Pie XII 1953 - LETTRE A SON ÉM. LE CARDINAL FELTIN A PROPOS D'UNE JOURNÉE DE SUPPLICATION


DISCOURS

A DES JURISTES CATHOLIQUES ITALIENS

(6 décembre 1953)[23]






Pie XII a prononcé ce jour le discours suivant :

Ce Nous est une joie toute spéciale, chers fils de l'Union des Juristes catholiques d'Italie, de vous voir réunis ici autour de Nous et de vous souhaiter cordialement la bienvenue.

Au début d'octobre, un autre Congrès de Juristes se rassemblait dans Notre résidence d'été, celui de Droit pénal international [24]. Votre « Congrès » revêt un caractère national, mais le thème qu'il traite : « Nation et Communauté internationale » touche à nouveau les relations entre les peuples et les Etats souverains. Ce n'est pas par hasard que se multiplient les Congrès pour l'étude des questions internationales, scientifiques et économiques aussi bien que politiques. Le fait évident que les relations entre les individus appartenant à divers peuples et entre ces peuples eux-mêmes gagnent en extension et en profondeur, rend de jour en jour plus urgent un règlement des relations internationales, privées et publiques, d'autant que ce rapprochement mutuel est déterminé non seulement par les possibilités techniques incomparablement plus vastes et par le choix libre, mais aussi par l'action plus pénétrante d'une loi immanente de développement. Il ne faut donc pas le réprimer, mais le favoriser et le promouvoir.
Des communautés d'Etats sont aujourd'hui en voie de formation.


Dans cette oeuvre d'extension, les Communautés d'Etats et de peuples ont naturellement une importance particulière, soit qu'elles existent déjà, soit qu'elles ne représentent encore qu'un but à atteindre et à réaliser. Ce sont des Communautés dans lesquelles les Etats souverains, c'est-à-dire ceux qui ne sont subordonnés à aucun autre Etat, s'unissent en une communauté juridique afin de poursuivre des buts juridiques déterminés. Ce serait donner une fausse idée de ces communautés juridiques que de les comparer aux empires du passé ou du présent où des races, des peuples et des états sont fondus de gré ou de force en un complexe unique. En ce cas-ci, au contraire, les Etats restent souverains et s'unissent librement en communauté juridique.

Sous cet aspect, l'histoire universelle qui montre une série continue de luttes pour le pouvoir, pourrait assurément faire apparaître presque comme une utopie l'instauration d'une communauté juridique d'Etats libres. De tels conflits ont été trop souvent déclenchés par la volonté de subjuguer d'autres nations et d'étendre sa propre existence indépendante. Cette fois au contraire, c'est précisément la volonté de prévenir des conflits menaçants qui pousse vers une communauté juridique supranationale ; les considérations utilitaires qui, sans aucun doute, pèsent aussi notablement, sont orientées vers des oeuvres de paix ; et finalement, c'est peut-être précisément le rapprochement technique qui a réveillé la foi sommeillant dans l'esprit et le coeur des individus en une communauté supérieure des hommes voulue par le Créateur et s'enracinant dans l'unité de leur origine, de leur nature et de leur fin.



Ces Communautés doivent se baser sur les exigences du droit na-

Ces considérations et d'autres similaires montrent que le chemin vers la Communauté des peuples et sa constitution n'a pas comme norme unique et dernière la volonté des Etats mais bien plutôt la nature ou le Créateur. Le droit à l'existence, le droit au respect et à la réputation, le droit à un caractère et à une culture propres, le droit de se développer ; le droit à l'observation des traités internationaux, et les droits équivalents sont des exigences du droit des gens dicté par la nature. Le droit positif des peuples, indispensable lui aussi dans la Communauté des Etats, a pour tâche de définir plus exactement les exigences de la nature et de les appliquer aux circonstances concrètes et de prendre en outre, par une convention qui, librement con-



tractée est devenue obligatoire, des dispositions ultérieures, toujours ordonnées à la fin de la communauté.

Dans cette Communauté, chaque Etat est donc inséré dans l'ordre du droit international et par là dans l'ordre du droit naturel qui soutient et couronne le tout. Par là, il n'est donc plus — il ne fut d'ailleurs jamais — « souverain » au sens d'une absence totale des limites. « Souveraineté », au vrai sens du terme, signifie autarcie et compétence exclusives au point de vue des choses et de l'espace, selon la substance et la forme de l'activité, même dans le cadre du droit international — mais non dans la dépendance par rapport à l'ordre juridique propre de n'importe quel autre Etat. Chaque Etat est immédiatement sujet du droit international. Les Etats auxquels manquerait cette plénitude de compétence ou à qui le droit international ne garantirait pas l'indépendance à l'égard de l'autorité d'un autre Etat ne seraient pas eux-mêmes souverains. Mais aucun Etat ne pourrait se plaindre d'une limitation de sa souveraineté si on lui refusait la permission d'agir arbitrairement et sans égards pour d'autres Etats. La souveraineté n'est pas la divinisation ou la toute-puissance de l'Etat, un peu au sens hégélien ou à la manière d'un positivisme juridique absolu.



Les problèmes posés aux Communautés en voie de formation.

A vous qui cultivez le droit, Nous n'avons pas besoin d'expliquer que la création et le fonctionnement d'une véritable Communauté d'Etats surtout si elle englobe tous les peuples, rencontrent une série de tâches et de problèmes parfois extrêmement difficiles et compliqués, que l'on ne peut résoudre par un simple oui ou non. Telle est la question des races et du sang avec ses corollaires biologiques, psychiques et sociaux ; la question des langues, la question des familles et le caractère divers, selon les nations, des relations entre époux, parents et lignées ; la question de l'égalité ou de l'équivalence des droits dans les questions de biens, de contrats et de personnes pour les citoyens d'un Etat souverain qui se trouvent sur le territoire d'un autre dans lequel ils séjournent pour un temps ou s'installent en conservant leur propre nationalité ; la question du droit d'immigration ou d'émigration et d'autres encore.

Le juriste, l'homme politique, l'Etat particulier comme la Communauté des Etats doivent tenir compte ici de toutes les tendances innées des individus et des communautés dans leurs contacts et leurs rapports réciproques, par exemple : la tendance à l'adaptation et l'assimilation, souvent poussée jusqu'à la tentative d'absorption ; ou au contraire, la tendance à l'exclusion et à la destruction de tout ce qui apparaît inassimilable ; la tendance à l'expansion et de nouveau, en sens opposé, la tendance à se refermer et à se séparer, la tendance à se donner entièrement en renonçant à soi-même et par contre, l'attachement à soi avec l'exclusion de tout don aux autres : le désir du pouvoir, celui de tenir les autres en tutelle, etc. Tous ces dyna-mismes de conquête ou de défense s'enracinent dans les dispositions naturelles des individus, des peuples, des races et des communautés, dans leurs étroitesses et leurs limitations, où jamais l'on ne trouve réuni tout ce qui est bon et juste. A cause de son infinité, Dieu seul, origine de tout être, renferme en lui-même tout ce qui est bon.

D'après ce que Nous avons exposé, il est facile de déduire le principe théorique fondamental du traitement de ces difficultés et tendances : dans les limites de ce qui est possible et permis, promouvoir ce qui facilite et rend plus efficace l'union, endiguer ce qui la trouble ; supporter parfois ce qu'on ne peut aplanir et ce pour quoi d'autre part on ne pourrait laisser sombrer la communauté des peuples à cause du bien supérieur que l'on attend d'elle. La difficulté réside dans l'application de ce principe.



Comment organiser la coexistence des catholiques avec des non-'tholiques ?

A ce propos, Nous voudrions à présent vous entretenir — vous qui aimez à vous proclamer des juristes catholiques — d'une des questions qui se présentent dans une communauté des peuples, c'est-à-dire la cohabitation pratique des communautés catholiques avec les non-catholiques.

D'après la confession de la grande majorité des citoyens ou sur la base d'une déclaration explicite de leur Statut, les peuples et les Etats membres de la Communauté seront répartis en chrétiens, en indifférents au point de vue religieux ou consciemment laïcisés ou même ouvertement athées. Les intérêts religieux et moraux exigeront pour toute l'étendue de la Communauté un règlement bien défini qui vaille pour tout le territoire dechacun des Etats souverains, membres de cette Communauté des nations. Selon les probabilités et les circonstances, ce règlement de droit positif s'énoncera ainsi : A l'intérieur de son territoire et pour ses citoyens, chaque Etat déterminera les affaires religieuses et morales selon sa propre loi ; cependant, dans tout le territoire de la Confédération, on permettra aux ressortissants de chaque Etat-membre l'exercice de leurs propres croyances et pratiques religieuses et morales pour autant qu'elles ne contreviennent pas aux lois pénales de l'Etat où ils séjournent.

Pour le juriste, l'homme politique et l'Etat catholique, se pose ici la question : peuvent-ils consentir à un tel règlement quand il s'agit d'entrer dans la Communauté des peuples et d'y rester ?

Au sujet des intérêts religieux et moraux surgit une double question : la première concerne la vérité objective et les devoirs de la conscience envers ce qui est objectivement vrai et bon ; la seconde envisage le comportement effectif de la Communauté des peuples vis-à-vis d'un Etat souverain quelconque et de celui-ci vis-à-vis de la Communauté des peuples dans les affaires de religion ou de moralité. La première question peut difficilement faire l'objet d'une discussion et d'un règlement entre les Etats particuliers et leur Communauté, surtout au cas d'une pluralité de confessions religieuses dans la Communauté elle-même. La seconde question peut être par contre d'une urgence et d'une importance extrêmes.

Dans certaines conditions concrètes on ne doit pas vouloir supprimer toute erreur.

Voici le chemin pour répondre correctement à la seconde question. D'abord il faut affirmer clairement qu'aucune autorité humaine, aucun Etat, aucune Communauté d'Etats, quel que soit leur caractère religieux, ne peuvent donner un mandat positif ou une autorisation positive d'enseigner ou de faire ce qui serait contraire à la vérité religieuse et au bien moral. Un mandat ou une autorisation de ce genre n'auraient pas force obligatoire et resteraient inefficaces. Aucune autorité ne pourrait les donner parce qu'il est contre-nature d'obliger l'esprit et la volonté de l'homme à l'erreur et au mal ou de considérer l'un et l'autre comme indifférents.

Même Dieu ne pourrait donner un tel mandat positif ou une telle autorisation positive parce que cela serait en contradiction avec son absolue véridicité et sainteté.

Une autre question essentiellement différente est celle-ci : dans une Communauté d'Etats peut-on, au moins dans des circonstances déterminées, établir la norme que le libre exercice d'une croyance et d'une pratique religieuse en vigueur dans un des Etats-membres ne soit pas empêché dans tout le territoire de la Communauté au moyen de lois ou d'ordonnances coerci-tives de l'Etat. En d'autres termes, on demande si le fait de « ne pas empêcher » ou de tolérer est permis dans ces circonstances et si, par là, la répression positive n'est pas toujours un devoir.

Nous avons invoqué tantôt l'autorité de Dieu. Bien qu'il lui soit possible et facile de réprimer l'eireur et la déviation morale, Dieu peut-il choisir dans certains cas de « ne pas empêcher » sans entrer en contradiction avec son infinie perfection ? Peut-il se faire que, dans des circonstances déterminées, Il ne donne aux hommes aucun commandement, n'impose aucun devoir, ne donne même aucun droit d'empêcher et de réprimer ce qui est faux et erroné ? Un regard sur la réalité autorise une réponse affirmative. Elle montre que l'erreur et le péché se rencontrent dans le monde dans une large mesure. Dieu les réprouve ; cependant il leur permet d'exister. Donc l'affirmation : l'erreur religieuse et morale doit toujours être empêchée quand c'est possible, parce que sa tolérance est en elle-même immorale — ne peut valoir dans un sens absolu et inconditionné. D'autre part, même à l'autorité humaine Dieu n'a pas donné un tel précepte absolu et universel, ni dans le domaine de la foi ni dans celui de la morale. On ne le trouve ni dans la conviction commune des hommes, ni dans la conscience chrétienne, ni dans les sources de la révélation, ni dans la pratique de l'Eglise. Pour omettre ici d'autres textes de la Sainte Ecriture qui se rapportent à cet argument, le Christ dans la parabole de la zizanie a donné l'avertissement suivant : « Dans le champ du monde, laissez croître la zizanie avec la bonne semence à cause du froment[25] ». Le devoir de réprimer les déviations morales et religieuses ne peut donc être une norme ultime d'action. Il doit être subordonné à des normes plus hautes et plus générales qui, dans certaines circonstances, permettent et même font peut-être apparaître comme le parti le meilleur celui



de ne pas empêcher l'erreur, pour promouvoir un plus grand bien.

Par là se trouvent éclairés les deux principes desquels il faut tirer dans les cas concrets la réponse à la très grave question touchant l'attitude que le juriste, l'homme politique et l'Etat souverain catholique doivent prendre à l'égard d'une formule de tolérance religieuse et morale comme celle indiquée ci-dessus, en ce qui concerne la Communauté des Etats. Premièrement : ce qui ne répond pas à la vérité et à la loi morale n'a objectivement aucun droit à l'existence, ni à la propagande, ni à l'action. Deuxièmement : le fait de ne pas l'empêcher par le moyen de lois d'Etat et de dispositions coercitives peut néanmoins se justifier dans l'intérêt d'un bien supérieur et plus vaste.

Quant à la « question de fait », à savoir si cette condition se vérifie dans le cas concret, c'est avant tout au Juriste catholique lui-même d'en décider. Il se laissera guider dans sa décision par les conséquences dommageables qui naissent de la tolérance, comparées avec celles qui par suite de l'acceptation de la formule de tolérance se trouveront épargnées à la Communauté des Etats ; puis par le bien qui, selon de sages prévisions, pourra en dériver pour la Communauté elle-même en tant que telle, et indirectement pour l'Etat qui en est membre. Pour ce qui regarde le terrain religieux et moral, il demandera aussi le jugement de l'Eglise. De la part de celle-ci, en de telles questions décisives, qui touchent la vie internationale, est seul compétent en dernière instance Celui à qui le Christ a confié la conduite de toute l'Eglise, le Pontife Romain.



Comparaison entre l'Eglise et la Communauté des Etats.

L'institution d'une Communauté de peuples, telle qu'elle a été aujourd'hui en partie réalisée, mais que l'on tend à réaliser et à consolider à un degré plus élevé et plus parfait, est un mouvement du bas vers le haut, c'est-à-dire d'une pluralité d'Etats souverains vers la plus haute unité.

L'Eglise du Christ a, en vertu du mandat de son Divin Fondateur, une mission universelle semblable. Elle doit accueillir en elle-même et rassembler en une unité religieuse les hommes de tous les peuples et de tous les temps. Mais ici le chemin est en un certain sens inverse ; il va du haut vers le bas.

Dans le cas précédent, l'unité juridique supérieure de la communauté des peuples était ou est encore à créer. Dans celui-ci, la communauté juridique avec sa fin universelle, sa constitution, ses pouvoirs et ceux qui en sont revêtus, est déjà depuis le début établie par la volonté et l'institution du Christ lui-même. La fonction de cette communauté universelle est depuis le début de s'incorporer autant que possible tous les hommes et toutes les nations 4, et par là de les gagner entièrement à la vérité et à la grâce de Jésus-Christ.

L'Eglise dans l'accomplissement de cette mission s'est trouvée toujours et se trouve encore dans une large mesure en face des mêmes problèmes que doit surmonter le « fonctionnement » d'une Communauté d'Etats souverains ; seulement elle les sent d'une manière encore plus aiguë parce qu'elle est liée à l'objet de sa mission, déterminé par son Fondateur lui-même, objet qui pénètre jusque dans les profondeurs de l'esprit et du coeur humains. Dans ces conditions, les conflits sont inévitables et l'histoire montre qu'il y en a toujours eu, qu'il y en a encore, et que selon la parole du Seigneur, il y en aura jusqu'à la fin des temps. C'est que l'Eglise, du fait de sa mission, a trouvé et trouve devant elle des hommes et des peuples d'une merveilleuse culture, d'autres d'une absence de civilisation à peine compréhensible, et tous les degrés intermédiaires possibles : diversité de races, de langues, de philosophies, de confessions religieuses, d'aspirations et de particularités nationales ; peuples libres et peuples esclaves, peuples qui n'ont jamais appartenu à l'Eglise et peuples qui se sont détachés de sa communion. L'Eglise doit vivre parmi eux et avec eux ; elle ne peut jamais en face d'aucun se déclarer « non intéressée ». Le mandat qui lui a été imposé par son Fondateur lui rend impossible de suivre la règle du « laisser faire, laisser passer ». Elle a le devoir d'enseigner et d'éduquer avec toute l'inflexibilité du vrai et du bien et, avec cette obligation absolue, elle doit demeurer et travailler parmi des hommes et des communautés qui pensent de manières complètement différentes.

Revenons cependant maintenant en arrière aux deux propositions que Nous avons mentionnées plus haut : et en premier lieu à celle de la négation inconditionnée de tout ce qui est religieusement faux et moralement mauvais. Sur ce point il n'y a jamais eu et il n'y a pour l'Eglise aucune hésitation, aucun



4 Matth., 28, 19.

pacte, ni en théorie ni en pratique. Son attitude n'a pas changé durant le cours de l'histoire, et elle ne peut changer quelles que soient les circonstances de temps et de lieu qui la mettent en face de l'alternative : l'encens aux idoles ou le sang pour le Christ. Le lieu où vous vous trouvez actuellement, la Roma Aeterna, par les restes d'une grandeur passée et par les souvenirs glorieux de ses martyrs, est le témoin le plus éloquent de la réponse de l'Eglise. L'encens ne fut pas brûlé devant les idoles, et le sang chrétien baigna le sol devenu sacré. Mais les temples des dieux dans leurs restes majestueux ne sont plus que ruines sans vie ; tandis que près des tombes des martyrs, des fidèles de tous les peuples et de toutes les langues répètent avec ferveur l'antique Credo des Apôtres.

Quant à la seconde proposition, c'est-à-dire à la tolérance, dans des circonstances déterminées, même dans des cas où l'on pourrait procéder à la répression, l'Eglise — eu égard à ceux qui avec une bonne conscience (même erronée, mais incorrigible) sont d'opinion différente — s'est vue conduite à agir et a agi selon cette tolérance, après que sous Constantin le Grand rt les autres empereurs chrétiens elle fut devenue Eglise d'Etat, mais ce fut toujours pour des motifs plus élevés et plus importants ; ainsi fait-elle aujourd'hui et fera-t-elle dans l'avenir si elle se trouve en face de la même nécessité. Dans de tels cas particuliers, l'attitude de l'Eglise est déterminée par la volonté de protéger le bonum commune, celui de l'Eglise et celui de l'Etat dans chacun des Etats d'une part, et de l'autre, le bonum commune de l'Eglise universelle, du règne de Dieu sur le monde entier. Pour apprécier le pour et le contre dans la détermination de la quaestio facti, l'Eglise n'observe pas d'autres normes que celles que Nous avons déjà indiquées pour le juriste et l'homme d'Etat catholique, même en ce qui concerne la dernière et suprême instance.



17 faut prévoir un accord entre l'Eglise et l'Etat.

Ce que Nous avons exposé peut également être utile au juriste et à l'homme politique catholique quand dans leurs études ou dans l'exercice de leur profession, ils entrent en contact avec les accords (Concordats, Traités, Conventions, Modus Vivendi, etc.) que l'Eglise — c'est-à-dire, depuis longtemps, le Siège Apostolique — a conclus dans le passé et conclut encore avec les Etats souverains. Les Concordats sont pour elle une expression de la collaboration entre l'Eglise et l'Etat. En principe, ou en thèse, elle ne peut approuver la séparation complète entre les deux pouvoirs. Les Concordats doivent donc assurer à l'Eglise une condition stable de droit et de fait dans l'Etat avec lequel ils sont conclus, et lui garantir la pleine indépendance dans l'accomplissement de sa mission divine. Il est possible que l'Eglise et l'Etat proclament dans le Concordat leur commune conviction religieuse, mais il peut aussi arriver que le Concordat ait, en même temps que d'autres buts, celui de prévenir des discussions autour de questions de principe et d'écarter dès le début des matières possibles de conflits. Quand l'Eglise a apposé sa signature à un Concordat, cela vaut pour tout son contenu. Mais son sens intime peut, par une reconnaissance mutuelle des deux hautes parties contractantes, avoir des degrés ; il peut signifier une approbation expresse, mais il peut aussi dire une simple tolérance, selon ces deux principes, qui fixent la norme pour la vie commune de l'Eglise et de ses fidèles avec les Puissances et les hommes de croyances différentes.

Tel est, chers fils, ce que Nous voulions traiter avec vous plus longuement. Pour le reste, Nous avons confiance que la Communauté internationale pourra écarter tout péril de guerre et établir la paix ; et en ce qui regarde l'Eglise, qu'elle sera capable de lui garantir partout la voie libre, afin qu'elle puisse établir dans l'esprit et dans le coeur, dans la pensée et dans l'action des hommes le règne de Celui qui est le Rédempteur, le Législateur, le Juge, le Seigneur du monde, Jésus-Christ, le Dieu qui, au-dessus de tout, est béni éternellement5.

Et tandis que Nous accompagnons de Nos voeux paternels vos travaux pour le plus grand bien des peuples et pour le perfectionnement des relations internationales, Nous vous accordons du fond du coeur, comme gage des grâces divines les plus riches, la Bénédiction apostolique.













s Rom., 9, 5.


FOOD AND AGRICULTURE ORGANISATION



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ALLOCUTION AUX DÉLÉGUÉS DE LA

FOOD AND AGRICULTURE ORGANISATION

(7 décembre 1953) 1






La Vile session de l'organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture (F. A. O.) — Food and Agriculture Organisation -se tint à Rome. Le Saint-Père s'adressant aux Délégués, leur dit :

Depuis plusieurs années, Nous suivons avec un vif intérêt les activités de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture. Aussi sommes-Nous heureux de vous recevoir, Messieurs, pendant que se déroulent les travaux de la VIIe session de votre conférence.

C'est un fait que, malgré les améliorations obtenues ces derniers temps, le problème de l'alimentation reste crucial pour une large portion de l'humanité. Comme vous le constatez dans vos rapports, la situation actuelle du monde au point de vue agricole se caractérise par un déséquilibre accentué entre les régions évoluées et les pays insuffisamment développés. D'un côté la production augmente rapidement, les niveaux de consommation se relèvent, les exportations s'intensifient, tandis que de l'autre, et en Extrême-Orient tout particulièrement, la production demeure faible, l'alimentation déficiente et les importations limitées. L'éventualité de la famine et de ses terribles conséquences ne cesse de hanter des millions d'hommes et une période de sécheresse suffit à déclencher ce fléau redoutable. Mais en outre, il faut encore tenir compte de la montée régulière du chiffre de la population qui exige, sous peine de voir empirer le mal, un accroissement parallèle des biens de consommation.

Cette situation difficile, votre organisation s'impose d'y faire face et d'engager une lutte décisive sur le plan mondial pour supprimer les souffrances et les menaces qui pèsent encore jusqu'à ce jour sur tant de malheureux. Quel courage ne faut-il pas pour oser envisager tranquillement une entreprise, que l'on peut sans exagération qualifier de gigantesque, et pour s'y adonner avec ardeur, alors qu'elle semble se compliquer et s'élargir à mesure qu'on s'y attache. Mais, animés d'un zèle que rien ne fatigue, vous avez réussi en premier lieu à vous assurer une base de travail indispensable, en obtenant les renseignements nécessaires sur la production et les échanges agricoles des différents pays. En bien des cas pour vous procurer des indications précises, il a fallu former des experts et les initier aux méthodes modernes de la statistique. Vous avez ainsi rassemblé des matériaux précieux, qui rendront de grands services aux économistes.

La partie essentielle de votre travail consiste à intervenir efficacement dans le domaine de l'agriculture, mais aussi de la pêche et des exploitations forestières. Sans doute on se préoccupera de diriger vers les populations sous-alimentées, qui représentent 70 % de la population mondiale, l'excédent de la production des pays plus favorisés, en assurant ainsi à ces derniers des débouchés stables. Mais il est bien plus urgent de pourvoir à l'augmentation de la productivité aux endroits mêmes, où la disette se fait sentir. Pour cela, vous voulez d'abord réduire les pertes parfois considérables dues à l'inexpérience des cultivateurs et aux épidémies ; puis accroître les rendements par l'amélioration des méthodes de culture, l'utilisation des engrais ; la sélection des espèces végétales ; enfin vous envisagez la mise en valeur de terrains encore incultes, en particulier par le moyen de l'irrigation. En tout ceci, les phases de réalisation sont nécessairement précédées d'enquêtes et d'études détaillées destinées à évaluer les possibilités de perfectionnement et à prévenir les erreurs lourdes de conséquences. Mentionnons également, à titre d'exemple significatif des incidences culturelles de vos travaux, le plan mis en oeuvre pour accroître la production du papier et que vous a confié le Conseil économique et social des Nations Unies.

Ce programme, si varié, si ample, suscite incontestablement des difficultés peu communes. La plus délicate peut-être, vous l'avez bien perçu, consistera à créer les conditions sociales, grâce auxquelles les travailleurs à qui vous fournirez aide et directives prendront goût à leur besogne, s'y intéresseront, exploiteront au maximum les ressources qu'on leur procurera. Il est inutile en effet d'envoyer sur place des experts pour enseigner de nouvelles méthodes et de perfectionner l'équipement mécanique, si les conditions humaines où l'homme se meut l'empêchent de tirer de son effort le fruit qu'il a le droit d'en attendre. Susciter l'intérêt et l'initiative personnelle, montrer que le bien de la communauté ne se réalisera pas aux dépens du bien des personnes, mais à leur profit, et veiller à ce qu'il en soit réellement ainsi, voilà certainement un élément capital de la réussite. Par là votre oeuvre économique se double d'une valeur sociale non moins décisive, et dont Nous aimons à souligner la valeur. C'est pourquoi, soucieux de vous manifester Notre appui et de collaborer à cette entreprise, Nous avons voulu récemment apporter Notre contribution en faveur du programme d'extension de l'assistance technique à divers pays, et spécialement aux régions les plus déshéritées.

Malgré les moyens encore restreints, de votre organisation, vous n'avez pas craint d'y intéresser tous les peuples, qui sont avides non seulement de se perfectionner eux-mêmes et d'obtenir des avantages économiques, mais aussi d'apporter leur secours à de moins fortunés. Une action de ce genre, comme Nous le remarquions dans une allocution prononcée le 21 février 1948 en des circonstances analogues à celles-ci, oblige les nations à se sentir solidairement bénéficiaires et bienfaitrices les unes des autres 2.

Le monde civilisé regarde toujours avec une profonde tristesse les images pitoyables des victimes de la faim, alors que la terre est capable de nourrir tous les hommes. Supprimer définitivement une telle plaie mérite bien quelque sacrifice et justifie d'austères dévouements. Le Christ ne s'est-il pas préoccupé de rassasier les foules qui le suivaient ? N'a-t-il pas appris à ses disciples la prière qui demande à Dieu le pain quotidien ? En poursuivant le but que vous vous êtes fixé, vous réalisez sans aucun doute une intention chère à Celui qui s'est consacré au salut de l'humanité. Voilà pourquoi Nous vous souhaitons de continuer sans faiblir votre tâche. Elle n'est sans doute qu'à ses débuts, mais déjà l'expérience vous a beaucoup enseigné ; vos instruments de travail se perfectionnent, votre crédit se renforce auprès des gouvernements, qui apprécient de plus en plus l'utilité et les fruits de votre action. Si le terme final n'est pas encore en vue, du moins pouvez-vous espérer qu'une compréhension plus large et une collaboration plus agissante viendront renforcer et multiplier les résultats obtenus et garantir une évolution ultérieure plus rapide.

Nous vous le souhaitons de tout coeur, en même temps que Nous appelons sur vous, sur vos familles et sur tous ceux qui partagent votre labeur, les plus abondantes bénédictions du ciel.












RADIOMESSAGE A L'ACTION CATHOLIQUE ITALIENNE

(8 décembre 1953) [26]






En ce jour Pie XII avait inauguré l'Année Mariale, en se rendant à Sainte-Marie Majeure ; à son retour il envoya le message suivant :

Quand laissant à l'écart les foules, Jésus réunissait autour de Lui les Apôtres et les disciples, Il ne leur parlait pas par paraboles [27], mais avec une clarté évidente, et le ton de sa voix devait être particulièrement attendri et affectueux.

Nous voudrions qu'il en soit de même, chers fils et filles de l'Action catholique italienne, aujourd'hui que le progrès de la technique moderne vous relie en quelque sorte plus intimement à Nous en Nous permettant de parler coeur à coeur avec chacun de vous : aumôniers, hommes, femmes, jeunes, étudiants, diplômés, instituteurs.

Aujourd'hui vous êtes tous ensemble, bien que n'apparaisse pas dans sa magnificence le tableau de vos mémorables assemblées et que ne se fassent pas entendre non plus les cris joyeux et les acclamations de foules innombrables. Aujourd'hui aucun bruit, aucune clameur. Mais vous êtes tous réunis et Nous pouvons parler à tous ; et tandis que Nous gardons les yeux du corps comme à demi-clos, à Notre esprit se présente un spectacle merveilleux : d'innombrables âmes disséminées dans toute l'Italie et maintenant groupées autour du Père commun pour écouter Sa parole et recevoir Sa bénédiction.

Nous vous imaginons réunis dans les églises, grandes églises des villes et petites, mais jolies chapelles de hameaux pour ainsi dire perdus dans les montagnes ; ailleurs dans les salles paroissiales ou bien dans la modeste maison de votre bon curé ; et peut-être que là se trouve à l'écoute — Nous y pensons avec tristesse et en même temps avec une affection particulière — une poignée d'adhérents à côté de leur pasteur et père en larmes, parce que la furie du démon a dirigé sur la paroisse tous ses coups, réussissant à y porter spirituellement la désolation et la mort et à y laisser pratiquement le désert.

Et voici, chers fils et filles, que Nous entrons, comme le fait Notre voix dans vos maisons pour Nous mettre à côté de vous ; pères et mères, chers petits vieux silencieux, jeunes pleins de vigueur et jeunes filles au visage rayonnant. Avec une tendresse particulière, Nous Nous approchons des chers et peut-être turbulents enfants, auxquels Nous voudrions exprimer un désir particulier. Comme Nous vous trouvons tous unis, spontanément se présente à Notre esprit l'image d'une grande famille, dont la diversité des membres ne diminue pas le parfum de l'amour qui engendre la concorde et conserve la paix. Et dans cette famille aujourd'hui c'est une grande fête ; une fête pour tous, parce que tous s'approchent de l'autel et répètent l'offrande d'eux-mêmes à Dieu en jurant de nouveau fidélité à l'Eglise. Une fête, en particulier, pour les très chers jeunes auxquels vont, comme de juste, Notre paternelle félicitation et Notre souhait le plus affectueux. Ils commémorent aujourd'hui le 85e anniversaire de leur fondation, parce que, dans le lointain 1868, une nuit de prière en l'église de Sainte-Rose de Viterbe, jaillit du coeur de Mario Fani le premier des rameaux, qu'il serait mieux d'appeler aujourd'hui, la première racine du robuste tronc de l'Action Catholique instituée en 1922 et munie de ses règlements actuels par le Statut de 1946.

Nous désirons vivement Nous entretenir avec vous, comme fait un père avec ses propres enfants, en participant à leurs joies, en leur confiant ses anxiétés, en leur exprimant ses désirs. Et comme c'est aujourd'hui également la fête de la Mère commune, le centenaire du geste par lequel Notre Prédécesseur Pie IX, avec la force de son magistère infaillible, enchâssa une autre pierre précieuse dans Sa couronne en la proclamant Immaculée, Nous aurons devant les yeux l'image de la Vierge toute Sainte, tandis que Nous vous parlerons et vous inviterons à la regarder pour en demeurer enchantés, pour l'imiter, et vous sentir soutenus et protégés par Elle. Nous aurons comme guide la Liturgie sacrée 3, qui ne se lasse pas de l'appeler : pulchra ut lutta, belle comme la lune ; electa ut sol, sublime comme le soleil ; terrible comme une armée rangée, terribilis ut castrorum actes ordinata.

La Beauté de la Sainte Vierge.

Avant tout, chers fils et filles, regardez Marie « belle comme la lune, pulchra ut luna ». C'est là une manière d'exprimer sa beauté sublime. Comme la Vierge doit être belle ! Combien de fois avons-nous été frappés par la beauté d'un visage angéli-que, par l'enchantement d'un sourire d'enfant, par le charme d'un regard pur ! Et certainement dans le visage de sa propre Mère, Dieu a réuni toutes les splendeurs de son art divin. Le regard de Marie ! le sourire de Marie ! la douceur de Marie ! la majesté de Marie, Reine du ciel et de la terre ! Comme resplendit la lune dans le ciel obscur, de même la beauté de Marie se distingue de toutes les beautés qui paraissent des ombres à côté d'Elle. Marie est la plus belle de toutes les créatures. Vous savez, chers fils et filles, combien une beauté humaine, qui est comme l'ombre d'une fleur, ravit et exalte facilement un coeur aimable : que ne ferait-il pas devant la beauté de Marie s'il pouvait la contempler dévoilée, face à face. C'est ainsi que Dante Alighieri vit au Paradis4 au milieu « de plus de mille anges en fête », « s'épanouir une beauté qui était une joie dans les yeux de tous les autres saints » : Marie !

Mais pourtant sur ce visage ne se révèle pas seulement la beauté naturelle. Dans son âme Dieu a déversé la plénitude de ses richesses par un miracle de sa toute-puissance, et alors Il a fait passer dans le regard de Marie quelque chose de sa dignité surhumaine et divine. Un rayon de la beauté de Dieu resplendit dans les yeux de sa Mère. Ne pensez-vous pas que le visage de Jésus, ce visage que les anges adorent, devait reproduire en quelque manière les traits du visage de Marie ? C'est ainsi que sur le visage de tout fils il y a un reflet des yeux de sa mère. Pulchra ut luna. Heureux qui peut vous voir, Mère du Seigneur, qui peut s'extasier devant vous ; puissions-nous, ô Marie, demeurer avec vous, dans votre maison, pour vous servir toujours !

La Sublimité de Marie.

— Mais l'Eglise ne compare pas Marie seulement à la lune ; se servant encore de l'Ecriture Sainte 5, elle passe à une image plus forte et s'exclame : Tu es, ô Marie « electa ut sol », sublime comme le soleil.

La lumière du soleil diffère grandement d'avec celle de la lune : c'est une lumière qui réchauffe et qui vivifie. La lune brille sur les grands glaciers du pôle, mais la glace demeure compacte et inféconde, de même que les ténèbres demeurent et que le gel continue dans les nuits lunaires de l'hiver. La lumière de la lune n'apporte pas la chaleur, n'apporte pas la vie. Le soleil est une source de lumière, de chaleur et de vie. Or Marie, qui a la beauté de la lune, resplendit également comme un soleil et répand une chaleur vivifiante. En parlant d'Elle, en Lui parlant, n'oublions pas qu'Elle est notre véritable Mère, parce que par Elle nous avons reçu la vie divine. Elle nous a donné Jésus et avec Jésus la source même de la grâce. Marie est médiatrice et distributrice de grâces.

Electa ut sol. Sous la lumière et la chaleur du soleil, les plantes fleurissent sur la terre et donnent leurs fruits ; sous l'influence de l'aide de ce soleil qu'est Marie, les bonnes pensées fructifient dans les âmes. Peut-être déjà en ce moment, êtes-vous pleins de l'enchantement qui émane de la Vierge Immaculée, Mère de la grâce divine, Médiatrice de grâces, parce que Reine du monde. Oh ! puissions-Nous avoir la voix de saint Bernard, qui ne se lassait pas de louer, de chanter, d'admirer, d'exulter devant le trône de la Vierge ! Oh ! puissions-Nous avoir le langage des anges pour pouvoir dire la beauté, la grandeur de leur Reine.

Repassez, chers fils et filles, l'histoire de votre vie ; ne voyez-vous pas un tissu de grâces de Dieu ? Vous pouvez penser alors : dans ces grâces est entrée Marie. Les fleurs sont écloses, les fruits ont mûri dans ma vie grâce à la chaleur de cette Femme sublime comme le soleil.

Avez-vous prié ce matin ? La grâce qui vous a invités à un acte de piété si pure a peut-être été une grâce spéciale de Marie, vous l'avez eue par Marie.

Maintenant, vous écoutez Notre message en l'honneur de la Vierge : certaines de ces paroles pénètrent peut-être plus pro-



3 Off. In Assumptione B. M. V. passim.

4 Chant 31, v. 130-135.



fondement dans votre coeur, éveillant des sentiments bons et animés de ferveur ? C'est une grâce qui parvient à vos âmes à travers l'intercession de Marie, avec la lumière de ce soleil du ciel qu'est Marie.

Espérez-vous arriver un jour au Paradis au moyen de la grâce de la persévérance jusqu'au dernier instant de la vie ? Avez-vous la confiance de mourir dans la grâce de Dieu ? Cette grâce aussi vous viendra, à vous qui avez la dévotion pour Marie, à travers un sourire d'Elle, avec un rayon de ce soleil.



La Force de la Sainte Vierge.

— Mais l'Eglise tire une autre image de l'Ecriture Sainte et l'applique à la Vierge. Marie est belle en elle-même comme la lune, elle resplendit autour d'elle comme le soleil ; mais, contre 1'« ennemi », elle est forte, elle est terrible comme une armée rangée en ligne de bataille. « Acies ordinata ».

En ce jour de joie et d'exultation, Dieu sait combien Nous voudrions pouvoir oublier l'âpreté des temps que nous traversons ! Mais les dangers qui pèsent sur le genre humain sont tels que Nous ne devons jamais cesser — peut-on dire — de lancer Notre cri d'alarme. Il y a 1'« ennemi » qui se fait pressant aux portes de l'Eglise, qui menace les âmes. Et voici un autre aspect — tout à fait actuel — de Marie, de sa force dans le combat.

Déjà, après le cas misérable d'Adam, la première annonce concernant Marie, selon l'interprétation de nombreux Pères et Docteurs, nous parle d'hostilités entre Elle et le serpent ennemi de Dieu et de l'homme. Comme il est essentiel pour Elle d'être fidèle à Dieu, de même il l'est d'être victorieuse du démon. Préservée de toute tache, Marie a écrasé la tête du serpent tentateur et corrupteur. Quand Marie s'approche, le démon fuit ; de même que disparaissent les ténèbres quand pointe le soleil. Là où est Marie, il n'y a pas Satan ; là où est le soleil, il n'y a pas le pouvoir des ténèbres.

Chers fils et filles de l'Action Catholique italienne ! Oh ! si ces trois éclats de Marie devenaient vos lumières ! Si les trois images de l'Ecriture Sainte s'appliquaient en réalité à chacun de vous et à toute l'Association !

L'Imitation de Marie.

Nous voudrions avant tout que, comme fils et filles de Marie, vous cherchiez à reproduire dans votre âme sa beauté surhumaine. Maintenez donc, à son image, l'union parfaite avec Jésus. Que Jésus soit en vous, que vous soyez en Lui, jusqu'à la fusion de votre vie avec Sa vie. Qu'il y ait dans votre esprit les splendeurs de la foi et, comme Elle, que vous voyiez, que vous jugiez, que vous raisonniez selon Dieu. Que votre coeur, autant que c'est possible, aspire à l'intégrité de Son coeur à Elle, qui n'a rien partagé avec d'autres et a conservé pour Dieu toute sa chaleur, ses battements, sa vie. Avec les visions de l'esprit, avec les ardeurs du coeur, cultivez le dévouement absolu à Dieu. Fils et Filles de Marie, portez dans la physionomie de votre âme la ressemblance avec la Mère du ciel. Faites passer à travers un monde enveloppé dans les ténèbres et couvert de boue des faisceaux de lumière et le parfum d'une pureté sans tache.

En second lieu Nous voudrions que vous fussiez comme le soleil qui réchauffe les personnes et les choses qui vous entourent. Faites remarquer en tout lieu votre présence par la ferveur de votre charité. Le démon a envahi la terre avec la haine : faites revivre, impérieux, l'amour. Il y en a tant qui sont encore mauvais parce qu'ils n'ont pas été assez aimés jusqu'à présent. Vivifiez tout ce qui tombera sous l'influence de vos rayons. C'est-à-dire soyez, comme Marie et avec Marie, des instruments de vie dans les âmes qui aujourd'hui meurent de faim et de froid, mais qui pourraient revenir à la maison du Père, si elles étaient stimulées par vos paroles, entraînées par votre exemple.

Enfin appliquez également à vous-mêmes la troisième image de Marie : soyez forts contre Y « ennemi ». Ici, il ne s'agit plus seulement du progrès spirituel de chacun de vous, mais de votre collaboration pour le bien des âmes. Toute l'Action Catholique, qui dans chacun de ses membres doit être belle comme la lune et vivifiante comme le soleil, doit savoir être, devant 1' « ennemi », forte comme une armée rangée en ligne de bataille. Et voici que notre réunion familiale prend presque l'aspect d'un « rassemblement au rapport » du principal des détachements laïques de la grande armée catholique d'Italie.

Dans Notre récente Encyclique « Fulgens Corona » [28] Nous avons encore une fois dénoncé la réalisation d'un plan terrifiant visant à « arracher radicalement des esprits la foi du Christ », à une domination du monde par l'ennemi des hommes et de Dieu. Et ce sont des hommes — des hommes misérables — ceux qui servent d'instruments pour cette oeuvre destructrice. Une lutte est en cours, qui grandit pour ainsi dire chaque jour en proportion et en violence ; aussi est-il nécessaire que tous les chrétiens, mais spécialement tous les militants catholiques, « soient sur pied et combattent jusqu'à la mort si c'est nécessaire pour l'Eglise leur mère, avec les armes qui leur sont permises » 1. Il ne s'agit pas ici, évidemment, de choc entre les peuples avec destruction de maisons et massacre d'hommes. Nous avons à maintes reprises exécré la guerre ; et comme réapparaissent çà et là de tristes signes de danger pour la paix, Nous Nous reprenons à conjurer Dieu afin qu'il empêche par sa toute-puissance que de nouveaux deuils et de nouvelles larmes soient provoqués sur terre par l'inconscience et par la méchanceté de certains. En revanche Nous parlons de la lutte que le mal, sous ses mille formes, livre contre le bien ; lutte de la haine contre l'amour, des mauvaises moeurs contre la pureté, de l'égoïsme contre la justice sociale, de la violence contre la vie pacifique, de la tyrannie contre la liberté.

Le résultat de cette lutte est déjà assuré, la parole infaillible de Dieu en étant la garantie. Le jour du triomphe du bien sur le mal viendra parce que viendra le jour où — Nous le disons avec une immense tristesse — seront « voués au feu éternel » [29] tous ceux qui ont voulu se passer de Dieu et sont demeurés obstinés jusqu'à la fin dans l'impénitence. Mais il y a des batailles dont le résultat n'est pas certain, parce qu'il est également confié à la bonne volonté des hommes. Dans certains secteurs, 1' « ennemi » a prévalu : il convient de reconquérir le terrain perdu — c'est-à-dire les âmes égarées, — afin que Jésus règne de nouveau dans les coeurs et dans le monde.

Chers fils et filles ! Nous vous appelons de nouveau au rassemblement, certain que tous — sans évasion d'aucune sorte — vous répondrez à Notre voix. Sous le regard de Marie,

Reine des Victoires, préparez-vous à vivre dans un climat, pour ainsi dire, de mobilisation générale, prêts à n'importe quel sacrifice, prêts à n'importe quel héroïsme.

Nous avons invité les fidèles du monde entier à profiter de l'Année Mariale, qui commence aujourd'hui, pour promouvoir des manifestations d'hommage à Marie dans ses sanctuaires. Mais ce qui est spécialement urgent, c'est un effort commun pour orienter l'Italie vers une renaissance religieuse intégrale. Pour que cela arrive, il faudra naturellement préparer un plan rationnel qui vous engage tous d'une manière organique, et vous soucier d'agir suivant une stratégie exacte et bien étudiée, vous alignant en ordre et regardant bien les buts à atteindre. Il est nécessaire pour cela de renforcer votre union intérieure, en accentuant sans cesse davantage le caractère unitaire de votre organisation et, ensuite, en accueillant tout le monde fraternellement, comme des compagnons d'armes, pour livrer côte à côte la même bataille. L'armée catholique est composée aussi d'autres forces qu'il serait insensé d'ignorer ou de contrarier. Il y a place pour tout le monde et l'on a besoin de tous sur cet immense front à couvrir pour repousser les attaques de 1' « ennemi ».

Cependant rappelez-vous tous qu'il n'y a point d'alignement ordonné si, dans le respect de la variété et des capacités, n'est pas assurée l'unité de commandement ; pour cela, Nous vous exhortons vivement, ainsi que toutes les forces catholiques, à vous faire guider dans le travail apostolique par ceux que le Saint-Esprit a placés à la direction de l'Eglise de Dieu.

En outre, dans le choix des « objectifs » l'ordre des valeurs doit être observé : vous devez donc préférer le spirituel au matériel, le définitif au provisoire, l'universel au particulier, ce qui est urgent à ce qui peut être renvoyé à un autre moment.

Quant à la tactique à suivre, rappelez-vous que l'approche individuelle est ce qui donne les meilleurs résultats. Au moyen de la « Base Missionnaire », l'Action Catholique a déjà entrepris un travail unitaire par lequel elle sort de ses sièges pour aller porter la vérité à ceux qui sont loin. Mais cette méthode ne produira de bons effets que si toute l'Action Catholique cherche à la réaliser et si elle agit en collaboration avec les autres forces catholiques. Nous avons recommandé cela l'an dernier aux hommes d'Action Catholique ; aujourd'hui, Nous le disons spécialement à vous, très chers jeunes, qui avez été les

premiers à naître et qui êtes encore si pleins de vigueur et de fraîcheur. Soyez, aujourd'hui et toujours, les avant-gardes hardies de cette pacifique armée, dans un esprit de parfaite union avec tous et d'entier dévouement envers les Pasteurs qui guident l'Eglise.

Et voici Notre dernière parole que Nous voulons adresser aux jeunes garçons et aux fillettes qui écoutent, pour leur exprimer un de Nos désirs. Rappelez-vous combien vous aimait Jésus et avec quelle tendresse il vous accueillait ! En parlant aux foules, il vous proposait comme modèles pour entrer dans le royaume des cieux. Le Pape aussi vous aime comme vous aimait Jésus. Vous êtes les préférés du Pape, comme vous étiez la prunelle des yeux de Jésus.

Eh ! bien, chers enfants, le Pape a besoin de votre aide. Le Pape a tant d'anxiétés, tant de craintes pour le sort de ce monde menacé de ruine. Voulez-vous aider le Pape ? Voulez-vous aider l'Eglise à sauver le monde, à sauver l'humanité en péril ? Alors élevez vers le ciel vos yeux limpides et purs ; joignez vos petites mains et offrez à Jésus votre innocence. Dites à Jésus qu'il sauve l'Eglise, qu'il sauve les âmes. Soyez avec votre prière, avec vos petits sacrifices, les anges protecteurs de toute l'Action Catholique qui place en vous toutes ses espérances.

Et maintenant : Nous Nous agenouillons et récitons avec vous une prière. Unissez-vous à Nous pour faire une douce violence à votre Mère céleste :

O Vierge, belle comme la lune, délice du ciel, vous dans le visage de qui se regardent les saints et se mirent les anges, faites que nous, vos enfants, nous vous ressemblions et que nos âmes reçoivent un rayon de votre beauté, qui ne passe pas avec les ans, mais qui resplendisse dans l'éternité.

O Marie, soleil du ciel, réveillez la vie partout où se trouve la mort et éclairez les esprits là où sont les ténèbres. En vous réfléchissant dans le visage de vos enfants, accordez-nous un reflet de votre lumière et de votre ferveur.

O Marie, forte comme une armée, donnez à nos troupes la victoire. Nous sommes si faibles et notre ennemi s'acharne avec tant d'arrogance. Mais avec votre étendard, nous nous sentons sûrs de le vaincre ; il connaît la force de votre pied, il craint la majesté de votre regard. Sauvez-nous, ô Marie, belle comme la lune, sublime comme le soleil, forte comme une armée rangée en ligne, soutenue non point par la haine mais par la flamme de l'amour. Ainsi soit-il.

Pie XII 1953 - LETTRE A SON ÉM. LE CARDINAL FELTIN A PROPOS D'UNE JOURNÉE DE SUPPLICATION