PieXII 1955 - AMERIQUE LATINE


LETTRE

POUR LE NEUVIÈME CENTENAIRE DE LA MORT DE SAINT BARTHÉLÉMY, ABBÉ

(30 juin 1955) 1

A l'occasion du neuvième centenaire de la mort de saint Barthélémy qui fut au XIe siècle la gloire de l'abbaye de Grottaferrata, le Saint-Père a adressé à l'archimandrite Isidore Croce, abbé du célèbre monastère basilien fondé par saint Nil, la lettre que voici :

Nous avons appris avec plaisir l'ardente ferveur qui vous porte, vous, cher fils, et vos frères, à célébrer le neuvième centenaire de la mort très pieuse de saint Barthélémy le jeune, quatrième abbé de ce couvent, car cela répond parfaitement à Nos voeux.

En effet, il ne peut pas ne pas Nous être très agréable qu'on accorde des honneurs particuliers à cette lumière de l'Eglise, dont les hauts faits ont été l'ornement non seulement de la discipline monastique, mais aussi du Siège Apostolique, et il convient tout à fait que vous exaltiez la mémoire d'un tel homme qui porte à juste titre le nom de second père de cet Institut monastique fondé par saint Nil. En effet, après la mort du fondateur qui avait à peine posé dans la campagne de Tusculum les premiers fondements de votre monastère, ce n'est pas sans un dessein providentiel de Dieu qu'est échue à saint Barthélémy le jeune, une fois élevé à la dignité d'abbé, la tâche d'achever l'oeuvre entreprise par saint Nil et de la soumettre à des règles très sages. Et c'est à sa prudence, à sa doctrine et à sa sainteté qu'il faut attribuer, de préférence, le fait que le noble rejeton de cette vie religieuse orientale, transplanté en Occident, manifeste encore dans l'Eglise, après tant de siècles, sa force salutaire.

Mais, parmi les considérations qui se présentent à Notre esprit en cette occasion, il Nous plaît d'en proposer une dont la méditation, surtout à cette époque, est d'un intérêt capital : chaque fois que sont évoqués le temps de saint Barthélémy et les origines de votre couvent, l'esprit cherche avec tristesse et désir ce qui, par les malheurs d'une longue période, est aujourd'hui perdu : Nous parlons de cette antique union, exempte de dissension, par laquelle les Grecs ne se trouvaient pas séparés de l'Eglise romaine, mais croissaient dans l'unique bercail sous le gouvernement et le magistère du Vicaire du Christ. Ce fut la cause d'un heureux événement : au témoignage même de saint Barthélémy le jeune, « pour préparer un lieu et un monastère où il réunirait tous les frères et fils dispersés » 2, votre père et législateur chercha une hospitalité généreuse à proximité de cette Ville ; et c'est là que, d'une manière admirable, sous la protection des Pontifes romains, a grandi votre Institut qui, possédant fermement la foi romaine amicalement unie à la langue grecque et à la discipline grecque des cérémonies sacrées, porte jusqu'à notre époque le témoignage lumineux de cette unité d'antan.

Si tous ces faits sont examinés avec calme, pourquoi, avec le secours de Dieu, les préjugés qui, depuis si longtemps, tiennent un grand nombre de fils éloignés du sein de l'Eglise mère, ne céderaient-ils pas peu à peu à la vérité ? Les nations orientales n'ont vraiment rien à craindre d'un rétablissement de l'unité avec l'Eglise romaine ou du retour si souhaité et nécessaire vers elle ; absolument rien de leur dignité, de la splendeur des rites sacrés et du patrimoine sacré de la discipline transmis par les ancêtres ne leur sera ôté ; bien plutôt, elles en tireront beaucoup de profit et de gloire.

C'est pourquoi, chers fils, au cours de ces fêtes centenaires, ne vous contentez pas de méditer tout cela qui est très utile à l'unité de l'Eglise, mais efforcez-vous aussi de le rendre public et de le mettre en lumière.

Et vous, pendant ce temps, vous souvenant de la vertu et des exemples d'un tel père, marchez énergiquement sur ses traces et appliquez-vous vivement à faire rejaillir jusqu'au dedans de vous l'éclat de sa sainteté.

Afin que ces voeux se réalisent, Nous vous accordons très affectueusement dans le Seigneur à vous, cher fils, et à tous vos frères, la Bénédiction apostolique, gage du secours divin.

2 Vie de saint Nil ; Migne, P. G., CXX, 158.


DISCOURS

AU « CANADIAN WOMEN'S PRESS CLUB »

(2 juillet 1955) 1

Le samedi 2 juillet, le Saint-Père a reçu dans la Salle du Consistoire un important groupe de dames appartenant au « Canadian Women's Press Club », qui accomplissaient un voyage en Europe. Sa Sainteté leur a adressé l'allocution suivante :

Le caractère hautement moral que vous vous efforcez, Mesdames du Club de la presse des Femmes canadiennes, d'obtenir et de maintenir dans le cadre de la noble profession à laquelle vous avez consacré votre vie, n'est pas un des derniers parmi les nombreux titres de votre pays à Notre attention paternelle. Ces récents contacts avec vos collègues d'Europe dans le délicat domaine de la grande information serviront, croyons-Nous, à approfondir votre conviction qu'une presse libre doit justifier sa prétention à l'approbation du public par son sincère respect des valeurs morales, plutôt que par son souci de la perfection technique de sa production.

L'édition et le journalisme sont beaucoup plus qu'une occupation et un commerce : un service spirituel, une carrière ou une vocation providentielle.

Ce n'est pas pour déprécier les strictes exigences de l'art — et même de la question financière — liées à l'oeuvre de la transmission de la vérité, du bien et de la beauté, de personne à personne, au moyen de la parole imprimée et de l'image. Mais c'est pour rappeler que l'édition et le journalisme sont beaucoup plus qu'une occupation ou un commerce. Comme Nous avons déjà eu l'occasion de le souligner fréquemment, des livres, magazines et journaux rendent aujourd'hui — à la famille, à l'Eglise et à l'Etat également — un service tout à fait indispensable.

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Seulement, il faut qu'y soit conservé éveillé le sens de la solidarité humaine, dans la joie et dans la peine, et que ce service demeure exempt de toute contamination à sa source — c'est-à-dire l'esprit et le coeur de l'auteur, du reporter et de l'éditeur — et vous ne devez pas hésiter à appeler cela un service spirituel, la substance d'une carrière ou vocation providentielles à placer fièrement sur le même rang que « l'art des arts » de l'enseignement 2.

Et votre public ne sera-t-il pas, dans sa grande majorité, disposé à admettre que l'esprit et le coeur d'une femme, lorsqu'ils sont convenablement préparés, semblent devoir être vivement sensibles à cette nécessité d'intégrité morale chez ceux qui écrivent pour l'information, l'instruction, le divertissement des gens ? Certainement, elle sera la première à marquer la différence entre une honnête interprétation des informations et le mensonge subtilement inséré ou la cruelle insinuation ; entre une prose ou illustration attirantes ou bien provocantes ; entre la chronique sereine d'un fait aimable ou déplaisant et un bavardage plus ou moins malveillant. Qui pourrait être mieux placé qu'elle, au foyer ou au bureau, pour se rendre compte que le mal et le délit peuvent se propager dans la société depuis le fauteuil du directeur, la chronique de la ville, la page de la mode ou la tribune de la femme, le roman populaire et les récits empoisonnés, aussi rapidement, hélas, que la lumière de la vérité et la chaleur de la sympathie et de l'amitié humaines ? Qui est mieux doté qu'elle, par nature et par grâce, pour sentir ce danger et écarter ce désastre ?

Votre visite si bienvenue à la Rome éternelle, Mesdames de la Presse, coïncide avec la fête de la Visitation de Marie à Elisabeth. Les accents toujours encourageants du Magnificat (Lc 1,46-55) Nous rappellent une fois de plus que le rétablissement d'un haut niveau moral dans la vie, le travail et l'amour de la famille humaine par les mérites de Notre-Seigneur et Sauveur, fut tout d'abord et pour toujours accompli avec l'aide d'une femme, sans cesse humblement attentive aux responsabilités de sa mission maternelle parmi les fils des hommes. Puisse la bénédiction du Fils de Dieu, par l'intercession de sa Mère immaculée, accompagner tous vos efforts personnels ou collectifs pour respecter et servir Son image chez vos lecteurs et hâter l'avènement de son Règne dans tous les coeurs.

2 S Grégoire de Naziance ; Or. II, Apologética, no 16 ; Migne, P. G., 35, 425.


ALLOCUTION AUX CHRONIQUEURS DES JOURNAUX DE ROME SUR LEUR DEVOIR PROPRE PARMI LES JOURNALISTES

(3 juillet 1953) 1

Le Souverain Pontife a reçu en audience spéciale, dans la salle du Consistoire, le dimanche 3 juillet, les chroniqueurs romains à l'occasion du dixième anniversaire de la reconstitution de leur syndicat. Il leur a adressé le discours suivant :

C'est avec une vive satisfaction que Nous Nous rappelons encore, Messieurs, l'audience d'avril 1952, où Nous avons reçu les participants à votre premier congrès national. Aujourd'hui, Nous avons le plaisir d'accueillir le syndicat même des chroniqueurs romains, à l'occasion du dixième anniversaire de sa constitution ou, mieux, de sa reconstitution. Permettez donc, tout d'abord, que Nous vous félicitions pour l'oeuvre considérable accomplie pendant cette période et pour le chemin que vous avez parcouru, non sans difficultés ni luttes.

Autrefois, le chroniqueur était considéré comme « l'humble fantassin du journalisme », qui accomplissait son travail quotidien, obscurément et sans que l'on perçoive l'influence qu'il pouvait exercer dans la vie du journal et dans celle de la cité elle-même. L'après-guerre, en ramenant l'activité des citoyens à ses conditions ordinaires, permit aux chroniqueurs de se convaincre de l'utilité d'une association, qui les réunit tous au-dessus de toute concurrence de métier, de toutes divergences de méthodes ou d'intérêts, dans le noble but de s'aider mutuellement dans leurs occupations professionnelles ou dans leurs besoins

sociaux. C'est ainsi que le 27 janvier 1946 naquit définitivement le nouveau « Syndicat des Chroniqueurs romains ». Aussitôt, il entreprit la défense des droits de ses membres et s'efforça de faciliter leur travail ; il se fit connaître du public par diverses manifestations populaires, artistiques et culturelles, auxquelles participèrent d'éminentes personnalités. En 1948, il inaugura une série de « chroniques parlées », de débats publics, de « réunions d'étude », auxquels prirent part les autorités et de nombreuses personnes s'intéressant aux problèmes si variés et parfois si graves d'une grande ville.

Mais les contacts incessants avec la population révèlent de nombreuses misères, auxquelles vous ne pouvez rester indifférents. C'est ainsi qu'en 1948 vous avez offert au maire de Rome une importante somme destinée aux travailleurs en chômage ; vous avez ensuite créé à Primavalle la fondation Anna Bracci pour l'assistance aux mineurs. Votre dernière et magnifique entreprise, le Village du Chroniqueur, qui se développe, là-haut, sur la Via Cassia, démontre le dynamisme de votre syndicat et son esprit de profonde et active solidarité.

En 1950, il commença à attirer l'attention des chroniqueurs des autres villes d'Italie ; le congrès de 1952 suscita la diffusion du mouvement syndical de votre profession ; et la fondation toute récente du Syndicat national des chroniqueurs italiens couronne à ila perfection le travail courageux et persévérant que vous avez accompli pendant ces dix ans.

Cet effort vous a certainement aidés à acquérir une conscience plus nette des responsabilités sociales de votre profession. Elles sont réellement fort grandes ! Par les exigences de son travail, le chroniqueur pénètre intimement dans la vie quotidienne de la cité ; il est toujours attentif à connaître tous les événements qui, d'une manière ou d'une autre, intéressent le public. Il note les faits qu'ils suscitent et en informe les lecteurs d'une manière objective, mais non sans laisser transparaître son propre sentiment et apprécier ou critiquer ce qu'il raconte. Il exerce ainsi, sous une forme parfois imperceptible, une réelle influence sur l'opinion publique, et cela jour après jour, au fil de centaines d'événements qui constituent l'activité de l'Urbs. Et comme à présent sont assez rares ceux qui ne lisent pas la presse quotidienne, on peut facilement concevoir l'ampleur de cette action. Dans le mouvement perpétuel de la cité, le chroniqueur attire l'attention sur tel ou tel aspect intéressant ou négligé ; il signale les conditions nuisibles ; il met en relief avec humour ou avec bienveillance le côté pittoresque de scènes familières ; il met en garde contre les négligences qui contrarient la bonne marche des services publics et contre les dangers qui menacent les citadins. Sous une forme plaisante, sérieuse ou sévère, il raconte, il informe, il instruit ou réprouve, guidé par le désir de contribuer au bien de la population. De son côté, le public accueille volontiers la parole du chroniqueur, chez lequel il reconnaît un ami et, souvent, un interprète qui, d'une voix haute et claire, exprime ses propres impressions et opinions ; il sait ce qu'il peut exiger de lui et il compte sur sa compétence et sa conscience professionnelles.

S'il n'est pas possible de supprimer d'un trait de plume des conditions pénibles ou d'empêcher des délits ou des malheurs, il importe cependant au moins de former adéquatement la mentalité du peuple en ces matières ; au lieu d'y trouver un aliment pour la curiosité ou de réagir selon l'intérêt du moment, la tendance aux commodités, le souci excessif de la sécurité individuelle, il faut que l'opinion publique s'ouvre sans cesse davantage aux profondes raisons qui conditionnent la paix et le bien-être de la vie sociale, c'est-à-dire le sens de la dignité de l'homme, de ses responsabilités personnelles, de ses devoirs envers la communauté. On déplore, à juste titre, chez plus d'un esprit le manque d'équilibre moral et la déficience d'une juste appréciation des valeurs réelles. On demeure indifférent au milieu de vraies misères, tandis que l'on recherche avec un goût malsain ce qui excite anormalement la sensibilité ; des faits, en eux-mêmes insignifiants, suscitent parfois une réaction affective disproportionnée avec leur réelle importance : ces déformations, vous avez le devoir de les prévenir ou, dans la mesure du possible, d'y remédier. Flatter les tendances égoïstes ou nocives du lecteur équivaudrait à commettre une action gravement préjudiciable à qui en est victime comme à l'honneur même de votre association.

L'union et la collaboration dans votre syndicat vous aideront à poursuivre avec un succès croissant les oeuvres d'utilité sociale à votre avantage et à celui de nombreux autres citoyens, comme aussi à organiser vos belles et saines manifestations culturelles et populaires ; mais surtout, elles affineront chez vous la connaissance des répercussions de vos activités. Puissiez-vous de la sorte contribuer à développer, dans cette ville de Rome qui

Nous est si chère, le désir de résoudre les petits et grands problèmes de la vie urbaine, dans un esprit de compréhension sincère et de charité généreuse et dévouée.

Que Dieu, infiniment bon, daigne vous accorder sa grâce et sa protection, en gage desquelles Nous vous donnons de tout coeur, à vous, à vos familles et à tous ceux qui vous sont chers. Notre paternelle Bénédiction apostolique.


TÉLÉGRAMME AU GÉNÉRAL PERON

(3 juillet 1955)1

Le Président de la Nation Argentine ayant adressé au Souverain Pontife un télégramme d'hommage, à l'occasion de la fête des saints Pierre et Paul, Sa Sainteté lui a répondu par le télégramme que voici :

En recevant le message de votre Excellence pour cette fête, Nous prions le Seigneur qu'il l'éclairé et touche son coeur, afin que le cher peuple argentin puisse vivre librement ses traditions catholiques.

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ALLOCUTION A SON EXC. JAWAHARIAL NEHRU PREMIER MINISTRE DE L'INDE

(8 juillet 1955) 1

Le 8 juillet 1955, le Saint-Père a reçu en audience le premier ministre de l'Inde, Son Exc. Jawaharial Nehru. A cette occasion, il prononça la brève allocution que voici :

Nous sommes heureux de souhaiter cordialement la bienvenue au grand homme d'Etat et éminent premier ministre que Nous venons d'avoir le plaisir de rencontrer pour la première fois ; et de saluer aussi les hautes personnalités de l'Inde qui accompagnent Son Excellence.

Nous sommes convaincu que vous êtes tous pleinement conscients de la grave responsabilité qui, dans la tentative d'établir une véritable paix basée sur l'amour et la justice parmi les peuples du monde, incombe à ceux qui sont au pouvoir et aussi à ceux qui ont la charge de faire connaître à des millions de leurs compatriotes les événements du jour de façon loyale et objective. Nous exprimons Nos voeux cordiaux pour le plein succès de votre oeuvre et la réalisation effective de votre haut idéal.

En rappelant qu'un des distingués fils de l'Inde a été élevé par Nous à la dignité de cardinal et de membre du Sacré Collège, Nous voulons profiter de l'occasion pour adresser, par votre intermédiaire, un message d'affectueuse pensée non seulement à ceux qui vous sont chers, mais au Président et au gouvernement et à tout le noble peuple de l'Inde, dont Nous n'oublions jamais la prospérité et la félicité dans Nos prières à Dieu Tout-Puissant.

1 D'après le texte français de l'Osservatore Romano, du 15 juillet 1955.

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LETTRE DE MONSEIGNEUR DELL'ACQUA SUBSTITUT A LA SECRÉTAIRERIE D'ÉTAT A M. CHARLES FLORY PRÉSIDENT DES SEMAINES SOCIALES DE FRANCE

(14 juillet 1955) 1

La quarante-deuxième Semaine Sociale de Prance s'est tenue, en juillet, à Nancy. Elle a consacré ses travaux aux techniques de diffusion dans la civilisation contemporaine. A cette occasion, Mgr Dell'Acqua a adressé à M. Charles Flory, président des Semaines Sociales de France, la lettre suivante :

Les Semaines Sociales de France, poursuivant d'année en année l'examen des grandes questions, économiques ou sociales, politiques ou culturelles, posées à la conscience contemporaine, n'ont jamais craint d'aborder de difficiles problèmes et de projeter sur eux, avec courage et sérénité, la lumière de la doctrine chrétienne. Cette année encore, le thème choisi, pour différent qu'il soit de ceux des précédentes sessions, ne le cède en rien en importance et en ampleur ; il est au surplus d'une évidente actualité. « Les techniques de diffusion dans la civilisation contemporaine », ce seul titre de la Semaine Sociale de Nancy évoque les plus belles espérances et les inquiétudes les plus justifiées, des perspectives de culture et d'union pour la famille humaine ou le spectre de l'asservissement des peuples et de l'avilissement des consciences.

Sans entrer dans la discussion des problèmes particuliers de la presse, du cinéma, de la radio et de la télévision, l'enseignement s'étendra néanmoins à tous les aspects essentiels communs

1 D'après le texte français de l'Osservatore Romano, du 29 juillet 1955.

à ces différentes techniques, et il constituera sans doute l'une des premières études d'ensemble réalisées par les catholiques français sur ce sujet. Je suis donc heureux, à la veille des assises lorraines, qui se tiendront sous la haute autorité de l'évêque de Nancy, de me faire l'interprète des vifs encouragements du Saint-Père et de Ses voeux paternels pour le succès de la Session.

Le Saint-Père suit avec une attention toute particulière l'évolution des techniques de diffusion.

Ce bienveillant intérêt de Sa Sainteté pour vos travaux ne saurait d'ailleurs étonner ceux qui savent avec quelle attention Elle suit la rapide évolution des techniques de diffusion. On se souvient entre autres du magistral discours que le Souverain Pontife adressait durant l'Année Sainte aux journalistes catholiques sur la notion chrétienne d'opinion publique 2, ainsi que des directives qu'il faisait parvenir naguère au Congrès international de la presse catholique à Paris. En maintes occasions, il a rappelé au clergé et à l'Action Catholique, aux parents et à la jeunesse, les devoirs qui leur incombent vis-à-vis du cinéma, et hier encore un important discours confirmait cette préoccupation, tout en dégageant de façon positive les premières normes du film idéal. Enfin en 1954 3 Sa Sainteté, qui use Elle-même de la radio, et désormais de la télévision, pour communiquer avec ses fils lointains, entretenait de cette dernière l'épiscopat italien en des termes nuancés mais fermes. Ainsi le Chef de l'Eglise, à l'écoute de tous les progrès de la science, en ces domaines comme en tant d'autres, a parlé avec clarté et avec force ; Il a engagé les catholiques à participer activement au développement de ces techniques de diffusion, comme aussi à les garder des désordres qu'elles peuvent engendrer. Les maîtres de la Semaine de Nancy aimeront à se faire l'écho de ces enseignements pontificaux.

Les nouveaux instruments d'information si perfectionnés peuvent être utilisés pour le meilleur et pour le pire.

Que ces instruments toujours plus perfectionnés d'information, de distraction, de culture ou de propagande puissent être

2 Cf. Documents Pontificaux ig;o, p. 46. s Cf. Documents Pontificaux 1954, p. 13.

utilisés pour le meilleur ou pour le pire, la constatation en a été faite souvent, et il semble inutile d'y revenir ici. Les rapides et prodigieuses découvertes de la science, qui sont à l'origine de ces techniques, sont bonnes en soi, elles sont à la louange du Créateur. Si, entre les mains de l'homme, elles peuvent favoriser la diffusion du vrai, du beau et du bien, ou être au contraire des moyens de corruption individuelle ou collective, le progrès scientifique n'en demeure pas moins valable en lui-même. Loin de le rejeter, l'Eglise y applaudit volontiers ; elle enseigne à ses fils à en bien user pour eux-mêmes et les invite à développer les merveilleuses possibilités ainsi offertes au rayonnement de la parole de Dieu et mises au service de la communauté humaine.

Car l'homme est menacé, par eux, jusque dans son autonomie spirituelle.

Toutefois — et sans méconnaître cet aspect positif — force est bien de constater que le développement des techniques de diffusion au XXe siècle a posé un problème nouveau et sans doute plus grave. Ce n'est plus seulement celui de l'emploi, bon ou mauvais, que l'homme et la société peuvent faire de ces puissants moyens d'action mis à leur disposition ; c'est celui de l'emprise démesurée que l'instrument, échappant au contrôle de son auteur, tend à prendre aujourd'hui sur la personne humaine. Plus périlleuse encore que le progrès du machinisme au siècle dernier, dont on a pu dire pourtant qu'il ennoblissait la matière aux dépens de l'ouvrier, l'irruption, dans notre société, des modernes techniques de diffusion menace l'homme dans son autonomie spirituelle. Par la pression d'une information dirigée, par la séduction de l'image, par l'obsession de la propagande, voici désormais que l'action conjuguée de la presse, de la radio, du cinéma ou de la télévision parvient à façonner à son insu la conscience de l'individu : elle envahit peu à peu son univers mental et détermine des comportements qui se croient spontanés. La vie courante offre, hélas ! d'innombrables exemples de ce péril : il pèse sur la jeunesse si influençable ; il pénètre jusqu'au fond des campagnes et l'élite intellectuelle, mieux armée pourtant, n'échappe point à son atteinte.

Dans un de ses messages de Noël, le Saint-Père dénonçait « l'esprit technique » qui ruine la personne dans son intériorité, restreint la libre expansion de son intelligence et réduit la société où il règne à une foule incolore et inconsistante 4. A combien plus forte raison, les débordements de la technicité sont-ils dangereux, s'ils viennent à corrompre l'art de la diffusion de la pensée' atteignant par là profondément la psychologie individuelle et sociale. Des observateurs avertis ont pu voir, dans ce phénomène, les symptômes d'un renouvellement des rapports humains et des formes traditionnelles de civilisation.

Aussi le Saint-Père vous invite-t-il à porter résolument votre, enseignement à ce niveau de réflexion, pour rechercher avec lucidité quelle sera l'attitude de l'homme en face de cette croissante emprise des techniques de diffusion. Comment l'homme sortira-t-il victorieux de cette crise de la civilisation contemporaine ?

Les catholiques ont le devoir de réagir devant ce danger.

La première tâche des catholiques, à cet égard, est de rappeler qu'il existe des règles morales de la diffusion, et de les faire prévaloir. Sa Sainteté mettait naguère en garde contre une prétention des sciences et des arts à s'émanciper de la morale au nom d'une autonomie de leurs méthodes, et Elle insistait « sur le principe que l'ordre voulu par Dieu embrasse la vie entière, sans excepter la vie publique dans toutes ses manifestations 5 ». Les techniques de diffusion n'échappent pas à cette loi. Et leur moralité ne réside pas seulement dans la valeur, vraie ou fausse, bonne ou mauvaise, de ce qui est transmis — encore que ce soit essentiel — ; elle porte aussi sur le mode de la diffusion, c'est-à-dire sur la façon dont on traite l'homme auquel on s'adresse. Ce point est aujourd'hui capital.

Les techniques de diffusion doivent, avant tout, respecter la personne humaine.

Ce n'est pas sans raison que, dans son analyse des caractères du film idéal, Sa Sainteté a cité en premier lieu le respect de l'homme et du plein exercice de toutes ses facultés, déclarant même que le cinéma devait tendre à « renforcer et élever l'homme dans la conscience de sa dignité » 8. Or n'est-ce pas manquer

4 Radiomessage de Noël 1953, cf. Documents Pontificaux 1955, p. 644.

5 Radiomessage du 23 mars 1952, A. A. S., 44, 1952, p. 277 ; cf. Documents Pontificaux 1952, p. 90.

« Discours du 21 juin, cf. p. 196.

à oe respect que d'user des divers moyens de propagande dont on dispose pour violenter une conscience peu formée, lui imposer un jugement tout fait, aviver en elle des passions malsaines, abuser de sa confiance par une présentation erronée ou tendancieuse des faits ? Les millions de lecteurs ou d'auditeurs qui, chaque matin, jugent des événements par leur journal quotidien ou le communiqué de leur poste de radio sont-ils assurés qu'on respecte en eux, mieux encore, qu'on éduque le libre exercice de leur jugement personnel ? Pour être morale, une technique de diffusion doit se proposer de servir l'homme, non de l'asservir.

Il ne faut d'ailleurs pas méconnaître les circonstances qui, dans la vie professionnelle, font aujourd'hui obstacle à la pleine moralité de la diffusion. Les difficultés propres au métier lui-même sont aggravées par des sujétions financières parfois fort lourdes, une dépendance astreignante à l'égard d'agences de presse dont l'objectivité n'est pas garantie, le poids d'une concurrence souvent sans scrupules, et aussi, il faut bien le dire, la pression des impatiences et des exigences d'un public difficile à satisfaire. De telles conditions de travail offrent un large champ à l'apostolat coordonné des catholiques, en vue d'assainir l'exercice de ces professions, de les libérer, autant que possible, de servitudes néfastes et d'orienter toutes les ressources de la technique vers un authentique service de l'humanité.

Les pouvoirs publics ont leur part de responsabilité.

De cette moralité toutefois, les pouvoirs publics portent pour une part la responsabilité. « Si le patrimoine civil et moral du peuple et des familles doit être protégé de manière efficace, disait le Saint-Père, il est plus juste que l'autorité publique intervienne comme il se doit pour empêcher ou freiner les influences les plus dangereuses.7 » Dans son ordre, l'Eglise exerce ce droit par les censures qu'elle se réserve de porter, comme aussi par les avertissements qu'elle adresse grâce aux cotations morales de films établies par les Commissions mandatées à cet effet. Mais, de son côté, le pouvoir civil ne fait qu'exercer sa fonction de promouvoir le bien commun quand, tout en favorisant une légitime liberté de la presse, il contient les excès de ceux qui vont jusqu'à se servir de ces armes que

7 Ibid., p. 193.

sont le journal, la radio, le cinéma ou la télévision pour attenter à la moralité publique, propager de dangereuses erreurs, répandre la calomnie, diffamer les personnes ou exacerber les passions populaires.

Il faut écarter les pressions d'où qu'elles viennent.

Au surplus, les rapides progrès des techniques de diffusion ont, dans la vie sociale, de telles conséquences qu'il semble aujourd'hui devenu nécessaire d'évoquer la question au plan institutionnel et de s'interroger sur la législation la mieux adaptée à l'ampleur des problèmes nouvellement posés. Les principes de la doctrine sociale catholique traceront là encore la voie entre une concentration des moyens de diffusion dans les mains exclusives de l'Etat et un régime qui permettrait une prépondérance indue de certains groupes d'intérêts particuliers. L'expérience a révélé les désordres qu'entraînent d'inadmissibles pressions parfois exercées par ces derniers. Mais, à l'inverse, combien de gouvernements connaissent la tentation d'abuser de leur autorité, directe ou indirecte, sur les moyens de diffusion pour peser sur l'opinion publique, la susciter et l'orienter à leur gré. Sans vouloir parler de ces inqualifiables « viols des foules » propres aux régimes totalitaires, il reste que le responsable du bien commun doit le premier donner l'exemple du respect de l'opinion : qu'il l'éclairé sans la forcer, qu'il la préserve sans l'étouffer, qu'il l'écoute sans en être l'esclave ; en un mot, qu'il favorise son éducation progressive.

La plus sûre défense de l'homme réside dans une saine éducation de l'opinion publique.

C'est qu'en effet la plus sûre défense de l'homme contre l'emprise des techniques de diffusion, ou mieux sa meilleure collaboration au progrès de ces techniques, réside dans une saine éducation de l'opinion publique. Dans un discours qui eut un grand retentissement, le Saint-Père, après avoir dénoncé comme une maladie sociale l'absence d'opinion publique dans un pays, exhortait les journalistes catholiques à travailler au renouveau de celle-ci, en sorte, disait-Il, de rendre aux hommes « leur juste droit à leur propre jugement, à leurs propres convictions » 8.

8 Discours du 17 février 1950, A. A. S., 42, 1950, p. 265 ; cf. Documents Pontificaux 1950, p. 53.

Tandis qu'entraînés par leur pente naturelle, presse, cinéma, radio, télévision, tendraient à favoriser les réactions de masse et à réduire l'opinion publique à un conformisme aveugle et docile de pensée et de jugement, il est au contraire possible — et par conséquent il faut — qu'entre les mains d'hommes conscients de leurs graves responsabilités, ces moyens de diffusion deviennent les instruments d'une saine formation de la personnalité du lecteur, de l'auditeur ou du spectateur. Il n'est pas exagéré de dire que l'avenir de la société moderne, la stabilité de sa vie intérieure, dépendent pour une large part du maintien de l'équilibre entre la puissance des techniques de diffusion et la capacité de réaction personnelle des citoyens. Dieu veuille que ceux-ci soient, en grand nombre, tels que les souhaitait le Saint-Père « des hommes qui, à la lumière des principes centraux de la vie, à la lumière de leurs fortes convictions, sachent contempler Dieu, le monde et tous les événements grands ou petits qui s'y succèdent », des hommes qui édifient « pierre par pierre, la paroi solide sur laquelle la voix de ces événements, venant frapper, se réfléchirait en un écho spontané » 9.

La formation du sens critique de la jeunesse mérite une attention toute particulière.

C'est là une tâche qui doit retenir l'attention des catholiques militants, en union avec tous les hommes de bonne volonté qui sentent l'urgence de cette sauvegarde des valeurs personnelles dans la société contemporaine. Le Saint-Père sait tous les efforts déjà accomplis en ce sens dans votre patrie et II les encourage volontiers. Mais comme toute oeuvre d'éducation, c'est dès la jeunesse qu'il faut l'entreprendre. Il est important de nos jours que l'on forme avec soin le sens critique des jeunes à l'âge où ils s'ouvrent à la vie civique et sociale. Non certes pour flatter un goût de la critique auquel cet âge n'est que trop enclin, ni pour favoriser son esprit d'indépendance, mais bien pour enseigner à vivre et à penser en homme dans un monde où les moyens de diffusion des nouvelles et des idées ont acquis une force de persuasion si contraignante. Savoir lire un journal, juger un film, critiquer un spectacle, savoir en un mot garder la maîtrise de son jugement et de ses sentiments contre tout

ce qui tend à dépersonnaliser l'homme est devenu une exigence de notre temps. Parents et éducateurs auront donc le souci de protéger la génération montante contre les nouveaux mythes qui risquent de la séduire ; ils serviront par là même efficacement l'avenir de la société.

Ces diverses considérations soulignent assez l'intérêt de la Semaine Sociale. Sa Sainteté ne doute pas de l'accueil attentif qui sera réservé à l'enseignement de votre corps professoral et Elle S'est également réjouie d'apprendre l'active présence à Nancy des organismes qualifiés de l'Action Catholique. Sur tous, Elle invoque une large effusion de grâces et, en gage de Sa bienveillance pour votre si méritante institution, Elle vous accorde de grand coeur une paternelle Bénédiction apostolique.


PieXII 1955 - AMERIQUE LATINE