Pie XII 1957 - MESSAGE POUR LE Ve CENTENAIRE DE LA MORT DE SAINTE RITA (20 mai 1957)

PRIÈRE A MARIE, REINE DE L'UNIVERS, A L'INTENTION DES FEMMES CHRÉTIENNES (22 mai 1957)

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Voici la traduction française de la prière à Marie, Reine de l'univers, que le Souverain Pontife a composée en italien, à l'intention des femmes chrétiennes. Elle fut récitée pour la première fois solennellement, le dimanche 26 mai, qui était en Italie la Journée de la femme chrétienne.

O Marie, pleine de grâce et bénie entre toutes les femmes (Lc 1,28 Lc 1,42), étendez, nous vous en supplions, votre protection maternelle sur nous vos filles, serrées autour de votre trône de Reine, comme des phalanges dociles à vos volontés et résolues à réaliser, en nous-mêmes et chez nos soeurs, l'idéal de la vérité et de la perfection chrétiennes.

Notre regard se fixe avec admiration sur vous, ô Enfant Fille immaculée, bien-aimée du Père ! O Vierge Epouse de l'Esprit-Saint ! O Mère très tendre de Jésus ! Obtenez-nous de votre divin Fils de pouvoir refléter en nous vos sublimes vertus, à tout âge et en toute condition.

Faites que nous soyons sans taches et pures de coeur et de moeurs ; des compagnes douces, affectueuses et compréhensives pour nos époux ; des mères diligentes, attentives et prudentes pour nos enfants ; des administratrices avisées de nos foyers domestiques ; des citoyennes exemplaires dans notre chère patrie ; des filles fidèles de l'Eglise, prêtes à nous laisser guider par elle dans nos pensées et dans nos actions.

Aidez-nous, ô notre Mère très aimante, à être vraiment respectueuses des devoirs de notre état et à faire de nos demeures des centres de vie spirituelle et de charité agissante ; des écoles de formation des consciences et des jardins de toutes les vertus ; faites que nous sachions être, jusque dans la vie sociale et publique, des exemples de foi profonde, de pratique chrétienne constante et aimable, d'intégrité incorruptible et de juste équilibre fondé sur les principes religieux les plus solides.

Bénissez nos résolutions et nos travaux et, comme vous nous inspirez de les entreprendre, aidez-nous aussi à en voir les fruits abondants dans le temps et l'éternité. Ainsi-soit-il ! 2

2 Notre Saint-Père le Pape Pie XII a daigné accorder une indulgence de trois ans aux femmes chrétiennes qui réciteront cette prière.



DISCOURS A DES JURISTES ITALIENS (26 mai 1957)


1 Recevant en audience un groupe de plus de 400 juristes italiens, le Saint-Père leur adressa dans leur langue maternelle un important discours dont voici la traduction :

1 D'après le texte italien des A A. S., XXXXIX, 1597, p. 403 ; traduction française de l'Osservatore Romano, du 7 juin 1957.


INTRODUCTION - RÉFÉRENCE À DE PRÉCÉDENTS DISCOURS

Comme représentants de 1'« Union des Juristes catholiques italiens » de 1'« Aide fraternelle chrétienne » ou « Amis des détenus de Sulmona », vous avez désiré chers fils, vous réunir autour de Nous, comme pour Nous inviter à adresser une pensée fraternelle à ce monde attristant de la souffrance imposée, que la sévérité de la justice a créé, en dernière analyse, non pour déprimer, mais pour racheter et où, au milieu des ombres de cellules silencieuses, se déroulent de douloureux drames intérieurs, que seule la lumière chrétienne de la résignation et de la confiance, jointe à la chaleur de la charité, peut transformer en oeuvre de sereine rédemption. Nous vous souhaitons donc de grand coeur la bienvenue et Nous accueillons avec gratitude le témoignage de votre dévotion et, en particulier, signes tangibles de votre zèle, le compte rendu de vos travaux et le « parchemin-souvenir » signé par environ deux cents détenus du Pénitencier de l'Abbaye Célestine de Sulmona.

Vous Nous avez demandé d'autre part une parole d'enseignement sur l'idéal qui doit animer votre activité et sur les meilleurs moyens de le réaliser. Pour Notre part, Nous ne Nous proposons pas de traiter ici les questions spéciales, sur lesquelles vous avez déjà des normes fixées dans vos publications et établies plus

exactement dans vos délibérations et avec l'expérience acquise dans les contacts personnels avec les détenus. Nous tendrons plutôt à vous parler de certains points de portée plus générale et qui méritent l'attention, soit de ceux qui exercent un rôle actif de direction dans l'assistance des détenus, soit de ceux à qui cette assistance est destinée, c'est-à-dire des détenus eux-mêmes.

Nous avons déjà eu l'occasion de traiter, en diverses audiences, le problème de la faute et de la peine ; il Nous suffira à présent de rappeler les exposés fait le 5 décembre 1954 et le 5 février 1955 au « VIe Congrès national d'étude de l'Union des Juristes catholiques italiens » 2. En revanche, Nous voudrions aborder maintenant certaines questions qui concernent plus immédiatement votre condition personnelle et votre champ de travail.

2 Cf. Documents Pontificaux 1954, pp. 521 et suiv. et Documents Pontificaux 1955, PP 21 et suiv.


I PRÉSUPPOSÉS DE L'ASSISTANCE AUX DÉTENUS

De ceux qui occupent dans l'organisation de l'aide aux détenus un poste de direction et d'influence, il semble que l'on doive exiger surtout un solide savoir, une volonté résolue, une manière pondérée de faire ou d'omettre, d'autant plus que les sujets auxquels ils consacrent leurs sollicitudes ne se trouvent pas dans des conditions normales de vie. Nous Nous arrêterons aujourd'hui à l'examen des présupposés d'ordre intellectuel nécessaire à votre service. Pour les subordonnés et les simples exécutants, un savoir commun et un bon sens ordinaires peuvent suffire ; mais on est en droit de réclamer bien plus des dirigeants. Il importe en particulier que ceux-ci aient des idées justes sur les trois points suivants :

1. la dépendance nécessaire qui unit la peine à la faute ;
2. la signification de la souffrance dans la peine ;
3. le sens et la fin de la peine.


DÉPENDANCE DE LA PEINE A L'ÉGARD DE LA FAUTE

I. Il s'agit avant tout de percevoir clairement la relation qui fait dépendre la peine de la faute, parce que c'est seulement la conviction que le détenu est coupable qui peut donner la base indispensable et sûre pour toute considération consécutive. L'accomplissement de la peine n'est ni intelligible dans sa réalité objective, ni compréhensible subjectivement, si l'on ne tient pas compte de son rapport immanent avec la faute dont il résulte. Il peut arriver que de deux actes extérieurs spécifiquement identiques l'un constitue une faute pleinement coupable ; et que l'autre n'implique aucune responsabilité chez celui qui la commet. Le jugement et le traitement du fait et de son auteur devront donc être dans les deux cas essentiellement divers au point de vue psychologique, juridique, éthique et religieux.

Il y a à présent deux tendances différentes dans l'établissement de la culpabilité : l'une — qui cependant n'est pas actuellement la prédominante — est disposée à l'admettre trop vite ; l'autre la nie sans raisons suffisantes, celle-ci prend en certains lieux une vogue parfois inquiétante.

Dans l'application de la peine, il n'y a pas lieu de reprendre, pour la discuter, la question de la culpabilité, parce qu'elle appar-tien au tribunal chargé du procès ; toutefois les personnes qui se consacrent à l'assistance du détenu ne peuvent manquer d'en tenir compte, parce que c'est d'elle que dépendent leur attitude et l'efficacité de leur intervention. Au sujet des deux courants d'idées en question, elles observeront une attitude impartiale et critique.

Ceux qui croient trop vite à la culpabilité oublient qu'il ne suffit plus aujourd'hui de tenir compte des circonstances atténuantes traditionnelles, fixées par la jurisprudence et par la morale naturelle et chrétienne. Il faut prendre également en considération les éléments récemment mis en valeur par la psychologie scientifique et qui permettent dans certains cas de reconnaître une diminution notable de la responsabilité.

L'autre tendance se base précisément sur les éléments de cette même psychologie moderne pour affirmer que les possibilités pratiques de libre détermination, et par conséquent la véritable responsabilité d'un grand nombre d'hommes se réduisent à un strict minimum. Devant cette généralisation sans fondement, on peut assurer, aussi bien en droit que dans le domaine de la moraie, dans la vie pratique comme dans l'expérience scientifique, que la moyenne des hommes et même leur grande majorité ont non seulement la capacité naturelle, mais même, de façon concrète, la possibilité de prendre une décision autonome et de régler leur propre conduite, sauf la preuve contraire en des cas distincts, et, par conséquent, de contracter des obligations et responsabilités. Aussi la morale et le droit ne s'immobilisent-ils pas dans une attitude dépassée, quand ils affirment qu'il faut démontrer où la liberté cesse et non où elle commence. La saine raison et le bon sens lui-même s'élèvent contre un tel déterminisme de fait, qui réduirait au minimum la liberté et la responsabilité ; on en trouve d'amples confirmations dans la pratique du droit, dans la vie sociale et dans la révélation de l'Ancien et du Nouveau Testament.



SIGNIFICATION DE LA SOUFFRANCE DANS LA PEINE

2. En second lieu, vous devez bien comprendre la signification de la souffrance, à laquelle le coupable est soumis à cause de sa faute.

Même si les souffrances d'un malade ou d'un innocent et celles d'un condamné présentent extérieurement des caractères semblables, elles ont toutefois une signification essentiellement différente. Le malade ne doit pas souffrir et, par conséquent, on cherche à soulager ses douleurs dans toute la mesure du possible ; au contraire le condamné — il est pénible de le dire — doit souffrir et la peine lui est volontairement imposée dans le but d'obtenir des effets déterminés. Il est bien compréhensible que ceux qui approchent les détenus pour les aider et les soutenir désirent supprimer les souffrances que comporte l'accomplissement de la peine ; mais cette intention ne correspond pas à celle des autorités chargées de l'application de la peine ou des personnes responsables de l'assistance des prisonniers. Ici, une connaissance approfondie de la question peut apporter des indications utiles. Il ne s'agit nullement de prendri: une attitude froide et insensible, mais plutôt de trouver le juste milieu et d'éviter toute déviation dans un sens ou dans l'autre. Du reste, le seul fait de démontrer au détenu que l'on prend en considération ses peines et que, par conséquent, la société n'est pas son ennemie irréconciliable, constitue un baume pour ses afflictions.


SENS ET FIN DE LA PEINE

3. Enfin vous devez connaître le sens et la fin de la peine. C'est une question que Nous avons amplement traitée dans de précédentes allocutions. Sans répéter ce que Nous avons dit alors, Nous voudrions vous inviter à réfléchir sur le fait que « Dieu punit », comme il résulte clairement de la Révélation, de l'histoire et de la vie. Quel est le sens de ce châtiment divin ? L'apôtre Paul le laisse entendre lorsqu'il s'écrie : « Ce qu'on aura semé, on le moissonnera » (Ga 6,8). L'homme qui sème la faute récolte le châtiment. Le châtiment de Dieu est sa réponse aux péchés des hommes.

Peut-être direz-vous que vous connaissez bien et acceptez les enseignements de la religion et de la morale en cette matière, mais que vous êtes contraints à voir la peine sous une autre lumière et que vous devez la discuter sur un autre plan, c'est-à-dire comme une mesure prise par l'autorité publique au sujet du coupable, qui a violé le droit positif, au moyen duquel l'Etat entend protéger la vie sociale organisée. Et c'est juste : l'aspect juridique et positif conserve son propre caractère, distinct de l'aspect religieux et moral. Sans aucun doute, la peine peut être considérée comme une fonction aussi bien du droit humain que du droit divin, mais il est également et encore plus vrai que l'aspect juridique n'est jamais une conception purement abstraite, entièrement isolée de toute relation avec l'aspect moral. En effet, tout droit humain, qui mérite ce nom, trouve finalement son vrai fondement dans le droit divin, ce qui ne comporte ni une diminution ni une limitation, mais plutôt une augmentation de sa force et de sa stabilité.

Quels sont donc le sens et la fin de la peine infligée par Dieu ? En premier lieu et essentiellement, elle est la réparation de la faute et le rétablissement de l'ordre violé. En commettant le péché, l'homme se soustrait aux préceptes divins et oppose sa volonté à celle de Dieu. Dans le châtiment, l'opposition entre les deux mêmes personnes, Dieu et l'homme, entre les deux mêmes volontés, persiste ; mais, maintenant, en imposant la souffrance à la volonté du rebelle, Dieu le contraint à se soumettre à sa volonté, à la loi et au droit du Créateur, et à rétablir ainsi l'ordre violé.

Mais tout le sens du châtiment divin n'est point épuisé de la sorte, tout au moins dans ce monde et pour le temps de la vie terrestre. Le châtiment a également d'autres buts qui sont même, en partie, prépondérants. En effet, souvent les peines voulues par Dieu, sont plutôt un remède qu'un moyen d'expiation, plutôt poenae médicinales que poenae vindicativae. Elles engagent le coupable à réfléchir sur sa faute et sur le désordre de ses actions et l'induisent à s'en écarter et à se convertir.

De la sorte, en subissant la peine infligée par Dieu, l'homme se purifie intimement, renforce les dispositions de sa volonté rénovée envers le bien et le juste. Dans le domaine social, l'acceptation de la peine contribue à l'éducation du coupable, le rend plus apte à rentrer comme membre utile dans la communauté des hommes, contre laquelle son délit l'avait mis en opposition.

Il resterait encore à considérer les fonctions égales de la peine dans le droit humain, par analogie avec ce que Nous avons exposé au sujet du châtiment divin. Mais c'est une chose que vous pouvez faire facilement, parce que vous êtes des juristes et de semblables pensées vous sont familières. D'autre part, Nous avons déjà suffisamment attiré votre attention sur les rapports qui s'établissent nécessairement entre les deux ordres.


II AIDE A CEUX QUI SUBISSENT UNE PEINE

Votre association porte le titre, qui manifeste ses intentions, d'« Aide fraternelle chrétienne » et d'« Amis des détenus ». Mais les condamnés qui ont besoin d'assistance ne sont pas seulement les détenus. La justice pénale du passé, celle du présent, en une certaine mesure, et — s'il est vrai que l'histoire enseigne en beaucoup de choses ce que sera l'avenir — celle de demain également connaissent des peines de tourments physiques, de mutilations, de mort et d'exécutions capitales sous des formes diverses. Ce que Nous Nous proposons donc maintenant de dire au sujet de l'aide à apporter aux détenus, Nous voudrions l'étendre, dans ses idées fondamentales, à tous ceux qui se voient infliger une peine, en les considérant sous un double aspect, comme personnes distinctes et comme membres de la communauté.


COMME PERSONNES DISTINCTES

Vous devez connaître les détenus et les aimer comme personnes distinctes.

a) Avant tout les connaître. En effet, pour aider les détenus, il est indispensable d'avoir avec eux un contact comme d'âme à âme, qui suppose la compréhension de l'autre en tant qu'individu qualifié par son origine, par sa formation, par le déroulement de sa vie, jusqu'au moment où on le rencontre dans sa cellule.

Dans ce but, vous inviterez les détenus à fouiller dans leurs souvenirs pour vous donner toutes les informations utiles, à l'égal du médecin qui, désireux de mieux connaître la personne du malade et son état physique, le prie de se rappeler tout ce qui dans le passé offre quelque élément intéressant. C'est ce qu'on appelle l'anamnésie. Il arrive souvent que les malades — comme les condamnés et les détenus — se rappellent des choses en elles-mêmes privées d'importance, alors qu'ils taisent ou n'indiquent que rapidement et incidemment d'autres, qui fourniraient au contraire des renseignements essentiels pour l'étiologie, le diagnostic et la prognose du mal. Dans ce cas, le médecin n'entreprend pas avec le patient une discussion théorique ou technique, mais corrige des appréciations fausses ou inexactes, dans la mesure où c'est utile pour le soin du malade et pour améliorer sa condition future. Il ne suffit donc pas de comprendre le détenu et son état, mais il faut plutôt l'amener à connaître et à comprendre lui-même les principes qui devront diriger son renouvellement. L'idée fondamentale, qui doit guider le détenu dans son effort de relèvement, est la persuasion qu'il peut effacer les erreurs du passé et prendre les dispositions pour réformer et refaire sa vie ; que le châtiment présent peut l'aider à réaliser ces deux buts et qu'il le supportera réellement s'il se résout à avoir envers la souffrance une attitude juste, c'est-à-dire à lui donner le sens de l'expiation et du rétablissement de l'ordre.

Toutefois, quelle que soit la valeur des services que la psychologie moderne peut rendre dans ce domaine, sa contribution demeure toujours insuffisante parce que le devoir, la faute, la responsabilité, l'expiation sont des réalités enracinées dans la conscience et doivent être traitées par conséquent par une attitude religieuse. Pour libérer donc entièrement l'homme du sentiment de la culpabilité et l'aider à se racheter, en acceptant le châtiment imposé, il est essentiel de le mettre en contact immédiat avec Dieu. Aussi avons-Nous particulièrement insisté pour montrer que la faute et la peine n'acquièrent toute leur signification que dans les relations personnelles entre l'homme et Dieu.

b) Il faut ensuite les aimer. Pour aider réellement le détenu, il faut aller à lui non seulement avec des idées justes, mais aussi et peut-être encore plus avec le coeur, particulièrement lorsqu'il s'agit de malheureuses créatures qui n'ont peut-être jamais connu, même pas au sein de la famille, les douceurs d'une amitié sincère. Vous suivrez ainsi l'exemple du modèle même de l'amour compréhensif et dévoué sans limites, celui de la mère. Ce qui confère à la mère une telle influence sur ses enfants, même adultes, même égarés ou coupables, ce ne sont pas les idées, si justes soient-elles, qu'elle leur propose, mais la chaleur de son affection et le don constant d'elle-même, qui ne se lasse jamais, même si elle se heurte à un refus ; elle sait au contraire patienter et attendre, en s'adressant, entre temps, à Celui à qui rien n'est impossible. C'est la parole de l'« amour » qui est comprise dans tous les idiomes du monde et qui ne soulève ni discussion ni contradiction ; l'amour dont l'apôtre Paul a chanté les louanges dans son « hymne à la charité » de la première Lettre aux Corinthiens (1Co 13,1-13). Mais, si profond et authentique qu'il soit, cet amour ne doit se laisser aller à aucune approbation du mal commis dans le passé, ni encourager les mauvaises dispositions volontaires qui subsisteraient encore, ni non plus admettre chez l'être aimé tout compromis entre le bien et le mal. L'amour maternel idéal lui-même ne connaît point d'autre règle.

Combien la gamme de l'amour est vaste en sentiments et en actes. Nous vous en indiquons les différentes formes, en les empruntant à la sagesse antique. Il peut être un amour de complaisance, de bienveillance, de bienfaisance, d'union et d'amitié. Vous pouvez accorder toutes ces formes aux détenus selon les conditions concrètes et dans la mesure de la générosité de votre coeur.

L'amour de complaisance admire, en y trouvant sa joie, tout ce que son objet possède de bon et de beau. Et combien de motifs peuvent justifier une telle affection pour celui qui considère chez le détenu les qualités naturelles et les dons de la grâce, soit sous leur forme commune et générique, soit dans le caractère individuel ! — L'amour de bienveillance veut sciemment et souhaite pour la personne aimée tout ce qui lui est nécessaire et avantageux dans l'ordre naturel et surnaturel et sa manifestation sincère fait tant de bien à celui qui se voit privé de tant de choses, qui s'estime comme mutilé dans son être, comme un être fini, auquel ne sourit aucune espérance. — L'amour de bienfaisance donne volontiers non seulement des biens matériels, même s'il n'en dispose que dans une mesure limitée, mais surtout les biens de l'esprit. Vous prodiguerez ceux-ci en abondance, si vous possédez une vie intérieure riche et profonde, empreinte des plus hautes valeurs de la culture et de la religion. — Enfin l'amour d'union et d'amitié. Des personnes qui aiment ainsi veulent être ensemble, se communiquer mutuellement pensées et sentiments, se mettre en quelque sorte l'une à la place de l'autre. Le Seigneur ne s'exclamera-t-il pas peut être un jour, comme Juge suprême, au jugement dernier : « J'étais en prison et vous êtes venus à moi... Tout ce que vous avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait » (Mt 25,36-40) ? Soyez persuadés que si vous réussissez à mettre en pratique cette façon de penser et de sentir, vous exercerez la plus grande influence spirituelle sur les détenus que vous assistez ; vous leur enseignerez efficacement à trouver dans la peine qui les frappe la purification, la libération et la force intime.


COMME MEMBRES DE LA COMMUNAUTÉ

Le détenu n'est pas seulement une personne distincte, mais aussi un membre de la société. Il appartient à une famille, à la communauté sociale, professionnelle, civile, à un Etat, à un peuple, à une nation et, finalement, à l'Eglise. La question se pose donc : les chefs de l'assistance des détenus peuvent-ils et doivent-ils tenter et exercer une influence sur les rapports mutuels entre les détenus et ces diverses communautés ?

En principe, la réponse doit être affirmative, car elle intéresse la communauté et le détenu. Même si celui-ci pour le moment n'a aucun contact actif avec certains de ces groupes, il conserve toutefois avec eux, au moins un lien juridique ou purement social. Il importe que ces relations se développent d'une manière cons-tructive et ne contrarient pas un plus grand bien. Votre intervention peut donc devenir nécessaire, souvent même avant que la peine soit entièrement accomplie, et elle se manifestera à l'égard du détenu avec la famille, avec les catégories professionnelles et sociales, au milieu desquelles il vivra après sa libération, et avec les autorités auxquelles il sera soumis.

Quant aux attitudes concrètes à prendre, la réflexion basée sur les principes de la raison naturelle et encore plus sur les préceptes, et les sentiments inspirés par la foi et par la charité chrétiennes vous donneront des normes utiles et vous permettront d'obtenir des résultats positifs dans l'intérêt de la communauté et du détenu.

Ces normes, dictées par la raison humaine, mais bien plus par la foi chrétienne, exigent :

a) un pardon sincère ;
b) croire au bien qui se trouve chez les autres ;
c) aimer comme a aimé le Seigneur.



a) Avant tout, il faut un pardon sincère, que les personnes distinctes s'accorderont mutuellement, mais que la société elle-même ne refusera pas à l'individu. Ne bénéficieront-ils pas tous du pardon de Dieu, qui a enseigné à tous à prier : « Remettez-nous nos dettes, comme nous-mêmes remettons à tous ceux qui nous doivent » ? (Mt 6,12). Averti par l'enseignement divin, l'apôtre Paul, de même qu'il s'était montré inflexible pour exiger une sévère condamnation contre l'égaré de Corinthe, fut pareillement prompt à solliciter pour lui, repenti, le généreux pardon : « C'est assez, écrivit-il aux chrétiens de cette Eglise, pour cet homme du châtiment qui lui a été infligé par le plus grand nombre, en sorte que vous devez bien plutôt lui faire grâce et le consoler, de peur qu'il ne soit absorbé par une tristesse excessive » (2Co 11,6-7).

b) En second lieu, il faut croire au bien qui se trouve chez les autres et avoir confiance en lui. La méfiance rend stérile toute semence de bonté et, dressant comme un sombre mur entre votre coeur et le sien, empêche l'établissement de rapports amicaux. Votre oeuvre d'assistance doit être semblable à celle de Dieu, qui connaît les dons de nature et de grâce accordés par lui à tout homme et base sur eux son action. Quand le fils prodigue revint à lui, le père ne voulut pas le recevoir comme un serviteur, mais comme un fils de la maison, malgré l'indignation et les plaintes du frère aîné (Lc 15,22 et suiv.). Le reniement de Pierre ne voila pas son véritable amour aux yeux du Seigneur, qui lui confia tout son troupeau (Jn 21,15-17).

c) En troisième lieu, il faut aimer comme a aimé le Seigneur. « Si le Seigneur a donné sa vie pour nous », écrit l'apôtre Jean, « nous aussi nous devons la donner pour nos frères » (1Jn 3,16). L'amour du prochain se manifeste non seulement d'homme à homme, mais aussi entre les communautés et chacun de ses membres. Cet amour protégera celui qui revient, contre les dangers qui l'attendent ; il le fortifiera s'il risque de céder à la faiblesse ; il lui procurera également les moyens dont il a besoin pour pouvoir se mettre au travail dans la communauté comme un de ses membres actifs.


III LA SOLLICITUDE POUR LES DÉTENUS AUX YEUX DE DIEU

Après avoir ainsi jeté un regard sur votre champ d'action, Nous pouvons conclure en Nous représentant la manière dont il est permis de croire que Dieu le considère lui-même. En premier lieu, il le voit dans tout ce que sa réalité peut avoir d'austère. Il considère la faute du détenu pour laquelle une pleine satisfaction est exigée. Sous cet aspect la peine correspond à la faute, la souffrance frappe l'homme comme un châtiment.

Mais entre l'exigence inexorable de la satisfaction et le châtiment inévitable, Dieu a interposé lui-même sa miséricorde dans l'oeuvre rédemptrice de son divin Fils. De la sorte la justice reçoit une très ample satisfaction et la miséricorde rend possible un pardon surabondant. C'est là le sens des paroles de saint Jean : « Mes petits enfants, je vous écris ces choses, afin que vous ne péchiez point. Et si quelqu'un a péché, nous avons un avocat auprès du Père, Jésus-Christ, le juste. Il est lui-même une victime de propitiation pour nos péchés, non seulement pour les nôtres, mais pour ceux du monde entier » (1Jn 11,1-2). C'est là ce que le Seigneur enseigne, quand il descend parmi les hommes pour prendre sur lui leur faute et leur châtiment. Voyez-le assis à la table des pécheurs : « Le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu » (Lc 19,10). Ecoutez ses paroles au paralytique : « Tes péchés te sont remis » (Lc 5,20) ou celles qu'il adresse à Simon, en parlant de la pécheresse qui embrassait et oignait ses pieds : « Ses nombreux péchés lui sont pardonnés, parce qu'elle a beaucoup aimé » (Lc 7,47). Quand le Seigneur mourant s'adresse au larron qui, repenti, expie sa faute, il ne le fait pas descendre de la croix ni n'empêche qu'on lui brise les membres, mais il lui dit une parole de lumière, de réconfort et de courage : « Aujourd'hui, tu seras avec moi dans le paradis » (Lc 23,43). Voici comment le Seigneur entend que vous aidiez les détenus ; en faisant revivre dans leurs coeurs la certitude de ces hautes vérités, vous leur direz les mêmes paroles qui éclairent, consolent et fortifient : « Ta souffrance te donne la purification, le courage et la plus grande espérance d'arriver heureusement au but, aux portes du ciel, où ne conduit pas la voie spacieuse du péché. Tu seras avec Dieu dans le paradis ; il suffit que tu te confies à Lui et à ton Sauveur ».


CONCLUSION

Puisse Notre exhortation vous faire mieux comprendre la beauté de votre travail et vous induire à l'aimer plus profondément, afin que vous puissiez l'accomplir avec une ferveur incessante et jamais lasse. En gage des grâces divines que Nous invoquons sur vous et sur vos protégés, Nous vous donnons de tout coeur Notre paternelle Bénédiction apostolique.



DISCOURS AUX RELIGIEUSES AUXILIATRICES DU PURGATOIRE (27 mai 1957)


1


Le dimanche 26 mai, eut lieu dans la Basilique vaticane la cérémonie de béatification de la Vénérable Eugénie Smet, en religion Mère Marie de la Providence, fondatrice de l'Institut des Soeurs auxiliatrices des âmes du purgatoire. Le lendemain, le Saint-Père a reçu en audience les 250 religieuses de cet Institut, venues à Rome pour la circonstance, et leur a adressé le discours suivant en français :


Réunies autour du Père commun pour célébrer la glorification de la Bienheureuse Marie de la Providence que Nous venons d'élever sur les autels, vous remerciez dans la joie, chères filles, le Seigneur, qui manifeste avec éclat, d'une manière nouvelle, les merveilles de sa bonté. « Ceux que d'avance il a discernés, il les a prédestinés à reproduire l'image de son Fils » (Rm 8,29). Soulever un monde lourd du poids de la matière, transformer par la rédemption les créatures esclaves du péché en enfants de lumière, les animer par la vie de son Esprit, les associer à sa gloire éternelle : tel fut et tel reste le plan mystérieux de Dieu. Et à chaque époque de l'histoire, il suscite des âmes privilégiées, ornées des dons éclatants de la nature et de la grâce, et leur confie la tâche de refléter dans tout leur être, dans toute leur action, la prodigieuse grandeur du dessein rédempteur qu'il révéla en Jésus-Christ et continue de manifester dans l'Eglise aujourd'hui.


L'appel de Dieu.

Eugénie Smet, issue d'une famille aux traditions chrétiennes solides, resplendit par la perfection de sa foi surnaturelle, par le contact, pour ainsi dire constant, avec l'Au-delà, par le zèle ardent qui la pousse à communiquer ses convictions à son entourage et à l'entraîner à sa suite dans le même élan de confiance et de générosité. Enfant, elle demande à Dieu, à sa « chère Providence », comme elle aime à dire, tout ce qui lui fait défaut, une robe de fête, une pièce de monnaie pour les pauvres. Mais pénétrée de gratitude pour les libéralités divines, elle brûle aussi d'offrir à la Providence ce qui lui agrée le plus : « Pour remercier la Providence — dit-elle — je pourrais lui donner les âmes du purgatoire, qu'elle voudrait tant faire entrer au ciel. » Ainsi vient d'éclore en son coeur, comme une fleur rare et délicate, le désir qui sans cesse croîtra et s'amplifiera sous l'impulsion de la grâce pour s'épanouir maintenant dans la Congrégation des Auxilia-trices du Purgatoire et dans les oeuvres apostoliques si diverses et si fécondes, dont elles ont la charge.

Que la charité envers les âmes souffrantes s'unisse intimement chez Eugénie Smet à l'apostolat le plus concret, le plus actif, le plus universel, voilà sans aucun doute un trait saillant de sa physionomie spirituelle et le cachet particulier que Dieu voulut lui donner. La jeune fille, qui secourt les pauvres gens de Loos et pourvoit à leurs besoins, s'ingénie aussi à propager l'oeuvre de la Sainte Enfance en faveur des petits Chinois ; elle vient en aide aux forçats de Toulon, aux soldats malades de Lille, devinant que par ses mains passe le flux des faveurs divines, qu'elle est messagère et interprète de la Providence et de sa volonté rédemptrice. Sa pensée et son coeur s'élèvent constamment des souffrances de ce monde à celles de l'autre. De part et d'autre, il s'agit d'accomplir les intentions du Seigneur, d'éclairer, de soulager, de libérer, de sauver.


La fondation des Auxiliatrices.

Le 1er et le 2 novembre 1853, cette intuition fondamentale commence à prendre corps en des projets plus précis : organiser une association de prières en faveur de l'Eglise souffrante, fonder une famille religieuse. Les cinq preuves attendues de Dieu lui sont données, et dès lors rien ne pourra plus entraver sa réponse. Cependant, quelle épreuve, lorsque, laissant la maison paternelle et ses affections les plus chères, elle ne trouve à Paris qu'amertume et déception ! Le groupe, dont elle avait rêvé de faire le noyau de sa future congrégation, se révèle inapte à l'entreprise.

Journées douloureuses que celles où elle éprouve comment les rêves les plus audacieux, conçus pour le service de Dieu, risquent de se briser définitivement au contact des contingences humaines. Alors que la certitude qui la soutenait semble s'effriter, une assurance nouvelle entre en elle, fondée non plus sur les motifs humains, mais sur l'appui d'en-haut. La présence du Seigneur se manifeste par des signes indubitables ; il lui parle par la voix de l'Archevêque de Paris et de guides autorisés. Si plusieurs des premières compagnes manquent d'une vocation véritable, d'autres se présentent d'une vertu solide et possédant toutes les garanties de sérieux et de générosité. L'installation à la Barouillère en 1856 donne à l'entreprise son départ définitif, mais il manque encore aux premières Auxiliatrices le cadre d'une règle religieuse et les lumières d'un homme expérimenté. La Providence leur obtient les règles de saint Ignace et leur envoie un religieux averti pour en surveiller l'application. Au presbytère d'Ars, d'où il observe attentivement les premiers pas de la fondation, Jean-Marie Vianney exulte ; pénétrant l'avenir de son regard de voyant, il suit en esprit les cheminements rapides et sûrs de la petite société. Il approuve son apostolat auprès des malades, inauguré deux jours seulement après l'arrivée à la Barouillère, et déclare : « Cette oeuvre est une pensée d'amour jaillie du Coeur de Jésus ».


L'appel des missions de Chine.

Désormais la vie de Marie de la Providence est vouée à la tâche, chaque jour plus lourde, de la direction et de l'organisation de sa congrégation, de l'orientation de son travail, du soutien de ses premières fondations. Il s'agit à la fois d'établir les fondements spirituels inébranlables, garants des fruits à venir, et de mener ses filles vers les formes d'activité que le Seigneur leur indique. L'appel des missions de Chine, comment y résister, puisqu'elles promettent à la fois de plus ardus sacrifices et une plus abondante moisson d'âmes ? Le départ des premières Auxiliatrices missionnaires l'emplit d'émotion et d'allégresse, car elle devine qu'il contribuera de manière insigne à la plus grande gloire de Dieu. Trois ans après l'arrivée à Shangaï et la prise en charge du Seng Mou Yeu, s'ouvre, comme preuve indéniable des bénédictions divines, le second noviciat des Auxiliatrices.


Les dernières purifications.

Pendant que son Institut étend ses ramifications en France et à l'étranger, Marie de la Providence gravit son calvaire, rongée par un mal, qui la torture sans pitié. Même accablée par la souffrance, elle garde extérieurement sa tranquille assurance, sa ferveur contagieuse, sa gaieté. Personne mieux qu'elle ne sait créer dans une communauté l'esprit de famille simple et cordial, consoler toutes les peines, répandre la confiance et la paix. Cependant, dans le secret de son âme, la présence divine enlève peu à peu tous les autres appuis intérieurs, la prive de toute consolation sensible, la brûle dans la souffrance physique et morale, comme dans un purgatoire qui consommera sa vocation. Son directeur spirituel la soutient alors de sa parole énergique, l'exhorte à accepter sans réserve la volonté du Seigneur sur elle, à répondre sans hésitation aux sacrifices demandés. « Par la grâce de Dieu, écrira-t-elle, il n'y a pas une pensée dans mon esprit, pas un sentiment dans mon coeur, qui ne soient tout à Lui. » Pendant de longs mois, elle renouvelle sans lassitude le don d'elle-même et l'acceptation de ses douleurs, comme pour épuiser toutes les ressources de son être, ne rien y laisser qui ne soit sacrifié pour les âmes du purgatoire. Ainsi amasse-t-elle le trésor, d'où se répandront aussi à profusion les faveurs spirituelles sur celles qui la suivront et continueront dans la voie qu'elle a tracée.


Dans l'esprit de la fondatrice.

Dans tous les pays où elles essaiment, les Auxiliatrices s'efforcent « d'aider à tout bien, quel qu'il soit », suivant les nécessités locales et les inspirations de la Providence : visite et soin des malades à domicile, instruction religieuse des enfants et des adultes, centres de formation catéchétique, service social sous toutes ses formes, enseignement primaire et secondaire dans les missions, jardins d'enfants, foyers pour les jeunes. A leurs activités elles ont su dès le début associer les laïcs désireux d'imprégner leur vie du même esprit, de participer avec le même zèle au service de l'Eglise militante et souffrante.

Quiconque poursuit ainsi le dépouillement de tout intérêt personnel et de tout égoïsme et se consacre sans réserve à l'oeuvre rédemptrice universelle, connaîtra, comme Marie de la Providence, la souffrance et l'épreuve, mais aussi l'invincible sécurité de qui s'est établi sur la force de Dieu même et attend avec une humble confiance l'heure du triomphe sans fin : In te Domine speravi, non confundar in aeternum.

Telle est la grâce que Nous vous souhaitons, chères filles, à vous ici présentes, à toutes les communautés de votre Institut, à toutes les personnes qui bénéficient du rayonnement bienfaisant de votre action. En gage des faveurs divines, que nous appelons sur vous par l'intercession de la Bienheureuse Marie de la Providence, Nous vous accordons de tout coeur Notre paternelle Bénédiction apostolique.




Pie XII 1957 - MESSAGE POUR LE Ve CENTENAIRE DE LA MORT DE SAINTE RITA (20 mai 1957)