Pie XII 1956 - I. DIGNITE ET LIMITES DE LA NATURE HUMAINE

II. L'ACTE LIBRE ET LA REALITE HUMAINE



La seconde erreur de la pensée dite réaliste, qui se trouve à la base de la contradiction actuelle consiste dans la prétention de créer une société entièrement nouvelle, sans se préoccuper de la réalité historique de l'homme, ni de son acte libre qui la détermine, ni de la religion que cette liberté alimente et sanctionne. Il est impossible de prévoir toutes les conséquences de cette erreur ; mais la plus immédiate sera la destruction de la sûreté, déjà si fragile, que le monde désire ardemment.

Les trois valeurs essentielles : réalité historique, acte libre, religion, leur refus de la part de la pensée « réaliste ».

Le rejet des trois valeurs — réalité historique, acte libre et religion — tel un poids qui ralentit ou entrave dans sa course la nef du progrès moderne, est une conséquence de l'attitude d'esprit dont Nous avons parlé et qui n'admet pas de limite au pouvoir de l'homme, traite toute chose selon une méthode technique, nourrit une entière confiance dans le savoir technologique.


L'homme créateur indépendant d'une société nouvelle, grâce à une éthode technique.

La prérogative de l'humanité de l'époque technique actuelle — affirme-t-on — consiste à pouvoir construire une société toujours nouvelle selon les progrès du savoir technologique et sans avoir besoin de prendre de leçons du passé. Celui-ci, en effet, par ses préjugés de toute sorte, mais spécialement religieux, affaiblirait la confiance et refroidirait son élan constructeur. L'homme moderne, conscient et fier de vivre en ce monde comme dans une maison que lui, et lui seul construit, s'adjuge la fonction de créateur. Ce qui exista autrefois ne l'intéresse ni ne l'arrête. Le monde entier devient pour lui un laboratoire où il lie progressivement selon des rapports rigoureusement mathématiques les forces de la nature, les distribue, les dose, forme et préordonne les événements. Sans doute, il y a encore des réactions ; il y a encore des faits dans lesquels la nature semble résister à la volonté et aux plans de l'homme et manifeste un caractère de totalité qui ne peut être réduit en ses derniers éléments qu'au prix de sérieuses conséquences, sinon de vrais cataclysmes.

Il n'y a donc pas à s'étonner que l'homme moderne, quand il aborde la vie sociale, le fasse avec le geste du technicien qui, après avoir démonté une machine jusqu'à ses pièces les plus essentielles se met à la reconstruire selon un modèle à lui. Mais quand il s'agit de réalités sociales, son désir de créer des choses entièrement nouvelles se heurte à un obstacle insurmontable, à savoir la société humaine avec ses ordonnances consacrées par l'histoire. La vie sociale, en effet, est une réalité qui est venue à l'existence de façon lente et à travers de nombreux efforts, et par l'accumulation, en quelque sorte, des contributions positives fournies par les générations précédentes. C'est seulement en appuyant les nouvelles fondations sur ces couches solides qu'il est possible de construire encore quelque chose de nouveau. La domination de l'histoire sur les réalités sociales du présent et de l'avenir est donc incontestable, et ne peut être négligée de quiconque veut y mettre la main pour les améliorer ou les adapter aux temps nouveaux. Mais les prétendus réalistes, dans le but de triompher à tout prix de la résistance de la réalité historique, tournent leur zèle destructeur contre la religion, coupable, selon eux, d'avoir créé et de vouloir maintenir en vie tout le passé, particulièrement ses formes les plus périmées ; coupable surtout d'ancrer les idées sociales de l'homme dans des schèmes absolus et donc immuables. Elle constitue, par conséquent, un encombrement sur le chemin de l'avenir et doit pour cela être écartée.


La religion chrétienne en face du présent et de l'avenir de la société humaine.

Sans aucun doute, la religion chrétienne reconnaît et respecte la domination de l'histoire sur le présent et l'avenir de la société humaine, parce que tout ce qui est réalité véritable, le croyant ne peut l'ignorer ni le repousser. Il sait que la réalité et la société humaine ne sont pas fondées sur le déroulement de nécessités mécaniques, mais sur l'action libre et toujours bienveillante de Dieu et sur l'action libre des hommes, une action faite d'amour et de fidélité partout où ils observent l'ordre établi par Dieu. Ainsi, dans la crèche de Bethléem, le sens profond de l'histoire de l'homme, passé et futur, devient réellement incarné et embrasse, malgré sa tristesse, le présent que le chrétien affronte, avec la consolante conviction de la sécurité.


La sécurité et ses fondements.

La sécurité ! L'aspiration la plus vive des gens d'aujourd'hui ! Ils la demandent à la société et à ses ordonnances. Mais les prétendus réalistes de ce siècle ont montré qu'ils n'étaient pas à même de la donner, précisément parce qu'ils veulent se substituer au Créateur et se faire les arbitres de l'ordre de la création.

La religion et la réalité du passé enseignent, au contraire, que les structures sociales, comme le mariage et la famille, la communauté et les corporations professionnelles, l'union sociale dans la propriété personnelle, sont des cellules essentielles qui assurent la liberté de l'homme, et par là son rôle dans l'histoire. Elles sont donc intangibles, et leur subsistance ne peut être sujette à révision arbitraire.


La société humaine et son Ordonnateur suprême.

Qui cherche vraiment la liberté et la sécurité doit rendre la société à son Ordonnateur véritable et suprême, en se persuadant que seule la notion de société dérivant de Dieu le protège dans ses entreprises les plus importantes. L'athéisme théorique ou même pratique de ceux qui idolâtrent la technologie, et le déroulement mécanique des événements, finissent nécessairement par devenir ennemis de la vraie liberté humaine, car ils traitent l'homme comme les choses inanimées d'un laboratoire.

Ces considérations sont moins étrangères à la réalité qu'il ne peut sembler. C'est pourquoi, Nous souhaitons qu'elles soient accueillies là où l'on pense à élever le niveau de vie des territoires peu évolués, des régions qu'on appelle sous-développées. Le souci d'améliorer les structures sociales existantes et susceptibles de progrès est assurément louable, mais ce serait une erreur d'arracher l'homme à toutes ses traditions sous prétexte de technique et d'organisation moderne. Comme des plantes tirées hors de leur milieu et transportées dans un climat défavorable, ces hommes se trouveraient cruellement isolés pour tomber peut-être ensuite victimes d'idées et de tendances que personne, en somme, ne peut vouloir.


Harmonie entre le dynamisme des réformes et la stabilité des traditions, l'acte libre et la sécurité commune.

De la sorte, le respect envers ce que l'histoire a produit est le signe d'une authentique volonté de réforme et la garantie de son heureux succès. Cela vaut pour l'histoire, en tant que royaume de réalité humaine dans lequel l'homme social doit travailler non seulement avec les forces de la nature mais aussi avec lui-même. Responsable en face des hommes du passé et de l'avenir, il a reçu la charge de modeler incessamment la vie commune ; là s'exerce toujours une évolution dynamique grâce à l'action personnelle et libre, mais elle ne supprime pas la sécurité dont on jouit dans la société et avec la société ; là, d'autre part, existe toujours un certain fond de tradition et de stabilité pour sauvegarder la sécurité sans que la société toutefois supprime l'action libre et personnelle de l'individu.

C'est ainsi que l'homme tisse son histoire, autrement dit coopère avec Dieu dans la réalisation d'une situation digne de son objet, et en même temps du dessein du Créateur. C'est un rôle aussi élevé que difficile, que seul pourra remplir heureusement celui qui comprend ce que signifient histoire et liberté, en harmonisant le dynamisme des réformes avec la stabilité des traditions, l'acte libre avec la sécurité commune. Le chrétien qui se prosterne devant la crèche de Bethléem en comprend pleinement la nécessité et la gravité, mais il puise à la même crèche lumière et force pour remplir dignement sa haute charge.


III. LA VERITE ABSOLUE, LUMIERE ET VIE DE L'HOMME


La liberté et la responsabilité personnelle, la sociabilité et l'ordre social, le progrès bien compris sont donc des valeurs humaines, parce que l'homme les réalise et en tire avantage, mais aussi des valeurs religieuses et divines si on considère leur source.


Contrastes dans le domaine religieux.

Or, dans les temps modernes, on a voulu briser le fondement intime de ces valeurs et les faire oublier de la société, même en Occident, au nom du laïcisme, de la vaine autosuffisance de l'homme. On en est ainsi arrivé à cette singulière situation que nombre d'hommes remplissant des charges publiques, bien qu'ils manquent eux-mêmes de sens religieux, veulent et doivent pour le bien commun défendre des valeurs fondamentales qui ne trouvent leur consistance que dans la religion et en Dieu.

Les soi-disant réalistes n'aiment pas reconnaître la vérité d'une telle affirmation et en prennent, au contraire, prétexte pour accuser d'autant plus la religion de transformer en lutte religieuse ce qui ne serait qu'une difficulté du domaine politique et économique. Ils dépeignent en couleurs vives la terreur et la cruauté des anciennes guerres de religion pour faire croire que les conflits actuels entre Occident et Orient sont, au contraire, inoffensifs et qu'il suffirait d'un peu plus de sens pratique de part et d'autre pour obtenir la satisfaction d'intérêts économiques et de rapports concrets de puissance politique. Faire appel à des valeurs absolues fausse, disent-ils, de façon malheureuse l'état réel des choses, attise les passions et rend plus difficile l'acheminement vers une union pratique et raisonnable.


Tendances nocives.

Quant à Nous, en tant que Chef de l'Eglise, Nous avons évité dans le cas présent comme dans les précédents d'appeler la Chrétienté à une croisade. Nous pouvons cependant demander que l'on comprenne bien le fait que, là où la religion est un héritage vivant des ancêtres, les hommes conçoivent comme une croisade la lutte qui leur est injustement imposée par l'ennemi. Mais ce que Nous affirmons pour tous, en face de la tentative de faire apparaître comme inoffensives certaines tendances nocives, c'est qu'il s'agit de questions qui concernent les valeurs absolues de l'homme et de la société. A cause de Notre grave responsabilité, Nous ne pouvons laisser dissimuler ceci dans la brume des équivoques.


Colloques et rencontres.

C'est avec un profond regret que Nous devons déplorer à ce sujet l'appui prêté par certains catholiques, ecclésiastiques et laïcs, à cette tactique d'obscurcissement qui vise un effet qu'eux-mêmes ne veulent pas. Comment peut-on encore ne pas voir que tel est le but de toute l'agitation trompeuse qui se cache sous le nom de « colloques » et de « rencontres »? A quelle fin, du reste, raisonner quand on n'a pas de langage commun, ou comment est-il possible de se rencontrer si les voies divergent, si d'un côté on repousse et on nie obstinément les valeurs communes absolues, rendant ainsi irréalisable toute « coexistence dans la vérité » ? Par simple respect pour le nom de chrétien on doit cesser de se prêter à ces manoeuvres, car, selon l'avertissement de l'Apôtre, il est contradictoire de vouloir s'asseoir à la table de Dieu et à celle de ses ennemis (1Co 10,21). Et s'il y avait encore des hésitants, malgré le témoignage douloureux de dix ans de cruauté, le sang qui vient d'être versé et l'immolation de nombreuses vies offertes par un peuple martyrisé, devrait finalement les persuader. Il faut cependant — fait-on observer — ne pas couper les ponts, mais conserver des relations mutuelles. Mais pour cela les mesures que les hommes responsables de l'Etat et de la politique croient devoir prendre en fait de contacts et de rapports pour la paix de l'humanité, et non en vue d'intérêts particuliers sont entièrement suffisantes. Il suffit de ce que l'autorité ecclésiastique compétente estime devoir accomplir pour obtenir la reconnaissance des droits et de la liberté de l'Eglise.


La cause de la paix.

Si la triste réalité Nous oblige à définir en langage clair les termes de la lutte, personne ne peut honnêtement Nous reprocher de favoriser le raidissement des fronts opposés, et encore moins de Nous être en quelque façon éloignés de la mission de paix qui dérive de Notre charge apostolique. Si Nous Nous taisions, Nous aurions bien plus à craindre le jugement de Dieu. Nous demeurons fermement attaché à la cause de la paix, et Dieu seul sait combien Nous voudrions pouvoir l'annoncer pleinement et joyeusement comme les anges de Noël. Mais c'est précisément pour la sauver des menaces présentes que Nous devons indiquer où se cache le danger, quelles sont les manoeuvres de ses ennemis et ce qui les désigne comme tels. C'est de la même manière que le Fils de Dieu nouveau-né, bonté infinie Lui-même, n'hésita pas à tracer clairement des lignes de séparation et à affronter la mort pour la vérité.

Nous sommes persuadé qu'aujourd'hui encore, en face d'un ennemi résolu à imposer à tous les peuples, d'une manière ou de l'autre, une forme de vie particulière et intolérable, seule une attitude unanime et forte de la part de tous ceux qui aiment la vérité et le bien peut sauver la paix et la sauvera. Ce serait une erreur fatale de renouveler ce qui, en des circonstances semblables, arriva dans les années qui précédèrent le second conflit mondial, quand chacune des nations menacées, et non seulement les plus petites, chercha à se sauver aux dépens des autres, à s'en servir comme de bouclier, et même à tirer des difficultés d'autrui des avantages économiques et politiques fort discutables. L'épilogue fut que toutes ensemble se virent bouleversées dans la conflagration.

La solidarité de l'Europe comme un des moyens pour la paix du monde.

Voilà pourquoi c'est une exigence concrète de l'heure présente, un des moyens d'assurer au monde entier la paix et un fructueux héritage de bien, une force qui embrasse également les peuples de l'Asie et de l'Afrique, le Moyen-Orient et la Palestine avec les Lieux Saints, que de raffermir la solidarité de l'Europe. Celle-ci cependant ne se fortifie pas tant que certaines des nations associées ne comprennent pas que les échecs politiques et économiques des unes ne peuvent à la longue constituer en aucune partie du monde de véritables gains pour les autres. Elle ne se fortifie pas, en ce qui concerne l'opinion publique, si, à l'heure du péril commun, la critique de l'action des uns, même quand elle est justifiée en soi, est exprimée par les autres avec des vues tellement unilatérales qu'on en vient à douter qu'il existe encore quelque lien de solidarité. Jamais on ne peut faire de bonne politique avec le seul sentiment ; encore moins la vraie politique d'aujourd'hui avec les sentiments d'hier et d'avant-hier. Sous une telle influence il serait impossible de juger correctement de certaines questions considérables comme le service militaire, les armes, la guerre.



Le service militaire, les armes et la guerre.

La situation actuelle, qui n'a pas d'équivalents dans le passé, devrait cependant être claire pour tout le monde. Il n'y a plus lieu désormais de douter des buts et des méthodes qui existent derrière les tanks, quand ceux-ci font irruption avec fracas pour semer la mort au-delà des frontières, pour contraindre des peuples civilisés à une forme de vie qu'ils abhorrent nettement ; quand, brûlant pour ainsi dire les étapes de tractations et de médiations possibles, on menace d'utiliser les armes atomiques pour l'obtention d'exigences concrètes, que celles-ci soient justifiées ou non. Il est manifeste que dans les circonstances présentes peut se vérifier dans une nation le cas où, une fois devenu vain tout effort pour la conjurer, la guerre pour se défendre efficacement et avec espoir de succès contre d'injustes attaques, ne pourrait être considérée comme illicite.

Si donc une représentation populaire et un gouvernement élus au suffrage libre, dans une nécessité extrême, avec les moyens légitimes de politique extérieure et intérieure, établissent des mesures de défense et exécutent les dispositions qu'ils jugent nécessaires, ils se comportent également d'une manière qui n'est pas immorale, en sorte qu'un citoyen catholique ne peut faire appel à sa propre conscience pour refuser de prêter les services et de remplir les devoirs fixés par la loi. En cela, Nous Nous sentons pleinement en harmonie de pensée avec Nos prédécesseurs Léon XIII et Benoît XV, lesquels n'ont jamais nié cette obligation, mais ont déploré profondément la course effrénée aux armements et les périls moraux de la vie dans les casernes, et indiqué comme remède efficace, ainsi que Nous le faisons, le désarmement général2.



Les normes morales et les exigences de la conscience.

2 Leonis XIII Acta, vol. XIV, Roma? 1895, p. 210 ; Arch. degli Affari Eccl. Straord., Note du Cardinal Gaspari, Secrétaire d'Etat de Benoît XV au Premier Ministre du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande, 28 septembre 1917.




Il y a donc des cas et des moments dans la vie des nations, où seul le recours à des principes supérieurs peut établir nettement les limites entre le droit et le tort, entre le licite et l'immoral, et apaiser les consciences en face de graves résolutions. C'est pourquoi il est consolant dans les débats d'aujourd'hui de voir en plusieurs pays les hommes parler de la conscience et de ses exigences. Ils montrent ainsi qu'ils n'ont pas oublié que la vie sociale échappe au chaos dans la mesure où elle s'appuie sur des normes absolues et sur une fin absolue ; ils condamnent implicitement ceux qui croient pouvoir résoudre les questions de vie humaine en commun sur la base de formes extérieures satisfaisantes et avec des vues pratiques visant à agir dans chaque cas particulier selon les suggestions de l'intérêt et de la puissance. Bien que le programme qui est à la base des Nations Unies se propose d'assurer les valeurs absolues dans la vie en commun des peuples, le passé récent a toutefois montré que le faux réalisme réussit à prévaloir chez un bon nombre de ses membres, même quand il s'agit de rétablir le respect de ces mêmes valeurs de la société humaine qui se trouvent ouvertement foulées aux pieds. Les vues unilatérales qui tendent à faire agir selon les circonstances uniquement en fonction de l'intérêt et de la puissance ont pour effet que les cas d'accusation pour perturbation de la paix se trouvent traités de façon très diverse, si bien que l'importance respective qu'ils ont à la lumière des valeurs absolues se voit purement et simplement inversée.



L'autorité des Nations Unies.

Personne n'attend ni ne réclame l'impossible, pas même des Nations Unies ; mais on aurait pu s'attendre à ce que leur autorité ait eu quelque poids, au moins par l'intermédiaire d'observateurs dans les lieux où les valeurs essentielles pour l'homme sont dans un péril extrême. Si juste qu'il soit de reconnaître que l'ONU condamne des violations graves des droits des hommes et de peuples entiers, on pourrait cependant désirer que, dans des cas semblables, des Etats qui vont jusqu'à refuser d'admettre des observateurs — montrant ainsi qu'ils ont de la souveraineté de l'Etat une notion qui mine les fondements même de l'ONU — ne soient pas autorisés à exercer leurs droits de membres de l'Organisation elle-même. Celle-ci devrait aussi avoir le droit et le pouvoir de prévenir toute intervention militaire d'un Etat dans un autre, sous quelque prétexte qu'on entende le faire, non moins que d'assurer par des forces de police suffisantes la protection de l'ordre dans l'Etat menacé.



Le désarmement général et les nouvelles méthodes de contrôle.

Si Nous faisons allusion à ces aspects défectueux, c'est parce que Nous désirons voir renforcer l'autorité de l'ONU, surtout pour l'obtention du désarmement général, qui Nous tient tant à coeur, et dont Nous avons déjà parlé d'autres fois. En effet, c'est seulement dans le cadre d'une Institution comme celle des Nations Unies que l'engagement de chacun des Etats à réduire ses armements, et spécialement à renoncer à la production et à l'emploi de certaines armes pourra être pris de commun accord et transformé en obligation stricte de droit international. De même seules les Nations Unies sont présentement en état d'exiger l'observation de cette obligation, en assurant le contrôle effectif des armements de chacun sans aucune exception. Son application au moyen de l'observation aérienne, tout en évitant les inconvénients auxquels pourrait donner lieu la présence de commissions étrangères, assure la vérification effective de la production et du potentiel militaire avec une facilité relative. Il y a, en vérité, quelque chose de prodigieux dans ce que la technique a su obtenir dans ce domaine.

Disposant, en effet, d'objectifs d'ouverture angulaire et de luminosité suffisante, il est possible de photographier, de plusieurs kilomètres de hauteur et avec une abondance suffisante de détails des objets qui se trouvent sur la surface de la terre. Le progrès scientifique, la technique mécanique et photographique moderne ont réussi à construire des appareils de prise de vues qui ont atteint une perfection remarquable sous tous les rapports. Les pellicules ont été portées à un degré de sensibilité et de finesse de grain si élevé qu'elles peuvent rendre possibles des agrandissements de plusieurs centaines de fois. De tels appareils montés sur des avions qui vont à une vitesse voisine de celle du son peuvent exécuter automatiquement des milliers de vues, de manière que des centaines de milliers de kilomètres carrés se trouvent explorés en un temps relativement bref.

Les expériences réalisées dans ce domaine ont donné des résultats d'une importance exceptionnelle, permettant de mettre en évidence des constructions, des machines, des individus isolés et des objets existant sur le sol et aussi, du moins indirectement, dans le sous-sol. L'ensemble des recherches exécutées a montré combien il est difficile de pouvoir masquer un mouvement de troupes ou d'engins blindés, de vastes dépôts d'armes, d'importants ensembles industriels à fins militaires. Si la recherche pouvait avoir un caractère permanent et systématique, on pourrait mettre en relief des détails très menus, de manière à offrir une solide garantie contre des surprises éventuelles.

Accepter le contrôle ; voilà le point crucial à franchir, sur lequel chaque nation montrera sa volonté sincère de paix.



La volonté de paix.

La volonté de paix : honneur suprême de l'homme libre, trésor inestimable de la vie présente, elle est le fruit de l'effort des hommes, mais elle est aussi un précieux don de Dieu ! Le chrétien le sait, car il l'a appris près du berceau du Fils de Dieu nouveau-né ; sa vérité et ses commandements sont les valeurs suprêmes sur lesquelles tout ordre est fondé, par lesquelles il est conservé et rendu fécond en oeuvres de progrès et de civilisation.

La lumière et la vie du mystère de Noël. — Le secours à la Hongrie opprimée.

Qu'il Nous soit permis de vous adresser pour finir une dernière exhortation. Nous sommes vivement consolé à la pensée de l'attitude émue et généreuse manifestée par tous Nos chers fils envers la Hongrie opprimée, par des organisations de secours, des nations entières, et aussi par la presse honnête. Nous sommes aussi persuadé que toutes les âmes bien nées ne cesseront pas de prier et de se sacrifier pour adoucir les tristes conditions de ce peuple martyrisé. Il y a déjà bien des gens sur la terre qui ont expérimenté personnellement dans les bouleversements de ces dernières dizaines d'années ce que c'est la misère. Comment pourraient-ils rester indifférents en face de l'indigence d'autrui ? Et comment ceux qui vivent à l'aise pourraient-ils rester insensibles à la pauvreté de leur prochain ? Mais en même temps que votre charité, que débordent principalement sur les malheureux la « lumière » et la « vie » du mystère de Noël. L'une et l'autre sont données dans le Christ, et cette grâce, cette paix, cette confiance en Dieu qui rétablira toute justice et récompensera tout sacrifice, ne pourra leur être ôtée par aucun pouvoir humain.

Et maintenant, sur tous ceux qui Nous écoutent, et spécialement sur ceux qui souffrent, sur les humbles, sur les pauvres, sur ceux qui subissent des persécutions à cause de la justice (Mt 5, io), que descende, en gage des grâces divines, Notre Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION A UN GROUPE D'INSTITUTEURS CATHOLIQUES DE BAVIÈRE

(31 décembre 1956) 1






Le Souverain Pontife a reçu en audience, lors de leur pèlerinage à Rome, un groupe d'instituteurs catholiques de Bavière, et il leur a adressé le discours suivant :

Chers fils et chères filles, vous venez de Munich, de Bavière, et Notre salut en est d'autant plus cordial. Vous vous consacrez à l'enseignement de la jeunesse et, de plus, vous faites partie de « l'Association des maîtres catholiques de Bavière », ce qui augmente le ton de sympathie et de confiance paternelle de Notre accueil.

Les questions que soulève votre profession sont aujourd'hui de la plus grande actualité en Bavière. Plaçons-nous tout de suite au coeur du problème : c'est un principe obvie, applicable non seulement dans un Etat pleinement démocratique, mais en général partout où existe un gouvernement constitué, que plus l'école est intimement liée à l'Etat, plus celui-ci doit tenir compte scrupuleusement de la volonté de ceux qui ont droit à l'éducation. Or, dans votre pays, les enfants sont soumis, non seulement à l'école obligatoire, qu'elle soit primaire ou élémentaire, mais ils sont tenus de se rendre à l'école officielle de l'Etat. C'est donc le système de l'union la plus totale entre l'école et l'Etat. En conséquence, il incombe à ce dernier le devoir de respecter consciencieusement dans son système scolaire et tout particulièrement en ce qui concerne la formation des maîtres, les aspirations et les désirs de ceux qui ont droit à l'enseignement.


INSTITUTEURS DE BAVIERE



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L'application de ce principe, dans le cas où ceux qui ont droit à l'enseignement sont catholiques, impose à l'Etat le devoir de faire régner entre les parents catholiques et les professeurs de leurs enfants, une chaude atmosphère de compréhension, de confiance réciproque et de collaboration, conscients qu'ils seront que pour la question la plus profonde et la plus importante, la question religieuse, ils doivent avoir une pensée, une conviction, une foi.

Par ce qui précède apparaît clairement, sans que Nous ayons besoin d'insister encore, l'importance capitale de la formation des maîtres pour le problème fondamental qui nous occupe. Le maître est l'âme de l'école ; c'est lui qui en crée l'esprit.

L'école, en donnant son enseignement chaque jour, tout au long de l'année, agit comme une force cachée dans la nature, lentement mais avec constance, d'une façon presque insensible mais par là d'autant plus profonde. Il n'est pas question d'exiger des maîtres de faire abstraction, à l'école, de leurs convictions personnelles. Ce serait là leur demander quelque chose d'impossible, même pour les matières dites neutres, encore bien moins pour celles qui engagent une pensée personnelle. Ce serait, en outre, porter la plus grossière atteinte aux droits de la personne humaine, que de vouloir, au nom de la loi, obliger les parents à confier leurs enfants à l'autorité d'une école dont les maîtres ont une attitude indifférente, contraire, voire hostile aux convictions religieuses et morales de la maison paternelle.

Il n'est peut-être personne qui n'ait autant d'expérience que l'Eglise catholique pour ce qui est de l'influence de l'école sur la vision du monde qu'acquiert la jeunesse. Son expérience tire son origine du monde entier, et sa conclusion est sans équivoque : sans même parler des écoles purement laïques, dans toutes les écoles de religion mixte, dans les écoles communes ou neutres, c'est l'Eglise qui est la plus grande victime, sur le plan idéologique, pour la raison bien simple que sa conception religieuse est la plus riche que l'on ait jamais pensée, et aussi la plus exacte. Dès lors, on peut comprendre que l'Eglise luttera jusqu'au bout pour les écoles catholiques et la formation catholique des maîtres, de façon à assurer l'existence et le bien-être des familles catholiques et de leurs enfants.

Que l'on n'arguë pas du fait que l'école doit donner à la jeunesse une solide éducation civique. Comme si l'école catholique ne l'avait pas fait et ne continuait pas à le faire ! L'Eglise reconnaît cette exigence sans réserve. Et, pour ce qui est de son accomplissement, Nous croyons que l'école catholique peut se présenter la tête haute devant toute autorité de l'Etat. Voyez dans votre propre pays ! Depuis 1914, les épreuves et les pires catastrophes se sont abattues sur lui. Les catholiques s'en sont-ils tenus à l'écart ? Ne doit-on pas, au contraire, reconnaître qu'au temps de la détresse, ils ont donné à la patrie, au peuple, au bien commun, des hommes de valeur et rendu de précieux services !

Nous bénissons, chers fils et filles, votre travail professionnel. Nous bénissons également votre action courageuse en faveur d'une école et d'une formation des maîtres qui puissent s'intégrer sans peine dans la ferme unité de la foi catholique et sa vision du monde. Nous bénissons tous ceux que vous renfermez dans Notre bénédiction : ceux qui vous sont chers, ceux que vous avez laissés à la maison, vos élèves tout particulièrement, et à tous, en gage de la bienveillante protection de « la Mère à l'Enfant », Nous accordons de la plénitude de Notre coeur, la Bénédiction apostolique.


CONGRÉGATIONS ROMAINES

SUPRÊME CONGRÉGATION DU SAINT-OFFICE

DÉCRETS ET COMMUNICATIONS

23 janvier


Mise à l'index de trois livres du Docteur Hesnard :

1. Morale sans péché, Presses universitaires de France, Paris, 1954.

2. L'univers morbide de la faute, ibidem, 1949.

3. Manuel de sexologie normale et pathologique, Payot, Paris, 1951.

A. A. S., XXXXVIII, 1956, p. 95.
2 février 1


INSTRUCTION SUR « LA MORALE DE SITUATION » 2

A l'encontre de la doctrine morale traditionnelle de l'Église catholique et de son application, commence à se répandre dans de nombreuses régions, même parmi les catholiques, un système de morale, que l'on appelle généralement « morale de situation », qui se déclare indépendant des principes de la morale objective (dont le fondement ultime est « l'être ») et prétend non seulement lui être égal, mais même lui être supérieur.

Les auteurs qui sont partisans de ce système disent que la règle d'action décisive et ultime n'est pas le bon ordre objectif déterminé par la loi de la nature et connu avec certitude du fait de cette même loi, mais un certain jugement et une certaine lumière intimes de l'esprit de chaque individu qui lui font connaître ce qu'il doit faire dans la situation concrète où il se trouve. Par conséquent, selon eux, cette décision ultime de l'homme n'est pas l'application de la loi objective au cas particulier, comme l'enseigne la morale objective par la voix d'auteurs éminents, en tenant compte et en pesant, selon les règles de la prudence, les conditions particulières de la « situation », mais directement cette lumière et ce jugement internes. Ce jugement, dans de nombreux cas du moins, en ce qui concerne sa rectitude et sa vérité objective, en dernier lieu, ne doit et ne peut se mesurer" sur aucune règle objective posée en dehors de l'homme et indépendante de sa conviction subjective, mais il se suffit pleinement à lui-même.

1 D'après le texte latin des A. A. S., XXXXVIII, 1956, p. 144, traduction française de la Documentation Catholique, du 15 avril, col. 463-464.

2 Instruction adressée à tous les Ordinaires, aux professeurs de Séminaires, de maisons d'étude pour les religieux, de collèges et d'Universités.




Selon ces auteurs, le concept traditionnel de la « nature humaine » ne suffit pas, mais il faut recourir à un concept de la nature humaine « existante » qui, dans la plupart des cas, n'a pas de valeur objective absolue, mais seulement relative et, par conséquent, muable, sauf peut-être en ce qui concerne les quelques éléments et principes relatifs à la nature humaine métaphysique (absolue et immuable). La même valeur relative est attachée au concept traditionnel de « loi naturelle ». Tout ce qui, aujourd'hui, est présenté comme postulat absolu de la loi naturelle repose, selon leur opinion et leur doctrine, sur ledit concept de nature existante et, par conséquent, ne peut être que relatif et muable, et peut toujours s'adapter à toute situation.

Ces principes étant adoptés et appliqués, ils disent et enseignent que les hommes, jugeant selon leur intuition personnelle, chacun en leur conscience, ce qu'ils doivent faire dans la situation présente, non principalement d'après des lois objectives, mais à l'aide de cette lumière individuelle interne, sont préservés ou facilement délivrés de nombreux conflits moraux qui, autrement, seraient insolubles.

Beaucoup de choses qui, dans ce système de la « morale de situation », sont contraires à la vérité objective et aux exigences de la saine raison apparaissent comme des vestiges du relativisme et du modernisme et s'éloignent beaucoup de la doctrine catholique transmise au cours des siècles. Dans de nombreuses affirmations, elles ont des affinités avec les divers systèmes de morale non catholique.

Tout ceci ayant été soigneusement examiné, pour détourner du danger de la « morale nouvelle » dont le Souverain Pontife, le Pape Pie XII, a parlé dans ses Allocutions des 23 mars et 18 avril 1952 3, et pour préserver la pureté et la sécurité de la doctrine catholique, cette Suprême Sacrée Congrégation du Saint-Office interdit et prohibe d'enseigner ou d'approuver cette doctrine de la « morale de situation », de quelque nom qu'elle soit désignée, dans les Universités, les collèges, les Séminaires et les maisons de formation des reli-ligieux, de la propager et de la défendre dans des livres, des traités, des cours, des conférences ou de quelque façon que ce soit.
11 février


Mise à l'index du livre d'Aldo Capitini : Religione aperta. Guanda, 1955.

A. A. S., XXXXVIII, p. 95-96.
avril 4


Pie XII 1956 - I. DIGNITE ET LIMITES DE LA NATURE HUMAINE