Pie XII 1958 - DISCOURS A LA FÉDÉRATION ITALIENNE DES ASSOCIATIONS DE FAMILLES NOMBREUSES


PRIÈRE POUR LES PARLEMENTAIRES ET HOMMES POLITIQUES CATHOLIQUES

(26 janvier 1958) 1






Voici la traduction française d'une prière composée en italien par le Saint-Père, à l'intention des parlementaires et hommes politiques catholiques :

Dieu éternel et grand, créateur et maître de toutes choses, souverain législateur et modérateur suprême, de vous émane et dépend tout pouvoir, et c'est en votre nom que ceux qui doivent légiférer déterminent le juste ou l'injuste, comme un reflet de votre divine sagesse ; aussi, parlementaires et hommes politiques catholiques, chargés de lourdes responsabilités qui nous situent au centre de toute la nation, implorons-nous votre secours dans une fonction que nous entendons accepter et exercer pour le plus grand bien spirituel et matériel de notre peuple.

Donnez-nous le sens de notre devoir, qui nous porte à ne négliger aucune préparation ni aucun effort pour réaliser une si haute fin, et donnez-nous en même temps l'objectivité et le sain réalisme, qui nous fassent percevoir clairement ce qui apparaît à chaque instant comme étant le mieux. Que nous ne nous écartions pas de cette saine impartialité, grâce à quoi nous tendrons au bien de tous sans injustes préférences. Que jamais ne nous fassent défaut la loyauté envers notre peuple, la fidélité aux principes que nous professons ouvertement et une élévation d'esprit qui nous maintienne au-dessus de toute corruption possible et de tout intérêt mesquin.

1 D'après le texte italien des A. A. S., 50, 1958, p. 121 ; traduction française de VOsser-vatore Romano, du 7 février 1958.




Rendez nos délibérations sereines, sans autre passion que celle qu'inspire un saint désir de la vérité ; nos résolutions conformes à vos préceptes, dût le service de votre volonté nous imposer des souffrances et des renoncements. Que, malgré notre petitesse, nous nous appliquions à imiter la rectitude et la sainteté avec lesquelles vous dirigez et gouvernez vous-même toutes choses pour votre plus grande gloire, pour le vrai bien de la société humaine et celui de vos créatures.

2 Notre Saint-Père le Pape Pie XII a daigné accorder une indulgence de trois ans aux catholiques, parlementaires et hommes politiques, chaque fois1 que, d'un coeur contrit, ils réciteront pieusement la prière reproduite ci-dessus.




Ecoutez-nous, Seigneur, afin que jamais ne manquent votre lumière dans nos esprits, votre force dans nos volontés et la chaleur de votre charité dans nos coeurs qui doivent aimer tendrement notre peuple. Ecartez de nous toute ambition humaine et tout désir illégitime de gain ; inspirez-nous un sentiment vif, actuel et profond de ce qu'est un ordre social sain et respectueux du droit et de l'équité, et faites qu'un jour, avec ceux qui furent confiés à nos soins, nous puissions jouir de votre présence béatifique, comme récompense suprême pour toute l'éternité. Ainsi soit-il !2.


PRIÈRE POUR LES FORCES ARMÉES D'ARGENTINE

(27 janvier 1958) 1






Voici la traduction française d'une prière composée par le Souverain Pontife, à l'intention des forces armées de la République argentine, et dont le texte espagnol manuscrit fut publié dans l'«Osservatore Romano» du 16 février 1958 :

O souverain Seigneur, Dieu des armées, devant le trône de qui les troupes angéliques chantent perpétuellement un hymne de gloire ! Nous voici, soldats argentins, qui, dans le ciel, sur terre et sur mer, faisons bonne garde aux frontières de la nation, qui veillons pour que rien ne trouble le règne de la loi et de la justice, et assurons l'ordre et la paix, indispensables à la vie tranquille de la Patrie, à son labeur confiant et toujours prospère : aujourd'hui, en votre auguste présence, nous venons implorer votre protection et vous offrir nos services.

Soldats chrétiens, nous vous demandons une fermeté invincible, une fidélité inébranlable et l'esprit de sacrifice poussé, s'il le fallait, jusqu'à l'héroïsme.

1 D'après le texte espagnol des A. A. S., 50, 1958, p. 235 ; traduction française de l'Osservatore Romano, du 7 mars 1958.




Que la vie de garnison ne nous porte pas à l'oisiveté, à la mollesse, au relâchement des moeurs ; que les fatigues militaires et la discipline requise de nous ne nous abattent point ni ne nous découragent dans cet exercice des armes, si semblable aux exigences quotidiennes de l'ascétisme chrétien ; que le prestige naturel dont nous sommes entourés, loin de nous enorgueillir, nous rappelle plutôt le bon exemple que nous devons donner à tous ; que les attraits et les flatteries du monde, que les propagandes trompeuses ne nous séduisent pas ni ne nous écartent du droit chemin d'un serviteur de la Patrie, du bien et de la paix ; que, toujours conscients de servir sous les drapeaux d'une nation qui a une histoire limpide et une tradition catholique intègre, nous soyons constamment poussés à une vie de plus en plus droite et à une adhésion de plus en plus parfaite à l'Eglise du Christ et à ses enseignements salutaires.

2 Sa Sainteté Pie XII a daigné accorder une indulgence partielle de trois ans aux soldats chrétiens de la République argentine, chaque fois qu'ils' réciteront pieusement cette prière.




Que soit avec nous le glorieux archange saint Michel, Prince de la milice céleste ; que soient en notre compagnie les saints soldats qui, principalement aux premiers siècles du christianisme, firent honneur par leur sang à la foi qu'ils professaient. Et vous, Mère très sainte, qui, sous le titre de Notre-Dame de Lorette, guidez de vos très douces mains nos aviateurs à travers l'azur du ciel ; Vous qui, sous le nom très aimable de Notre-Dame du Mont-Carmel, soutenez nos marins sur les ondes incertaines ; Vous qui, du sanctuaire de Notre-Dame de Lujan, nous rappelez que vous êtes la Mère de tous ; accueillez nos pauvres prières, fortifiez nos sincères résolutions, et daignez les présenter, pour qu'il les bénisse, à votre divin Fils, Jésus-Christ, notre Seigneur, qui, avec le Père et le Saint-Esprit, vit et règne dans les siècles des siècles. Amen !2.



MESSAGE POUR LE CENTENAIRE DES APPARITIONS DE LOURDES

(2 février ±958)1






Le 11 février, jour d'ouverture du centenaire des Apparitions de Notre-Dame de Lourdes, S. Exc. Monseigneur Théas donna lecture devant la Grotte de Massabielle, du message suivant, composé en français par le Souverain Pontife et daté du 2 février :

1 D'après le texte français de l'Osservatore Romano, éd. quot., du 12 février 1958.

2 Office de la fête, Ant. ad Magnif.




A vous, chers pèlerins de Lourdes, qui aurez le privilège de vous agenouiller devant la grotte de Massabielle à l'heure même du centenaire de la première apparition de la Vierge Immaculée à Bernadette, à vous tous aussi, chers fils qui, de vos patries proches ou lointaines, vous unirez par la prière aux fêtes inaugurales de cette année jubilaire, Nous adressons ce message d'un coeur plein de joie et de surnaturelle espérance. Ce n'est pas sans émotion, en effet, que Nous évoquons le jour mémorable du 11 février 1858, chanté par la liturgie de l'Eglise : « Aujourd'hui la glorieuse Reine du Ciel est apparue sur la terre ; aujourd'hui elle a porté à son peuple des paroles de salut et des gages de paix » 2. Pour tant de faveurs répandues depuis un siècle sur cette terre bénie, faites monter avec Nous vers le trône de la divine miséricorde l'hymne de vos actions de grâces. Répondez à l'appel de Marie par les oeuvres de pénitence et de charité, par les réformes personnelles et collectives, que Nous avons recommandées. Qu'une résolution unanime soulève les coeurs et les porte à l'observation fidèle des préceptes du Sauveur ; qu'une supplication s'élève de toutes parts vers Dieu pour l'Eglise, pour sa liberté là où sévit l'oppression, pour son extension à tous les peuples, pour la paix du monde. Que les

malades joignent à la prière l'offrande généreuse de leurs souffrances et les âmes religieuses l'immolation volontaire de leur vie consacrée. A tous, Nous accordons de grand coeur, comme gage des grâces nombreuses que Nous espérons de ce Jubilé mariai, Notre très paternelle Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION A DES ÉTUDIANTS AMÉRICAINS

(8 février 1958) 1



1 D'après le texte anglais de Discorsi e radiomessaggi, XIX ; traduction française de l'Osservatore Romano, du 28 février 1958.

Lors d'une audience accordée à un groupe de 135 étudiants américains, boursiers de la Fondation « Fullbright », le Pape prononça une brève allocution en anglais, dont voici la traduction :


Un autre groupe d'étudiants d'outre-mer ! Venus de nombreuses et différentes cités de votre pays, étudiants ou professeurs dans divers centres universitaires d'Europe — certains, Nous semble-t-il, s'apprêtent encore à devenir des étudiants — tous, Messieurs et Mesdames, vous vous êtes donné rendez-vous dans Notre appartement, et Nous sommes heureux de vous adresser quelques brèves paroles de bienvenue et de souhait.

Votre domaine de recherche, Nous le voyons, est varié : histoire et littérature, sciences sociales et physiques, art et musique, éléments qui favorisent tout le développement intellectuel et esthétique des facultés humaines, ajoutant lumière et perfection à la vie. Vous visiterez certainement les grands et vastes Musées du Vatican ; et, devant les incomparables chefs-d'oeuvre du génie humain, vous demeurerez en une contemplation silencieuse et, en regardant, une grande admiration naîtra en vous. Certains d'entre vous seront amenés par leur intérêt spécial à consulter les lourds volumes dans les Bibliothèques d'antiques monastères et d'universités, qui ont surgi au cours des siècles sous l'égide de l'Eglise, et où Augustin et Thomas d'Aquin se partagent les rayons avec Platon et Aristote, et où Virgile et Homère, Démosthène et Cicéron voisinent avec Chrysostome et Dante. Leurs portes furent et seront ouvertes à tous ceux qui étudient ; chez eux la science va de pair avec la sagesse et la spéculation devient un guide vers Celui qui est la Vérité Eternelle, le commencement et la fin de toute la création 2.

Et l'étudiant sérieux réfléchit : certainement, c'est clair, la Foi ne craint pas la Raison ; le dogme n'a pas peur de la recherche scientifique. Non, vraiment : l'Eglise, amie et championne de toute vérité, n'enchaîne pas la liberté qui cherche honnêtement à découvrir la vérité encore cachée dans les secrets de la nature. Au contraire, tout progrès de ce genre est cher à son coeur ; elle l'encourage et elle est toujours empressée à utiliser ses résultats qui peuvent l'aider dans sa mission divine, qui est d'apporter la connaissance et l'amour de Dieu aux hommes de tout continent et de toute région.

En gage de Notre intérêt pour vos études, Nous prions que Dieu veuille les bénir par le succès et rende le monde meilleur et plus heureux par elles.

2 S. Thomas, II-II 19,7 in c



ALLOCUTION AUX SUPÉRIEURS GÉNÉRAUX DES ORDRES ET INSTITUTS RELIGIEUX

(il février 1958) 1



1 D'après le texte latin des A. A. S., 50, 1958, p. 153 ; traduction française de l'Osser-vatore Romano du 21 février 1958.

Recevant en audience spéciale les Supérieurs majeurs des familles religieuses d'hommes, dont les Curies généralices sont à Rome, le Souverain Pontife prononça un discours en latin, dont voici la traduction :


C'est avec une joie réelle que Nous vous saluons dans le Seigneur, vous tous, très chers fils ici présents, qu'un dessein de la divine Providence a placés à la tête de sociétés tendant vers la perfection évangélique et qui êtes ainsi associés à une part non indifférente de Notre charge apostolique. Comme Nous le rappelions, en effet, en Nous adressant aux membres du premier congrès des Etats de perfection, il y a quelques années, un Institut de vie religieuse « tire son existence et sa valeur de ce qu'il se rattache étroitement à la fin propre de l'Eglise, à savoir de conduire les hommes à la sainteté » 2. C'est que l'Eglise, son Epouse, ne répondrait pas pleinement au voeu du Christ Seigneur et les yeux des hommes ne se lèveraient pas vers elle, pleins d'espérance, comme vers le « signe dressé pour les nations » (Is 11,12), si elle ne possédait pas des hommes qui, par l'exemple de leur vie plus encore que par leur parole, reflètent avec un éclat spécial la beauté de l'Evangile.

2 A. A. S., XXXXIII, 1951, p. 28 ; Documents Pontificaux 1950, pp. 585-586.

Nous vous avons donc associés, très chers fils, à cette partie de Notre charge, soit directement, vous déléguant par le Code de droit canon, quelque chose de Notre suprême juridiction, soit en établissant les bases, dans vos règles et constitutions par Nous approuvées, de votre pouvoir appelé «de domination». Aussi Nous importe-t-il particulièrement que vous exerciez cette autorité qui est vôtre, selon Notre esprit et celui de l'Eglise.

Dans Notre exhortation de l'Année Sainte 1950, évoquée ci-dessus, Nous avons amplement exposé les points que vos sujets doivent avant tout garder à notre époque et ceux où il importe d'innover et d'adapter. Nous voulons aujourd'hui, en quelques mots, définir à votre intention de quelle façon précise il vous faut travailler avec Nous au but que Nous poursuivons.


La pure source de la vérité révélée et la discipline du magistère ecclésiastique, normes sûres de gouvernement.

Nous vous disions alors qu'à ceux qui suivent les Etats de perfection, aucune concession ne doit être accordée, au détriment de la Vérité éternelle, pour les tendances appelées « existentialisme » 3. C'est à qui tient la première place, en effet, qu'il appartient de conduire aussi sûrement que possible, ses sujets jusqu'au terme de la vie éternelle, avec un esprit éclairé, par les sûrs chemins de la vérité, sans s'écarter à droite ni à gauche, par une direction ferme et au besoin énergique. Comme a dit le Patriarche de ceux qui, en Occident, tendent vers la perfection évangélique : « L'Abbé ne doit rien enseigner, instituer ou ordonner qui soit en dehors des préceptes du Seigneur ; mais que, aux yeux de ses disciples, son gouvernement et son enseignement apparaissent un reflet de la justice divine » 4. Que les Supérieurs des Etats de perfection puisent sans cesse les principes qui les inspirent, non pas dans ce que dit le plus grand nombre, ou dans ce qui se répand — rejetant les commentaires plus anciens des Pères — comme devant seul maintenant, parce que plus récent, être enseigné et commandé, ou dans ce qui plaît davantage à ceux qui vivent dans le siècle, mais bien à la pure source de la vérité révélée et à la discipline du magistère ecclésiastique. Avec un réel courage, il faut aller à l'encontre des préférences de plusieurs ; si le Supérieur n'accepte pas de paraître parfois passé de mode pour certains, comment conser-vera-t-il intacte la vérité du Christ, toujours nouvelle certes, mais en même temps toujours ancienne ? Dans les principes qui règlent la doctrine de l'ascèse et le genre de vie des Etats de perfection (comme Nous en donnions l'avertissement sur un sujet plus grave dans la lettre encyclique Humani Generis), on rencontre aujourd'hui des esprits qui « s'attachant plus qu'il ne faut aux nouveautés..., s'efforcent de se soustraire à la direction du Magistère et se trouvent à cause de cela, en danger de s'éloigner insensiblement des vérités révélées et d'entraîner aussi les autres dans l'erreur »5. Il est moins grave, certes, d'errer dans la discipline des moeurs qu'en matière de foi ; mais chacune de ces deux erreurs nous conduit par ses voies propres jusqu'à la ruine de la nature et sans aucun doute nous retarde et nous empêche de trouver comme il se doit le bien suprême.

3 Id. p. 32 ; id. p. 592.
* Règle de S. Benoît, ch. ï.
s A. A. S., XXXXII, 1050, p. 564 ; Documents Pontificaux 1950, p. 305. • Règle de S. Benoît, ch. 3.


Une ascèse solide et équilibrée.

Que les Supérieurs s'attachent solidement, en outre, à la doctrine ascétique solide et équilibrée telle qu'elle leur fut donnée par les premiers Fondateurs et longuement approuvée par l'usage de l'Eglise, et qu'ils ne s'en éloignent pas par quelques nouveautés. La raison d'adhérer à la vérité ne vient pas, en effet, du fait qu'elle emporte avec elle l'adhésion générale des hommes, mais de ce qu'elle est la vérité, placée par Dieu dans la nature ou révélée par lui avec bonté aux hommes. Que certains la dénigrent : est-ce assez pour qu'elle cesse d'être la vérité et le chemin qui mène à Dieu ? Celui qui veut être un Supérieur prudent sera sage de chercher et d'écouter volontiers de nombreux conseils ; il méditera et pèsera avec son propre avis l'opinion des hommes prudents et des maîtres ; jamais il ne se fiera à lui-même, comme si le péril de se tromper ne menaçait pas tout homme ici-bas. Mais qu'ensuite, après avoir entendu d'abord ceux que la Règle elle-même lui a donnés pour conseillers nés, invoqué longuement l'Esprit de Conseil, et mûrement pesé toutes choses, il prenne une décision précise et déterminée ; et qu'il l'impose, comme il se doit, avec une paternelle et humble fermeté à ceux qui lui sont soumis, et oriente d'après elle leurs actes et leur vie : « De même que les disciples doivent obéir au maître, ainsi sied-il à ce dernier de disposer toutes choses avec droiture et prévoyance » 6.

Quoi que puissent prétendre certains, auxquels le joug de l'obéissance religieuse semble trop lourd pour être imposé aux hommes de ce temps, vous ne devez jamais perdre de vue que la charge de Supérieur consiste à diriger, avec certes toute l'humilité et la charité du Christ, mais avec fermeté, ceux qui lui sont soumis, et que le divin Juge demandera compte des âmes non pas seulement à chacun personnellement, mais à ceux également à qui il les a confiées. « Le nombre de Frères dont le Supérieur sait avoir la responsabilité, qu'il ait pour certain de devoir, au jour du jugement, rendre compte au Seigneur de toutes leurs âmes » 7;


La recherche de la perfection évangélique exige la séparation du monde.

Avec l'évolution des temps et l'apparition de nouvelles exigences de la part des âmes, l'Eglise a vu naître, sous la conduite — il est permis de l'espérer — du Saint-Esprit, d'autres formes de vie pour tendre à la perfection. Chacune demande des choses différentes à ses membres : les exigences ne sont pas identiques pour les moines et pour les clercs réguliers ; pour les religieux et pour les membres des Instituts séculiers récemment fondés. Une chose est cependant commune à tous et le demeurera : quiconque tend vers la perfection évangélique doit nécessairement se retirer et se séparer du monde : ce sera, pour l'organisation de sa vie, selon ce que réclame la vocation particulière donnée par Dieu, mais toujours totalement dans ses affections. Nous disons « de ce monde » à propos duquel Notre-Seigneur et Maître donnait à ses disciples cet avertissement « vous n'êtes pas du monde » (Jn 15,19) ; et le disciple bien-aimé : « le monde entier est plongé dans le mal » (Jn 5,19) ; et aussi l'apôtre des Gentils : « le monde est crucifié pour moi, comme je le suis pour le monde » (Ga 6,14).

7 Id., ch. 2.


Il importe que celui qui veut vivre pour le Seigneur et le servir parfaitement soit, dans ses affections, totalement étranger au monde. Le Seigneur est celui qu'on ne peut servir parfaitement, si ce n'est pas Lui seul que l'on sert. Quel bien créé, en effet, pourrait être de quelque façon comparé — Nous ne disons pas égalé — à la perfection divine ? Comment celui qui n'a pas purifié son esprit et ne le garde pas vide de l'orgueil du monde et de ses concupiscences multiples, peut-il monter vers Dieu, comme par les ailes d'un libre amour, et vivre uni à Lui ? Uni, en vérité, non seulement par le lien vital de la grâce sanctifiante, mais aussi par cet amour ardent, propre à celui qui tend vers la perfection ?

A moins d'être du nombre des parfaits prévenus par une grâce non commune, quel homme, moralement affaibli par les suites du péché originel, pourra se libérer complètement de toute attache aux choses terrestres, s'il ne se sépare pas réellement de celles-ci jusqu'à un certain point, ayant même le courage de s'en abstenir tout à fait ? Hormis le cas d'une charge assumée dans l'Eglise par obéissance, personne ne peut jouir de toutes les commodités dont ce siècle abonde, s'accorder les divertissements et les joies sensibles, si largement offerts de nos jours à nos contemporains, sans perdre quelque chose de son esprit de foi, de son amour pour Dieu. Bien plus, celui qui aura plus longtemps toléré du relâchement dans sa vie, abandonnera peu à peu ses efforts vers la sainteté et s'exposera au danger de voir la ferveur de sa charité et la lumière même de sa foi baisser au point qu'il déchoiera lamentablement de l'état élevé vers lequel il tendait.


La sagesse du monde est folie devant Dieu.

Il faut que, tant pour les points de doctrine et les opinions, que pour les actes à accomplir, vos normes de jugement soient différentes de celles du monde ; différente votre règle de conduite ; différent aussi le principe par lequel vous vous efforcerez d'avoir une influence sur les autres hommes. Que vos normes de jugement et d'appréciation soient tirées de l'Evangile du Seigneur et de la doctrine de son Eglise ; « il a plu à Dieu de sauver les croyants par la folie de la prédication » (1Co 1,21) ; « en effet, la sagesse de ce monde est folie auprès de Dieu » (1Co 3,19) ; et vraiment « nous, nous prêchons un Christ crucifié» (1Co 1,23). Si l'on n'a pas soin, au lieu d'empoisonner son esprit par une fréquentation habituelle des affaires du siècle, de le nourrir assidûment par la lecture et la méditation des choses de Dieu et par la familiarité avec les écrits des auteurs anciens et récents qui ont brillé par la solidité de leur foi et de leur piété, comment donc pourra-t-on goûter ce qui est bien 8 ?

Mais ce sont ces mêmes règles d'action que doivent suivre ceux qui vous sont soumis. Ils n'ont pas à désirer ce qui plaît, ce qui est agréable, ce qui est commode, mais Dieu seul ; et ils ne le trouveront qu'en refrénant sans cesse leurs sens et leur volonté : leur volonté, par l'humilité et par une obéissance soumise ; leurs sens, par l'austérité de vie et la mortification de leur corps librement acceptée. Sans ces moyens, recommandés par l'Ancien et le Nouveau Testament et par toute la tradition de l'Eglise, c'est presque en vain qu'une âme chrétienne se flatte de parvenir à l'amour de Dieu et à celui du prochain par amour pour Dieu.

Est-ce que, de plus, les voies par lesquelles vous pouvez entraîner les hommes vers Dieu, leur fin dernière, ne sont pas différentes de celles que l'intelligence laissée à elle-même aura jugées devoir être efficaces ? L'apostolat dont Nous parlons repose de toute façon sur la nécessité de la grâce prévenante, qui ouvre le coeur et les oreilles de ceux qui entendent ; de la grâce adjuvante, sans laquelle personne ne peut faire oeuvre bonne conduisant au salut et personne ne peut persévérer dans le bien. Les voies du Seigneur ne sont pas nos voies ; ce n'est pas toujours dans le « langage persuasif de la sagesse humaine » (1Co 2,4), que se trouve la force capable d'entraîner les esprits vers la foi et les oeuvres de salut, mais dans la « manifestation de l'Esprit et de la puissance » (ibid.), dans cette manifestation pleine de mystère, par où, de la simple sincérité, de la charité, de la force du croyant surgit une merveilleuse possibilité pour persuader les esprits et les mener à Dieu ; ce n'est pas par ces idées toutes nouvelles que l'esprit humain produit sans cesse, que les hommes sont entraînés vers le bien, mais par la force invisible de la grâce et des sacrements, surtout la Pénitence et l'Eucharistie. Et à moins, encore une fois, de se séparer du monde pour un temps, et surtout de se recueillir presque chaque jour dans un certain calme, pour méditer en paix ces vérités dans un coeur à coeur avec l'Esprit de Sagesse, ne tombera-t-on pas dans cette fièvre inquiète et souvent stérile de 1'« action », plus brillante qu'efficace ?

Collecte de la messe du Saint-Esprit.


observance religieuse.

Pour que vos fils puissent vivre dans cette paix et tranquillité de l'âme qui porte si bien à une juste appréciation des choses divines, vos Fondateurs leur ont donné, d'après l'antique tradition de l'Eglise, née chez les Pères du désert selon la vraie sagesse de l'Evangile, ce qu'on appelle une règle ou une constitution. Quoique celle-ci diffère dans les divers Instituts, selon leurs buts variés, elle est cependant obligatoire chez tous. Sa nécessité pour le but que vous vous proposez, naît de la faiblesse de la nature humaine blessée par le péché originel ; son efficacité pour la perfection de la vie chrétienne est affirmée par une longue expérience, ancienne et actuelle ; sa sainteté est toujours visible dans l'Eglise, tant dans ses paroles que dans ses actes.

La nature humaine attirée par la facilité a toujours trouvé désagréable la discipline que comporte la vie dans les Etats de perfection, du fait de la règle ; et elle apparaît naturellement encore plus désagréable aux hommes de notre temps, habitués qu'ils sont à une vie plus libre avant d'embrasser un Etat de perfection. Même si, sur des points ne touchant pas l'essentiel, vous avez à bon droit adapté la règle et l'adaptez aux possibilités de ceux qui viennent à vous, on ne saurait cependant admettre que vous l'abaissiez et encore moins que vous l'abandonniez. La parole des Proverbes vaut aujourd'hui comme jadis : « Sois fidèle à la discipline, ne l'abandonne pas ; garde-la car elle est la vie » (Pr 4,13). Ce que l'auteur divinement inspiré affirme au sujet de la discipline que chacun s'impose de bon gré, ne peut-on pas le dire aussi à juste titre de cette discipline particulière, à laquelle, par la profession d'une vie plus parfaite, on s'oblige soi-même, et que l'on promet d'observer ? « Ceux que presse l'amour qui les fait marcher vers la vie éternelle, pour ce motif même s'engagent d'emblée dans la voie étroite... ; ne se guidant plus selon leur jugement propre, et n'obéissant pas à leurs convoitises et voluptés, mais allant de l'avant selon le jugement et le commandement d'autrui, tandis qu'ils se trouvent au monastère, ils désirent que l'Abbé les gouverne 9. »

Règle de S. Benoît, ch. 5.

Il entre dans les devoirs de votre charge — agissant en cela avec une fermeté paternelle en exhortant, avertissant, réprimandant et même, s'il faut en arriver là, en punissant — d'aider vos inférieurs à fouler le droit sentier et à les y maintenir selon les règles de votre Institut propre. Et qu'un sujet soit négligent ou fautif, nul Supérieur n'a le droit de dégager sa responsabilité en disant « il a l'âge, c'est son affaire ». Ce n'est pas de la sorte que le Seigneur en jugera, quand il vous demandera compte des âmes commises à vos soins : « Voici, je viens aux pasteurs, je redemanderai les brebis de leurs mains » (Ez 34, io) ; celui qui par connivence aura délaissé ses brebis comme errantes et privées de conseils et ne les aura pas, d'une houlette ferme, tenu éloignées des sentiers détournés, le Seigneur lui redemandera le sang des brebis ! L'amour vrai d'un père se témoigne non seulement par les caresses, mais aussi par le commandement et les corrections. Que jamais cette fermeté ne soit dure, jamais empreinte de colère ou manquant de circonspection ; qu'elle soit toujours droite et sereine ; qu'elle soit douce et miséricordieuse, prompte à pardonner et à tendre une main de père à un fils qui s'efforce de rejeter l'erreur ou de renoncer à la faute : que le Supérieur toutefois persiste à veiller et ne se lasse jamais. Et il faut que chez vous le gouvernement et la vigilance s'étendent non seulement à la vie que l'on a coutume d'appeler « régulière », laquelle se passe dans l'enclos du couvent, mais à toutes les activités des vôtres dans la vigne du père de famille. Selon les normes qui vous ont été fixées par la hiérarchie ecclésiastique compétente en la matière, il vous revient de surveiller l'activité de vos inférieurs, pour qu'ils n'admettent rien qui tourne au détriment de leur âme ou causerait à l'Eglise et aux âmes déshonneur ou dommage, mais bien plutôt pour qu'ils rivalisent de zèle à promouvoir leur bien propre et celui du prochain.


L'union entre les Instituts

Votre union même des Supérieurs généraux que se constitua naguère de son propre mouvement et qui spontanément encore continue à tenir ses assises, a été approuvée par le Siège apostolique comme institution permanente et reconnue comme personne morale ; cette union postule de vous la volonté bien arrêtée de contribuer à tout ce pour quoi l'Eglise désire votre concours. En fait, vous avez parfaitement compris que vous formez tous une seule armée dans laquelle, les uns comme fantassins, d'autres comme cavaliers ou archers, tous en fin de compte livrent le même bon combat. Alors que l'ennemi du nom du Christ rassemble chaque jour davantage ses forces en un faisceau qu'il espère invincible, vous avez compris combien il est opportun, combien même nécessaire, pour vous et pour tous ceux qui servent Dieu, d'unir vos forces, chacun à son rang et par ses propres armes, en vue de la même victoire. Cette unité, à laquelle s'oppose la diversité des nationalités des esprits, des coutumes ou d'autres comportements humains, fleurira pourtant merveilleusement, si vos âmes sont profondément imprégnées par la vraie charité du Christ, que l'Esprit-Saint répand sur cette unité même. Que cette charité surnaturelle et infuse nous trouve prompts à répondre à son action, et elle-même déliera sans peine tous les noeuds d'une trop étroite prédilection justifiée mais trop étroite pour son propre Institut, qui s'insinue peu à peu du fait de la faiblesse humaine. Certes chacun a le devoir d'aimer l'Institut auquel l'a appelé la divine Providence, de modeler son esprit et sa conduite selon les normes de cet Institut, de choisir et d'accomplir jusqu'à un certain point le ministère apostolique selon les lois propres de ce dernier : mais il faut que tous et toujours ordonnent toutes choses au service unique de la même Eglise, Epouse du même Seigneur et Dieu Sauveur.


La soumission permanente au Siège apostolique.

Il s'ensuit que la déférence zélée envers la Chaire de Pierre et le Vicaire du Christ — commune à tous les fidèles — doit être cultivée à un titre tout particulier par vous qui tendez à la perfection. Ce Siège apostolique sait que vous lui serez plus que les autres dociles ; il compte sur vous, hérauts très fidèles de la doctrine de vérité enseignée par cette Chaire ; il espère fermement que, plus que quiconque, vous serez les modèles et les défenseurs de la discipline ecclésiastique. Et si parfois — telle est la condition du Règne de Dieu sur terre où les bons sont mêlés aux méchants, le froment à l'ivraie — si parfois certaines choses viennent à vaciller en quelque endroit, à s'ébranler, à errer, à se séparer, vous du moins, fils très chers, étroitement unis à Nous-même, propagez d'une volonté inébranlable le « Règne de justice, d'amour et de paix » 10. Vous pourrez proclamer cela, non point avec la confiance démesurée de soi sous l'action de laquelle jadis Pierre, non encore affermi par l'Esprit-Saint, s'écriait : « Quand bien même tous..., pas moi, du moins » (Mc 14,29), mais avec le même amour, avec une humble confiance et forts de la grâce de votre vocation à l'Etat de perfection. Et s'il arrive que d'autres, oublieux de l'esprit des vrais fils, causent des soucis à ce Siège apostolique, Nous du moins, Dieu aidant, Nous Nous souviendrons très fidèlement de ces paroles du Seigneur : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise » ; « toi... affermis tes frères » (Mt 16,18 Lc 22,32).


10 Préface de la messe du Christ-Roi.


Sévérité et clairvoyance dans le recrutement.

Pour que vos Instituts répondent toujours à ces voeux du Vicaire du Christ, faites en sorte de n'enrôler dans vos rangs que des jeunes gens tout à fait aptes, c'est-à-dire choisis pour leur vertu et, dans la mesure requise, pour leurs dispositions intellectuelles et autres qualités. Loin de vous le souci excessif de rassembler une foule de sujets pour qui l'on peut craindre qu'ils soient un jour moins dignes de votre éminente vocation : ils ne seront pour l'Eglise ni un ornement, ni un bienfait, mais ils lui causeront détriment et tristesse. Si, par contre, fidèles aux normes proposées continuellement par l'Eglise, vous n'accueillez en vos rangs que ceux qui sont vraiment dignes, Dieu prendra soin de susciter des vocations de cette qualité, et l'estime où les hommes tiendront votre état préparera en un grand nombre d'âmes les voies de la grâce divine. Fiez-vous à Dieu : si vous le servez très dignement, lui-même prendra soin de vous ainsi que de vos Instituts qu'il gardera et fera prospérer.

Fasse Dieu que la lumière et l'ardeur de l'Esprit-Saint descendent en abondance sur cette troupe choisie de ses serviteurs, les plus chers au Seigneur et à Nous-même parmi les autres soldats de la même armée. Et au moment où nous commémorons avec reconnaissance les douces et miraculeuses visions de la Bienheureuse Marie Vierge Immaculée en la grotte de Lourdes, Nous demandons que l'intercession de la Mère de la divine grâce vous obtienne ce don eminent, à vous, ses dévots serviteurs. En gage de cette bienveillance divine et en témoignage de Notre amour, à vous, chers fils, à vos aides dans le gouvernement de vos Instituts, à tous vos sujets qui militent dans le monde entier, à ceux surtout qui sont tourmentés par les ennemis du Nom divin, Nous accordons très affectueusement la Bénédiction apostolique.




Pie XII 1958 - DISCOURS A LA FÉDÉRATION ITALIENNE DES ASSOCIATIONS DE FAMILLES NOMBREUSES