Pie XII 1953 - ALLOCUTION AUX CURÉS DE ROME ET AUX PRÉDICATEURS DE CARÊME


DÉCRET DE LA SACRÉE PÉNITENCERIE ACCORDANT UNE INDULGENCE AUX PORTEURS DU CHAPELET

(30 mars 1953)1




Notre Très Saint-Père Pie XII, pape par la Providence divine, dans l'audience accordée le 12 mars de cette année au cardinal Grand Pénitencier soussigné 2, en vue d'accroître de plus en plus la dévotion envers la Bienheureuse Vierge Marie, a daigné dans sa bonté accorder une indulgence de cinq cents jours, à gagner une fois le jour par les fidèles qui baiseront le chapelet porté dévotement sur eux et réciteront en même temps pieusement les paroles de la Salutation Angélique Je vous salue, Marie, pleine de grâce ; le Seigneur est avec Vous, Vous êtes bénie entre toutes les femmes, et Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni.


1 D'après le texte latin des A. A. S., XXXXV, 1953, p. 311. Le Grand Pénitencier est le Cardinal Nicolas Canali.




LETTRE DE MONSEIGNEUR J.-B. MONTINI PRO-SECRÉTAIRE D'ÉTAT A L'OCCASION DE LA VIII\2e\0 JOURNÉE DE L'ASSISTANCE SOCIALE

(30 mars 1953) 1






L'Association des Travailleurs catholiques italiens (A. C. L. I.) organise tous les ans une journée de collecte en faveur de son oeuvre de « Patronage », c'est-à-dire d'assistance aux ouvriers. Ce fut l'occasion de la lettre que voici :

Je n'ai pas manqué de faire connaître au Saint-Père la décision de la Présidence centrale des A. C. L. I. de placer, cette année encore, le 12 avril prochain, la journée de l'assistance sociale, sous son patronage.

Maintenant j'ai l'agréable charge de lui signifier que le Souverain Pontife bénit une nouvelle fois cette initiative destinée à procurer les moyens vitaux à une institution si méritante et si avantageuse à la classe ouvrière.

Aider les travailleurs et travailleuses à obtenir les avantages que leur procurent les lois et institutions sociales, mais qui bien souvent demandent de longues et pénibles démarches et une attention cordiale et inlassable, est certainement une forme nouvelle de charité chrétienne qui n'est pas sans être particulièrement appréciable et appréciée.

Le patronage des A. C. L. L, grâce à ses 92 sièges provinciaux et ses nombreux secrétariats disséminés dans les communes et les milieux de travail, poursuit, depuis huit ans, cette principale tâche avec un succès croissant comme le prouve l'augmentation continuelle des démarches mises en oeuvre, et par là des bienfaits procurés aux ouvriers dans la ligne des droits que leur reconnaissent les lois.

Puisse la journée de l'assistance sociale, avec son action généreuse et par la divulgation des hautes idées qui rayonnent du principe de la solidarité chrétienne, permettre au patronage non seulement de continuer sa mission prévoyante, mais d'en étendre le rayon au point de rassembler tous les travailleurs dans le besoin et aussi tous ceux qui sont privés d'assistance, et de démontrer ainsi par une nouvelle et éloquente preuve le tendre et effectif intérêt que le nom de catholique suscite pour les classes laborieuses.

Le Saint-Père qui, dans son dernier message de Noël2, a prouvé une nouvelle fois en parole et en actes, sa grande sympathie pour la cause des malheureux, exprime aujourd'hui, par mon intermédiaire, le vif désir que les catholiques italiens, spécialement les plus fortunés, contribuent le plus possible à la vie et au développement de cet organisme d'assistance.







D'après le texte italien de l'Osservatore Romano des 30 et 31 mars 1053.



Cf. Documents Pontificaux, 1952, p. 561.












ALLOCUTION AU PEUPLE DE ROME



(5 avril 1953) 1





Suivant la coutume, le jour de Pâques, le Pape a donné de la Loggia extérieure de la Basilique Saint-Pierre, à la foule massée sur la place, su Bénédiction « urbi et orbi » et a prononcé Y allocution suivante :

De tout coeur Nous faisons monter vers le Dieu Tout-Puissant, « qui abaisse et qui élève », l'hymne de la reconnaissance pour Nous avoir donné de vous embrasser à nouveau du regard des yeux et de l'esprit, chers fils de Rome et du monde, du haut de cette Loggia, au jour solennel de la Résurrection et de l'allégresse chrétienne.

En vous et dans l'Eglise entière, frémissante ici d'apostoliques expansions et là enchaînée pour son honneur, Nous voyons avec émotion la gloire du divin Ressuscité : gloriam vidi Resurgentis 2.

Le mystère de Pâques vous annonce, aujourd'hui comme toujours, le mystère de la vie qui triomphe de la mort, à condition que la vie puise en Dieu sa norme et sa destinée. Vécue contre Dieu ou dans l'ignorance de Dieu, toute vie, même remarquable par les oeuvres et la puissance, est un éclair stérile dont aucune mémoire posthume ne peut ranimer la flamme ; elle est vouée dans l'au-delà à une résurrection de condamnation 3. Toute vie humble au contraire, si elle est vécue en Dieu, est une semence de réalités sublimes ; une symphonie éternelle, que la mort ne brise pas, mais épanouit ; et, sur la terre où tout passe, elle est un message de vie immortelle.

Pour le moment, dans l'attente de la gloire future, vous êtes appelés à des oeuvres de vie, et non pas de mort. Répandez en tous lieux les flots de vie que vous avez puisés dans le Christ.

Communiquez-en la source fraîche à vos frères enveloppés dans les ténèbres de l'erreur ; déversez-en les torrents sur le monde d'aujourd'hui, qui ne cesse de languir sur de mortels sentiers de haine.

Nous savons que vous voulez être un ferment de vie, mais Nous craignons que ne vienne à vous abattre la prolongation des mêmes luttes et la répétition des mêmes épreuves.

Laissez votre Père et Pasteur vous mettre en garde contre un tel danger. Nous voudrions que la voix des cloches de Pâques vous portât, en même temps que la joie, la paix et l'amour fraternel, ce grave avertissement aussi : le péril du jour, c'est la lassitude des bons ! Secouez toute torpeur : reprenez votre vertu coutumière.

Que le Rédempteur ressuscité vous serve d'exemple, lui qui vainquit à jamais la mort4. En sorte que les victoires déjà remportées par votre coopération à la foi, à l'Eglise, à l'humanité, soient rendues, pour autant qu'il dépend de vous, stables et durables. Ne vous reposez pas oisifs sur les lauriers du passé ; ne vous arrêtez pas à contempler le sillon tracé jadis, mais, raffermissant ce qui a été heureusement acquis, aspirez toujours à de nouveaux progrès.

Chers fils, persévérez vigilants dans la foi et unis dans la concorde !

Et vous, prêtres et laïcs très aimés, qui en des terres proches et lointaines souffrez pour le Christ, sans que se profilent encore à l'horizon les signes d'un authentique changement, ayez confiance en Celui qui sut un jour ouvrir une route au peuple qu'il voulait libérer.

Vous tous enfin qui vous dépensez avec sincérité pour sauver la paix à l'humanité qui tremble, que les difficultés de l'entreprise ne vous abattent point ; que la bonté de la cause vous donne courage et que vous soutienne le Prince même de la paix : Jésus.

Tel est le souhait de Notre coeur, tandis que Nous invoquons sur vous, sur vos familles, particulièrement sur les pauvres, les malades, ceux qui souffrent, et sur tous Nos chers fils de l'Univers, les célestes bénédictions.







Rom., 6, 9.




ALLOCUTION AU CHOEUR DE REYKJAVIK

(8 avril 1953) 1




Le Choeur de ville de Reykjavik (Islande) ayant fait une tournée de concerts en divers pays d'Europe, tint en passant à Rome, à donner une audition devant le Saint-Père. Celui-ci remercia par les mots que voici :

Nous avons eu le très grand plaisir de vous recevoir aujourd'hui et d'entendre votre magnifique choeur de Reykjavik. Nous vous offrons Nos sincères félicitations, Monsieur le Directeur, à vous et aux messieurs de votre choeur, pour l'excellente qualité de la musique avec laquelle vous Nous avez ravi. Nous avons été particulièrement heureux d'entendre dans l'air de votre hymne national un vibrant écho spirituel du coeur de votre chère patrie.

La belle musique est un langage universel, qui parle directement coeur à coeur, par-dessus les vastes mers et à travers les frontières des nations. Aujourd'hui, dans ce langage, vous Nous avez parlé, ainsi que tout votre peuple par votre intermédiaire, et Nous vous exprimons Notre cordiale gratitude. Et en gage de Notre affection Nous implorons les plus hautes bénédictions de Notre-Seigneur ressuscité, pour vous tous, pour vos familles et vos amis, pour la paix et la prospérité de votre cher pays.



ALLOCUTION AUX ÉTUDIANTS DU CENTRE RICHELIEU

(10 avril 1953) 1



Environ 600 étudiants catholiques de Paris, venus en pèlerinage à Rome pour y célébrer les fêtes de Pâques, furent reçus en audience par Pie XII qui leur dit :

Soyez les bienvenus, chers fils et filles de France, étudiants de Sorbonne, pèlerins d'Assise et de Rome, qui avez marqué les grands jours de l'année chrétienne par un effort commun de prière et de pénitence.

Au pays du Poverello, vous avez revécu de la manière la plus expressive l'émouvante liturgie de la Passion, et voici que vous débouchez maintenant à Rome dans la joie pascale. Le haut lieu spirituel d'Assise vous a fourni un cadre pour évoquer l'Amour souffrant, et Rome vous accueille dans les splendeurs de l'Amour triomphant.

Vous n'avez pas comme l'Apôtre saint Thomas à voir et à toucher le Christ ressuscité pour croire à sa toute-puissance : votre foi renouvelée vous assure que l'humble successeur de saint Pierre tient à son tour les clefs du Royaume des cieux, et c'est auprès de lui que vous venez achever votre pèlerinage. Aussi vous ouvre-t-il les bras, comme à des fils très affectueux et très obéissants.

Nous savons que deux d'entre vous, durant la Veillée pascale, ont reçu le baptême. Comment ne pas évoquer ici, à Rome, le temps où cette profession de foi prenait en face du paganisme officiel de l'Empire romain la valeur d'une rupture avec le monde ancien et d'une entrée dans un monde nouveau, la jeune Eglise chrétienne ? Le poète Prudence, vers l'an 400, ne décri-






D'après le texte anglais de VOsservatore Romano du 9 avril 1955.

vait-il pas Les longues files de catéchumènes passant devant les temples païens désertés, pour aller recevoir au Latran le signe sacré de la religion nouvelle 2 ? Aujourd'hui, ce sont en général les faux dieux qui ont l'air jeune, et l'Eglise qui semble vieille. Mais gardez votre assurance et ne vous laissez point tromper ! Si même, sans tenir compte de systèmes philosophiques, dont l'existence est fugitive comme celle des éphémères, on concède que certaines erreurs peuvent exercer sur l'humanité une longue et profonde influence, elles suivent toutes cependant la loi de l'histoire qui, après l'ascension et l'apogée, amène le déclin et la chute. L'Eglise du Christ a reçu et recevra toujours de son divin Fondateur la force de braver cette loi. Sans cesse, elle rajeunit et survit à toutes les erreurs.

Avant même sa Résurrection, le Sauveur bien-aimé, que le peuple chrétien acclame en ces jours de Pâques, avait dit à l'apôtre Thomas : « Je suis la voie, la vérité, la vie » 3. Depuis qu'il a vécu parmi les hommes, quelque chose a changé dans le destin même de l'humanité. La raison humaine invitée à accueillir des vérités qui la délivrent, le coeur humain admis à une intimité inconcevable avec son Auteur, toute l'humanité se serrant autour de l'Homme-Dieu comme une seule famille, voilà le message joyeux et bouleversant que tout chrétien reçoit et doit transmettre. Trop peu de baptisés ont conscience de la grandeur de leur vocation.

Vous, au contraire, vous en avez une juste et haute idée, et c'est pour le Père des fidèles une consolation de savoir avec quel sérieux on s'applique parmi vous à vivre une vie chrétienne authentique, vie intérieure, qui puise la lumière et la force aux sources de la foi, vie extérieure, riche d'exemples et d'initiative apostolique. Rien n'oblige davantage à monter que la volonté de faire monter les autres : rien n'augmente le désir de la grâce divine comme l'impuissance constatée dans l'apostolat.



Le Pape insiste pour que les étudiants soient des hommes de prière.

Chers fils et chères filles, s'il Nous faut vous adresser un message pascal Nous aimerions vous dire :

2 Contra Symmachutn, lib. 1, v. 585 ss. • Je»n, 14, 6.




Restez des hommes de prière, d'une prière quotidienne, personnelle et fervente ; puisez aux flots de grâce des sacrements, surtout de la Sainte Eucharistie. On vous l'a souvent répété. Nous ne pouvons cependant Nous empêcher de le souligner, parce que c'est fondamental.



Les étudiants doivent s'imposer une discipline morale.

Imposez-vous des exigences morales, sans vous contenter du minimum. L'Eglise alors pourra aussi vous en imposer et elle doit le faire. Car ses tâches importantes au dedans et au dehors exigent — aujourd'hui plus que jamais, Nous le disons avec insistance — des chrétiens solides dans la foi et d'une vie irréprochable. Les lâches ne conquièrent pas la terre, ni n'emportent le ciel.



Entre la foi et la science il ne peut y avoir de conflit.

Dans vos études et votre recherche scientifique, soyez convaincus qu'entre des vérités de foi certaines et des faits scientifiques établis, la contradiction est impossible. La nature comme la révélation viennent de Dieu, et Dieu ne peut pas se contredire.

Ne vous laissez pas déconcerter, même si vous entendez affirmer le contraire avec insistance, même si la recherche devait attendre pendant des siècles la solution d'oppositions apparentes entre la science et la foi...



L'étudiant doit avoir des préoccupations sociales.

Pratiquez l'amour du prochain et affinez votre sens de la justice sociale : mais une justice sociale pour toutes les conditions et toutes les classes. Que personne ne reproche à l'Eglise de ne pas aimer le travailleur. Quelques-uns pourraient être plutôt tentés de dire que depuis quelque temps, malgré ses tâches les plus pressantes qui concernent l'au-delà, elle a placé la question ouvrière trop à l'avant-plan de ses préoccupations. Mais ce reproche non plus, Nous ne saurions l'admettre. Tenez-y ferme : l'Eglise est l'Eglise de tous ; elle est là pour tous, et veut réunir tous les hommes en une famille, comme frères et soeurs dans le Christ.



Il faut se créer une mentalité catholique, c'est-à-dire universelle.

Elargissez votre regard et votre coeur ; étendez-les à tous les pays et à tous les peuples. Personne plus que l'Eglise catholique

ne dispose de forces de réconciliation, de compréhension, d'unité, capables d'agir sur les convictions ultimes, les plus profondes, celles qui dominent la vie. C'est aux enfants de l'Eglise qu'il revient de mettre ces forces en oeuvre ; mais à vous, qui appartiendrez à la classe dirigeante, cette mission incombe tout particulièrement.

Vous avez des guides, qui vous parlent au nom de l'Eglise ; suivez-les, comme il convient à des jeunes, et préparez-vous ainsi aux tâches de demain. L'Eglise compte sur vous. Les talents, que vous avez reçus, ne les enfouissez pas. Rayonnez la lumière, soyez le sel de la terre, et vous aurez par surcroît le bonheur le plus pur qui soit donné à un homme sur la terre : celui d'imiter Dieu.

Nous le demandons pour vous du fond du coeur à Notre-Seigneur ressuscité, et comme gage des faveurs divines, Nous vous accordons à vous-mêmes, à vos familles, à tous ceux qui vous sont chers, Notre paternelle Bénédiction apostolique.










ALLOCUTION A DES ÉTUDIANTS UNIVERSITAIRES D'ITALIE

(10 avril 1953) 1






Quatre cents étudiants de la F. U. C. I. (Fédération Universitaire Catholique Italienne) venus à Rome, après avoir tenu des Congrès à Viterbe et Orvieto, furent reçus en audience et le Pape prononça l'allocution

suivante :

Nous sommes heureux de vous accueillir, chers jeunes de la Fédération Universitaire Catholique Italienne, venus en Notre présence pour implorer Notre bénédiction en faveur des engagements étudiés et pris aux deux Congrès régionaux que vous venez de clôturer.

Vous savez bien que parmi les associations, qui prodiguent leur activité dans le domaine de l'apostolat moderne, la FUCI occupe dans Notre coeur une place particulièrement chère, car les soucis de l'avenir — dont vous êtes aujourd'hui la promesse et dont vous serez demain les artisans — ne sont pas moins harcelants que ceux de l'heure présente. Nous comptons donc beaucoup sur votre association, également parce que déjà, dans ces premières décades, votre jeune arbre a donné un bon exemple de féconde vitalité. Mais il vous appartient de faire en sorte qu'il se développe sans cesse davantage et qu'il multiplie ses fruits pour le salut de vos âmes et de celles d'autrui. Faites donc qu'il enfonce toujours davantage ses racines dans un terrain saturé de foi, et qu'il s'accroche solidement au rocher de Pierre en une ferme et complète adhésion à la doctrine de l'Eglise. Faites que le tronc croisse robuste et droit, c'est-à-dire dressé vers le ciel. Faites que parmi ses rameaux toujours verts les

jeunes âmes trouvent un abri et une défense contre la contamination des mauvaises moeurs envahissantes. Faites que dans votre arbre circule, exubérante comme votre jeunesse, la sève vitale de la charité du Christ, sans laquelle tout effort humain est stérile et vain. Dans vos pensées, dans vos aspirations, dans vos oeuvres, placez au-dessus de toutes choses l'apostolat, l'expansion du Royaume du Christ, sans vous égarer dans des questions et controverses terrestres, et par conséquent éphémères, avec le risque que celles-ci étouffent l'élément principal, éteignent la flamme de l'esprit et que l'action sans âme demeure exposée aux caprices des passions politiques et aux processus de décomposition.






RADIOMESSAGE AUX AGRICULTEURS DE COLOMBIE

(11 avril ig53) 1






Pour célébrer l'inauguration d'une Station catholique de Radiodiffusion à Sutatenza2, destinée à toucher principalement les habitants des régions rurales de Colombie, le Saint-Père envoya le message suivant :

Chers Fils, agriculteurs de Colombie, auditeurs habituels de la Radio catholique de Sutatenza, studieux élèves de ses écoles radiophoniques, si heureusement organisées par 1'« Action culturelle populaire ».

On Nous demande une parole pour l'inauguration de vos nouvelles installations ; comment pourrions-Nous la refuser, puisqu'il s'agit de la Radio, et d'une Radio colombienne spécialisée au service de Nos très chers agriculteurs ?

La Radio — comme tant d'autres merveilles de la technique moderne — est un don précieux du Seigneur ; mais un don qui Nous semblerait misérablement gaspillé s'il devait servir uniquement à la curiosité, au plaisir ou à la pure distraction ; un don que Nous tenons pour parfaitement utilisé quand, au service de la vérité, de la moralité, de la justice et de l'amour — comme Nous l'avons dit bien des fois — il s'emploie à répandre la formation chrétienne, à collaborer à l'élévation intellectuelle et morale des nations.

La Colombie, la catholique Colombie, la nation du Sacré-Coeur de Jésus et de la Vierge du Carmel, a vu clairement le problème. Disséminés sur un territoire immense et accidenté — où, aujourd'hui encore, les communications ne sont pas faciles — des milliers et des milliers de Nos fils à l'âme forte, généreuse et profonde comme la terre qu'ils fécondent chaque jour de leurs sueurs, ne pourraient normalement jouir des bienfaits qui découlent de la présence continuelle du Ministre du Seigneur, éducateur de leurs intelligences. Et ce fut de l'esprit et du coeur d'un prêtre que naquit la solution, témoignant ainsi une fois de plus de la sollicitude pour les humbles qui toujours anime l'Eglise du Christ.

Cette histoire, vous la connaissez parfaitement. Il est tout à votre honneur que vînt de vous le premier effort pour créer le petit centre initial ; des hauteurs du plateau où il fut installé, s'irradièrent les ondes qui, rebondissant de cime en cime sur vos montagnes, plongeant dans les vallées profondes et verdoyantes de votre sol accidenté, traversant ces fleuves grands comme des mers qui descendent des sommets, arrivèrent jusqu'aux chaudes plages des deux océans, ne laissant nul recoin où elles n'apportassent leurs bienfaits ; puis ce furent quatre années de rude travail : car il n'est jamais facile de défricher, surtout si le soc doit creuser profond et si la main qui le guide est encore inexpérimentée ; plus tard vinrent les premiers signes de succès : une oeuvre implantée dans cinq diocèses, deux cents écoles en plein fonctionnement ; hier, c'était l'intérêt porté par un Gouvernement, par toute une nation, par de hautes organisations internationales, y compris Notre propre approbation ; et aujourd'hui enfin, c'est l'existence d'installations nouvelles, plus modernes, plus puissantes, qui permettront d'amplifier le rayon d'action et d'assurer l'efficacité du travail.

Nous n'avons pas l'intention, très chers fils, en inaugurant cette nouvelle station émettrice, de Nous étendre sur ce que doit être la vie rurale ou la Radio catholique. Il se trouve que, dans l'espace de quelques mois, vous avez vu se réunir dans votre nation même un Congrès interaméricain catholique sur les problèmes de la vie rurale et un autre sur la Radio, tous deux parfaitement orientés et couronnés du meilleur succès. Notre désir en ce moment est seulement de vous féliciter, de vous exhorter et de vous bénir.

Vous féliciter, car Nous savons avec quel amour vous avez accueilli ces écoles, ce qui montre l'intérêt que vous portez à votre formation chrétienne, en même temps que la compréhension et les bonnes dispositions qui vous animent ; vous féliciter, parce que vous avez reçu un grand bien, une facilité de plus que le Seigneur vous offre pour compléter votre formation culturelle et professionnelle et surtout votre formation chrétienne, base fondamentale de tout progrès authentique.

Vous exhorter aussi, car la constance à suivre un cours scolaire, puis un autre, puis un autre encore, exigera sans aucun doute un effort que, par amour pour le Seigneur, pour l'Eglise, pour la patrie et pour vous-mêmes, vous devez fournir sans lésiner. Il y aura des périodes plus tranquilles, où les occupations ne pressent pas et où le travail scolaire peut même constituer une distraction attrayante ; mais il pourrait s'en trouver d'autres, où, pour diverses raisons, tout supplément de travail paraîtrait pesant ; c'est alors qu'il faudra mettre en oeuvre toute la bonne volonté pour ne pas abandonner l'entreprise.

Enfin, Notre désir est de vous bénir ; et seul celui qui serait capable de pénétrer toute l'anxiété que Nous ressentons pour votre bien et votre formation chrétienne — comme base d'une vie réellement digne de ce nom — pourra comprendre l'ampleur de cette Bénédiction. Bénédiction pour Notre très digne Fils, qui dès l'origine patronna l'initiative, et qui aujourd'hui, en reconnaissance de ses nombreux mérites et comme expression de Notre paternelle affection, s'est vu revêtir, au milieu de la jubilation de tout un peuple, des splendeurs de la Pourpre Romaine ; Bénédiction pour Notre Frère très aimé, l'actuel Prélat de Tunja, qui sut recueillir l'esprit de son prédécesseur et promouvoir l'oeuvre au point de la faire totalement sienne ; Bénédiction pour le groupe choisi de prêtres qui conçut, prépara, lança et actuellement dirige la station de Radio avec tant de sagesse et de dévouement ; Bénédiction pour ses méritants et compétents collaborateurs techniques ; Bénédiction pour les agriculteurs qui suivent les écoles populaires, pour tous les agriculteurs colombiens parce que Nous savons que le travail de la terre — dans sa dureté, ses incertitudes et les soins assidus qu'il requiert — constitue une école de vertu, où il n'est pas rare que les esprits se trempent et se conservent mieux que dans l'ambiance viciée et artificielle des usines et de la ville ; Bénédiction pour tous les amis, sympathisants et bienfaiteurs de « Radio

Sutatenza » ; Bénédiction pour tout le bon peuple colombien ; et Bénédiction enfin pour les nouvelles installations. Qu'elles soient, à tout moment et pour longtemps, annonciatrices de la gloire de Dieu, servantes utiles de notre Sainte Mère l'Eglise, de fidèles interprètes de Nos sentiments et de Notre pensée ; que de leurs antennes ne sorte rien qui puisse être occasion de mal pour quiconque ; que leurs ondes soient toujours au service du bien et de tous les plus hauts idéals ; et qu'elles ne soient pas seulement un centre d'irradiation, mais aussi un centre d'attraction pour de nombreuses âmes unies, grâces à elles par les liens de la prière, de la communion des idées et, surtout, de la charité.

Puissiez-vous éprouver toujours la protection de votre si grande Patronne, Notre-Dame de Fatima, dont en ce moment Nous invoquons de tout coeur le nom si doux.









LETTRE AU P. MONNIER, C. S. Sp. RECTEUR DU SÉMINAIRE FRANÇAIS DE ROME A L'OCCASION DU CENTENAIRE DE CETTE INSTITUTION

(11 avril 1953)1






Les Pères du Saint-Esprit ont, depuis cent ans, la direction du Séminaire français de Rome :

Nous avons accueilli avec joie la nouvelle des fêtes qui vont marquer dans quelques jours le premier centenaire du Séminaire Pontifical Français de Rome et Nous tenons à vous dire personnellement Nos félicitations et Nos voeux paternels.

Ce siècle d'actif dévouement à la grande cause du sacerdoce a amplement justifié la confiance que Notre Prédécesseur Pie IX avait placée dans les fils du Vénérable Libermann 2. Par milliers se comptent aujourd'hui les prêtres qui ont reçu d'eux leur éducation cléricale et qui, dans les divers ministères comme aux postes de responsabilité où ils furent appelés, ont porté partout la note distinctive de leur formation romaine : un inviolable attachement à l'Eglise et à son Chef visible, le Vicaire de Jésus-Christ.

1 D'après le texte français des A. A. S., t. XXXXV, p. 273.

2 Le Vénérable Père Libermann, fondateur des Pères du Saint-Esprit, était juif, converti en 1826, il mourut en 1852, (cf. Georges Goyau, La Congrégation du Saint-Esprit, Ed. Grasset, Paris, 1037).




C'est cet esprit que Nous exhortions Nous-même les élèves de « Santa Chiara » à développer en eux lorsque Nous vînmes jadis bénir la statue de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus qui préside à leurs récréations sur la loggia du Séminaire. Et Nous savons avec quel zèle attentif vos collaborateurs et vous-même

travaillez à en pénétrer les générations de clercs que les évêques de France vous confient et qui se préparent sous votre direction à leurs tâches apostoliques de demain par l'acquisition d'une science sûre et d'une solide piété sacerdotale.

Deux récents anniversaires de la Congrégation du Saint-Esprit Nous avaient fourni, en 1948 et 1952, l'occasion de vous dire combien Nous apprécions les services que votre famille religieuse rend à l'Eglise : ce n'est certes pas l'un des moindres que cette oeuvre d'éducation dont elle s'acquitte à Rome au service du clergé de France. Aussi sommes-Nous heureux de saisir cette nouvelle circonstance pour vous témoigner Notre bienveillance et invoquer sur votre tâche l'abondance des divines faveurs, en gage desquelles Nous vous accordons, ainsi qu'aux religieux qui se dévouent à vos côtés, aux élèves — anciens et actuels — et à tous ceux que les fêtes du centenaire auront rassemblés autour de vous, une particulière Bénédiction apostolique.










ALLOCUTION AUX MEMBRES DES COMITÉS CIVIQUES

(12 avril 1953) 1






Les membres des Comités civiques (créés au sein de l'Action Catho-le, en vue des élections générales d'Italie de 1948) reçus en audience, dimanche, entendirent Pie XII prononcer l'allocution suivante :

En vous souhaitant la bienvenue, chers fils et chères filles, et en vous exprimant Notre satisfaction paternelle pour le sérieux et le zèle, avec lesquels vous vous consacrez à l'oeuvre des Comités Civiques, Nous entendons résonner dans Notre coeur les paroles que l'apôtre Paul adressait aux fidèles de Corinthe : Videte vocationem vestram : Regardez votre vocation 2.

Notez-le bien : depuis que l'humanité a apostasie progressivement la foi en Jésus-Christ, de nombreux « maîtres » ont prétendu se substituer à Lui pour l'instruire et la guider ; de nombreux « constructeurs » se sont efforcés de lui fournir des structures nécessaires ; de nombreux « médecins » se sont employés à soigner ses maladies et ses plaies. Mais tous, à la fin, se sont trouvés devant une humanité désorientée, égarée et malade.

Il convient donc d'amener avec d'autant plus de sollicitude les hommes à se persuader finalement que magister rester unus est, Christus : vous n'avez qu'un seul Maître, le Christ3 ; et que c'est seulement en Lui que pourront trouver le salut le monde avec ses structures et les hommes avec leurs problèmes : non est in alio aliquo salus : en aucun autre n'est le salut !4.




Un tel état de choses réclame l'intervention prompte et courageuse, non seulement — comme c'est évident — de l'Eglise enseignante et hiérarchique, mais aussi de tous les chrétiens insérés dans le corps social. Il s'agit de souligner la nécessité d'imprégner d'un sens chrétien tous les domaines de la vie humaine. Cela a toujours été la volonté du Christ, et c'est ce qu'attend une si grande partie de l'humanité, lasse de vivre dans les édifices croulants du monde d'aujourd'hui.

Considérez donc, chers fils, votre vocation. Apportez votre oeuvre en tous lieux et au milieu de toutes les catégories de personnes.

On ne peut certainement dire que, comme tels, vous soyez appelés à l'apostolat proprement dit. Vous êtes des citoyens qui voulez vous intéresser plus directement à la formation de meilleures structures économiques, politiques, juridiques et sociales.

Votre devise pro aris et focis, tout en exprimant le double but de votre action, confirme de nouveau pour tous, amis et adversaires, votre intime conviction qu'il n'existe aucun contraste entre les postulats de la vraie religion et les véritables intérêts de la patrie.

Comme citoyens loyaux et actifs, vous visez à créer chez tous une conscience civique droite, qui incite chacun de vous à regarder comme siens les besoins de toute la collectivité, et à s'employer afin que seuls des hommes d'une probité sans tache et d'une compétence éprouvée soient mis en condition de poser sagement et de résoudre efficacement les problèmes qui concernent la communauté nationale. Aussi vous appliquez-vous en même temps à tenir éveillée l'opinion publique, afin que ceux qui, au nom du peuple, font les lois et veillent à leur exécution, soient assistés et soutenus ; et à ce que ne leur manque point — si s'en présentait la nécessité — la contribution d'une critique saine et constructive.

En tant que militants chrétiens, vous considérez comme votre devoir de veiller à ce que rien ne vienne léser les intérêts légitimes de la vraie religion, de votre religion. Vous ne formez pas un parti politique ; mais personne ne pourra vous dénier le droit de vous unir, de vous organiser et d'intervenir, par tous les moyens licites, afin que la législation sur la famille, les normes sur la plus juste distribution de la richesse et sur l'éducation de la jeunesse, et toutes dispositions qui touchent le domaine de la foi et de la morale, soient appliquées selon les postulats de la pensée chrétienne et de l'enseignement de l'Eglise.










DISCOURS AUX PARTICIPANTS DU CINQUIÈME CONGRÈS DE PSYCHOTHÉRAPIE

(13 avril 1953)1






Le cinquième congrès de psychothérapie et de psychologie clinique, s'étant tenu à Rome, le Pape recevant en audience les participants, prononça l'allocution suivante :

Nous vous souhaitons la bienvenue, chers fils et chères filles, qui, venus de partout, vous êtes rassemblés à Rome pour entendre de doctes exposés et discuter des questions de psychothérapie et de psychologie clinique. Votre Congrès est terminé, et, pour garantir ses résultats et le succès de vos recherches et activités futures, vous venez recevoir la Bénédiction du Vicaire du Christ. Bien volontiers, Nous répondons à votre désir et Nous profitons de l'occasion pour vous adresser un mot d'encouragement et vous donner quelques directives.

Pie XII énumère les découvertes récentes de la psychologie dite des « profondeurs ».

La science affirme que de nouvelles observations ont mis à jour les couches profondes du psychisme humain et elle s'efforce de comprendre ces découvertes, de les interpréter et de les rendre utilisables. On parle de dynamismes, de déterminismes et de mécanismes cachés dans les profondeurs de l'âme, dotés de lois immanentes dont découlent certains modes d'action. Sans doute, ceux-ci sont mis en oeuvre dans le subconscient ou l'inconscient, mais ils pénètrent aussi dans le domaine de la conscience et le déterminent. On prétend disposer de procédés éprouvés et reconnus adéquats pour scruter le mystère de ces profondeurs de l'âme, les éclairer et les remettre sur le droit chemin, lorsqu'elles exercent une influence néfaste.

Ces questions, qui se prêtent à l'examen d'une psychologie scientifique, sont du ressort de votre compétence. 11 en va de même pour l'utilisation de nouvelles méthodes psychiques. Mais que les psychologies théorique et pratique restent conscientes, l'une et l'autre, qu'elles ne peuvent perdre de vue ni les vérités établies par la raison et par la foi, ni les préceptes obligatoires de la morale.

L'an passé, au mois de septembre 2, pour répondre au souhait des membres du « Premier Congrès International d'histopatholo-gie du système nerveux », Nous avons indiqué les limites morales des méthodes médicales de recherche et de traitement. Sur la base de cet exposé, Nous voudrions, aujourd'hui, ajouter quelques compléments. En bref, Nous avons l'intention d'indiquer l'attitude fondamentale qui s'impose au psychologue et au psychothérapeute chrétien.

Cette attitude fondamentale se ramène à la formule suivante : la psychothérapie et la psychologie clinique doivent toujours considérer l'homme : i° comme unité et totalité psychique ; 2° comme unité structurée en elle-même ; 3° comme unité sociale ; 40 comme unité transcendante, c'est-à-dire en tendance vers Dieu.

I. L'homme comme unité et totalité psychique.

La médecine apprend à regarder le corps humain comme un mécanisme de haute précision, dont les éléments s'engrènent l'un sur l'autre et s'enchaînent l'un à l'autre ; la place et les caractéristiques de ces éléments dépendent du tout, ils servent son existence et ses fonctions. Mais cette conception s'applique encore beaucoup mieux à l'âme, dont les rouages délicats sont assemblés avec bien plus de soin. Les diverses facultés et fonctions psychiques s'insèrent dans l'ensemble de l'être spirituel et se subordonnent à sa finalité.

Il est inutile de développer plus longuement ce point. Mais vous devez, vous, les psychologues et les thérapeutes, tenir compte de ce fait : l'existence de chaque faculté ou fonction psychique se justifie par la fin du tout. Ce qui constitue I'hom-

! 13 septembre 1052, A. A. S., 44, 1952, pp. 770 ss. ; cf. Documents Pontificaux, 1952, page 454me, c'est principalement l'âme, forme substantielle de sa nature.

C'est d'elle que découle en. dernier lieu toute la vie humaine ; en elle, s'enracinent tous les dynamismes psychiques, avec leur structure propre et leur loi organique ; c'est elle que la nature charge de gouverner toutes les énergies, pour autant que celles-ci n'aient pas encore acquis leur dernière détermination. De ce donné ontologique et psychique, il s'ensuit que ce serait s'écarter du réel que de vouloir, en théorie ou en pratique, confier le rôle déterminant du tout à un facteur particulier, par exemple, à l'un des dynamismes psychiques élémentaires, et installer ainsi au gouvernail une puissance secondaire. Ces dynamismes peuvent être dans l'âme, dans l'homme ; ils ne sont cependant pas Z'âme, ni Z'homme. Ils sont des énergies, d'une intensité considérable peut-être, mais la nature en a confié la direction au poste central, à l'âme spirituelle, douée d'intelligence et de volonté, capable normalement de gouverner ces énergies. Que ces dynamismes exercent leur pression sur une activité, ne signifie pas nécessairement qu'ils la contraignent. On nierait une réalité ontologique et psychique, en contestant à l'âme sa place centrale.

Il n'est donc pas possible, lorsqu'on étudie la relation du moi aux dynamismes qui le composent, de concéder sans réserve, en théorie, l'autonomie de l'homme, c'est-à-dire de son âme, mais d'ajouter aussitôt que, dans la réalité de la vie, ce principe théorique apparaît le plus souvent tenu en échec ou tout au moins minimisé à l'extrême. Dans la réalité de la vie, dit-on, il reste toujours à l'homme la liberté d'accorder son consentement interne à ce qu'il accomplit, mais non point celle de l'accomplir. A l'autonomie de la volonté libre se substitue l'hétéronomie du dynamisme instinctif. Ce n'est pas ainsi que le Créateur a façonné l'homme. Le péché originel ne lui enlève pas la possibilité et l'obligation de se conduire lui-mme par l'âme. On ne prétendra pas que les troubles psychiques et les maladies qui entravent le fonctionnement normal du psychisme sont le donné habituel. Le combat moral pour rester sur le droit chemin ne prouve pas l'impossibilité de suivre celui-ci et n'autorise pas à reculer.

L'homme comme unité structurée.

L'homme est une unité et un tout ordonnés ; un microcosme, une sorte d'Etat dont la charte, déterminée par le but du tout, subordonne à ce but l'activité des parties selon l'ordre véritable de leur valeur et de leur fonction. Cette charte est, en dernière analyse, d'origine ontologique et métaphysique, non pas psychologique et personnelle. On a cru devoir accentuer l'opposition entre métaphysique et psychologique. Bien à tort ! Le psychique lui-même appartient au domaine de l'ontologique et du métaphysique.

Nous vous avons rappelé cette vérité pour y rattacher une remarque sur l'homme concret dont on examine ici l'ordonnance interne. On a prétendu, en effet, établir l'antinomie de la psychologie et de l'éthique traditionnelles vis-à-vis de la psychothérapie et de la psychologie clinique modernes. La psychologie et l'éthique traditionnelles ont pour objet, affirme-t-on, l'être abstrait de l'homme, l'homo ut sic qui, assurément, n'existe nulle part. La clarté et l'enchaînement logique de ces disciplines méritent l'admiration, mais elles souffrent d'un vice de base : elles sont inapplicables à l'homme réel, tel qu'il existe. La psychologie clinique, au contraire, part de l'homme réel, de l'homo ut hic. Et l'on conclut : entre les deux conceptions s'ouvre un abîme impossible à franchir aussi longtemps que la psychologie et l'éthique traditionnelles ne changeront pas leur position.

Qui étudie la constitution de l'homme réel, doit en effet prendre comme objet l'homme « existentiel », tel qu'il est, tel que l'ont fait ses dispositions naturelles, les influences du milieu, l'éducation, son évolution personnelle, ses expériences intimes et les événements du dehors. Seul existe cet homme concret. Et cependant, la structure de ce moi personnel obéit dans le moindre détail aux lois ontologiques et métaphysiques de la nature humaine, dont Nous parlions plus haut. C'est elles qui l'ont formée et qui donc doivent la gouverner et la juger. La raison en est que l'homme « existentiel » s'identifie dans sa structure intime avec l'homme « essentiel ». La structure essentielle de l'homme ne disparaît pas quand s'y ajoutent les notes individuelles ; elle ne se transforme pas non plus en une autre nature humaine. Mais précisément la charte, dont il s'agissait tantôt, repose dans ses énoncés principaux sur la structure essentielle de l'homme concret, réel.

Par conséquent, il serait erroné de fixer pour la vie réelle des normes, qui s'écarteraient de la morale naturelle et chrétienne, et que l'on désignerait volontiers du vocable « éthique personnaliste » : celle-ci sans doute, recevrait de celle-là une certaine orientation, mais ne comporterait pas pour autant d'obligation stricte. La loi de structure de l'homme concret n'est pas à inventer, mais à appliquer.



III. L'homme comme unité sociale.

Ce que Nous avons dit jusqu'ici concerne l'homme dans sa vie personnelle. Le psychique comprend aussi ses relations avec le monde extérieur, et c'est une tâche digne d'éloges, un champ ouvert à vos recherches, que d'étudier le psychisme social en lui-même et en ses racines, de le rendre utilisable aux fins de la psychologie clinique et de la psychothérapie. Qu'on prenne bien garde en ceci à distinguer soigneusement les faits eux-mêmes de leur interprétation.

Le psychisme social touche aussi à la moralité et les conclusions de la morale recouvrent largement celles d'une psychologie et d'une psychothérapie sérieuses. Mais il y a quelques points où l'application du psychisme social pèche par excès ou par défaut : c'est à cela que Nous voudrions brièvement Nous arrêter.



Le Pape dénonce une erreur par défaut.

L'erreur par défaut : il existe un malaise psychologique et moral, l'inhibition du moi, dont votre science s'occupe de déceler les causes. Quand cette inhibition empiète sur le domaine moral, par exemple, quand il s'agit de dynamismes, comme l'instinct de domination, de supériorité et l'instinct sexuel, la psychothérapie ne pourrait pas, sans plus, traiter cette inhibition du moi comme une sorte de fatalité, comme une tyrannie de la pulsion affective, qui jaillit du subconscient et qui échappe simplement au contrôle de la conscience et de l'âme. Qu'on ne rabaisse pas trop vite l'homme concret avec son caractère personnel au rang de la brute. Malgré les bonnes intentions du thérapeute, des esprits délicats ressentent amèrement cette dégradation au plan de la vie instinctive et sensitive. Qu'on ne néglige pas non plus nos remarques précédentes sur l'ordre de valeur des fonctions et le rôle de leur direction centrale.

Un mot aussi sur la méthode utilisée parfois par le psychologue pour libérer le moi de son inhibition dans les cas d'aberration dans le domaine sexuel : Nous pensons à l'initiation sexuelle complète, qui ne veut rien taire, rien laisser dans l'obscurité.






N'y a-t-il pas là une surestimation pernicieuse du savoir ? Il existe aussi une éducation sexuelle efficace, qui en toute sécurité enseigne dans le calme et l'objectivité ce que le jeune homme doit savoir pour se conduire lui-même et traiter avec son entourage. Pour le reste, on mettra principalement l'accent, dans l'éducation sexuelle comme d'ailleurs en toute éducation, sur la maîtrise de soi et la formation religieuse. Le Saint-Siège a publié des normes à ce propos peu après l'Encyclique de Pie XI sur le mariage chrétien3. Ces normes n'ont pas été retirées, ni expressément, ni via facti.

Ce qui vient d'être dit de l'initiation inconsidérée, à des fins thérapeutiques, vaut aussi de certaines formes de la psychanalyse. On ne devrait pas les considérer comme le seul moyen d'atténuer ou de guérir des troubles sexuels psychiques. Le principe rebattu que les troubles sexuels de l'inconscient, comme toutes les autres inhibitions d'origine identique, ne peuvent être supprimés que par leur évocation à la conscience, ne vaut pas si on le généralise sans discernement. Le traitement indirect a aussi son efficacité et souvent il suffit largement. En ce qui concerne l'emploi de la méthode psychanalytique dans le domaine sexuel, notre allocution du 13 septembre, citée plus haut, en a déjà indiqué les limites morales. En effet, on ne peut pas considérer, sans plus, comme licite l'évocation à la conscience de toutes les représentations, émotions, expériences sexuelles, qui sommeillaient dans la mémoire et l'inconscient, et qu'on actualise ainsi dans le psychisme. Si l'on écoute les protestations de la dignité humaine et chrétienne, qui se risquerait à prétendre que ce procédé ne comporte aucun péril moral, soit immédiat, soit futur, alors que, même si on affirme la nécessité thérapeutique d'une exploration sans bornes, cette nécessité, au demeurant, n'est pas prouvée ?

Le Pape dénonce une erreur par excès.

L'erreur par excès : elle consiste à souligner l'exigence d'un abandon total du moi et de son affirmation personnelle. A ce propos, Nous voulons relever deux points : un principe général et un point de pratique psychothérapeutique.

8 S. C. S. Off., 21 mars 1931 ; A. A. S., 23, 1931, p. 118.




De certaines explications psychologiques se dégage la thèse que l'extraversion inconditionnée du moi constitue la loi fondamentale de l'altruisme congénital et de ses dynamismes. C'est une erreur logique, psychologique et éthique. Il existe une défense, une estime, un amour et un service de soi, non seulement justifiés, mais exigés par la psychologie et la morale. C'est une évidence naturelle et une leçon de la foi chrétienne 4. Le Seigneur a enseigné : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » 5. Le Christ propose donc comme règle de l'amour du prochain la charité envers soi-même, non le contraire. La psychologie appliquée mépriserait cette réalité, si elle qualifiait toute considération du moi d'inhibition psychique, erreur, retour à un stade de développement antérieur, sous prétexte qu'elle s'oppose à l'altruisme naturel du psychisme.

Le point de pratique psychothérapeutique, que Nous annoncions, concerne un intérêt essentiel de la société : la sauvegarde des secrets que met en danger l'utilisation de la psychanalyse. Il n'est pas du tout exclu qu'un fait ou un savoir secrets et refoulés dans le subconscient provoquent des conflits psychiques sérieux. Si la psychanalyse décèle la cause de ce trouble, elle voudra, selon son principe, évoquer entièrement cet inconscient pour le rendre conscient et lever l'obstacle. Mais il y a des secrets qu'il faut absolument taire, même au médecin, même en dépit d'inconvénients personnels graves. Le secret de la confession ne souffre pas d'être dévoilé ; il est exclu également que le secret professionnel soit communiqué à un autre, y compris au médecin. Il en va de même pour d'autres secrets. On en appelle au principe : Ex causa proportionate gravi licet uni viro prudenti et secreti tenaci secretum manifestare 6. Le principe est exact dans d'étroites limites, pour quelques espèces de secrets. Il ne convient pas de l'utiliser sans discernement dans la pratique psychanalytique.

Au regard de la moralité, du bien commun en premier lieu, le principe de la discrétion dans l'utilisation de la psychanalyse ne peut être assez souligné. Il s'agit, évidemment, non pas d'abord de la discrétion du psychanalyste, mais de celle du patient qui, souvent, ne possède aucunement le droit de disposer de ses secrets.






V. L'homme comme unité transcendante, en tendance vers Dieu.

Ce dernier aspect de l'homme introduit trois questions que nous ne voudrions pas laisser de côté.



'immanence de la Foi.

Tout d'abord, la recherche scientifique attire l'attention sur un dynamisme qui, enraciné dans les profondeurs du psychisme, pousserait l'homme vers l'infini qui le dépasse, non point en le faisant connaître, mais par une gravitation ascendante issue directement du substrat ontologique. On voit en ce dynamisme une force indépendante, la plus fondamentale et la plus élémentaire de l'âme, un élan affectif portant immédiatement au divin, comme la fleur, à son insu, s'ouvre à la lumière et au soleil, ou comme l'enfant respire inconsciemment dès qu'il est né.

Cette assertion appelle tout de suite une remarque : Si l'on déclare que ce dynamisme est à l'origine de toutes les religions, qu'il manifeste l'élément commun à toutes, Nous savons par ailleurs que les religions, la connaissance de Dieu naturelle et surnaturelle, et son culte, ne procèdent pas de l'inconscient ou du subconscient, ni d'une impulsion affective, mais de la connaissance claire et certaine de Dieu, par le moyen de sa révélation naturelle et positive. C'est la doctrine et la foi de l'Eglise depuis la parole de Dieu au Livre de la Sagesse, et dans l'Epî-tre aux Romains jusqu'à l'Encyclique Pascendi dominici gregis, de notre Prédécesseur le bienheureux Pie X.

Ceci posé, reste encore la question de ce mystérieux dynamisme. On pourrait dire, à ce propos, ce qui suit : il ne faut certes pas incriminer la psychologie des profondeurs, si elle s'empare du contenu du psychisme religieux, s'efforce de l'analyser et de le réduire en système scientifique, même si cette recherche est nouvelle et si sa terminologie ne se rencontre pas dans le passé. Nous évoquons ce dernier point parce que, facilement, il se produit des malentendus lorsque la psychologie attribue un sens nouveau à des expressions déjà en usage. Des deux côtés il faudra de la prudence et de la réserve pour éviter les fausses interprétations et pour rendre possible une compréhension réciproque.

Il appartient aux méthodes de votre science d'éclaircir les questions de l'existence, de la structure et du mode d'action de ce dynamisme. Si le résultat s'avérait positif, on ne devrait pas le déclarer inconciliable avec la raison ou la foi. Cela montrerait seulement que l'esse ah alio est aussi, jusque dans ses racines les plus profondes, un esse ad alium, et que le mot de saint Augustin : Fecisti nos ad te ; et inquietum est cor nostrum, donec requiescat in te 1, trouve une nouvelle confirmation jusque dans le tréfonds de l'être psychique. S'agirait-il même d'un dynamisme intéressant tous les hommes, tous les peuples, toutes les époques et toutes les cultures : quelle aide, et combien appréciable pour la recherche de Dieu et son affirmation !



Le sentiment de culpabilité.

Aux relations transcendantes du psychisme appartient aussi le sentiment de culpabilité, la conscience d'avoir violé une loi supérieure dont, cependant, on reconnaissait l'obligation : conscience qui peut se muer en souffrance et même en trouble psychique.

La psychothérapie aborde ici un phénomène qui ne relève pas de sa compétence exclusive, car il est aussi, sinon principalement, de caractère religieux. Personne ne contestera qu'il peut exister, et ce n'est pas rare, un sentiment de culpabilité irraisonné, maladif même. Mais on peut avoir également conscience d'une faute réelle qui n'a pas été effacée. Ni la psychologie ni l'éthique ne possèdent de critère infaillible pour les cas d'espèce, car le processus de conscience qui engendre la culpabilité a une structure trop personnelle et trop subtile. Mais en tout cas, il est sûr que la culpabilité réelle, aucun traitement purement psychologique ne la guérira. Même si le psychothérapeute la conteste, de très bonne foi peut-être, elle perdure. Que le sentiment de culpabilité soit ôté par intervention médicale, par autosuggestion ou persuasion d'autrui, la faute demeure, et la psychothérapie s'abuserait et abuserait les autres si, pour effacer le sentiment de culpabilité, elle prétendait que la faute n'existe plus.

Le moyen d'éliminer la faute ne relève pas du pur psychologique ; comme tout chrétien le sait, il consiste dans la contrition et l'absolution sacramentelle par le prêtre. Ici, c'est la source du mal, la faute elle-même qui est extirpée, même si peut-être le remords continue à travailler. Il n'est pas rare de

nos jours que dans certains cas pathologiques le prêtre renvoie son pénitent au médecin ; dans le cas présent, le médecin devrait plutôt adresser son client à Dieu et à ceux qui ont le pouvoir de remettre la faute elle-même au nom de Dieu.



Les actes conscients.

Une dernière remarque à propos de l'orientation transcendante du psychisme vers Dieu : le respect de Dieu et de sa sainteté doit toujours se refléter dans les actes conscients de l'homme. Quand ces actes s'écartent du Modèle divin, même sans faute subjective de l'intéressé, ils contredisent cependant sa finalité dernière. Voilà le motif pour lequel ce qu'on appelle « péché matériel » est une chose qui ne doit pas être et constitue donc dans l'ordre moral une réalité qui n'est pas indifférente.

Une conclusion s'ensuit pour la psychothérapie : vis-à-vis du péché matériel, elle ne peut rester neutre. Elle peut tolérer ce qui, pour l'instant, demeure inévitable. Mais elle doit savoir que Dieu ne peut justifier cette action. La psychothérapie peut encore moins donner au malade le conseil de commettre tranquillement un péché matériel, parce qu'il le fera sans faute subjective, et ce conseil serait aussi erroné si une telle action devait paraître nécessaire pour la détente psychique du malade et donc pour le but de la cure. On ne peut jamais conseiller une action consciente qui serait une déformation, non une image de la perfection divine.



Le Pape conclut :

Voilà ce que Nous croyions devoir vous exposer. Au reste, soyez assurés que l'Eglise accompagne de sa chaude sympathie et de ses meilleurs souhaits vos recherches et votre pratique médicale. Vous travaillez sur un terrain très difficile. Mais votre activité peut enregistrer de précieux résultats pour la médecine, pour la connaissance de l'âme en général, pour les dispositions religieuses de l'homme et leur épanouissement. Que la Providence et la grâce divine éclairent votre route ! Nous vous en donnons pour gage, avec une paternelle bienveillance, Notre Bénédiction apostolique.






Pie XII 1953 - ALLOCUTION AUX CURÉS DE ROME ET AUX PRÉDICATEURS DE CARÊME