Pie XII 1957 - DISCOURS AU CONGRÈS INTERNATIONAL DES ÉCOLES PRIVÉES EUROPÉENNES


DISCOURS À UN PÈLERINAGE ESPAGNOL

(14 novembre 1957) 1






Un groupe de pèlerins du diocèse de Badajoz, guidé par l'évëque coadjuteur de ce siège, a été reçu en audience spéciale le jeudi 14 novembre. Remerciant l'assemblée de l'hommage qui lui a été fait d'un intéressant ouvrage concernant la grande bonification en cours de cette région, le Saint-Père prononça en espagnol un discours dont voici la traduction :

C'est avec un plaisir particulier que Nous recevons aujourd'hui un nouveau pèlerinage espagnol, venu à la ville éternelle sous la présidence du très digne évêque coadjuteur, à l'occasion de sa visite Sacrorum Liminum.

Cette fois, Vénérable Frère, illustres autorités et très chers fils, comme il s'agit du diocèse historique de Badajoz, Notre joie est accrue par le fait que vous Nous offrez l'occasion non seulement de vous bénir personnellement et de vous exprimer Notre plus cordiale affection paternelle, mais aussi d'avoir une digne présentation de votre « Plan Badajoz » déjà fameux. Vous Nous donnez l'occasion de vous dire tout l'intérêt avec lequel Nous suivons la transformation radicale en train de s'accomplir dans votre antique terre, si riche en dévotions et en souvenirs ; et le profond intérêt avec lequel Nous assistons à cette expérience qui pourrait être pour toute l'Espagne féconde en enseignements et en conséquences.

En vérité, il n'est personne qui ne se sente envahi de stupeur en voyant reverdir d'immenses champs, se repeupler des collines et plateaux pour ainsi dire oubliés, surgir de florissantes industries, s'organiser d'innombrables productions, tandis que les eaux du Guadiana et de ses affluents, sagement contenues, sont distribuées dans les campagnes, produisant énergie et lumière, afin que les hommes qui accourent habiter les centres naissants sortis de terre comme par enchantement, vivent une existence nouvelle et prospère, sous les pacifiques enseignes du travail et de la paix.

En Nous apportant aujourd'hui votre « Plan » afin que Nous le bénissions, vous manifestez l'intention de rendre grâces à Celui, par la volonté de qui les eaux commencèrent à courir avec ordre sur la terre, en suivant le parcours que le doigt divin leur traçait sur la croûte ardente de la planète.

Notre mission pastorale et le fervent désir que Nous avons du bien de vos âmes Nous induisent en ce moment à vous présenter quelques brèves réflexions.

Le problème du déplacement de population posé par le besoin de main-d'oeuvre d'une entreprise telle que le « Plan ».

1. — Avant tout, la réalisation d'un semblable projet suppose
un sérieux déplacement de population, provenant des lieux les
plus divers, pour donner au travail les bras qu'il exige naturelle-
ment.

Problème bien connu des temps modernes et qui, à côté de l'avantage indubitable de résoudre les problèmes vitaux de nombreuses personnes, présente également l'inconvénient de former ces groupes urbains, où la personne humaine, détachée de sa souche naturelle, se voit exposée à tant de dangers, surtout d'ordre moral.

Une direction intelligente ne veillera pas seulement au choix prudent et à l'acceptation de groupes familiaux de préférence aux individus isolés, mais elle suivra aussi attentivement leur nouvelle vie, surtout dans les premiers temps pour faciliter à l'homme son établissement moral plus encore que matériel, en prenant soin que ne se brisent pas les traditions familiales et religieuses, que se rétablisse ensuite le contact avec le milieu et avec ceux qui ont la mission divine de guider les âmes vers leur vraie félicité ; et en facilitant tout ce qui pourra servir à ce que naisse, chez les nouveaux venus, le sentiment de la solidarité mutuelle, des responsabilités communes et de l'amour de la nouvelle « petite patrie », qui les accueille si généreusement.

2. — Dans ce domaine surtout, l'Eglise peut offrir sa pré-
cieuse collaboration, comme du reste, Nous le savons, elle le fait
déjà dans les diverses paroisses nouvellement érigées. Principale-



ment dans vos plaines, c'est un profil classique qu'offrent le plus souvent vos centres et vos villages : la maison de Dieu, haute et majestueuse, entourée de toits et de cours, semblant chercher protection à son ombre. L'Eglise prendra soin que vos communautés improvisées naissent avec des usages et coutumes bien déterminés, avec des fêtes et des cérémonies qui ne seront nouvelles pour personne ; avec toute une tradition saine et vivante qu'elle a accumulée d'un coeur maternel à travers les siècles, en accompagnant ses enfants du berceau jusqu'à la tombe ; en demeurant auprès d'eux dans les heures de joie comme de tristesse ; en faisant qu'ils ne se sentent jamais étrangers en aucun lieu, parce que l'esprit chrétien est toujours égal et s'adapte merveilleusement aux temps et aux lieux, comme une preuve de plus de sa vitalité surnaturelle.

3. — Enfin une transformation aussi vertigineuse, que seule l'efficacité des instruments modernes rend possible, entraîne avec elle quelques autres dangers, parmi lesquels Nous voudrions en souligner spécialement un : le défaut d'adaptation chez certains individus qui, passant en peu de temps d'une condition sociale inférieure à la catégorie de propriétaires moyennement à l'aise, pourraient voir s'altérer dans leur esprit la juste échelle des valeurs, en accordant une estime excessive à ce qui est purement humain et matériel au détriment du spirituel, en méprisant celui-ci pour faire du premier l'unique objet de leurs soucis.

Non, très chers fils ; rendez grâces au Seigneur pour les biens de la terre qu'il vous accorde généreusement ; mais n'oubliez jamais qu'il faut avant tout chercher le « Royaume de Dieu », avec la certitude que tout le reste vous sera donné « en plus » (Lc 12,31). Et il serait fort pénible, comme malheureusement cela se produit parfois, que la prospérité temporelle dût servir à faire de vous des esclaves de la matière, en étouffant la vie infiniment supérieure de l'âme et de l'esprit.

Notre reconnaissance va à vos dignes autorités pour tout ce qui a été fait dans ce sens et pour tout ce qu'elles se proposent de faire. Qu'elles aient, avec leurs projets et avec toutes les personnes qui y prennent part, Notre large et paternelle Bénédiction. Et que Notre-Dame de Guadalupe, sous le patronage de qui vous vous êtes placés, vous aide vous-mêmes et vous protège. Notre Bénédiction toute spéciale va vers vous tous ici présents, avec tous vos désirs et toutes les personnes et choses que vous voudriez voir bénies.


DISCOURS À UN GROUPE DE TRAVAILLEURS DE LABATTOIR DE ROME

(17 novembre 1957) 1






Les membres du groupe ACLI (Association chrétienne des travailleurs italiens) de l'Abattoir de Rome, accompagnés de plusieurs personnalités ecclésiastiques et civiles, ont été reçus en audience spéciale par le Souverain Pontife, le dimanche 17 novembre. Voici la traduction du discours que le Saint-Père leur adressa en italien :

Nous vous souhaitons paternellement la bienvenue, chers fils, travailleurs de l'abattoir de Rome. Votre travail, concernant un des éléments les plus efficaces de l'alimentation humaine, est particulièrement important, également parce que l'on connaît les maux qui pourraient résulter de l'usage de viandes malsaines. Aussi les hommes ont-ils eu toujours soin d'éviter ces effets pernicieux, bien qu'ils n'en soient arrivés que relativement tard à la fondation rationnelle des premiers abattoirs.

Il convient de dire que Rome, sur l'initiative de Notre prédécesseur Léon XII, fut parmi les premières villes à posséder son abattoir, édifié en 1825, c'est-à-dire quelques années après celui de Vienne lequel au début du XIXe siècle, inaugura l'ère des abattoirs modernes. Aujourd'hui, le problème des abattoirs est lui aussi résolu par le recours aux inventions les plus modernes de la science et de la technique ; rien n'y manque de ce qui peut servir à la bonne administration des établissements.

Nous savons d'autre part combien doit être soignée votre préparation technique et combien est nécessaire la plus grande diligence dans l'observation de toutes les précautions que réclame le caractère délicat de votre travail. Une distraction, une négligence pourraient mettre en danger la santé de beaucoup et, parfois même, la vie de certains.

Votre activité, sur laquelle Nous avons réfléchi durant les jours qui ont précédé cette audience, a fait naître dans Notre coeur certaines pensées qu'il Nous semble utile de vous confier, en les offrant à votre méditation pour coopérer ainsi au bien et à la sanctification de vos âmes.

Cherchons donc à pénétrer par le regard de l'esprit — dans le lieu de votre travail. Entrons dans l'abattoir. Voici : dans les hangars de séjour temporaire, les animaux, inconscients de leur sort, attendent d'être conduits dans la salle d'abattage. Ils y arrivent et aussitôt (il Nous est pénible de le dire), ils sont abattus et soumis aux diverses opérations d'écorchement, d'éven-tration et de visite. Quelques minutes passent — pas plus de quinze ou vingt — et déjà l'animal a été réduit en quartiers ou « moitiés » de viande. Certes, la scène que Nous venons de tenter de décrire n'est pas de celles qui sont offertes à la vue de tout le monde ; mais ce serait commettre une erreur que d'estimer condamnable la mise à mort des animaux nécessaires à la nourriture des hommes. Votre oeuvre, chers fils, est donc juste et — à certaines conditions — méritoire. En effet tout a été créé par Dieu : les hommes, les animaux, les plantes, les choses ; et par conséquent, tout doit être employé à son service.

Mais comment cela peut-il se réaliser ?

Notre méditation, chers fils, s'inspire d'une forte expression de saint Paul ; vous y trouverez vous aussi le pourquoi de l'honnêteté de votre travail et, ce qui est plus, la condition indispensable pour la rendre méritoire aux yeux de Dieu. L'Apôtre a donc dit : Omnia enim vestra sunt, vos autem Christi (1Co 3,23).



Vofre oeuvre est juste, car toute la création a été mise par Dieu au service de l'homme.

1. — Omnia vestra sunt : tout dans l'univers appartient aux hommes. En effet, dès que Dieu eut créé l'homme et la femme, il les bénit en leur disant : « Croissez et multipliez-vous, peuplez la terre et soumettez-là, et dominez sur les poissons de la mer et les oiseaux du ciel et sur tous les animaux qui se meuvent sur la terre » (Gn 1,28). Et de nouveau le Seigneur, bé-



nissant Noé et ses fils, s'écria : « Tout ce qui se meut et a vie vous servira de nourriture ; je vous donne tout cela comme je vous ai déjà donné les vertes prairies » (Gn 9,3).

Si tout appartient donc à l'homme, il est par la volonté de Dieu maître de l'univers. Pourquoi ? Quel but eut le Seigneur en donnant cette domination aux hommes ? Nous disions, chers fils, que tous les hommes et toutes les choses doivent dans le monde être au service de Dieu, tous les hommes et toutes les choses Lui rendre gloire. Mais les créatures matérielles, privées comme elles le sont de connaissance et de volonté, se trouvent dans l'impossibilité de rendre à Dieu la gloire formelle ; seuls, en effet, les hommes connaissent Dieu, peuvent le louer, l'aimer ; seuls les hommes peuvent vivre consciemment selon les préceptes de sa loi. Et alors, par disposition divine, les minéraux serviront les plantes, les plantes serviront les animaux, les animaux l'homme : afin que par l'homme tous servent Dieu. Mais l'homme, pour se servir des animaux, doit souvent — malheureusement — les faire souffrir, doit souvent les tuer ; il n'y a donc en soi rien de condamnable en cela. Certes, les souffrances doivent être réduites au minimum, les cruautés inutiles interdites (Nous avons lu, par exemple, qu'à l'abattoir on a particulièrement soin que le bétail vivant ne rencontre pas les hommes chargés du transport des viandes), mais il n'y a pas de place non plus pour des regrets injustifiés. Les plaintes des bêtes abattues et tuées pour un juste motif ne devraient pas susciter plus de tristesse qu'il n'est raisonnable, alors que n'en provoquent pas les coups de marteau sur les métaux ardents, la pourriture des semences sous la terre, le gémissement des branches que l'on taille, la chute des épis sous l'action des moissonneurs, le blé qui est broyé par la meule du moulin.



Si le Christ règne dans vos âmes, votre oeuvre deviendra également méritoire.

2. — Mais afin que votre oeuvre devienne également un acte méritoire, il est nécessaire que chacun de vous appartienne au Christ : Omnia vestra sunt, vos autem Christi.

Nous le savons, chers fils, et vous devez vous aussi le savoir : de droit vous êtes déjà au Christ, vous appartenez déjà au Christ. Vous lui devez en effet, comme à votre Créateur, votre existence et votre action : Omnia per ipsum facta sunt, et sine ipso factum est nihil, quod factum est : « Tout a été fait par lui, et rien de ce qui s'est fait n'a été fait sans lui » (Jn 1,3). Mais, en outre, vous appartenez au Christ parce que, comme Homme-Dieu, il vous a rachetés, en souffrant et mourant sur la croix pour vous. C'est donc du Christ — comme d'un Maître — que dépendent votre vie, votre mort : c'est à lui qu'appartiennent tout votre souffle, chacune de vos pensées, chacune de vos volontés, chacune de vos actions. Tout en vous vient de lui ; tous est donc à lui : seul le Christ est votre Seigneur absolu. Tu solus Dominus 2. Lui seul est votre Roi : Roi de gloire, Roi de Majesté : Rex gloriae, Rex tremendee maiestatis 3.

A ce point naît dans Notre coeur et monte à Nos lèvres une demande que Nous vous adressons avec une franchise paternelle, chers fils, et vous devez Nous répondre avec tout autant de sincérité filiale ; votre réponse sera comme le solennel engagement que vous prenez avec le Christ en présence de son Vicaire sur la terre. Dites-Nous donc : vous qui de droit appar-tenez à Jésus-Christ, voulez-vous être à lui par une libre acceptation de sa souveraineté ? Voulez-vous qu'il règne sur chacun de vous ? sur vos familles ? sur votre travail ?

Afin que Jésus règne dans vos âmes, il est nécessaire que le péché en soit banni. Celui qui pèche se rebelle contre le Christ et le repousse loin de lui. De même que n'appartient pas au Christ celui qui blasphème, celui qui viole le précepte dominical, celui qui par ses paroles et ses actions, offense les bonnes moeurs.

Afin que le Christ règne dans vos familles, il est nécessaire que chacune d'elles devienne de plus en plus un sanctuaire ; où la fidélité entre les époux soit sacrée et inviolable ; où l'amour entre tous reflète, autant que possible, l'amour qui régnait dans la maison de Nazareth.

Afin que votre travail appartienne au Christ, il est nécessaire qu'aucune de vos actions ne soit inspirée et soutenue par quelqu'un ou quelque chose qui lui soit contraire.

Recherchez la paix sociale, mais dans la justice.

2 Ex S. Liturgia. S Ibid.




Nous ne pourrions terminer sans vous assurer que ce ne serait certainement pas Nous qui vous empêcherions de tendre par tous les moyens licites à la réalisation de vos légitimes aspirations de caractère économique et social. Que soient donc bénis tous ceux qui, de quelque façon coopèrent au maintien et à l'amélioration de la paix dans la justice au sein de votre établissement. Et, du reste, il s'y est produit quelque chose qui vous a remplis de joie. Beaucoup qui s'étaient laissé tromper par le mirage de fausses promesses ont désormais abandonné ceux qui les avaient séduits. Mais d'autres, en revanche, n'ont pas encore ouvert les yeux. Devant l'appât, souvent fallacieux, d'améliorations économiques, ils continuent à militer dans les rangs des ennemis de Dieu, ennemis aussi de tant d'autres valeurs spirituelles et matérielles. Nous vous en conjurons, chers fils : opposez-vous de toutes vos forces à ce qui tue vos âmes. Faites tous vos efforts afin que celui qui est mort ressuscite, que celui qui est blessé guérisse. Ne vous représentez-vous pas déjà comme on se rendrait joyeusement au travail s'il était considéré — plus qu'il ne l'est aujourd'hui — comme un acte d'obéissance filiale à Dieu, et, par conséquent, comme une prière vécue, un acte d'amour pour Lui, un service rendu à nos frères ?

Mais cela n'est possible que si le Christ règne en souverain dans vos coeurs, si les choses créées ne vous dominent pas mais vous servent, en vous aidant à lui rendre gloire, à lui, le Roi de gloire.


DISCOURS AU CONGRÈS NATIONAL ITALIEN DES PÂTES ALIMENTAIRES

(22 novembre 2957) 1






A l'occasion de leur IIIe Congrès national, les fabricants de pâtes alimentaires italiens ont été reçus en audience spéciale par le Saint-Père le vendredi 22 novembre.

Voici une traduction du discours que le Souverain Pontife adressa aux participants dans leur langue maternelle :

Nous vous souhaitons affectueusement la bienvenue, chers fils, qui participez à votre IIIe Congrès national des pâtes alimentaires. Soucieux de la crise de production à laquelle elles sont exposées, vous avez voulu vous réunir pour en découvrir les causes et chercher ensemble les remèdes propres à en éliminer — si possible à la racine même — les inconvénients. La large participation de membres du Gouvernement, d'insignes parlementaires, d'hommes de science capables de considérer le problème sous son aspect hygiénique et diététique, économique et technique, assure à votre Congrès le caractère sérieux de ses intentions, la nature concrète de ses orientations, la profondeur de ses exposés. Il convient de souligner et — si c'était le cas — d'écarter même certains préjugés nés parfois de l'invention de faits inconsistants, parfois aussi d'observations inexactes ou d'interprétations erronées de phénomènes par ailleurs incontestables.

Il s'agit d'étudier les moyens par lesquels il sera possible d'assurer une activité appropriée aux nouvelles installations mécaniques des fabriques de pâtes, installations tellement perfectionnées aujourd'hui qu'on obtient des potentiels de production grandement supérieurs aux nécessités du marché. Il s'agit aussi d'examiner la possibilité de réduire le nombre et de diminuer la gravité de certains obstacles, qui dérivent de rigides règlements économiques entre les nations et empêchent à l'Italie, par exemple, de retrouver, sinon la primauté, au moins un poste plus convenable dans l'exportation de certains produits.

L'Eglise, qui bénit tout progrès de la science et encourage le juste usage qu'en font la technique et l'organisation, pour le bien de la famille humaine, considère votre Congrès avec une satisfaction maternelle.



Origines et développement de la production des pâtes alimentaires.

Comme vous le savez bien, les premières origines de la pâte — telle qu'elle se présente aujourd'hui sur vos tables — ne sont pas certaines, ni pour l'époque ni pour le mode, bien que l'on fasse de nombreuses hypothèses et que l'on raconte diverses légendes, voire ingénieuses et gracieuses.

Il semble toutefois certain que la production des pâtes alimentaires fut pendant quelques siècles une oeuvre exclusivement ménagère. On passa ensuite à la production artisanale dans les boutiques de « vermiceliers », qui, à une certaine époque, durent devenir très nombreuses, s'il est vrai qu'à Rome, en 1641, une ordonnance fut émise, par laquelle il était interdit d'en ouvrir de nouvelles qui ne fussent pas distantes d'au moins quatre-vingts mètres les unes des autres. Enfin, avec le progrès technique, le véritable établissement industriel proprement dit succéda aux boutiques des « vermiceliers ». Depuis, tout procédé de travail est réglé et accompli, dans ses étapes successives et dans son ensemble, suivant des lois physiques, chimico-physi-ques, chimico-biologiques, que les récentes études ont mises en lumière. S'il n'y a plus aujourd'hui de fabriques de pâtes installées avec de vieux systèmes séparés (pétrisseuse, pétrin et presse), il reste toutefois les phases de la fabrication, qui sont dénommées dans la littérature technique : criblure de la farine, hydratation, préparation de la pâte, pétrissement et, enfin, tréfilage ou confection. On procède ensuite à la dessica-tion, qui est la phase la plus délicate, peut-être la plus difficile et la moins connue ; car c'est d'elle que dépendent non seulement la conservation du produit, mais aussi, au moins en partie, le goût, la digestibilité, l'assimilation.



L'homme a un corps auquel est dû sa nourriture propre.

Vous vous êtes réunis pour étudier tout ce qui concerne l'amélioration continue du procédé de fabrication et aussi le mode le plus rationnel et avantageux de distribution du précieux produit. Nous faisons des voeux, chers fils, afin que l'abondante bénédiction de Dieu ne manque pas à vos travaux. Puissiez-vous contribuer par votre savoir-faire, par votre bonne volonté, par des efforts harmonieux à la recherche et à la découverte des solutions les plus appropriées des problèmes qui vous tiennent dans l'anxiété. Et puisque vous avez désiré écouter de Nous quelques pensées, les voici telles qu'elles sont nées dans Notre coeur. L'homme n'est pas un ange, car il a un corps ; il n'est pas une créature sans raison, parce qu'il a une âme spirituelle. Et tout type de vie a besoin de sa propre nourriture.

1. — Avant tout, il est nécessaire et salutaire de s'occuper de nourrir son corps et celui des autres hommes.

Il est vrai : le corps est matière, le corps est corruptible. Il y a en lui, depuis la chute d'Adam, une loi mystérieuse : la loi du péché. A cause de cette loi, le corps humain est, selon la forte expression de saint Paul, un « corps de mort » (Rm 7,23-24), en tant que le corps, dans lequel habite le péché, est cause de la mort de l'âme. D'où le cri de l'apôtre invoquant la libération. D'où aussi la volonté de « châtier » et soumettre son corps (1Co 9,27), afin qu'il ne prenne pas le dessus.

Mais ces expressions ne signifient pas que, durant sa vie, l'homme doive négliger son corps jusqu'à le mépriser et presque le détruire. En effet, le même Apôtre affirme avec précision la valeur des corps humains. Etant des créatures de Dieu, ils peuvent être offerts en « hostie vivante, sainte, agréable à Dieu » (Rm 12,1). Ils sont pour le Seigneur et le Seigneur est pour eux (1Co 6,13). Ils sont les membres du Christ (ibid., 15) et le temple du Saint-Esprit (ibid., 19).

En écoutant ces expressions, personne ne saurait accuser l'Eglise d'être ennemie des corps. Certes, il faut les dominer, il faut les contraindre à demeurer à leur place, qui est une place de service et non de domination de l'homme. Mais justement, pour qu'ils servent, il faut en avoir soin : il faut les nourrir, par exemple. L'alimentation est en effet une fonction physiologique indispensable, sur le programme minimum de laquelle (sauf les mortification et de pénitence) de graves renoncements ne peuvent être faits sans compromettre, peut-être irrémédiablement, la santé physique, parfois même la santé morale des individus, sans réduire la productivité économique du peuple et sans créer des obstacles au développement organique de la race humaine. C'est pour cela que Nous prions notre Père céleste selon l'enseignement de Jésus : « Donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien » (Lc 11,3). C'est donc une chose bonne, une chose méritoire, que de s'occuper de l'alimentation ; on pourvoit ainsi à la restauration de l'organisme, au moyen des matériaux assimilables et revigorants et l'on fournit à l'organisme l'énergie nécessaire.

Mais la préoccupation de l'alimentation du corps ne doit pas nous porter à négliger la nourriture de l'âme, plus importante encore.

2. — Mais il est une autre nourriture, la nourriture de l'âme, qui ne peut être négligée, parce qu'elle est incomparablement plus nécessaire et importante.

Un jour, les apôtres étaient allés à la ville pour acquérir des provisions. Jésus était resté assis près du puits de Jacob, dans le territoire de la ville de Sychar, las et fatigué du long voyage. Quand ils retournèrent, ils le trouvèrent en conversation avec une femme samaritaine, qui venue puiser de l'eau pour désaltérer son corps, s'était trouvée près de la source d'eau vive jaillissante pour la vie éternelle (Jn 4,5 et suiv.). Les apôtres invitèrent le Maître à manger. Mais, absorbé dans la pensée de l'oeuvre que la providence du Père lui avait confiée, il répondit qu'il avait une nourriture qu'ils ne connaissaient pas. Et il ajouta : « Ma nourriture est de faire la volonté de Celui qui m'a envoyé ».

Puisque l'homme n'est pas un ange, c'est une chose bonne pour lui de nourrir son corps ; puisqu'il n'est pas une créature sans raison, il lui est encore plus nécessaire de nourrir son âme. La nourriture de l'âme est de faire la volonté de Dieu.

Or faire la volonté de Dieu est pour tous, en premier lieu, de croire aux vérités révélées par lui ; d'observer ses commandements, de quelque façon qu'il ait voulu les manifester.

Faire la volonté de Dieu est, pour vous en particulier, de travailler avec la plus grande compétence dans le secteur des pâtes alimentaires. Que ce que Nous vous disons ne vous semble pas peu de chose ou même mesquin : chacun doit être parfaitement ce qu'il est, doit faire parfaitement ce qu'il fait : esfo quod es, âge quod agis. Et vous avez consacré votre vie, votre temps, vos énergies au délicat et précieux travail des pâtes alimentaires.

Faire la volonté de Dieu est, en outre, agir avec la plus grande honnêteté et la plus grande diligence, soit dans la période de production, en évitant tout ce qui a un caractère d'altération ou de falsification des produits, soit dans la période de distribution, en s'abstenant d'assurer son propre bien en nuisant aux autres ; selon les règles de la saine et sainte émulation plutôt que les suggestions de l'envie.

Enfin, en faisant la volonté de Dieu, vous aimerez Dieu — c'est « le premier et le plus grand commandement » (Mt 22,38) —. Et si le juste gain que vous attendez légitimement de votre travail est bien quelque chose qui vous aide à affronter les fatigues et les risques, il ne doit pas en devenir le but final ; c'est-à-dire que si la foi en la parole de Dieu, qui qualifie du nom de membres du Christ les corps des créatures humaines, inspire, soutient, anime votre travail, celui-ci deviendra une oeuvre sainte, une oeuvre sanctificatrice, parce qu'il sera un service de Dieu, un acte d'amour de Dieu.



Le mystère de l'Eucharistie.

3. — Pourquoi ne ferions-Nous pas allusion ici à l'existence d'une nourriture corporelle, qui se change en aliment de la vie divine ? C'était de la farine pétrie et cuite, et sur elle furent prononcées par le prêtre les paroles de la consécration : « Ceci est mon corps. » Et de la farine pétrie et cuite il ne reste que les apparences, le goût, la couleur, l'odeur et la quantité. Mais la réalité est la chair de Jésus. Caro mea vere est cibus (Jn 6,55). Ma chair est vraiment une nourriture.

De la sorte, chers fils, en partant de votre travail, Nous avons trouvé l'occasion de méditer et de prier. Qu'ils vous soit agréable de retourner chez vous, à vos usines, l'esprit éclairé d'une lumière surnaturelle. En préparant cette rencontre, Nos yeux se sont posés sur l'inventaire, remontant à 1630, de l'équipement complet d'une boutique de vermicelier romain, à proximité de S. Francesco a Ripa. Il commence ainsi : « En premier lieu un portrait de la Madone, la très Sainte Vierge Marie. Puis une presse avec tout le matériel et les leviers... » ; ensuite viennent les autres ustensiles et objets. Voilà, chers fils : à votre travail, au milieu de vos soucis, dans vos peines, regardez



Marie. Faites que la très douce Mère veille sur ce que vous êtes, sur ce que vous faites.

En formant ce souhait, Nous vous donnons de tout coeur à vous, à vos familles, à vos entreprises, en gage de plus hautes grâces célestes, la Bénédiction apostolique.

DISCOURS

SUR LES PROBLÈMES DE LA RÉANIMATION

(24 novembre 1957) 1




Un groupe nombreux de professeurs renommés, de cliniciens, médecins et chirurgiens, se sont réunis au Vatican, sur l'initiative de l'Institut de génétique « Gregorio Mendel », pour entendre les réponses du Souverain Pontife aux questions qui se posent à la conscience du médecin catholique au sujet de l'important problème de la « réanimation ».

Voici le texte du discours que le Saint-Père adressa en français à l'illustre assemblée :

Le Dr Bruno Haid, chef de la section d'anesthésie à la clinique chirurgicale universitaire d'Innsbruck, Nous a soumis trois questions de morale médicale au sujet de ce qu'on appelle « la réanimation ». Il Nous est agréable, Messieurs, de répondre à ce désir, qui manifeste la haute conscience que vous avez de vos devoirs professionnels et la volonté de résoudre les problèmes délicats, qui se posent à vous, à la lumière des principes de l'Evangile.

D'après l'exposé du Dr Haid, l'anesthésiologie moderne s'occupe non seulement des problèmes d'analgésie et d'anesthésie proprement dite, mais aussi de la « réanimation ». On désigne ainsi en médecine, et particulièrement en anesthésiologie, la technique susceptible de remédier à certains incidents menaçant gravement la vie humaine, en particulier les asphyxies qui, auparavant, lorsqu'on ne disposait pas de l'équipement anesthé-siologique moderne, conduisaient en quelques minutes à l'arrêt du coeur et à la mort. La tâche de l'anesthésiologue s'étend ainsi aux difficultés respiratoires aiguës, provoquées par la strangulation ou conditionnées par des blessures thoraco-pulmonaires



ouvertes ; il intervient pour empêcher l'asphyxie due à l'obstruction interne des voies respiratoires par le contenu stomacal ou par noyade, pour remédier à la paralysie respiratoire totale ou partielle en cas de tétanos grave, de paralysie infantile, d'empoisonnement par le gaz, les hypnotiques ou l'ivresse, ou même en cas de paralysie respiratoire centrale provoquée par des traumatismes crâniens graves.

Comment, en certains cas, l'intervention médicale par la réanimation de sérieux problèmes.

Lorsqu'on pratique la réanimation et le traitement de ces blessés du crâne, et parfois des opérés au cerveau, ou de ceux qui ont subi des traumatismes cervicaux par anoxie et restent plongés dans une profonde inconscience, surgissent des questions, qui intéressent la morale médicale et mettent en jeu les principes de la philosophie de la nature plus encore que celles de l'analgésie. Ainsi il arrive que l'anesthésiologue puisse, comme dans les accidents et maladies indiqués plus haut, et dont le traitement offre des chances suffisantes de succès, améliorer l'état général de patients souffrant de lésion grave du cerveau et dont le cas, dès le début, apparaissait désespéré : il rétablit la respiration, soit par intervention manuelle, soit à l'aide d'appareils spéciaux, libère les voies respiratoires et pourvoit à l'alimentation artificielle du patient. Grâce à cette thérapeutique, en particulier par l'administration d'oxygène au moyen de la respiration artificielle, la circulation défaillante reprend et l'aspect du patient s'améliore, souvent très vite, au point que l'anesthésiologue lui-même, ou tout autre médecin qui, se fiant à son expérience, aurait abandonné la partie, continue à caresser un léger espoir de voir se rétablir la respiration spontanée. La famille considère d'habitude cette amélioration comme un résultat étonnant, dont elle sait gré au médecin.

Si la lésion du cerveau est tellement grave qu'il est très probable, et même pratiquement certain, que le patient ne survivra pas, l'anesthésiologue en vient à se poser la question angoissante de la valeur et du sens des manoeuvres de réanimation. Pour gagner du temps et prendre avec plus de sûreté les décisions ultérieures, il appliquera immédiatement la respiration artificielle avec intubation et nettoyage des voies respiratoires. Mais il peut alors se trouver dans une situation délicate, si la famille considère ces efforts comme inconvenants et vient à s'y opposer. La plupart du temps, cela se produit non au début des tentatives de réanimation, mais lorsque l'état du patient, après une légère amélioration, ne progresse plus, et quand il est clair que seule la respiration artificielle automatique le maintient en vie. On se demande alors, si l'on doit, ou si l'on peut, poursuivre la tentative de réanimation, bien que l'âme ait peut-être déjà quitté le corps.

La solution de ce problème, déjà difficile en soi, le devient encore plus, lorsque la famille — catholique elle-même peut-être — contraint le médecin traitant, et particulièrement l'anes-thésiologue, à enlever l'appareil de respiration artificielle, afin de permettre au patient, déjà virtuellement mort, de s'en aller en paix. De là, découle une question fondamentale au point de vue religieux et pour la philosophie de la nature : selon la foi chrétienne, quand la mort est-elle survenue chez les patients, pour lesquels on a utilisé les procédés modernes de réanimation ? L'extrême-onction est-elle valide, du moins aussi longtemps que l'on peut constater une action cardiaque, même si les fonctions vitales proprement dites ont disparu déjà, et si la vie ne dépend plus que du fonctionnement d'un appareil respiratoire ?



Ces problèmes peuvent se formuler en trois questions.

Les problèmes qui se posent dans la pratique moderne de la réanimation peuvent donc se formuler en trois questions : d'abord a-t-on le droit, ou même l'obligation, d'utiliser les appareils modernes de respiration artificielle dans tous les cas, même dans ceux qui, au jugement du médecin, sont considérés comme complètement désespérés ? En second lieu, a-t-on le droit ou l'obligation d'enlever l'appareil respiratoire, quand, après plusieurs jours, l'état d'inconscience profonde ne s'améliore pas, tandis que, si on l'enlève, la circulation s'arrêtera en quelques minutes ? Que faut-il faire, dans ce cas, si la famille du patient, qui a reçu les derniers sacrements, pousse le médecin à enlever l'appareil ? L'extrême-onction est-elle encore valide à ce moment ? — Troisièmement, un patient plongé dans l'inconscience par paralysie centrale, mais dont la vie — c'est-à-dire la circulation sanguine — se maintient grâce à la respiration artificielle, et chez lequel aucune amélioration n'intervient après plusieurs jours, doit-il être considéré comme mort

« de facto », ou même « de jure » ? Ne faut-il pas attendre, pour le considérer comme mort, que la circulation sanguine s'arrête en dépit de la respiration artificielle ?



Principes de raison naturelle et de morale chrétienne qui permettront de formuler les réponses.

Nous répondrons bien volontiers à ces trois questions, mais avant de les examiner, Nous voudrions exposer les principes, qui permettront de formuler la réponse.

La raison naturelle et la morale chrétienne disent que l'homme (et quiconque est chargé de prendre soin de son semblable) a le droit et le devoir, en cas de maladie grave, de prendre les soins nécessaires pour conserver la vie et la santé. Ce devoir, qu'il a envers lui-même, envers Dieu, envers la communauté humaine, et le plus souvent envers certaines personnes déterminées, découle de la charité bien ordonnée, de la soumission au Créateur, de la justice sociale et même de la justice stricte, ainsi que de la piété envers sa famille. Mais il n'oblige habituellement qu'à l'emploi des moyens ordinaires (suivant les circonstances de personnes, de lieux, d'époques, de culture), c'est-à-dire des moyens qui n'imposent aucune charge extraordinaire pour soi-même ou pour un autre. Une obligation plus sévère serait trop lourde pour la plupart des hommes, et rendrait trop difficile l'acquisition de biens supérieurs plus importants. La vie, la santé, toute l'activité temporelle, sont en effet subordonnées à des fins spirituelles. Par ailleurs, il n'est pas interdit de faire plus que le strict nécessaire pour conserver la vie et la santé, à condition de ne pas manquer à des devoirs plus graves.

Quant au fait d'administrer les sacrements à un homme plongé dans l'inconscience, la réponse découle de la doctrine et de la pratique de l'Eglise, qui, pour sa part, suit comme règle d'action la volonté du Seigneur. Les sacrements sont destinés, en vertu de l'institution divine, aux hommes de ce monde, pendant la durée de leur vie terrestre et, à l'exception du baptême lui-même, présupposent le baptême chez celui qui les reçoit. Celui, qui n'est pas un homme, qui ne l'est pas encore, ou ne l'est plus, ne peut recevoir les sacrements. Par ailleurs, si quelqu'un manifeste son refus, on ne peut les lui administrer contre son gré. Dieu ne force personne à accepter la grâce sacramentelle. Quand on ignore, si quelqu'un remplit les conditions requises pour recevoir validement le sacrement, il faut tâcher de résoudre le doute. En cas d'échec, on conférera le sacrement sous condition, au moins tacite (avec la clause, Si capax es, qui est la plus large). Les sacrements sont institués par le Christ pour les hommes, afin de sauver leur âme ; aussi, en cas d'extrême nécessité, l'Eglise tente les solutions extrêmes pour communiquer à un homme la grâce et les secours sacramentels.

La question du fait de la mort, et celle de la constatation, soit du fait lui-même (de facto), soit de son authenticité juridique (de jure), ont par leurs conséquences, même sur le terrain de la morale et de la religion, une portée encore plus large. Ce que Nous venons de dire sur les présupposés essentiels de la réception valide d'un sacrement, l'a montré ; mais l'importance de la chose s'étend aussi aux effets en matière d'héritage, aux affaires de mariage et aux procès matrimoniaux, aux questions de bénéfices (vacance d'un bénéfice) et à beaucoup d'autres questions de la vie privée et sociale.

Il appartient au médecin, et particulièrement à l'anesthé-siologue, de donner une définition claire et précise de la « mort » et du « moment de la mort » d'un patient, qui décède en état d'inconscience. Pour cela, on peut reprendre le concept usuel de séparation complète et définitive de l'âme et du corps ; mais en pratique on tiendra compte de l'imprécision des termes de « corps » et de « séparation ». On peut négliger la possibilité qu'un homme soit enterré vivant, puisque l'enlèvement de l'appareil respiratoire doit après quelques minutes provoquer l'arrêt de la circulation et donc la mort.

En cas de doute insoluble, on peut aussi recourir aux présomptions de droit et de fait. En général, on s'arrêtera à celle de la permanence de la vie, parce qu'il s'agit d'un droit fondamental reçu du Créateur et dont il faut prouver avec certitude qu'il est perdu.

Nous passons maintenant à la solution des questions particulières.



L'anesthêsiologue a le droit, mais non pas l'obligation de pratiquer la respiration artificielle.

i. — L'anesthêsiologue a-t-il le droit, ou même est-il obligé dans tous les cas d'inconscience profonde, même dans ceux qui sont complètement désespérés au jugement d'un médecin competent, d'utiliser les appareils modernes de respiration artificielle, même contre la volonté de la famille ?

Dans les cas ordinaires, on concédera que l'anesthésiologue a le droit d'agir ainsi, mais il n'en a pas l'obligation, à moins que ce ne soit l'unique moyen de satisfaire à un autre devoir moral certain. Les droits et les devoirs du médecin sont corrélatifs à ceux du patient. Le médecin, en effet, n'a pas à l'égard du patient de droit séparé ou indépendant ; en général, il ne peut agir, que si le patient l'y autorise explicitement ou implicitement (directement ou indirectement). La technique de réanimation, dont il s'agit ici, ne contient en soi rien d'immoral ; aussi le patient — s'il était capable de décision personnelle — pourrait-il l'utiliser licitement et, par conséquent, en donner l'autorisation au médecin. Par ailleurs, comme ces formes de traitement dépassent les moyens ordinaires, auxquels on est obligé de recourir, on ne peut soutenir qu'il soit obligatoire de les employer et, par conséquent, d'y autoriser le médecin.

Les droits et les devoirs de la famille, en général, dépendent de la volonté présumée du patient inconscient, s'il est majeur et sui )uris. Quant au devoir propre et indépendant de la famille, il n'oblige habituellement qu'à l'emploi des moyens ordinaires. Par conséquent, s'il apparaît que la tentative de réanimation constitue en réalité pour la famille une telle charge qu'on ne puisse pas en conscience la lui imposer, elle peut licitement insister pour que le médecin interrompe ses tentatives, et le médecin peut licitement lui obtempérer. Il n'y a en ce cas aucune disposition directe de la vie du patient, ni euthanasie, ce qui ne serait jamais licite ; même quand elle entraîne la cessation de la circulation sanguine, l'interruption des tentatives de réanimation n'est jamais qu'indirectement cause de la cessation de la vie, et il faut appliquer dans ce cas le principe du double effet et celui du voluntarium in causa.



validité de l'extrême-onction en cas d'inconscience profonde.

2. — Ainsi avons-Nous déjà répondu pour l'essentiel à la deuxième question : « Le médecin peut-il enlever l'appareil respiratoire avant que ne se produise l'arrêt définitif de la circulation ? — Le peut-il du moins lorsque le patient a déjà reçu l'extrême-onction ? — Celle-ci est-elle valide, quand on l'administre au moment où la circulation s'arrête, ou même après ? »

Il faut répondre affirmativement à la première partie de cette question, comme Nous l'avons déjà expliqué. Si l'on n'a pas encore administré l'extrême-onction, que l'on tâche de prolonger encore la respiration jusqu'à ce que ce soit fait. Quant à savoir si l'extrême-onction est valide au moment de l'arrêt définitif de la circulation, ou même après celui-ci, il est impossible de répondre par « oui » ou « non ». Si cet arrêt définitif signifiait, de l'avis des médecins, la séparation certaine de l'âme et du corps, même si certains organes particuliers continuaient à fonctionner, l'extrême-onction serait certainement invalide, car celui qui la reçoit ne serait certainement plus un homme. Or, c'est là une condition indispensable à la réception des sacrements. Si par contre les médecins estiment que la séparation du corps et de l'âme est douteuse et que ce doute est insoluble, la validité de l'extrême-onction est douteuse elle aussi. Mais appliquant ses règles habituelles : « Les sacrements sont pour les hommes » et « en cas d'extrême nécessité, on tente les mesures extrêmes », l'Eglise permet d'administrer le sacrement, sous condition toutefois, par respect pour le signe sacramentel.



La constatation du fait de la mort d'un patient n'appartient pas à la compétence de l'Eglise.

3. — « Quand la circulation sanguine et la vie d'un patient profondément inconscient à cause d'une paralysie centrale ne sont maintenues que par la respiration artificielle, sans qu'aucune amélioration se manifeste après quelques jours, à quel moment l'Eglise catholique considère-t-elle ce patient comme „ mort " ou doit-on, selon les lois naturelles, le déclarer „ mort " (question de facto et de jure) ? »

(La mort est-elle déjà intervenue après le traumatisme crânien grave, qui a provoqué l'inconscience profonde et la paralysie respiratoire centrale, dont les conséquences immédiatement mortelles ont pu toutefois être retardées par le moyen de la respiration artificielle ? — ou se produit-elle, selon l'opinion actuelle des médecins, seulement lors de l'arrêt définitif de la circulation, en dépit de la respiration artificielle prolongée ?)

En ce qui concerne la constatation du fait dans les cas particuliers, la réponse ne peut se déduire d'aucun principe religieux et moral et, sous cet aspect, n'appartient pas à la compétence de l'Eglise. En attendant, elle restera donc ouverte.

Mais des considérations d'ordre général permettent de croire que la vie humaine continue aussi longtemps que ses fonctions vitales — à la différence de la simple vie des organes — se manifestent spontanément ou même à l'aide de procédés artificiels. Un bon nombre de ces cas font l'objet d'un doute insoluble, et doivent être traités d'après les présomptions de droit et de fait, dont Nous avons parlé.

Puissent ces explications vous guider et vous éclairer, lorsque vous tenterez de résoudre les questions délicates qui se posent dans la pratique de votre profession. En gage des faveurs divines que Nous appelons sur vous-mêmes, et sur tous ceux qui vous sont chers, Nous vous accordons de tout coeur Notre Bénédiction apostolique.


Pie XII 1957 - DISCOURS AU CONGRÈS INTERNATIONAL DES ÉCOLES PRIVÉES EUROPÉENNES