Pie XII 1958 - ALLOCUTION AUX SUPÉRIEURS GÉNÉRAUX DES ORDRES ET INSTITUTS RELIGIEUX


LETTRE APOSTOLIQUE « CLARIUS EXPLENDESCIT » PROCLAMANT SAINTE CLAIRE D'ASSISE PATRONNE DE LA TÉLÉVISION

(14 février 1958) 1


Voici la traduction française, d'après le texte original latin, de la Lettre apostolique « Clarius explendescit », par laquelle le Pape Pie Xli proclame sainte Claire patronne de la Télévision :


Aidé par la Sagesse divine, l'esprit humain à notre époque produit des merveilles qui forcent l'admiration. Loin de refuser les progrès de la technique, l'Eglise, dans la mesure où on les utilise pour le bien, non seulement les encourage, mais elle s'en sert pour étendre les vérités de la foi.

De toutes ces inventions, la moindre n'est pas la télévision, qui « permet en effet de participer par l'ouïe et par la vue, à l'instant même où ils se passent, aux événements lointains, d'une façon suggestive, qui s'apparente à un contact personnel » 2.

1 D'après le texte latin des A. A. S., 50, 1958, p. 512.
2 Encycl. Miranda prorsus, du 8 septembre 1957. Cf. Documents Pontificaux 1957, p. 482.


Elle a, Nous l'avons dit, de grands avantages et de terribles inconvénients. Elle s'empare des esprits jusque sous le toit familial. C'est pourquoi Nous avons cru devoir lui donner une protection céleste, qui en rende l'usage profitable et non pernicieux. Et Nous lui avons choisi comme patronne sainte Claire.

Une nuit de Noël, clouée sur son lit de douleur en son monastère d'Assise, Sainte Claire entendit comme si elle eût été présente, les chants sacrés dans l'église de Saint-François, et elle vit la crèche de l'enfant divin. Aussi Nous demandons

à celle dont l'éclatante pureté brille dans nos ténèbres, qu'elle fasse de cette nouvelle découverte un moyen de diffuser la vérité et la vertu, sur lesquelles se tient tout l'ordre du monde.

C'est donc avec joie que Nous disons oui aux prières de Notre vénérable frère Joseph Nicollini, évêque d'Assise ; des généraux des quatre ordres franciscains et de nombreux autres personnages éminents recommandés par plusieurs cardinaux, archevêques et évêques.

Ainsi, en connaissance de cause et après mûre délibération, ayant consulté la Sacrée Congrégation des Rites et de Notre plein pouvoir apostolique, Nous instituons à jamais, déclarons et constituons par la présente Lettre, sainte Claire d'Assise patronne céleste de la Télévision, auprès de Dieu, avec tous les privilèges et honneurs liturgiques que comporte une telle dignité.

Dès ce jour et à perpétuité, Nous proclamons que ce document a plein effet, que les intéressés doivent s'y tenir et y donner leur adhésion ; et Nous déclarons nul et non avenu tout essai, conscient ou inconscient, d'y changer quoi que ce soit.




ALLOCUTION AUX MEMBRES DU CONGRÈS NATIONAL DE L ARTISANAT » D'ITALIE

(15 février 1958)1

1 D'après le texte italien de Discorsi e radiomessaggi, XIX ; traduction française de l'Osservatore Romano, du 28 février 1958.

Recevant en audience les membres du « Congrès national de l'Artisanat » d'Italie, le Souverain Pontife prononça une allocution en italien, dont voici la traduction :


C'est avec une satisfaction particulière que Nous vous souhaitons la bienvenue, chers fils et filles, qui, réunis à Rome pour le « Congrès national de l'Artisanat », avez désiré être reçus par Nous. Nous accueillons avec joie cette attestation de dévotion filiale, preuve de votre sincère volonté de mieux réaliser sans cesse, dans votre vie privée comme dans vos activités professionnelles et sociales, l'idéal élevé que vous propose la foi chrétienne ; en même temps Nous souhaitons de tout coeur aux travaux de votre grande réunion les fruits les plus bienfaisants pour la solution des importants problèmes qui font l'objet de vos discussions.

Nous Nous rappelons bien l'audience que Nous vous avons accordée en octobre 1947 à Castelgandolfo et les paroles que Nous avons adressées à 1'« Association chrétienne des Artisans italiens ». Deux années seulement s'étaient écoulées depuis la fin de la guerre. Depuis lors combien de transformations sont venues modifier le visage de la société humaine ! Dans la vie économique, elle a assisté au rapide changement des structures, provoqué par l'apparition de nouvelles techniques, par la découverte de nouvelles sources d'énergie plus riches et apparemment inépuisables, par l'extension des marchés au moyen d'accords internationaux. Votre catégorie n'a pas échappé à ce mouvement complexe ; elle a vu naître d'autres problèmes, des conditions parfois difficiles, mais aussi des possibilités plus variées, qui lui permettent de mieux assurer sa stabilité et son développement futur.


Nécessité toujours actuelle de l'artisanat

Un fait Nous semble en premier lieu digne d'être signalé. Depuis cent ans l'artisanat défend son existence contre le pouvoir croissant de la concentration industrielle. La fabrique paraissait au début devoir faire échec à l'entreprise d'artisan. Vers 1890, les dirigeants et les programmes du socialisme, comme aussi plusieurs représentants de la science économique nationale, avaient cru pouvoir proclamer que l'artisanat, en tout cas comme petite entreprise, était fatalement destiné à disparaître.

Mais le cours des événements vint démentir ces pronostics et l'artisanat, malgré les théories qui prédisaient sa fin, a réussi à se maintenir. Sans doute le nombre des entreprises, qui n'occupent qu'une ou quelques personnes, est en régression par rapport à l'augmentation des entreprises plus vastes, lesquelles ont amené une réduction notable des libres artisans. Toutefois, dans celles-ci, comme, par exemple, cela apparaît spécialement dans les sociétés de construction, la grande majorité sont des ouvriers qualifiés, tels que maçons, charpentiers, menuisiers, serruriers, qui travaillent de la même manière que l'artisan autonome des petites entreprises.

Un point est toutefois décisif : les personnes compétentes dans le domaine de la théorie comme de la pratique affirment que non seulement en Italie, mais aussi, par exemple, dans un pays aussi largement riche en industries que l'Allemagne, malgré le développement considérable de l'industrie jusqu'à l'auto-mation, l'artisanat a également continué à se développer dans l'après-guerre ; et il a même démontré plus impérieusement sa nécessité, parce que l'accroissement de l'industrie a suscité des besoins spécifiques auxquels le travail de l'artisan peut donner satisfaction de la meilleure façon, et a ensuite fait surgir de nouvelles formes d'artisanat, comme celles qui s'occupent de l'entretien et des réparations des appareils produits en série.

Ainsi se confirment les prévisions de ceux qui affirmaient que l'artisanat ne pourrait disparaître, tant qu'il existerait des besoins de caractère individuel et personnel, auxquels la forme décentralisée de l'artisanat peut pourvoir plus facilement que la grande industrie.

La nouvelle loi sur l'entreprise d'artisan et la notion de la petite entreprise, du 25 juillet 1956, a laissé du champ à la libre activité et a contribué positivement à l'amélioration des conditions d'existence et à la situation de l'entrepreneur artisan.

Pour tout cela, Nous vous félicitons de tout coeur, chers fils et filles. Dans le discours que Nous vous avons adressé en 1947, Nous disions que, bien que la force des circonstances, dans la seconde moitié du siècle dernier, avait fait converger les sollicitudes de l'Eglise principalement vers les ouvriers de l'industrie et les rapports entre employeurs et employés — parce que c'était là que se trouvait le noeud du problème social qui exigeait un remède urgent, — il existait toutefois toujours entre l'Eglise et le monde de l'artisanat une compréhension et une bonne et naturelle entente, pour ainsi dire familialesï. Nous voudrions profiter de cette audience pour attirer votre attention sur deux points, qui expliquent pourquoi l'Eglise s'occupe à présent de façon particulière de l'artisanat et désire voir maintenir et perfectionner ses conditions.

2 Cf. Discorsi e radiomessaggi, vol. IX, p. 297.


L'Eglise aime les artisans : parce qu'ils sont capables d'aimer leur travail...

En premier lieu, on déplore une sérieuse crise spirituelle, qui se manifeste dans l'écart de plus en plus large entre la vie personnelle de l'individu et la vie professionnelle. La profession est entendue, dans de vastes milieux, comme quelque chose d'étranger au Moi, lequel ne lui porte pas un intérêt vécu. On accomplit son travail parce qu'on en a besoin pour vivre, mais on n'éprouve à son égard aucun plaisir, aucun attrait. On attend même avec impatience les heures et les journées de liberté et de repos. Ce fait se constate non seulement dans les vastes foules des employés de bureau et des travailleurs des grandes industries, mais aussi chez d'autres.

Les motifs de cette attitude sont multiples, mais le principal est facilement reconnaissable. Le travail restreint que chaque ouvrier accomplit est souvent la partie d'un tout, qu'il ne perçoit pas, dont il ne peut se rendre compte et que, souvent, il ne connaît même pas. De la sorte, il n'a pas conscience d'avoir une fonction nécessaire et de participer au résultat final ; il travaille comme enchaîné à un automatisme exténuant, par exemple devant un chariot roulant, avec une activité strictement limitée, qu'il n'a pas la satisfaction d'organiser lui-même, en lui imprimant comme la marque de sa propre personne.

La condition de l'artisan est différente. Normalement il est formé et entraîné à effectuer un travail complet. Ceci vaut également pour ceux qui ne sont pas autonomes dans leur profession, mais se mettent au service de grandes industries, comme dans une société de construction. De la sorte, ils se prennent d'affection pour leur oeuvre et y trouvent leur joie. Naturellement eux aussi se réjouissent des jours libres, mais ils reviennent ensuite joyeux, frais et sans amertume à leur travail, à la différence de tant d'ouvriers contraints à des occupations sans âme.

L'Eglise est heureuse de cet avantage de l'artisanat, parce que toute dissociation entre la vie personnelle et la vie professionnelle n'est pas naturelle mais forcée. L'agriculteur et sa famille qui cultivent leur terre ; le maître et l'éducateur qui se dévouent pour leurs élèves ; le médecin et l'infirmière qui se consacrent à leurs malades ; l'homme d'Etat également et l'homme politique qui, conscients de leurs responsabilités, prennent vivement à coeur le bien commun au service de leur pays ; tous sentent profondément que leur profession fait, pour ainsi dire, partie intégrante de leur être et représente pour eux incomparablement plus qu'un moyen de gagner sa vie.

En revanche la séparation entre l'homme et sa profession devient de plus en plus déplorable quand on commence davantage à la considérer comme naturelle et préférable aux exigences d'un sérieux engagement, à tel point que l'on note déjà une insuffisance de candidats dans les professions où une telle obligation est réclamée.

Il n'y a donc rien de surprenant si, à la longue, ce travail qui ne satisfait pas entraîne des répercussions défavorables jusque dans le domaine moral ; l'absence de cette satisfaction, vainement recherchée par beaucoup dans leur profession ou métier, les pousse à la chercher ailleurs, et de toute façon les rend plus facilement indifférents et enclins à perdre le sens de leurs responsabilités envers le prochain et la société.

Nous souhaitons donc, chers fils et filles, que l'artisanat vous préserve de ces risques et que vous continuiez à rester affectionnés à votre oeuvre et que vous l'accomplissiez avec joie.


. parce qu'ils respectent davantage les valeurs sacrées de la famille.

L'autre motif pour lequel l'Eglise désire que l'artisanat conserve son propre caractère, est qu'elle estime opportun qu'un aspect familial se maintienne dans les petites et moyennes entreprises.

Loin de Nous la pensée d'un retour au système de l'économie patriarcale. Il n'y a rien à opposer à ce que les rapports entre chefs d'entreprise, travailleurs et apprentis se conforment par voie de contrat à la législation sociale en vigueur. Il est nécessaire que le chef d'entreprise prenne une part active au travail d'exécution et demeure parmi ses employés pour les guider, les encourager, les instruire. De la sorte, il lui sera facile de conserver à son entreprise une atmosphère familiale ; pour cela il n'a pas besoin de beaucoup de paroles, mais avant tout du bon exemple et d'une sollicitude attentive envers les personnes et leur véritable bien ; tous, ouvriers et apprentis, sentiront alors que le bon esprit, l'estime et l'aide mutuelle doivent régner dans l'entreprise.

La note chrétienne doit donc dominer dans votre entreprise. Ne pourriez-vous donc placer un crucifix dans les locaux de votre travail ? Ne pourriez-vous aussi, avant de vous mettre à l'oeuvre, réciter en commun une prière, voire brève mais fervente, qui certainement attirerait la bénédiction de Dieu sur votre fatigue quotidienne ?

Nous voudrions aussi vous recommander particulièrement la décence et l'honnêteté dans le langage. Il résulte, malheureusement, d'enquêtes effectuées parmi la jeunesse ouvrière que les conditions de plus d'une entreprise (Nous n'entendons pas dire toutes, naturellement) laissent gravement à désirer au point de vue moral. Chaque jour — comme malheureusement l'expérience l'enseigne — les jeunes sont exposés comme à un flot débordant de conversations inconvenantes, qui contaminent peu à peu leurs coeurs. Et puis les adultes, au lieu de réfléchir à leurs responsabilités au sujet d'une telle ruine des âmes, semblent parfois s'y complaire, semant autour d'eux des germes de corruption. Nous sommes certain que vos sentiments chrétiens vous mettront en garde sur un point aussi délicat et vous induiront à exercer une vigilance constante afin que l'influence de vos ateliers, spécialement sur les jeunes apprentis, demeure saine et contribue efficacement à leur formation chrétienne et civile.

De nouveau, Nous invoquons sur vos entreprises la protection de la Sainte Famille. Saint Joseph et Jésus étaient des artisans, et ils possédaient comme tant parmi vous une petite entreprise. Puissiez-vous imiter l'exemple du saint Patriarche qui, confiant en la divine Providence et marchant toujours en présence du Seigneur, vivait, laborieux et honnête, entièrement pour sa famille et pour sa profession ! Puisse la douce et puissante intercession de la Vierge Marie vous obtenir de Jésus la force et la grâce, qui pénètrent toute votre vie !



ALLOCUTION AUX CURÉS ET PRÉDICATEURS DE CARÊME DE ROME

(18 février 1958) 1


Lors de l'audience traditionnelle accordée aux curés et prédicateurs de Carême de Rome, le Saint-Père a prononcé une allocution en italien, dont voici la traduction :

Il Nous semble que vos coeurs vibrent d'un saint frémissement de zèle pour la goire de Dieu et pour le salut des âmes en cette veille de la sainte Mission que vous vous apprêtez, chers curés et prédicateurs de Carême de Rome, à prêcher ces jours prochains aux fils bien-aimés de Notre diocèse romain, à l'occasion du centenaire des apparitions prodigieuses de Lourdes, afin de susciter dans toutes les consciences un puissant réveil de foi et de vie chrétienne. A la manière du semeur évangélique (Mt 13,3 et suiv.), qui se dispose, le coeur plein d'espoir mais aussi de crainte, à jeter sur les mottes de terre couvertes de rosée la bonne semence, peut-être savourez-vous déjà en esprit la joie du moissonneur le jour où les champs sont dorés par les épis gonflés, dont l'abondance vient récompenser les travaux exténuants. S'il est bien de nourrir, au début de toute entreprise apostolique, de tels sentiments d'espérance et d'ardeur, fondés dans la confiance en Dieu, de qui dépend tout accroissement (1Co 3,6), c'est également une sage pensée de prévoir la meilleure façon d'obtenir l'abondance souhaitée des fruits, c'est-à-dire d'explorer avec diligence le champ pour reconnaître les terrains qu'il convient le mieux d'exploiter, les obstacles à supprimer, les fatigues particulières à affronter, les méthodes les plus opportunes et avantageuses.

Ce sont là certainement les pensées et, peut-être, les anxiétés qui occupent vos esprits en ces journées ferventes de veille et qui vous ont accompagnés en Notre présence, désireux d'écouter de Nous des suggestions et exhortations, qui soient pour vous un soutien dans l'entreprise ardue de faire revivre, par une lumière et une activité nouvelles, chez les Romains, la réalité suprême du Dieu Unique dans la Trinité.


Rome, protagoniste de la vraie civilisation et patrie commune des rachetés, impose des devoirs à ses fils.

Nous accueillons bien volontiers votre désir légitime, certain d'accomplir de la sorte le devoir particulier qui Nous revient de la charge d'Evêque de Rome, et en outre d'obéir à une impérieuse impulsion de Notre coeur, comme fils affectueux et dévoué de l'Urbs. Rome ! Cité sacrée, éternelle et célèbre, choisie par la divine Providence pour être dans le monde le porte-drapeau d'une authentique civilisation, et par le Christ pour devenir la patrie commune de ceux qu'il a rachetés ! Si tous ses fils qui, par naissance ou par choix, aiment à se parer de son nom, étaient davantage conscients de sa sublime dignité, de la splendeur incomparable de son passé, de son influence efficace sur l'orientation des peuples et, surtout, du destin singulier vers lequel la conduit mystérieusement la main du Tout-Puissant, combien serait plus vif chez eux le sens des responsabilités en vue de conserver et défendre sa dignité ! Il n'y aurait pas lieu d'être perplexe dans les décisions qui concernent la foi chrétienne et son honneur, mais on redoublerait d'activité dans les oeuvres de justice, d'honnêteté, de bon exemple dans les moeurs, tandis que la conduite extérieure de la vie révélerait également une sérénité, une pureté et une spiritualité intérieures. Surtout un authentique fils de l'Urbs ne pourrait jamais tolérer que l'occasion fût donnée au monde de se faire de Rome une double image : une, resplendissante de gloires historiques et, par conséquent, admirable, et une autre médiocre et sans gloire, à peu près à l'égal d'autres lieux tristement connus pour leur apathie religieuse, pour leur insensibilité spirituelle et morale. Une telle crainte Nous rend anxieux et Nous empêche presque de dormir, spécialement lorsque Nous Nous attardons à considérer la rapide extension de nouveaux quartiers, l'affluence incessante d'hôtes nouveaux, qui ont sans doute besoin de tout mais ignorent bien souvent les bonnes traditions romaines, les faits peu rares de la « chronique noire » et les événements dits « scandaleux » : les uns racontés au public et mis en relief, avec une profusion de détails et, parfois, avec un subtil sentiment de complaisance ; les autres soit entièrement inventés soit amplifiés de manière à impliquer dans une même diffamation les noms de personnes honnêtes et des institutions les plus sacrées. Or, chers curés, Nous demandons à vos consciences de pasteurs, désignés pour être, sous l'autorité de vos supérieurs, une protection des Romains, leur guide, leur soutien, de considérer si ne fait pas partie de votre charge le devoir de veiller au bon renom de Rome et d'empêcher, autant qu'il vous appartient, qu'une faible portion de dénigreurs poursuive impunément son oeuvre de dévastation, dans l'esprit de changer le visage sacré de l'Urbs en un aspect « laïc » comme ils disent, et presque païen, en s'efforçant d'effacer des convictions et des moeurs du peuple les glorieuses traditions religieuses de leurs pères.

Voilà donc le champ de votre ministère ordinaire et de l'imminente Mission extraordinaire : Rome, avec environ deux millions d'âmes, auxquelles on doit assurer une possession plus solide et agissante de Dieu, au moyen de la profession de la foi catholique, acceptée librement, mais sans compromis ; Rome, dont le destin providentiel, fondement de sa grandeur présente et future, ne peut être garanti que par la conduite de vie ouvertement chrétienne de ses citoyens.



I - LA MISSION DE ROME



Rome est une cité unique au monde, non pas tant par l'admirable ensemble de grandeurs humaines que signifie son nom, mais et surtout par la mission spirituelle qui lui a été assignée par Dieu, lorsqu'il inspira à Pierre de la choisir comme siège définitif de la Chaire pontificale et trône de tout pouvoir spirituel. Depuis lors, l'enseignement de Rome fut synonyme d'enseignement de cette Chaire, de l'Autorité suprême de magistère dans le domaine de la foi et de la morale, enseignement infaillible parce qu'il est celui du Christ. Dans la succession ininterrompue des Souverains Pontifes, qui occupèrent tour à tour cette Chaire romaine « au primat prééminent » 2, chacun d'eux fut, comme il le sera toujours, le Vicaire du Christ sur la terre, qui parle au monde en Son nom, en diffusant la lumière de la foi et en proposant des normes sûres de vie et d'action. La grandeur de Rome s'accrut à l'égal des responsabilités que sa Chaire acquit avec une évidence croissante aux yeux de tous.

A présent, la mission de Rome, comme centre spirituel et moral du monde, non seulement continue sans altération, mais il y a lieu de croire qu'elle apparaîtra avec une évidence toujours plus grande. En effet, le monde est en train de prendre chaque jour davantage conscience de son unité. Les hommes ne sont plus, comme autrefois, étrangers les uns aux autres, ni ne se contentent de la relation qui naît du fait d'être semblables ou identiques, de même qu'ils ne se satisfont pas des rapports qui dérivent de la finalité commune ; c'est-à-dire qu'il ne leur suffit pas d'être et de se considérer simplement comme proches et associés ; mais ils se plaisent à se dire une « famille humaine » et ils sont attentifs et émerveillés chaque fois qu'on leur révèle et qu'on leur explique la sublime beauté du Corps mystique du Christ. Quand on dit aux hommes qu'ils sont des membres d'un seul corps — des membres libres parce que conscients, et, toutefois, unis par l'Esprit-Saint — on suscite tout d'abord la stupeur, puis le jaillissement de la joie dans une approbation émue. Cela signifie que parler de l'humanité comme d'une multitude de créatures destinées à devenir l'Eglise n'est pas aussi difficile qu'il pourrait le sembler à certains ; cela indique d'autre part que, l'Eglise ayant son centre à Rome, la prévision d'un insigne poète païen, inspiré par un enthousiasme patriotique, deviendra de plus en plus réalisable aux yeux de l'esprit : l'étendue de la cité de Rome coïncidera avec le territoire du monde : Gentibus est aliis tellus data limite certo ; Romanae spatium est Urbis et orbis idem 3.

Parce que — comme Nous l'avons dit d'autres fois — peut-être sonne pour la Chrétienté une heure comparable aux temps de son histoire primitive. Aujourd'hui, le monde se prépare à regarder Rome, la Rome chrétienne, comme une cité située sur la montagne, comme un phare à la puissante lumière.

Conc. Vatic, Sess. IV, ch. 2 - DS 1823. Ovid. Pastorum., liv. 2, vers. 683-684.


II - L'ÉTAT PRÉSENT DE ROME

Que personne ne s'étonne de ce qui pourrait sembler une digression alors que c'est le fond d'un tableau que Nous devons, Nous et vous, avoir en ce moment devant les yeux.

Essayons de garder notre sérénité, chers fils ; nous ne devons pas exagérer les ombres, ni sous-évaluer les lumières. Si nous voyons la réalité, telle qu'elle se présente, nous aurons déjà fait le premier pas pour apporter un remède aux inconvénients, qui se sont révélés dans leur gravité plus ou moins sérieuse.

Vous savez très bien ce que votre zèle, votre sacrifice quotidien et parfois héroïque obtient des âmes qui vous sont confiées. Vous le savez et Nous ne pouvons l'ignorer Nous-même qui — autant que cela Nous est possible — vous suivons, en faisant Nôtres vos anxiétés et vos joies. Mais vous n'ignorez pas non plus que beaucoup de vos paroissiens sont tombés dans un état de torpeur spirituelle ; vous n'ignorez pas que certains, encore pratiquants, ne veulent pas sortir d'une certaine forme d'égoïsme spirituel ; d'autres croient et, toutefois, ne veulent pas pratiquer ; d'autres enfin sont vacillants dans la foi ou même ont complètement renoncé à croire.

Il ne manque pas à Rome, comme ils ne manquèrent pas déjà autour du divin Rédempteur, d'hommes misérables, qui répandent les offenses contre les personnes et les choses sacrées ; qui ne se privent d'aucun moyen de lutte ni n'excluent aucun coup. Peut-on donc dire que Rome également a ses zones d'ombre, ses îlots à évangéliser, comme une terre de mission ? Ceux qui, comme vous, connaissent à fond la ville, ne peuvent se dispenser de l'admettre. Peut-être y aura-t-il des âmes égarées qui s'en réjouiront, invitées du reste elles aussi à marcher dans la lumière tant qu'elle brille (Jn 12,35). Nous devons en revanche, Nous et vous, demeurer préoccupés ; nous devons laisser notre âme en proie à une profonde tristesse, qui, cependant, ne doit pas abattre l'apôtre, mais au contraire allumer dans son coeur un zèle plus ardent.


III - LA MISSION À ROME



On comprend alors, chers fils, pourquoi Nous avons accueilli avec joie la nouvelle qu'une Mission extraordinaire aurait lieu à Rome à l'occasion du centenaire des apparitions de Lourdes ; une Mission qui veut atteindre tout le monde et obtenir le plus possible de tous ; compte tenu naturellement de l'ampleur de Rome, du nombre extraordinairement accru de ses habitants et, surtout, de la libre détermination des créatures humaines, dont certaines pourraient même être inondées par une pluie de bénédictions divines, submergées par la grâce de l'Esprit-Saint et, toutefois, ne pas en être ébranlées et demeurer obstinées et absentes.

Nous avons donc confiance que la Mission obtiendra l'effet désiré et attendu. Entre temps, une phalange d'âmes qui prient et qui souffrent ont tout de suite accepté d'être comme des lampes allumées, qui brûlent et se consument devant le Seigneur pour implorer l'abondance de ses bénédictions sur l'Urbs. Des prélats, des prêtres du clergé diocésain et religieux, des militants catholiques de toutes catégories se sont offerts en une émouvante lutte de générosité : l'Action Catholique est au premier rang et toutes les autres Associations catholiques se sont jointes à elle, en une communauté fraternelle d'intentions. Nous avons lu personnellement les réponses que les curés ont données au questionnaire qui leur avait été envoyé et Nous avons noté que tout marche bien dans la mesure du possible, étant donné la brièveté de temps et la complexité d'une préparation appropriée.

Nous recommandons à Nos chers fils, les prédicateurs de la Mission, de développer avec diligence, profondeur et clarté, les thèmes envisagés. Il Nous semble qu'ils peuvent parfaitement s'employer à atteindre l'esprit et le coeur de chaque catégorie de personnes, en disant à chaque âme la parole dont elle a besoin. Quelques-unes doivent être amenées à rechercher Dieu ; d'autres ont besoin d'être poussées à en approfondir la connaissance ; pour beaucoup il est nécessaire de passer de la connaissance à l'amour et de celui-ci au service.

De nombreuses âmes recherchent Dieu.

A propos de « recherche de Dieu », il faudra faire une distinction entre les âmes délibérément éloignées de Lui et celles qui cherchent de quelque manière à s'approcher du Seigneur. Aux premières — à celles qui aspirent aux choses de la terre, qui terrena sapiunt (Ph 3,19) et ont substitué au Dieu vivant des idoles caduques —, il faudra faire noter le déclin de tant de gloires, la ruine de tant de richesses, le lien mystérieux et toutefois réel entre la boue et le plaisir interdit et tant de larmes versées et tant de sang répandu. Aux autres — à ceux qui savent déjà s'élever au-dessus de l'intérêt personnel et matériel — il faudra donner fraternellement la main et les aider à se rendre compte qu'ils sont moins loin de Dieu qu'on ne pourrait le penser : en effet leur touchant attachement à la famille, leur culte du devoir, leur besoin d'amour, leur faim et soif de justice ne sont autre chose que des signes d'aspiration à Dieu, de recherche effective, voire peut-être encore inconsciente, de Dieu.


L'étude assidue et systématique de la religion conduit logiquement à l'amour de Dieu.

A propos de « connaissance de Dieu », Nous voudrions vous recommander d'insister sur la nécessité que tous les fidèles arrivent à un approfondissement de la doctrine sur Dieu au moyen de l'étude assidue et systématique. Trop de fois au progrès de la culture profane ne correspond pas en proportion le développement de la culture sacrée : alors voici les doutes qui restent sans solution, voici l'agnosticisme, voici la perte de la foi. En revanche, si la connaissance de Dieu était complète, dans les limites permises par le développement culturel d'une âme, celle-ci parviendrait plus facilement à la « reconnaissance de Dieu » et prendrait ainsi la position qui convient devant Lui. Et se rappelant que sa relation avec Dieu est réelle et constitutive de son propre être, elle se comporterait avec Lui comme on se comporte avec le Maître absolu, qui est en même temps son Tout. Ensuite comme, par un effet d'amour surabondant, l'âme a reçu de Dieu avec la grâce Sa vie même, elle Le considérerait comme son Père et s'estimerait, ce qu'elle est en réalité, une vraie fille de Dieu. Et voici qu'apparaît, logique et nécessaire, 1'« amour de Dieu » : qui, tout d'abord, est un désir de ses dons, puis est un désir de Lui-même. Les âmes voudront donc connaître sa volonté, s'y conformer, s'y attacher ; elles en arrivent ainsi à « servir Dieu » : spontanément, totalement, joyeusement.

Nous recommandons à tous les prêtres et aux laïcs qui collaborent avec eux de prier et de travailler sans répit et tout aussi instamment, afin que Jésus trouve débarrassée de résistances coupables la voie pour arriver dans tout coeur, dans toute famille, dans toute maison, dans toute école, dans toute usine.

Soyez discrets pour ne pas troubler par des gestes inopportuns le climat de libre ferveur, qui devra se créer avec l'aide de Dieu ; mais soyez également courageux, soyez saintement ingénieux. Des âmes qui répondirent « non » au premier appel cédèrent ensuite aux insistances dont elles furent doucement, mais fermement, l'objet, pour qu'elles ne laissent pas Jésus passer en vain.

Soyez également pratiques, en aidant les fidèles à tirer des sublimes vérités chrétiennes les règles morales concernant les actes quotidiens, dont la vie est tissée. Désirant donc vous conseiller dans ce domaine, Nous prendrons comme exemple trois points particuliers de la morale chrétienne.


commandement de la sanctification des fêtes

Le premier concerne le commandement de la sanctification des jours de fête. Le monde d'aujourd'hui, spécialement dans les grandes villes, est bien loin, dans l'utilisation du repos du jour férié, du sens primitif de religion entendu par l'Eglise. A sa place s'est substituée une frénésie de jouissance matérielle (bien différente du délassement nécessaire et légitime), qui entraîne riches et pauvres, parfois sans retenue morale et avec le gaspillage des économies de la semaine. Même quand est respectée l'essence du précepte, par l'assistance à la sainte messe, il est assez rare de trouver quelqu'un qui se réserve une heure de recueillement pour cultiver son esprit, pour édu-quer ses enfants, pour accomplir quelque oeuvre de miséricorde parmi les indigents ou les malades. Que dire ensuite du travail servile non nécessaire par lequel, plus d'une fois, même à Rome, on profane le jour férié, parfois publiquement et à grand scandale ? Peut-on donc parler de bon exemple chrétien d'une ville, lorsque, comme on Nous le rapporte, on n'a pas encore réussi à organiser certains marchés publics de manière que plusieurs milliers de travailleurs puissent jouir du droit au repos dominical et accomplir leurs devoirs religieux ? Enseignez donc à vos fidèles l'esprit avec lequel on doit passer le jour férié, les limites morales que l'on doit s'imposer dans les distractions, les oeuvres positives de bien dont Dieu exige l'accomplissement en ce jour, qui est plus le « Sien » que le nôtre.

Le respect de sa propre vie . . .

Il est un second point que Nous désirons que vous traitiez, curés et prédicateurs, durant la Mission et par la suite encore, engageant en cela la force de votre persuasion paternelle. La vie, même personnelle, appartient exclusivement à Dieu, et personne ne peut y renoncer sans commettre une très grave faute. Vous comprenez que Nous faisons allusion au trop grand nombre de suicides, tentés ou accomplis, dans votre ville comme dans d'autres, commis peut-on dire par les membres de toutes les classes sociales, sans exclusion d'âge, même de celui où l'espérance de la vie éternelle apparaît plus lumineuse. Quand — et cela arrive souvent — en parcourant les chroniques de la ville, votre regard tombe sur la nouvelle d'un de ces cas si pitoyables, un terrible doute devrait assaillir votre conscience sacerdotale : avons-nous fait assez, nous pasteurs d'âmes, pour enraciner dans les coeurs la foi et l'espérance chrétiennes ? pour inspirer le courage dans les épreuves, la patience dans les maladies, la confiance en la Providence, la force spirituelle contre une si grande lâcheté ? pour ébranler salutairement ceux qui sont tentés par une suggestion si insensée ? Le suicide n'est pas seulement un péché excluant les voies normales de la miséricorde divine, mais il est également l'indication de l'absence de la foi ou de l'espérance chrétiennes. Enseignez donc à vos fidèles l'horreur de ce crime, éduquez-les à supporter les malheurs, effrayez-les, si c'est nécessaire pour leur salut, avec les arguments divins et humains que la morale catholique expose amplement. Faites tout le possible pour empêcher que cette plaie sociale ne s'étende. La lutte contre le suicide entre pleinement parmi les devoirs du ministère sacerdotal.

et de celle des autres.

Le troisième point de morale pratique qui laisse assez à désirer dans une grande métropole comme Rome, est contenu dans le cinquième commandement : tu ne tueras pas. Nous entendons faire allusion au trop grand nombre de vies humaines fauchées ou de personnes blessées par l'usage imprudent des véhicules modernes. La fréquence des accidents mortels de la route a malheureusement atténué la sensibilité naturelle envers l'horreur, au moins objective, de ce fait : une vie supprimée d'un instant à l'autre, sans aucun motif et par son semblable, le plus souvent inconnu. Les chiffres de ces morts inutiles, donnés par les statistiques, sont effrayants. Dans la Commune de Rome seulement, durant le seul mois de novembre de l'an dernier, selon un rapport publié dans les journaux, 2,968 accidents ont fait perdre la vie à 31 personnes, et 1928 ont été blessées. Chiffres qui, réunis pour toute l'année et pour toute la péninsule, dépasseraient le nombre des morts de batailles même célèbres ! Ces tristes faits ne peuvent être attribués à la technique par elle-même, mais à la coupable imprudence de ceux qui osent conduire sans expérience, ou dans des conditions psychiques défavorables, ou en négligeant les précautions et règles voulues. Que dire aussi de la légèreté de conducteurs insensés, qui se laissent entraîner par la frénésie de la vitesse et de la rivalité, parfois en plein centre de la ville, indifférents à leur sécurité et à celle d'autrui ? Comment un chrétien, un honnête homme peut-il ne pas trembler à la seule pensée d'être classé par sa propre conscience et contre sa volonté, au moins directe, parmi les homicides, pour avoir cédé à la tentation d'une hâte vaine et souvent injustifiée ? Tandis qu'il appartient aux Autorités civiles de sévir contre ceux qui contreviennent au code de la route et d'adopter les mesures de prévoyance nécessaires, le devoir vous revient à vous, curés et prêtres, de contribuer au même but, en éclairant les consciences des conducteurs, en faisant ressortir les conséquences également religieuses en cas de décès immédiat de la victime et en rappelant les responsabilités morales devant la société et Dieu même.

Pie XII 1958 - ALLOCUTION AUX SUPÉRIEURS GÉNÉRAUX DES ORDRES ET INSTITUTS RELIGIEUX