PieXII 1955 - SEMAINES SOCIALES DU CANADA


ALLOCUTION A DES PÈLERINS ESPAGNOLS VENUS A ROME EN VESPA

(2 septembre 1955) 1

Le 2 septembre, à la villa pontificale de Castelgandolfo, le Souverain Pontife, recevant un groupe de « vespistes » espagnols, leur adressa l'allocution suivante :

Du plus haut du plateau castillan — en traversant des fleuves, gravissant des côtes, longeant la mer et dévorant sans cesse des kilomètres — vous avez voulu arriver jusqu'à cette maison du Père commun, très chers fils, « vespistes » et sportifs espagnols, pour Lui témoigner votre filiale affection et votre plus sincère dévotion ; et, en vous accueillant cordialement, Nous avouons que Nous avons rarement considéré, avec plus de sympathie que dans votre cas, ces légers et si efficaces moyens modernes, qui ont mis le moteur à la portée de tous et, avec le moteur, la possibilité de dominer facilement l'espace et de couvrir de grandes distances.

Merveilles du génie humain qui, peu à peu, en dessinant des poignées, en adaptant des transmissions, en accouplant des engrenages, en imaginant des compléments aussi indispensables que les pneumatiques, en inventant des freins, des installations électriques, des types de cadre et de suspension et mille autres petites choses, se sont traduites de façon concrète dans ces machines si simples, si parfaites et tellement à la portée de tout le monde.

Il ne manque pas de personnes à l'ouïe délicate ou ennemies de tout risque, qui trouvent quelque chose à redire au sujet du bruit caractéristique qui signale votre présence dans les rues des villes, ou de cette agilité subtile qui vous permet de vous faufiler


PELERINS ESPAGNOLS

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entre les véhicules et les personnes, avec une rapidité qui touche à l'incroyable ; et il y en a également qui font ressortir les inconvénients pouvant parfois résulter de cette facilité de déplacements.

Mais Nous, Nous désirons mettre en relief le progrès évident que signifie tout cela, avec l'élévation du niveau de vie parmi les catégories sociales qui ne peuvent disposer d'éléments mécaniques plus coûteux et qui, grâce à leur petite machine, se rendront ainsi plus facilement à leur travail distant, exerceront plus largement et plus commodément leur profession ordinaire et, peut-être même, rempliront mieux leurs devoirs religieux ; sans compter l'honnête récréation à laquelle aspire un jour par semaine celui qui passe les autres journées appliqué à l'effort et au travail, et sans parler de cas comme celui-ci, où vos machines, en une gaie et simple caravane, seront un symbole de cette fraternelle union internationale, que Nous désirons tant, et vous donneront la possibilité de venir recevoir la bénédiction du Vicaire du Christ.

Mais utilisez vos machines, en vous souciant de le faire toujours avec la prudence, la discrétion et le respect qui vous vaudront, à vous et à elles, la sympathie et l'affection de tous.

Aimez vos machines, mais en vous rappelant que vous passez avant elles ; qu'il y a avant elles vos devoirs familiaux, sociaux et religieux ; qu'il y a toute une vie humaine qui ne peut se transformer en une sorte d'accessoire d'un simple moyen mécanique.

Nous avons appris que dans votre programme sont comptés jusqu'aux coups de piston de vos moteurs durant tout le voyage : comme celui-ci a pour centre cette visite à votre Père commun, Nous aimons à penser que ces coups sont comme les battements de vos coeurs, comme l'expression d'un amour filial auquel Nous répondons amplement. Merci pour votre présence et merci pour vos généreux dons.

Nous avons appris que parmi vous se trouvaient des représentants des diverses régions qui forment la grande patrie espagnole. De la sorte, il vous sera plus facile de rapporter à tous Notre Bénédiction ; Bénédiction que Nous désirons donner d'une manière particulière à vous, très chers fils, à vos familles, à votre association — dont Nous bénissons spécialement le digne président, ici présent —, à tous les « vespistes » et sportifs espagnols et à toute l'Espagne qui Nous est toujours si chère.


LETTRE DE MONSEIGNEUR DELL'ACQUA SUBSTITUT A LA SECRÉTAIRERIE D'ETAT AU TROISIÈME CONGRÈS DES RELIGIEUSES ÉDUCATRICES

(5 septembre 1.955) 1

A l'occasion de la réunion de quinze cents religieuses éducatrices paroissiales à Paris, du 19 au 21 septembre, pour leur troisième Congrès national, Son Exc. Mgr Dell'Acqua a adressé la lettre ci-après à Son Exc. Mgr Brot, président de la Commission nationale des religieuses.

Le Saint-Père a appris avec satisfaction que l'Union des religieuses éducatrices paroissiales dont il suit avec un paternel intérêt les heureux développements, s'apprêtait à tenir prochainement à Paris, sous la présidence de Son Em. le cardinal Feltin, son troisième Congrès national, sur le thème : La religieuse dans la cité. Education du sens civique dans nos oeuvres féminines.

Ce thème a paru à Sa Sainteté particulièrement opportun et actuel : pour les religieuses elles-mêmes d'abord, auxquelles les exigences de la vie moderne imposent en ce domaine de nouveaux devoirs, qu'elles ne peuvent méconnaître sans dommages ; ensuite surtout pour les innombrables jeunes filles confiées à leurs soins et qui auront demain à exercer, en esprit chrétien, leurs droits et leurs devoirs de citoyennes.

A une époque où la femme devenue électrice, est appelée à jouer son rôle dans la marche des affaires publiques, on ne comprendrait pas, en effet, que des éducatrices de la jeunesse féminine négligent de donner sur ce point la formation nécessaire.

Or, il faut reconnaître que les obligations d'ordre civique — qui émanent pourtant, en dernière analyse, du quatrième com

D'après la Documentation Catholique, no 1210, du 16 octobre 1955, col. 1295-1297.

mandement de Dieu — n'ont peut-être pas toujours, dans ie passé, occupé toute la place qui leur revenait de droit dans l'éducation chrétienne. Combien de femmes catholiques, pour ne citer qu'un exemple particulièrement frappant, se désintéressent, encore aujourd'hui, du devoir électoral, parce qu'on n'a pas eu soin de leur faire comprendre en temps voulu les graves conséquences que pouvait entraîner leur abstention pour le bien de la société tout entière ! Et comme il serait désirable, au contraire, que les enfants de lumière aient à coeur de donner toujours l'exemple, dans ce domaine comme dans les autres ! Ils se doivent de ne le céder à personne dans le souci du bien commun de leur pays et de n'être pas moins ardents à la pratique des devoirs civiques qu'ils ne voudraient l'être quand il s'agit des vertus domestiques ou professionnelles. Cela suppose évidemment une formation soigneuse, commencée dès le jeune âge, et c'est ce qui montre bien toute l'importance du thème choisi pour le présent Congrès.

Aussi est-ce de grand coeur que Sa Sainteté se plaît à féliciter M. l'abbé Courtois, aumônier général de l'Union des religieuses éducatrices paroissiales et zélé animateur du Congrès, et à invoquer sur toutes celles qui y participeront l'abondance des divines lumières, leur envoyant, de tout coeur, comme témoignage de sa paternelle bienveillance et gage de fructueux travaux, la Bénédiction apostolique.

Dans l'après-midi du mercredi 7 septembre, Sa Sainteté Pie XII, a reçu en audience, dans la Salle des Bénédictions, les 1.500 personnes présentes au Congrès international des sciences historiques et leur a adressé le discours suivant :

Vous avez voulu, Messieurs, venir en grand nombre Nous rendre visite à l'occasion du dixième Congrès international des sciences historiques ; c'est avec joie que Nous vous accueillons et avec la conviction que cet événement revêt une haute signification : jamais peut-être un groupe aussi distingué de savants historiens ne s'est réuni à Rome, au centre de l'Eglise et dans la demeure du Pape. D'ailleurs, Nous n'avons nullement l'impression de rencontrer des inconnus ou des étrangers. Plusieurs d'entre vous, en effet, se seront trouvés parmi les milliers d'historiens qui ont travaillé à la Bibliothèque ou aux Archives Vaticanes, ouvertes depuis 75 ans exactement. Mais en outre, votre activité de chercheurs ou de professeurs aura donné l'occasion à la plupart d'entre vous, sinon à tous, d'entrer en contact, en quelque manière avec l'Eglise catholique et la Papauté.

Les méthodes modernes ont fait de l'histoire, une véritable science.

Bien que l'histoire soit une science ancienne, il fallut attendre les derniers siècles et le développement de la critique historique pour qu'elle atteignît la perfection où elle se situe maintenant. Grâce à l'exigence rigoureuse de sa méthode et au zèle infati

1 D'après le texte français de l'Osservatore Romano, du 16 septembre 1055 ¦ A A S., XXXXVII, 1955, p. 67a.


SCIENCES HISTORIQUES

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gable de ses spécialistes, vous pouvez vous réjouir de connaître le passé avec plus de détails, de le juger avec plus d'exactitude que n'importe lequel de vos devanciers. Ce fait souligne encore l'importance que Nous attribuons à votre présence en ce lieu.

Relations de l'Eglise catholique avec l'histoire.

L'histoire se range parmi les sciences qui ont avec l'Eglise catholique d'étroites relations. A tel point que Nous n'avons pu vous adresser tantôt Notre salut de bienvenue sans mentionner presque involontairement ce fait. L'Eglise catholique est elle-même un fait historique ; comme une puissante chaîne de montagnes, elle traverse l'histoire des deux derniers millénaires ; quelle que soit l'attitude adoptée à son égard, il est donc impossible de l'éviter. Les jugements que l'on porte sur elle sont très variés ; ils vont de l'acceptation totale au rejet le plus décisif. Mais quel que soit le verdict final de l'historien, dont c'est la tâche de voir et d'exposer — tels qu'ils se sont passés, autant que possible — les faits, les événements et les circonstances, l'Eglise croit pouvoir attendre de lui qu'il s'informe en tous cas de la conscience historique qu'elle a d'elle-même, c'est-à-dire de la manière dont elle se considère comme un fait historique et dont elle considère sa relation à l'histoire humaine.

Ne pas confondre histoire avec historicisme.

Cette conscience, que l'Eglise a d'elle-même, Nous voudrions vous en dire un mot en citant des faits, des circonstances et des conceptions qui Nous paraissent revêtir une signification plus fondamentale.

Pour commencer, Nous voudrions réfuter une objection qui se présente, pour ainsi dire, d'emblée. Le christianisme, disait-on et dit-on encore, prend nécessairement vis-à-vis de l'histoire une position hostile, parce qu'il aperçoit en elle une manifestation du mal et du péché ; catholicisme et historicisme sont des concepts antithétiques. Remarquons d'abord que l'objection ainsi formulée, considère histoire et historicisme comme des concepts équivalents. En cela, elle a tort. Le terme « historicisme » désigne un système philosophique, celui qui n'aperçoit dans toute réalité spirituelle, dans la connaissance du vrai, dans la religion, la moralité et le droit, que changement et évolution, et rejette par conséquent tout ce qui est permanent, éternellement valable et

DISCOURS AU Xe CONGRÈS INTERNATIONAL DES SCIENCES HISTORIQUES

(y septembre 1955) 1

absolu. Un tel système est assurément inconciliable avec la conception catholique du monde et, en général, avec toute religion qui reconnaît un Dieu personnel.

L'Eglise catholique sait que tous les événements se déroulent selon la volonté ou la permission de la divine Providence et que Dieu atteint dans l'histoire ses objectifs. Comme le grand saint Augustin l'a dit avec une concision toute classique : ce que Dieu se propose, hoc fit, hoc agitur ; etsi paulatim peragiiur, indesi-nenter agitur 2. Dieu est vraiment le Seigneur de l'histoire.

Il n'y a pas d!opposition entre christianisme et histoire.

Cette affirmation répond déjà par elle seule à l'objection mentionnée. Entre le christianisme et l'histoire, on ne découvre aucune opposition au sens où l'histoire ne serait qu'une émanation ou une manifestation du mal. L'Eglise catholique n'a jamais enseigné une telle doctrine. Depuis l'antiquité chrétienne, depuis l'époque patristique, mais tout particulièrement lors du conflit spirituel avec le protestantisme et le jansénisme, elle a pris nettement position pour la nature ; de celle-ci, elle affirme que le péché ne l'a pas corrompue, qu'elle est restée intérieurement intacte, même chez l'homme tombé, que l'homme avant le christianisme et celui qui n'est pas chrétien pouvaient et peuvent poser des actions bonnes et honnêtes, même en faisant abstraction du fait que toute l'humanité, y compris celle d'avant le christianisme, est sous l'influence de la grâce du Christ.

L'Eglise reconnaît volontiers les réalités bonnes et grandes, même si elles existaient avant elle, même hors de son domaine. 5. Augustin sur lequel les opposants s'appuient volontiers en interprétant mal son De Civitate Dei, et qui ne dissimule pas son pessimisme, est lui aussi absolument net. Au tribun et notaire impérial Flavius Marcellinus, à qui il dédia cette grande oeuvre, il écrit en effet : Deus.enim sic ostendit in opulentissimo et prseclaro imperio Romanorum, quantum volèrent civiles etiam sine vera religione virtutes, ut intelligeretur, hac addita, fieri homines cives alterius civitatis, cuius rex ventas, cuius lex caritas, cuius modus seternitas3. Augustin a traduit en ces mots l'opinion constante de l'Eglise.

2 S. Augustin, Enarratio in Ps. log, no g ; Migne, P. L., 37, col. 1952.

3 S. Augustin, Ep. 138, no 17 ; Migne, P. L., 33, col. 533.

Les origines, le développement, la mission de l'Eglise sont des faits historiques.

Parlons à présent de l'Eglise elle-même comme fait historique. En même temps qu'elle affirme pleinement son origine divine et son caractère surnaturel, l'Eglise a conscience d'être entrée dans l'humanité comme un fait historique. Son divin fondateur Jésus-Christ est une personnalité historique. Sa vie, sa mort et sa résurrection sont des faits historiques. Il arrive parfois que ceux-là mêmes, qui nient la divinité du Christ, admettent sa résurrection, parce qu'elle est, à leur sens, trop bien attestée historiquement ; qui voudrait la nier, devrait effacer toute l'histoire antique, car aucun de ses faits n'est mieux prouvé que la résurrection du Christ. La mission et le développement de l'Eglise sont des faits historiques. Ici à Rome, il convient de citer saint Pierre et saint Paul : Paul appartient, même d'un point de vue purement historique, aux figures les plus remarquables de l'humanité. En ce qui concerne l'apôtre Pierre et sa position dans l'Eglise du Christ, bien que la preuve monumentale du séjour et de la mort de Pierre à Rome n'ait pas pour la foi catholique une importance essentielle, Nous avons cependant fait exécuter sous la basilique les fouilles bien connues. Leur méthode est approuvée par la critique ; le résultat — la découverte de la tombe de Pierre sous la coupole, juste en-dessous de l'autel papal actuel — fut admis par la grande majorité des critiques, et même les sceptiques les plus sévères furent impressionnés par ce que les fouilles ont mis à jour. D'ailleurs, Nous avons des motifs à croire que les recherches et les études ultérieures permettront d'acquérir encore de nouvelles et précieuses connaissances.

Les origines du christianisme et de l'Eglise catholique sont des faits historiques, prouvés et déterminés dans le temps et dans l'espace. De cela l'Eglise est bien consciente.

Elle sait aussi que sa mission, bien qu'appartenant par sa nature et ses buts propres au domaine religieux et moral, situé dans l'au-delà et l'éternité, pénètre toutefois en plein coeur de l'histoire humaine. Toujours et partout, en s'adaptant sans cesse aux circonstances de lieu et de temps, elle veut modeler, d'après la loi du Christ, les personnes, l'individu et, autant que possible, tous les individus, atteignant aussi par là les fondements moraux de la vie en société. Le but de l'Eglise c'est l'homme, naturellement bon, pénétré, ennobli et fortifié par la vérité et la grâce du Christ.

Sa mission est de faire des hommes, de véritables images de Dieu.

L'Eglise veut faire des hommes « établis dans leur intégrité inviolable comme des images de Dieu ; des hommes fiers de leur dignité personnelle et de leur saine liberté ; des hommes justement jaloux de l'égalité avec leurs semblables en tout ce qui touche le fond le plus intime de la dignité humaine ; des hommes solidement attachés à leur terre et à leur tradition » — voilà quelle est l'intention de l'Eglise telle que Nous l'avons formulée dans Notre allocution du 20 février 1946, à l'occasion de l'imposition de la barrette aux nouveaux Cardinaux 4. Nous ajoutons : au siècle présent comme au siècle passé, où les problèmes de la famille, de la société, de l'Etat, de l'ordre social ont acquis une importance toujours croissante et même capitale, l'Eglise a tout mis en oeuvre pour contribuer à la solution de ces questions et, croyons-Nous, avec quelque succès. L'Eglise se persuade cependant qu'elle ne peut y travailler plus efficacement qu'en continuant à former les hommes de la manière que Nous avons décrite.

Pour atteindre ces buts, l'Eglise n'agit pas seulement comme un système idéologique. Sans doute, la définit-on aussi comme telle, quand on utilise l'expression « catholicisme », qui ne lui est ni habituelle ni pleinement adéquate. Elle est bien plus qu'un simple système idéologique ; elle est une réalité comme la nature visible, comme le peuple ou l'Etat. Elle est un organisme bien vivant avec sa finalité, son principe de vie propres. Immuable dans la constitution et la structure que son divin fondateur lui-même lui a données, elle a accepté et accepte les éléments dont elle a besoin ou qu'elle juge utiles à son développement et à son action : hommes et institutions humaines, inspirations philosophiques et culturelles, forces politiques et idées ou institutions sociales, principes et activités. Aussi l'Eglise, en s'étendant dans le monde entier a-t-elle subi au cours des siècles divers changements, mais, dans son essence, elle est toujours restée identique à elle-même, parce que la multitude d'éléments qu'elle a reçus, fut dès le début constamment assujettie à la même foi fondamentale. L'Eglise pouvait être très vaste, elle pouvait aussi se montrer inflexiblement sévère. Si l'on considère l'ensemble de son histoire, on voit qu'elle fut l'une et l'autre, avec un instinct

A. A. S., 38, 1946, p. 147; Discorsi e Radiomessaggi, vol. VII, 1946, p. 393.

sûr de ce qui convenait aux différents peuples et à toute l'humanité. Aussi a-t-elle rejeté tous les mouvements trop naturalistes, contaminés en quelque façon par l'esprit de licence morale, mais aussi les tendances gnostiques, faussement spiritualistes et puritaines. L'histoire du droit canon, jusqu'au Code actuellement en vigueur, en fournit bon nombre de preuves significatives. Prenez, par exemple, la législation ecolésiastique du mariage et les récentes déclarations pontificales sur les questions de la société conjugale et de la famille dans tous leurs aspects. Vous y trouverez un exemple, parmi beaucoup d'autres, de la manière dont l'Eglise pense et travaille.

Egh'se a le droit d'intervenir dans la vie publique.

En vertu d'un principe analogue, elle est intervenue régulièrement dans le domaine de la vie publique, pour garantir le juste équilibre entre devoir et obligation d'un côté, droit et liberté de l'autre. L'autorité politique n'a jamais disposé d'un avoué plus digne de confiance que l'Eglise catholique ; car l'Eglise fonde l'autorité de l'Etat sur la volonté du Créateur, sur le commandement de Dieu. Assurément, parce qu'elle attribue à l'autorité publique une valeur religieuse, l'Eglise s'est opposée à l'arbitraire de l'Etat, à la tyrannie sous toutes ses formes. Notre prédécesseur Léon XIII dans son encyclique Immortale Dei du 1er novembre 1885 a écrit : Rêvera quse res in civitate plurium ad com-munem salutem possunt : quee sunt contra licentiam principum populo maie consulentium utiliter instituts : quse summam rem-publicam vêtant in municipalem, vel domesticam rem importu-nius invadere : qum valent ad decus, ad personam hominis, ad sequabilitatem iuris in singulis civibus conservandam, oerum re-rum omnium Ecclesiam catholicam vel inventricem, vel auspicem, vel custodem semper fuisse, superiorum setatum monumenta testantur 5. Lorsque Léon XIII écrivait ces paroles, il y a septante ans, le regard tourné vers le passé, il ne pouvait pas deviner à quelle épreuve l'avenir immédiat allait les mettre. Aujourd'hui Nous croyons pouvoir dire que l'Eglise pendant ces septante années s'est montrée fidèle à son passé, et même que les affirmations de Léon XIII ont été depuis lors largement dépassées.

Lecnis X1U P. M. Acta, éd. Romana, vol. V, 1886, p. 142.

Histoire des relations entre l'Eglise et l'Etat.

Nous en arrivons ainsi à traiter deux problèmes, qui méritent une attention toute spéciale : les relations entre l'Eglise et l'Etat, entre l'Eglise et la culture.

A l'époque pré-chrétienne l'autorité publique, l'Etat, était compétent, tant en matière profane que dans le domaine religieux. L'Eglise catholique a conscience que son divin fondateur lui a transmis le domaine de la religion, la direction religieuse et morale des hommes dans toute son étendue, indépendamment du pouvoir de l'Etat. Depuis lors, il existe une histoire des relations entre l'Eglise et l'Etat, et cette histoire a captivé fortement l'attention des chercheurs.

Léon XIII a enfermé, pour ainsi dire, dans une formule, la nature propre de ces relations, dont il donne un exposé lumineux dans ses encycliques Diuturnum illud (1881), Immortale Dei (1885) et Sapientioe christianse (1890) : les deux pouvoirs, l'Eglise comme l'Etat, sont souverains. Leur nature, comme la fin qu'ils poursuivent, fixent les limites, à l'intérieur desquelles ils gouvernent iure proprio. Comme l'Etat, l'Eglise possède aussi un droit souverain sur tout ce dont elle a besoin pour atteindre son but, même sur les moyens matériels. Quidquid igitur est in rébus humanis quoquo modo sacrum, quidquid ad salutem animorum cultumve Dei pertinet, sive taie illud sit natura sua, sive rursus taie intelligatur propter causam ad quam refertur, id est omne in potestate arbitrioque Ecclesise6. L'Etat et l'Eglise sont des pouvoirs indépendants, mais qui ne doivent pas pour cela s'ignorer, encore moins se combattre ; il est beaucoup plus conforme à la nature et à la volonté divine qu'ils collaborent dans la compréhension mutuelle, puisque leur action s'applique au même sujet, c'est-à-dire au citoyen catholique. Certes, des cas de conflit restent possibles : lorsque les lois de l'Etat lèsent le droit divin, l'Eglise a l'obligation morale de s'y opposer.

On pourra dire qu'à l'exception de peu de siècles, pour tout le premier millénaire comme pour les quatre derniers siècles, la formule de Léon XIII reflète plus ou moins explicitement la conscience de l'Eglise ; d'ailleurs, même pendant la période intermédiaire, il y eut des représentants de la doctrine de l'Eglise, peut-être même une majorité, qui partagèrent la même opinion.

Encyclique Immortale Dei, Leonis XIII P. M. Acta, éd. Româna, vol. V, pp. 127-128.

Quand Notre prédécesseur Boniface VIII disait, le 30 avril 1303, aux envoyés du roi germanique Albert de Habsbourg : . . . sicut luna nullum lumen habet, nisi quod recipit a sole, sic nec aliqua terrena potestas aliquid habet, nisi quod recipit ah eclesiástica potestate . . . omnes potestates . .. sunt a Christo et a nobis tamquam a vicario Jesu Christi1, il s'agit bien là de la formulation peut-être la plus accentuée de l'idée dite médiévale des relations du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel ; de cette idée, des hommes comme Boniface tirèrent les conséquences logiques. Mais, même pour eux, il ne s'agit ici normalement que de la transmission de l'autorité comme telle, non de la désignation de son détenteur, ainsi que Boniface lui-même l'avait déclaré au consistoire du 24 juin 1302 8. Cette conception médiévale était conditionnée par l'époque. Ceux qui connaissent ses sources, admettront probablement qu'il serait sans doute encore plus étonnant qu'elle ne fût pas apparue.

Ils concéderont peut-être aussi qu'en acceptant des luttes comme celle des Investitures, l'Eglise défendait des idéals hautement spirituels et moraux et que, depuis les apôtres jusqu'à nos jours, ses efforts pour rester indépendante du pouvoir civil ont toujours visé à sauvegarder la liberté des convictions religieuses. Qu'on n'objecte pas que l'Eglise elle-même méprise les convictions personnelles de ceux qui ne pensent pas comme elle. L'Eglise considérait et considère l'abandon volontaire de la vraie foi comme une faute. Lorsqu'à partir de 1200 environ, cette défection entraîna des poursuites pénales de la part du pouvoir tant spirituel que civil, ce fut pour éviter que ne se déchirât l'unité religieuse et ecclésiastique de l'Occident. Aux non-catholiques, l'Eglise applique le principe repris dans le Code de Droit Canon : Ad amplexandam fidem catholicam nemo invitus coga-tur (can. 1351), et estime que leurs convictions constituent un motif, mais non toutefois le principal, de tolérance. Nous avons traité déjà ce sujet dans Notre allocution du 6 décembre 1953 aux juristes catholiques d'Italie 9.

L'historien ne devrait pas oublier que, si l'Eglise et l'Etat connurent des heures et des années de lutte, il y eut, de Constantin le Grand jusqu'à l'époque contemporaine et même récente, des périodes tranquilles, souvent prolongées, pendant lesquelles

Monumenta Cermaniae histórica, IX. sect. IV, tome IV, part, l, p. 139, 19-32-Cf. C. E. Bulaeus, Historia Universatis Parisiensis, t. IV, Paris, 1688, pp. 31-33-Cf. Documents Pontificaux 1953, p. 610.

10 A. A. S., XXXXV, 1953, p. 802; Discorsi e Radiomessaggi., vol. XV, p. 491 ; Documents Pontificaux 1953, p. 619.

des deux derniers millénaires. Mais elle est bien convaincue que la source de cette influence réside dans l'élément spirituel qui la caractérise, sa vie religieuse et morale, à tel point que si celle-ci venait à s'affaiblir, son rayonnement culturel lui aussi, par exemple celui qu'elle déploie au profit de l'ordre et de la paix sociale, devrait en pâtir.

Plusieurs historiens, ou plus exactement peut-être des philosophes de l'histoire, estiment que la place du christianisme, et par là de l'Eglise catholique — « un événement tardif », « ein spàtes Ergebnis », du reste, comme le pense Karl Jaspers 11 - est dans le monde occidental. Que l'oeuvre du Christ soit un événement tardif, c'est une question que Nous n'avons pas l'intention de discuter ici. Pour l'essentiel, en effet, elle est dépourvue d'intérêt, et d'ailleurs sur l'avenir de l'humanité, on ne peut en somme que faire des conjectures. Ce qui Nous importe, c'est que l'Eglise a conscience d'avoir reçu sa mission et sa tâche pour tous les temps à venir et pour tous les hommes, et par conséquent de n'être liée à aucune culture déterminée. Saint Augustin jadis fut profondément affecté, lorsque la conquête de Rome par Alaric secoua l'Empire des premières convulsions qui présageaient sa ruine ; mais il n'avait pas cru qu'il durerait éternellement. « Transient quse fecit ipse Deus ; quanto citius quod condidit Romulus », dit-il12 et, dans la Cifé de Dieu, il a distingué nettement l'existence de l'Eglise du destin de l'Empire. C'était penser en catholique.

Ce qu'on appelle Occident ou monde occidental a subi de profondes modifications depuis le moyen âge : la scission religieuse du XVIe siècle, le rationalisme et le libéralisme conduisant à l'Etat du XIXe siècle, à sa politique de force et à sa civilisation sécularisée. Il devenait donc inévitable que les relations de l'Eglise catholique avec l'Occident subissent un déplacement. Mais la culture du moyen âge elle-même, on ne peut pas la caractériser comme la culture catholique ; elle aussi, bien qu'étroite-ment liée à l'Eglise, a puisé ses éléments à des sources différentes. Même l'unité religieuse propre au moyen âge ne lui est pas spécifique ; elle était déjà une note typique de l'antiquité chrétienne dans l'Empire romain d'Orient et d'Occident, de Constantin le Grand et Charlemagne.

11 Karl Jaspers, Vom Ursprung und Ziel der Geschichte, Frankfurt/M. - Hamburg, 1955, p. 65.

12 S. Augustin, Sermon Audivimus nos exhortantem Dominum nostrum, 105, c. 7, n- 10 ; Migne, P. L., 38, col. 623.

ils collaborèrent dans une pleine compréhension à l'éducation des mêmes personnes. L'Eglise ne dissimule pas qu'elle considère en principe cette collaboration comme normale, et qu'elle regarde comme un idéal l'unité du peuple dans la vraie religion et l'unanimité d'action entre elle et l'Etat. Mais elle sait aussi que depuis un certain temps les événements évoluent plutôt dans l'autre sens, c'est-à-dire vers la multiplicité des confessions religieuses et des conceptions de vie dans la même communauté nationale — où les catholiques constituent une minorité plus ou moins forte. Il peut être intéressant et même surprenant pour l'historien de rencontrer aux Etats-Unis d'Amérique un exemple, parmi d'autres, de la manière dont l'Eglise réussit à s'épanouir dans les situations les plus disparates.

Les concordats.

Dans l'histoire des relations entre l'Eglise et l'Etat, les Concordats jouent, comme vous le savez, un rôle important. Ce que Nous avons relevé à ce sujet dans l'allocution, citée tantôt, du 6 décembre 1953 vaut aussi de l'appréciation historique qu'on porte sur eux. Dans les concordats, disions-Nous, l'Eglise cherche la sécurité juridique et l'indépendance nécessaire à sa mission. « Il est possible, ajoutions-Nous, que l'Eglise et l'Etat proclament dans un Concordat leur conviction religieuse commune ; mais il peut arriver aussi que le Concordat ait pour but, entre autres, de prévenir les querelles autour des questions de principe et d'écarter dès le début les occasions possibles de conflit. Quand l'Eglise a apposé sa signature sur un Concordat, celui-ci vaut pour tout son contenu. Mais le sens profond peut comporter des nuances, dont les parties contractantes ont toutes deux connaissance ; il peut signifier une approbation expresse, mais il peut dire aussi une simple tolérance, selon. . . (les) principes qui servent de norme pour la coexistence de l'Eglise et de ses fidèles avec les Puissances et les hommes d'une autre croyance 10. »

Relations entre l'Eglise et la culture.

L'Eglise et la culture : l'Eglise catholique a exercé une influence puissante, décisive même sur le développement culturel

L'Eglise catholique ne s'identifie avec aucune culture ; son essence le lui interdit. Elle est prête cependant à entretenir des rapports avec toutes les cultures. Elle reconnaît et laisse subsister ce qui, en elles, ne s'oppose pas à la nature. Mais en chacune d'elles, elle introduit en outre la vérité et la grâce de Jésus-Christ et leur confère ainsi une ressemblance profonde ; c'est même par là qu'elle contribue avec le plus d'efficacité à procurer la paix du monde.

Le monde entier subit encore aujourd'hui l'action d'un autre élément, dont on prédit qu'il provoquera dans l'histoire de l'humanité (sous l'aspect profane) des bouleversements très considérables : la science et la technique modernes, que l'Europe ou plutôt les pays occidentaux ont créées pendant ces derniers siècles ; celui qui ne les assimile pas, dit-on, rétrograde et sera éliminé ; celui qui les assimile, au contraire, doit aussi consentir aux dangers qu'elles comportent « pour l'être humain » fur das Menschsein 13. En fait, la science et la technique sont en passe de devenir le bien commun de l'humanité. Ce qui motive des inquiétudes, ce ne sont pas seulement les dangers dont elles menacent l'être humain, mais la constatation qu'elles se révèlent incapables d'endiguer l'aliénation spirituelle qui sépare les races et les continents ; cette dernière semble au contraire s'accroître. Si l'on veut éviter la catastrophe, il sera donc nécessaire de mettre en oeuvre, en même temps, sur un plan supérieur, de puissantes forces religieuses et morales d'unification et d'en faire le bien commun de l'humanité. L'Eglise catholique a conscience de posséder de telles forces et elle croit ne plus être obligée d'en fournir la preuve historique. Du reste, devant la science et la technique modernes, elle ne se cantonne pas dans l'opposition, mais se comporte plutôt comme un contrepoids et un facteur d'équilibre. Aussi pourra-t-elle, à l'époque où science et technique triomphent, remplir sa tâche aussi bien qu'elle le fit pendant les siècles passés.

Les Archives vaticanes sont ouvertes à tous les historiens.

Nous voulions vous exposer comment l'Eglise se voit elle-même comme phénomène historique, comment elle voit sa tâche et ses relations à d'autres données historiques déterminées. Avec

13 Karl Jaspers, op. et loc. cit., p. 67 et 81.

magnanimité, Notre prédécesseur Léon XIII a ouvert aux chercheurs les Archives vaticanes. Les historiens peuvent y contempler comme dans un miroir la conscience que l'Eglise a d'elle-même. Vous savez qu'un seul document peut induire en erreur ; mais non toute une collection d'archives, si, comme celle du Vatican, avec son matériel considérable, qui couvre des Pontificats entiers, des dizaines d'années et des siècles, elle met en évidence, à travers les changements innombrables des événements, des hommes et des situations, une façon de penser et d'agir bien caractérisée, des convictions et des principes déterminés. Ainsi les Archives vaticanes sont-elles un témoin digne de confiance de la conscience de l'Eglise catholique.

Voulant d'ailleurs répondre aux désirs des chercheurs, Nous étudions actuellement les moyens les plus opportuns d'élargir encore l'action de Notre Prédécesseur en leur rendant accessibles les documents relatifs à une période ultérieure.

Lorsqu'il ouvrit au public les Archives vaticanes, Léon XIII a rappelé la règle classique que l'historien doit observer, au dire de Cicéron : primam esse historiée legem, ne quid falsi dicere audeat : dende ne quid veri non audeat ; ne qua suspicio gra-tioe sit in scribendo, ne qua simultatis Vous savez combien on a discuté sur le thème : « la science doit être libre de présupposés ». Ce thème était un slogan ; comme tous les slogans il ne manquait pas d'ambiguïté et prêtait aussi à confusion. Il n'existe pas de science, du moins pas de science positive, qui se passe réellement de présupposés. Chacune postule au moins certaines lois de l'être et de la pensée qu'elle utilise pour se constituer. Si, au lieu de dire : « libre de présupposés », on avait dit « impartiale » ! Que la science dans sa poursuite de la vérité ne se laisse pas influencer par des considérations subjectives — voilà une proposition sur laquelle tous auraient pu tomber d'accord.

Pour que chacun de vous et la science que vous pratiquez contribuent à faire du passé historique un enseignement pour le présent et l'avenir, Nous appelons de tout coeur sur vous les plus abondantes bénédictions divines !

14 Cicéron, De orotore, I. II, cap. 15 ; Léon XIII, lettre Saepenumero considérantes du 18 août 1883, Leonis XIII, P. M. Acta, vol. III, éd. Romana, 1884, p. 268.

DISCOURS AUX MEMBRES DU IVe CONGRÈS THOMISTE INTERNATIONAL

(14 septembre 1955) 1

Soixante-dix Universités et Vacuités du monde entier étaient représentées au quatrième Congrès thomiste international. Le Saint-Père donna audience à une imposante assemblée de congressistes, le 14 septembre, à Castelgandolfo, et leur adressa le discours suivant :

Nous vous souhaitons affectueusement la bienvenue, chers fils, membres de l'Académie pontificale de Saint-Thomas d'Aquin. En vue de promouvoir — comme c'est votre but et votre devoir — la doctrine du Docteur angélique, vous recourez aussi, parmi d'autres moyens, à la convocation d'un Congrès international tous les cinq ans. Nous vous bénissons avec toute l'effusion de Notre coeur paternel, afin que l'abondance des célestes lumières vous accompagne tous dans le travail que vous accomplissez présentement et dans celui que vous continuerez d'accomplir à l'avenir ; Nous prions l'Esprit divin de rendre ce travail fécond et fructueux, non seulement pour vous, mais encore pour tous ceux que le désir du savoir rend aujourd'hui particulièrement préoccupés de la valeur objective et permanente du vrai et du bien.

Le Saint-Père recommande instamment l'étude de S. Thomas d'Aquin. Vous savez assez combien Nous tient à coeur l'étude profonde et assidue de la doctrine du Docteur commun : Nous l'avons déclaré en maintes occasions, même dans des documents solennels, faisant remarquer, entre autres, comment la méthode et les principes de saint Thomas l'emportent sur tous les autres,

XXXXVn0'^;:5;.6^ franÇaiS ^ R, du 23 septembre 1955 ; A. A. S.,

qu'il s'agisse de former l'intelligence des jeunes ou d'amener les esprits déjà formés à pénétrer les vérités jusque dans leurs significations les plus secrètes. Etant, de plus, en pleine harmonie avec la révélation divine, cette doctrine est singulièrement efficace pour établir avec sûreté les fondements de la foi, comme pour recueillir les fruits du vrai progrès 2. Et Nous n'hésitons pas à dire que la célèbre encyclique Aeterni Patris du 4 août 1879, par laquelle Notre immortel prédécesseur Léon XIII rappela les intelligences catholiques à l'unité de doctrine dans l'enseignement de saint Thomas, conserve toute sa valeur. Sans difficulté Nous faisons Nôtres ces graves paroles de l'insigne Pontife : Discedere inconsulte ac temere a sapientia Doctoris angelici, res aliéna est a voluntate Nostra eademque plena periculi3.

Actualité de la pensée de saint Thomas.

Nous avons donc été particulièrement heureux d'apprendre que vous aviez l'intention de confronter dans ce Congrès la doctrine du Docteur angélique avec les principaux courants de la pensée moderne et contemporaine. Ce faisant, vous estimez à juste titre qu'il n'y a guère de questions, même parmi celles qu'on agite aujourd'hui, qui ne puissent s'éclaircir en y appliquant tel ou tel des principes énoncés par saint Thomas ; et personne, pensez-vous, ne peut mettre en doute l'utilité qu'il y a à connaître solidement cette doctrine, si l'on ne veut pas se laisser entraîner avec légèreté par les philosophies à la mode, vouées à une vie éphémère et qui ne laissent derrière elles que le trouble et le scepticisme. Mais il y a une question fondamentale, très actuelle, qui réclame une particulière attention de votre part. Nous voulons parler des rapports entre l'expérience scientifique et la philosophie : c'est un point, sur lequel des études et des découvertes récentes ont soulevé de nombreux problèmes. Remarquons tout de suite qu'en général l'étude honnête et profonde des problèmes scientifiques non seulement ne conduit pas, de soi, à des oppositions avec les principes certains de la philo-sophia perennis, mais reçoit d'eux, au contraire, une lumière à laquelle les philosophes eux-mêmes ne s'attendaient peut-être pas et qu'ils ne pouvaient en tout cas espérer aussi continuelle et

2 Encyclique Humani Ceneris, A. A. S., XXXXII, p. 573.

3 Epistola ad Ministrum Generalem Ordinis Fratrum Minorum, 25 novembre 1898, Leonis Xlll Acta, vol. XVIII, p. 188.

aussi intense. Laissant donc à vos savants rapporteurs et conférenciers le soin de traiter les grands thèmes de votre Congrès, Nous Nous bornerons ici à vous entretenir sur trois points particuliers de la physique moderne, qui concernent la structure intime de la matière.

Le Saint-Père traite de trois points de la physique moderne : a) structure de la matière et atome.

1. Les progrès de la recherche scientifique dans le domaine de la structure de la matière ont entraîné la nécessité de construire des schémas, qui pourraient, par analogie, servir de guide pour la compréhension de faits non encore bien éclaircis.

Les succès grandioses obtenus dans l'étude du macrocosme, grâce à l'application des lois de la mécanique, avaient fait espérer que toute la nature pourrait être enfermée dans des conceptions générales du même type. C'est sur cette hypothèse de base que s'est développé le mécanisme scientifique.

La méthode continua à donner d'excellents résultats, quand on passa, dans son application, du monde des astres au monde des cristaux et à celui des structures moléculaires. Un exemple typique est fourni par la théorie cinétique des gaz qui, partant d'hypothèses de nature purement mécanique, réussit à prévoir exactement la plus grande partie des phénomènes qui règlent leur comportement.

On en vint donc naturellement à penser que le microcosme pourrait être interprété, lui aussi, selon des schémas mécaniques, et qu'au fond les lois qui règlent le mouvement des astres devaient valoir également pour la constitution des atomes et des molécules. Ainsi naquirent les premiers schémas planétaires de l'atome, conçu comme un minuscule système de particules tournant autour d'un noyau de masse beaucoup plus grande. Mais au fur et à mesure que l'expérience se poursuivait, le schéma se révélait de plus en plus insuffisant. On assistait à la ruine progressive de la conception mécanistique : des orbites variant avec continuité aux orbites discrètes ; de celles-ci aux sauts quan-tiques, aux nouvelles conceptions de niveaux énergétiques, pour arriver enfin à la dénomination d'état quantique, dans laquelle le concept intuitif d'orbite peut être considéré comme disparu. La présence de l'électron dans l'édifice atomique passait elle-même de l'idée d'une sorte de bille roulante, semblable à une planète, parfaitement déterminable en chaque instant et pourvue d'une énergie bien définie, à celle d'une perturbation du champ électromagnétique autour du noyau. L'individualité des particules devenait toujours moins précise.

Si l'on en vient à la structure du noyau atomique, les problèmes deviennent plus complexes et les schémas tirés de la mécanique sont tout juste utilisables pour formuler un vocabulaire, en sachant d'avance qu'aux différents vocables (particule, orbite, saut quantique, choc, capture, échange) correspondent des réalités non assimilables aux images ordinaires du macrocosme.

Ces quelques faits, rapidement évoqués, suffisent à montrer la faillite des hypothèses mécanistiques, pratiquement abandonnées désormais par les spécialistes des sciences physiques en ce qui concerne l'interprétation du microcosme.

Il devient donc évidemment nécessaire d'examiner vers quelles bases de nature philosophique il est possible d'orienter les nouveaux résultats de la science. Une fois effondrée la théorie du mécanicisme positiviste, on a cherché à la remplacer par des conceptions de nature plus idéaliste, appuyées sur la primauté donnée au sujet connaisseur et à son mode de connaissance. Nous ne pouvons entrer ici directement dans la critique de ces procédés. Qu'il Nous suffise de faire remarquer que la rectitude de conscience, dans la recherche scientifique, a conduit la pensée moderne au seuil de la seule philosophie, qui peut donner une interprétation raisonnable des résultats obtenus par l'expérience. Si l'on tenait bien présents à l'esprit les principes fondamentaux de cette philosophie, on verrait que, pas plus dans ce domaine que dans les autres, ils ne sont en opposition avec les nécessités de la pensée moderne.

Qu'affirme, en effet, la philosophia perennis ? Qu'il existe dans les corps un principe unifiant, qui se révèle d'autant plus efficace, qu'on examine de plus près la constitution intime de ces corps.

On part d'« ensembles » (dans le domaine des non-vivants) formés de parties unies entre elles par des liens purement accidentels et extérieurs : dans ces conditions les lois de la mécanique sont suffisantes pour expliquer les actions et intégrations des divers éléments. Au fur et à mesure que l'on descend aux éléments plus fondamentaux, apparaissent des liens plus intimes que ceux d'ordre purement mécanique : ces liens postulent une certaine unité des principes qui agissent dans la diversité des parties composantes. C'est justement en ce domaine que la doctrine de l'hylémorphisme se révèle utile. Alors que dans le ma-crocosme le problème ne se pose pas avec tant d'évidence, il devient plus urgent dans le microcosme. La théorie de la matière et de la forme, de la puissance et de l'acte, est capable d'éclairer les exigences de la science moderne d'une lumière, qui cadre bien avec les résultats de l'expérience. Elle affirme, en effet, qu'il doit exister des systèmes fondamentaux, constituant la base des propriétés des corps, et que ceux-ci doivent avoir une unité intrinsèque et non accidentelle : qu'ils ne peuvent dès lors être constitués par des particules, dont chacune conserverait sa propre individualité et qu'on aurait mises ensemble pour former un agrégat. Chaque particule intervient bien pour constituer l'ensemble unitaire, mais en perdant certaines de ses caractéristiques, de telle sorte qu'elle ne peut être considérée comme lorsqu'elle était à l'état libre. L'électron hors de l'atome ne peut être examiné exactement de la même façon que quand il fait partie du corps atomique. Il est présent dans l'atome selon un nouveau mode d'être : virtuellement présent, capable d'actualiser à nouveau toutes ses caractéristiques, si un processus physique le sépare du système.

On peut en dire autant du noyau, qui constitue un ensemble encore plus étroitement unitaire. Les particules qui le composent, les nucléons, ne peuvent être examinés avec les propriétés qui les caractérisent hors du noyau. Ils acquièrent une présence virtuelle, dans laquelle ils apportent certaines caractéristiques, tandis qu'ils en perdent d'autres.

Les lois de l'électrodynamique et de l'électromagnétisme, valables pour le macrocosme, ne le sont donc plus intégralement pour le microcosme : on voit naître d'autres forces d'union, qui ne peuvent en aucune façon être assimilées à celles qui tombent ordinairement sous l'observation des sens.

Il est facile d'entrevoir la grande utilité, que peut avoir une philosophie si profonde pour aider la science à clarifier les problèmes de la nature. Sans doute la philosophie ne peut dire quel est le plus petit système qui doit être considéré comme unitaire, mais elle affirme qu'un tel système doit certainement exister, et que plus un ensemble est fondamental, plus l'action de chacun de ses éléments doit être unitaire.

b) Déterminisme et indéterminisme.

2. Il est une seconde question, dont aucun de vous n'ignore la résonance dans la pensée scientifique moderne : c'est celle qui concerne le déterminisme et l'indéterminisme.

Comme Nous l'indiquions tout à l'heure, les admirables résultats obtenus par la mécanique avaient fait naître la conviction que l'histoire d'un système matériel, quel qu'il fût, était rigoureusement prévisible ; et cela pour n'importe quel instant de l'avenir, pourvu que fussent données les conditions initiales de position et de vélocité des différents points matériels, ainsi que la distribution des champs de force. Cette façon de concevoir la nature comme rigoureusement enchaînée dans ses processus mécaniques donna origine, comme vous le savez, au déterminisme mécanistique. Ce système a ensuite été sérieusement battu en brèche par les progrès de la recherche scientifique dans les domaines toujours plus profonds de la structure des corps, et s'est ainsi révélé finalement inapplicable dans beaucoup de problèmes du microcosme.

Mais les penseurs n'ont pas davantage éprouvé une satisfaction entière devant l'explication des faits que propose le système des probabilités. Il n'y a rien à redire à l'emploi du calcul des probabilités, quand la multiplicité des causes, qui interviennent dans un phénomène, est telle qu'elle ne permet pas l'examen de chacune d'elles. L'instrument mathématique qu'est le calcul statistique a conduit à des résultats heureux et de grande importance, c'est indubitable. Mais, poussant plus loin sur le plan des concepts, on a voulu soutenir que la probabilité n'est pas seulement un système commode pour l'étude des phénomènes, mais qu'elle est intrinsèque à la nature des corps. Ce qui reviendrait à dire que la façon d'agir de chaque corpuscule n'est, de sa nature, rigoureusement déterminée par aucune loi précise, qu'elle est abandonnée à des fluctuations soumises aux seuls critères de la probabilité.

Cette vision probabiliste des choses s'est vue renforcée par la découverte du principe d'indétermination, dont on ne peut nier la valeur, fondé qu'il est sur des observations profondes, aussi bien expérimentales que théoriques.

Selon ce principe, l'impossibilité de connaître exactement la position et la vélocité d'une particule à un instant donné n'est pas due seulement à des difficultés d'origine expérimentale : elle est inscrite dans la nature elle-même. On affirme — dans le domaine de la physique — qu'on ne peut parler d'entités et de faits aussi longtemps que ceux-ci n'ont pu être mis en évidence par quelque expérience conceptuellement possible, selon le principe d'indétermination de Heisenberg.

Ce principe montre bien comment la science, pour interpréter ses résultats, recourt une fois de plus à des systèmes de nature philosophique : elle les emprunte ici à des conceptions de saveur idéaliste, dans lesquelles le sujet qui cherche se substitue à la réalité objective. Mais il n'est personne qui ne voie à l'évidence combien cette manière de faire est peu conforme à la méthode scientifique.

Engagés sur cette fausse route, quelques-uns sont allés plus loin encore, attribuant aux particules du microcosme une espèce de « libre arbitre » : ils en sont ainsi arrivés à croire qu'ils mettaient en question le principe de causalité, au moins en ce qui concerne le microcosme. Mais ce principe n'a rien à voir avec le déterminisme et l'indéterminisme, étant par nature plus général que la recherche expérimentale. Bien moins encore peut être mis en cause le principe de raison suffisante, comme c'est évident pour quiconque considère le problème dans ses termes réels.

Il suffirait d'une connaissance plus approfondie et plus adéquate de la pensée philosophique thomiste pour frayer la voie à la vérité entre les excès du déterminisme mécanistique et ceux de l'indéterminisme probabiliste. La philosophia perennis, en effet, admet l'existence de principes actifs intrinsèques à la nature des corps, dont les éléments, dans l'espace d'un intervalle minime, réagissent diversement aux mêmes actions externes, et dont les effets ne peuvent par conséquent se déterminer de façon univoque : d'où l'impossibilité de prévoir tous les effets au moyen de la seule connaissance expérimentale des conditions extérieures. Mais, d'autre part, ces principes actifs de nature matérielle ont leur manière interne d'agir, exempte de toute liberté, et donc de toute probabilité, soumis comme ils le sont à un vrai déterminisme intrinsèque.

c) Relations entre la matière et l'énergie.

3. Il y a enfin un troisième problème, sur lequel Nous voudrions que s'arrête votre attention, parce qu'il est d'un haut intérêt : c'est celui des relations qui existent entre la matière et l'énergie.

L'observation des faits naturels montre comment la matière est sujette à des changements de positions, de forme, de propriétés, comment sont changeantes même ses façons d'agir, de se présenter, de se rendre sensible et opérante ; ces actions et manifestations sont provoquées par des entités physiques appelées forces, qui ont des origines diverses : elles peuvent provenir en effet de champs d'inertie ou de gravitation, de champs électriques, électromagnétiques, nucléaires ou autres.

Dans l'ensemble de ces activités et mutations, on remarque l'existence d'une mystérieuse grandeur, quantitativement déter-minable, caractérisée, d'un côté, par une grande variété qualitative dans la façon de se présenter, et de l'autre, par une stabilité quantitative dans la conservation de sa valeur. Cette grandeur s'appelle énergie, et peut être cinétique, potentielle, élastique, thermique, chimique, électrostatique, électromagnétique, radiante, et ainsi de suite.

Voici un exemple, d'ailleurs bien connu, de son merveilleux comportement.

Irradiée par le soleil, c'est comme lumière, c'est-à-dire sous forme de radiations électromagnétiques, qu'elle arrive sur le globe terrestre ; elle y est absorbée par la mer et devient chaleur, faisant accomplir à l'eau le passage de l'état liquide à l'état de vapeur. Celle-ci, acquérant une énergie potentielle, s'élève dans les airs pour passer ensuite à nouveau à l'état liquide et être recueillie dans des bassins ; canalisée au sortir de ceux-ci, elle acquiert en tombant de l'énergie cinétique. Cette forme d'énergie mécanique devient à son tour, au moyen de la turbine et de l'alternateur, énergie électrique, et celle-ci, enfin, redevient énergie lumineuse. Cycle admirable, au cours duquel une quantité donnée ne se perd pas, mais se transforme et n'apparaît jamais comme existant par elle-même, mais comme appuyée toujours à quelque chose de matériel : car il s'agit d'une propriété essentielle, non d'une substance.

Ainsi les propriétés caractéristiques de l'énergie sont au nombre de trois : une persistance quantitative, une multiforme variété d'aspects, une absolue dépendance par rapport à une substance matérielle.

Des innombrables exemples fournis par la nature, on avait tiré deux principes fondamentaux pour la science : le principe

avec attention les deux phénomènes du point de vue philosophique.

i° Pour qu'une entité soit matérielle, il n'est pas essentiellement nécessaire qu'elle possède des propriétés d'inertie et de gravitation : il peut exister une qualité de matière privée de ces caractéristiques.

2° L'énergie se présente comme un accidens et non comme une substantiel : s'il en est ainsi, elle ne peut se transformer en son support, à savoir en matière.

On peut donc aujourd'hui légitimement conclure qu'il existe, dans la nature, des phénomènes, au cours desquels une portion de matière perd ses caractéristiques de masse pour se modifier radicalement dans ses propriétés physiques, tout en restant intégralement de la matière ; il arrive ainsi que le nouvel état, que celle-ci assume, échappe aux méthodes expérimentales, qui avaient servi à déterminer la valeur de la masse. Corrélativement à cette mutation, une certaine quantité d'énergie se dégage et se manifeste, donnant origine, dans la matière pondérable, à des faits qu'on peut observer et mesurer. De la sorte on peut dire que les données de la science ne subissent pas d'altération et que les prémisses philosophiques conservent leur vigueur.

Voilà, chers fils, ce que Nous avons cru opportun de vous dire sur des sujets d'un si haut intérêt concernant la philosophie et les sciences physiques. Vous comprenez combien il est avantageux et nécessaire pour un philosophe d'approfondir ses propres connaissances sur le progrès scientifique. Ce n'est que si l'on a une claire conscience des résultats expérimentaux, des propositions mathématiques, des constructions théoriques, qu'il est possible d'apporter une contribution valable à leur interprétation au nom de la philosophia perennis. Chacune des branches du savoir a ses caractéristiques propres et doit opérer indépendamment des autres, mais cela ne veut pas dire qu'elles doivent s'ignorer entre elles. Ce n'est que d'une compréhension et d'une collaboration réciproques que peut naître le grand édifice du savoir humain, qui s'harmonise avec les lumières supérieures de la sagesse divine.

de la conservation de la matière, et le principe de la conservation de l'énergie. Mais les recherches théoriques et expérimentales de ce siècle ont donné des résultats à première vue déconcertants. Dans beaucoup de réactions de caractère nucléaire, on trouve par exemple que le noyau d'un atome lourd peut donner origine à deux noyaux d'atomes plus légers : tels cependant que la somme de leurs masses n'égale pas la masse originaire. Il faut en conclure qu'une certaine quantité de masse s'est perdue.

En même temps, on voit apparaître dans le processus une certaine quantité d'énergie, qui n'a été fournie par aucune autre source, mais qui est strictement liée à la quantité de masse disparue, selon la relation connue e = me2. Ce fait, comme vous le savez, est le fondement de l'énergie nucléaire, qui représente une des plus grandes espérances de l'humanité dans le domaine du progrès technique ; et la récente Conférence de Genève pour l'utilisation de l'énergie atomique à des fins pacifiques a mis sous les yeux stupéfaits de l'humanité les merveilleux résultats obtenus déjà par plusieurs nations, dans le secteur des applications de l'énergie atomique aux domaines industriel, biologique et médical. Une sereine perspective de paix peut naître de ces triomphes de la vérité, découverte par l'étude de la nature providentiellement préparée, si les coeurs des hommes s'appliquent à donner comme fondement à leurs espérances la foi en un Dieu créateur et l'amour envers tous leurs frères. Mais autre est la question que Nous voulons ici mettre en lumière.

Certains ont cru pouvoir affirmer que la matière se transforme en énergie et vice-versa, et que par conséquent matière et énergie ne sont que deux aspects d'une même substance. D'autres ont dit que le monde dans son ensemble n'est autre chose que de l'énergie plus ou moins matérialisée ; et ainsi sont nées, au sujet des données fournies par la science, diverses interprétations de nature philosophique.

Pous éviter des conclusions qui pourraient peut-être induire en erreur, il faut avoir toujours bien clairement prés ente à l'esprit l'affirmation du fait scientifique : à la disparition d'une certaine quantité de masse, c'est-à-dire d'une certaine portion de matière considérée du point de vue de ses propriétés d'inertie et de gravitation, correspond l'apparition d'une quantité bien précise d'énergie liée à cette masse par le rapport qu'exprime l'équation citée plus haut (e = me2). Cela n'autorise pas encore à dire que la matière s'est transformée en énergie. Considérons en effet


PieXII 1955 - SEMAINES SOCIALES DU CANADA