Pie XII 1957 - RADIOMESSAGE A LA JOURNÉE DE LA MÈRE ET DE L'ENFANT


DISCOURS A DES ÉTUDIANTS DE MEXICO

(16 janvier 1957) 1






Un groupe d'étudiants de la Faculté d'architecture de Mexico accomplissant un voyage d'études sur le continent européen, fut reçu en audience spéciale par le Souverain Pontife, qui prononça en espagnol le discours traduit ci-après :

C'est un groupe fort réduit, très chers fils, professeurs et élèves de l'Université ibéro-américaine de Mexico, qui se présente en ce moment sous Nos yeux ; mais le sens de votre visite est si important que Nous n'avons pas voulu laisser passer l'occasion de vous adresser quelques paroles pour vous dire Notre affection et Notre intérêt pour ce que votre groupe représente.

Car Nous saluons en vous des universitaires de Mexico, c'est à-dire les disciples et les continuateurs d'une glorieuse tradition de haute culture. La vieille Université mexicaine eut la fortune de compter parmi ses créateurs des hommes comme le vice-roi don Antonio de Mendoza et le Frère Juan de Zumarraga, zélateurs des études supérieures dans la Nouvelle-Espagne. Tout s'unit pour donner à cette Université son importance réelle et la transformer en une mine abondante d'hommes complets comme Frère Alonso de la Vera Cruz et Ruiz de Alarcon. Votre jeune Université s'insère comme un vigoureux rejeton, à côté de l'Université nationale, pour maintenir le flambeau de la science et de la foi, allumé sur la terre de Soeur Juana Inès de la Croix et sur tous les territoires du centre et du sud du continent américain.

1 D'après le texte espagnol des A. A. S., XXXXIX, 1957, p. 65 ; traduction française de VOsservatore Romano, du ier février 1957.




Il s'agit effectivement d'une Université catholique, appelée à former ces fils complets de l'Eglise, parfaits et remarquables de formation ; ils doivent constituer la classe dirigeante de demain,



dans des pays où la culture est en train de prendre, chaque jour davantage, un caractère plus élevé, où presse l'urgence de se mettre à la tête d'un courant, dont les déviations pourraient être fatales pour tous. Il est certain, comme Nos fermes et fidèles fils du Mexique pourraient spécialement se le rappeler, qu'il n'y a point en ce monde de violence capable de soumettre et d'ébranler la solidité d'une foi, quand elle est approfondie, sincèrement sentie, courageusement pratiquée et, conséquence naturelle, ardemment aimée.

Mais votre Université naissante, bien qu'elle ait trouvé accueil sur l'hospitalier sol mexicain, n'ouvre pas ses portes seulement aux fils de cette généreuse nation, mais s'offre aussi comme mère à cette grande famille de peuples, dits ibéro-américains, tous, pour son honneur, membres de la grande communauté catholique et tous, invités spécialement à envoyer leurs représentants dans vos salles. En un moment comme celui-ci, où la société humaine souffre tant de la division que de la discorde, une attitude comme la vôtre nous semble s'élever à une sorte de symbole d'amitié humaine et d'exemple chrétien, comme pour rappeler aux hommes qu'ils sont tous frères, fils d'un même Père, avec une origine, une fin et une nature communes, avec une exigence intime de charité mutuelle. Dieu veuille que la fraternité, née sur les bancs de l'école et dans la sympathique et inoubliable vie estudiantine, se développe par la suite et se consolide parmi vous, en formant ces liens qui doivent unir encore plus vos nations, dans la défense de la vérité, à l'ombre de la Croix, en apportant ainsi un élément de plus à cette paix universelle tant désirée.

Enfin, comme votre Université en est encore un peu à ses débuts, il sera presque impossible que, dès le premier moment, tout soit en place et au point. Vous ne devez, ni vous, ni vos professeurs, reculer devant les difficultés ; au contraire, avec la pleine conscience d'avoir fait partie des premières générations d'une institution appelée, sans doute, à de si hauts destins, supportez-en avec patience les inconvénients inévitables ; collaborez à l'édification de ce qui vous appartient déjà un peu et, surtout, posez-en bien les bases afin que l'édifice s'élève solide, utile et beau, de manière que ce soit un jour, dans le monde ibéro-américain, un honneur de pouvoir présenter un diplôme obtenu dans votre Université, comme garantie certaine de capacité et de compétence humaines et professionnelles.




ÉTUDIANTS DE MEXICO



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Vivez tranquilles et sains ; estimez la vraie science, mais en ne la plaçant jamais avant la grâce de Dieu ; soyez disciplinés et dociles, spécialement à l'égard de vos maîtres et de vos supérieurs ; appliquez-vous à l'étude avec ordre, avec méthode et même en esprit de sacrifice, mais sans que les exigences scolaires ne contrarient jamais vos devoirs chrétiens. Et que la lumière de la vraie foi — une foi qui ne craint ni les progrès ni les développements, mais se sert d'eux pour se faire sans cesse plus ferme, plus forte et plus belle — guide continuellement vos pas jusqu'à ce but élevé, où toutes les vérités se résument en une seule, laquelle s'offre à votre contemplation et à votre joie pour vous rendre heureux toute une éternité.

Nous vous donnons Notre bénédiction toute spéciale, très chers fils, pour vous, mais une bénédiction que vous apporterez, en Notre nom, à vos collègues et professeurs, à vos parents et amis et à votre chère Université, à laquelle Nous souhaitons, dès à présent, les plus grands biens et les plus grandes prospérités ; une bénédiction en particulier pour vous, Nos chers fils, vos éducateurs et maîtres, dont la présente initiative a donné une preuve de plus de votre zèle pour le service de l'Eglise et pour le bien des âmes, dans un domaine, comme celui de l'enseignement, où vous avez répandu tant de sueurs, mais aussi récolté tant de lauriers.


ALLOCUTION AU MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES DE GRANDE-BRETAGNE

(ig janvier 1957) 1






Recevant en visite officielle M. Selwyn Lloyd, ministre des Affaires étrangères de Grande-Bretagne, accompagné de hauts fonctionnaires du Toreign Office, le Souverain Pontife a prononcé en anglais Vallocution que voici :

C'est un plaisir, Monsieur, d'adresser de sincères paroles de bienvenue à Votre Excellence, principal secrétaire d'Etat de Sa Majesté pour les Affaires étrangères, et aux membres de la suite qui vous accompagnent. Les cordiales relations qui existent entre le Saint-Siège et le gouvernement de Sa Majesté ont été longtemps une source de grande satisfaction pour Nous ; Son Excellence le ministre de Grande-Bretagne, ici présent, qui continue la tradition de compréhension mutuelle et de coopération amicale, tout en remplissant la haute mission qui lui a été confiée, a conservé, Nous en avons la certitude, de la force et de la stabilité à ces relations.

1 D'après le texte anglais des A. A. S., XXXXIX, 1957, p. 67 ; traduction française de VOsservatore Romano, du ier février 1957.




Aussi, lorsque Nos pensées se tournent vers votre peuple, Notre coeur devient-il conscient de ces autres liens spirituels, plus profonds, de constante affection, héritage qui Nous a été laissé par Nos prédécesseurs. Cette affection stimule Notre admiration pour le courage et le sens de la solidarité, qui ont toujours trouvé votre nation disposée au sacrifice et à une magnifique discipline personnelle, quand le bien commun le réclamait. Nous sommes pleinement conscient, comme vous l'êtes, Monsieur, qu'aujourd'hui une lourde responsabilité pèse sur les ministres des Affai-


MINISTRE DE GRANDE-BRETAGNE



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res étrangères, chargés qu'ils sont de sauvegarder et développer les intérêts de leurs pays ; Nous tenons à vous assurer, vous et vos collègues, de Nos bons voeux et de Nos prières pour le succès de votre mission.

Cette occasion Nous permet de renouveler l'expression de Notre estime et de Notre respect pour l'auguste Souveraine que vous avez le privilège de servir. Dieu veuille protéger et réconforter sa personne royale. Puissent les plus hautes grâces du ciel descendre sur la famille! royale. Et puissent tous les peuples, qui se trouvent sous la souveraineté de Sa Majesté la reine Elisabeth, obtenir grâce à la généreuse providence de Dieu, de plus en plus de bonheur, de progrès et de prospérité.


LETTRE POUR LE CENTENAIRE DE LA MORT DE S. DOMINIQUE SAVIO

(31 janvier 1957) 1






A l'occasion du premier centenaire de la mort de saint Dominique Savio, qui tombait le 9 mars 1957, le Saint-Père a adressé une lettre autographe en latin au Très Rèv. Père René Ziggiotti, supérieur général des Salésiens de Don Bosco. En voici la traduction :

Après Nous être réjoui, durant l'Année Mariale, célébrée pour le premier centenaire de la définition dogmatique de l'Immaculée Conception de la Bienheureuse Vierge Marie 2, de pouvoir orner de gloire, devant une foule immense assemblée sur l'esplanade de Saint-Pierre, le très pur adolescent, Dominique Savio, lui accordant les honneurs des saints, il Nous plaît grandement, à présent qu'un siècle s'est écoulé depuis son bienheureux départ pour le Ciel, de prendre part à vos fêtes en son honneur, et d'exhorter d'un coeur paternel tous les fidèles, ceux-là surtout qui, jeunes encore, sont dûment instruits et éduqués pas vos soins, à considérer attentivement en vue de l'imiter ce très cher disciple de Jean Bosco.

Assurément rien n'est beau, rien n'est aimable comme la jeunesse ornée de candeur, lorsqu'elle brille par les richesses de l'esprit et du coeur et surtout grâce aux splendeurs de la sainteté, comme Nous sommes heureux de les rencontrer en cet élève de votre Fondateur. Dieu dans sa suprême sagesse semble avoir voulu que sa vie nous livrât, à nous qui l'étudions, comme un modèle très lumineux de cette éducation de la jeunesse par quoi le Fondateur de la Société salésienne fut si remarquable.

1 D'après le texte latin des A. A. S., XXXXIX, 1957. p. 206 ; traduction française de VOsservatore Romano, du 29 mars 1957.

2 Cf. Lettre encyclique Fulgens Corona, A. A. S., 45, 1953, pp. 557 et suiv. ; Docu-ments Pontificaux 1953, pp. 371 et suiv.


CENTENAIRE DE S. DOMINIQUE SAVIO



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A peine, en effet, le jeune Dominique fut-il entré dans votre Famille religieuse qu'obéissant de façon spontanée et bien volontiers aux avis, aux exhortations de son Maître, il n'eut d'autre souci que de s'acheminer d'une marche, de jour en jour plus rapide, vers les sommets de la sainteté. De là sa volonté inébranlable de subir n'importe quel préjudice, oui la mort même, plutôt que de souiller son âme de quelque tache de péché que ce fût ; de là sa très grande piété envers le divin Rédempteur caché sous les voiles eucharistiques et envers sa Très Sainte Mère ; de là enfin le zèle enflammé de l'apostolat qui guidait ses efforts acharnés à soustraire ses compagnons à l'attrait des défauts du jeune âge et à les ramener à suivre avec lui le chemin des vertus chrétiennes.

Ce qui plaît de façon particulière en cet adolescent, c'est la suprême candeur de son innocence, c'est aussi son très ferme propos de garder intact, sa vie durant, le lis d'une parfaite chasteté, en sorte qu'il brille d'un éclat singulier et salutaire aux yeux de la jeunesse de notre temps, circonvenue par de si nombreux et si grands périls insidieux. C'est pourquoi Nous souhaitons que les jeunes surtout l'honorent, le vénèrent et rivalisent de zèle pour l'imiter ; ceux-là notamment dont l'éducation est confiée à vos soins ; ainsi verra-t-on surgir, sous le souffle et avec l'aide de Dieu, une jeunesse chaste, sereine, joyeuse et forte, qui réponde aux espoirs de l'Eglise catholique et de la société civile.

Nous souhaitons que les fêtes toutes proches du centenaire contribuent à ce résultat ; et entre-temps, à vous, cher fils, et à tous les supérieurs, membres et élèves de la Société salésienne, Nous donnons très affectueusement dans le Seigneur la Bénédiction apostolique, présage de dons célestes et témoignage de Notre particulière bienveillance.


PRIÈRE POUR LES VOCATIONS RELIGIEUSES

(g février igS7) 1






Le 11 février, fête de la première apparition de Notre-Dame de Lourdes, une cérémonie spéciale a été célébrée à Rome dans l'église de S. Andréa délia Valle, pour demander à Dieu de nombreuses vocations religieuses. Au cours de la cérémonie, Sa Sainteté Pie XII a récité publiquement pour la première fois, devant le micro de Radio-Vatican, la prière suivante qu'il a composée lui-même. Voici la traduction du texte original italien :

Seigneur Jésus-Christ, modèle sublime de toute perfection, qui, non content d'inviter sans cesse les âmes privilégiées à monter vers un idéal élevé, les entraînez aussi par la force puissante de votre exemple et l'action efficace de votre grâce à vous suivre sur la route des cimes, accordez-nous que beaucoup sachent et veuillent répondre à vos douces inspirations en embrassant l'état religieux où l'on bénéficie de votre sollicitude particulière et de votre tendre prédilection.

i D'après le texte italien des A. A. S., XXXXIX, 1957, p. 100 ; traduction française de VOsservatore Romano, du 15 février 1957.




Faites que ne manque jamais près du berceau de l'orphelin, au chevet du malade, à côté du vieillard et de l'infirme, le messager de votre charité qui vous représente jour et nuit. Nul sans lui ne leur tendrait une main secourable. Faites que dans les petites écoles comme dans les chaires plus en vue, résonne une voix écho de la vôtre, pour enseigner le chemin du ciel et les devoirs particuliers de chacun. Faites qu'aucune terre, si inhospitalière et lointaine qu'elle puisse être, ne soit privée de l'appel de l'Evangile invitant tous les peuples à entrer dans votre royaume. Faites que se répandent et s'élèvent ces flammes qui doivent provoquer l'embrasement du monde et où resplendit dans tout son éclat la sainteté sans tache de votre Eglise. Faites qu'en toute région fleurissent les jardins d'âmes choisies qui, dans la contemplation et la pénitence, réparent les fautes des hommes et implorent votre miséricorde. Faites que, dans l'immolation constante de ces coeurs, dans la pureté de ces âmes blanches comme neige, dans la perfection de leurs vertus, revive toujours sur la terre le modèle achevé des fils de Dieu que vous êtes venu nous révéler.

Envoyez à ces phalanges de vos privilégiés de nombreuses et bonnes vocations, des âmes résolues, fermes dans leurs décisions de se rendre dignes d'une grâce tellement insigne et du saint Institut auquel elles aspirent, par l'exacte observance de leurs obligations religieuses, la prière assidue, la parfaite adhésion de leur volonté à tout ce qui est la vôtre !

2 Notre Saint-Père le Pape Pie XII a daigné accorder à ceux qui réciteront pieusement une fois la prière ci-dessus une indulgence de dix ans et, si elle est récitée chaque jour durant un mois, une indulgence plénière aux conditions ordinaires.




Eclairez, ô Seigneur Jésus, beaucoup d'âmes généreuses, des clairs rayons de l'Esprit-Saint, amour substantiel et éternel et, par la puissante intercession de votre très aimante Mère Marie, suscitez et entretenez ardent en elles le feu de votre charité, à la gloire du Père et du Saint-Esprit qui, avec vous vivent et régnent dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il2.


LETTRE DE LA SECRÉTAIRERIE D'ÉTAT APPROUVANT LES STATUTS DES SCOUTS D'ITALIE

(22 février 1957)1






L'Association des Scouts catholiques d'Italie (A.S.C.I.), ayant élaboré de nouveaux Statuts, en sollicita l'approbation pontificale. Celle-ci lui fut accordée ad experimentum pour trois ans, par la lettre suivante en italien, que recevait de la Secrétairerie d'Etat, Son Exc. Mgr Cunial, aumônier des Scouts catholiques d'Italie.

Voici la traduction française de ce document, signé par Son Excellence Mgr Dell'Aequa :

Excellence Révérendissime, je suis heureux de vous communiquer que Sa Sainteté a bien voulu approuver ad experimentum, pour trois ans, les statuts de l'Association scoute catholique italienne, ci-joints.

C'est là un nouveau témoignage de la sollicitude paternelle du Souverain Pontife, qui, ayant suivi l'heureux développement de cette méritante association, espère de l'application de la méthode scoute une solide formation chrétienne.

Le Mouvement scout catholique entend être, en effet, une école de préparation humaine et civile à la vie, de généreux élan, de courage intrépide, de développement physique harmonieusement joint à toutes les formes de sentiments nobles, de sens de la discipline volontairement acceptée et de christianisme connu et vécu.

1 D'après le texte italien de l'Osservatore Romano du 22 février 1957, traduction française de l'Osservatore Romano hebdomadaire, éd. française du ier mars.




Si les efforts accomplis avec une grande abnégation en ces années de reconstitution de l'Association peuvent être considérés comme couronnés d'heureux succès avec les présents statuts,

qui veulent être un nouvel engagement à une discipline intérieure plus organique et à un esprit de cohésion plus ferme, toutefois le Saint-Père recommande au zèle fervent de Votre Excellence Révérendissime et de tous les aumôniers que l'instruction religieuse soit donnée régulièrement aux adhérents, selon les méthodes didactiques qui conviennent le mieux à leur âge et qui ces derniers temps, après de diligentes études théoriques et des expériences pratiques, se sont révélées comme les plus aptes à susciter l'intérêt. De la sorte, l'enseignement religieux deviendra non seulement un aliment pour la pensée des jeunes, avides de connaître, mais surtout une sève vitale pour leur esprit.

Le scout catholique est appelé, en conséquence, à donner un témoignage évident et généreux de vie chrétienne, conscient de ses propres responsabilités.

Le Saint-Père accompagne ces voeux de ses ardentes prières à Dieu, en même temps qu'il fait descendre, sur les nobles résolutions de l'Association, sur les efforts des dirigeants, sur l'apostolat de Votre Excellence et des aumôniers et sur tous les chers scouts, sa Bénédiction, gage de grâces abondantes.


DISCOURS A DES MÉDECINS SUR LES PROBLÈMES MORAUX DE LANALGÉSIE

(24 février 1957) 1






Le Professeur Mazzoni, secrétaire de la Société italienne d'anesthé-siologie, avait soumis au Souverain Pontife trois questions concernant l'analgésie, à l'issue d'un Congrès d'anesthésiologistes italiens, tenu à Rome en octobre 1956. Le Pape a bien voulu traiter ces questions du point de vue religieux et moral, lors d'une audience spéciale accordée le 24 février 1957 à une assemblée internationale de 500 médecins et chirurgiens. Voici l'important discours que Pie XII prononça en français :



TROIS QUESTIONS RELIGIEUSES ET MORALES CONCERNANT L'ANALGÉSIE



Le IXe Congrès national de la « Société Italiana di Anestesio-logia », qui s'est tenu à Rome du 15 au 17 octobre 1956, Nous a posé, par l'intermédiaire du président du comité organisateur, le professeur Piero Mazzoni, trois questions, qui portent sur les implications religieuses et morales de l'analgésie au regard de la loi naturelle, et surtout de la doctrine chrétienne contenue dans l'Evangile et proposée par l'Eglise.

1 D'après le texte français des A. A. S., XXXXIX, 1957, p. 129.




Ces questions, d'un intérêt incontestable, ne manquent pas de soulever chez les hommes d'aujourd'hui des réactions intellectuelles et affectives ; chez les chrétiens en particulier se manifestent à cet égard des tendances fort divergentes. Les uns approuvent sans réserve la pratique de l'analgésie ; d'autres seraient enclins à la rejeter sans nuances, parce qu'elle contredirait l'idéal de l'héroïsme chrétien, d'autres encore, sans rien sacrifier



de cet idéal, sont prêts à adopter une position de compromis. C'est pourquoi on Nous demande d'exprimer Notre pensée au sujet des points suivants :

1. — Existe-t-il une obligation morale générale de refuser l'analgésie et d'accepter la douleur physique par esprit de foi ?

2. — La privation de la conscience et de l'usage des facultés supérieures provoquée par les narcotiques est-elle compatible avec l'esprit de l'Evangile ?

3. — L'emploi de narcotiques est-il licite pour des mourants ou des malades en péril de mort, à supposer qu'il existe pour cela une indication clinique ? Peut-on les utiliser même si l'atténuation de la douleur s'accompagne probablement d'un abrègement de la vie ?




NATURE, ORIGINE ET DÉVELOPPEMENT DE L'ANESTHÉSIE

L'avènement de la chirurgie moderne fut marqué au milieu du siècle dernier par deux faits décisifs : l'introduction de l'antisepsie par Lister, après que Pasteur eut prouvé le rôle des germes dans le déclenchement des infections, et la découverte d'une méthode efficace d'anesthésie. Avant qu'Horace Wells eut songé à utiliser le protoxyde d'azote pour endormir les patients, les chirurgiens étaient obligés de travailler rapidement, sommairement, sur un homme qui se débattait en proie à d'atroces souffrances. La pratique de l'anesthésie générale allait révolutionner cet état de choses et permettre des interventions longues, délicates, et parfois d'une audace étonnante ; elle assurait, en effet, tant au praticien qu'au patient les conditions primordiales de calme, de tranquillité et le « silence musculaire » indispensable à la précision et à la sécurité de tout acte chirurgical. Mais elle imposait en même temps une surveillance attentive sur les activités physiologiques essentielles de l'organisme. L'anesthésique, en effet, envahit les cellules et réduit leur métabolisme, il supprime les réflexes de défense et ralentit la vie du sujet déjà compromise plus ou moins gravement par la maladie et par le traumatisme opératoire. Pleinement absorbé par son travail, le chirurgien devait, en outre, tenir compte à chaque instant des conditions générales de son patient : responsabilité lourde surtout en cas d'opérations particulièrement graves. Aussi a-t-on vu depuis quelques années se développer une nouvelle spécialisation médicale, celle d'anesthésiste, appelée à jouer un rôle croissant dans l'organisation hospitalière moderne.



RÔLE DE L'ANESTHÉSISTE

Rôle souvent effacé, presque inconnu du grand public, moins brillant que celui du chirurgien, mais essentiel lui aussi. C'est entre ses mains, en effet, que le malade confie sa vie, pour qu'il lui fasse traverser avec la plus grande sécurité possible le moment pénible de l'intervention chirurgicale. L'anesthésiste doit d'abord préparer le patient, médicalement et psychologiquement. Il s'informe avec soin des particularités de chaque cas, afin de prévoir les difficultés éventuelles, que causerait la faiblesse de tel ou tel organe ; il inspire confiance au malade, sollicite sa collaboration, lui donne une médication destinée à le calmer et à préparer l'organisme. C'est lui qui, suivant la nature et la durée de l'opération, choisit l'anes-thésique le mieux adapté et le moyen de l'administrer. Mais surtout, au cours de l'intervention, il lui incombe de surveiller étroitement l'état du patient ; il reste, pour ainsi dire, à l'affût des symptômes les plus légers, pour savoir exactement le degré atteint par l'anesthésie et suivre les réactions nerveuses, le rythme de la respiration et la pression sanguine, afin de prévenir toute complication possible, spasmes laryngés, convulsions, troubles cardiaques ou respiratoires.

Quand l'opération se termine, commence la partie la plus délicate de son travail : aider le patient à reprendre ses sens, éviter les incidents, tels que l'obstruction des voies respiratoires et les manifestations de shock, administrer les liquides physiologiques. L'anesthésiste doit donc unir, à la connaissance parfaite des techniques de son art, de grandes qualités de sympathie, de compréhension, de dévouement, non seulement en vue de favoriser toutes les dispositions psychologiques utiles au bon état du malade, mais aussi par un sentiment de vraie et profonde charité humaine et chrétienne.




VARIÉTÉ ET PROGRÈS DES ANESTHÉSIQUES

Pour accomplir sa tâche, il dispose aujourd'hui d'une gamme très riche de produits, dont les uns sont connus depuis longtemps et ont subi avec succès l'épreuve de l'expérience, tandis que d'autres, fruit de recherches récentes, apportent leur contribution particulière à la solution de ce problème ardu : supprimer la douleur sans provoquer de dommage à l'organisme. Le pro-toxyde d'azote, dont Horace Wells ne parvint pas à faire reconnaître les mérites, lors de l'expérience réalisée à l'Hôpital de Boston en 1845, conserve toujours une place honorable parmi les agents couramment en usage dans l'anesthésie générale. Avec l'éther, déjà utilisé par Crawford Long en 1842, Thomas Morton expérimentait en 1846, dans le même hôpital, mais avec plus de bonheur que son collègue Wells. Deux ans plus tard, le chirurgien écossais James Simpson prouvait l'efficacité du chloroforme ; mais ce sera le Londonien John Snow qui contribuera le plus à en propager l'emploi. Une fois passée la période initiale d'enthousiasme, les défauts de ces trois premiers anesthési-ques se révélèrent clairement ; mais il fallut attendre la fin du siècle pour qu'apparaisse un nouveau produit, le chlorure d'éthyle, insuffisant d'ailleurs lorsqu'on désire une narcose prolongée. En 1924, Luckhardt et Carter découvraient l'éthylène, le premier gaz anesthésique qui soit le résultat d'une recherche systématique de laboratoire, et, cinq ans après, entrait en usage le cyclopropane, dû aux travaux de Henderson, Lucas et Brown : son action rapide et profonde exige de qui l'utilise une connaissance parfaite de la méthode à circuit fermé.

Si l'anesthésie par inhalation possède une suprématie bien établie, elle affronte depuis un quart de siècle la concurrence croissante de la narcose intraveineuse. Plusieurs essais tentés auparavant avec l'hydrate de chloral, la morphine, l'éther, l'alcool éthylique, ne donnèrent que des résultats peu encourageants, et parfois même désastreux. Mais à partir de 1925, les composés barbituriques entrent dans l'expérimentation clinique et s'affirment nettement, après que l'évipan eut démontré les avantages incontestables de ce type d'anesthésiques. Avec eux, on évite les inconvénients de la méthode par voie respiratoire, l'impression désagréable de suffocation, les dangers de la période d'induction, la nausée au réveil et les lésions organiques.

Le pentothal sodique, introduit en 1934 par Lundy, assura le succès définitif et la diffusion la plus large de ce mode d'anes-thésie. Désormais les barbituriques seront utilisés, soit seuls pour des interventions de brève durée, soit en « anesthésie combinée » avec l'éther et le cyclopropane, dont ils abrègent la période d'induction et permettent de réduire la dose et les inconvénients ; parfois on les utilise comme agent principal et l'on compense leurs défauts pharmacologiques par l'usage du pro-toxyde d'azote et de l'oxygène.




LA CHIRURGIE CARDIAQUE

La chirurgie cardiaque, qui enregistre depuis quelques années des progrès spectaculaires, pose à l'anesthésie des problèmes particulièrement ardus. Elle suppose, en effet, comme condition générale, la possibilité d'interrompre la circulation du sang pendant un temps plus ou moins long. De plus, comme elle intéresse un organe extrêmement sensible, et dont l'intégrité fonctionnelle est souvent sérieusement compromise, l'anesthésiste doit éviter tout ce qui alourdirait le travail du coeur. Dans le cas de sténose mitrale, par exemple, il préviendra les réactions psychiques et neurovégétatives du sujet par une médication préalable sédative. Il évitera la tachycardie, grâce à une préanesthésie profonde avec un faible bloc parasympathique ; au moment de la commissurotomie, il réduira par une oxygénation abondante le péril d'anoxye et surveillera étroitement le pouls et les courants d'action cardiaque.

Mais, pour être menées à bien, d'autres interventions requièrent la possibilité pour le chirurgien de travailler sur un coeur exsangue et d'interrompre la circulation bien au-delà des trois minutes qui, normalement, marquent l'apparition de lésions irréversibles du cerveau et des fibres cardiaques. Pour remédier à l'un des défauts congénitaux les plus fréquents, la persistance du trou de Botal, on utilisa dès 1948 la technique chirurgicale dite « à ciel couvert », qui présentait les risques évidents de toute manoeuvre faite à l'aveugle. Maintenant deux méthodes nouvelles, l'hypothermie et l'emploi du coeur artificiel permettent d'opérer sous vision directe, et ouvrent ainsi dans ce domaine de brillantes perspectives. On a constaté, en effet, que l'hypothermie s'accompagne d'une diminution de la consommation d'oxygène et de la production d'anhydride carbonique proportionnelle à l'abaissement de la température du corps. En pratique, on ne descendra pas en dessous de 25 degrés, afin de ne pas altérer la contractibilité du muscle cardiaque, et surtout pour ne pas augmenter l'excitabilité de la fibre myocardique et le danger de déterminer une fibrillation ventriculaire difficilement réversible. La méthode d'hypothermie permet de provoquer un arrêt de la circulation, qui dure de huit à dix minutes sans détruire les cellules nerveuses du cerveau. Cette durée peut encore être allongée par l'utilisation de machines cardio-pulmonaires, qui prélèvent le sang veineux, le purifient, lui apportent de l'oxygène et le renvoient dans l'organisme. Le fonctionnement de ces appareils exige des opérateurs un entraînement soigné et s'accompagne de contrôles multiples et minutieux. L'anesthésiste remplit alors une tâche plus lourde, plus complexe et dont l'exécution parfaite est une condition indispensable du succès. Mais les résultats déjà acquis permettent d'espérer pour l'avenir une large extension de ces nouvelles méthodes.

Il est normal que, devant les ressources si variées, qu'offre la médecine moderne pour éviter la douleur, et le désir si naturel d'en tirer tout le parti possible, des questions de conscience surgissent. Vous avez bien voulu Nous en proposer quelques-unes, qui vous intéressent particulièrement. Mais avant d'y répondre, Nous voudrions faire observer brièvement que d'autres problèmes moraux réclament aussi l'attention de l'anesthésiste ; surtout celui de sa responsabilité à l'égard de la vie et de la santé du malade ; car celles-ci parfois ne dépendent pas moins de lui que du chirurgien. A ce propos, Nous avons déjà relevé à plusieurs reprises, et notamment dans le discours du 30 septembre 1954 à la huitième assemblée de l'Association médicale mondiale, que l'homme ne peut être pour le médecin un simple objet d'expérience, sur lequel on essaierait les méthodes et pratiques médicales nouvelles 2.

Nous passons maintenant à l'examen des questions proposées.




I SUR L'OBLIGATION MORALE GÉNÉRALE DE SUPPORTER LA DOULEUR PHYSIQUE

2 Cf. A. A. S., XXXXVI, 1954, pp. 587 et suiv. ; Documents Pontificaux 1954, pp. 384 et suivantes.




Vous demandiez donc en premier lieu, s'il y a une obligation morale générale de supporter la douleur physique. Pour répondre avec plus d'exactitude à votre question, Nous y distinguerons plusieurs aspects. Et d'abord, il est évident qu'en certains cas, l'acceptation de la douleur physique comporte une obligation grave. Ainsi toutes les fois qu'un homme est placé devant l'alternative inéluctable de supporter une souffrance ou de transgresser un devoir moral par action ou par omission, il est tenu en conscience d'accepter la souffrance. Les « martyrs » ne pouvaient éviter les tortures ni la mort, sans renier leur foi ou sans échapper à l'obligation grave de la confesser à un moment donné. Mais il n'est pas nécessaire de remonter jusqu'aux « martyrs » ; on trouve à l'époque actuelle des exemples magnifiques de chrétiens qui, des semaines, des mois et des années durant, supportent la douleur et la violence physique, afin de rester fidèles à Dieu et à leur conscience.



LACCEPTATION LIBRE ET LA RECHERCHE DE LA DOULEUR

3 Cf. Documents Pontificaux 1956, pp. 20 et suiv.




Votre question toutefois ne se réfère pas à cette situation ; elle envisage plutôt l'acceptation libre et la recherche de la douleur à cause de son sens et sa finalité propre. Pour en citer tout de suite un exemple concret, rappelons l'allocution que Nous avons prononcée le 8 janvier 1956 à propos des nouvelles méthodes d'accouchement sans douleur3. On demandait alors si, en vertu du texte de l'Ecriture : « Tu enfanteras dans la douleur » (Gen. m, 16), la mère était obligée d'accepter toutes les souffrances et de refuser l'analgésie par des moyens naturels ou artificiels. Nous avons répondu qu'il n'existait aucune obligation de ce genre. L'homme conserve, même après la chute, le droit de dominer les forces de la nature, de les utiliser à son service, et donc de mettre à profit toutes les ressources qu'elle lui offre pour éviter ou supprimer la douleur physique. Mais Nous avons ajouté que, pour le chrétien, celle-ci ne constitue pas un fait purement négatif, qu'elle est associée au contraire à des valeurs religieuses et morales élevées, et peut donc être voulue et cherchée, même s'il n'existe pour cela aucune obligation morale dans tel ou tel cas particulier. Et Nous continuions : « La vie et la souffrance du Seigneur, les douleurs que tant de grands hommes ont supportées et même cherchées, grâce auxquelles ils ont mûri, grandi jusqu'aux sommets de l'héroïsme chrétien, les exemples quotidiens d'acceptation résignée de la croix, que Nous avons sous les yeux, tout cela révèle la signification de la souffrance, de l'acceptation patiente de la douleur dans l'économie actuelle du salut, pendant le temps de cette vie terrestre 4. »




SUR LE DEVOIR DE RENONCEMENT ET DE PURIFICATION INTÉRIEURE

En outre, le chrétien est tenu de mortifier sa chair et de travailler à se purifier intérieurement, parce qu'il n'est pas possible, à la longue, d'éviter le péché et de s'acquitter fidèlement de tous ses devoirs, si l'on refuse cet effort de purification et de mortification. Dans la mesure où la maîtrise de soi et des tendances déréglées est impossible à conquérir sans l'aide de la douleur physique, celle-ci devient donc une nécessité et il faut l'accepter ; mais pour autant qu'elle n'est pas requise à cette fin, on ne peut affirmer qu'il existe à ce sujet un devoir strict. Le chrétien n'est donc jamais obligé de la vouloir pour elle-même ; il la considère comme un moyen plus ou moins adapté, suivant les circonstances, au but qu'il poursuit.



SUR L'INVITATION À UNE PLUS HAUTE PERFECTION

Au lieu de considérer le point de vue de l'obligation stricte, on peut aussi envisager celui des exigences posées par la foi chrétienne, l'invitation à une perfection plus grande, qui ne s'impose pas sous peine de péché. Le chrétien est-il tenu d'accepter la douleur physique pour ne pas se mettre en contradiction avec l'idéal que lui propose sa foi ? La refuser n'implique-t-il pas un manque d'esprit de foi ? S'il est incontestable que le chrétien éprouve le désir d'accepter et même de rechercher la douleur physique pour mieux participer à la passion du Christ, renoncer au monde et aux satisfactions sensibles et mortifier sa chair, il importe toutefois d'interpréter correctement cette tendance. Ceux qui la manifestent extérieurement ne possèdent pas nécessairement l'héroïsme chrétien véritable ; mais il serait aussi erroné d'affirmer que ceux, qui ne la manifestent pas, en sont dépourvus. Cet héroïsme peut, en effet, se traduire de bien d'autres manières. Lorsqu'un chrétien, jour après jour, du matin au



Ibid., p. 31.

soir, s'acquitte de tous les devoirs que lui imposent son état, sa profession, les commandements de Dieu et des hommes, lorsqu'il prie avec recueillement, travaille de toutes ses forces, résiste aux passions mauvaises, manifeste au prochain la charité et le dévouement qu'il lui doit, supporte virilement, sans murmurer, tout ce que Dieu lui envoie ! sa vie est toujours sous le signe de la Croix du Christ, que la souffrance physique y soit présente ou non, qu'il la supporte ou l'évite par des moyens licites. Même si l'on ne considère que les obligations lui incombant sous peine de péché, un homme ne peut vivre ni accomplir son travail quotidien en chrétien, sans être constamment prêt au sacrifice et, pour ainsi dire, sans se sacrifier continuellement. L'acceptation de la douleur physique n'est qu'une manière, parmi beaucoup d'autres, de signifier ce qui constitue l'essentiel : la volonté d'aimer Dieu et de le servir en toutes choses. C'est dans la perfection de cette disposition volontaire que consiste avant tout la qualité de la vie chrétienne et son héroïsme.




Pie XII 1957 - RADIOMESSAGE A LA JOURNÉE DE LA MÈRE ET DE L'ENFANT