Pie XII 1956 - RADIOMESSAGE AU SEPTIÈME CONGRÈS INTERNATIONAL DES MÉDECINS CATHOLIQUES


ALLOCUTION A DES PÈLERINS IRLANDAIS

(13 septembre 1956)1






Le Saint-Père a reçu le 13 septembre un nombreux groupe de membres de la « Garda Siochna Brancha of the Pioneer total Abstinence Assoc. of the Sacred Hearth » d'Irlande. Il leur a adressé un discours en anglais, dont nous publions la traduction suivante :

Chers fils et filles ! Qui pourrait être davantage le bienvenu dans la maison du vicaire du Christ que vous, fils de la catholique Irlande ? Votre présence Nous apporte toujours joie et consolation ; car un pèlerinage irlandais rappelle immédiatement la haute et sainte mission confiée par la Providence à toute une nation, une mission éminemment apostolique dans le monde entier pour l'exercice de son zèle ; et l'on s'incline en une humble et respectueuse admiration devant la sagesse insondable de Dieu dirigeant l'accomplissement de cette mission. Elle resplendit si lumineusement à travers les pages qui racontent l'histoire de la foi et de l'Irlande. « Qui nous séparera de l'amour du Christ ? » demandait saint Paul avec un accent vibrant. « La tribulation, ou l'angoisse, ou la persécution, ou la faim, ou la nudité, ou le péril, ou l'épée ?... Mais dans toutes ces épreuves, nous sommes plus que vainqueurs, par Celui qui nous a aimés » (Rm 8,35). Saint Patrick, parlant pour ses fils, ne pourrait-il se faire l'écho de l'apôtre des Gentils ? Comme un rocher au milieu des vagues, se succédant sans cesse à travers les âges, la foi de l'Irlande avec sa fidélité filiale au siège de Pierre est demeurée inébranlée. Oh ! n'oubliez jamais la gloire du passé ; que son éclat brille encore sur les collines et les plaines, sur les campagnes et les villes de votre peuple ! Mais ce n'est pas de cela que Nous voulons vous parler aujourd'hui.

Laissez-Nous plutôt ouvrir Notre coeur paternel et vous faire part d'une ou deux pensées anxieuses. La première est suggérée par l'association pratiquement représentée par vous tous ici présents. Proverbialement, l'Irlande est une terre où s'unissent les larmes et le sourire. Et, hélas ! quel flot de larmes, noyant la joie et la gaieté de la maison et du foyer, n'a pas coulé à travers la digue rompue de la tempérance ! Votre « Pioneer total Abstinence Association du Sacré-Coeur » est une tentative courageuse, fortifiée par un authentique esprit paulin de renoncement personnel pour le bien et les besoins spirituels du prochain, pour réparer et renforcer cette digue nécessaire, indispensable ; et Nous n'avons que des paroles de louange pour votre généreuse charité.

En réalité, Notre anxiété s'étend au-delà de l'Irlande. Dans plus d'un pays du monde, l'intempérance dans la boisson, conduisant si souvent à l'alcoolisme, est devenue aujourd'hui une cruelle menace et une réelle tragédie spirituelle pour des milliers d'âmes rachetées par la passion et la mort de Jésus-Christ. Qui fera le compte des foyers brisés par ce péché ? Qui mesurera la somme de bien pour les âmes auxquelles ce péché a fait obstacle ? C'est un mal social et une destruction spirituelle qui réclament l'étude éclairée et le zèle dévoué de tout apôtre, laïc et ecclésiastique.

Avec un coeur lourd, Nous contemplons la vaste étendue des espérances déçues et avec une affection reconnaissante Nous bénissons ceux qui, par la parole et spécialement par l'exemple, s'emploient à supprimer la cause du mal.

Ensuite Nous ne pouvons Nous empêcher d'éprouver quelque anxiété quand Nous songeons à l'émigration continue d'un si grand nombre de vos gens qui quittent la terre de leurs pères. Leur foi continuera-t-elle à être l'étoile qui les dirige et les protège ? Sera-t-elle encore l'héritage sans prix reçu pour ainsi dire par hasard, dirons-Nous, de ceux qui furent prêts à donner leur vie pour sa défense ? La pensée ne leur vint jamais que leur religion pouvait avoir un prix. La foi qui fut florissante dans le jardin abrité de leur patrie continuera-t-elle à prospérer dans une atmosphère qui peut être froide et glacée ? Un matérialisme confortable peut trop facilement s'emparer d'un homme à l'heure difficile de la malchance et peut arriver, furtivement, à lui enlever ce qui, soit-il au fond de son coeur, est son plus grand et son meilleur bien. Vos dévoués et chers



évêques sont attentifs au danger et leur conseil offrira la protection à ceux qui doivent partir, en même temps que les besoins spéciaux des immigrants seront un autre vif stimulant pour les ambitions apostoliques de Nos chers et dignes Fils, les prêtres de Dieu travaillant dans la vigne du Seigneur.

Et maintenant, chers fils et filles de la catholique Irlande, Nous vous donnons la Bénédiction apostolique ; et Nous l'éten-dons à tous ceux qui vous sont chers chez vous. Puisse-t-elle être un gage des plus abondantes bénédictions de Dieu pour vous et votre chère Irlande.



DISCOURS A L'OCCASION DE LA SEMAINE ITALIENNE D'ADAPTATION PASTORALE

(14 septembre 1956) 1



Le vendredi 14 septembre, Sa Sainteté Pie Xli a reçu en audience, à Castelgandolfo, les ecclésiastiques italiens qui suivaient à Rome la sixième semaine d'adaptation pastorale, organisée par l'Institut d'études supérieures « Didascaleion » de Milan. Il leur adressa une exhortation, dont voici la traduction :

C'est de grand coeur que Nous vous souhaitons la bienvenue, vénérables frères et fils bien-aimés, qui participez dans la ville éternelle à la « sixième semaine nationale d'adaptation pastorale ». En choisissant Rome cette année comme siège de votre réunion, Nous savons que votre centre a voulu rendre un filial hommage à Notre personne, et, en même temps, témoigner de son développement et affirmer la volonté d'en étendre l'influence aussi largement que possible. Et il est bien vrai qu'il appartient à Rome, la Mère universelle, de conférer aux oeuvres, même à celles qui naissent en de lointaines régions, pourvu qu'elles soient unies à elle par les liens d'un même esprit, le sceau de l'universalité en contrepartie des valeurs qu'elle en reçoit.

Dans la documentation que vous avez eu la bonté de Nous faire parvenir, il est rappelé que le « centre d'orientation pastorale » a vu le jour à Milan, en septembre 1953, au sein de l'Institut d'études supérieures « Didascaleion ». Alors que l'action de ce dernier se limitait, à l'origine, au seul diocèse de saint Ambroise, on s'aperçut bien vite qu'il était nécessaire d'en étendre l'influence à toute l'Italie, et cela dans un triple but : 1) tenir le clergé et le laïcat catholique au courant des mouvements qui visent à l'épanouissement de la vie chrétienne en dégageant ses valeurs profondes à la lumière de la théologie dogmatique et morale, de la sociologie et de l'histoire ; 2) étudier les engagements à prendre et les directives à adopter ainsi que les moyens pratiques qu'il faut mettre en oeuvre en vue d'une action éclairée et efficace ; 3) réaliser un accord de coordination de l'action pastorale, laquelle pose en Italie des problèmes d'ensemble.

Le Centre lui-même dispose d'un organe trimestriel « Orientamenti Pastorali », dont le but est « d'orienter, d'adapter, de coordonner », et surtout de lancer les « semaines nationales d'adaptation pastorale ». La semaine qui se tient actuellement, et qui est la sixième, a pris pour thème fondamental : « la parole de Dieu dans la communauté chrétienne » ; à son tour, ce thème se subdivise en de nombreuses questions particulières. Il y a là une richesse, Nous dirions presque surabondante, de questions et de problèmes, dont l'exposé est confié, chaque fois, à d'éminents rapporteurs ; ces problèmes touchent d'ailleurs les points vitaux de l'apostolat et leur solution correcte augmentera la puissance traditionnelle de l'instrument primordial de la foi qu'est la prédication.

Sur votre demande, Nous avons l'intention d'ajouter quelques considérations à toutes vos conférences et leçons érudites et sages concernant la parole de Dieu dans l'exercice de la charge pastorale et considérée comme un moyen pour la renaissance chrétienne du monde et le salut de l'âme de l'homme d'aujourd'hui, Nous voulons dire de l'homme moderne qui a soif de la parole de Dieu et de sa vérité. Quand celle-ci se fait vraiment entendre, il semble, pourrions-Nous dire, que le grincement des machines, les cris de la foule, les gémissements de la souffrance et le hurlement des passions cessent brusquement de faire entendre leur assourdissant vacarme, et que dans l'âme, qu'entoure une salutaire zone de silence, se met à couler le ruisseau bienfaisant de l'espoir.

Aussi bien n'avons-Nous pas l'intention de vous exposer comment ceux qui annoncent la parole de Dieu doivent la présenter concrètement et l'adapter aux circonstances de lieux, de temps et de personnes, en tenant compte des problèmes modernes, de la mentalité moderne, de la sensibilité moderne et des modes d'expression modernes. Mais couronnant tout cela — ou, mieux, à la base de tout cela — il y a un autre élément, plus profond, que Nous trouvons lui aussi parmi vos directives, et sur lequel Nous voudrions attirer votre attention. Nous n'y voyons pas seulement l'ultime orientation du prédicateur, Nous y voyons encore pour le prêtre comme pour le laïc, la garantie d'une libération intime, d'un apaisement, d'une sécurité, d'une défense contre la tiédeur et la légèreté d'esprit. Le Seigneur lui-même a prêché la parole de Dieu ; à son imitation, l'Eglise la prêche à travers les siècles. C'est pourquoi, Nous prenons aujourd'hui comme sujet de Notre discours : la prédication de la parole de Dieu dans la communauté trouve sa règle et son orientation dernière 1) dans la prédication du Christ et 2) dans celle de l'Eglise.



I. Prédication du Seigneur et prédication du Prêtre

Lorsque, Nous appliquant à revivre l'Evangile dans une pieuse méditation, Nous Nous mêlons en esprit à la foule qui se pressait autour du divin Maître en train de lui annoncer la bonne Nouvelle, Nous sommes frappé, avant tout, de voir comment Il sait faire passer son âme dans ses paroles, en même temps que les inépuisables richesses de sa sagesse et de son amour, de telle sorte que la parole elle-même devient le fidèle miroir de Sa personne. La prédication du Christ a donc un caractère personnel, d'une efficacité immense.


1. Le caractère personnel de la prédication du Seigneur.

Ce caractère personnel révèle, en premier lieu, une clarté et une assurance absolues de la pensée, et une absolue détermination et fermeté de la volonté. Le Seigneur se donne tout entier à l'annonce de la parole de Dieu : Mea doctrina non est mea, sed ejus qui misit me... Qui a semetipso loquitur, gloriam propriam quaerit ; qui autem quaerit gloriam ejus, qui misit eum. hic verax est, et iniustitia in illo non est (Jn 7,16-18).

Deuxième signe caractéristique : le don de soi au service des âmes : Misereor super turbam ! (Mc 8,2). Très significative à cet égard la parabole du bon Pasteur (Jn 10,1-21). Ego sum pastor bonus. Bonus pastor animam suam dat pro ovibus suis. — Il se donnait aux hommes et aux âmes en recommençant sans cesse à prêcher la parole de Dieu, allant de place en place, de ville en ville (Lc 4,42-43), ou parfois demeurant sur place (Mc 8,2), dans les synagogues (Lc 5,1) ou dans une barque sur la mer (Mc 6,1), sur les montagnes (Mt 5,1 Mt 15,29). Il guérissait les malades, ressuscitait les morts, accomplissait miracles sur miracles, afin que les hommes crussent à sa parole et qu'ainsi les semences de la parole de Dieu pussent prendre racine dans leurs âmes et produire du fruit (Lc 8,11-15). Des lèvres du Seigneur jaillissaient paraboles et comparaisons, dont II habillait la parole de Dieu pour la mieux graver dans le coeur des hommes et les amener à la réflexion. C'est ainsi que le Seigneur était poussé à annoncer la parole de Dieu par un immense, infatigable et industrieux amour des âmes.

Troisième élément caractéristique, la sérénité du jugement, et une profonde indépendance à l'égard de ce qui pouvait plaire ou mécontenter, de la faveur ou de l'hostilité des hommes. En réprouvant ouvertement la vaine gloire et l'ambition des Scribes et des Pharisiens, Il montrait son entier détachement à l'égard de l'approbation de la foule et des classes dirigeantes (Mt 23,1-36). La multitude, ayant vu le prodige opéré par Jésus, voulait le faire roi ; mais Lui s'enfuit et se retira seul sur la montagne (Jn 6,15). Il accueillit l'Hosanna de l'entrée solennelle et le Crucifige de la Passion en pleine supériorité d'âme ; Il ne se laissa ni exalter par l'une ni épouvanter par l'autre (Mc 9,11 Lc 19,37-40 Jn 19,6-15).

Puissent ces brèves indications sur le caractère personnel du Rédempteur dans l'annonce de la parole de Dieu servir de leçon au prêtre pour sa propre préparation intérieure à la prédication de la même parole.

2. La prédication du Seigneur quant à son contenu.

Passez maintenant rapidement en revue le contenu de la prédication du Seigneur afin de faire vôtres ses caractéristiques et son objet, et qu'ainsi votre parole soit vraiment celle de fidèles ambassadeurs du Christ.

a) A ses auditeurs le Seigneur inspirait avant tout, comme disposition de l'âme et du coeur pour recevoir avec fruit son enseignement, le sérieux dont l'homme doit être pénétré quand il aborde la révélation et les exigences de Dieu, lesquelles ne souffrent point d'esprits légers et superficiels (Mt 11,16-17 Mt 7,21) et aussi la rectitude et la sincérité du coeur, qui excluent toute hypocrisie et duplicité (Mt 16,6 Lc 12,1) ; le zèle pour le royaume de Dieu qui est inconciliable avec une passivité oisive (Mt 7,13 Mt 25,21 Mt 23,30) ; une constante vigilance (Mt 25,13 Mc 13,35-37) ; l'adhésion consciente et ferme à la parole et à la volonté de Dieu (Mt 7,21 Mt 19,10x 7 Lc 11,28).

Dans les coeurs ainsi préparés le Seigneur faisait couler l'abondance de ses plus hauts enseignements.

Il voulait établir un lien toujours plus solide entre les hommes et le Père qui est dans les cieux ; et c'est pour cela qu'il leur inspirait, d'une part, la crainte en face de son infinie majesté (Mt 10,28), et, d'autre part, une confiance inconditionnée et un amour filial qui dépasse tout autre amour (Mt 6,9 Mt 22,37). Les hommes doivent se sentir en sûreté dans l'amour empressé et attentif du Père céleste, et par conséquent ne doivent pas s'inquiéter avec excès dans leur recherche des biens matériels (Mt 6,25-33).

b) Mais, de plus, la prédication du Seigneur inspirait dans les coeurs l'union au Christ : la foi au Christ, la confiance dans le Christ, l'amour du Christ, le don de soi sans conditions au Christ et pour le Christ (Mt 10,32-39), l'imitation du Christ. Le Christ est le centre de la prédication. A lire la prédication du Christ dans les évangiles, on s'aperçoit que séparer le Christ de la prédication de la parole de Dieu serait toucher à sa substance même et la fausser. Donc le Christ est également inséparable de la prédication du prêtre dans l'exercice de son ministère pastoral suivant la recommandation de l'apôtre saint Paul : Nos autem praedicamus Christum crucifixum (1Co 1,23). Non enim nosmet ipsos praedicamus, sed Iesum Christum (2Co 4,5).

Pour tout ce qui faisait par ailleurs l'objet de la prédication du Christ, Nous Nous contenterons simplement de citer — en plus de Ses grandes promesses (le Ciel, l'Eucharistie, la Résurrection, la Vie éternelle) — les devoirs dont il parlait. Car il faut si bien connaître les sujets dont il traitait, le jugement qu'il portait sur eux, l'insistance qu'il y mettait, que le prêtre ayant charge d'âmes ne perde jamais de vue ces mêmes arguments, mais soit capable de les reprendre au bon moment dans ses prédications, en se rappelant : c'est ainsi que le Seigneur a fait.

Parmi ces devoirs Nous trouvons en tout premier lieu celui de la prière (Lc 18,1 Mt 7,7) ; le devoir de l'humilité intérieure et extérieure avec le rejet de toute sorte d'orgueil ou d'arrogance (Lc 14,11 Lc 18,14 Mt 11,29) ; le devoir de l'abnégation et du sacrifice ; le devoir de dompter ses passions (Mt 5,30) ; le devoir de porter sa croix à la suite du Seigneur crucifié (Lc 9,23) ; le devoir de tendre vers la perfection (Mt 5,48) ; le grand devoir de l'amour du prochain, qui est semblable au premier et souverain commandement de l'amour de Dieu (Mt 22,39) ; le devoir de la soumission à l'Eglise et à l'Autorité instituée par le Christ (Mt 18,17 Lc 10,16) ; le devoir de la sainteté et de l'indissolubilité du mariage ; la doctrine et le fait de la supériorité et de la prééminence de la virginité sur l'état de mariage (Mt 19,3-12) ; la doctrine sur le jugement de Dieu et la récompense que recevra tout homme selon ses oeuvres (Mt 6,4 Mt 6,18 Mt 16,27 Mt 25,34-36 Mt 25,41-43) ; la doctrine de l'inépuisable miséricorde de Dieu qui pardonne les fautes et remet les peines tant que dure pour chacun sa vie d'ici-bas (Lc 15,1-7 Lc 8-10 Lc 5,20-24 Jn 20,23).

Tout cela nous engage à confronter la prédication du prêtre avec celle du Seigneur, et par là, à tirer de la prédication du Christ les directives les plus hautes et la norme suprême de notre « Orientation pastorale » et de 1'« Adaptation pastorale ».



II. Prédication de l'Eglise et prédication du Prêtre

Nous allons maintenant porter Notre attention sur la seconde partie du thème annoncé tout-à-l'heure, et cela sous un triple aspect :

1) La mission de l'Eglise dans la prédication de la parole de Dieu ;
2) L'exécution de cette mission dans le cours de l'histoire ;
3) L'exécution de cette même mission à l'époque actuelle.


1. — La mission de l'Eglise à l'égard de la parole de Dieu.

La théologie fondamentale et la théologie dogmatique, quand elles parlent de l'Eglise, Nous offrent de grands développements et de nombreux chefs d'argumentation sur la question du magistère, mettant en lumière sa nature, son origine, son objet direct et indirect, ses prérogatives et les différentes formes de son exercice. Il est inutile aussi bien de traiter tout cela devant vous qui, comme théologiens, le connaissez suffisamment. Nous voudrions donc suivre un autre chemin et, continuant en quelque sorte la première partie de Notre discours, montrer comment la mission de l'Eglise à l'égard de la prédication de la parole de Dieu est le prolongement de la prédication du Christ, aussi bien dans son contenu (veritas Christi) que dans son but et dans les exigences du Christ quant à la conduite des hommes.

Du texte classique qui définit le droit et le devoir d'enseigner qui reviennent à l'Eglise Euntes docete omnes gentes..., docentes eos servare omnia quaecumque mandavi vobis (Mt 28,20), Nous ne relèverons qu'un seul point : les apôtres (et en eux l'Eglise) doivent annoncer ce que le Seigneur a annoncé, et doivent enseigner à observer tout ce qu'il leur avait commandé de croire et de faire. Dans les Actes des Apôtres on lit que le Seigneur, avant de monter au ciel, renouvela ses instructions aux Apôtres sur la mission qui les attendait et sur le soutien qu'ils recevraient pour l'accomplir. Eritis mihi testes... usque ad ultimum terrae (Ac 1,8). Les apôtres devaient être les témoins de sa personne, de sa doctrine, de sa vie, de sa passion, de sa résurrection. Pour devenir capables de rendre un tel témoignage, ils devaient être baptisés dans l'Esprit-Saint baptizabimini Spiritu Sancto (Ac 1,5) ; ils recevraient la force de l'Esprit-Saint qui viendrait sur eux (Ac 1,8). Déjà ces brèves indications mettent en lumière l'idée de la mission de l'Eglise à l'égard de la prédication de la parole de Dieu sous un aspect un peu différent et d'une manière plus profonde que ne le fait l'habituelle présentation de la théologie fondamentale, laquelle avec ses méthodes abstraites, n'a pas l'habitude de mettre en avant la réalité vivante. Mais le plein sens de ce que Nous désirons dire maintenant, Nous voudrions le recueillir sur les lèvres du Sauveur lui-même au cours de ce discours d'adieu où le Rédempteur exprime, dans une conversation pleine de tendresse, sa pensée sur la mission dont il charge les apôtres, et l'Eglise à travers eux.

Le Seigneur était arrivé à la fin de sa vie terrestre ; à ceux qui devaient poursuivre sa mission, il aurait eu encore beaucoup de choses à dire ; mais, dans l'état où ils se trouvaient alors, ils n'étaient pas capables de les recevoir (Jn 16,12) ; c'est pourquoi il prierait le Père de leur envoyer un autre Paradât qui resterait avec eux pour toujours, l'Esprit de Vérité, que lé monde ne peut pas recevoir, parce qu'il ne le voit ni ne le connaît (Jn 16,16-17). Cet «Aide», cet Esprit-Saint, enseignerait toutes choses aux apôtres et leur rappellerait tout ce que Lui leur avait enseigné, c'est-à-dire toute la veritas Christi (Jn 14,26). Ainsi seraient-ils capables de continuer à annoncer la parole du Christ selon l'esprit du Christ. Ils tiendraient tout ce qu'ils auraient à enseigner de la force et de l'autorité du Père, du Fils et de l'Esprit-Saint.

Et c'est ainsi, fils bien-aimés, que vous avez une clé qui vous permet de comprendre et d'apprécier la prédication de l'Eglise : c'est la prédication de la doctrine du Christ par l'intermédiaire des chefs de l'Eglise, le pape et les évêques qui sont en communion avec lui. C'est le Dieu unique en trois personnes qui, à travers le magistère ecclésiastique, communique la vérité, la lumière et la vie.

Ces considérations, loin de rendre superflues l'exposition systématique et les définitions claires de la théologie scientifique sur l'origine et les qualités du Magisterium ecclesiasticum, l'incitent au contraire à éviter les fausses interprétations et les illa-tions arbitraires que récemment encore certains ont proposées. Mais elles sont en même temps une aide pour estimer plus hautement la prédication de l'Eglise et lui prêter une attention plus grande et pour l'accueillir plus promptement, tandis qu'elles font mieux comprendre ce qui en rayonne : vérité, lumière et vie des profondeurs de Dieu.

2. — L'exécution de cette mission au cours de l'histoire.

Il ne s'agit pas ici de faire un résumé de l'histoire de l'Eglise. Pour Notre part, Nous n'avons l'intention à ce moment que d'examiner la question suivante : La prédication de l'Eglise fondée sur les vérités que le Seigneur lui a donné la mission d'enseigner et soutenue par l'Esprit de Dieu, a-t-elle été ensuite en tous temps adaptée à l'homme moderne et à son époque ? Pour répondre à cette question, il faut jeter un regard sur le passé.

Ce que le psalmiste dit de l'Esprit Créateur et que l'Eglise applique dans sa prière à l'Esprit-Saint, Nous le voyons réalisé par sa prédication au cours des siècles : Emitte Spiritum tuum et creabuntur, et renovabis faciem terrae. L'Eglise qui a répandu dans le monde la vérité du Christ avec la force du Saint-Esprit a renouvelé la face de la terre, non pas une seule fois, mais de façon toujours répétée. Dans son oeuvre d'enseignement, elle a durant presque deux millénaires subi avec succès l'épreuve de la réalité et de la vie. C'est ce que montrent les premiers temps du christianisme, au milieu du monde païen et du culte des faux dieux ; les temps de la chute de l'Empire romain et de sa civilisation ; les temps des invasions de nouveaux peuples et de nouvelles races ; le moyen âge avec son efflorescence chrétienne ; le temps d'un nouveau paganisme ; le temps de la scission malheureuse de la foi en Occident ; le temps de l'illuminisme et ainsi de suite. Partout le but et le résultat de la prédication de l'Eglise ont été : faire de l'homme un chrétien, faire pénétrer dans l'homme la vérité, la vie et la richesse de la grâce du Seigneur. En ce sens, la prédication de l'Eglise a prouvé son adaptabilité et son adaptation à tous les hommes, à tous les temps et à toutes les civilisations.

On sait à travers quelles luttes et quelles persécutions cette prédication de l'Eglise a progressé au cours des siècles ; comment alternèrent victoire et défaite, montée et descente, confession héroïque au prix des biens et de la vie mais aussi, en quelques-uns de ses membres, chute, trahison, défection. L'histoire rend un témoignage clair et sans équivoque : Portes inferi non praevalebunt (Mt 16,18) ; mais l'autre témoignage ne manque pas non plus ; les portes de l'enfer aussi ont eu leurs succès partiels. Certes, quand on pense à la richesse de vérités et de grâces dont le Seigneur a doté l'Eglise pour qu'elle remplisse sa tâche, on pourrait supposer que sa marche à travers les siècles n'a été sans cesse qu'une victoire salutaire et pacifique. Mais les événements se sont déroulés bien autrement, c'est-à-dire comme le Rédempteur lui-même l'avait prédit aux apôtres : « Le serviteur n'est pas plus que son Maître. S'ils m'ont persécuté ils vous persécuteront vous aussi. » « Si le monde vous hait, sachez qu'il m'a haï avant vous » (Jn 15,18-20). Et donc l'Eglise a connu efforts et luttes, persécutions et oppressions ; plutôt un chemin de Croix qu'une marche solennelle au milieu d'Hosannas jubilants ; mais à la longue, grâce à la vérité et à la force du Saint-Esprit, l'Eglise a conquis l'esprit et le coeur d'hommes innombrables.

3. — L'exécution de cette mission dans le présent.

Tout ce que Nous avons dit du passé, Nous voudrions l'étendre aussi au présent. Un « Centre d'orientation pastorale » ayant pour but de mettre à jour les questions de pastorale, est juste et bien souvent nécessaire. Le « prêtre ayant charge d'âmes » peut et doit savoir ce qu'affirment la science moderne, l'art et la technique modernes, pour autant que cela concerne la fin de l'homme, sa vie religieuse et morale : ce qu'on peut admettre au point de vue religieux et moral, ce qui est inadmissible, ce qui est indifférent. Nous devons donc répéter pour le présent ce que Nous avons dit pour le passé : la « mise à jour de la pastorale », Nous voulons dire son adaptation à la prédication de l'Eglise (le vivum Magisterium ecclesiasticum) et aux sciences modernes est également (et même aujourd'hui plus) nécessaire ; bien plus, Nous devons dire qu'il y a pour le moment une nécessité plus grande d'« orientation » des sciences modernes elles-mêmes (pour autant qu'elles touchent aux domaines religieux et moraux) sur le magistère de l'Eglise comme d'autre part, d'une orientation du magistère de l'Eglise sur les sciences modernes (sans préjudice de l'autonomie des sciences mêmes, pour autant qu'elles ne touchent ni directement ni indirectement au domaine religieux et moral et pour autant que l'orientation de la vie humaine vers sa fin dernière et surnaturelle n'en ait pas à souffrir). Ce qui compte pour Nous, c'est de rendre plus consciente et de renforcer la conviction personnelle de la nécessité de prendre et de conserver le contact avec le magistère de l'Eglise pour l'adapter ainsi à l'époque et à l'homme d'aujourd'hui. L'Eglise possède les armes que le Christ lui a données ; la vérité du Christ et le Saint-Esprit. Ainsi équipée, elle écoute son époque tandis que les fidèles doivent écouter l'Eglise pour être correctement orientés et pouvoir trouver et formuler un diagnostic et un pronostic exacts sur leur temps au regard de l'éternité.

2 A. A. S., XXXXII, 1050, p. 561 ss. Cf. Documents Pontificaux 1950, p. 295.

L'encyclique Humani generis du 12 août 1950, De nonnullis falsis opinionibus quae catholicae doctrinae fundamenta subruere minantur2 est, pour une notable partie, la réfutation d'une fausse « orientation » et « adaptation » de la théologie, de la philosophie et de l'exégèse sur des courants et des tendances scientifiques modernes qui ne sont pas suffisamment fondes.

On y parle d'inclination injustifiée envers des systèmes philosophiques erronés, de concessions que certains se montraient disposés à faire (évolutionnisme, idéalisme, immanentisme, pragmatisme, existentialisme, historicisme) comme aussi dans le champ de la théologie et de l'exégèse. La « nouvelle théologie » prétendait s'adapter au temps moderne et rendre plus naturel et plus facile au savant catholique le fait d'être catholique. En réalité, on commença arbitrairement à corriger ce qui existait, à le supprimer, à le changer, à le reconstruire, à mitiger la rigueur et l'immutabilité des principes métaphysiques, à rendre plus souples les définitions dogmatiques précises, à réviser le sens et le contenu du surnaturel et sa structure intime, à spiri-tualiser et moderniser la théologie de l'Eucharistie, à rénover et à rapprocher de la pensée et du sentiment modernes la doctrine de la Rédemption, de la nature et des effets du péché et beaucoup d'autres points. Un tel mouvement s'était dessiné aussi dans le domaine de l'exégèse. Ici on voulait prendre en considération les idées et les conclusions des sciences profanes mais souvent sans examen sérieux et sans pondération.

Nous voudrions maintenant citer quelques autres exemples actuels afin que vous voyiez toujours mieux combien est nécessaire aujourd'hui le contact de 1'« orientation », de l'« adaptation » au magistère ecclésiastique vivant.

L'« orientation moderne » exerce sa vigilance et sa critique non seulement sur la « nouvelle théologie » mais aussi sur la «morale nouvelle». La pensée de l'Eglise à ce sujet a été exposée par Nous en deux discours du 23 mars et du 18 avril 1952 3. D'une manière analogue, le Saint-Siège s'est prononcé récemment par l'Instruction de la Suprême Sacrée Congrégation du Saint-Office, sur l'Ethica situationis, du 2 février dernier4, système qui règne sur l'esprit d'un bon nombre parce qu'il a quelque chose de fascinant dont ils ne voient pas clairement le caractère dangereux. Le « Centre d'orientation » se trouve ici devant un grave devoir, s'il veut procurer une adaptation fondée sur une base scientifique. — La compétence et les déclarations de l'Eglise sur les questions qui concernent la loi et l'ordre naturels, les problèmes sociaux, le laïcisme dans les domaines les plus variés, comme l'éducation et l'école, la vie de l'Etat, les rapports et le droit internationaux, les questions du droit de guerre et de la guerre moderne ; sur tout cela le Saint-Siège a parlé et l'orientation pastorale moderne fera bien de se rappeler aussi ces enseignements. Nous ne pourrions non plus passer sous silence un autre point. Des circonstances particulières dans la période la plus récente de la vie ecclésiastique Nous amenèrent dans Nos deux allocutions au Sacré Collège et à l'Episcopat, le 31 mai et le 2 novembre 1954 5, à dire un mot sur le fondement du magistère iure divino du pape et des évêques et sur l'enseignement des théologiens qui exercent leur office non de droit divin mais par délégation de l'Eglise et donc restent soumis à l'autorité et à la vigilance du magistère légitime. Si comme théologiens ils sont activement intéressés à 1'« orientation » et utilisent des arguments théologiques scientifiques, on aurait pu se demander si c'est la parole des théologiens ou celle du magistère de l'Eglise qui a le plus de poids et offre une meilleure garantie de vérité. A ce propos, on lit dans l'encyclique Humani generis : Quod quidem depositum (fidei)... nec ipsis theologis divinus Redemptor concredidit authentice interpretandum, sed soli Ecclesiae Magisterio... Quare Decessor Noster imm. mem. Pius IX, docens nobilissimum theologiae munus illud esse, quod ostendat quomodo ab Ecclesia definita doctrina contineatur in fontibus, non absque gravi causa illa addidit verba : eo ipso sensu, quo ab Ecclesia definita est6. Donc pour la connaissance de la vérité, ce qui est décisif ce n'est pas Vopinio theologorum mais le sensus Ecclesiae. Sinon ce serait faire des théologiens presque des magistri Magisterii ; ce qui est une erreur évidente.

Cela n'empêche certainement pas les théologiens et les savants de s'employer à donner un fondement scientifique à toute une série de questions aiguës de la vie. Certainement le Saint-Père aime, loue et encourage les recherches érudites et les hautes spéculations des théologiens qui approfondissent les vérités révélées et qui n'hésitent pas à considérer, expliquer et soutenir les déclarations du magistère ecclésiastique avec le sérieux de la science, à la lumière de la raison éclairée par la foi1, c'est-à-dire comme l'affirmait Pie IX, in sensu Ecclesiae.

3 Cf. Documents Pontificaux 1952, pp. 82-91 et 132-139.
4 A. A. S., XXXXVIII, 1956, pp. 144-145. Cf. Documents Pontificaux 1956, pp. 775-776.
5 Cf. Documents Pontifcaux 1054, pp. 180-186, 478-491.
6 Cf. Documents Pontificaux 1950, p. 314.
7 Conc. Vatic. Sess. III, cap. 4.

Sur les questions particulières qui rentreraient aussi dans le sujet et concernent la médecine, la psychologie, la psychothérapie et la psychologie clinique, le droit, la faute et la peine, la sociologie, les questions nationales et internationales et d'autres semblables, Nous ne pouvons maintenant que renvoyer aux nombreux discours que Nous avons prononcés.

La toute récente encyclique De sacra Virginitate du 25 mars 1954 vous a manifesté, entre autres, la pensée de l'Eglise sur les débats interminables des contemporains, des jeunes spécialement, au sujet de l'importance et même, comme le veulent d'aucuns, sur la nécessité absolue du mariage pour la personne humaine (qui, sans lui, resterait, à leur avis, comme un estropié spirituel), comme aussi sur la prétendue supériorité du mariage chrétien et de l'acte conjugal sur la virginité (qui n'est pas un sacrement efficace ex opere operato) 8.

Nous ne voudrions pas omettre de mentionner aussi un passage de l'encyclique sur la « Musique Sacrée » du 25 décembre 1955 où est expressément exposée la pensée de l'Eglise sur la question, tant débattue et souvent résolue de travers, de l'indépendance de l'art vis-à-vis de tout ce qui n'est pas l'art. Vous savez bien combien de fois on discute ce thème, même dans des milieux catholiques, sans connaître clairement les vrais principes fondamentaux *.

Nous arrivons ainsi au terme de cette exhortation qui, Nous le souhaitons, pourra être pour votre Centre comme le fermento, quod acceptum mulier abscondit in farinx satis tribus, donec fermentatum est totum (Mt 13,33). En vérité, vous serez un levain de salut pour tout le monde moderne dans la mesure où, guidés par la Sainte Eglise vous puiserez la force intarissable du Verbe éternel qui s'est fait chair pour rendre les hommes participants de sa nature divine. De même tout pasteur d'âmes s'approche du monde avec son intelligence, sa science et son coeur non pour être ramené par le monde à son niveau mais pour lui communiquer, avec des mots humains, la vérité libératrice de Dieu, la perfection du Rédempteur Jésus qui dépasse les limites de la nature humaine. Et afin que vous puissiez remplir votre office avec fruit, que le Seigneur vous accorde un accroissement abondant de 1'« esprit du Christ » et de 1'« esprit de l'Eglise » du Christ.

8 A. A. S., XXXXVI, 1954, pp. 174-176. Cf. Documents Pontificaux 1954, p. 79. I A. A. S., XXXXVIII, 1956, pp. 10-11. Cf. Documents Pontificaux la;;, p. 489.


En attendant, en gage d'une grâce aussi insigne, Nous vous accordons de tout coeur Notre paternelle Bénédiction apostolique.




Pie XII 1956 - RADIOMESSAGE AU SEPTIÈME CONGRÈS INTERNATIONAL DES MÉDECINS CATHOLIQUES