Pie XII 1954 - DISCOURS LORS DE LA CANONISATION DE SAINT PIE X


vant l'invincible obscurité où gisait pour lui tout l'être, que l'attitude de l'angoisse ou de l'arrogance.

Le Saint opposa à un tel mal le seul moyen de salut possible et réel : la vérité catholique, biblique, de la foi acceptée comme « un hommage raisonnable » 6 rendu à Dieu et à sa révélation. Coordonnant ainsi foi et science, la première en tant qu'extension surnaturelle et parfois confirmation de la seconde, et la seconde comme voie d'accès à la première, il rendit au chrétien l'unité et la paix de l'esprit, conditions imprescriptibles de la vie.

Si beaucoup aujourd'hui se tournent à nouveau vers cette vérité, poussés vers elle en quelque sorte par l'impression de vide et l'angoisse de leur abandon, et s'ils ont ainsi le bonheur de pouvoir la trouver fermement possédée par l'Eglise, ils doivent en être reconnaissants à l'action clairvoyante de Pie X. C'est à lui en effet que revient le mérite d'avoir préservé la vérité de l'erreur, soit chez ceux qui jouissent de toute sa lumière, c'est-à-dire les croyants, soit chez ceux qui la cherchent sincèrement. Pour les autres, sa fermeté envers l'erreur peut encore demeurer un scandale ; en réalité, c'est un service d'une extrême charité, rendu par un Saint, en tant que Chef de l'Eglise, à toute l'humanité.

Pie X vécut uni à Dieu, principalement dans l'Eucharistie.

« Rom. XII, 1.

7 I Cor., 11, 24-26.




3. La sainteté, qui se révèle comme inspiratrice et comme guide des entreprises de Pie X que Nous venons de rappeler, brille encore plus immédiatement dans ses actions quotidiennes. C'est en lui-même d'abord qu'il réalisa, avant de le réaliser dans les autres, le programme qu'il s'était fixé : tout rassembler, tout ramener à l'unité dans le Christ. Comme humble curé, comme évêque, comme Souverain Pontife, il fut toujours persuadé que la sainteté à laquelle Dieu le destinait était la sainteté sacerdotale. Quelle sainteté peut en effet plaire davantage à Dieu de la part d'un prêtre de la Loi nouvelle, sinon celle qui convient à un représentant du Prêtre Suprême et Eternel, Jésus-Christ, Lui qui laissa à l'Eglise le souvenir continuel, le renouvellement perpétuel du sacrifice de la Croix dans la Sainte Messe, jusqu'à ce qu'il vienne pour le jugement final7 ; Lui qui par le sacrement de l'Eucharistie se donna Lui-même en nourriture aux âmes : « Qui mange de ce pain vivra éternellement » 8 ?

Prêtre avant tout dans le ministère eucharistique, voilà le portrait le plus fidèle du saint Pie X. Servir comme prêtre le mystère de l'Eucharistie et accomplir le commandement du Seigneur : « Faites ceci en mémoire de moi » 9, ce fut sa vie. Du jour de son ordination, jusqu'à sa mort comme Pontife, il ne connut pas d'autre sentier possible pour arriver à l'amour héroïque de Dieu et pour payer généreusement de retour le Rédempteur du monde qui par le moyen de l'Eucharistie « a épanché en quelque sorte les richesses de son amour divin pour les hommes » 10. Une des preuves les plus significatives de sa conscience sacerdotale fut l'ardeur avec laquelle il s'efforça de renouveler la dignité du culte et spécialement de vaincre les préjugés d'une pratique erronée, en promouvant résolument la fréquentation même quotidienne de la table du Seigneur par les fidèles, et en y conduisant sans hésiter les enfants, qu'il souleva en quelque sorte dans ses bras pour les offrir aux embrassements du Dieu caché sur les autels ; par là l'Epouse du Christ vit s'épanouir un nouveau printemps de vie eucharistique.

Grâce à la vision profonde qu'il avait de l'Eglise comme société, Pie X reconnut dans l'Eucharistie le pouvoir d'alimenter substantiellement sa vie intime et de l'élever bien haut au-dessus de toutes les autres associations humaines. L'Eucharistie seule, en qui Dieu se donne à l'homme, peut fonder une vie de société digne de ses membres, cimentée par l'amour avant de l'êtrs par l'autorité, riche en oeuvres et tendant au perfectionnement des individus, c'est-à-dire « une vie cachée en Dieu avec le Christ ».

Exemple providentiel pour le monde moderne dans lequel la société terrestre devenue toujours plus une sorte d'énigme à elle-même cherche avec anxiété une solution pour se redonner une âme ! Qu'il regarde donc comme un modèle l'Eglise réunie autour de ses autels. Là, dans le mystère eucharistique, l'homme découvre et reconnaît réellement son passé, son présent et son avenir comme une unité dans le Christ11. Conscient et fort de

Jean, 6, 58. Luc, 22, 19.

Cone. Trid. Sess. XIII, cap. 2. Cone. Trid. 1. c.

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cette solidarité avec le Christ et avec ses propres frères, chaque membre de l'une et de l'autre société, celle de la terre et celle du monde surnaturel, sera en état de puiser à l'autel la vie intérieure de dignité personnelle et de valeur personnelle, qui est actuellement sur le point d'être submergée par le caractère technique et l'organisation excessive de toute l'existence, du travail et même des loisirs. Dans l'Eglise seule, semble répéter le Saint Pontife, et par elle dans l'Eucharistie, qui est « une vie cachée avec le Christ en Dieu », se trouvent le secret et la source de rénovation de la vie sociale.

De là vient la grave responsabilité de ceux à qui il incombe en tant que ministres de l'autel, d'ouvrir aux âmes la source sal-vifique de l'Eucharistie. En vérité, l'action que peut déployer un prêtre pour le salut du monde moderne revêt de multiples formes, mais l'une d'elles est sans aucun doute la plus digne, la plus efficace et la plus durable dans ses effets : se faire dispensateur de l'Eucharistie après s'en être soi-même abondamment nourri. Son oeuvre ne serait plus sacerdotale si, fût-ce même par zèle des âmes, il faisait passer au second rang sa vocation eucharistique. Que les prêtres conforment leurs pensées à la sagesse inspirée de Pie X et orientent avec confiance dans la lumière de l'Eucharistie toute leur activité personnelle et apostolique. De même, que les religieux et les religieuses, qui vivent avec Jésus sous le même toit et se nourrissent chaque jour de sa chair, considèrent comme une règle sûre ce que le saint Pontife déclare dans une circonstance importante, à savoir que les liens qui les unissent à Dieu par le moyen des voeux et de la vie communautaire ne doivent être sacrifiés à aucun service du prochain, si légitime soit-il12.

L'âme doit plonger ses racines dans l'Eucharistie pour en tirer la sève surnaturelle de la vie intérieure, qui n'est pas seulement un bien fondamental des coeurs consacrés au Seigneur, mais aussi une nécessité pour tout chrétien, car Dieu l'appelle à faire son salut. Sans la vie intérieure, toute activité, si précieuse soit-elle, se dévalue en action presque mécanique, et ne peut avoir l'efficacité propre d'une opération vitale.

Eucharistie et vie intérieure : voici la prédication suprême et la plus générale que Pie X adresse en cette heure, du sommet de la gloire, à toutes les âmes. En tant qu'apôtre de la vie intérieure il se situe, à l'âge de la machine, de la technique, de l'organisation, comme le saint et le guide des hommes d'aujourd'hui.

Et Pie XII termine par cette prière :

Oui, ô Saint Pie X, gloire du Sacerdoce et honneur du Peuple chrétien ; — Toi en qui l'humilité parut fraterniser avec la grandeur, l'austérité avec la mansuétude, la piété simple avec la doctrine profonde ; Toi, Pontife de l'Eucharistie et du catéchisme, de la foi intègre et de la fermeté impavide ; tourne ton regard vers la Sainte Eglise, que Tu as tant aimée et à laquelle Tu as donné le meilleur des trésors que la divine Bonté, d'une main prodigue, avait déposés dans ton âme ; obtiens-lui l'intégrité et la constance au milieu des difficultés et des persécutions de notre temps ; soulève cette pauvre humanité, aux douleurs de qui Tu as tellement pris part qu'elles finirent par arrêter les battements de Ton grand coeur ; fais que la paix triomphe dans ce monde agité, la paix qui doit être harmonie entre les nations, accord fraternel et collaboration sincère entre les classes sociales, amour et charité entre les hommes, afin que de la sorte les angoisses qui épuisèrent Ta vie apostolique se transforment grâce à Ton intercession, en une réalité de bonheur, à la gloire de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui avec le Père et le Saint-Esprit vit et règne dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il !








DISCOURS A L'EPISCOPAT

(31 mai IÇ54)1

Après avoir procédé le samedi 20 mai à la canonisation de S. Pie X, et célébré le dimanche 30 mai la grand-messe en l'honneur du nouveau saint, Pie XII réunit le lundi matin, 31 mai, les quatre cent cinquante Evêques venus à Rome pour cette circonstance, et il leur dit :

« Si tu aimes... pais ». Ce qu'est le travail apostolique, sa vertu fondamentale, l'origine et la source de ses mérites, apparaît clairement dans l'admonition que le Divin Sauveur adressait à l'Apôtre saint Pierre et par laquelle commence la Messe en l'honneur d'un ou plusieurs Souverains Pontifes. Sur les traces de Jésus-Christ, Pontife et Pasteur éternel, qui a, pour notre bien, donné de grands enseignements, accompli des prodiges et beaucoup souffert, le Pape Pie X, que Nous avons eu la joie très vive d'inscrire aux fastes des Saints, accomplissant diligemment le précepte formulé par le Christ, a aimé les brebis qu'il paissait et, en les aimant, les a fait paître. Il a aimé le Christ et fait paître le troupeau du Christ : aux richesses célestes que le miséricordieux Rédempteur a apportées sur terre, il a puisé sans réserve ce qu'il a distribué généreusement à son troupeau : la nourriture de la vérité, les mystères célestes, la grâce magnifique contenue dans le sacrement et le sacrifice de la divine Eucharistie, la douceur de la charité, le souci incessant du gouvernement, la force pour défendre ; il s'est donné tout entier avec tout ce que l'Auteur et Dispensateur de tous les biens lui avait accordé.

1 D'après le texte latin des A. A. S., XXXXVI, 1054, p. 313.




Vous êtes venus à Rome, Vénérables Frères, couronne de Notre joie, pour participer à ces solennités, pour rendre avec Nous un hommage d'admiration et d'honneur à cet Evêque de

Rome dont la vie splendide a illustré l'Eglise universelle, et pour rendre des actions de grâces à Dieu qui, accordant ses dons en abondance par l'intercession de ce Pontife, répand sa miséri-orde paternelle sur ceux qu'il guide vers le salut éternel.

Pie XII tient à préciser les responsabilités pastorales des évêques.

Et maintenant que Nous Nous trouvons au milieu de vous, très chers Frères, venus si nombreux de toutes les parties du monde, Nous sommes heureux et profondément ému ; Nous, Vicaire de Jésus-Christ, « ancien » parmi des « anciens », Nous voulons d'abord renfermer brièvement dans les termes mêmes de la lettre du premier Pape et Prince des Apôtres que Nous venons de citer ce que Nous avons l'intention de vous rappeler et de vous inculquer : « Les anciens qui sont parmi vous, je les exhorte, moi, ancien comme eux, témoin des souffrances du Christ..., paissez le troupeau de Dieu qui vous est confié, le surveillant non par contrainte mais de bon gré, selon Dieu,... en devenant les modèles du troupeau » 2. Ces mots ont le même sens que ceux du Seigneur pour inciter le zèle des Pasteurs à une charité empressée : « Si tu aimes... pais ».

Mais Nous voudrions développer brièvement ce que Nous venons de laisser entendre par ce texte de saint Pierre.

La sollicitude de toutes les Eglises qui pèse sur Nos épaules et le devoir de vigilance qui Nous presse chaque jour à cause de la charge suprême dont Nous sommes revêtu, Nous incitent à considérer et à méditer certains points, idées, sentiments ou normes de vie pratique, sur lesquels Nous voulons attirer aussi votre sollicitude et votre vigilance pour que vous unissiez vos efforts aux Nôtres et procuriez ainsi plus promptement et plus efficacement le bien du troupeau du Christ. Il s'agit en effet, semble-t-il, des symptômes et des effets d'une maladie spirituelle qui réclame l'intervention des Pasteurs d'âmes pour ne point s'aggraver et s'étendre, mais recevoir à temps le remède et disparaître le plus tôt possible.

L'évêque a le pouvoir de magistère.

2 I Petr., 5, 1-3.




Il semble conforme à Notre projet d'exposer en détail ce qui, en vertu des prérogatives de votre triple fonction d'institution

divine, vous revient à vous, successeurs des Apôtres, sous l'autorité du Pontife Romain 3, c'est-à-dire le magistère, le sacerdoce et le gouvernement. Cependant, comme le temps Nous manque aujourd'hui, Nous bornerons Notre discours au premier point, laissant le reste pour une autre occasion (si Dieu Nous le permet).

Le Christ Notre-Seigneur a confié aux Apôtres et par eux à leurs successeurs la vérité qu'il a apportée du ciel ; Il a envoyé les Apôtres comme II a été envoyé Lui-même par le Père4 pour qu'ils enseignent à toutes les nations tout ce qu'ils avaient eux-mêmes appris du Seigneur5. Les Apôtres ont donc été de droit divin, établis dans l'Eglise vrais docteurs et maîtres. A côté des successeurs légitimes des Apôtres, c'est-à-dire le Pontife Romain pour l'Eglise universelle, et les Evêques pour les fidèles confiés à leurs soins 6, il n'y a pas dans l'Eglise d'autres maîtres de droit divin ; mais eux-mêmes et surtout le Maître suprême de l'Eglise et Vicaire du Christ sur la terre, peuvent faire appel pour leur fonction magistrale à des collaborateurs ou conseillers et leur déléguer le pouvoir d'enseigner, soit à titre extraordinaire soit en vertu de l'office qu'ils leur confèrent7. Ceux qui sont appelés à enseigner exercent dans l'Eglise l'office de maîtres non en leur nom propre ni au titre de leur science théologique mais en vertu de la mission qu'ils ont reçue du Magistère légitime ; leur pouvoir reste toujours soumis à celui-ci sans jamais devenir sui iuris c'est-à-dire indépendant de toute autorité. Mais les Evêques, même quand ils ont conféré une telle faculté, ne se privent jamais du pouvoir d'enseigner et ne se dispensent pas du grave devoir de veiller à l'intégrité et à la sûreté de la doctrine que proposent ceux qui les aident. Donc le magistère légitime de l'Eglise ne lèse ou n'offense aucun de ceux auxquels il a donné une mission canonique, quand il désire savoir exactement ce qu'enseignent et défendent ceux qu'il a chargés d'enseigner dans les leçons orales, dans les livres, commentaires ou revues réservés aux élèves comme aussi dans les livres ou autres écrits destinés au public. Nous n'avons pas l'intention à cette fin d'étendre à tout ceci

Cf. Can. 529.

Jean, 20,  2I.

Matth., 28, 19-20.

Cf. Can. 1326.

Cf. Can. 1328.

les normes juridiques qui concernent la censure préalable des livres puisque il existe tant d'autres façons d'obtenir des informations sûres au sujet de la doctrine des Professeurs. D'autre part cette prudence et cette circonspection du magistère légitime ne comportent aucune défiance ou suspicion — tout comme non plus la profession de foi que l'Eglise exige des professeurs et de beaucoup d'autres 8 — bien au contraire, le pouvoir d'enseigner donné à quelqu'un est un signe de confiance, d'estime et d'honneur pour celui à qui il est confié. Le Saint-Siège lui-même quand il enquête et veut savoir ce qu'on enseigne dans certains séminaires, collèges, athénées, universités sur les matières relevant de son autorité, n'obéit à aucun autre mobile qu'à la conscience du mandat du Christ et de l'obligation qu'il a devant Dieu de défendre la saine doctrine et de la conserver pure et intacte. En outre cette vigilance tend aussi à défendre et stimuler votre droit et votre devoir de nourrir le troupeau qui vous est confié par la vérité de la parole authentique du Christ.

Les evêques doivent surveiller ce que les prêtres enseignent.

8 Cf. Can. 1406, nO 7 et 8.




Ce n'est pas sans un motif grave que Nous avons voulu faire devant vous, Vénérables Frères, ces avertissements. En effet, il arrive malheureusement que certains professeurs cherchent trop peu la liaison avec le magistère vivant de l'Eglise, et se montrent trop peu attentifs, trop peu affectionnés à sa doctrine commune, clairement proposée de telle ou telle manière, tandis qu'ils suivent trop facilement leurs propres idées, qu'ils accordent trop d'importance à la mentalité moderne, aux règles d'autres disciplines qu'ils disent et qu'ils estiment être les seules conformes aux véritables méthodes et normes d'enseignement. Sans doute, l'Eglise aime et encourage au plus haut point l'étude et le progrès des sciences humaines ; elle aime et estime particulièrement les savants qui consument leur vie dans l'étude. Cependant les questions de religion et de morale, les vérités qui transcendent absolument l'ordre sensible, relèvent uniquement de l'office et de l'autorité de l'Eglise. Dans Notre Encyclique « Humani ge-neris », Nous avons décrit la tournure d'esprit de ceux dont Nous venons de parler, et Nous avons signalé que certains errements qui s'y trouvaient réprouvés avaient précisément pour



origine le fait d'avoir négligé la liaison avec le magistère vivant de l'Eglise.

Saint Pie X à maintes et maintes reprises et en termes très graves a dit dans des documents de grand poids que vous connaissez tous l'importance de cette liaison nécessaire avec l'esprit et la doctrine de l'Eglise. Benoît XV, son successeur au Souverain Pontificat, a redit la même chose. Après avoir solennellement renouvelé dans sa première Encyclique 9 la condamnation du Modernisme faite par son Prédécesseur, il définit en ces termes la mentalité des partisans de ce système : « Celui qui est animé de cet esprit rejette avec dégoût tout ce qui peut avoir l'air vieux, il est au contraire à l'affût de toute nouveauté en ce qui concerne la manière de parler des choses divines, la célébration du culte divin, les institutions catholiques et même les exercices de la piété privée 10. » Que si certains enseignants et professeurs actuels s'efforcent par tous les moyens d'apporter et d'exposer du nouveau, et non de répéter « ce qui a été transmis », s'ils ne veulent proposer que cela, qu'ils considèrent calmement ce que Benoît XV offre à leur méditation dans l'Encyclique citée : « Nous voulons que l'on respecte religieusement la maxime des anciens : Que l'on n'introduise aucune nouveauté, que l'on s'en tienne à ce qui a été transmis ; cette loi, qui ne doit assurément subir aucune infraction dans le domaine de la foi, doit cependant servir aussi de norme dans les questions susceptibles de changement ; bien que pour elles vaille aussi la plupart du temps la règle : Non du nouveau, mais une manière nouvelle » ".

De même les laïcs doivent, en matière doctrinale, demeurer soumis aux évêques.

Quant aux laïcs, il est clair que les Maîtres légitimes peuvent les appeler ou les admettre, hommes et femmes, comme auxiliaires dans la défense de la foi. Il suffit de rappeler la formation catéchétique, à laquelle s'emploient tant de milliers d'hommes et de femmes, ainsi que les autres formes de l'apostolat des laïcs. Tout cela mérite les plus grands éloges et

6 Ai beatissimi Apostolorum Principis, 1er nov. 1914. to A. A. S., 6, 1914, p. 578. 11 L. c.

peut et doit être énergiquement développé. Mais il faut que tous ces laïcs soient et demeurent sous l'autorité, la conduite et la vigilance de ceux qui ont été établis par institution divine maîtres dans l'Eglise du Christ. Il n'y a en effet dans l'Eglise, en ce qui concerne le salut des âmes, aucun magistère qui ne soit soumis à ce pouvoir et à cette vigilance.

Récemment cependant s'est fait jour ça et là et a commencé à se répandre ce qu'on appelle une théologie laïque et on a vu naître une catégorie de théologiens laïques qui se déclarent autonomes ; cette théologie tient des cours, imprime des écrits, a des cercles, des chaires, des professeurs. Ceux-ci distinguent leur magistère du magistère public de l'Eglise et l'opposent en quelque manière au sien ; parfois pour autoriser leur façon d'agir ils en appellent à des charismes d'enseignement et d'interprétation dont plus d'une fois le Nouveau Testament, spécialement les Epîtres de saint Paul, fait mention 12 ; ils en appellent à l'histoire qui depuis les débuts du christianisme jusqu'à ce jour, présente tant de noms de laïcs qui de vive voix et par écrit enseignèrent la vérité du Christ pour le bien des âmes sans y être appelés par les Evêques, sans avoir reçu ou demandé la permission du magistère, mais mus par une impulsion intérieure et par leur zèle apostolique. Il faut cependant retenir en sens opposé qu'il n'y eut jamais, qu'il n'y a pas, et qu'il n'y aura jamais dans l'Eglise de magistère légitime des laïcs soustrait par Dieu à l'autorité, à la conduite et à la vigilance du Magistère sacré ; bien plus, le refus même de se soumettre fournit un argument convaincant et un critère sûr : les laïcs qui parlent et agissent de la sorte ne sont pas conduits par l'Esprit de Dieu et du Christ. Tout le monde voit également quel danger de désordre et d'erreur renferme cette « théologie laïque » ; le danger aussi que ne se mettent à instruire les autres, de ces hommes tout à fait incapables et même trompeurs et perfides, dont saint Paul écrit : « Un temps viendra où les hommes au gré de leurs passions et l'oreille les démangeant, se donneront une foule de maîtres, et se détourneront de la vérité pour se tourner vers les fables » 13.

Nous ne voudrions certes pas que cet avertissement écarte d'une étude plus profonde de la doctrine chrétienne et du dé-



Par ex. Rom., 12, 6-7 ; I Cor., 12, 28-30. 2 Tim., 4, 3-4.

sir de la répandre dans le public ceux qui se sentent animés d'un si noble zèle, quel que soit leur rang et leur milieu.

Employez-vous, Vénérables Frères, avec une sagacité toujours plus grande, comme le réclament à la fois la charge et l'honneur de votre fonction, à pénétrer toujours davantage la sublimité et la profondeur de la vérité surnaturelle, vers laquelle de droit vous guidez les hommes, à présenter avec soin, avec ardeur et éloquence, les vérités de la religion aux gens dont les pensées et les sentiments se trouvent actuellement menacés de terrible façon par les ténèbres de l'erreur, afin qu'un repentir salutaire et un amour purifié ramènent finalement les hommes à Dieu : « s'écarter de Lui, c'est tomber ; se retourner vers Lui, c'est se relever ; demeurer en Lui, c'est être fort... revenir à Lui c'est ressusciter ; habiter en Lui, c'est vivre »14.

C'est pour le succès de cette oeuvre que Nous invoquons sur vous l'aide du ciel, et pour que cette aide vous soit abondamment départie, Nous vous accordons de grand coeur, à vous-mêmes et aux fidèles qui vous sont confiés, la Bénédiction apostolique.


ENCYCLIQUE ECCLESIAE FASTOS A L'OCCASION DU XIIS CENTENAIRE DE LA MORT DE SAINT BONIFACE

(5 juin 1954)1


La lettre suivante fut envoyée à l'épiscopat d'Angleterre, d'Allemagne, d'Autriche, de France, de Belgique et de Hollande, c'est-à-dire aux pays évangélisés par saint Boniface 2
Le Pape rappelle d'abord qu'il est louable de glorifier les saints.


Il est souverainement convenable et opportun non seulement de rappeler à la mémoire mais aussi de commémorer par des cérémonies lesi fastes de l'Eglise, car ils montrent que dans la société fondée par Jésus-Christ il n'y eut jamais de siècle stérile en sainteté ; de plus, si les beaux exemples de vertus qui brillent dans ces fastes sont convenablement proposés aux fidèles, les esprits s'en trouvent naturellement enflammés et vivement incités à les imiter selon leurs forces.

Il y a d'excellentes raisons de commémorer la mort de saint Boniface.

C'est pourquoi Nous avons accueilli avec un vif plaisir la nouvelle que l'événement douze fois séculaire du martyre de Saint Boniface et de son passage dans la céleste patrie serait cette année commémoré par de joyeuses manifestations et par des prières publiques, surtout dans les pays qui ont une raison particulière de manifester leur reconnaissance à ce glorieux membre de l'Ordre Bénédictin.

Mais si vos pays ont des raisons de vénérer ce très saint personnage et de rappeler en cette heureuse circonstance son action excellente, le Siège Apostolique en a bien davantage, Lui qui par trois fois le vit, après un long et rude voyage, pénétrer pieusement à Rome en pèlerin, s'agenouiller avec respect devant la tombe du Prince des Apôtres et, en fils très obéissant de Nos Prédécesseurs, solliciter un ordre apostolique lui permettant, selon son ardent désir, de porter aux nations lointaines et barbares le nom du Divin Rédempteur et la civilisation chrétienne et profane.

De race anglo-saxonne, il ressentit vivement dès sa jeunesse l'appel d'en haut qui le poussait à abandonner son patrimoine et les plaisirs du monde pour se renfermer dans le sûr enclos d'un monastère, afin de pouvoir plus facilement se livrer à la contemplation et vivre en pleine conformité avec les préceptes évangéliques. Là il fit de grands progrès non seulement dans les lettres et les sciences sacrées mais aussi dans les vertus chrétiennes, si bien qu'il fut élu abbé de son monastère. Cependant, comme il était fait pour de plus vastes entreprises, il désirait depuis longtemps se rendre dans des régions étrangères et chez des peuples barbares pour les éclairer de la lumière de l'Evangile et les pénétrer de la loi chrétienne. Rien ne pouvait l'arrêter, rien ne pouvait l'empêcher : ni la séparation d'une patrie très chère, ni les voyages longs et difficiles, ni enfin les dangers de tout genre qui pouvaient lui survenir de la part de peuples inconnus. Il y avait dans son âme d'apôtre quelque chose de si actif, de si ardent, de si vigoureux qu'il ne pouvait aucunement être retenu par des conseils humains, ni par des liens humains.

Le Pape retrace l'histoire de la vocation du saint.

Il est vraiment admirable de voir l'Angleterre, que cent ans environ auparavant Notre Prédécesseur d'immortelle mémoire, Grégoire le Grand, par l'envoi d'une vaillante troupe de la famille bénédictine, à laquelle commandait saint Augustin, avait ramenée à la religion chrétienne après tant de vicissitudes, il est vraiment admirable, disons-Nous, de la voir dès cette époque manifester une foi si ferme et une charité si ardente que, telle un fleuve débordant qui arrose les terres voisines et les rend plus fécondes, elle envoyait spontanément un bon nombre de ses excellents sujets aux nations étrangères pour les gagner à Jésus-Christ et les attacher étroitement à Son Vicaire sur la terre, lui témoignant ainsi en quelque sorte sa reconnaissance pour les bienfaits reçus de lui, la religion catholique, la civilisation, la culture chrétienne.

Le plus éminent d'entre eux par son ardeur apostolique, son courage et sa douceur, est sans aucun doute Wynfrid, que le Pape saint Grégoire II appela plus tard Boniface. Avec un groupe de compagnons, peu nombreux à la vérité mais d'une vertu remarquable, il entreprit l'oeuvre évangélique à laquelle il tendait depuis longtemps déjà ; c'est pourquoi, quittant l'Angleterre, il débarqua sur la côte frisonne. A vrai dire, comme le chef qui régnait sur cette région était vivement opposé à la religion chrétienne, les efforts de saint Boniface et de ses compagnons furent vains, si bien qu'après des fatigues et des tentatives inutiles il fut obligé de, rentrer avec ses compagnons dans sa patrie.

Toutefois il ne perdit pas courage, et peu de temps après il voulut se rendrei à Rome au Siège Apostolique et demander humblement au Vicaire de Jésus-Christ une sainte mission afin d'en être fortifié et de pouvoir avec l'aide de la grâce arriver au but difficile qu'il désirait si vivement atteindre. Aussi, après « qu'il eut heureusement franchi le seuil du bienheureux Apôtre Pierre » J et qu'il eut vénéré avec très grande piété la tombe du prince des Apôtres, il sollicita humblement d'être admis en la présence de Notre Prédécesseur de sainte mémoire Grégoire II.

Il fut reçu volontiers par le Pontife, à qui « il raconta tout au long la raison de son voyage et de sa venue, et dans quel but ardemment désiré il s'était donné tant de peines. Alors le saint Pape le fixant soudain avec un air joyeux et un regard souriant » \ l'encouragea à se donner avec confiance à cette louable entreprise ; et il le munit pour cela de lettres apostoliques et de l'autorité apostolique.

L'activité de saint Boniface est résumée comme suit :

Il lui sembla que la mission reçue du Vicaire de Jésus-Christ lui obtiendrait assurément les secours célestes grâce auxquels il triompherait des hommes et des choses, aborderait et poursuivrait dans de meilleures conditions et de manière plus fructueuse l'entreprise depuis si longtemps désirée. L'ouvrier apostolique parcourut diverses régions de la Germanie et de la Frise : là où il n'y avait aucune trace de la doctrine chrétienne, mais où tout était pure sauvagerie, il sema à pleines mains le bon grain de l'Evangile et le; fit germer au prix de son travail et de ses fatigues ; dans les endroits où les communautés chrétiennes privées de leurs pasteurs légitimes se trouvaient négligées et dans une misérable inertie, dans les lieux où des prêtres corrompus ou ignorants entraînaient les chrétiens loin de la vraie foi et des bonnes moeurs, il se montra prudent et vigoureux réformateur de la vie privée et publique, travailleur industrieux et infatigable, suscitateur et rénovateur très ardent de toutes les vertus.

L'activité si heureuse de Boniface fut rapportée à Notre même Prédécesseur qui l'appela à Rome et malgré sa modestie « lui fit savoir... qu'il voulait lui imposer la dignité épiscopale, pour que son autorité s'en trouvât augmentée, pour qu'il pût ainsi avec plus de force corriger les égarés et les ramener à la vérité, pour que sa prédication fût d'autant mieux reçue que ce but de son ordination par le Pape apparaîtrait plus clairement » 5.

C'est pourquoi, consacré par le Pape « Evêque régional » il retourne revêtu de cette nouvelle autorité vers les très vastes territoires qui lui sont confiés, pour reprendre avec plus d'ardeur ses travaux apostoliques.

Sa vertu éminente et son zèle si ardent à étendre le Règne de Jésus-Christ le rendirent également cher à ce Pontife et à ses successeurs ; à Grégoire III, qui, à cause de ses mérites, le nomma Archevêque et lui accorda le pallium, en lui donnant le pouvoir d'établir ou de modifier la Hiérarchie en ces régions et de consacrer de nouveaux Evêques « pour l'instruction de la nation allemande » 0 ; à saint Zacharie, qui, par des lettres très affectueuses le confirma dans sa charge et lui décerna les louanges les plus flatteuses 7 ; à Etienne III enfin, auquel peu après qu'il eut été élu au Souverain Pontificat, Boniface,





Vita S. Bonifatii, auctore Otloho, ed. Levinson, lib. I, p. 127. S. Bonifatii Epistolae, ed. Tangí (Berolini 1916), epist. 28, p. 49. Ibid., Epist. 51, 57. 58, 60, 68, 77- 80, 86, 87, 89.



dont la vie mortelle approchait de sa fin, adressa une lettre très respectueuse \

Fort de l'autorité et de la bienveillance de ces Papes, pendant tout le cours de sa charge, Boniface animé d'une ardeur chaque jour plus grande, parcourut d'immenses régions encore enveloppées dans les ténèbres de l'erreur. Il les éclaira de la lumière de l'Evangile et par son activité inlassable il fit briller sur elles une ère nouvelle de civilisation humaine et chrétienne. La Frise, la Saxe, l'Austra-sie, la Thuringe, la Franconie, la Hesse, la Bavière virent passer cet infatigable semeur de la parole divine et reçurent de lui la vie nouvelle qui vient de Jésus-Christ et grandit avec sa grâce. Il souhaitait même vivement arriver jusqu'à « l'ancien pays des Saxons » ' d'où venaient, pensait-il, ses ancêtres, mais il ne put réaliser ces désirs.

Son zèle obtint des résultats.

S. Bonifatii Epístola:, éd. Tangl (Berolini 1916), Epist. 108, pp. 233-234. S. Bonifatii Epistoloe, éd. Tangl (Berolini 1916), Epis. 73, p. 150.




Pour commencer, poursuivre et achever ce grand travail il supplia que des Monastères Bénédictins de son pays, alors florissants de science, de foi et de charité, on lui envoyât des compagnons et des compagnes, et parmi ces religieuses, Lioba se fit remarquer par la perfection évangélique de sa vie. Ils vinrent volontiers et lui furent d'un secours précieux. Il se trouva aussi dans les pays mêmes qu'il avait parcourus des fidèles qui, après avoir connu la lumière de l'Evangile, embrassèrent le christianisme avec tant d'ardeur qu'ils s'efforcèrent d'en faire part à leur tour à tous ceux qu'ils pouvaient atteindre. C'est pourquoi, comme Nous l'avons dit, lorsqu'appuyé sur l'autorité des Pontifes Romains, « saint Boniface se mit, comme un nouvel archimandrite, à planter les oeuvres de

Dieu, à arracher celles du diable, à construire des monastères et des églises et à mettre à leur tête des pasteurs pleins de prudence 10 », l'état de ces régions changea petit à petit. On pouvait voir des foules d'hommes et de femmes accourir aux prédications de cet homme apostolique, se transformer à sa parole, abandonner leurs antiques superstitions, s'enflammer d'amour pour le Divin Rédempteur, conformer leurs moeurs jusque-là grossières et corrompues à sa doctrine de douceur, recevoir le baptême et commencer une vie entièrement nouvelle. Alors on construisit des monastères d'hommes et de femmes qui furent non seulement des centres religieux mais aussi des écoles profanes pour la culture littéraire et les sciences les plus relevées. Là, en créant des clairières au milieu de forêts infranchissables, inexplorées et ténébreuses, ou même en les abattant et en les supprimant, de nouveaux champs furent mis en culture pour le bien général, de nouvelles maisons se dressèrent çà et là, qui au cours des siècles deviendraient de grandes villes.

La Nation indomptée des Germains qui dans son amour de la liberté n'aurait jamais voulu être soumise à personne, que les armes toutes puissantes des Romains n'avaient pas effrayée et qui n'était jamais passée de façon stable sous leur domination, est parcourue d'un bout à l'autre par ces prédicateurs sans armes ; elle en vient à leur obéir et à courber devant eux son front sauvage ; elle est pénétrée, transformée, charmée par la beauté et la droiture de la nouvelle doctrine, si bien qu'elle finit par se soumettre volontairement au joug très doux de Jésus-Christ.

L'action de saint Boniface a sans aucun doute fait luire un âge nouveau pour les Germains, nouveau non seulement en ce qui concerne la religion chrétienne mais aussi

Vita S. Bonifatii, auctore Otloho, ed. Levison, lib. I, p. 157.

pour la civilisation. C'est pourquoi ils doivent le considérer et le commémorer comme leur père, lui garder leur reconnaissance et marcher activement sur la trace de ses éminentes vertus. « Dieu tout-puissant n'est pas le seul à être dit Père des esprits, mais le sont également tous ceux dont la doctrine et les exemples nous font connaître la vérité, nous affermissent dans la religion... C'est ainsi que le saint Evêque Boniface peut être dit le père de tous les habitants de la Germanie, du fait qu'il les a, à l'origine, enfantés au christianisme par sa prédication et fortifiés par ses exemples ; et parce qu'il a finalement donné sa vie pour eux, charité la plus grande que l'on puisse témoigner » 11.

Le monastère de Fulda a eu un grand rayonnement à travers l'histoire.

Parmi les divers monastères qu'il fit construire en grand nombre dans ces régions, le principal est sans aucun doute celui de Fulda, qui apparut comme un phare dont la lumière indique la route aux navires à travers les flots. Là en effet fut établie comme une nouvelle cité de Dieu dans laquelle d'innombrables moines, se succédant les uns aux autres, sont formés avec soin aux sciences humaines et divines, dans laquelle ils se préparent dans la prière et la contemplation aux pacifiques combats qui les attendent ; de laquelle enfin, comme les essaims d'abeilles, après avoir puisé dans les livres sacrés et profanes le miel exquis de la sagesse, ils partent pour diverses régions, afin de le distribuer généreusement aux autres. Aucune sorte de science ou de connaissance n'y fut ignorée. Les anciens manuscrits furent recherchés avec ardeur, diligemment transcrits et enluminés, expliqués enfin avec le plus grand soin ; si bien que l'on peut à bon droit affirmer que les sciences profanes et sacrées, par lesquelles l'Allemagne d'aujourd'hui se fait à tel point remarquer, ont eu là leur berceau vénérable.

En outre, de ces maisons partirent d'innombrables Bénédictins qui par la croix et la charrue, c'est-à-dire par leur prière et leur travail, ont porté la lumière et la civilisation humaine et chrétienne aux terres qui demeuraient encore dans les ténèbres. Grâce à ce long et infatigable travail, les forêts, immenses repaires de bêtes sauvages presque impraticables aux hommes, furent transformées en champs féconds et les tribus que séparaient leurs moeurs grossières et farouches devinrent au cours des temps un seul peuple civilisé par la douceur et la force de l'Evangile et remarquable par ses qualités civiles et chrétiennes.

Mais le monastère de Fulda fut avant tout une maison de prière et de contemplation ; là, avant d'entreprendre la tâche très difficile de prédicateurs de l'Evangile, les moines s'efforçaient dans la prière, la pénitence et le travail d'atteindre à la sainteté. Et Boniface lui-même, toutes les fois qu'il pouvait s'arracher quelque temps aux labeurs de l'apostolat et se reposer un peu, s'y retirait très volontiers pour se refaire spirituellement dans une prière prolongée. « Il y a dans les forêts — ainsi écrivait-il à Notre Prédécesseur, saint Zacharie — un lieu désert et très étendu, situé au milieu des peuples que nous évangé-lisons, dans lequel nous avons édifié un monastère soumis à la Règle de saint Benoît, où vivent des moines astreints à s'abstenir de viande et de vin, de bière et de serviteurs, contents du travail de leurs mains... Là, avec la permission de votre bonté, je me propose de donner à mon corps fatigué par la vieillesse quelques jours de relâche pour reprendre des forces, puis d'y reposer après ma mort. Les quatre peuples auxquels par la grâce de Dieu nous avons dit la parole du Christ, habitent en effet aux alentours de ce lieu, et, grâce à votre intercession, je puis leur être utile tant que j'aurai vie et sens, et je désire, avec vos prières et le secours de la grâce de Dieu, persévérer dans l'appartenance à l'Eglise Romaine et dans l'obéissance à votre service parmi les peuples germaniques auxquels j'ai été envoyé 12. »

C'est principalement dans le silence de ce monastère qu il puisa en Dieu la force de repartir avec courage vers de nouvelles luttes et qu'il put conduire au bercail de Jésus-Christ tant de peuples Germains, ou les fortifier après les y avoir ramenés, et souvent même les pousser à la perfection évangélique.

L'apostolat de saint Boniface déborda les frontières de la Germanie.

Mais si Boniface fut d'une manière tout à fait particulière l'Apôtre de la Germanie, son ardeur à étendre le royaume de Dieu qui était si véhémente, ne s'arrêtait pas aux limites de cette nation. L'Eglise de Gaule, elle aussi, qui dès l'âge apostolique avait embrassé avec tant de générosité la foi catholique et l'avait consacrée par le sang de martyrs presque innombrables, et qui, même après l'établissement de la domination franque, avait écrit de l'histoire du nom chrétien des pages dignes de la plus haute louange, avait à cette époque le plus grand besoin de réformer ses moeurs et de restaurer la vie chrétienne. Un bon nombre de diocèses étaient privés de leur Evêque ou étaient confiés à un Pasteur indigne ; dans certains endroits des superstitions de tout genre, des hérésies, des schismes troublaient de nombreux esprits ; les Conciles qui auraient été absolument nécessaires pour assurer l'intégrité de la religion et la restauration des moeurs publiques et privées au milieu de la négligence générale n'étaient plus tenus depuis longtemps ; bien souvent les prêtres n'étaient pas à la hauteur de leur charge et il n'était pas rare de trouver le peuple dans la plus grande ignorance et même dans la corruption. La nouvelle de ce triste état de choses était parvenue aux oreilles de saint Boniface, et dès qu'il se rendit compte que l'illustre Eglise des Francs était en péril, il s'employa de toutes ses forces à y porter un remède radical.

Cette fois encore, au milieu des plus grandes difficultés il sentit le besoin de l'appui du Siège Apostolique 1 ; il le reçut avec le titre de Légat du Pontife Romain 14 et pendant près de cinq ans il travailla avec une application inlassable et une très grande prudence à rendre à l'Eglise des Francs son ancienne beauté. « ...Alors, avec l'aide de Dieu et sur les suggestions de l'Archevêque saint Boniface la tradition chrétienne fut restaurée, les institutions synodales des anciens Evêques orthodoxes furent rétablies et toutes choses furent corrigées et punies selon le droit canon 15. » A l'instigation et par les soins de S. Boniface quatre Conciles furent tenus dans ce but16, dont le dernier fut un Concile général de tout le Royaume Franc ; la Hiérarchie ecclésiastique fut rétablie ; des Evêques dignes de ce nom et de cette charge furent choisis et envoyés dans leurs sièges ; la discipline du clergé fut restaurée et réformée autant qu'on le put ; l'autorité des canons ecclésiastiques assurée, les moeurs du peuple chrétien activement corrigées, les superstitions prohibées ", les hérésies réprouvées et condamnées *\ les schismes enfin heureusement réduits. Alors, à la plus grande joie de saint

Ibid. Epist. 41, p. 66. Ibid. Epist. 61, pp. 125-126.

Vita S. Bonifatii, auctore Willibaldo, ed. Levison, p. 40.

Sirmond, Concilia antiqua Calliae (Parisiis 1629), t. I, p. 511 et sq.

S. Bonifatii Epist., ed. Tangí, epist. 28, pp. 49"5*-

Ibid., Epist. 57, pp. 104-105 ; et epist. 59, p. 109.

Boniface et de tous les gens de bien, on vit l'Eglise des Francs briller d'une nouvelle splendeur, les vices furent supprimés ou du moins diminués, les vertus chrétiennes en honneur et l'union nécessaire avec le Pontife romain fortifiée par des liens plus étroits et plus solides. En effet les Pères du Concile général des Francs envoyèrent à Rome au Souverain Pontife les actes qu'ils avaient solennellement ratifiés comme un document très éloquent de leur foi catholique et de celle de leurs ouailles, pour qu'il fût déposé sur la tombe du Prince des Apôtres en témoignage de vénération, de piété et d'unité 19.

voulut encore tenter une campagne apostolique chez les Frisons.

Ayant donc, sous l'inspiration et avec l'aide de Dieu, achevé encore cette grave mission, Boniface ne s'abandonna pas à un repos bien mérité, mais quoiqu'il fût très accablé par la multitude des soucis et qu'il se rendît compte qu'il était arrivé à son déclin et sentît ses forces presque brisées après tant de travaux, il se prépara néanmoins avec courage à une nouvelle entreprise non moins ardue. De nouveau il tourna son attention vers la Frise, qui avait été le premier but de son voyage apostolique et dans laquelle il avait par la suite tellement travaillé. Cette nation, surtout dans sa partie nord, demeurait encore dans les ténèbres du paganisme ; il s'y rendit donc avec une ardeur juvénile pour y engendrer de nouveaux fils à Jésus-Christ et porter à de nouveaux peuples la civilisation profane et chrétienne. Il désirait vivement en effet « que là où il avait commencé à recueillir les premiers fruits de sa prédication, il reçut encore au sortir de la vie la récompense de ses travaux » 20. Et se sentant près de sa fin, il

5. Bonifatii Epist., ed. Tangí, epist. 78, p. 163.

Vita S. Bonifatii, auctore Willibaldo, ed. Levison, p. 46.

l'annonça en ces termes à l'Evêque Lull son disciple bien-aimé, assurant en même temps qu'il ne voulait pas attendre la mort dans l'oisiveté : « Je désire poursuivre mon chemin jusqu'au bout ; je ne pourrai renoncer au projet de ce voyage désiré. Le jour de mon départ de ce monde approche et sortant de la prison de ce corps je me tournerai vers le trophée de la récompense éternelle. Mais toi, mon fils bien-aimé... insiste avec vigueur pour ramener de l'erreur le peuple fourvoyé et achève la construction de la basilique déjà commencée à Fulda, et conduis là mon vieux corps chargé d'années » 11.

Puis s'étant non sans larmes éloigné des siens avec un petit groupe de compagnons, « poussant à travers toute la Frise, il abolissait les rites païens, supprimait les moeurs dépravées, prêchait avec force, détruisait les temples des idoles et construisait avec ardeur des églises. Puis il baptisa des milliers d'hommes, de femmes et même d'enfants » 22. Toutefois, comme il avait atteint le nord de la Frise et s'apprêtait à conférer le sacrement de confirmation à une multitude de néophytes déjà baptisés, soudain une troupe furieuse de païens fondit sur eux et, brandissant de façon effrayante leurs lances et leurs glaives, les menacèrent de mort. Alors le S. Evêque, s'avançant avec calme, « interdit à ses fidèles de combattre : cessez de vous battre, mes enfants, mettez fin à cette bataille car la Sainte Ecriture vous apprend en vérité à ne pas rendre le mal pour le mal, mais le bien pour les maux. Voici le jour désiré depuis longtemps et le moment souhaité de notre délivrance. Prenez courage dans le Seigneur... n'ayez pas peur de ceux qui tuent le corps, parce qu'ils ne peuvent détruire l'âme immortelle ; mais réjouissez-vous dans le Seigneur et mettez en Dieu votre espérance,

lbid. e. 1. lbid., p. 47.

car il vous donnera immédiatement la récompense perpétuelle et vous accordera de siéger avec les anges dans la cour céleste » 2\ Incités par ces paroles à conquérir la palme du martyre, tous se mirent en prière et dirigeant leur coeur et leurs yeux vers le ciel, où ils avaient confiance de recevoir bientôt la récompense éternelle, ils subirent l'attaque des ennemis, et ceux-ci les mirent à mort et firent « un heureux massacre de saints » 24. Il arriva que Boniface au moment même de son martyre, « comme il allait être frappé du glaive, se couvrit la tête des Saints Evangiles pour recevoir le coup du bourreau et se protéger dans la mort par le livre dont la lecture avait fait ses délices pendant sa vie » 25.

Saint Boniface peut donc à juste titre être considéré comme le père dans la foi, de nombreux peuples.

Telle fut la glorieuse mort, gage certain de la béatitude éternelle, par laquelle saint Boniface acheva le cours d'une vie, qui fut tout entière consacrée à la gloire de Dieu, à son propre salut et à celui des autres. Les saintes dépouilles après bien des vicissitudes « furent conduites au lieu qu'il avait fixé de son vivant » 28 c'est-à-dire au monastère de Fulda où ses disciples au chant des psaumes et au milieu des larmes l'enterrèrent dignement. Des multitudes presques infinies se sont tournées et se tournent encore aujourd'hui avec respect vers ce tombeau ; tous en effet considèrent saint Boniface comme celui qui a engendré à la foi leurs aïeux, qui leur a apporté la culture chrétienne et profane et qui leur parle encore en quelque sorte ;

oui, il parle par l'intensité de sa charité et de sa piété, par l'ardeur infatigable de son apostolat jusqu'à la mort, par cette mort même embellie de la palme du martyre.

A peine eut-il volé de cette vie mortelle au ciel que tous commencèrent à exalter sa sainteté et à le vénérer en privé et en public. La réputation de sa sainteté se répandit si rapidement qu'en Angleterre, peu après la mort de saint Boniface, Cuthbert, Archevêque de Cantorbéry, écrivant à son sujet, portait sur lui ce témoignage : « Nous nous plaisons à le considérer et à le vénérer comme un des plus remarquables et un des meilleurs docteurs de la foi orthodoxe. C'est pourquoi dans notre synode général... nous avons décidé d'introduire sa fête et celle de ses compagnons de martyre et de la célébrer solennellement chaque année 27. » Ce que firent également, dès le début, avec le même empressement les peuples de Germanie, de Gaule et d'autres nations 28.

C'est la charité qui a mû le grand apôtre.

Quelle fut donc, Vénérables Frères, la source à laquelle saint Boniface puisa son infatigable énergie et l'invincible force d'âme grâce auxquelles il put affronter tant de difficultés, s'imposer tant de travaux, surmonter tant de périls, combattre jusqu'à la mort pour l'extension du règne de Jésus-Christ et conquérir la palme du martyre ? Ce fut la grâce divine sans aucun doute, elle qu'il implorait par une prière humble, assidue, ardente. Il était si fortement poussé par l'amour de Dieu qu'il ne désirait rien sinon de s'unir à Lui par des liens chaque jour plus étroits, de s'entretenir avec Lui le plus longtemps possible, de porter sa gloire même parmi des nations inconnues et de



23






Vita 5. Bonifatii, auctore Willibaldo, ed. Levison, pp. 49-50.

24 Ibid., p. 50, et Vita S. Bonifatii, auctore Otloho, ed. Levison, lib. II, p. 210.

25 Vi'fo S. Bonifatii, auctore Radbodo, ed. Levison, p. 73.

26 Vita S. Bonifatii, auctore Willibaldo, ed. Levison, p. 54.



réduire à son respect, à son service et à son amour le plus d'hommes possible. Il pouvait soupirer ce mot de l'Apôtre des nations, qu'on lui applique d'ailleurs à juste titre : « La charité du Christ nous presse » 2": et cet autre : « Qui donc nous séparera de l'amour du Christ ? Tribu-lation ? angoisse ? faim ? nudité ? danger ? persécution ? glaive ? ... Je suis certain en effet que ni mort, ni vie... ni présent, ni avenir, ni hauteur, ni profondeur, ni rien d'autre de créé ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus Notre-Seigneur 30. »

Toutes les fois que cette divine charité pénètre complètement les coeurs des hommes, les modèle et les stimule, ils peuvent emprunter la phrase de saint Paul « je puis tout en Celui qui me fortifie » 31 ; et l'histoire de l'Eglise enseigne que rien alors, absolument rien, ne peut s'opposer à leurs efforts ni arrêter leurs travaux. Alors se renouvelle de façon merveilleuse ce qui arriva au temps des Apôtres : « leur voix s'est répandue par toute la terre, et leurs paroles aux extrémités de l'univers » 32. L'Evangile de Jésus-Christ trouve en eux de nouveaux propagateurs, et la force surnaturelle qui les anime fait que rien ne peut les retenir sinon les liens dont on les enchaînerait, comme nous le voyons encore aujourd'hui avec grande tristesse ; rien ne peut les arrêter sinon la mort, mais cette mort, rendue glorieuse par la palme du martyre, touche toujours les multitudes et suscite sans cesse de nouveaux disciples du Christ, comme il arriva au temps de saint Boniface.

II avait un intense esprit de prière.

Combien cet homme apostolique avait confiance dans la grâce divine qu'il cherchait à obtenir en l'implorant dans la prière pour faire porter des fruits abondants à ses entreprises, on le voit clairement dans sa correspondance où il demande humblement et instamment au Pontife Romain " et à ses amis les plus saints, aux Religieuses dont il avait fondé les monastères ou qu'il désirait par ses sages conseils conduire à la perfection évangélique, de vouloir bien lui obtenir par leurs prières les faveurs et les secours du ciel. Nous aimons par exemple à rapporter ce qu'il écrit « aux très chères et vénérées Soeurs Leobgitha et Thècle, ainsi qu'à Cynéhilde » : « je vous prie et vous commande, comme à des filles très chères, de prier souvent le Seigneur, et nous avons confiance que vous le faites sans cesse, comme vous l'avez déjà fait et le ferez encore. Et sachez que nous louons Dieu et que les tribulations de notre coeur se sont accrues pour obtenir que le Seigneur Dieu, qui est le refuge des pauvres et l'espérance des humbles, nous arrache à notre indigence et aux tentations de ce monde mauvais, pour que la parole de Dieu se répande et que le glorieux Evangile du Christ soit honoré, pour que la grâce de Dieu ne demeure pas inerte en moi. Et parce que je suis le dernier et le plus mauvais de tous les ambassadeurs que l'Eglise Romaine catholique et apostolique a envoyés prêcher l'Evangile, priez pour que je ne meure pas absolument stérile sans avoir fait rapporter aucun fruit à l'Evangile 3\ »





" II Cor. V, 14.

«o Rom. VIII, 35, 38, 39.

•1 Phil. IV, 13.

» Ps. XVIII, 5 ; Rom. X, 18.



Il voulut toujours rester fortement uni au Siège de Rome.

Ces paroles mettent en pleine lumière à la fois son zèle à étendre le Règne du Christ, zèle qu'il veut fortifier

89 S. Bonifatii Episf., ed. Tangí, epist. 86, pp. 1S9-191. '* Ibid, epist. 67, pp. 139-140.








par ses instantes prières et celles de ses amis, son humilité chrétienne et son étroite union avec l'Eglise Romaine apostolique. Cette union empressée il la conserva avec soin et activement pendant tout le cours de sa vie, si bien qu'on peut dire en vérité que ce fut en quelque sorte le soutien et le solide fondement de sa mission apostolique.

Bien que Nous ayons déjà touché ce point quand Nous avons traité de ses voyages au tombeau de saint Pierre et au Siège du Vicaire de Jésus-Christ, Nous aimons cependant le développer ici davantage pour que l'on voie mieux sa volonté d'obéir à Nos Prédécesseurs et que soit mis également en lumière le profond amour des Pontifes Romains pour lui.

C'est ainsi que lorsqu'il gagna pour la première fois la ville de Rome pour recevoir du Pape Grégoire II la mission de prêcher la parole de Dieu, Notre Prédécesseur l'approuva et le loua dès qu'il le connut, et il lui écrivit même paternellement : « Le religieux projet que vous Nous avez fait connaître, votre amour pour le Christ et les rapports qui Nous ont été faits de votre foi très pure exigent que Nous usions de votre collaboration pour dispenser la parole divine dont Nous avons reçu la charge par la grâce de Dieu... Nous Nous réjouissons de votre foi et Nous voulons vous aider selon votre demande... C'est pourquoi, au nom de l'indivisible Trinité, par l'autorité inébranlable du bienheureux Pierre, prince des Apôtres, dont Nous exerçons le magistère en vertu de la dispensa-tion (divine), à qui Nous succédons dans le ministère de ce Siège Saint, Nous constituons en autorité votre humble personne et Nous ordonnons que par la parole de la grâce de Dieu... vous proclamiez le Royaume de Dieu par la persuasion de la vérité en faisant connaître le nom du Christ, notre Dieu et Seigneur, à toutes les nations emprisonnées dans l'erreur de l'infidélité auxquelles vous pourrez parvenir avec la grâce de Dieu 3\ » Consacré ensuite Evêque à cause de ses grands mérites par Notre même Prédécesseur, il lui jura obéissance, à lui et à ses successeurs, 36 et proclama solennellement : « Je professe intégralement la pureté de la sainte foi catholique et avec l'aide de Dieu je veux rester dans l'unité de cette foi, dans laquelle, sans aucun doute, se trouve toute assurance de salut pour les chrétiens 37. »

Ces sentiments de soumission et de respect qu'il manifesta à Grégoire II, il les témoigna aussi à ses successeurs, et à l'occasion en donna la preuve 38. Ainsi par exemple, voici ce qu'il écrivait à Notre Prédécesseur saint Zacharie dès qu'il fut informé de son élévation au Souverain Pontificat : « ...Aucune nouvelle ne nous a causé plus de joie et ne nous a fait avec plus d'allégresse lever les mains en action de grâces vers le ciel, que d'apprendre le bienfait du Maître suprême par lequel Votre clémence paternelle prend le pouvoir canonique et le gouvernement du Siège apostolique. Aussi humblement agenouillés à Vos pieds nous Vous supplions de nous accorder la grâce de servir Votre Bonté selon les saints canons comme nous avons fait avec amour sous Vos prédécesseurs en hommage à l'autorité de saint Pierre. Je ne cesse d'inviter et d'incliner tous ceux que dans cette mission Dieu m'a donnés pour aud'teurs et pour disciples à obéir au Siège Aposto-b'que, s'ils veulent rester dans la foi catholique et l'unité de l'Eglise Romaine 39. »

Et dans les dernières années de sa vie, désormais vieilli et brisé par les fatigues, il écrivait avec déférence à

Etienne III récemment élu : « Du fond de mon coeur je supplie ardemment la clémence de votre Sainteté pour mériter d'obtenir de la clémence de votre Paternité appartenance et unité au Saint-Siège Apostolique, et pouvoir continuer à servir comme un pieux disciple Votre Siège Apostolique, demeurer votre dévot et fidèle serviteur de la même manière que je l'ai servi sous vos trois Prédéces-

40

seurs . »

C'est donc à très juste titre que Notre Prédécesseur d'heureuse mémoire Benoît XV à l'occasion du douzième centenaire de la mission apostolique commencée par ce glorieux martyr près des Germains écrivait aux Evêques de cette Nation : « Poussé par cette foi très ferme, enflammé par cette piété et cette charité, Boniface maintint constamment la fidélité et l'union au Saint-Siège qu'il avait puisée d'abord dans sa patrie en pratiquant la vie monastique, qu'il avait ensuite jurée solennellement sur la tombe de saint Pierre, Prince des Apôtres, au moment de commencer la lutte ouverte de son apostolat, qu'il avait enfin proclamée au milieu des batailles et des combats comme la caractéristique de son apostolat et la règle de la mission qu'il avait acceptée ; non seulement il la garda mais il ne cessa jamais de la recommander chaudement, de l'inculquer avec tant de sollicitude qu'il semblait la laisser comme testament à tous ceux qu'il avait conquis à l'Evangile 41. »

Cette manière d'agir de saint Boniface, qui montre de manière éclatante sa fidélité envers les Pontifes Romains, fut toujours suivie, comme vous le savez, Vénérables Frères, par tous ceux qui n'ont jamais perdu du vue que le Prince des Apôtres a été posé par le divin Rédempteur comme la pierre solide sur laquelle est construite toute l'Eglise qui durera jusqu'à la fin des siècles ; que c est à lui qu'ont été confiées les clefs du Royaume des cieux et le pouvoir de lier ou de délier toute chose 42. Ceux qui rejettent cette pierre et s'efforcent de bâtir en dehors d'elle établissent sans aucun doute les fondations de leur branlant édifice sur le sable mouvant ; leurs tentatives, leur travail, leurs entreprises, comme toutes les choses humaines ne peuvent être solides, fermes et stables ; mais — ainsi que l'histoire ancienne et moderne nous en avertit — à cause de la diversité des opinions et de la vicissitude des événements, elles changent au cours des temps en vertu d'une certaine fatalité.

Pie XII lance un appel à l'union aux chrétiens séparés.

C'est pourquoi Nous estimons tout à fait opportun que cette union très étroite du grand martyr avec le Siège Apostolique et son activité remarquable, soient, grâce à vos exhortations, mises en pleine lumière ; cela aura en effet pour résultat de fortifier la foi et la fidélité de ceux qui adhèrent au magistère infaillible des Pontifes Romains ; et pour ceux qu'une raison quelconque sépare des successeurs de saint Pierre, ce sera une invitation à considérer de nouveau la question plus à fond et à s'engager, avec l'aide de la grâce divine, dans la voie qui les ramènera heureusement à l'unité de l'Eglise. Nous le désirons vivement et le demandons avec instance à l'Auteur des dons célestes pour qu'enfin se réalise le voeu très ardent de tous les gens de bien, que tous soient un 43, et que tous se réunissent dans l'unité d'un seul bercail sous la conduite d'un seul Pasteur 4\



4? Matt. XVI, 18, 19.

43 Jean, 17, 11.

44 Jean XXI, 15, 16, 17.



La vérité chrétienne demeure inchangée à travers les siècles.

45 I Pierre I, 25.

46 Jean, 14, 6.




Il y a encore pour vous tous, Vénérables Frères, un enseignement à tirer de la vie de saint Boniface que Nous avons brièvement résumée. Sur le piédestal de la statue qui fut érigée en 1 842 dans le monastère de Fulda, et qui représente l'apôtre de la Germanie, les visiteurs peuvent lire : « La parole du Seigneur demeure à jamais »45. Et à la vérité aucune inscription ne pouvait être plus significative ni plus vraie. Douze siècles sont passés l'un après l'autre ; divers peuples se sont déplacés, de nombreux changements sont intervenus, de terribles guerres se sont succédé, des schismes et des hérésies ont essayé et essaient encore de déchirer la tunique sans couture de l'Eglise, des empires très puissants et des hommes dont le pouvoir semblait ne rien craindre, ne rien redouter, se sont subitement écroulés ; des doctrines philosophiques qui s'efforcent d'atteindre au sommet de la connaissance humaine se suivent les unes les autres au cours des temps et prennent souvent l'apparence d'une vérité nouvelle. Cependant la parole que Boniface a prêchée à la Germanie, à la Gaule et à la Frise, parce qu'elle avait été reçue de Celui qui demeure à jamais, est encore valable à notre époque, et pour tous ceux qui l'ont librement acceptée, elle est la voie, la vérité et la vie "6. Il y a bien des gens assurément qui aujourd'hui encore la rejettent, qui s'efforcent de la souiller d'erreurs, qui enfin — foulant aux pieds la liberté due à l'Eglise et aux citoyens eux-mêmes — s'efforcent par des mensonges, des attaques et des vexations de l'arracher complètement des esprits. Mais, vous le savez fort bien, Vénérables Frères, cet art n'est pas nouveau ; il a été connu dès les premiers âges du christianisme ;

déjà le Divin Rédempteur lui-même voulut en avertir d'avance ses disciples en ces termes : « Souvenez-vous de la parole que je vous ai dite : il n'y a pas de serviteur plus grand que son maître. S'ils m'ont persécuté, ils vous persécuteront vous aussi » . Toutefois le même Rédempteur ajoutait aussi pour nous consoler : « Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, parce que le Royaume des cieux est à eux » 48. Et de même : « Bienheureux serez-vous quand les hommes vous maudiront et vous persécuteront et diront faussement toute sorte de mal contre vous à cause de moi : réjouissez-vous et exultez parce que votre récompense est grande dans les cieux 49. »

C'est pourquoi Nous ne sommes pas étonné qu'aujourd'hui encore le nom chrétien soit haï en certains endroits, que l'Eglise dans l'accomplissement de la mission qu'elle a reçue de Dieu soit gênée de diverses manières et par diverses méthodes, qu'un certain nombre de catholiques se laissent tromper par de fausses doctrines et se trouvent ainsi en péril grave de manquer leur salut éternel. Que la promesse du Divin Rédempteur soit pour nous tous un encouragement : « ...Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu'à la consommation des siècles » ; et que saint Boniface nous obtienne la force d'en-haut, lui qui pour étendre le Règne de Jésus-Christ parmi des nations hostiles n'a redouté ni de longues fatigues, ni de durs voyages, ni la mort même, mais qui en répandant son sang est allé avec courage et confiance au-devant de celle-ci.

Qu'il obtienne par son patronage une semblable force d'âme à ceux-là surtout qui aujourd'hui se trouvent dans

Jean XV, 20. Matt. V, 10. Ibiâ., 11, 12. Matt. XXVIII, 20.

une situation difficile à cause des artifices des ennemis de Dieu ; qu'il rappelle aussi tous les hommes à l'unité de l'Eglise, qui fut sa règle constante de vie et d'action et pendant tout le cours de sa vie son désir le plus ardent, à la réalisation duquel il travailla avec générosité et intelligence.

Tel est l'objet de Nos ferventes prières tandis que Nous vous accordons de tout coeur à Vous-mêmes, Vénérables Frères et aux divers groupes de fidèles confiés à vos soins, la Bénédiction apostolique, gage des dons du ciel et signe de Notre paternelle bienveillance.


Pie XII 1954 - DISCOURS LORS DE LA CANONISATION DE SAINT PIE X