Pie XII 1953 - RADIOMESSAGE A L'ACTION CATHOLIQUE ITALIENNE


NOTE

DE LA S. CONGRÉGATION DU SAINT-OFFICE CONCERNANT LA PREMIÈRE MESSE DE NOËL

(12 décembre 1.953)[30]






Un doute a surgi à ce sujet après la promulgation de la Constitution[31] autorisant la célébration des Messes le soir, aussi la note suivante fut-elle publiée :

On demande si, en vertu de la Constitution apostolique Christus Dominus et aussi suivant l'Instruction du Saint Office [32] qui s'y rapporte a été abrogé le privilège, accordé à certaines églises de célébrer, dans la soirée de la Vigile la première messe du saint jour de Noël.

A ce sujet, on fait connaître que ce privilège, étant de caractère liturgique, n'est pas compris à ce titre, parmi les clauses abolitoires de la Constitution Christus Dominus.

Cependant les prêtres qui célèbrent la Messe dans les dites circonstances comme aussi les fidèles qui s'approchent de la Sainte Table doivent s'en tenir aux dispositions en vigueur concernant le Jeûne eucharistique.


PAROISSIENS DE CENTOCELLE



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ALLOCUTION AUX PAROISSIENS DE CENTOCELLE

(13 décembre 1953) 1






Au cours de l'audience générale de ce dimanche, le Pape s'est adressé tout spécialement aux fidèles de la paroisse Saint-Félix de Cantalice, de Centocelle, faubourg de Rome.

Nous adressons un paternel salut de bienvenue, à vous surtout, chers fils et filles de la paroisse de Saint-Félix de Cantalice à Centocelle. Votre participation assidue et fervente à la « Semaine Mariale » et surtout les engagements que vous avez pris pour l'Année Mariale qui vient de commencer ont rempli de consolation Notre esprit ; mais Nous voulons vous exprimer Notre gratitude paternelle pour une nouvelle que Nous a communiquée votre zélé curé et qui, à elle seule, suffirait à Nous remplir de joie : 1.500 familles de votre paroisse ont commencé à honorer Marie par le chapelet quotidien. Donc, chaque soir, de 1.500 foyers s'élèvera vers le ciel l'encens de la prière avec les invocations du Notre Père ; avec les louanges, les annonces et les implorations de l'Ave Maria ; avec l'hymne de gloire à la Très Sainte Trinité. Chaque soir — tout en priant — seront médités les mystères de la vie de Jésus et de Marie, et il n'est pas difficile d'imaginer que Marie sourira d'un sourire céleste à ses enfants, comme à Lourdes, lorsqu'elle voyait Bernadette et le peuple élever vers elle le chapelet.

Mais surtout, chaque soir, se produira un fait, simple en apparence, mais de nature à ravir les anges qui du ciel voient et écoutent : dans tant de maisons, devant l'image de la Sainte Vierge, en récitant le chapelet, la famille prie unie. Peut-être, chers fils, n'imaginez-vous pas combien cela est suffisant pour Nous donner la confiance que votre paroisse est bien orientée désormais vers cette renaissance religieuse intégrale, que Nous avons souhaitée dans l'Encyclique « Fulgens corona »2 et sur laquelle Nous avons de nouveau insisté dans Notre récent ra-diomessage à l'Action Catholique italienne3.

Nous devons Nous contenter, chers fils, de vous exprimer seulement une pensée, bien que l'affection toute particulière qui Nous lie à Nos fidèles romains Nous inciterait à prolonger le plus possible votre rencontre actuelle avec le Père commun ; mais peut-être cette simple allusion pourra-t-elle contribuer à donner de la fermeté et de la constance à votre dessein.

Voilà, chers fils : si Nous devions résumer ce que Nous implorons du Seigneur pour vous et également ce que chacun désire pour soi-même, peut-être ne trouverions-Nous point une formule plus complète que celle-ci : puisse dans chaque famille régner le Seigneur avec sa grâce et avec un bien-être matériel convenable dans la concorde et dans la paix.

Mais précisément, pour obtenir cela, le chapelet en famille vous sera très utile ; si la famille prie, en effet, elle vit et, si elle prie unie, elle vit unie. Nous vous exhortons, chers fils, à prier pour vivre : pour la vie de l'âme et pour la vie du corps ; Nous vous exhortons à prier unis pour vivre dans la concorde des esprits.

17 faut vivre de la vie divine.

La vie propre de l'âme chrétienne, comme de la famille chrétienne, est la vie divine. Pour avoir cette vie en vous, pour la conserver, pour la faire croître, vous vous engagez à élever votre pensée et votre coeur vers Dieu avec une des prières les plus simples et les plus complètes : le saint chapelet est en effet un des plus beaux moyens pour entrer en conversation avec le ciel.

Il faut prier en famille.

Une famille qui prie est une famille qui vit. Et à Notre esprit se présente également le problème de votre vie humaine, de

votre vie matérielle, le problème du pain quotidien pour vous et pour vos enfants. « L'homme, a dit Jésus, ne vit pas seulement de pain » 4, mais il est clair qu'il vit également de pain, et même qu'il ne peut vivre sans pain. S'il est donc anti-chrétien et anti-humain de réduire la vie de l'homme au seul problème du pain, il n'est ni chrétien ni humain de demeurer indifférent et inerte devant la faim et la misère de ses propres frères. Il faudra donc que tous travaillent inlassablement à créer pour les hommes honnêtes et laborieux des conditions humaines de vie.

Mais en même temps, il conviendra de rappeler une parole du Maître divin qui conserve encore aujourd'hui sa valeur et qui résonne même comme un avertissement particulier pour le monde moderne. En effet Jésus a dit : « Cherchez avant tout le royaume de Dieu ; et le reste vous sera donné par surcroît » 5.

Chers fils ! Nous repensons souvent à une scène que, certainement, vous connaissez et que vous vous rappelez. Les foules se pressaient à la suite de Jésus, et inassouvies et insatiables, écoutaient Ses paroles, oubliant leurs besoins matériels. Aujourd'hui, en revanche, tant d'âmes oublient Jésus, s'éloignent de Lui à la recherche de bien-être terrestre et c'est ainsi qu'elles meurent d'inanition, tandis que les problèmes matériels se présentent de plus en plus insolubles.

Une famille qui prie est une famille qui vit. L'âme vit de la vie divine, le corps vit de la vie matérielle. Dieu pourvoit aux lis des champs et aux oiseaux de l'air ; comment ne pourvoirait-Il pas aux personnes et aux familles, qui s'efforcent de se trouver unies à Lui et Lui demandent toutes ensemble, chaque soir, avec tant d'insistance : « Donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien » ?

Priez, chers fils : priez votre Père bon et tout-puissant ; priez-Le bien, priez-Le sans lassitude. Demandez que son nom soit sanctifié ; que son règne arrive ; que sa volonté soit faite. Et demandez-Lui le pain quotidien pour vous et pour vos enfants.

Le chapelet récité en famille est source de paix.

Si, comme vous l'avez promis, vous récitez le chapelet en famille, tous unis, vous connaîtrez la paix, vous aurez dans vos demeures la concorde des esprits.

Dans un monde divisé par tant de haines, bienheureux sont ceux qui trouvent dans leur maison comme une oasis de paix.

Peu de moyens Nous semblent aussi efficaces pour promouvoir et conserver l'union des esprits que la prière en commun récitée en famille, sous le regard affectueux et souriant de Marie. Renouvelez donc votre engagement, chers fils et filles. Et puissent d'autres paroisses de Rome Nous faire don, elles aussi, d'une nouvelle si réjouissante !










DÉCRET DU SAINT-OFFICE CONDAMNANT LE LIVRE DE CAMILLE MULLER SUR L'ENCYCLIQUE « HUM AN I GENERIS » ET LES PROBLÈMES SCIENTIFIQUES

(14 décembre 1953) [33]


INSTRUCTION DE LA S. CONGRÉGATION DES SÉMINAIRES

ET UNIVERSITÉS CONCERNANT LES TITRES UNIVERSITAIRES

(14 décembre 1953) [34]








Dans la réunion plénière du 2 décembre 1953 de la Suprême Sacrée Congrégation du Saint-Office, les Eminentissimes et Ré-vérendissimes Cardinaux préposés à la défense de la foi et des moeurs, sur l'avis des Révérendissimes Consulteurs, ont condamné et ordonné que fût inscrit au Catalogue des livres prohibés l'ouvrage intitulé :

Camille Muller : L'Encyclique « Humani Generis » et les Problèmes scientifiques, Louvain, E. Nauwelaerts, 1951[35].

Le jeudi 10 décembre suivant, Notre Saint-Père le Pape Pie XII, dans l'audience accordée à l'Eminentissime Cardinal Pro-Secrétaire du Saint-Office, a approuvé la résolution des Eminentissimes Pères qui lui était soumise, l'a confirmée et a ordonné sa publication.

La Sacrée Congrégation des Séminaires et Universités a adressé au Congrès interaméricain d'éducation catholique, qui s'est tenu à La Havane en janvier 1954, l'instruction ci-après, rappelant la nécessité pour les maîtres de l'enseignement catholique, prêtres, religieuses ou laïcs, d'être munis de titres universitaires :

La Sacrée Congrégation des Séminaires et Universités, dès le premier moment que fut constitué l'Office central d'éducation pour l'Italie et l'Office analogue pour l'Amérique latine, a répété en de fréquentes exhortations que les professeurs de collèges et d'écoles catholiques doivent se pourvoir des titres requis pour l'enseignement.

1 D'après la revue catholique argentine Criteria (il février i954)- Traduction de la Documentation Catholique, t. LU ; c. 149.




1. Disposition générale. A ce sujet, on trouve une disposition fondamentale dans la lettre de la Sacrée Congrégation de l'année 1939, envoyée aux évêques d'Italie : (« ...40 les professeurs sont munis des titres requis, et — sauf le cas d'absolue nécessité et provisoirement, avec le consentement des autorités civiles — l'enseignement sera interdit aux personnes dépourvues du titre légal »).

2. Professeurs laïques. Que les professeurs laïques des collèges catholiques soient obligatoirement pourvus des titres pour

l'enseignement, cela semble évident ; en réalité, le titre est non seulement une garantie de formation et de préparation technique, mais encore un élément de prestige pour ceux-là mêmes qui enseignent et pour les collèges dans lesquels ils exercent leur profession.

3. Prêtres. En ce qui concerne les prêtres — bien que par le fait même qu'ils sont prêtres, et que, étant donné leurs études et leur mission, on doive les considérer comme professeurs-nés, — la Sacrée Congrégation recommande instamment qu'ils acquièrent les titres les habilitant légalement à enseigner. En vue de faciliter l'obtention de cette fin, elle n'a pas manqué l'occasion de conclure des traités avec les gouvernements, afin que soient reconnus comme titres équivalents aux titres civils les titres correspondants de l'Eglise appelés « majeurs », comme la licence et le doctorat en théologie, en philosophie, en droit canonique, etc.

4. Religieux. Les considérations du numéro 3 sont aussi valables pouf les religieux.

5. Religieuses. Pour les religieuses, la nécessité du titre a été traitée ex-professo dans la circulaire en date du 10 août 1938 : « Le désir du Saint-Père, Préfet de cette Sacrée Congrégation, est que toutes les Soeurs chargées de l'enseignement dans n'importe quelle catégorie d'écoles soient pourvues du titre prescrit (diplôme ou doctorat, habilitation). »

Dans le volume qui réunit les actes du premier Congrès national d'études pour les religieuses enseignantes, en Italie (Rome, du 2 au 6 janvier 1949), ces directives sont pleinement confirmées par la Sacrée Congrégation des Séminaires et Universités.

L'Eminentissime cardinal Pizzardo, dans la préface du volume en question, donnant des directives analogues, écrivait ce qui suit : « Le Saint-Siège a toujours été soucieux d'encourager les religieuses à se perfectionner aussi dans le domaine technique et professionnel. Etant donné que les religieuses doivent, elles aussi, s'adapter aux lois scolaires en vigueur, on peut leur appliquer par analogie ce que, le 26 août 1935, Pie XI disait aux infirmières catholiques réunies à Castelgandolfo, à l'occasion de leur Congrès international : « Si, pour être d'excellentes infirmières, il vous faut un diplôme, acquérez-le autant que possible. »

Naturellement, les religieuses ont besoin, en cela, qu'on les aide. Avant tout, il faut prendre en considération et comprendre la situation particulière qui les caractérise (elles sont à la fois religieuses et maîtresses) et les difficultés de diverse nature qu'elles auront à surmonter pour acquérir les titres voulus. Eu égard à de si justes et si raisonnables considérations, la Sacrée Congrégation a préconisé le rétablissement d'Ecoles normales pour les religieuses, aussi bien en Italie que dans d'autres pays, et de cours pour leur préparation à l'enseignement.

6. Quels titres ? Les titres que la Sacrée Congrégation désire
que possèdent les professeurs catholiques sont ceux qui sont
requis pour chaque sorte de professorat : doctorats, diplômes,
titres pour enseigner etc. ; c'est-à-dire les titres nécessaires à
chaque professeur, en principe et légalement, pour remplir avec
succès et prestige sa mission, conformément aux prescriptions
générales de l'enseignement et des lois et usages du pays dans
lequel il enseigne.

Il faut bien se dire que, normalement, si les institutions catholiques désirent obtenir la reconnaissance légale de leur statut, elles doivent avoir des professeurs pourvus des titres requis par la législation du pays.

Les directives de la Sacrée Congrégation se sont inspirées constamment de ces exigences. Consulter, par exemple, les « règles et directives » de l'Office central de l'enseignement de la Sacrée Congrégation des Séminaires et Universités d'études, à l'occasion du IIIe Congrès international d'éducation catholique (La Paz, septembre-octobre 1948).

7. Où et comment les obtenir ? Etant admis le principe de
l'opportunité ou de la nécessité d'obtenir les titres requis, il s'a-
git de savoir où et comment les acquérir ?

Assurément, dans toutes les nations, il existe d'excellentes Universités civiles, qui méritent tout respect et toute estime, mais on ne peut nier que l'on n'y trouve pas toujours l'ambiance souhaitable pour ceux qui, comme les prêtres, les religieux et surtout les religieuses, se sont consacrés à une forme de vie et se sont imposé une règle bien différente de la vie et des habitudes communes.

De là, la nécessité de créer des institutions propres à l'Eglise, pour conférer les titres adéquats avant tout aux prêtres, aux religieux et aux religieuses, et aussi aux laïcs qui désirent une formation religieuse plus profonde.

La création de ces centres est saluée avec une satisfaction spéciale par cette Sacrée Congrégation et est encouragée chaque fois que s'en présente l'utilité [36].

8. Autre document récent. L'idée que le personnel enseignant
ecclésiastique et religieux doive être pourvu des titres requis
pour renseignement se trouve aussi, implicitement, mais forte-
ment, exprimée dans la lettre adressée par la Sacrée Congré-
gation des Séminaires et Universités aux évêques d'Italie, en
date du 8 septembre 1953, où il est dit que « les Excellentissi-
mes Ordinaires et les Révérendissimes Supérieurs des familles
religieuses qui se consacrent à l'enseignement devront, par tous
les moyens en leur pouvoir, s'ingénier à avoir des sujets tou-
jours plus choisis et plus préparés, et en nombre toujours crois-
sant, destinés à l'enseignement ».

Dans la même lettre, il est rappelé aux mêmes Excellentis-simes Ordinaires et Supérieurs religieux qu'ils doivent paiticu-lièrement avoir à coeur que ceux qui dépendent d'eux fréquentent les athénées érigés par le Saint-Siège, en vue d'obtenir les titres académiques nécessaires. Il faut noter que cette lettre condense la pensée d'une Assemblée plénière des Eminentissimes Cardinaux.

9. Traitements. Bien que cette question ne fasse pas partie
du thème du présent Congrès, il ne faut jamais perdre de vue
que le problème des traitements des maîtres est, en tous points,
intimement uni au thème des titres légaux d'enseignement.










DÉCRET DU SAINT-OFFICE CONDAMNANT LE LIVRE DE JACQUELINE MARTIN : « PLÉNITUDE »

(23 décembre 1953) [37]






Dans la réunion plénière de la Suprême Sacrée Congrégation du Saint-Office, le mercredi 23 décembre 1953, les Eminentissimes et Révérendissimes Cardinaux préposés à la défense de la foi et des moeurs, sur l'avis des Révérendissimes Consulteurs, ont condamné et prescrit d'inscrire à l'Index des livres prohibés :

Jacqueline Martin, « Plénitude », Témoignage d'une femme sur l'amour, Editions Familiales de France 1951.

Et le vendredi 1er janvier 1954, Sa Sainteté Pie XII, dans l'audience accordée à Son Eminence le Cardinal Pro-Secrétaire du Saint-Office, a approuvé la décision des Eminentissimes Pères et a ordonné sa publication.

























RADIOMESSAGE AU MONDE

(24 décembre 1953) 1






Suivant la tradition le Saint-Père a adressé en cette veillée de Noël, un message au monde :

« Le peuple qui habitait dans les ténèbres a vu une grande lumière ». C'est par cette image éclatante que l'esprit prophétique d'Isaïe2 annonça la venue sur la terre de l'Enfant divin, Père du Siècle futur et Prince de la Paix. C'est par cette même image, devenue dans la maturité des temps une réalité qui réconforte les générations humaines dans leur succession en ce monde plein d'obscurité, que Nous désirons, chers fils et filles du monde catholique, commencer Notre message de Noël, et par elle vous conduire une fois de plus à la crèche du Sauveur nouveau-né, source resplendissante de lumière.



Le Christ est la lumière qui brille dans les ténèbres.

Une lumière qui déchire et vainc les ténèbres, voilà en fait ce qu'est la naissance du Seigneur dans sa signification essentielle, comme l'Apôtre Jean l'a exposé et résumé dans l'exorde sublime de son Evangile, faisant écho à la solennité de la première page de la Genèse quand apparaît la première lumière. « Le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous ; et nous avons contemplé sa gloire, gloire que le Fils unique a de son Père, plein de grâce et de vérité3. »

Lui, vie et lumière en soi-même, resplendit dans les ténèbres et accorde à tous ceux qui Lui ouvrent leurs yeux et leurs coeurs, à ceux qui Le reçoivent et croient en Lui, le pouvoir de devenir enfants de Dieu4.

Mais malgré l'éclat si fulgurant de la lumière divine émanant de l'humble crèche, il reste à l'homme la possibilité terrible de se plonger dans les ténèbres anciennes, causées par le premier péché, où l'esprit se dessèche en oeuvres de fange et de mort. A ces aveugles volontaires, devenus tels pour avoir perdu ou laissé s'affaiblir leur foi, la fête de Noël elle-même ne présente plus d'autre attrait que celui d'une fête purement humaine réduite à de pauvres sentiments simplement terrestres ; souvent toutefois on s'y attache encore avec douceur, mais comme à une enveloppe sans contenu et à une coque sans amande. Autour de la crèche rayonnante du Rédempteur il persiste donc des zones de ténèbres, et certains hommes s'en approchent les yeux fermés aux splendeurs célestes, non que le Dieu incarné n'ait, même dans le mystère, de lumière pour illuminer quiconque vient en ce monde, mais parce que beaucoup, éblouis par l'éclat éphémère des idéals et des oeuvres humaines, circonscrivent leur regard aux 'limites du créé, incapables qu'ils sont de l'élever vers le Créateur, principe, harmonie et fin de toute chose existante.



Les hommes avaient mis tous leurs espoirs dans le progrès technique.

A ces hommes des ténèbres, Nous désirons indiquer la « grande lumière » qui rayonne de la crèche, en les invitant, avant toute autre chose, à reconnaître la cause actuelle qui les rend aveugles et insensibles au divin. C'est l'estime excessive et parfois exclusive de ce qu'on appelle le « progrès technique ». Celui-ci, dont on rêvait d'abord comme d'un mythe tout-puissant et dispensateur de bonheur fut ensuite poussé avec ardeur jusqu'aux conquêtes les plus hardies, et s'est imposé à la conscience du grand nombre comme fin dernière de l'homme et de la vie, se substituant ainsi à toute espèce d'idéal religieux et spirituel. Aujourd'hui il apparaît de plus en plus clairement que son exaltation indue a aveuglé les yeux des hommes modernes, a rendu leurs oreilles sourdes au point que se vérifie en eux ce que le livre de la Sagesse stigmati-



1 D'après le texte italien des A. A. S., XXXXVI, 1954, p. 5.

2 Is., 9, 1.

3 Jean, 1, 14.



sait chez les idolâtres de son temps [38] « ils sont incapables de comprendre par le monde visible Celui qui est, et de découvrir l'ouvrier par son oeuvre » ; aujourd'hui aussi et encore davantage, pour ceux qui marchent dans les ténèbres, le monde du surnaturel et l'oeuvre de la Rédemption, qui transcende toute la nature et fut accomplie par Jésus-Christ, restent enveloppés dans une obscurité totale.



Le progrès vient de Dieu et, de soi, conduit à Dieu.

« Col., 1, 15-16.




Cependant un tel égarement ne devrait pas arriver, et Nos remontrances présentes ne doivent pas être entendues comme une réprobation du progrès technique en soi. L'Eglise aime et favorise les progrès humains. Il est indéniable que le progrès technique vient de Dieu, et donc peut et doit conduire à Dieu. Il arrive en fait très souvent que le croyant, en admirant les conquêtes de la technique, en s'en servant pour pénétrer plus profondément dans la connaissance de la création et des forces de la nature, et pour mieux les dominer grâce aux machines et aux appareils, afin qu'elles contribuent au service de l'homme et à l'enrichissement de la vie terrestre, se sente comme entraîné à adorer l'Auteur de tous ces biens qu'il admire et utilise, car il sait que le Fils éternel de Dieu est « le premier-né de toutes les créatures, puisqu'en Lui ont été faites toutes choses, au ciel et sur la terre, le visible et l'invisible »8. Bien loin donc de se sentir poussé à renier les merveilles de la technique et son utilisation légitime, le croyant s'en trouve peut-être plus prêt à plier le genou devant l'Enfant céleste de la crèche, plus conscient de sa dette de gratitude envers qui donna l'intelligence et les choses, plus disposé à faire entrer les oeuvres mêmes de la technique dans le choeur des anges qui chantent l'hymne de Bethléhem : « Gloire à Dieu au plus haut des deux [39] ». Il trouvera même naturel de placer aussi, à côté de l'or, de l'encens et de la myrrhe offerts par les Mages au Dieu enfant, les conquêtes modernes de la technique : machines et nombres, laboratoires et découvertes, puissance et ressources. Bien plus, cette offrande est comme une présentation de l'oeuvre que Lui-même commanda jadis, et qui est maintenant heureusement en cours d'exécution, bien que non encore achevée. « Peuplez la terre et soumettez-la » s, dit Dieu à l'homme en lui confiant la création comme son partage provisoire. Quelle route longue et difficile depuis ce moment jusqu'aux temps présents, où les hommes peuvent en quelque manière dire qu'ils ont accompli l'ordre divin.



technique moderne est à l'apogée de la splendeur et du rendement.

La technique en effet conduit l'homme actuel vers une perfection jamais atteinte dans la domination du monde matériel. La machine moderne permet un mode de production qui remplace et accroît énormément l'énergie humaine, qui se libère entièrement de l'emploi des forces organiques et assure à la fois un maximum de potentiel et de précision. Si l'on embrasse d'un coup d'oeil les résultats de cette évolution, on a l'impression que la nature elle-même reconnaît avec satisfaction ce que l'homme a opéré en elle et l'encourage à avancer plus loin dans la recherche et l'utilisation de ses possibilités extraordinaires. Or il est clair que toute recherche et toute découverte des forces de la nature qu'effectue la technique n'est au fond que recherche et découverte de la grandeur, de la sagesse et de l'harmonie de Dieu. La technique considérée de la sorte, qui pourrait la désapprouver et la condamner ?



lis aujourd'hui se développe « l'esprit technique ».

Cependant il paraît indéniable que cette même technique, ayant atteint en notre siècle l'apogée de la splendeur et du rendement se transforme, par des circonstances de fait, en un grave danger spirituel. Elle semble communiquer à l'homme moderne, prosterné devant son autel, un sentiment d'au-tosuffisance et de satisfaction vis-à-vis de ses désirs illimités de connaissance et de puissance. Par son utilisation multiple, par l'absolue confiance qu'elle rencontre, par les possibilités inépuisables qu'elle promet, la technique moderne déploie autour de l'homme contemporain une vision assez vaste pour



Gen., 1, 28.

être confondue par beaucoup avec l'infini lui-même. Il s'ensuit qu'on lui attribue une impossible autonomie qui, à son tour, dans l'esprit de quelques-uns, se transforme en une conception erronée de la vie et du monde, désignée sous le nom d'« esprit technique ». Mais en quoi celui-ci consiste-t-il exactement ? En ceci que l'on considère comme donnant à la vie humaine sa plus haute valeur le fait de tirer le plus grand profit des forces et des éléments de la nature ; que l'on se fixe comme but, de préférence à toutes les autres activités humaines, les méthodes techniquement possibles de production mécanique et que l'on voit en elles la perfection de la culture et du bonheur terrestre.



L'esprit technique tend à restreindre le regard de l'homme à la seule matière...

Il y a avant tout une erreur fondamentale dans cette vision faussée du monde que présente Y « esprit technique ». Le panorama, à première vue illimité, que déploie la technique aux yeux de l'homme moderne, aussi étendu soit-il, reste cependant une projection partielle de la vie sur la réalité, car il exprime uniquement les rapports de celle-ci avec la matière. C'est donc un panorama plein d'illusions qui finit par enfermer l'homme trop crédule en l'immensité et en la toute-puissance de la technique dans une prison vaste sans doute, mais circonscrite et pour autant insupportable à la longue à son esprit véritable. Son regard, au lieu de s'étendre sur la réalité infinie, qui n'est pas seulement matière, se sentira mortifié par les barrières que celle-ci lui oppose nécessairement. De là l'angoisse cachée de l'homme contemporain, devenu aveugle pour s'être volontairement entouré de ténèbres.
L'esprit technique rend aveugle pour les vérités religieuses.


Bien plus graves pour l'homme qui s'en laisse enivrer sont les dommages qui dérivent de Y « esprit technique » dans le domaine des vérités proprement religieuses et dans ses rapports avec le surnaturel. Voici encore ces ténèbres dont parle l'Evangéliste saint Jean et que le Verbe incarné de Dieu est venu dissiper : elles empêchent la compréhension spirituelle des mystères de Dieu.

Non que la technique exige par elle-même le renoncement aux valeurs religieuses en vertu de la logique — celle-ci, comme Nous l'avons dit, conduit plutôt à leur découverte — mais c'est cet « esprit technique » qui met l'homme dans une condition défavorable pour rechercher, voir, accepter les vérités et les biens surnaturels. L'intelligence qui se laisse séduire par la conception de vie qui dérive de 1'« esprit technique » reste insensible, sans intérêt, donc aveugle en face des oeuvres qui, tels les mystères de la foi chrétienne, diffèrent totalement par nature de la technique. Le remède lui-même, qui consisterait en un effort redoublé pour étendre le regard au-delà de la barrière de ténèbres et pour stimuler dans l'âme l'intérêt pour les réalités surnaturelles, est rendu inefficace dès le départ par ce même « esprit technique », puisqu'il prive les hommes du sens critique en ce qui concerne l'inquiétude singulière et la superficialité de notre temps ; défaut que ceux-là même qui approuvent vraiment et sincèrement le progrès technique, doivent hélas, reconnaître comme une de ses conséquences. Les hommes dominés par 1' « esprit technique » trouvent difficilement le calme, la sérénité et l'intériorité requis pour pouvoir reconnaître le chemin qui conduit au Fils de Dieu fait homme. Ils en arriveront à dénigrer le Créateur et son oeuvre, en déclarant que la nature humaine est une construction défectueuse si la capacité du cerveau et des autres organes humains, nécessairement limitée, empêche d'effectuer certains calculs et projets technologiques. Encore moins sont-ils aptes à comprendre et à estimer les très profonds mystères de la vie et de l'économie divines, comme par exemple le mystère de Noël, dans lequel l'union du Verbe éternel avec la nature humaine réalise de bien autres grandeurs que celles considérées par la technique. Leur pensée suit d'autres chemins et d'autres méthodes, sous l'inspiration unilatérale de cet « esprit technique » qui ne reconnaît et n'apprécie comme réalité que ce qu'il peut exprimer en rapports numériques et en calculs utilitaires. Ils croient décomposer ainsi la réalité en ses éléments, mais leur connaissance reste à la superficie et ne se meut que dans une seule direction. Il est évident que celui qui adopte la méthode technique comme unique instrument de recherche de la vérité doit renoncer à pénétrer par exemple les réalités profondes de la vie organique et encore plus celles de la vie spirituelle, les réalités vivantes de l'individu et de la société humaine, parce qu'elles ne peuvent se décomposer en rapports quantitatifs. Comment pourra-t-on demander à un esprit ainsi conformé d'accepter et d'admirer l'état si noble auquel nous a élevés Jésus-Christ par son Incarnation et sa Rédemption, sa Révélation et sa grâce ? Même en faisant abstraction de la cécité religieuse qui dérive de Y « esprit technique » l'homme qui en est esclave reste amoindri dans sa pensée, précisément en tant que par elle il est l'image de Dieu. Dieu est l'intelligence compréhensive, tandis que Y « esprit technique » fait tout pour diminuer dans l'homme la libre expansion de l'intelligence. Au technicien, maître ou disciple, qui veut échapper à cet amoindrissement, il faut souhaiter non seulement une éducation de l'esprit en profondeur, mais surtout une formation religieuse qui, contrairement à ce qu'on a parfois affirmé, est la plus apte à protéger sa pensée d'influences unilatérales. Alors l'étroitesse de sa connaissance sera brisée ; alors la création lui apparaîtra illuminée dans toutes ses dimensions, spécialement lorsqu'il s'efforcera « de comprendre quelle est la largeur, la longueur, et la hauteur, et la profondeur, et la connaissance de la charité du Christ » 9. Sinon l'ère technique achèvera son chef-d'oeuvre monstrueux et transformera l'homme en un géant du monde physique aux dépens de son esprit réduit à l'état de pygmée du monde surnaturel et éternel.



L' « esprit technique » a une influence sur l'ordre naturel de la vie des hommes modernes et sur leurs relations réciproques.

Mais l'influence du progrès technique ne s'arrête pas ici quand il est accueilli dans la conscience comme quelque chose d'autonome et comme une fin en soi. A personne n'échappe le danger d'une « conception technique de la vie », c'est-à-dire d'une manière de voir qui considère la vie exclusivement par ses valeurs techniques, comme un élément et un facteur techniques. L'influence d'une telle conception se répercute soit sur la façon de vivre des hommes modernes, soit sur leurs relations réciproques.

• Eph., Ill, 18-19.




Regardez-la un instant au travail dans le peuple où déjà elle se répand et réfléchissez en particulier à la manière dont elle a altéré le concept humain et chrétien du travail, et quelle influence elle exerce dans la législation et dans l'administration. C'est à bon droit que le peuple a accueilli favorablement le progrès technique parce qu'il allège le poids de la peine et accroît la productivité. Mais il faut bien confesser que si un tel sentiment n'est pas maintenu dans de justes limites, le concept humain et chrétien du travail en pâtit nécessairement. De même, un concept inexact de la vie et donc du travail a pour conséquence que l'on fait du temps libre une fin en soi au lieu de le regarder et de l'utiliser comme un juste soulagement et un réconfort, lié essentiellement au rythme d'une vie ordonnée, où le repos et le travail composent un seul tissu et s'intègrent en une seule harmonie. Plus visible est l'influence de 1'« esprit technique » appliqué au travail, quand on enlève au dimanche sa dignité de jour du culte divin et du repos physique et spirituel pour les individus et la famille ; il devient alors uniquement un des jours libres de la semaine, qui peuvent d'ailleurs varier pour chaque membre de la famille selon le meilleur rendement que l'on espère tirer d'une telle distribution technique de l'énergie matérielle et humaine ; un dommage analogue se produit quand le travail professionnel est tellement conditionné et assujetti au « fonctionnement » de la machine et des appareils qu'il use rapidement le travailleur, comme si une année d'exercice de la profession lui avait enlevé la force de deux ou plusieurs années de vie normale.



L'esprit technique exerce une influence sur la dignité personnelle et sur l'économie générale...

Nous renonçons à exposer plus longuement comment un tel système, inspiré exclusivement de vues techniques, provoque, contrairement à ce qu'on en attend, un gaspillage de ressources matérielles non moins que des principales sources d'énergie — parmi lesquelles il faut certes inclure l'homme lui-même — et comment par conséquent il doit, à la longue, se révéler une charge dispendieuse pour l'économie générale. Nous ne pouvons cependant manquer d'attirer l'attention sur la nouvelle forme de matérialisme que 1'« esprit technique » introduit dans la vie. Il suffira d'indiquer qu'il la vide de son contenu puisque la technique est ordonnée à l'homme et au complexe de valeurs spirituelles et matérielles qui concernent sa nature et sa dignité personnelle. Là où la technique commanderait de manière autonome, la société humaine se transformerait en une foule incolore, en quelque chose d'impersonnel et de schématique, contraire pour autant à la volonté manifeste de la nature et de son Créateur.



La technique transforme la famille.

Sans doute, de grandes parties de l'humanité n'ont pas encore été touchées par cette conception technique de la vie, mais il faut craindre que, partout où le progrès technique pénètre sans précautions, le péril des déformations que Nous avons dénoncées ne se manifeste sans retard. Et Nous pensons avec une angoisse particulière au danger qui menace la famille, qui dans la vie sociale est le plus sûr principe d'ordre, en tant qu'elle sait susciter entre ses membres d'innombrables services personnels renouvelés quotidiennement, qu'elle les lie par des liens d'affection à la maison et au foyer, et suscite en chacun d'eux l'amour de la tradition familiale dans la production et la conservation des biens d'usage. Par contre, là où pénètre « la conception technique de la vie », la famille perd le lien personnel de son unité, sa chaleur et sa stabilité. Elle ne reste unie que dans la mesure qui sera imposée par les exigences de la production en masse vers laquelle on va avec toujours plus d'ardeur. Au lieu d'être la famille oeuvre de l'amour, et refuge des âmes, elle devient selon les circonstances, un réservoir anonyme de main-d'oeuvre pour cette production, ou de consommateurs des produits matériels.



La « conception technique de la vie », est une forme particulière du matérialisme.

La « conception technique de la vie » n'est pas autre chose qu'une forme particulière du matérialisme en tant qu'il offre comme dernière réponse à la question de l'existence une formule mathématique et de calcul utilitaire. Aussi le développement technique moderne, comme s'il était conscient d'être enveloppé de ténèbres manifeste-t-il une inquiétude et une angoisse que remarquent spécialement ceux qui s'emploient à la recherche fébrile de systèmes toujours plus complexes, toujours plus hasardeux. Un monde ainsi dirigé ne peut se dire illuminé de cette lumière, ni animé de cette vie que le Verbe, splendeur de la gloire de Dieu [40] est venu communiquer aux hommes en se faisant homme.



Gravité de l'heure présente spécialement pour l'Europe.

Et voici qu'à Notre regard, toujours anxieux de découvrir à l'horizon des signes d'une éclaircie durable — sinon cette pleine lumière dont parlait le prophète — s'offre au contraire la vision grise d'une Europe encore inquiète, où le matérialisme dont Nous avons parlé exaspère, au lieu de les résoudre, ses problèmes fondamentaux, étroitement liés à la paix et à l'ordre du monde entier.

En vérité, il ne menace pas ce continent plus sérieusement que les autres régions de la terre ; Nous croyons plutôt que les peuples atteints tardivement et à l'improviste par les progrès rapides de la technique sont plus exposés aux périls en question, particulièrement ébranlés dans leur équilibre moral et psychologique ; en effet, comme l'évolution dont il s'agit ne progresse pas d'un mouvement constant, mais par sauts discontinus, elle ne rencontre de digues solides pour lui résister, la corriger et l'équilibrer, ni dans la maturité des individus, ni dans la tradition culturelle.

En vérité, les graves appréhensions que Nous inspire l'Europe ont pour motifs les déceptions incessantes où, depuis des années déjà, les désirs sincères de paix et de détente entretenus pas ces peuples vont faire naufrage, en partie à cause de l'esprit matérialiste dans lequel on pose le problème de la paix. Nous pensons en particulier à ceux qui estiment que la question de la paix est de nature technique, et qui considèrent la vie des individus et des nations sous l'aspect technique et économique. Cette conception matérialiste de la vie menace de devenir la règle de conduite d'agents affairés de la paix et la recette de leur politique pacifiste. Ils estiment que le secret de la solution consiste à donner à tous les peuples la prospérité matérielle moyennant l'augmentation constante de la productivité du travail et du niveau de vie, tout comme, voici cent ans, une formule similaire recueillait la confiance absolue des hommes d'Etat : la paix éternelle par la liberté du commerce.

Le droit chemin de la vraie paix.

Mais aucun matérialisme ne fut jamais capable d'instaurer la paix, car celle-ci est avant tout une attitude de l'esprit, et en second lieu seulement, un équilibre harmonieux de forces extérieures. C'est donc une erreur de principe que de confier la paix au matérialisme moderne, qui corrompt l'homme dans ses racines et étouffe sa vie personnelle et spirituelle. L'expérience, du reste, suggère la même défiance, car elle démontre, même de nos jours, qu'un potentiel coûteux de forces techniques et économiques, quand il est distribué plus ou moins également entre les deux partis, entraîne un apeurement mutuel. Il n'en résulterait donc qu'une paix de la peur ; non la paix qui est sécurité de l'avenir. Il faut le répéter sans se lasser, et en persuader ceux qui, dans le peuple, se laissent facilement hal-luciner par l'illusion que la paix consiste dans l'abondance des biens, alors qu'une paix sûre et stable est surtout un problème d'unité spirituelle et de dispositions morales. Elle exige, sous peine d'une catastrophe renouvelée pour l'humanité, que l'on renonce à l'autonomie trompeuse des forces matérielles, qui de nos jours, ne se distinguent pas beaucoup des armes de guerre proprement dites. Le présent état de choses ne s'améliorera pas, à moins que tous les peuples ne reconnaissent les fins communes spirituelles et morales de l'humanité, qu'ils ne s'aident à les réaliser et par conséquent ne s'entendent mutuellement pour s'opposer aux divergences dissolvantes qui régnent entre eux au sujet du niveau de vie et de productivité du travail.



L'union des peuples de l'Europe. .

Tout cela peut se faire, et il est même urgent que cela se fasse, en Europe, en réalisant l'union continentale entre ses peuples, différents certes, mais liés l'un à l'autre géographique-ment et historiquement. Cette union trouve un encouragement sérieux dans l'échec manifeste de la politique contraire et dans le fait que les peuples eux-mêmes, dans les milieux les plus humbles, en attendent la réalisation et l'estiment nécessaire et pratiquement possible. Le temps semble donc mûr pour passer de l'idée à la réalité. En conséquence Nous exhortons à l'action avant tout les hommes politiques chrétiens, auxquels il suffira de rappeler que le christianisme a toujours et de toute manière pris à tâche d'unir pacifiquement les peuples. Pourquoi hésiter encore ? La fin est claire, les besoins des peuples sont sous les yeux de tous. A qui demanderait d'avance la garantie absolue du succès, il faudrait répondre qu'il s'agit certes d'un risque, mais nécessaire ; d'un risque, mais adapté aux possibilités présentes ; d'un risque raisonnable. Il faut sans doute procéder avec prudence, avancer à pas calculés ; mais pourquoi se défier justement du niveau élevé atteint par la science et la pratique politique qui savent suffisamment prévoir les obstacles et préparer les remèdes ? Que l'heure grave où l'Europe se débat soit le principal motif d'agir ; pour l'Europe, il n'y a pas de sécurité sans risque. Celui qui exige une sécurité absolue ne montre pas sa bonne volonté envers l'Europe.



Véritable action sociale chrétienne.

Toujours en perspective de ce but, Nous exhortons aussi les hommes politiques chrétiens à l'action à l'intérieur de leur pays. Si l'ordre ne règne pas à l'intérieur des peuples, il est vain d'attendre l'union de l'Europe et la sécurité de la paix dans le monde. En un temps comme le nôtre, où les erreurs se transforment facilement en catastrophes, un homme politique chrétien ne peut pas — aujourd'hui moins que jamais — accroître les tensions sociales internes en les dramatisant, en négligeant ce qui est positif et en laissant se perdre la vision juste de ce qui est raisonnablement possible. C'est à lui qu'on demande de la ténacité dans la mise en pratique de la doctrine sociale chrétienne, de la ténacité et de la confiance, plus que n'en témoignent les adversaires au sujet de leurs erreurs. Si la doctrine sociale chrétienne, depuis plus de cent ans, s'est développée et porta ses fruits dans la pratique politique de beaucoup de peuples, — pas de tous, hélas ! — ceux qui sont arrivés trop tard n'ont aujourd'hui aucun motif de se plaindre de ce que le christianisme laisse dans le domaine social une lacune qu'il faut combler, à leur avis, par une soi-disant révolution des consciences chrétiennes. La lacune n'est pas dans le christianisme, mais dans l'esprit de ses accusateurs.

Puisqu'il en est ainsi, l'homme politique chrétien ne sert pas la paix intérieure, ni par conséquent la paix extérieure, quand il abandonne la base solide de l'expérience objective et

des principes clairs, et se transforme en propagandiste charismatique d'une nouvelle terre sociale, contribuant ainsi à augmenter la désorientation des esprits, des hésitants. Cette faute, celui-là la commet qui croit pouvoir faire des expériences sur l'ordre social et spécialement qui n'est pas décidé à faire prévaloir dans tous les groupes l'autorité légitime de l'Etat et l'observation des lois justes. Faut-il peut-être démontrer que la faiblesse de l'autorité sape la solidité d'un pays plus que toutes les autres difficultés et que la faiblesse d'un pays entraîne avec elle l'affaiblissement de l'Europe et met en péril la paix générale ?



L'autorité de l'Etat.

Il faut donc réagir contre l'opinion erronée selon laquelle la juste suprématie de l'autorité et des lois ouvre nécessairement la voie à la tyrannie. Nous-même, voici quelques années parlant de la démocratie en cette même occasion 11, Nous avons noté que dans un Etat démocratique, non moins que dans tout autre Etat, bien ordonné, l'autorité doit être vraie et effective. Sans doute la démocratie veut réaliser l'idéal de la liberté ; mais la liberté idéale est celle-là seule qui s'écarte de tout dérèglement, qui unit à la conscience de son propre droit le respect envers la liberté, la dignité et le droit des autres, et reste consciente de sa propre responsabilité envers le bien général. Naturellement, cette vraie démocratie ne peut vivre et prospérer que dans l'atmosphère de respect envers Dieu et l'observation de ses commandements, non moins que de la solidarité ou fraternité chrétienne.



Et Pie XII conclut.

De cette façon, chers fils et filles, l'oeuvre de la paix, promise aux hommes dans la splendeur de la nuit de Bethléem s'achèvera finalement grâce à la bonne volonté de chacun, mais elle commence dans la plénitude de la Vérité qui chasse les ténèbres des esprits. Tout comme dans la création, « au commencement était le Verbe », et non les choses, non leurs lois, non leur puissance et leur abondance ; ainsi, dans l'exécution de l'entreprise mystérieuse confiée par le Créateur à l'humanité, il faut mettre au début le même Verbe, sa vérité, sa charité et sa grâce, et seulement ensuite la science et la technique. Cet ordre Nous avons voulu vous l'exposer et Nous vous exhortons à le garder solidement. Nous sommes appuyé par l'histoire, et vous savez qu'elle est bonne maîtresse. Il semble cependant que, devant son enseignement ceux qui ne le comprennent pas, et sont par là enclins à tenter de nouvelles aventures, sont plus nombreux que les autres, et que ceux-ci sont sacrifiés par leur folie. Nous avons parlé au nom de ces victimes qui pleurent encore des tombes proches et lointaines et déjà doivent craindre qu'il ne s'en ouvre d'autres ; qui habitent encore parmi les ruines et voient déjà s'approcher de nouvelles destructions ; qui attendent encore des prisonniers et des disparus et craignent déjà pour leur propre liberté. Le péril est si grand que, de la crèche du Prince éternel de la paix, Nous avons dû proférer des paroles graves, même au risque de provoquer des craintes encore plus vives. Mais on peut toujours avoir confiance qu'avec la grâce de Dieu ce sera une crainte salutaire et efficace, qui conduise à l'union des peuples et renforce ainsi la paix.

Que la Mère de Dieu et des hommes, Marie Immaculée entende Nos anxiétés et Nos voeux. Cette année les peuples de la terre se prosternent d'une façon spéciale devant ses autels afin qu'entre le monde et le Trône de Dieu elle interpose sa maternelle intercession.

Avec ce souhait sur les lèvres et dans le coeur, Nous vous accordons à vous tous, chers fils et filles, à vos famillas, et spécialement aux humbles, aux pauvres, aux opprimés, aux persécutés pour leur fidélité au Christ et à son Eglise, dans l'effusion de Notre coeur, Notre paternelle Bénédiction apostolique.


Pie XII 1953 - RADIOMESSAGE A L'ACTION CATHOLIQUE ITALIENNE