Pie XII 1956 - LETTRE AU R. P. FRANÇOIS MEAD RECTEUR DE L'UNIVERSITÉ DE NIAGARA A L'OCCASION DU CENTENAIRE DE CETTE INSTITUTION


DISCOURS AUX MEMBRES DE LAUTOMOBILE-CLUB DE ROME

(12 avril 1956) 1






Le jeudi 12 avril, le Saint-Père a reçu, dans la salle du Consistoire, l'hommage des dirigeants et du personnel de YAutomobile-Club de Rome. Le groupe avait à sa tête le président, M. Canaletti Caudenti. Le Pape a prononcé un discours dont voici la traduction :

C'est avec un vif plaisir que Nous vous souhaitons la bienvenue, chers fils, membres de l'Automobile-Club de Rome. L'affectueux hommage que vous avez voulu Nous rendre touche profondément Notre coeur et Nous vous remercions tous, dirigeants et employés, Conseil de direction, arbitres de la route, pionniers et champions du volant.

L'automobile est certainement un des symboles les plus expressifs de l'époque moderne, de son désir de commodité, de rapidité, de progrès technique. On ne sait ce qu'il faut admirer le plus dans ses engins : leur puissance et leur souplesse toujours croissante, les raffinements mécaniques dont ils sont dotés, l'élégance de leur ligne. Sans doute l'automobile vous apparaîtra souvent moins comme un moyen de transport que comme un merveilleux objet de divertissement, qui exige beaucoup d'habileté et de sûreté, la maîtrise de soi-même et la résistance physique. Vous aimez sentir en votre pouvoir et dominer à votre aise les forces qu'il contient dans ses flancs ; vous vous flattez de vaincre facilement ses résistances, ses caprices, parfois ses obstinations, et d'avoir ainsi l'occasion de prouver votre maîtrise du volant, votre expérience de la route et vos connaissances mécaniques.

Mais vous n'oubliez pas et c'est là le mérite particulier des membres d'un Automobile-Club comme le vôtre, de respecter les usagers de la route, d'observer la courtoisie et la loyauté envers les autres conducteurs et les piétons et de leur montrer votre caractère serviable. Faites-vous un honneur de savoir dominer une impatience souvent bien naturelle, en sacrifiant parfois un peu de votre amour-propre pour faire triompher cette gentillesse qui est un signe de vraie charité. Ainsi vous pourrez non seulement éviter des accidents regrettables, mais vous contribuerez à faire de l'automobile un instrument encore plus utile pour vous-mêmes et pour les autres et capable de vous procurer un plaisir de meilleur aloi.

Que la divine Providence daigne vous avoir sous sa protection et vous combler de ses grâces, en gage desquelles Nous vous donnons de tout coeur Notre Bénédiction apostolique.


DISCOURS A DES DIRIGEANTS, TECHNICIENS ET OUVRIERS DE LA SOCIÉTÉ ITALIENNE POUR LES ADDUCTIONS D'EAU

(13 avril 1956) 1






Le Saint-Père a reçu en audience les dirigeants et une délégation du personnel de la Société italienne pour les adductions d'eau, à l'occasion du septante-cinquième anniversaire de cette administration.

Il leur a adressé un discours dont nous donnons la traduction ci-dessous :

Nous avons accueilli volontiers, chers fils, votre désir d'être reçus par Nous et Nous vous exprimons de bon coeur Nos félicitations pour la célébration du septante-cinquième anniversaire de votre institut. Durant cette période, la société pour adductions d'eau — ancienne administration romaine — sans faire grand bruit, sous la direction de personnes particulièrement connues et avec la collaboration d'un personnel expérimenté et fidèle, a mené à bonne fin divers ouvrages, qui d'une part font honneur à la technique italienne et de l'autre ont assuré le pain et la sérénité à tant de familles de travailleurs.



Le Saint-Père rend hommage aux dirigeants et au personnel de cette société qui, par leurs qualités et leur compétence, ont surmonté de nombreux obstacles dans les périodes difficiles du passé.

Née dans le but de fournir de l'eau « pour usages civils, agricoles et industriels », votre société se développa rapidement, en se souciant d'apporter des modifications à la rédaction initiale de ses statuts jusqu'au texte approuvé par l'assemblée du





13 juin 1955 : aujourd'hui la société pour adductions d'eau s'occupe non seulement de travaux hydrauliques proprement dits, mais aussi de toutes opérations industrielles, commerciales et financières, mobilières ou immobilières. La condition actuelle de l'administration pourra faire penser que tout s'est toujours déroulé tranquillement ; il n'en est pas ainsi, car votre ciel n'a pas toujours été serein et certains épisodes de votre vie vous ont apporté des soucis et des inquiétudes. Mais la capacité des dirigeants, l'esprit de sacrifice du personnel et, en général, l'action prévoyante de ceux qui avaient à coeur le sort de la société contribuèrent à surmonter tous les obstacles. Aujourd'hui, la société italienne pour adductions d'eau constitue, avec celles qui lui sont associées, un efficace instrument de travail. En lisant votre histoire, Nous avons été frappé par l'opportunité et la hardiesse avec lesquelles vous avez accompli la première grande oeuvre, en réalisant l'ancien projet concernant la construction d'un canal destiné à pourvoir à l'irrigation de vastes zones arides de la province de Milan, qui doit à l'eau une grande partie de sa fortune. En moins de dix ans fut accomplie une oeuvre comprenant quatre-vingts kilomètres de canal principal, cent septante-cinq de canaux secondaires et plus de mille de canaux de troisième catégorie. Depuis lors d'autres grands canaux et des installations hydro-électriques, des aqueducs, des travaux de bonification et des ouvrages publics, des conduites de gaz et de pétrole ont été réalisés à un rythme sans cesse croissant. Pour cet immense travail, Nous vous exprimons Nos féli-licitations paternelles.



Le Saint-Père affirme que l'entreprise privée doit avoir sa place dans la société et il condamne la tendance à vouloir tout confier à l'Etat.

1. — Ce travail indique là, encore une fois, tout ce que peut, dans le domaine de la production, l'entreprise privée bien comprise et convenablement libre. Elle contribue à accroître la richesse commune et, en outre, à alléger la fatigue de l'homme, à élever le rendement du travail, à diminuer les coûts de production, à accélérer la formation de l'épargne. Pour cela, l'Eglise n'a pas cessé et ne cessera pas de réagir contre les tentatives qui sont faites dans certains pays pour attribuer à l'Etat des pouvoirs et des fonctions qui ne lui appartiennent pas. L'Eglise, avec son Fondateur, donne à César tout ce qui est à César ; mais elle ne pourrait lui donner davantage, sans trahir sa mission et le mandat qui lui a été confié par le Christ. Pour cela, de même qu'elle n'hésite pas et qu'elle élève la voix là où le pouvoir civil tente de s'attribuer le monopole de l'instruction et de l'éducation de la jeunesse, pareillement elle s'oppose, en ce qui concerne les principes moraux, à quiconque voudrait une ingérence excessive de l'Etat dans la question économique. Là où cette ingérence ne serait pas freinée, le problème social ne pourrait être réglé convenablement ; là où l'on en est arrivé en fait à la complète « planification », on a atteint certains buts, mais au prix d'innombrables ruines, provoquées par une hâte insensée et destructive : en frappant les justes libertés individuelles, en troublant la sérénité du travail, en violant le caractère sacré de la famille, en dénaturant l'amour de la patrie, en détruisant le très précieux patrimoine religieux.

Nous souhaitons donc que les hommes responsables ne cèdent pas à la tentation facile de consentir à l'ingérence excessive de l'Etat, qui léserait, découragerait et étoufferait la libre action de ceux qui, tout en travaillant pour leurs propres intérêts, concourent au bien des individus et aux richesses de la patrie.



Il reconnaît toutefois que l'Etat a le droit d'intervenir pour assurer une plus juste répartition des biens de production.

2. — Mais Nous devons ajouter ici une autre parole et avec la même franchise pastorale.

Il arrive parfois que l'on entende des plaintes compréhensibles mais non justifiées au sujet de certaines interventions de l'Etat, visant non pas à empêcher le mouvement de la production, mais à régler une distribution plus juste du bien-être que produit l'industrie humaine. Ces interventions ne peuvent être tout simplement déclarées illégitimes. Si l'on repousse la « planification » qui détruit toute entreprise individuelle, il n'est pas dit que l'on puisse accepter le régime de la liberté absolue dans les activités économiques ; en effet la négligence et même le mépris à l'égard de quelques règles indispensables dictées par la fraternité humaine et chrétienne et aujourd'hui plus urgentes que jamais, seraient trop faciles. Cela ne doit pas se produire parmi vous, chers fils.

Le Saint-Père rappelle que les chrétiens doivent travailler à l'édification d'un monde meilleur par de nouvelles structures sociales,

La société pour adductions d'eau est née et continue à prospérer sous la direction et avec le concours d'hommes, qui n'hésitent pas à faire courageusement profession de leur foi et qui pratiquent un christianisme authentique et agissant. Le président et le directeur général, qui veillent avec tant de sagesse et de talent au sort de votre Administration, ont exprimé — et Nous l'avons lu avec une satisfaction paternelle — leur « confiance que le Seigneur voudra accorder un avenir serein et prospère en travaux féconds ». Cela signifie que vous attendez de Dieu les moyens pour la conservation de votre vie et de votre activité ; une aimable pensée mariale n'a pas manqué non plus, car vous avez décidé que dans les principaux ouvrages exécutés par la Société une reproduction en bronze de Notre-Dame de l'Immaculée Conception serait installée, comme pour signifier que la Sainte Vierge est la protectrice céleste de toutes vos entreprises. Mais votre foi et votre vie chrétienne doivent être également les inspiratrices effectives de toute votre activité sociale.

Dans ce domaine, il faut des exemples clairs et indicateurs, si l'on veut coopérer à l'édification d'un monde fondé sur la doctrine de Jésus-Christ. Méditez donc ce que Nos Prédécesseurs et Nous-même avons dit sur l'élévation du travailleur, sur sa dignité de membre de la famille humaine, sur la mystérieuse, mais réelle participation qu'il a — comme tous les hommes — à la vie du Christ mystique. Méditez-le et, autant que possible, réalisez-le.

Les principes sont désormais connus ; malheureusement, les applications intelligentes, hardies, même si elles sont pénétrées d'un équilibre chrétien réaliste, restent encore rares. Ce n'est certainement pas une chose simple et, par conséquent, il ne faut pas s'attendre à des réformes de structure improvisées ; mais tout ce que vous ferez dans ce sens sera particulièrement béni par Nous, car peu de choses sont autant demandées aujourd'hui au chrétien que d'établir une nouvelle structure sociale sur les ruines des anciens édifices construits par ceux qui ne tenaient pas compte de la religion ou qui niaient l'Eglise, Jésus-Christ et même Dieu.

Etudiez, chers fils, ce qu'il est possible de faire. N'épargnez pas les fatigues et les efforts pour donner à votre administration romaine une physionomie vraiment chrétienne. Ne vous contentez pas de croire en Jésus ou même de pratiquer le christianisme dans votre vie privée ; soyez des chrétiens dans la vie même de l'administration, en vivant l'Evangile dans les rapports qui doivent exister entre employeurs et employés ; tous fils de Dieu, également sujets de l'entreprise jusque dans la différence nécessaire et utile des fonctions exercées.



Comme dernière recommandation, le Saint-Père demande à ses auditeurs de travailler avec la pensée d'être utiles non seulement à eux-mêmes, mais à tous leurs frères.

3. — En attendant — et c'est là Notre dernière pensée exposée brièvement — vous continuerez votre travail dans le but d'être utiles non seulement à vous-mêmes mais aussi à tant de vos frères ; vous travaillerez dans une pureté d'intention et dans une humble modestie : telle « soeur eau », pour laquelle le saint d'Assise voulait que fût « loué » le Seigneur. Chefs d'entreprise et travailleurs chrétiens doivent regarder — comme une fin particulièrement déterminante — le service de Dieu et le service de leurs frères. L'effort sera facilité, comme de juste, par l'attente d'une rémunération convenable, qui serve à votre existence et à celle de vos enfants, mais vous ne devez pas oublier que le travail fait pour Dieu et parce que voulu par Dieu devient une prière précieuse et continue, ainsi qu'un chant de louange envers Lui qui s'en trouve hautement glorifié.

Chers fils ! Jésus veut revenir dans le monde : les hommes « fatigués et oppressés » le cherchent sans le savoir. Il veut revenir dans les palais et dans les taudis, dans les rues et dans les mines, dans les parlements et dans les usines. Faites qu'il vienne et qu'il vive également parmi vous. Offrez-vous à Lui, acceptez-le comme maître incontesté de vos coeurs et de vos familles, surtout, faites-en le roi et le Seigneur de votre Société, si bien que tout soit inspiré par la foi, que tous soient soutenus par l'espérance et vivifiés par l'amour.






ALLOCUTION A UN GROUPE DANCIENS PRISONNIERS DE GUERRE ITALIENS



(15 avril 1956) 1





Le Saint-Père, au cours de l'audience générale du dimanche 15 avril, dans la Basilique vaticane, a adressé à un imposant groupe d'Italiens, anciens rapatriés de camps de prisonniers une allocution dont nous donnons la traduction ci-dessous :

Chers fils, anciens rapatriés des camps de prisonniers.

Quand, il y a dix ans, après un long et pénible voyage, vous avez enfin touché le sol de la patrie, avec sur vos visages les marques de souffrances indicibles, Nous avons eu le vif souci de vous faire parvenir le témoignage de Notre affection et comme l'étreinte du Père qui retrouve avec émotion un fils souvent considéré comme perdu. Avec la même affection, dans une atmosphère aujourd'hui plus sereine, où refleurissent de nouvelles espérances, Nous vous souhaitons la bienvenue, en vous manifestant, ainsi qu'à Nos autres chers fils, réunis par une généreuse initiative de l'OEuvre pontificale d'assistance dans les paroisses et en union spirituelle ici, Notre satisfaction pour le filial hommage de dévotion que vous êtes venus Nous rendre.

Oh ! comme Nous voudrions que fussent également présents ici, en ce moment, tant d'autres de vos frères, dont le sort est encore caché sous le terme angoissant de « disparus », frères qui ne sont jamais oubliés par votre coeur ni par le Nôtre. Tout en priant Dieu pour eux, où qu'ils se trouvent, Nous exprimons une fois de plus le voeu ardent que si certains étaient encore arbitrairement retenus en un exil injustifié, ils trouvent enfin la pitié dans le sens d'humanité de ceux qui les retiennent et





sur lesquels devrait peser comme un remords la douleur de tant de mères, d'épouses, d'enfants, qui attendent en larmes leur retour.

Beaucoup de choses ont changé en vous et autour de vous pendant ces dix années écoulées ; mais, comme le souvenir des amers événements vécus ne s'effacera pas dans votre esprit, de même vous tiendrez la résolution de conserver dans votre coeur et dans votre vie ces biens que vous avez tirés de tant de maux, grâce au secours de la Providence. En premier lieu, que ne s'éteigne jamais sur vos lèvres l'hymne d'action de grâces à Dieu et à sa très sainte Mère, à qui vous devez particulièrement votre rapatriement. Maintenez intacte la solide fermeté d'esprit, que tant de sacrifices ont formée ou fortifiée en vous, pour l'employer dans le combat quotidien de la vie et durant tout le temps de l'exil terrestre. Conservez en outre, et renforcez les vertus qui naquirent par la grâce divine ou qui mûrirent en vous dans le tourment de la captivité, comme la ferveur religieuse, le dévouement à la patrie, l'affection pour la famille, la fidélité à l'amitié, l'empressement à secourir les plus faibles.

Des hommes rendus plus forts par le sacrifice et qui démontrent, comme vous le faites, qu'ils possèdent de hautes vertus religieuses et civiques, ont droit à l'estime et à la reconnaissance durable de la nation ; ils ont aussi le devoir de guider par leur exemple les nouvelles générations vers une adhésion plus fidèle à l'Eglise et à la patrie. Avec ces voeux et en implorant de Dieu sa protection incessante pour vous, pour vos familles, pour tout le très cher peuple italien, Nous vous donnons de tout coeur Notre paternelle Bénédiction apostolique.


DISCOURS

A UN GROUPE DE MÉDECINS DE LA LÈPRE

(16 avril 1956) 1






Le lundi 16 avril, le Souverain Pontife a reçu en audience les membres du congrès international pour la défense et la réhabilitation sociale des malades de la lèpre. Il a prononcé en français, à cette occasion, le discours suivant :

1 D'après le texte français des A. A. S., XXXXVIII, 1956, p. 282.




Nous vous souhaitons cordialement la bienvenue, Messieurs, et sommes heureux de vous recevoir à l'occasion du congrès international pour la défense et la réhabilitation sociale des malades de la lèpre. Vous ne doutez certes pas du vif intérêt que Nous portons à l'oeuvre bienfaisante que vous avez déjà accomplie et que vous désirez continuer avec une efficacité encore accrue. Notre gratitude va aussi à l'Ordre souverain et militaire de Malte qui, fidèle à ses traditions charitables de secours aux infirmes, a voulu affronter ainsi une tâche d'une gravité particulière. Nombreux sont encore, hélas, les pays ou cette maladie exerce ses ravages, et trop nombreuses ses victimes. On compterait actuellement dans le monde plus de cinq millions de hanséniens, dont quatre cent mille seulement en traitement. Pourtant la médecine dispose de remèdes éprouves capables d'enrayer les progrès du mal, et même de rendre la santé à ceux que l'on peut soigner à temps. Aussi ce congres, qui groupe des savants et sociologues de quarante pays, Nous semble particulièrement opportun : mettant en commun votre savoir et votre expérience, vous pourrez donner à la lutte contre la lèpre un nouvel élan et une plus grande extension.



Grâce aux nouveaux remèdes la lèpre n'est plus une maladie inguérissable.

Quand on parle de la lèpre, un fait mérite d'abord d'être souligné : c'est le changement radical qui s'est opéré depuis 1941 dans sa thérapeuthique ; à cette époque, en effet, débutèrent les premiers essais de traitement par les sulfones (promin, sul-phétrone, diasone), qui se révélèrent beaucoup plus efficaces que le chaulmoogra utilisé jusqu'alors, mais dont le prix élevé rendait difficile l'application à un grand nombre de patients. Un progrès important fut enregistré en 1948 lorsqu'on songea à substituer aux dérivés sulfonés la sulfone-mère : ce médicament de prix modique et d'emploi aisé permettait l'utilisation sur une grande échelle, parmi des populations pauvres et peu évoluées.

On peut donc affirmer à présent que la lèpre n'est plus inguérissable, même si l'on reste encore trop démuni à l'égard, des manifestations douloureuses et si les rechutes restent encore possibles dans un certain nombre de cas. Comment souligner suffisamment la portée d'un tel résultat, surtout si Ton se rappelle la terreur que la lèpre inspirait jadis et inspire encore à présent, bien à tort d'ailleurs ? Son antiquité — ne remonte-t-elle pas jusqu'aux temps de la préhistoire ? — les développements littéraires qui l'ont prise pour thème, le caractère spectaculaire des déformations qu'elle inflige, quand elle est parvenue à un stade avancé, les mesures de défense sociale qu'elle a déterminées au cours des siècles, en particulier la claustration cruelle et d'ailleurs d'utilité très contestée, tout cela contribuait et contribue encore à entretenir à son égard une aversion en quelque sorte instinctive, contre laquelle il importe de réagir fortement.



Elle est moins contagieuse que la tuberculose.

Il faut d'abord remarquer que, si la lèpre est contagieuse, elle 1 est moins que la tuberculose et ne se propage que difficilement : 3 à 6°/o seulement des personnes vivant auprès des hanséniens contracteraient l'infection ; cette faible proportion est due à ce qu'un certain nombre de malades n'émettent pas de germes ou n'en émettent qu'en petite quantité et à cette particularité que le bacille se transmet surtout par voie cutanée. Il suffit d'observer les règles essentielles de l'hygiène pour éviter dans une large mesure le danger de contamination ; on a d'ailleurs pu noter comme exceptionnel le fait que des médecins ou leurs familles vivant à proximité des lieux d'hospitalisation aient contracté la maladie. Il n'y a donc pas de motif d'adopter vis-à-vis de la lèpre des mesures plus sévères que pour d'autres maladies contagieuses ; on évitera même ainsi une des causes les plus actives de sa propagation : la dissimulation du mal. Les malades traités avec libéralité ne craindront plus le médecin à l'égal du policier, et viendront d'eux-mêmes demander des soins au lieu de se cacher, de rester pour leur entourage des facteurs permanents de contagion et de se condamner eux-mêmes à en subir les pires conséquences. La suppression des préjugés courants et des méthodes de coercition conditionne donc le succès des campagnes anti-lépreuses, et vous avez pleinement raison de mettre en évidence la réalité des faits telle qu'elle se présente aujourd'hui. Tout autorise à croire que les méthodes de prophylaxie anti-tuberculeuse, qui ont fait leurs preuves en Europe et sont basées sur le dépistage et le traitement précoces, obtiendront les mêmes effets là où on appliquera à la lèpre des procédés semblables.



Des problèmes concernant l'épidémiologie de la lèpre n'ont pas encore trouvé de solution et retardent les progrès de la médecine.

Cependant, une difficulté sérieuse retarde aujourd'hui encore les progrès de la médecine dans ce domaine ; de nombreux problèmes concernant l'épidémiologie de la lèpre n'ont pas encore trouvé de solution. Le bacille de Hansen s'avère, en effet, très difficile à étudier ; il n'arrive à se fixer naturellement que dans l'organisme humain et, malgré les travaux poursuivis par de nombreux savants pendant plus d'un demi-siècle, on n'a pas encore réussi des essais de culture en laboratoire ; on n'est pas non plus parvenu à l'inoculer aux animaux et à déterminer chez eux une maladie transmissible. On manque également d'enquêtes épidémiologiques, qui mettraient en évidence les facteurs biologiques, climatiques, raciaux, sociaux, jouant un rôle dans son expansion. Pareil travail requiert évidemment un appareillage scientifique coûteux et que précisément les pays où la lèpre sévit davantage sont incapables de se procurer. On aperçoit là du simple point de vue de la recherche une tâche considérable et de première importance. Quant aux mesures d'action directe, il apparaît comme primordial de préparer dans chacun des pays intéressés un personnel spécialisé, ayant reçu une formation sérieuse auprès des savants les plus compétents en la matière. Il faudrait ensuite organiser la lutte aux endroits les plus touchés : des dispensaires bien équipés, fixes ou mobiles suivant le cas, constitueront les éléments de pointe s'efforçant de repérer et de soigner à temps les malades de type bénin, tandis que les contagieux seront dirigés vers des sanatoriums qui leur assureront tous les soins nécessaires sans entraver leur liberté.



Le Saint-Père déclare que s'occuper des lépreux demeure toujours un admirable apostolat ; car ces malades ont autant besoin de réconfort moral que de soins corporels.

Aussi longtemps qu'on fut privé d'un remède vraiment efficace, le soin des hanséniens exigeait de ceux qui s'y consacraient un dévouement héroïque. Combien de religieux et de religieuses n'ont pas hésité à séjourner dans les léproseries, d'où tout espoir semblait banni et tombèrent victimes à leur tour du même fléau ! Actuellement la thérapeutique de la lèpre s'apparente à celle de toute autre affection chronique ; le traitement appliqué avec discernement, et accompagné d'une surveillance systématique pour prévenir les accidents et y remédier, obtient toujours des résultats appréciables. Quel meilleur stimulant pour les âmes généreuses, qui se consacrent à cette tâche avec plus d'ardeur encore que par le passé ! En même temps que la guérison des corps et les problèmes déjà ardus qu'elle pose, il faut affronter les difficultés psychologiques et sociales, en particulier celles qu'entraîne l'hospitalisation des cas contagieux, que l'évolution très lente de la maladie retiendra plusieurs années loin de leur famille et de leurs occupations. Séparé de la société, le malade n'a-t-il pas alors un besoin plus urgent d'aide morale et spirituelle, de compréhension, d'encouragement ? Surtout lorsque son cas ne donne plus guère espoir de guérison, ne doit-il pas entretenir des raisons de vivre et de souffrir, que les doctrines humaines sont bien incapables de lui donner ? Précisément parce que la lèpre requiert une cure prolongée, provoque parfois des déformations et des infirmités pénibles, et aussi parce que persistent à son égard des attitudes injustifiées de répulsion et de crainte, le malade a besoin de toutes ses ressources spirituelles ; il souhaite comprendre le sens de l'épreuve qui le frappe et la porter non avec un stoïcisme froid ou une résignation aveugle, mais avec le courage généreux, dont seule une foi religieuse solide peut donner le secret.

! Même après sa guérison, le lépreux a besoin d'aide et d'encouragement.

Pour vous-mêmes, Messieurs, vous avez l'ambition d'apporter dans cette lutte anti-lépreuse toutes vos énergies, toutes les ressources de votre intelligence et de votre coeur. Qu'une propagande bien menée fasse connaître au grand public les moyens dont dispose actuellement la médecine pour aborder cette lutte, ainsi que son caractère véritable, et d'autre part l'urgence d'une action plus énergique et plus vaste. Aujourd'hui comme autrefois, les missions catholiques s'y dépensent, soit directement par l'entretien de services médicaux, dispensaires et hôpitaux, soit indirectement par la recherche scientifique et les formes les plus diverses d'assistance sociale. Lorsqu'il est rentré dans la vie civile, le hansénien en voie de guérison se heurte aux difficultés de la réadaptation, et parfois son corps garde les stigmates des souffrances endurées : un labeur important reste donc à accomplir dans le domaine de l'assistance sociale, ainsi que pour effacer, par le moyen de la chirurgie réparatrice ou esthétique et de l'orthopédie, les séquelles de la maladie. Question d'organisation et de technique, sans doute, mais plus encore oeuvre de sympathie humaine et d'amour sincère. Ici encore Nous voulons croire que des catholiques formés à l'école d'un Maître, qui propose la charité comme premier précepte, rivaliseront d'ingéniosité et de ferveur, si possible au moyen d'un « Comité international catholique », pour soulager ces peines et rendre à leurs frères visités par l'épreuve plus de sérénité et de joie intime.



Le Saint-Père termine en exhortant ceux qui soignent les corps à penser aussi aux âmes des lépreux.

Un épisode fort expressif de la Bible illustre, par la guérison d'un homme frappé de lèpre, les détours admirables, par lesquels la Providence divine sait attirer les hommes à la vérité. Naaman le Syrien, ignorant du vrai Dieu, vient trouver le prophète Elisée pour implorer de lui la guérison ; cédant à contrecoeur à son injonction, il se baigne dans le Jourdain, recouvre la santé et reconnaît « qu'il n'y a point de Dieu sur toute la terre, si ce n'est le Dieu d'Israël» (IV Rois, 5, 15). L'intervention divine ne se limite pas à la guérison du corps ; elle pénètre plus à fond, jusqu'à l'esprit, le délivre de l'erreur et lui indique la voie qui mène à la lumière. Lorsque le Christ rencontrait des malades de la lèpre au cours de ses pérégrinations, il ne pouvait rester sourd à leurs cris suppliants. « Seigneur, si tu le veux, tu peux me guérir », disait l'un d'eux (Mt 8,2). Jésus étend la main, le touche et « aussitôt sa lèpre fut guérie » (ibid. VIII, 3). Nous aussi, Messieurs, Nous voudrions que ce même cri, répété aujourd'hui encore par plusieurs millions d'hommes, suscite un grand élan de compassion. Que l'on utilise au maximum, pour supprimer une plaie particulièrement douloureuse de l'humanité, les merveilleuses conquêtes de la science moderne, mais qu'on songe avec plus de sollicitude encore aux âmes immortelles en quête de la vérité et de la vie qui ne passe pas. Comme les malades de la lèpre dont parle l'Evangile, elles aspirent à rencontrer la personne de Jésus, le seul Sauveur, grâce à la charité des hommes d'aujourd'hui, qui acceptent de proclamer son Nom et de se faire les témoins sincères de sa puissance et de son amour.

En appelant les faveurs du Ciel sur vous-mêmes et sur tous ceux qui consacrent au service des malades de la lèpre le meilleur de leurs forces et de leurs affections, Nous souhaitons à votre effort le succès le plus large, et de tout coeur vous en donnons pour gage Notre paternelle Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION A UN GROUPEMENT DES DIRIGEANTS DE L'INDUSTRIE DU VERRE

(18 avril 1956) 1






Le mercredi 18 avril, le Saint-Père a reçu en audience un groupe des dirigeants des Fédérations européennes des industries du verre. Il leur a adressé, en français, l'allocution suivante :

Il Nous est agréable, Messieurs, de vous recevoir à l'occasion de la réunion des dirigeants des Fédérations européennes des industries du verre. Vous vous êtes réunis pour discuter des intérêts de cette industrie, et en particulier des moyens de développer son marché en chacun de vos pays. Nous espérons que vos échanges de vues ont été profitables et que vous serez satisfaits des résultats obtenus.

On a peine à s'imaginer ce que deviendrait la vie quotidienne des hommes, si elle était soudain privée des services de cette matière, qui semble avoir conclu avec la lumière une mystérieuse alliance. Quoi d'étonnant si elle se prête avec bonne grâce aux fantaisies de l'habile artisan et fixe à l'instant les créations ailées de son imagination ? Tantôt par contre elle contribue à remplir de recueillement et de paix la nef des cathédrales ou de modestes églises, lorsque le verre coloré, par une subtile analyse, détaille les nuances infiniment diverses de la lumière et la transforme en symbole éclatant de la gloire de Dieu et de sa vie même. Sans doute la distance est grande entre les usages les plus humbles du verre et ceux que Nous venons d'évoquer ; mais n'est-ce pas une loi de l'existence humaine que les élans les plus sublimes s'inscrivent sur la trame prosaïque des actions quotidiennes ? Ainsi, Messieurs, aux prises avec les problèmes économiques et techniques que pose la direction de vos entre

prises, ne perdez pas de vue cette nécessaire transfiguration, sans laquelle l'esprit reste esclave des réalités matérielles au lieu de les dominer. Sous le poids des préoccupations les plus accablantes, malgré les difficultés qui rendent votre tâche malaisée, gardez votre liberté intérieure, le désintéressement, le souci des labeurs d'autrui et de ses épreuves. Que surgisse sans peine en vous-mêmes l'élan vers les hauteurs qui ennoblit l'âme et la rend capable de toutes les générosités.

Que le Dieu tout-puissant vous accorde ses faveurs en abondance. Nous l'en prions ardemment et vous en donnons pour gage Notre Bénédiction apostolique.


DISCOURS

A L'INSTITUT NATIONAL MASCULIN DE ROME



(20 avril 1956) 1





Le vendredi 20 avril, le Souverain Pontife a reçu en audience les élèves, professeurs et directeurs du Pensionnat national masculin de Rome, à l'occasion du vingtième anniversaire de sa nouvelle installation.

Il leur a adressé en italien un important discours, dont nous donnons la traduction suivante :

En vous accueillant avec une satisfaction paternelle dans Notre demeure, chers jeunes gens de l'Internat national masculin de Rome, Nous vous exprimons la vive satisfaction de Nous trouver au milieu de vous, de vos éducateurs et de vos familles.

Il Nous semble respirer la brise fraîche de printemps que répand autour de lui tout groupe de jeunesse ; mais, en outre, comme vous appartenez à un Institut scolaire romain, Nous avons comme l'impression de revenir pour de brefs moments aux jours de Notre lointaine jeunesse, lorsque dans un autre Institut, également romain et, comme le vôtre, héritier de glorieuses traditions, Nous passions des années sereines, en cultivant avec l'aide de la grâce, les aspirations secrètes de l'âme pour la réalisation desquelles toute fatigue est légère, tout sacrifice se transforme en joie.

Loin alors de prévoir ce que seraient les voies que Nous réservait la divine Providence, Nous estimions que, de toute façon, le premier devoir était de ne pas Lui opposer de résistance, mais de suivre docilement ses desseins, en pratiquant les conseils et les enseignements de ceux qui la représentent auprès de tout enfant, dans la famille, dans l'Eglise et à l'école.





Nous désirons tout de suite vous donner cette même règle comme souvenir de cette rencontre avec Nous, afin que les années que vous passez au collège soient de fécondes semences pour toute la vie qui vous attend.



Il rappelle le glorieux passé de l'Institut national masculin actuel.

Vous êtes venus en Notre présence, conscients des glorieuses traditions de votre Internat, qui fut fondé, comme on le sait, à la fin du XVIe siècle, par Notre prédécesseur Clément VIII, soucieux d'assurer à la Noblesse romaine, qui représentait en ces temps la classe dirigeante, une jeunesse préparée religieusement et culturellement à affronter ses devoirs futurs. L'Institut s'honorait alors du titre de « Noble Collège pontifical Clémentin ». Pendant trois siècles environ et grâce à la direction éclairée des Religieux Somasques, il répondit pleinement aux intentions de son Fondateur, exprimées dans la Bulle « Ubi primum ad summi apostolatus apicem » du 7 juillet 1604 2, formant des générations de valeur, remarquables par leur foi, leur culture littéraire et artistique et par la pratique exemplaire des vertus civiles. Il a certainement l'honneur d'avoir été un modèle pour tant d'autres Instituts en Italie et en Europe, qui, par tout le bien qu'ils répandirent dans la société de l'époque, doivent également leur origine à l'active sollicitude de l'Eglise envers la jeunesse.

Comme tant d'autres Institutions romaines, le « Clementino » subit au cours du siècle dernier la secousse des agitations politiques et traversa, en conséquence de celles-ci et du changement de sa structure, une période douloureuse en contraste avec ses traditions ; cette période fut alors moins propice à une éducation parfaite des jeunes gens d'une nation, comme l'Italie, qui ne peut se tenir à l'écart des valeurs religieuses. Mais, par une faveur divine, ce ne fut qu'une brève parenthèse, car, le vent contraire ayant cessé, votre Institut, sous son nouveau nom d'« Internat national », se reprit lui aussi à prospérer et à retrouver la confiance des familles chrétiennes.

Actuellement, votre Internat, dans son nouveau siège, construit selon les exigences pédagogiques modernes, parfaitement dirigé par une phalange choisie de supérieurs, de professeurs et d'instituteurs, entouré des sollicitudes et de l'estime des autori-



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tés publiques, possède tout ce que l'on peut désirer pour assurer aux nombreux jeunes gens qui y accourent de toutes les régions, une parfaite éducation religieuse, civile et scolaire.

On connaît également les excellents résultats obtenus dans les études, particulièrement ces dernières années et démontrés aux examens finals, dont l'heureux succès couronne non seulement la diligence des élèves, mais, avec non moins de mérite, la sollicitude active et la valeur du corps enseignant.



Il donne quelques directives pour l'oeuvre éducatrice des collèges.

Toutefois, Nous voudrions vous demander si, dans le domaine de l'éducation, il est possible de s'arrêter aux bons résultats, sans s'efforcer, autant que possible et avec la grâce divine, de tendre à la perfection. Eh bien ! avec la sollicitude de celui qui aime particulièrement la jeunesse, Nous désirons saisir cette occasion pour vous exprimer quelques pensées sur l'oeuvre éducative des collèges ; et cela servira également à tant d'autres jeunes gens, dont l'avenir et celui de la société elle-même dépendent des brèves années passées dans ces institutions.

Bien que l'éducation dans les collèges particulièrement dans les internats, ait donné dans le passé comme à présent de bons résultats, elle a été l'objet de sévères critiques de la part de certains spécialistes des sciences pédagogiques, qui voudraient la proscrire comme si elle était tout à fait inadaptée. Mais les critiques, même basées sur telle ou telle déficience manifeste, ne constituent pas un motif suffisant pour condamner d'une façon générale l'éducation dans les collèges.

Certes le milieu familial, sorte de nid préparé par la nature, quand il est assisté par l'Eglise et complété par l'école, est le plus adapté pour assurer une bonne et même parfaite éducation ; mais souvent les circonstances de lieu, de travail et de personnes empêchent la famille de se charger à elle seule de cette tâche ardue. Dans ces cas, le collège devient une institution providentielle, sans laquelle de nombreux jeunes gens resteraient privés de grands biens. Toutefois, il n'exempte pas les parents du devoir de s'occuper des enfants, il exige même que leur influence soit présente également dans le collège pour compléter l'oeuvre de formation qui s'accomplit loin de leurs yeux. Entre l'éducation dans la famille souvent empêchée, et celle au collège, obligatoirement imparfaite, un juste milieu est représenté par le demi-internat, où le jeune voit ajouter aux avantages de l'éducation familiale ceux propres à la vie de collège.



... Au collège, le jeune homme doit acquérir les habitudes du devoir, de la discipline, des responsabilités.

Les principales qualités de celle-ci sont la formation de l'esprit à une conscience plus rigoureuse du devoir, au sens de la discipline et de la précision, à l'habitude d'ordonner ses occupations, au sentiment de la responsabilité de ces propres actes. Au collège, le jeune homme est amené de bonne heure à savoir vivre en société, grâce aux relations de différents genres dans lesquelles il arrive à se trouver avec ses supérieurs, avec ses condisciples et avec ceux qui lui sont inférieurs, tout au moins en âge. Il est poussé à la saine émulation, au juste sens de l'honneur et à l'acceptation des sacrifices nécessaires. La possession de ces dons dès les tendres années, facilitera sans aucun doute au jeune homme l'entrée dans la vie, le soutiendra pour affronter les événements et dans l'accomplissement des devoirs de son état. Cependant, la réalisation de ces résultats peut être compromis par des excès et par des défauts de méthode, de nature à aboutir à un effet contraire et, en conséquence, à fournir un motif pour juger négative et nuisible l'éducation de collège.



. . . Toutefois ce résultat ne peut être acquis que si le règlement est appliqué avec intelligence et sagesse.

Incontestablement, la vie en commun, hors du milieu naturel, sous la domination d'un règlement rigide, qui ne sache pas discerner un individu de l'autre, présente ses dangers. Pour peu que l'on se trompe, on aura des élèves nullement préparés au sens des responsabilités, mais entraînés, comme inconsciemment, par le mécanisme des actions à un pur formalisme, aussi bien dans l'étude que dans la discipline et dans la prière. La stricte uniformité tend à étouffer l'élan personnel ; la vie isolée à restreindre la vaste vision du monde ; la pression inflexible du règlement suscite parfois l'hypocrisie, ou bien impose un niveau spirituel, qui pour les uns sera trop bas et, au contraire, pour les autres irréalisable ; la trop grande sévérité finit par changer les caractères forts en rebelles et les timides en êtres craintifs et renfermés en eux-mêmes.

Le Saint-Père énumère les qualités essentielles d'une véritable éducation chrétienne. La première est l'action personnelle de l'éducateur.

Mais il est possible et nécessaire de remédier à ces dangers par le discernement, la modération et la douceur. En premier lieu, il faut savoir discerner chez les élèves chaque cas particulier. L'éducation dite de masse, ainsi que l'enseignement de classe, coûte certainement moins de fatigue, mais risque de ne profiter qu'à quelques-uns alors que tous ont le droit d'en bénéficier. Les enfants ne sont jamais égaux l'un à l'autre, ni par l'intelligence, ni par le caractère, ni par les autres qualités spirituelles : c'est là une loi de la vie. On doit donc les considérer distinctement, aussi bien en fixant leur condition de vie qu'en les corrigeant et en les jugeant. En tous cas, il faut éviter la communauté trop uniforme, qui oblige parfois quelques centaines de collégiens, différents par l'âge, à étudier, à dormir, à manger et à jouer dans un unique édifice, avec un unique horaire, sous un unique règlement. On doit au contraire chercher à remédier à cet inconvénient par la division en groupes homogènes et d'un nombre tel que ceux qui les assistent puissent suivre paternellement chaque sujet distinct. Mais même ainsi divisés en groupes — auxquels il serait opportun d'assigner un horaire, un règlement et des exercices différents et proportionnés —, et bien que le jeune homme normal tire personnellement de l'ensemble des valeurs spirituelles et morales que lui offrent l'éducation et l'école, le bon exemple et le bon livre, les éléments nécessaires pour sa juste formation, il faut toutefois que chacun se sente l'objet d'une attention spéciale <de la part de l'éducateur et qu'il n'ait jamais l'impression d'être confondu et oublié dans la masse, négligé dans ses nécessités particulières, dans ses besoins et dans ses faiblesses, comme si ne comptait que sa présence physique. C'est de cette sollicitude particulière que résultera chez l'élève l'encouragement à affirmer et à développer son tempérament personnel, l'esprit d'entreprise, le sens de la responsabilité envers ses supérieurs et ses camarades, comme s'il vivait au sein d'une famille nombreuse et bien ordonnée.

.. . . la seconde est la modération.

Le second caractère qui doit inspirer l'éducation dans le collège consiste dans la modération. L'antique précepte ne quid nimis, équivalant à l'autre in medio stat virtus, doit inspirer tout acte de l'éducateur, soit quand il établit une règle, soit quand il en exige l'observation. Un sens éclairé de discrétion est nécessaire pour fixer la durée de l'étude et de la récréation, la distribution des récompenses et des châtiments, la concession de libertés et les exigences de la discipline. Les exercices de piété doivent également connaître la juste mesure, afin qu'ils ne deviennent pas un poids presque insupportable et ne laissent pas l'ennui dans l'esprit. Plus d'une fois, on a noté l'effet déplorable d'un zèle excessif sur ce point. On a vu des élèves de collèges même catholiques, où il n'a pas été tenu compte de cette modération, mais où l'on a voulu imposer un niveau de pratiques religieuses, qui eussent peut-être même été disproportionnées aux possibilités de jeunes clercs, négliger, lorsqu'ils sont retournés dans leurs familles, les devoirs les plus élémentaires du chrétien, comme la messe du dimanche. On doit certainement aider et exhorter les jeunes gens à prier ; mais toujours dans une mesure telle que la prière demeure un doux besoin de l'âme.

. la troisième est l'ambiance de douceur.

Une atmosphère de douceur sereine devrait, en troisième lieu, régner dans tout collège, mais de nature à ne pas compromettre la formation de caractères forts. Spécialement à des jeunes gens qui proviennent de familles saines, on doit inculquer le sens du devoir par la persuasion personnelle et par des arguments de raison et de sentiment. Un sujet, qui est persuadé de l'amour de ses parents et de ses supérieurs, ne manquera pas de répondre tôt ou tard à leurs sollicitudes. Il faut donc proscrire l'ordre qui ne donne pas ou ne suppose pas quelque justification raisonnable, le reproche qui trahit une rancoeur personnelle, la punition exclusivement vindicative. La douceur ne doit être abandonnée qu'en dernier lieu, pour un temps bref et dans des cas particuliers. Elle doit présider au jugement et déborder la stricte justice, car l'esprit de l'adolescent n'est presque jamais assez mûr pour comprendre tout le mal, ni assez tenace dans celui-ci pour ne pas savoir reprendre la bonne voie dès qu'elle lui est indiquée.

Ces préceptes, choisis parmi ceux de caractère plus général et plus pratique, et ceux, bien connus de vous qui êtes formés par les sciences pédagogiques, ne manqueront pas, grâce à une application diligente, d'assurer à votre oeuvre d'éducateurs d'excellents résultats. Nous désirons maintenant adresser Notre parole plus directement aux jeunes gens qui sont éduqués dans des collèges semblables au vôtre, afin qu'ils sachent ce qu'attendent d'eux les familles, la société et l'Eglise elle-même et de quelle manière ils doivent répondre à tant de sollicitudes affectueuses. Ce n'est pas toujours sous la contrainte des circonstances anormales que Nous avons signalées, que les familles ont recours au collège ; mais elles choisissent pour leurs enfants ce type d'éducation dans la conviction fondée de les mettre dans une condition plus favorable pour obtenir une formation excellente et, autant que possible, complète. De leur côté les collèges, tels que le vôtre, se proposent comme fin particulière, bien que non exclusive, de former des hommes éminents sous tous les aspects, des hommes au-dessus de la médiocrité, sur lesquels la société, aussi bien religieuse que civile, puisse compter pour l'avenir.

Puis le Saint-Père s'adresse directement aux jeunes gens, leur demande en premier lieu d'avoir comme idéal de viser toujours plus haut, et de le poursuivre avec un zèle constant.

Mais comment un collège, même excellent à tous points de vue, réussira-t-il à former des hommes insignes, si vous-mêmes, jeunes gens, n'êtes pas les premiers à désirer ardemment de devenir tels ? Donc viser au plus haut degré possible est le premier pas de toute éducation parfaite. Le jeune âge incite spontanément l'adolescent intelligent et sain à se proposer de beaux et grands idéals ; mais plus d'une fois surviennent une apathie et une indolence ou bien des influences extérieures, qui conspirent à étouffer les élans et à réduire à de modestes proportions les désirs d'exceller. Il n'y a pas de pire début dans le chemin de la vie que de renoncer avant l'épreuve, se replier avant la bataille, se résigner avant l'adversité.

De nos jours malheureusement, il y a de nombreux jeunes gens que laissent insensibles l'attrait et la grandeur de buts sains et élevés, des jeunes au caractère veule, dont l'ambition se borne à tendre à leur petit monde de commodités personnelles et qui, s'ils caressent jamais des idéals, les choisissent parmi ceux dont la valeur est éphémère, apparente et d'un avantage immédiat. Ils pourront devenir de bons citoyens, être même utiles à la société ; mais qu'adviendrait-il d'une nation, dont la jeunesse n'oserait pas aspirer, en nombre suffisant, à de grandes et sublimes entreprises ? Son avenir, qui exige progrès, avancement, amélioration demeurerait gravement compromis. Nous voudrions donc vous exhorter à ouvrir vos âmes à de grands désirs et, même dans la juste estimation de vos forces, à vous fixer des buts hardis, de telle sorte que durant toute votre vie vous puissiez apporter de hautes contributions dans le domaine de la science ou de l'art, ou de l'action à la société, qui attend des jeunes gens qu'ils deviennent les guides efficaces de son avenir.

Une qualité certaine de l'éducation dans les collèges est de stimuler les esprits à connaître et à désirer de grandes choses, soit par l'émulation spontanée, soit par l'influence de maîtres remarquables. Toutefois le fait de faire partie d'instituts si louables, qui disposent de tous les moyens pour donner une excellente et complète éducation, pourrait vous induire à croire que, pour atteindre le but, il suffit de vivre quelques années dans un de ceux-ci ; un peu comme, pour arriver à un port lointain, il suffit de rester sur le navire, sans s'occuper d'autre chose. Or le choix de hauts buts dans la vie n'est que le premier de nombreux et pénibles autres pas, qui restent à accomplir. Il n'existe pas de vertu magique qui transforme les idéals en réalité, si ce n'est la ferme volonté et l'engagement total des forces dont on dispose. Le désir doit donc être suivi du zèle ; celui-ci, à son tour, doit être constant, inflexible dans les difficultés, prêt aux épreuves et aux renoncements, car, ainsi que l'enseigne une ancienne maxime, ce qui ne coûte pas n'a pas de valeur. On ne reçoit pas des autres les biens moraux, en don, comme les héritages ; mais il faut les conquérir par ses efforts personnels. Toutefois, le collège peut vous aider efficacement dans la mesure où vous collaborerez avec vos éducateurs. Mais de quelle manière se traduira dans la réalité votre collaboration ? Avant tout, en mettant en eux toute votre confiance.



Il fait aux jeunes gens, trois recommandations importantes : confiance dans leurs éducateurs.

La confiance, fruit de l'estime, consiste en la persuasion intime que tout ce qui vous est enseigné, conseillé, prescrit, résulte de l'affection et vise à votre plus grand bien, même si, à première vue, vous n'en voyez pas clairement les motifs. Beaucoup de naufrages de la vie ont eu leur origine dans le refus de faire confiance aux parents et aux éducateurs ; en revanche de nombreuses expériences amères seraient évitées si l'on croyait avec confiance en ceux qui ont une plus grande expérience. Mettez donc une entière confiance en ceux qui ont pris sur eux et acceptent de la Providence la grave responsabilité de votre avenir et possèdent pour cela les dons nécessaires d'esprit et de coeur. Parmi ces éducateurs, les premiers sont les parents, dont les conseils ne devraient jamais faire l'objet de discussion de votre part, au moins jusqu'au jour où vous vous sentirez des hommes mûrs à toute épreuve.



docilité envers eux.

La confiance doit être accompagnée de la docilité, qui consiste à mettre en pratique les conseils, à accepter les corrections, à se soumettre aux orientations qui vous seront données avec une affection éclairée. Le sens critique qui se développe à votre âge vous poussera souvent à mettre en doute tel ou tel précepte, tandis que les suggestions de gens auxquels votre avenir importe bien peu en réalité, vous inciteront plus d'une fois à repousser la main de ceux qui vous guident : vous devrez alors vous rappeler que la maturité du jugement vient avec les années et que c'est vous seuls qui subirez les conséquences d'actes inconsidérés.



générosité constante.

La générosité constante dans le dévouement doit être la troisième vertu de ceux qui aspirent à se distinguer. Le jeune homme qui hésite en commençant, qui fait alterner des semaines d'étude intense avec d'autres de paresse ou d'occupations frivoles, qui renvoie ses devoirs au jour suivant, n'arrivera jamais à des buts élevés. Vous possédez maintenant un précieux trésor : votre jeunesse même. Ses merveilleuses qualités sont la tendance naturelle au vrai et au bien, la malléabilité de l'esprit, l'abondance d'énergies physiques, l'intégrité des facultés spirituelles, la vigueur des élans. Ces richesses, comme les talents de l'Evangile, ne seront pas toujours à votre disposition. Or, le collège, grâce à la vigilance paternelle des éducateurs, à la sage répartition de l'horaire, en enseignant la méthode et la précision et par les autres normes auxquelles se conformeront vos éducateurs, vous aidera beaucoup à tirer le plus grand fruit de vos talents ; mais il reste toujours vrai que c'est à vous qu'il appartient de seconder cette oeuvre et de veiller à ce que ces talents ne soient pas gaspillés.

Le Saint-Père leur recommande la collaboration entre eux, de même entre le collège, les élèves et les familles.

Il faut en outre que les jeunes gens collaborent ensemble à édifier leur splendide avenir. Bien que souvent ils ne s'en rendent pas compte eux-mêmes, il existe entre eux une interdépendance décisive d'influences due à une plus grande compréhension mutuelle. Malgré l'oeuvre la plus sage des éducateurs, un mauvais condisciple peut détruire ce qu'ils édifient, de même aussi qu'un vrai ami renforcera, au contraire, les préceptes du maître mieux que celui-ci ne peut le faire. Il appartient à chacun de vous de se garder de la triste influence de tel ou tel camarade, facilement reconnaissable par l'opposition que vous constaterez entre ses suggestions et les conseils des éducateurs, mais votre devoir est aussi d'agir sur les autres à leur avantage. Il en résulte de la sorte entre les condisciples d'un même collège ces saines et profondes amitiés, que ni les années ni les distances n'affaibliront ; elles seront le résultat le plus cher et le plus précieux des lointaines années d'éducation.

Il y a enfin une troisième collaboration qui ne pourra jamais être assez recommandée et qui unit dans une oeuvre solidaire et indispensable le collège, les élèves et les familles. Un parfait accord de principes et d'orientation est avant tout nécessaire entre le collège et la famille, afin que l'un ne détruise pas l'action de l'autre et vice-versa. La famille en particulier, comme Nous y avons déjà fait allusion, ne renonce pas à ses droits en confiant l'enfant au collège ni ne se trouve déchargée de ses responsabilités. Il lui appartient de seconder, de soutenir, de continuer l'oeuvre des éducateurs. Parfois une plus grande confiance envers l'élève sera nécessaire et parfois aussi, une plus grande sévérité ou une attention plus assidue ; parfois même il faudra sacrifier quelque chose de ses propres sentiments. Mais il est surtout nécessaire que les jeunes gens voient toujours une entente parfaite entre le collège et la famille. Avec cette triple collaboration, à laquelle s'ajoutera celle plus élevée, plus efficace et plus intime qu'exerce la religion par l'intermédiaire de ses ministres, on peut espérer à juste titre que les hauts idéals choisis par les jeunes, souhaités par les familles, poursuivis par le collège, deviendront un jour une heureuse réalité.

Le Saint-Père termine en rappelant aux jeunes gens du Collège national de Rome les directives de l'ancien Collège Clémentin : dévotion, obéissance, étude... auxquelles II ajoute : progrès.

Quant à votre conduite pratique, chers fils de l'Internat national de Rome, il Nous plaît de vous rappeler que les premières règles du « Noble Collège pontifical Clémentin » recommandaient spécialement trois choses : la « dévotion », 1'« obéissance » et 1'« étude ». A trois siècles de distance, Nous ne saurions vous donner de meilleurs conseils pour que se réalise votre collaboration avec les éducateurs. Soyez pieux avec joie et pureté de coeur, persuadés que la foi est la base solide de votre vie. Obéissez, non sous la contrainte ni par peur, mais poussés par la certitude que ceux qui vous aiment se proposent votre bien. Livrez-vous à l'étude avec méthode et assiduité, non seulement pour enrichir votre pensée, mais aussi pour vous soumettre à l'obligation du travail. Nous voudrions en outre ajouter un devoir particulier propre à votre âge, dont la caractéristique essentielle est de croître. De même que chaque nouveau jour trouve les jeunes gens plus développés physiquement, il doit pareillement les trouver plus avancés intellectuellement et moralement. La plus haute louange que le saint Evangile rend à l'enfance de Jésus consiste à rapporter qu'« Il progressait en sagesse, en taille et en grâce auprès de Dieu et des hommes » (Luc II, 52). L'ami divin doit donc être votre modèle non seulement quant au progrès incessant en sagesse et en grâce, mais aussi quant au réconfort que votre conduite donnera à ceux qui voient en vous leurs plus chers trésors en ce monde : vos parents et vos éducateurs.

Nous vous souhaitons — ainsi qu'aux autres jeunes gens qui poursuivent leur éducation dans les collèges d'Italie — d'accueillir Nos enseignements paternels et, en les pratiquant, de former en vous des hommes de caractère, des citoyens irréprochables, des modèles de vertus religieuses, familiales et sociales, en un mot dignes des meilleures traditions de votre patrie : c'est dans ces sentiments que Nous appelons sur vous, sur vos éducateurs, et sur vos familles l'abondance des faveurs célestes, en gage desquelles Nous donnons à tous Notre Bénédiction apostolique.


Pie XII 1956 - LETTRE AU R. P. FRANÇOIS MEAD RECTEUR DE L'UNIVERSITÉ DE NIAGARA A L'OCCASION DU CENTENAIRE DE CETTE INSTITUTION