PieXII 1955 - CONGRES DES COMMUNICATIONS


ALLOCUTION AU CONGRÈS DE LA PIEUSE UNION DES BERGERS D'ITALIE

(11 octobre 1955) 1

L'après-midi du mardi 11 octobre, le Saint-Père a reçu en audience à la Villa Pontificale de Castelgandolfo les participants au deuxième Congrès de la pieuse Union des bergers d'Italie. Il leur a adressé un discours en italien, dont voici la traduction :

Le second Congrès national de la pieuse Union des bergers qui, sous les auspices de l'OEuvre Pontificale d'Assistance, avec tant de ferveur et par ses multiples services d'ordre économique, sanitaire, charitable et religieux, favorise le bien de votre catégorie, Nous a procuré, chers fils, une fois de plus, la joie de vous accueillir et de vous dire combien vous êtes proches de Notre coeur. Votre important groupe représente les 35.000 chefs de famille inscrits à votre association, et, en leur nom, vous êtes venus ici présenter le témoignage de votre affection et rendre ainsi l'hommage dû au divin Pasteur, Jésus-Christ, qui a daigné Nous confier le soin de son troupeau.

L'image du berger dans la Bible.

Vous savez que l'histoire du salut du monde racontée par la Sainte Ecriture utilise l'image du berger et de son troupeau comme un des thèmes les plus fréquents, les plus familiers et même les plus significatifs de la manière dont Dieu se comporte envers l'humanité pour la conduire selon ses desseins. Plusieurs fois, les Livres Saints déclarent que le Seigneur protège son peuple, comme le pasteur garde son troupeau, en prend soin avec sollicitude, le défend contre les ennemis, le mène aux pâtu-

puisse sceller l'union des âmes sous une loi supérieure d'amour et de justice et dans un halo lumineux d'espérance vitale.

C'est le souhait que nous désirons formuler en l'heureuse circonstance présente de la clôture de cette solennelle célébration, en Nous adressant à vous qui, suivant et continuant les voies ouvertes par les grands génies, consacrez vos efforts à accroître et perfectionner les contacts réciproques entre les hommes de toutes races. Enfin, de même que Notre parole, jaillissant du coeur en un élan d'affection et de prière, vous parvient sur les ailes des ondes, réglées par vous-mêmes, qu'ainsi vous rejoigne du haut des cieux, comme stimulant et récompense pour votre oeuvre, l'abondance des grâces divines.

que Dieu a lui-même établie dans sa création ; vous avez le silence et la solitude, si propices à la prière et à la méditation. Naturellement, les belles images de l'Evangile doivent vous revenir à la mémoire quand vous vous livrez aux occupations ordinaires que comporte la garde du troupeau. Et vous pensez au divin Pasteur, qui, de la même façon, se penche sur vos âmes, pour les conduire à lui, les consoler, les réconforter, leur donner la nourriture dont elles ont besoin. « Je suis venu — dit-il — pour qu'elles aient la vie et qu'elles l'aient en abondance » (Jean X, 10).

Mais le Seigneur ne s'occupe pas seulement de vous avec une affection infinie ; il vous demande aussi de collaborer, autant que vous le pouvez, à son oeuvre pour réunir tous les hommes et les gagner à son amour : tous, y compris les pécheurs, les égarés, les impies, de toute nation et de toute race, ne doivent plus former qu'un seul troupeau sous la garde d'un seul pasteur. Le principal but de votre pieuse Union est de vous montrer toute la valeur surnaturelle de votre vie. C'est ainsi que vous ne travaillez pas seulement pour vous ou au service d'un patron terrestre, mais pour contribuer, autant qu'il vous est possible, à la réalisation d'une fin infiniment plus importante : la diffusion du royaume de Dieu. Une vie chrétienne fervente, généreuse, fera de vous d'actifs coopérateurs des desseins divins et vous assurera la possession des biens éternels.

Dans les antiques cimetières chrétiens de Rome, l'on trouve, en peinture ou sculptée sur les sarcophages, la douce et aimable figure du Bon Pasteur, soit seule, soit surtout portant sur les épaules une brebis, symbole de l'âme chrétienne, qu'il est venu chercher et sauver au prix de son sang, et qu'il conduit au Paradis. Vous aussi, probablement, vous avez vu certaines de ces représentations et vous en conserverez pour toujours le souvenir ; il sera pour vous un encouragement et un soutien. Jésus-Christ, Fils de Dieu et Sauveur du monde, est votre modèle : regardez-le, imitez-le, suivez-le partout où il vous dirigera ; avec lui, vous ne vous tromperez jamais, vous ne vous engagerez jamais sur les sentiers de la perdition. Il est le guide fidèle en qui vous pouvez mettre toute votre confiance et qui, jamais, ne décevra votre attente.

Avec ce souhait et en gage des faveurs divines, que Nous invoquons abondantes pour vous, pour vos familles et pour tous les membres de votre pieuse Union, Nous vous donnons de tout coeur Notre paternelle Bénédiction apostolique.

rages herbeux, près des sources d'eaux restauratrices afin qu'il y trouve le repos (Ps. XXIII), et quand Dieu voit de mauvais bergers, qui ne cherchent que leurs propres intérêts et font souffrir le troupeau, alors il annonce qu'il viendra lui-même recueillir les brebis égarées, veiller sur elles et les conduire dans un pays d'abondance et de paix, où elles n'auront plus rien à craindre et se trouveront à l'aise dans un commode bercail (Ez. XXXIV, 1-30). Et voici que l'une de ces promesses commence à se réaliser : Dieu apparaît sur la terre comme un fragile enfant ; les premiers qu'il appelle autour de lui sont les bergers de Bethléem ; il accepte leurs présents avant tous les autres, sans doute des agneaux, qui représentent si bien Celui qui s'appellera l'Agneau de Dieu.

Parmi toutes les comparaisons par lesquelles Jésus voulut faire comprendre aux hommes qui il était, une des plus émouvantes n'est-elle donc pas celle du bon Pasteur qui connaît toutes ses brebis, comme celles-ci le connaissent ? Il les appelle par leur nom et elles le suivent sans difficulté, sans crainte, sachant bien qu'il les conduira en lieu sûr et qu'il les défendra jusqu'à donner sa vie pour elles (Jean X, 1-16).

Grandeur de la vie pastorale.

Vous voyez, chers fils, que le Seigneur avait compris votre vie, votre travail et qu'il aimait les vertus qui distinguent le vrai pasteur : le dévouement, la simplicité, le détachement de toutes les vanités qui passent en ne laissant après elles qu'amertume ou désillusion. Ordinairement, vous ne profitez guère des commodités de la civilisation moderne ; Nous connaissons même les peines, les privations de plusieurs d'entre vous, spécialement de la montagne, comme le besoin urgent d'y remédier efficacement ; Nous savons d'autre part que votre Congrès national est en train d'examiner ces graves problèmes et d'étudier les mesures nécessaires, et Nous faisons des voeux pour le plus heureux succès de votre oeuvre. Mais qu'il Nous soit permis, pour votre réconfort, de considérer par contre le côté favorable et serein de votre condition. Vous avez à votre portée des biens solides et précieux. Au lieu de passer la journée dans une cité bruyante, dans un bureau, dans une usine, soumis au rythme monotone d'une activité souvent déprimante, vous êtes enchantés par la magnifique vision de la nature et par la succession des saisons,


LETTRE DE MONSEIGNEUR DELL'ACQUA SUBSTITUT A LA SECRÉTAIRERIE D'ÉTAT AU CARDINAL SIRI A L'OCCASION DE L'ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DE L'ACTION CATHOLIQUE ITALIENNE

(13 octobre 1955) 1

A l'occasion de l'assemblée générale de l'Action Catholique italienne, qui s'est tenue à Naples, le Saint-Père a fait parvenir ses directives par l'intermédiaire d'une lettre que Son Exc. Mgr Dell'Acqua a adressée à Son Em. le cardinal Joseph Siri, président de la Commission episcopale pour la haute direction de l'Action catholique italienne. Nous en donnons ci-dessous la traduction :

L'assemblée générale de l'Action Catholique qui, sous la présidence de Votre Eminence Reverendissime, se propose d'étudier ses problèmes dans la catholique cité de Naples, centre propulseur des multiples activités spirituelles et matérielles du Midi de l'Italie, est considérée par Sa Sainteté, dès maintenant, avec l'intérêt, les espoirs et l'attente que justifient pleinement la nature et les circonstances de l'événement.

Directives du Saint-Père aux dirigeants de l'Action Catholique italienne.-

En effet, reviser les bases de l'Action Catholique dans ses fins et dans ses structures, dans sa discipline et dans son esprit, dans ses développements et dans ses difficultés, c'est — comme le comprennent bien ceux qui réfléchissent — pénétrer jusqu'aux


ACTION CATHOLIQUE ITALIENNE

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plus profondes racines dans la vie même de la Nation dont la religion est le fondement et le pivot spirituel. Celle-ci d'ailleurs est la base même et la gardienne de l'ordre moral stable, dans les lois éternelles de Dieu, dans la foi en Dieu, dans la crainte de Dieu ; si bien que, ces valeurs religieuses faisant défaut, il n'est plus aucun remède qui puisse empêcher l'inévitable ruine de la société, soit dans son ensemble, soit dans les citoyens qui la composent. En effet, la religion modèle le citoyen parfait, conscient de ses devoirs, respectueux des lois — qui sont pour lui l'expression de la volonté divine — intègre et fidèle, ne se dérobant pas aux charges de la vie sociale, familiale et professionnelle.

Si donc manquer à la religion c'est en même temps manquer à l'Etat, et mal servir Dieu c'est mal servir la chose publique, il apparaît plus nécessaire que jamais que la formation religieuse, à laquelle travaille l'Eglise par l'action de sa hiérarchie, ses sacrements, sa prédication et ses institutions, soit, surtout aujourd'hui, vigoureusement soutenue par les forces les plus vives de la communauté chrétienne, au moyen de ce mouvement qui, sous le nom d'Action catholique, mobilise dans les divers secteurs, le laïcat catholique pour en tirer une milice choisie d'avant-garde, appliquée, sous la direction de la hiérarchie, à faire sien tout ce qui, en quelque manière, appartient à la mission de l'Eglise.

Mais si le spectacle que l'Action Catholique italienne offre est par lui-même un motif de satisfaction pour l'auguste chef de l'Eglise, un bel ensemble d'activités ne peut faire oublier l'urgente nécessité que le succès complet réponde à ce mouvement. En effet tout se résumerait à de simples apparences s'il n'existait point de vigoureux noyaux de catholiques, religieusement exemplaires, bien affermis dans la vie surnaturelle, conscients de leurs devoirs et de leurs responsabilités, prêts au sacrifice, préparés à l'apostolat missionnaire — car c'est ainsi que doit être appelé l'apport individuel et collectif des inscrits de l'Action Catholique — pour être au milieu de la masse un levain efficace partout où la Providence leur a assigné leur poste de travail.

C'est par ces catholiques sincères, aux solides convictions, à la conduite cohérente, au dévouement désintéressé, que le visage de l'Action Catholique, tel qu'il doit être, se révèle au monde environnant pour l'obliger à l'attention et pour conquérir sa sympathie. Attention et sympathie garanties par Jésus-Christ lui-même quand il définit les siens « lumière du monde » (Matthieu V, 14) et ajouta : « Que les hommes voient votre lumière et rendent gloire à votre Père qui est dans les Cieux » (Ibid. V, 16), en Le reconnaissant et en se convertissant à Lui.

Tous ceux qui, s'étant inscrits à l'Action Catholique, ont conscience de leur vocation privilégiée et de leurs engagements, doivent se consacrer, comme à leur premier et principal devoir, à former en eux ce fort caractère de soldats de Jésus-Christ. Leur effort personnel de sanctification et le rayonnement de leur apostolat, en union d'esprit avec toutes les organisations soeurs, doit être celui de chrétiens, qui mettent ouvertement en pratique les promesses de leur baptême, en partageant avec la hiérarchie de l'Eglise, l'honneur d'être aux premiers rangs dans le bon combat pour l'avènement du Royaume de Dieu. Dans ce travail, enrichi par la prière et par le sacrifice, ils doivent être soutenus par la grandeur de l'idéal auquel ils visent, qui est le renouvellement de la famille et de la société.

En rappelant ces vérités si fondamentales aux chers fils de l'Action Catholique réunis à Naples, Sa Sainteté pense à l'intérêt tout particulier que l'importante assemblée est destinée à susciter avant tout dans les vastes régions méridionales de la Péninsule, qui, tout en étant parmi les plus ouvertes aux influences de la religion, sont peut-être maintenant les plus disputées par les forces du mal et ont dès lors davantage besoin de la fraternelle assistance de l'apostolat missionnaire.

L'heure présente, riche en événements et en conflits, en changements et en espérances, exige d'ailleurs plus que jamais l'union des hommes de bien. Le mot d'ordre qui, dans ce but, se fera solennellement entendre une fois de plus à l'assemblée de Naples, ne devra pas tomber dans le vide, mais au contraire devra marquer le point de départ pour les plus heureux développements.

Dans ces sentiments de confiance, Sa Sainteté transmet à Votre Eminence, par mon humble intermédiaire, Son salut pour toute rassemblée, et l'expression de Ses voeux. Et en demandant au Seigneur qu'il en soutienne de sa grâce les travaux et les délibérations, Elle implore pour les dirigeants et les participants, l'abondance des faveurs divines et envoie, de tout coeur, à Votre Eminence, aux rapporteurs, à l'assemblée et à toute la chère Action Catholique italienne, une spéciale et paternelle Bénédiction apostolique.


DISCOURS AU CENTRE ITALIEN D'ÉTUDES POUR LA RÉCONCILIATION INTERNATIONALE

(13 octobre 1955) 1

Le jeudi 13 octobre, recevant à Castelgandolfo les membres du Centre italien pour la réconciliation internationale, le Saint-Père leur a adressé un discours, dont voici la traduction :

Le programme et le but de votre Centre, la réconciliation et la collaboration internationale pacifique, répondent à l'aspiration commune des peuples qui, ayant traversé les graves secousses de deux guerres mondiales ou y ayant été impliqués en quelque autre manière, portent leur désir le plus ardent vers une coexistence sereine et active. La notice historique que l'on Nous a courtoisement envoyée, Nous a appris que les débuts du Centre remontent aux jours agités d'août X943 mais qu'il ne prit réellement vie que deux ans après, en 1945, selon le plan conçu par son illustre Secrétaire général permanent, comme une libre association d'hommes désireux de travailler pour le bien de la nation, d'experts en relations internationales, qui s'occupent à mettre en oeuvre les postulats du manifeste que les fondateurs publièrent au moment de sa constitution. Complètement apostolique, votre Centre n'est lié à aucun parti, mais il a cherché et cherche à établir des relations avec le monde international, avec les Instituts similaires d'autres nations pour réaliser ses nobles projets.

Les cycles de conférences sont une de ses activités particulières importantes et vous avez eu la bonté de Nous remettre un recueil de celles qui ont déjà été prononcées par d'éminentes personnalités et dont Nous avons pris connaissance avec le plus

vif intérêt. De ses mérites si nombreux, le Centre a reçu récemment une reconnaissance officielle par son érection en personne morale.

C'est ainsi que vous travaillez avec ardeur pour la réconciliation et la collaboration des peuples afin de restaurer ce que deux catastrophes mondiales avaient dévasté et de renouveler les liens que ces événements formidables avaient brisés. Laissez donc le Père commun, qui n'a rien de plus à coeur que la paix, vous parler de l'oeuvre correspondante, bien que distincte, de l'Eglise en vue du même but de concorde et de pacification entre les nations.

Notre discours aura donc deux parties :

I. - Oppositions et conflits des peuples.

II. - Maximes conciliatrices de l'Eglise pour les aplanir.


I. OPPOSITIONS ET CONFLITS DES PEUPLES

Dans notre dernier discours de Noël, Nous avons tenté de décrire quelques traits caractéristiques de la condition présente des peuples dans leurs rapports réciproques, sous un triple aspect : la coexistence dans la crainte, la coexistence dans l'erreur, la coexistence dans la vérité. Nous évoquâmes alors en particulier la mission que l'Europe et l'Occident chrétien doivent remplir, comme héritiers d'une mentalité et d'un genre de vie chrétiens élaborés à travers les siècles et qu'il faut aujourd'hui réveiller, par la considération de la richesse intime et toujours actuelle de cet héritage, et en mettant courageusement et activement en valeur son contenu dans la vie nationale et internationale.

Combien profonds sont les désaccords entre les peuples et comme il est souvent difficile de trouver le moyen de les résoudre, la Conférence de Genève de juillet dernier qui suscita cependant tant d'espoirs dans le monde lor? de son ouverture, l'a mis en lumière.

Il faut donc considérer attentivement les aspects toujours plus vastes et profonds de la psychologie et de la nature des peuples ainsi que les mouvements intimes et les divergences qu'ils manifestent, sans oublier les conflits auxquels ils peuvent conJrre et conduisent en effet trop souvent. Il est clair que l'étude préliminaire de ces problèmes est fondamentale pour l'oeuvre de la paix, et qu'on recueille de même les plus grands avantages à observer les changements de pensée et de sentiments auxquels les peuples sont sujets.

Or il est certain que le visage du monde a changé profondément en beaucoup de ses traits au cours de la première moitié de ce siècle, dans le domaine national, économique, social, culturel, idéologique. L'élément international a pris, à cause de l'interdépendance croissante des peuples, un relief toujours plus marqué ; en même temps cependant, le sentiment national s'est réveillé, en certains endroits avec l'intensité des premières flambées, triomphant des répressions et des obstacles. Ailleurs, l'élément économique est déterminant et, en connexion intime avec lui, le sociologique, tous les deux construisant sur des théories arrêtées et des idéologies développées en accord avec elles ; souvent cependant on ne voit pas clairement si c'est l'idéologie qui influence davantage la vie, ou la vie l'idéologie. D'autre part, comme il n'est pas rare qu'économie, sociologie, idéologie et vie d'un peuple divergent de celles d'un autre, la divergence même engendre souvent d'âpres tensions entre eux, les poussant parfois à chercher une solution dans la guerre. Aux siècles passés, les relations internationales, pacifiques ou menaçant la paix, n'avaient pas encore l'extension et l'influence d'aujourd'hui. Une vie étroitement circonscrite et autarchique de chaque peuple ou de petits groupes de peuples était possible ; en outre, les mouvements et les oppositions qui naissaient dans les contacts avec d'autres peuples manquaient souvent de liberté pour déployer leurs énergies propres ; tout restait alors plus limité dans l'espace et dans le temps. Les empires mondiaux antérieurs à l'ère chrétienne et l'empire romain lui-même, comparés à la grandeur aujourd'hui connue de la terre et du genre humain, resteraient eux aussi inférieurs au monde actuel. Et cependant ces « Etats cosmiques » abondaient en conflits armés, entraînant des relations réciproques qui, dans l'histoire universelle se répètent identiques en substance, de « vainqueurs et de vaincus », de « dominateurs et d'assujettis », dont la rigidité variait et qui se réalisaient pour un temps plus ou moins long, mais qui conduisaient ensuite dans la plupart des cas à un modus vivendi plus ou moins tolerable, spécialement quand de nouvelles générations, qui n'avaient pas été éprouvées par les souffrances personnelles des guerres passées, prenaient la place des anciennes et surtout quand l'étroite coexistence et la collaboration

avaient conduit à une fusion sociale et même familiale des « vaincus » et des « vainqueurs ». Ce déclin graduel et cet effacement des tensions psychiques semblent être une des lois de la psychologie des peuples, bien qu'il faille cependant prévoir la possibilité de nouvelles oppositions. Mais hélas ! ce n'est pas là l'unique épilogue des guerres du passé. L'histoire ne manque pas de cas dans lesquels on ne parvint à aucune réconciliation ou détente, mais où le conflit, renouvelé jusqu'à plusieurs fois, ne se termina que par l'anéantissement, la réduction en esclavage ou la totale impuissance de l'ennemi.

Dans Nos discours au Sixième Congrès international de Droit Pénal du 3 octobre 1953 2 et au Cinquième Congrès National de l'Union des Juristes catholiques italiens du 6 décembre 1953 3, Nous avons touché ces problèmes et d'autres semblables, en reconnaissant qu'ils ne peuvent pas se résoudre par un simple oui ou non, et en exposant quelques principes directeurs pour leur interprétation et leur solution. Nous notâmes alors le fait de la tendance à former des Communautés de peuples et Nous relevâmes qu'il ne faut pas la faire remonter en définitive au développement énorme des moyens de communication et d'échange, mais à une impulsion intime, dérivant de leur unité d'origine, de nature et de fin, et qui doit manifestement servir au plein développement voulu par le Créateur, de chacun des individus, des peuples, de la famille humaine entière moyennant une collaboration toujours croissante, respectueuse cependant des patrimoines culturels et moraux de chaque groupe. Nous indiquâmes ensuite les obstacles multiples qui s'opposent à une communauté internationale des peuples ; obstacles qui augmentent avec l'accroissement de leur nombre. Telles sont les dispositions innées ou acquises, diverses et souvent contraires ; dispositions de nature surtout spirituelle ou de caractère surtout somatique, qui agissent dans tout le domaine de l'entendement, des affections, de l'action ; — de même les questions des races et du sang, du terrain et du climat, de l'éducation et de l'habitude, de la langue, de l'histoire et de la culture ; tout ce qui entoure et informe ch aque homme et chaque peuple. De même : les conditions de propriété et de possession, de liberté et de dépendance économique, dans lesquelles un peuple vit ou est contraint de vivre et qui, sans être l'unique cause déterminante, exercent cependant sur toutes ses idées, ses désirs, et son action une profonde influence. Qu'on y ajoute les nombreuses tendances naturelles ou passions qui ont une part si large dans la vie quotidienne des individus. Bien qu'elles tendent à des buts légitimes en soi, elles ne possèdent en elles-mêmes aucune norme de mesure et de discernement mais doivent l'emprunter à une maîtrise supérieure de l'homme lui-même, pour ne pas se transformer en forces de désagrégation : tels sont l'attachement à soi, le désir du pouvoir, la tendance à l'expansion, à l'assimilation, à l'absorption.

Parmi les éléments que les communautés d'Etats doivent faire entrer en ligne de compte, nommons aussi la religion. Elle peut avoir sur les relations entre les Etats une action hautement conciliante et pacifiante mais aussi parfois séparante et excitante. Les luttes de religion ont eu dans l'histoire un caractère propre. Issues d'une religiosité profonde et d'un enthousiame authentique, elles pouvaient conduire à d'héroïques immolations ; il faut cependant considérer que le but religieux ne se maintint pas toujours entièrement pur ; en beaucoup de cas, il s'y mêla des aspirations très terrestres ; quand ensuite ces luttes étaient attisées par la haine, sous un prétexte religieux, elles dépassaient les autres guerres en horreurs, en cruautés, et en dévastations ; le fanatisme et non la religion en était alors le vrai mobile.

Pour conclure le premier point de Notre exposé, Nous pouvons dire : Malgré l'effort naturel et toujours plus vaste et plus fervent pour constituer de larges relations et des ligues internationales avec leurs nécessités et leurs nobles fins, s'élèvent de l'intime des hommes et des peuples, de leurs sentiments et vouloirs droits, mais aussi assez souvent pervers, de leurs buts occultes, du monde environnant, des conditions extérieures, de la divergence souvent profonde des intérêts, s'élèvent disons-Nous, des oppositions, des tensions, des heurts, et finalement des guerres avec leurs conséquences inévitables pour les deux belligérants. C'est l'état de choses qui s'est répété jusqu'à présent au cours de l'histoire. Il semble donc que soit arrivé le moment où l'humanité en progrès ait à se demander franchement si elle doit se résigner à ce qui dans le passé est apparu comme une dure loi de l'histoire, ou au contraire tenter de nouvelles voies, accomplir des efforts généreux dans tous les domaines de la vie, pour affranchir le genre humain de l'obsession toujours renouvelée de conflits armés. Telle doit donc être la vive préoccupation des pouvoirs publics responsables. En cela l'Eglise est prête à faire sa part, à accorder son concours, par ordre même de son divin Fondateur, avec sa maternelle sollicitude pour tout ce qui contribue à l'entente et à la pacification des peuples.


II. MAXIMES CONCILIATRICES DE L'EGLISE POUR LA PREVENTION DES CONFLITS

De ces maximes Nous avons maintes fois parlé dans Nos discours précédents, spécialement dans la troisième partie du dernier Message de Noël. C'est pourquoi Nous Nous limiterons aujourd'hui à en mentionner deux : la loi de la nature et la doctrine du Christ.

1. — Le premier postulat de toute action pacificatrice est de reconnaître l'existence d'une loi naturelle, commune à tous les hommes et à tous les peuples, de laquelle dérivent les normes de l'être, de l'agir et du devoir, et dont l'observation facilite et assure la coexistence pacifique et la collaboration mutuelle. Pour ceux qui rejetteraient cette vérité, les rapports entre les peuples resteraient une énigme théorique et pratique, et si le refus devenait doctrine commune, le cours de l'histoire humaine serait lui-même un éternel errement dans une mer tempétueuse et sans rivage. Par contre, à la lumière de cette maxime il est facile à chacun, au moins dans les lignes générales, de discerner le juste de l'injuste, ce qui est droit de ce qui ne l'est pas ; d'indiquer les principes de solution des différends ; de comprendre l'enseignement véritable de l'histoire dans les relations entre les peuples ; de se rendre compte de la formation et du caractère obligatoire du droit international. En un mot, la loi naturelle est la base commune solide de tout droit et de tout devoir, le langage universel nécessaire à toute entente ; c'est le tribunal suprême d'appel que l'humanité a toujours désiré afin de mettre fin aux conflits toujours renouvelés.

Mais d'où viennent ces oppositions et pourquoi ? comment peuvent-elles se produire alors qu'il existe une loi naturelle commune à tous et reconnaissable par chacun ? Quand ils arrivent à l'existence, les hommes et les peuples tirent de la nature une grande abondance de qualités et d'énergies qui spécifient la vie tant individuelle que sociale. Ces dons et ces impulsions de la nature montrent les buts, les directions, les chemins, comme des lignes maîtresses du projet idéal établi par le Créateur; mais la manière, le moment, le lieu de leur actua-tion, la fixation d'un but de préférence à un autre, l'utilisation de ce moyen-ci plutôt que de celui-là, tout cela est laissé par la nature à la détermination libre et raisonnable des individus et des groupes. La coexistence, non moins que la conduite privée de l'individu, ne s'établit donc pas automatiquement par elle-même, comme la vie en société des abeilles, déterminée par la force de l'instinct ; mais elle est en fin de compte fixée par le vouloir conscient des peuples mêmes ou plus exactement des hommes qui les composent. Or ce vouloir peut subir l'influence de deux forces différentes et contraires, celle de la raison et du jugement serein, et celle des instincts aveugles et des passions sans frein. En se pliant à la force de la raison, l'action des peuples saura tirer de la loi naturelle les moyens pour aplanir les oppositions et transformer la diversité des dispositions naturelles, des conditions extérieures, des intérêts mêmes — qui de soi ne sont pas des causes inévitables de conflits violents — en autant de sources de collaboration et d'harmonie ; si au contraire le vouloir est dominé par les passions, ces mêmes diversités produiront des tensions intolérables dont la solution sera confiée à la prépondérance des armes.

Mais comment les peuples et les individus pourront-ils voir avec certitude quelle est la direction à imprimer à leur action en conformité avec le dessein établi par la nature ? Il faut se garder à ce propos de simples suppositions et de conjectures. Les grandes lignes directrices sont données par la connaissance claire de la nature de l'homme, de la nature des choses ainsi que des rapports et des exigences qui en dérivent.

Dans ce but il est très utile d'apprendre à connaître d'après les documents et les textes législatifs la pensée des siècles, Nous devrions même dire des millénaires écoulés. Ils montrent comment les exigences de la coexistence des peuples ont toujours été les mêmes dans leurs lignes fondamentales, parce que la nature humaine demeure substantiellement toujours la même ; ils manifestent en outre que les mêmes actes de justice et d'injustice se répètent toujours identiques dans la vie privée et publique, dans la vie intérieure des nations, et dans les relations entre les Etats. Il n'est pas moins instructif de voir comment

Discorsi e Radiomessaggi, vol. XV, p. 483 et ss. ; Documents Pontificaux 19;),

caractère de nécessité morale, du fait qu'ils tirent leur origine de la nature même. Nous indiquâmes même quelques-unes de ces exigences en particulier : le droit à l'existence ; le droit à l'usage des biens de la terre pour la conservation de la vie ; le droit au respect et à la réputation de son propre peuple ; le droit de donner une marque propre au caractère du peuple ; le droit a son développement et à son expansion ; le droit à l'observation des traités internationaux et des autres conventions semblables. Même si le contenu de ces accords relève purement du droit positif, l'obligation de les observer (pourvu qu'ils ne contiennent rien de contraire à la saine morale) émane de la nature et du droit naturel. Ainsi le droit naturel domine et couronne toutes les normes de droit purement positif en vigueur parmi les hommes et les peuples.

Si donc les normes du droit naturel indiquées jusqu'ici règlent les rapports entre les peuples, les sujets de conflit ne demeureront-ils pas notablement réduits ? Et quand les oppositions et les tensions se trouveront ainsi mitigées, ne sera-t-il pas plus facile de s'entendre, en interrogeant sincèrement la nature sur ses exigences réelles ? L'expérience démontre qu'il n'est pas besoin d'un long enseignement pour convaincre hommes et peuples de leur justesse. L'enseignement trouve pour ainsi dire l'aide la plus puissante dans la nature humaine elle-même et dans la saine intuition de l'auditeur. En guise de confirmation, on note encore que les hommes et les peuples, lorsqu'ils ne font dans leur vie aucun cas du contenu de ces exigences et leur en substituent un autre diamétralement opposé, ne renoncent pas en pratique à en conserver la lettre ; c'est ainsi qu'ils appellent liberté le servage, droit l'arbitraire, libre disposition de soi l'exécution imposée. Ceci démontre qu'il est bien difficile d'étouffer complètement la voix profonde de la nature. Faire en sorte que celle-ci soit entendue, comprise et obéie, constitue un pas important vers la pacification.

C'est pourquoi l'Eglise se préoccupe constamment de réveiller, de maintenir en alerte et de rendre efficaces la connaissance et la conscience du droit naturel ; non d'un droit naturel faux et vague, mais du droit clair et bien défini que Nous avons tenté, ici, de décrire. Et par l'affirmation nette et sûre de cette maxime, l'Eglise s'est employée à ouvrir aux peuples un chemin vers l'entente et la pacification, malgré les conflits d'intérêts, qu'il est malheureusement tout à fait difficile de bannir de la terre.

- on a toujours reconnu le besoin de fixer moyennant des traités et des conventions internationales ce qui n'était pas d'une certitude évidente d'après les principes de la nature, et de compléter ce sur quoi la nature se taisait. Pareillement, l'étude de l'histoire et du développement du droit depuis les temps anciens enseigne que, d'un côté, une transformation des conditions économiques et sociales (parfois même politiques) requiert pareillement de nouvelles formes pour les postulats de droit naturel, auxquels les systèmes jusqu'alors en vigueur ne sont plus conformes ; de l'autre, cependant, qu'au milieu de ces changements les exigences fondamentales de la nature reparaissent toujours et se transmettent avec une urgence plus ou moins grande d'une génération à l'autre. Ici un observateur attentif voit réapparaître toujours en quelque manière, la reconnaissance de la personnalité de l'homme avec ses droits fondamentaux sur des objets matériels et immatériels et par conséquent le refus inéluctable de consentir à l'absorption de la personne par la communauté et par suite à l'extinction de son activité. Cependant, on trouve également le rejet de l'affirmation exagérée de l'individu et du peuple isolé, qui loin de se soustraire au service nécessaire de la communauté, sont tenus à s'y prêter positivement. On trouve aussi le principe de base que la force et le succès ne légitiment pas les abus de pouvoir et ne constituent pas par eux-mêmes le droit ; que les violateurs du droit dans la communauté des peuples doivent être considérés comme des criminels et comme tels appelés à rendre des comptes (circonstances dont Nous avons parlé dans le discours au congrès international de droit pénal, LE 3 octobre 1953).

Nous avons traité de certaines exigences du droit naturel, qui prévalent aujourd'hui dans les relations internationales des peuples, dans l'Allocution au Cinquième Congrès National des Juristes Catholiques du 6 décembre X953, dont le thème était « Nation et Communauté internationale » 4. Nous y avons relevé avant tout que les normes en vigueur ne peuvent pas dériver purement et simplement de l'arbitraire des peuples, parce qu'on doit faire remonter leur union à une exigence et à une impulsion de la nature elle-même, et que par conséquent les éléments fondamentaux pour le règlement d'une telle union revêtent un

2. — La seconde maxime est le Message du Christ. Annoncer aux hommes le Message du Christ est la raison d'être de l'Eglise, son office originel, qu'elle ne pourrait négliger sans se renier elle-même et sans décevoir ceux qui s'adressent à elle sous la pression des inquiétudes de la vie terrestre. L'Eglise par conséquent vit, a vécu et vivra pour remplir cette mission qui est la sienne. Or le Message du Christ, lumineux comme le ciel dont il descend, universel comme l'Eglise à qui il est adressé, n'est autre en substance que l'appel divin à la réconciliation, d'abord entre les hommes et Dieu, ensuite entre les hommes eux-mêmes ; en un mot, c'est le Message de la paix la plus profonde.

C'est pourquoi il s'agit maintenant de rechercher de quelle manière l'Eglise, en tant que héraut du Message du Christ, tandis qu'elle en étend et en perpétue l'écho, sert la réconciliation concrète des peuples.

Il y a un double Message du Christ : le Message de la parole et de la doctrine, et le Message du fait et de la vie.

Que le Message de la parole et de la doctrine soit apte à réunir les hommes et les peuples, cela ne demande pas de déclaration spéciale. Il est en effet l'annonce de l'origine unique et de la fin dernière unique de tous les hommes et de tous les peuples ; de l'unique Dieu et Père de tous ; de l'unique et unifiant précepte de l'amour de Dieu et du prochain ; de l'unique Rédempteur et de l'Eglise fondée par lui pour tous les peuples afin qu'il n'y ait qu'un seul pasteur et un seul troupeau. Un tel Message qui dans son origine, dans ses moyens et dans son terme est inspiré par l'idée de l'unité des créatures en un seul Dieu, est évidemment pacificateur et unificateur.

Le Message ensuite du fait et de la vie est la réalisation du premier, aussi multiforme que peuvent l'être le fait et la vie d'une idée qui domine tout. C'est en premier lieu la charité chrétienne, c'est-à-dire, réalisée et vécue, la charité du Christ qui considère comme fait à lui-même ce qui est fait au prochain par amour de lui. C'est la charité du Christ dans ses multiples formes : dans les hôpitaux, dans les sanatoriums, dans les maisons pour vieillards, dans les jardins d'enfants, dans les refuges pour abandonnés, les dévoyés, les amoindris, les aliénés. C'est la charité du Christ qui n'attend pas que la misère vienne à elle, mais qui la cherche, non seulement dans sa patrie, mais même en terre étrangère. La charité qui, dans les guerres, ne distingue pas entre amis et ennemis ; qui, au nom du Christ, pousse les infirmiers, les infirmières, les médecins, à se pencher sur le blessé avec un empressement fraternel, qu'il s'agisse d'un ami ou d'un ennemi. La charité qui, avec une même promptitude, prête ses services dans le palais du riche comme dans le taudis du pauvre. Il est vrai que dans le monde laïque aussi fleurit aujourd'hui une vaste oeuvre d'assistance, techniquement excellente. Sans doute, mais il n'en a pas toujours été ainsi, et cela ne prouve pas qu'une telle assistance laïque soit soutenue dans sa structure intime par le même esprit d'ardeur, d'abnégation et d'héroïsme, prolongé souvent une vie entière. En certains endroits pourtant on est arrivé à exclure la charité chrétienne et même à la prohiber. Entreprise déplorable, mais inutile. Car si on supprime les formes extérieures de la charité, les hommes cependant demeurent, qui l'exercent par zèle personnel et par amour du Christ, dont ils réalisent le divin Message.

Mais de quelle manière cette charité devient-elle un instrument efficace de l'entente pacifique entre les peuples ? Avant tout en vertu du poids total des innombrables actes de bonté, qui, dans une sorte de bilan moral, surpasse la somme passive des égoïsmes, ou empêche du moins que ceux-ci ne l'emportent et entraînent la ruine commune. Quand parmi les hommes de divers peuples le bien se fait dans des centaines et des milliers de cas, des liens d'entente cordiale se nouent de part et d'autre et l'on se prépare à renoncer à toute contention hostile.

Cela ne suffit pas toujours à manifester pleinement la force de l'impulsion exercée par la charité chrétienne. Celle-ci consiste dans le fait que l'Eglise catholique habitue les consciences à considérer comme prochain non seulement tel et tel homme mais un peuple entier ; non seulement un peuple, mais les hommes de tous les peuples, comme des frères et soeurs qui professent la même foi dans le Christ et participent à la même table eucharistique ; non seulement les frères et les soeurs d'une même Mère, l'Eglise, mais tous les hommes du monde entier, qui, selon le Commandement du même et unique Rédempteur méritent respect, pitié et amour. Cet amour sans lequel, ni dans sa pensée, ni dans son action, le vrai chrétien n'est même concevable, constitue une grande force contre tout égoïsme national et pour la paix du monde. Même durant les deux dernières guerres mondiales elle était présente, et elle fit beaucoup pour diminuer les maux et les horreurs du conflit, mais elle ne put empêcher le cours des événements. Une fois mise en mouvement la machine de la guerre, celle-ci pouvait seule en déterminer le déroulement et l'issue.

La force de la charité doit donc être employée lorsque règne la paix pour en assurer la solidité et l'extension. Elle doit être aujourd'hui vive et consciente en tout catholique depuis sa première jeunesse. Elle doit être éveillée et alimentée sous toutes ses formes dans la famille, l'école, l'éducation, le chant populaire, le livre, le film. Elle doit rapprocher les catholiques des divers pays et continents, et les unir en une action commune pour la paix, ainsi que cela se fait déjà avec un succès notable. L'Eglise n'a pas simplement entre les mains la paix, mais une force puissante qu'elle ne peut et ne doit pas laisser inerte. Le Seigneur de l'Eglise lui donnera pour une fin si haute le soutien de sa bénédiction.

On peut en outre assimiler à la charité l'activité de l'Eglise dans le domaine de l'enseignement et de la science, depuis les simples écoles élémentaires jusqu'aux écoles supérieures et aux Universités. Si, laissant de côté leur contenu, Nous considérons seulement la partie scientifique, Nous devons alors signaler comme leur élément caractéristique le service de la Vérité. Ceux qui enseignent ou qui travaillent scientifiquement veulent avant tout conduire à la connaissance et à la reconnaissance de la vérité. Par suite, les élèves et les auditeurs doivent pouvoir constater dans le maître le reflet et comme la personnification du respect, de la loyauté, de la profession fidèle de la vérité, afin que ces sentiments intimes passent en eux-mêmes. La chose essentielle est de rechercher, d'exposer, d'approfondir la vérité, qu'elle soit agréable ou désagréable, acceptée ou rejetée par qui que ce soit. Une telle attitude spirituelle est évidemment opposée à l'apathie et à l'indifférence envers la vérité, qui déforment aujourd'hui bon nombre d'esprits, et qu'un jour le sceptique Pílate formula dans sa question ironique : Quid est veritas ? Ce fut au contraire le caractère sublime de la conduite du Seigneur : la vérité était pour lui au-dessus de tout. C'est à la vérité qu'il rendait témoignage (Jean XVIII, 37), et c'est pour la vérité que valait sa grande promesse : elle vous rendra libres (Jean VIII, 32).

Mais le culte de la vérité, que l'Eglise promeut par sa vaste activité didactique, se transforme en service d'inestimable valeur pour la réconciliation et l'entente, pour la compréhension réciproque et pour la collaboration des hommes et des peuples. Si tous les peuples veulent réellement et sincèrement, s'ils ne cherchent, n'acceptent et ne reconnaissent que la vérité, alors ils sont vraiment sur le chemin qui, par sa nature même, conduit à l'entente et à l'union. Puisque la vérité (quel qu'en soit le contenu dans chaque cas particulier) est unique, uniques aussi doivent être la volonté et le désir universel de vérité. L'erreur au contraire (puisqu'elle éloigne de la vérité et de la réalité) est, par sa nature, division ; elle sépare, disjoint, divise, même s'il arrive que beaucoup se rencontrent dans la même erreur ; cette rencontre est fortuite et non l'effet d'un solide principe d'union.

Il y a en outre toute une série d'autres formes de réalisation du Message du Christ pour promouvoir la conciliation et l'entente des peuples. Elles ont ceci de commun qu'elles montrent dans les faits et dans la vie à qui conduit le Message du Christ. Nous n'en mentionnerons qu'une : l'action de l'Eglise pour éclaircir et résoudre la question sociale.

Il existe, comme on sait, une doctrine sociale chrétienne, dont les principes fondamentaux ont été fixés par les Souverains Pontifes eux-mêmes dans des Documents officiels. — Or on sait combien profondément les conditions sociales ont exercé et exercent leur influence dans la formation de la vie des peuples et sur son évolution ; combien de discordes sont nées de là, se manifestent sans cesse de nouveau, agissent et s'étendent même dans le domaine international. Collaborer à la solution et à l'assainissement des misères et des luttes sociales est donc un acte éminemment favorable à la réconciliation et à la paix entre les peuples.

Nous voici arrivés, Messieurs, ne fût-ce que par de rapides allusions, à la conclusion de ce que Nous voulions vous exposer.

Votre Centre continuera avec ferveur son activité en vue d'une fin si élevée pour laquelle Nous formons les vceux du plus heureux succès à votre honneur et à l'avantage des peuples et des Etats auxquels votre dévouement s'applique. Et Nous ne doutons pas de recueillir votre assentiment si, à Notre tour, Nous manifestons la confiance que l'Eglise aura elle aussi la possibilité de collaborer par sa vie et avec ses moyens à la réalisation du même idéal, afin que la « coexistence dans la peur » et la « coexistence dans l'erreur », déjà signalées par Nous, prennent fin, et qu'à leur place triomphent la « coexistence et la vie commune dans la vérité et la charité ».

Placer les héros de la foi chrétienne devant les yeux de tous, en exemple, chaque fois que l'occasion s'en présente, est à coup sûr un projet opportun et salutaire ; en effet, le rappel de leur souvenir a coutume d'exciter grandement les âmes à entrer dans les chemins de la vertu. C'est pourquoi, dès que Nous avons appris que, sur votre initiative, des cérémonies solennelles devaient être prochainement organisées, à l'occasion du treizième centenaire de la mort de saint Martin Ier, martyr, Notre prédécesseur, d'immortelle mémoire, Nous avons approuvé votre projet de grand coeur. Il Nous a été d'autant plus agréable que ce n'est pas seulement à votre cité qu'il convient de se glorifier d'un si grand homme qu'elle a reçu à sa naissance mais, à bien meilleur droit encore, ce Siège apostolique, aux fastes duquel les actions de saint Martin, gravées en lettres d'or, confirment cette célèbre parole de saint Augustin : « La Sainte Eglise bataillant contre toutes les hérésies, peut bien combattre mais ne saurait être vaincue 2 »

Le saint Pontife semble avoir été providentiellement donné à l'univers catholique, afin de diriger d'une main ferme sur le droit chemin la nef mystique de l'Eglise parmi les flots tumultueux d'une époque où sévissait la néfaste doctrine des Mono-thélites. En effet, à peine élevé au faîte de la dignité apostolique, et uniquement soucieux de la cause de la foi chrétienne, saint Martin n'a épargné aucun soin ni aucun labeur pour arrêter le venin de l'erreur ; sans craindre le moins du monde l'arrogance de l'empereur de Byzance lui-même qui avait pris les hérétiques sous sa protection, il n'hésita pas à s'opposer à ses efforts impies comme « une ville fortifiée et une colonne de fer et un mur d'airain » (Jer. I, 18). Il est vraiment impossible d'imaginer combien, dans ce très dur combat pour la foi, il a dû, en butte à la fureur insensée de ses adversaires, supporter d'épreuves cruelles et amères avec courage et jusqu'au dernier jour de sa vie. En effet, sur l'ordre de l'Empereur, emmené par la force à Constantinople, il ne s'est laissé effrayer ni par les chaînes, ni par les insultes, ni par les tourments inouïs ; mais, ne souhaitant rien d'autre chose que « d'accomplir le bon combat et d'aller à Celui auquel il aspirait » 3, tourné vers ses adversaires qui l'accusaient de prétendus crimes, il leur donna, entre beaucoup d'autres exemples, le splendide témoignage d'une force d'âme invaincue : « Je vous prie par le Seigneur, quoi que vous vouliez et décidiez de faire sur moi, faites-le vite. Dieu le sait, en effet, de quelque coup dont vous m'abattiez, vous me ferez participer aux plus grands dons.4 »

Inébranlablement attaché à sa très sainte résolution, anéanti par les épreuves et les privations, mais non vaincu, il obtint la récompense de son extraordinaire énergie, peu après avoir été relégué en exil, digne, à coup sûr, d'être appelé par ses contemporains remplis d'admiration du nom de „ Père fort comme l'acier "5 et d'être inscrit par l'Eglise au nombre de ses martyrs.

Il est donc tout à fait opportun que les hauts faits d'un si grand pape, par ces fêtes centenaires, reprennent vie en quelque sorte pour notre temps où il faut encourager les esprits des chrétiens par des exemples de courage et de fermeté. Quant à vous, chers fils, contemplez surtout ce célèbre athlète du Christ qui est aussi votre patron, et poussés par la conscience de cette noblesse de votre ancêtre, apprenez de lui l'encouragement et la force de mener avec plus de joie une vie sainte, à garder la foi et à en témoigner sans peur par la parole et par l'action.

Ce sont ces bienfaits que Nous sollicitons par d'instantes prières à Dieu ; confiant dans l'espoir que vous en recueillerez des fruits abondants, Nous sommes heureux de faire des voeux de plein succès pour vos pieuses solennités et Nous vous accordons, vénérable Frère, la Bénédiction apostolique pour vous et pour le troupeau qui vous est confié.

Passio S. Martini, Migne, P. L., LXXXVII, 117 i Ibid., 114. 5 lbid., tu.

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PieXII 1955 - CONGRES DES COMMUNICATIONS