Pie XII 1954 - DISCOURS A L'ÉPISCOPAT

ALLOCUTION A L'UNION DES ÉDITEURS CATHOLIQUES ITALIENS

(y novembre 1954) 1


Recevant en audience les éditeurs catholiques venus en pèlerinage à Rome, Pie XII leur dit :

Nous n'avons pas oublié, chers fils, votre visite durant l'Année Sainte, ni le magnifique don de livres que vous Nous avez présentés en cette circonstance2. En renouvelant aujourd'hui avec tant de générosité cet acte, vous avez désiré, en quelque manière, Nous inviter à noter la fidélité de votre dévotion au Vicaire du Christ et les heureux progrès de votre Association. En effet, d'année en année, l'Union des Editeurs catholiques italiens a pris un rayonnement de plus en plus vaste dont la preuve est donnée par l'importance même de votre Congrès et par les personnalités de ceux qui y ont pris part, comme aussi par la richesse des publications dans le cadre de votre Union.

Nous vous adressons avant tout Nos félicitations pour les manifestations de piété mariale, par lesquelles vous avez voulu faire de votre réunion un pèlerinage en l'honneur de la Vierge. Que la Mère de Dieu vous soit propice et qu'Elle bénisse le travail de tous ceux qui se consacrent aux saines oeuvres de l'édition dans toute l'Italie.

Une tradition artistique bien connue représente souvent, dans les détails qui composent la scène de l'Annonciation, un livre, le Livre par excellence, celui qui enseigne à l'homme ses origines et l'histoire de l'amour de Dieu pour lui. On ne saurait douter, en effet, que la Très Sainte Vierge ait lu et médité la Sainte Ecriture, comme en témoigne son Magnificat, illuminé par les réminiscences de l'Ancien Testament. N'est-ce pas là sans doute une raison pour penser qu'Elle a une prédilection pour tous ceux qui contribuent à la diffusion du livre catholique ?

Cette expression « le livre catholique », qui est le titre du périodique bibliographique de votre Union, ne réduit pas évidemment vos publications à la Sainte Bible et à ses commentaires, bien que, en un certain sens, tout ce qui est vraiment catholique comporte une référence explicite à la parole de Dieu ; mais elle indique en même temps le caractère orthodoxe et universel de votre activité. Le terme « catholique » n'exclut par lui-même que le péché et l'erreur, et, en revanche, il embrasse tout le domaine de l'intelligence et la vie entière à travers le temps et l'espace. L'apôtre saint Paul décrit souvent dans ses Lettres le véritable esprit catholique, celui-là même qui doit guider votre action : « Examinez tout, tenez-vous-en au bien 3. » « Tout ce qui est vrai, tout ce qui est honnête, tout ce qui est juste, tout ce qui est saint, tout ce qui rend aimable, tout ce qui fait un bon nom, si vous avez quelque vertu, quelque discipline louable, pensez à ces choses 4. » « Tout est à vous ; vous êtes au Christ ; et le Christ est à Dieu 5. »

Est-il donc nécessaire de dire qu'un éditeur catholique ne s'en tient qu'à ce qui est bon ? Alors que l'intérêt commercial pourrait l'induire à transiger avec la morale, il repousse toute complaisance à ce qu'il sait que sa conscience réprouverait. Mais en outre il a le plus grand souci de la qualité. Il n'accepte qu'un livre honnête dans son orientation, soigné et correct ; et il s'applique à donner à ce fond solide une forme appropriée. Il n'ignore pas la somme de connaissances et de travail que cela réclame et il n'épargne aucune fatigue pour arriver à la perfection que lui permettent ses moyens. Le papier et les caractères seront choisis avec la plus grande attention ; ensuite la composition, qui est l'oeuvre d'art proprement dite, présentera le texte dans les meilleures conditions d'harmonie, de clarté et d'élégance ; l'impression même aura tout le fini et la précision désirables, de sorte que tous les moyens et les méthodes de la technique et de la tradition seront mis au service du goût et de l'invention pour faire de l'oeuvre la plus modeste un travail de style, une belle chose, une source de joie permanente.



I, Thess., 5, 11.

Phil., IV, 8.

I Cor., 3, 22-23.

La réputation d'une maison d'édition dépend de ces éléments ; mais l'éditeur catholique aime surtout offrir à Dieu l'emploi complet de ses talents. Il ne semble pas que ce soit diminuer la parabole évangélique que de voir en elle également l'éloge du travail bien fait. La loi du travail a été en effet imposée par le Créateur à l'homme pour sa perfection. En réalité, quiconque s'applique à accomplir de façon excellente ses actions quotidiennes remplit la volonté de Dieu et rend honneur au Père qui est aux deux ; de la sorte, il se prépare à recevoir de Lui lumière et force pour s'acheminer vers la perfection de l'âme, fin ultime de sa vie.

Si Nous avons rappelé, devant vous, chers fils, ces conditions fondamentales d'une magnifique activité, Nous savons bien qu'elles sont supposées chez tous les membres de votre Union ; Nous n'ignorons pas non plus que vous connaissez souvent de sérieux soucis professionnels, d'autant plus que le facteur économique a l'habitude d'exercer une puissante influence sur les entreprises personnelles et collectives et de restreindre les possibilités d'action ; mais où serait le mérite si tout était facile ? Une générosité sincère trouve toujours le moyen de réaliser un idéal fortement aimé.

Mais l'intérêt matériel ne doit pas être le seul but de l'éditeur, s'il veut éviter certaines fautes d'omission. Ecarter a priori des sujets ou tendances, qui pourraient ou devraient avoir par son intermédiaire accès au public, peut parfois constituer pour le moins un manque de charité et de zèle dans le bien. Sa conscience doit être à la fois informée et délicate, afin d'avoir de la compréhension pour de semblables cas et de rendre possible le juste succès légitimement aspiré, et de faire ainsi connaître la vérité que l'égoïsme et l'inertie viseraient à cacher.

Illuminer, nourrir, élever les esprits et les coeurs est le devoir et l'honneur de l'imprimerie et, particulièrement, de l'imprimerie catholique. Nous sommes certain que vous avez pleinement conscience de cette haute mission et que vous exposez courageusement et étudiez attentivement les problèmes intellectuels et moraux concernant la formation et le perfectionnement des éditeurs. Aussi invoquons-Nous sur votre oeuvre, qui est un des domaines les plus importants et efficaces de l'apostolat des laïcs, l'abondance des faveurs divines, et Nous donnons de tout coeur, à vous et à tous les éditeurs italiens représentés ici, à vos collaborateurs, à vos familles, à tous ceux qui vous sont chers, Notre paternelle Bénédiction apostolique.


LETTRE AU CONGRÈS MARIAL DE NIGERIA

(11 novembre 1954)


Un Congrès national mariai s'est tenu à Lagos, la capitale du Nigeria — Afrique occidentale britannique — et le Saint-Père voulut bien y envoyer la lettre suivante :

C'est de tout coeur que Nous envoyons Notre paternel salut à vous, Vénérables Frères, à la hiérarchie et aux missionnaires du Nigeria et à tous Nos chers fils et filles sous votre garde, alors que vous vous rassemblez à Lagos pour célébrer votre Congrès mariai en ce grand jour de la fête de Marie, l'Immaculée Mère de Dieu. C'est à juste titre, certes, que le Nigeria s'agenouille aujourd'hui pour honorer sa Reine et Mère, car les premiers rayons de l'Evangile d'amour pénétrèrent la dense obscurité du paganisme sous la protection bienveillante de Marie conçue sans péché. Nous avons eu le désir de rendre plus solennelle cette circonstance en désignant Notre cher Fils, le cardinal-archevêque de Los Angeles, comme Notre digne Légat pour présider le Congrès en Notre nom '.

2 On lira la lettre envoyée a S. Em. le carcana y

mano du 12 décembre 1954-




Les Pères qui implantèrent si vigoureusement la semence de la parole de Dieu à Lagos même et dans le Nigeria occidental étaient consacrés de manière spéciale à la Vierge Immaculée. En effet, le jour même de cette fête, il y a près d'une centaine d'années, la Société des Missions Africaines, à laquelle ils appartenaient, fut fondée et dédiée à Marie au sanctuaire de Notre-Dame de Fourvières à Lyon. En 1860, cette société allait étendre son ministère spirituel au vaste territoire compris entre la Volta et le Niger.

Ils étaient aussi consacrés de façon spéciale à la Mère Immaculée les Pères du Saint-Esprit qui s'aventurèrent courageusement dans le haut Niger en 1865 pour établir l'Eglise de Dieu à Onitsha, car leur congrégation tirait son nom de l'Epoux céleste de Notre-Dame et de son Coeur Immaculé. Ce fut, en effet, la veille de la fête de l'Immaculée Conception qu'ils furent accueillis par le roi local et autorisés à établir leur première mission, qui devait devenir plus tard le Siège métropolitain d'Onitsha et d'où les frontières de l'Eglise devaient s'étendre à l'Est vers la rivière Cross, au-delà d'Ogoja vers le Nord et de Calabar au Sud.

Et c'est ainsi, Vénérables Frères et chers fils et filles, que l'évangélisation du Nigeria s'est trouvée, dès ses débuts, sous le patronage spécial de la Mère Immaculée de Dieu.

On ne peut être que profondément ému en évoquant le zèle, les souffrances et les sacrifices de ces premiers missionnaires. Beaucoup d'entre eux couronnèrent leur héroïque apostolat par le sacrifice suprême de leurs jeunes vies, quelques mois et même quelques semaines après leur arrivée, mais l'étendard du Christ était porté encore bien haut à des régions nouvelles et inexplorées.

La foi intrépide et le courage indomptable de ces pionniers sont dignes d'admiration et d'émulation. Affrontant des difficultés qui semblaient insurmontables, souvent ils n'obtinrent pas la consolation de résultats prometteurs. Les conversions qu'ils faisaient, limitées pour la plupart aux mourants et aux parias, n'offraient guère d'espoir au principal objet de l'effort missionnaire, c'est-à-dire la fondation de l'Eglise de Dieu parmi les peuples indigènes. Ces vaillants missionnaires moururent en ayant échoué aux yeux du monde ; mais leur échec n'était que la chute de la semence tombant sur le sol et mourant pour donner ses fruits 3.

Ils semèrent en pleurant, et aujourd'hui nous voyons en une abondance consolante le fruit de leur semence. Le travail commencé héroïquement par les premiers Pères fut continué non moins héroïquement par un nombre constamment accru de leurs confrères. Avec le temps, d'autres Ordres religieux et Sociétés missionnaires d'hommes et de femmes vinrent travailler dans cette partie de la vigne du Seigneur, et le progrès accompli fut si grand que Nous avons été à même, en 1950, d'établir la

Hiérarchie du Nigeria. Aujourd'hui, dans les quinze territoires ecclésiastiques du pays, il y a plus de cinq cents prêtres missionnaires et plus de deux cent cinquante soeurs missionnaires assistant près d'un million de membres du bercail de l'Eglise et plus de trois cent mille catéchumènes.

L'espoir ardent de l'Eglise dans les terres de mission, le clergé indigène, est, grâce à Dieu, fermement établi. Il y a déjà de nombreux prêtres nigériens assurant le ministère auprès de leur propre peuple sur les divers territoires, tandis qu'au grand Séminaire d'Enugu et dans les petits Séminaires de nombreux autres candidats se préparent à participer au sacerdoce du Christ. Et il n'est pas sans signification que cette année consacrée à Notre-Dame ait vu la consécration du premier évêque nigérien.

L'édifice de la société chrétienne est consolidé et développé ; les familles chrétiennes, cellules de cette société, s'accroissent et se multiplient d'un bout à l'autre du pays, et Nous voyons une augmentation encourageante dans le nombre des jeunes hommes et femmes du Nigeria qui décident de se consacrer eux-mêmes à l'amour sans partage de Dieu dans la vie religieuse. Nous ne devons pas non plus oublier de mentionner la vaillante armée d'instituteurs et catéchistes laïques indigènes, qui coopèrent si étroitement à l'apostolat du clergé et dont la précieuse collaboration est si vitale pour le succès de l'effort missionnaire qui en dépend. L'éducation catholique doit aussi marcher de pair avec le développement de l'Eglise, et Nous avons noté avec satisfaction que Nos vénérables Frères, les archevêques et évêques du Nigeria, attentifs avec vigilance à la suprême importance de cette question, ont donné des instructions opportunes à leurs fidèles au sujet des droits et des devoirs des parents dans l'éducation de leurs enfants.

En vérité, la protection toute-puissante de Notre-Dame a permis à l'Eglise de faire au Nigeria d'admirables progrès ; et, en cette Année Mariale, vous avez donné un témoignage de votre filiale dévotion envers Elle dans les séries de cérémonies couronnées par le présent Congrès. Nous avons eu connaissance avec satisfaction, Vénérables Frères et chers fils et filles, des retraites spéciales, des neuvaines, des veillées eucharistiques et des processions qui attirèrent des foules sans précédent de pieux travailleurs, non seulement dans les grands centres, mais même dans les stations missionnaires écartées.



Jean, 12, 24.



En vous rassemblant pour ce Congrès Mariai, vous élèverez vos âmes en des prières de justes actions de grâces à Marie et à Son divin Fils. Nous nourrissons l'ardent espoir que votre gratitude pour les faveurs spéciales de la Providence continuera à trouver une expression dans votre vie quotidienne et dans la pratique de plus en plus intense des vertus chrétiennes.

Nous vous exhortons, Vénérables Frères et vous tous, chers missionnaires du Nigeria, à poursuivre votre précieux apostolat avec une vigueur et une sollicitude renouvelées, sous le patronage de Marie. Car bien que vous travailliez parmi un peuple aimable, courtois, hospitalier, bon et reconnaissant, Nous savons bien que vous devez affronter bon nombre de difficultés et inconvénients. Mais ne perdez jamais de vue la noblesse de la Cause que vous servez, et allez de l'avant avec la confiance que vous « pouvez tout en Celui qui vous fortifie » 4.

Chers fils et filles du Nigeria, Nous vous recommandons instamment de toujours nourrir une profonde dévotion envers Marie la Mère Immaculée de Dieu et notre Mère. Consacrez-vous, consacrez vos travaux, vos maisons, vos familles et votre pays à son Coeur Immaculé. Qu'Elle soit la Reine de vos coeurs, la Reine du Nigeria. En vous confiant ainsi à Sa protection, vous vous assurerez Sa toute-puissante intercession dans les cieux et vous Lui rendrez le tribut de gratitude que vous Lui devez. Surtout, ne manquez pas d'invoquer Son intercession pour le bien de ceux de vos frères qui sont encore « assis dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort » 5.

Nous implorons avec instance Notre Mère Immaculée Marie, qui veilla avec tant d'amour sur les premiers débuts de l'évan-gélisation du Nigeria, de continuer à favoriser cette terre de promesses avec une sollicitude particulière et de la protéger contre les influences pernicieuses si largement répandues dans le monde d'aujourd'hui. C'est là Notre fervente prière à Notre-Dame alors que vous l'honorez en ce Congrès mariai ; et d'un coeur débordant d'affection et de bienveillance paternelles, Nous donnons Notre Bénédiction apostolique particulière à Notre cher Fils Notre Cardinal Légat, à Nos Vénérables Frères les archevêques et évêques, aux préfets apostoliques, à tous les héroïques missionnaires et à tous Nos chers fidèles du Nigeria.

* Phil., 4, 13. 5 Luc, I, 79


LETTRE POUR LE CENTENAIRE DE LA FONDATION DE LA CONGRÉGATION DES MISSIONNAIRES DU SACRÉ-COEUR

(14 novembre 1954) 1


Cette congrégation fut fondée le 8 décembre 1854, four de la Définition dogmatique de l'Immaculée Conception, à Issoudun (département de l'Indre, France) par le Père Jules Chevalier ; son but initial était de fournir des missionnaires à la population indifférente située au centre-ouest de la France ; bientôt les horizons s'étendirent et les Missions furent envisagées chez les païens. — Expulsés par la persécution, les Missionnaires du Sacré-Coeur s'épanouirent en plusieurs pays d'émigration forcée ; des Missions furent établies en Océanie, aux Philippines, au Brésil, en Chine et au Congo belge. Le Supérieur général habite Rome ; en ce moment c'est le Révérend Père Patrick Me Cabe, destinataire de cette lettre pontificale.

Nous avons appris que vous et vos confrères, vous vous préparez à célébrer solennellement le premier Centenaire de la fondation de la Congrégation des Missionnaires du S. Coeur. Nous désirons rehausser votre sainte allégresse à cette occasion et vous transmettre publiquement Notre reconnaissance, Nos louanges et Nos félicitations.

Si les lourds soucis de Notre charge de Pasteur ne Nous en empêchaient, il Nous eût été agréable de vous recevoir en audience, à l'occasion de votre réunion solennelle à Rome. Nous aurions pu ainsi, non seulement entendre vos voeux, mais goûter aussi une consolation d'autant plus intime que vous devenez plus chers à Notre coeur de Père.

Nous voulons du moins, par l'encre et la plume, vous dire par lettre, à vous et au groupe de vos confrères qui se joindrontà vous, une partie de ce que Nous aurions souhaité vous exprimer de vive voix.

Nous songeons à la fête liturgique de la Mère de Dieu, Reine du ciel et de la terre, que Nous avons récemment instaurée, ainsi qu'à la belle solennité au cours de laquelle vous allez enrichir d'une couronne en or la statue de N. Dame du S. Coeur dans son église de Rome. Ce Nous est une occasion de vous encourager à aimer et à honorer toujours mieux le S. Coeur de Jésus, sous la direction d'une Souveraine de si haut rang et d'une si puissante Patronne.

Notre marche vers Jésus-Christ produit d'autant plus de fruits de vie éternelle que nous honorons d'un coeur plus pieux et aimant sa Mère Immaculée et que nous nous approchons avec un amour plus fidèle de son Coeur virginal, sanctuaire de toutes les vertus.

A l'exemple du Christ, faites croître sa puissance maternelle par un amour toujours plus ardent ; efforcez-vous de faire resplendir son image dans votre coeur et votre âme et par l'exemple de votre vie. Que ce soit là votre renommée et le couronnement d'une perfection toujours plus grande.

Nous confions la réalisation de ces souhaits à notre Saint Rédempteur, par l'entremise de la Vierge, Mère de Dieu et Nous vous accordons Notre Bénédiction apostolique, gage du secours céleste, à Vous, Très Cher Fils, et à tous les membres de la Congrégation des Missionnaires du Sacré-Coeur, ainsi qu'à toutes les entreprises auxquelles vous consacrez le meilleur de vos forces [1].


ALLOCUTION AUX MEMBRES DE L'ORGANISATION INTERNATIONALE DU TRAVAIL

(19 novembre 1954)1


La 127e session du Conseil d'Administration de l'Organisation Internationale du Travail s'est tenue à Rome ; aussi le Souverain Pontife en reçut les membres en audience.

Si Nous avons eu fréquemment, au cours de cette année, l'occasion de Nous entretenir avec les représentants des associations professionnelles les plus diverses et de dire à chacune Notre intérêt et Notre sollicitude, il Nous est particulièrement agréable, Messieurs, d'accueillir maintenant les délégués de cette Organisation Internationale du Travail qui représente vraiment la foule immense des travailleurs, avec ses soucis, ses difficultés et surtout son désir d'un monde meilleur et plus juste.

Depuis plus de trente ans, patiemment, inlassablement, vous avez édifié une oeuvre, dont vous pouvez à bon droit être fiers, non seulement parce que vous avez contribué à faire progresser la législation sociale des différents Etats, mais surtout parce que vous avez groupé dans une collaboration courageuse et féconde, les gouvernements, les employeurs et les ouvriers. Vous les avez amenés à dominer toute passion, tout sentiment d'âpre revendication, tout refus obstiné à l'égard d'une évolution inéluctable, pour s'écouter mutuellement, peser sereinement les données d'un problème extrêmement complexe, proposer de commun accord les améliorations nécessaires. Vous avez ainsi ouvert une sorte de forum international, un lieu d'échanges où toutes les informations indispensables et les suggestions utiles sont recueillies, éprouvées, diffusées. Après une longue élaboration, un labeur austère de critique et de discussion, la Conférence géné

raie élabore les conventions qui, sans avoir encore force de loi dans les différents Etats membres, doivent toutefois être discutées par eux et peuvent devenir après ratification de véritables traités internationaux.

Il suffit de comparer l'état actuel de la législation du travail avec ce qu'elle était au moment de la première guerre mondiale pour apprécier l'étendue de l'oeuvre réalisée. Déjà au siècle dernier, on pressentait la nécessité d'un organisme de coordination, capable d'unifier les efforts des travailleurs dans la lutte contre les situations inhumaines dans lesquelles ils se débattaient. On se rendait bien compte en effet que les mesures de défense et de protection sociale imposeraient des charges écono-' miques, et mettraient par là en état d'infériorité le pays qui se déciderait à les appliquer.

Notre prédécesseur Léon XIII sut percevoir exactement la grande importance de la collaboration internationale dans la question ouvrière. Déjà en 1890, une année avant la publication de l'encyclique Rerum Novarum, il écrivait à propos de la Conférence Internationale qui allait se réunir à Berlin afin de rechercher les moyens d'améliorer les conditions des classes laborieuses, qu'elle répondait « à un de ses voeux les plus chers », et il ajoutait (nous traduisons ce texte de l'italien) : « La conformité des vues et des législations, pour autant du moins que le permettent les conditions diverses des lieux et des pays, sera de nature à faire avancer grandement la question vers une juste solution8. » Peu après, en 1893, il approuvait le projet qui se proposait de réunir un Congrès de délégués ouvriers sans distinction de nationalités et d'opinions politiques.

En 1900, se créa Y Association internationale pour la protection légale des travailleurs, mais la guerre vint bientôt interrompre ses travaux. Toutefois il ne s'agissait là que d'une initiative privée. On pouvait fonder des espoirs plus sérieux sur une institution officiellement reconnue par les divers Etats. Le voeu unanime se réalisa enfin en 1919, et YOrganisation internationale du Travail n'a cessé depuis lors de répondre toujours plus adéquatement à l'attente des travailleurs et de tous les hommes sincèrement épris de justice.

Tant par sa structure centrale : Conférence générale, Conseil d'administration, Bureau international du Travail, que par ses organes plus spécialisés : Conférences régionales et Cornmissions d'Industrie, YOrganisation internationale du Travail a appuyé efficacement les syndicats ouvriers dans leur action de redressement de la condition ouvrière. Tandis que la Charte internationale du Travail, visant surtout la répression des abus, fixait vos objectifs principaux à l'époque de la fondation, la Déclaration de Philadelphie, formulée en 1944, se préoccupe de les adapter aux circonstances nouvelles. La lutte menée entre les deux guerres avait fait sentir plus nettement le besoin d'une solution positive et en posait les premiers éléments. La limitation de la durée du travail, la réglementation du travail des femmes et des adolescents, les dispositifs de protection contre la maladie, le chômage et les accidents, appelaient un ensemble organique de réalisations, que l'on croit pouvoir englober dans les formules de sécurité sociale et de plein emploi. Parmi tous les domaines dans lesquels s'exerce aujourd'hui votre effort, il faut signaler celui des relations entre patrons et ouvriers, qui constitue l'un des aspects les plus délicats dans l'évolution de la société moderne. Déjà YOrganisation internationale du Travail s'est occupée des conventions collectives, de la conciliation et de l'arbitrage, de la collaboration entre employeurs et travailleurs sur le plan de l'entreprise. A l'heure présente, le facteur humain, dont le rôle fut trop longtemps négligé — mais non toutefois par la doctrine sociale catholique — attire surtout l'attention des sociologues, et Nous savons que vous voulez le mettre au premier plan de vos préoccupations.

L'efficacité de votre institution et son autorité découlent en ligne principale du respect qu'elle professe envers l'idéal profond, qui anime les promoteurs d'une civilisation pleinement ouverte aux justes aspirations des travailleurs. L'Organisation internationale du Travail n'a pas voulu représenter une seule classe sociale, ni devenir le moyen d'expression d'une tendance exclusive. Elle accueille tout ce qui est constructif, tout ce qui répond aux nécessités réelles d'une société harmonieusement structurée ; et c'est pourquoi Notre Prédécesseur Pie XI n'a pas hésité à souligner la coïncidence remarquable des principes exposés dans la Charte du Travail avec ceux de l'encyclique Rerum Novarum. Les mouvements chrétiens de leur côté ont donné leur adhésion complète à YOrganisation internationale du Travail et s'honorent de participer à ses délibérations. Ils espèrent ainsi atteindre plus vite et plus sûrement leur objectif social. Celui-ci comporte d'abord l'établissement de conditions de vie qui sauvegardent les droits imprescriptibles de l'homme, contenus dans la loi naturelle ou formulés dans la loi positive ; mais la loi par elle-même n'est qu'une norme froide, une barrière qui prévient les déviations : l'essentiel, c'est l'esprit qui anime ses défenseurs, l'élan qui dépasse les perspectives actuelles, meilleures que celles du passé sans doute, mais encore sombres en bien des points, et grevées toujours de l'incertitude que fait peser sur elles la faiblesse humaine. Pour s'employer avec ardeur à l'édification d'une cité temporelle où fleurisse sans crainte l'initiative privée, où, dans le respect total des personnes, s'épanouissent les aptitudes et les ressources de chacun, où l'on puisse adhérer de toute son âme aux principes supérieurs, moraux et religieux, il importe de croire aux valeurs spirituelles et d'escompter fermement leur triomphe sur toutes les forces de dissolution et de discorde.

Il y va non seulement des intérêts de la classe ouvrière et de son accession à l'exercice plénier de ses responsabilités, mais de l'avenir de toute la société humaine. Le mouvement ouvrier ne peut se contenter de succès matériels, d'un système plus parfait de garanties et d'assurances, d'une part plus large d'influence sur le régime économique. Il ne peut concevoir son avenir en fonction d'une opposition à d'autres classes sociales ou de l'emprise exagérée de l'Etat sur les individus. La fin qu'il poursuit, il doit l'entrevoir sur le plan même où votre organisation la pose, c'est-à-dire d'une façon universelle — comme l'a proposé l'encyclique Quadragesimo anno — dans un ordre social où la prospérité matérielle résulte d'une collaboration sincère de tous au bien général et sert d'appui à des valeurs plus hautes, celles de la culture et, par-dessus tout, l'union indéfectible des esprits et des coeurs.

Nous vous souhaitons de mener à bonne fin les travaux de la 127e session de votre Conseil d'administration. Continuez inlassablement à étudier les problèmes qui se posent dans le monde du travail pour ajouter aux matériaux déjà en place, quelques pièces nouvelles qui compléteront et consolideront l'ensemble. Puisse le Maître de toutes choses, qui s'est fait divin ouvrier pour annoncer à la terre son message de paix et de fraternité, continuer à veiller sur vos activités et à vous donner la persévérance courageuse qui surmonte les obstacles. Comme gage de Sa bienveillance et comme preuve de Notre haute considération, Nous vous accordons à vous-mêmes et à tous les collaborateurs de l'Organisation internationale du Travail Notre Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION A L'ASSOCIATION INTERNATIONALE DE L'HÔTELLERIE

(25 novembre 1954)1


i'5DO membres de cette Association réunis à Rome, lors du VIIe Congrès, furent reçus en audience par Pie XII à Castelgandolfo.

Nous sommes heureux d'accueillir l'hommage de votre visite, Messieurs, et de souhaiter la bienvenue aux nombreux participants du VIIe Congrès général de l'Association internationale de l'Hôtellerie.

Il Nous est toujours agréable, vous le savez, de saluer les délégations des grands congrès internationaux, si fréquents désormais à Rome. Leur multiplication souligne le caractère mondial de la civilisation moderne et donne l'espoir d'une meilleure intelligence entre les peuples, d'une fraternisation et d'une pacification des esprits, que des vues trop étroites risquent toujours de retarder ou d'empêcher. Or vous avez un rôle important à jouer pour favoriser et hâter l'heureuse évolution qui se poursuit à travers les vicissitudes politiques et les guerres froides ou sanglantes.

Le premier sujet de votre Congrès concernait précisément la fonction de l'industrie hôtelière dans la propagande nationale. Le mot fonction est heureusement choisi, car il dit plus qu'une possibilité il indique un devoir, une occupation qui engage la responsabilité de celui qui l'exerce, en un mot un service. 11 est difficile de mesurer tout ce que représente pour le voyageur les séjours qu'il a faits dans les hôtels. En plus de la satisfaction qu'il était en droit d'attendre du logement, de la nourriture et de l'organisation matérielle, en plus des rencontres qu'il a pu y faire, il retient la politesse, le bon goût, la discrétion du personnel et tous les égards dont il a été l'objet. Quelle meilleure



propagande pour un pays que le souvenir favorable laissé aux voyageurs par les hôtels où ils sont descendus ? Il règne dans chaque établissement un climat qui ne s'oublie pas et qui suppose de la part de la direction une idée particulière du rôle social et même national des hôtels : leur tenue symbolise en quelque sorte l'accueil même de la nation qu'ils représentent. La foule cosmopolite de leurs clients se renouvelle sans cesse, mais elle baigne durant quelques jours, parfois quelques heures seulement, dans une atmosphère particulière qui se grave dans la mémoire. On serait tenté de croire que tous les grands hôtels se ressemblent. En fait, il n'en est rien. Le cadre général peut être le même, mais la disposition des lieux, le mobilier, la décoration, un ensemble de détails matériels, et par-dessus tout le style du service, donnent à chaque maison une allure spéciale : un ton sérieux, une distinction aimable, ou au contraire un genre mondain ; c'est ainsi que se créent les réputations jusqu'au-delà des frontières, et que les hôtels jouent un rôle très appréciable dans la propagande nationale. La publicité, pour légitime et importante qu'elle soit, ne saurait remplacer la valeur réelle, et le souci de tout bon hôtelier est de ne jamais faire mentir la renommée de sa maison. C'est une lourde tâche et qui demande de grandes qualités.

Parmi les principales responsabilités techniques et morales d'un directeur d'hôtel s'inscrivent la formation et les conditions de vie du personnel. Tout établissement d'un certain ordre comporte en effet un nombre considérable d'emplois fort divers, des plus modestes aux plus importants, pour lesquels des garanties professionnelles très sûres sont requises. Une tradition déjà ancienne conseillait aux agents de direction de séjourner un certain temps à l'étranger pour se perfectionner dans leur spécialité, et particulièrement pour acquérir la maîtrise des langues, si utile dans l'industrie hôtelière. Aujourd'hui les échanges se réalisent facilement sur une plus vaste échelle et bénéficient d'une organisation plus méthodique ; des écoles hôtelières ou des services bénévoles assurent non seulement l'acquisition des connaissances, mais aussi l'éducation nécessaire. Il serait vain, n'est-il pas vrai, de passer sous silence les dangers de la vie dans les hôtels. Ils tiennent à la mobilité même de la clientèle et au relatif incognito, dont elle jouit. Les garanties légales et la vigilance de la direction ne peuvent pas toujours empêcher le personnel ou les voyageurs d'abuser de la situation particulière où ils se trouvent. C'est pourquoi il importe que le choix et la préparation aux divers offices se fassent très sérieusement, en tenant compte des graves responsabilités encourues.

Mais Nous préférons, sans insister davantage, considérer le côté le plus noble de votre profession. Son importance grandissante et sa transformation en industrie ne doivent pas lui faire oublier la dignité de ses origines. Pourquoi en effet les traditions de l'hospitalité, inspirées dès l'antiquité par des motifs religieux, et toujours florissantes dans la plupart des peuples, seraient-elles oblitérées par le fait que celle-ci est devenue une profession ? Le simple intérêt bien compris suggère à l'hôtelier de traiter ses clients avec toute l'attention et la serviabilité possibles ; mais quiconque a de la personne humaine une idée suffisamment élevée unira aux marques extérieures de déférence, la nuance de respect sincère qui confère sa vraie noblesse au ministère de l'hospitalité. Le caractère sacré que revêtait autrefois le voyageur, dépendait sans doute de croyances et de conditions économiques qui se sont modifiées considérablement avec les progrès de la civilisation. Et pourtant, même à l'époque du chemin de fer, de l'automobile et de l'avion, l'arrivée d'un inconnu qui se confie à vous pour quelques jours, ou même pour une nuit, met en jeu le sentiment profond d'un engagement réciproque, qui dépasse de loin la portée d'un service purement matériel. Car, consciemment ou non, devant cet homme qui s'adresse à vous, vous vous demandez : d'où vient-il ? et où va-t-il ? Quels secrets porte-t-il en lui ? Quelles douleurs, quelles angoisses peut-être ? La demeure, que vous lui offrirez pour quelque temps, représente à ses yeux, et réalise un peu dans l'immédiat, celle à laquelle il aspire au plus intime de son âme, par delà les inquiétudes et les détachements de l'existence terrestre. Elle doit être une image de la maison paternelle, du havre définitif de paix et de fraternité, auquel Dieu convie tous les hommes de bonne volonté. Heureux serez-vous si vous réussissez, par la cordialité de votre accueil, son atmosphère de compréhension et la parfaite dignité morale de votre établissement, à mériter la gratitude de vos hôtes et à leur laisser le souvenir d'un séjour agréable et bienfaisant.

Cet heureux résultat sera sans doute la récompense de vos efforts ; mais il n'est rien de parfait sur cette terre sans le secours de Dieu. C'est pourquoi Nous l'implorons sur vous, sur vos familles et vos amis, sur tous ceux dont à un titre quelconque vous avez la responsabilité, et Nous vous accordons de grand coeur à cet effet Notre paternelle Bénédiction apostolique.


Pie XII 1954 - DISCOURS A L'ÉPISCOPAT