu'il ne faut à tel ou tel événement ou à telle difficulté ; à rapporter au tout chaque aspect particulier et les éléments négatifs aux positifs ; à présenter les faits importants et durables, les faits mineurs et passagers comme tels. Qu'on ait surtout à l'esprit ce principe requis absolument d'ailleurs par le respect dû à la vérité : bien qu'on y trouve des fautes humaines, l'Eglise est toujours l'Eglise du Christ, véritable et infaillible dans la conservation et la transmission du dépôt sacré de la foi et sainte, qu'elle est enfin « l'Eglise de Dieu qu'il s'est acquise par son sang5. Dieu est toujours grand et admirable dans ses oeuvres mais il faut le considérer comme tel là où brille sa charité infinie, où s'accomplit pour nous la Rédemption surabondante, c'est-à-dire dans l'Eglise catholique. Continuez dans la voie où vous êtes engagés, en répétant la parole de l'Apôtre Saint Paul : « Gloire à Dieu dans l'Eglise et dans le Christ Jésus » 6.



Pie XII demande aux étudiants de l'Université d'avoir l'ambition de briller par l'éclat de leur science.

Aux plus âgés parmi vous, Nous rappelons volontiers le souvenir des professeurs, comme Louis Billot — pour nommer l'un d'entre eux — qui par leur caractère et leur intelligence suscitaient chez les élèves l'amour des études sacrées et de la haute dignité du sacerdoce. C'est de tels maîtres que Nous souhaitons aux étudiants et Nous exhortons en ces termes ceux qui actuellement enseignent chez vous ces disciplines.

De votre Université sont sortis en grand nombre pendant le cours des siècles, des hommes qui ont fait honneur à son nom, dont plusieurs ont mérité le titre de Saint et de Bienheureux, de vaillants martyrs, des évêques et des prêtres qui par la prédication de l'Evangile, le ministère des âmes, les sciences sacrées, l'éducation de la jeunesse, l'enseignement, la défense des droits de l'Eglise, ont brillé par les oeuvres, la parole, les écrits et l'action aussi bien dans les régions où la foi catholique est implantée depuis longtemps que dans ces régions où l'Evangile fut apporté récemment.

Tous ceux-là brûlaient d'un triple feu qui avait envahi leurs âmes : le zèle du salut des âmes, celui de l'étude et du travail, et enfin celui de la prière et de l'abnégation constantes. Parce qu'ils étaient enflammés du feu du ciel, ils furent ardents et rendirent de grands services. Il faut maintenant que vous soyez possédés du désir d'étudier, jeunes gens qui Nous êtes si chers, pour qu'ainsi vous ayez un jour les forces nécessaires pour accomplir de grandes choses au service du Christ et de l'Eglise.

Dans cette assemblée si nombreuse, Nous élevons une prière d'action de grâces au Dieu Souverain et Eternel pour le développement important qu'il a accordé pendant quatre siècles au Collège Romain ou Université Grégorienne ; Nous Lui consacrons le nouveau siècle qui commence et Nous Le supplions de le remplir de dons du Saint-Esprit ; sur les supérieurs, les professeurs et tous les élèves de cette Institution qui Nous est tellement chère et sur tous ceux qui l'aident de leur prière et de toute autre manière, Nous invoquons toutes les faveurs de Celui qui seul est bon et l'auteur de tous les dons. Que par son intercession maternelle, la Vierge Marie, Mère de Dieu, Siège de la Sagesse et Mère du Bel Amour, à la protection et au patronage de qui Nous vous confions tous, vous les obtienne de son Fils, Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Enfin, comme témoignage de Notre bienveillance et comme gage de la grâce divine, qui dépasse toute attente, Nous vous accordons de tout coeur la Bénédiction apostolique 1.







¦I Cf. p- 334-


Pie XII 1953 - 1 CONGRES INTERNATIONAL DE LA SOIE