Augustin, Sermons 189

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SERMON CLXXXIX. POUR LE JOUR DE NOEL. VI. VÉRITÉ ET JUSTIFICATION.

ANALYSE. - Le Verbe naissant de la Vierge est la Vérité s'élevant de la terre. Or, ce qu'il se propose n'est pas seulement de nous éclairer, mais encore de nous justifier. Donc allons à lui et nous y attachons.

1. Le Jour, auteur de chaque jour, a pour nous, mes frères, sanctifié le jour présent. C'est de ce Jour suprême qu'il est dit dans un psaume: «Chantez au Seigneur un cantique nouveau; que toute la terre célèbre le Seigneur. Célébrez le Seigneur et bénissez son nom; bénissez son Sauveur, le Jour issu du Jour (1)». Quel est ce Jour issu du Jour, sinon le Fils issu du Père, lumière de lumière? Le Jour donc a engendré le Jour qui jaillit aujourd'hui du sein de la Vierge; et ce Jour par conséquent n'a ni lever ni coucher. J'appelle ici Jour Dieu le Père. Ce Jour en effet n'est-il pas lumière, non pas cette lumière que voient les yeux du corps et qui éclaire les animaux aussi bien que nous; mais la lumière qui brille aux yeux des anges et qui demande, pour arriver jusqu'à nous, que nous purifiions nos coeurs. Ne vivons-nous pas dans une nuit qui passe et durant laquelle sont allumés pour nous les flambeaux de l'Écriture? A cette nuit succédera le matin dont il est parlé dans ces mots d'un psaume: «Je me lèverai le matin devant vous et je vous contemplerai (2)».

1. Ps 95,1-2 - 2. Ps 5,5

2. Ce Jour donc qui n'est autre que le Verbe de Dieu, ce Jour qui éclaire les anges et qui rayonne dans cette patrie dont nous sommes exilés, s'est revêtu de chair et il est né de la Vierge Marie. Naissance merveilleuse! qu'y a-t-il de plus merveilleux que l'enfantement d'une Vierge, qu'une Vierge qui conçoit étant Vierge et qui enfante étant Vierge encore? Son Fils est ainsi formé de celle qu'il a formée; il lui a donné la fécondité, sans altérer en rien son intégrité.

D'où vient Marie? D'Adam. Et Adam? De la terre. Mais Marie venant d'Adam et Adam de la terre, ne s'ensuit-il pas que Marie est terre comme lui? Or, Marie étant terre, comme ne comprendre pas ce que nous chantons: «La Vérité s'est élevée de terre?» Qu'y gagnons-nous? «La Vérité s'est élevée de terre, et la justice a regardé du haut du ciel (1)», Pourquoi? C'est que, comme s'exprime l'Apôtre, «ignorant la justice de Dieu et cherchant à établir la leur, les Juifs ne se sont pas soumis à la divine justice». Comment un homme peut-il devenir juste? Est-ce par lui-même? Quel pauvre, Hélas! peut se donner du pain? Quel homme nu peut se couvrir si on ne lui donne des vêtements? D'où vient aussi la justice? Peut-elle exister sans la foi, puisque «c'est de la foi que vit le juste (2)?» Se dire juste quand on n'a pas la foi, c'est mentir. Or, si on ment lorsqu'on n'a pas la foi, il faut pour ne mentir pas, se tourner du côté de la Vérité. Mais la Vérité était bien éloignée; elle s'est levée de terre. Tu dormais,

1. Ps 124,12 - 2. Rm 1,17

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elle est venue près de toi; tu étais plongé dans un profond sommeil, elle t'a éveillé, et pour te détourner de ta perte, elle t'ouvre un chemin dans elle-même. Ainsi donc la Vérité s'élevant de terre, c'est le Christ naissant de la Vierge; et si la justice regarde du haut du ciel, c'est pour ramener à la sagesse les hommes que l'injustice en a éloignés.

3. Nous étions mortels, accablés du poids de nos péchés, chargés des châtiments mérités par nous. La vie de chacun ne commence-t-elle point par la souffrance? Pourquoi chercher des tireurs d'horoscopes? Questionne l'enfant qui vient au monde, comprends ses pleurs. Eh bien! la terre entière portait ainsi la colère de Dieu; mais tout à coup quel éclair de bonté! «La Vérité s'est élevée de terre». Celui qui a tout créé, vient d'être créé aussi. Il a fait le jour, il est mis au jour. Le Christ Notre-Seigneur est de toute éternité sans commencement dans le sein de son Père; il a maintenant son jour de naissance. Au commencement était le Verbe; si ce Verbe n'avait passé par une génération humaine, jamais nous ne parviendrions à être divinement régénérés; il est donc né pour nous faire renaître. Le Christ est né, comment hésiter de renaître? Il a été engendré, mais sans aucun besoin d'être régénéré. Eh! qui a besoin d'être régénéré, sinon celui qui est condamné dans sa génération même? Que sa miséricorde donc agisse dans nos coeurs. Sa mère l'a porté dans son sein; portons-le dans nos âmes. On a vu une Vierge enceinte du Christ incarné; remplissons nos coeurs de la foi du Christ. Une Vierge a enfanté le Sauveur; que notre âme à son tour enfante le salut, enfantons aussi la louange; ne soyons point stériles et que pour Dieu nos âmes soient fécondes.

4. Le Christ est sans Mère quand il est engendré de son Père, et sans Père, quand il est enfanté par sa Mère: générations merveilleuses! la première est éternelle, la seconde temporelle. L'Eternel est né de l'Eternel. Pourquoi s'en étonner? Il est Dieu. Qu'on pense à la Divinité, et toute surprise cessera. Qu'on mette de côté l'étonnement pour faire monter des cris de louanges; aie la foi, crois ce qui s'est accompli. Dieu ne s'est-il pas assez humilié pour toi? Il était Dieu, et il est né. Quelle étroite étable! il y est enveloppé de langes et déposé dans une crèche; qui ne serait surpris? Il remplit le monde et pour lui il n'y a point place dans une hôtellerie. Quoi! notre pain céleste placé dans une crèche! Ah! que de cette crèche s'approchent les deux peuples, comme deux animaux mystérieux. «Le boeuf a connu son maître, et l'âne, la crèche de son Seigneur (1)». Ne rougis point d'être pour ton Dieu l'un de ces animaux: tu porteras le Christ et tu ne- t'égareras pas; tues dans le vrai chemin, puisque le Christ te monte.

Oui, que le Seigneur nous monte aussi et qu'il nous mène où il lui plaît; soyons pour. lui comme des animaux de charge et allons à Jérusalem. Ce fardeau n'écrase pas, il soulève; guidés par lui nous ne nous égarerons pas; par lui allons à lui, afin de partager l'éternelle joie de l'Enfant qui naît aujourd'hui.

1. Is 1,3



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SERMON CXC. POUR LE JOUR DE NOEL. VII. TROIS CIRCONSTANCES.

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ANALYSE. - 1. Jésus-Christ a choisi pour naître le jour de l'année où les jours commencent à croître; c'est pour nous faire entendre que désormais nous devons croître dans la lumière et dans la sainteté; 2. il pouvait naître sans le concours d'une mère comme il est né sans père; mais il a voulu avoir une mère, afin de rendre l'espérance aux femmes comme il la rend tu hommes en se faisant homme; 3. il a voulu naître dans une étable, être déposé dans une crèche, comme s'il devait servir de nourriture aux animaux; c'était pour nous apprendre avec quelle docilité nous le devons servir et comment il se disposait à nous nourrir de lui-même.

1. Du sein de son Père où il était avant de naître de sa Mère, Jésus Notre-Seigneur a choisi non-seulement la Vierge qui devait le mettre au inonde, mais encore le jour où il y devait entrer. Des hommes égarés préfèrent souvent un jour à l'autre soit pour planter ou pour bâtir, soit pour se mettre en route et quelquefois même pour contracter mariage; et cela dans l'espoir d'obtenir de plus heureux résultats. Nul cependant ne fixe le jour même de sa naissance. Quant au Sauveur, il a pu le choisir comme il a pu choisir sa Mère, attendu que la création de l'une et de l'autre dépendait de lui.

Or, en préférant un jour à l'autre, il n'est pas entré dans les vaines idées de ces esprits superficiels qui attachent les destinées des hommes à la disposition des astres. Est-ce le jour de sa naissance qui a fait le bonheur du Christ? N'est-ce pas le Christ plutôt qui a béni le jour où il a daigné naître parmi nous? Aussi le jour de sa naissance est-il l'emblème mystérieux de la lumière qu'il vient répandre. «La nuit s'achève et le jour approche, dit l'Apôtre; rejetons par conséquent les oeuvres de ténèbres et revêtons-nous des armes de lumière; comme en plein jour vivons avec honnêteté (1)». Distinguons le jour et soyons jour nous-mêmes, car nous étions la nuit en vivant dans l'infidélité. Or, cette infidélité, qui s'était abattue sur le monde entier comme une nuit épaisse, devant diminuer à mesure que grandirait la foi, c'est pour cette raison qu'au jour de la naissance de Jésus-Christ la nuit commence à décroître et la lumière à croître.

1. Rm 13,12-13

Que ce jour, mes frères, soit donc pour nous un jour solennel; célébrons-le, non pas comme les infidèles, en considération du soleil, mais en considération de Celui quia créé le soleil même. Car si le Verbe s'est fait chair (1), c'était afin de vivre pour l'amour de nous sous le soleil. Son corps n'était-il pas éclairé par cet astre, pendant que sa majesté l'élevait au-dessus de tout cet univers où il l'a placé? Et ce même corps ne domine-t-il pas aujourd'hui ce soleil à qui rendent des honneurs divins les aveugle qui ne sauraient contempler le vrai Soleil à justice?

2. Aujourd'hui donc, chrétiens, célébrons non pas la génération divine du Christ, mais la naissance humaine qu'il a voulu recevoir pour s'accommoder à notre faiblesse, en se faisant visible, d'invisible qu'il était, afin de nous élever des choses visibles aux invisibles. La foi catholique en effet ne nous permet pas d'oublier ces deux générations du Sauveur, dont l'une est divine et l'autre humaine, dont l'une est au-dessus du temps et dont l'autre s'est accomplie dans le temps, mais qui sont toutes deux merveilleuses, puisque dans l'une le Sauveur n'a pas de Mère, ni de Père dans l'autre. Si nous ne comprenons pas celle-ci, comment peindre celle-là? Comment du reste comprendre un fait si nouveau, si singulier, unique dans le monde, un fait si incroyable lequel pourtant est devenu croyable et se trouver incroyablement accepté dans le monde entier, savoir qu'une Vierge ait conçu, qu'elle ait enfanté, et en enfantant soit demeurée Vierge

1. Jn 1,14

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Mais ce que ne saurait expliquer la raison humaine, la foi le saisit et cette foi grandit à mesure que la raison est en défaut. En effet qui oserait avancer que le Verbe de Dieu, par qui tout a été fait, n'aurait pu, même sans une Mère, se former un corps comme il en a formé un au premier homme, qui n'avait ni père ni mère?

Cependant, dès qu'il a créé les deux sexes, le sexe masculin et le sexe féminin et qu'il venait les délivrer l'un et l'autre, il a voulu en naissant les honorer tous deux. Vous connaissez assurément la chute du premier homme vous savez que le serpent n'osa s'adresser à Adam, et que pour l'abattre il eut recours à l'intermédiaire de la femme. A l'aide du plus faible des deux époux il gagna le plus fort, et après s'être servi de l'un pour aller à l'autre, il triompha de tous deux. Il était à craindre que sous l'impression d'une juste douleur nous n'eussions horreur de la femme comme de la cause de notre mort, et qu'elle ne fût considérée par nous comme irrémédiablement perdue. C'est pour écarter ce sentiment qu'en venant chercher ce qui était perdu, le Seigneur voulut honorer l'homme et la femme, perdus l'un et l'autre. Gardons-nous d'outrager le Créateur à l'occasion d'un sexe quelconque; sa naissance les invite à espérer le salut tous deux. La gloire du sexe masculin, c'est que le Christ en soit, et la gloire du sexe féminin, c'est que la Mère du Christ en fasse partie: La grâce du Christ a triomphé de l'astuce du serpent.

3. Ainsi donc que tous deux renaissent avec Celui dont nous honorons aujourd'hui la naissance et qu'ils célèbrent tous deux ce grand jour. Ce n'est pas d'aujourd'hui sans doute que date l'existence du Christ Notre-Seigneur, puisqu'éternellement il a existé dans le sein de son Père; mais c'est aujourd'hui qu'il a pris un corps dans le sein de sa Mère et qu'il s'est montré à nos yeux, rendant sa Mère féconde sans lui ôter rien de sa virginité. Ainsi il a été conçu, il est né et il est enfant. Or, qu'est-ce que cet Enfant? Enfant signifie incapable de parler, fari. Ainsi la Parole même ne peut parler. Mais si dans son corps il garde le silence, il parle par la bouche des anges; ceux-ci annoncent aux pasteurs le Prince et le Pasteur des pasteurs.

De plus il est déposé dans la crèche comme pour servir d'aliment au bétail fidèle. Un prophète n'avait-il pas fait cette prédiction: «Le boeuf reconnaît son maître, et l'âne, l'étable de son Seigneur (1)?» Aussi était-il monté sur un ânon lorsqu'aux acclamations des multitudes qui le précédaient et qui le suivaient, il fit son entrée à Jérusalem (2). Nous aussi reconnaissons-le, approchons-nous de la crèche, mangeons-y, et portons le Seigneur en nous laissant guider par lui, afin de parvenir ainsi à la Jérusalem céleste. Si la naissance humaine du Christ décèle l'infirmité, quelle majesté révèle sa génération dans le sein de son Père! Si dans le temps il compte un jour, n'est-il pas l'Eternel même engendré par le Jour éternel?

4. Il convient donc de nous enflammer d'ardeur aux accents de ce psaume qui retentit à nos oreilles comme l'éclat d'une trompette céleste: «Chantez au Seigneur un cantique nouveau; que toute la terre célèbre le Seigneur. Chantez le Seigneur et bénissez son nom (3)». Ainsi reconnaissons et publions la gloire de ce Jour issu du Jour, lequel reçoit aujourd'hui une naissance corporelle. Ce Jour issu du Jour est le Fils né du Père, Dieu de Dieu, lumière de lumière. Il est aussi le Sauveur dont il est dit ailleurs: «Que Dieu prenne pitié de nous et qu'il nous bénisse; qu'il fasse rayonner sa face au-dessus de nous; afin que sur la terre nous puissions connaître votre voie, et votre Sauveur parmi tous les peuples (4)». Sur la terre révèle la même idée que parmi tous les peuples; et votre voie désigne votre Sauveur. Ne nous souvient-il pas que le Seigneur a dit: «Je suis la voie (5)?» Tout à l'heure encore, pendant qu'on lisait l'Evangile, nous avons vu que le bienheureux vieillard Siméon avait reçu, d'un oracle divin, l'assurance de ne pas goûter la mort avant d'avoir contemplé le Christ du Seigneur. Il prit dans ses bras le divin Enfant, et reconnaissant la suprême grandeur dans ces petits membres «C'est maintenant, Seigneur, que selon votre parole vous laissez votre serviteur s'en aller en paix, puisque mes yeux ont vu votre Sauveur (6)».

Nous donc aussi «proclamons ce Jour issu du Jour, ce Sauveur de Dieu». Publions «sa gloire parmi les nations, ses merveilles parmi tous les peuples (7)». Il est couché dans une crèche, mais il supporte le monde; il prend

1. Is 1,3 - 2. Mt 21,1-9 - 3. Ps 94,1-2 - 4. Ps 66,2-3 - 5. Jn 14,6 - 6. Lc 2,26-30 - 7. Ps 95,2

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le sein, mais il nourrit les anges; il est enveloppé de langes, mais il nous donne le vêtement de l'immortalité; il est allaité, et en même temps adoré; pour lui il n'y a point, place dans l'hôtellerie, mais il s'élève un temple dans le coeur des croyants. Pour fortifier la faiblesse, la force s'affaiblit. Ah! sachons admirer cette naissance temporelle plutôt que de la dédaigner, et reconnaissons-y les abaissements profonds de la plus haute Majesté, et pour arriver à son éternité enflammons près de lui notre charité.




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SERMON CXCI. POUR LE JOUR DE NOEL. VIII. DE LA VIRGINITÉ.

ANALYSE. - Tel est l'amour du Sauveur pour la virginité, qu'au moment où il vient se soumettre de grand coeur à tant d'outrages, il ne veut qu'une vierge pour mère, exige de toute son Eglise qu'elle soit vierge de coeur, et comble de ses grâces privilégiées les chrétiens qui gardent la virginité spirituelle et corporelle, à l'exemple de Marie.

1. En se faisant chair, le Verbe du Père, par qui tout a été fait, nous donne à célébrer le jour de sa naissance dans le temps; Auteur divin de tous les jours, il a voulu en réserver un au souvenir de sa Nativité. Dans le sein de son Père il est antérieur à la longue suite des siècles; et en quittant aujourd'hui le sein de sa mère, il suit le cours des années. Créateur de l'homme, il se fait homme; il veut ainsi prendre le sein maternel, lui qui dirige les astres, condamner le Pain à endurer la faim, la Fontaine à avoir soif, la Lumière à dormir, la Voie à se fatiguer de la route, la Vérité à être accusée par de faux témoins, le Juge des vivants et des morts à être jugé par un mortel, la Justice à être condamnée par l'iniquité, la Règle à être flagellée, la Grappe à être couronnée d'épines, le Fondement de l'édifice à être suspendu, la Force à être affaiblie, la Santé même à être blessée et la Vie à mourir. Oui, c'était pour endurer en notre faveur ces énormités et d'autres encore; c'était pour délivrer des indignes, puisqu'en souffrant tant de maux pour l'amour de nous, il n'en avait mérité aucun, et qu'en recevant de lui tant de bienfaits nous n'étions pas dignes d'un seul; c'était, dis-je, dans ce but que Fils de Dieu avant tous les siècles et sans avoir eu jamais de commencement, il a daigné dans ces derniers jours se faire fils de l'homme; né de Père sans avoir été formé par lui, il est d'une Mère que lui-même a formée, redevable enfin de l'existence humaine à celle qui jamais et nulle part n'aurait existé sans lui.

2. Ainsi s'accomplit cette prédiction d'un psaume: «La Vérité s'est élevée de terre (1)». Cette terre est Marie, Vierge après l'enfantement comme avant de concevoir. Comment admettre la perte de l'intégrité dans ce corps dans cette terre d'où s'est élevée la Vérité? Aussi, quand, après sa Résurrection, le Sauveur était considéré, non pas comme ayant un corps, mais comme étant un pur esprit: «Palpez, dit-il, et voyez, car un esprit n'a chair ni ossements, comme vous voyez que j'en ai (2)». Or, ce corps jeune et ferme n'entrera pas moins dans l'appartement où étaient les disciples, quoique les portes en fussent fermées (3). Mais s'il a pu, malgré tout son développement, entrer par des portes closes, comment lui aurait-il été impossible, quand il était si petit, de sortir, sans le violer, du sein maternel? Toutefois les incrédules ne veulent admettre ni l'un ni l'autre de ces faits; et qui engage les croyants à les admettre avec

1. Ps 124,12 - 2. Lc 24,38 - 3. Jn 20,19

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plus de confiance, c'est qu'ils sont rejetés l'un comme l'autre par les incroyants, par ceux qui ne croient pas à la divinité du Christ. Mais avec la certitude que Dieu même s'est incarné, la foi ne doute pas que ces deux faits ne soient également possibles; que Dieu ait pu, dans la maturité de l'âge, pénétrer, sans l'ouvrir, dans une maison et montrer son corps à ceux qui s'y tenaient enfermés; qu'il ait pu aussi, devenu petit enfant, sortir comme un époux de son lit nuptial, du sein de la Vierge, sans blesser aucunement l'intégrité de sa Mère (1).

3. C'est là effectivement que le Fils unique de Dieu a pris la nature humaine afin de s'unir une Eglise immaculée comme son Chef. Aussi l'apôtre Paul dit-il que cette Eglise est vierge, non-seulement à cause des vierges proprement dites qu'il voit en elles; mais encore à cause de l'inviolable pureté qu'il désirait à toutes les âmes. «Je vous ai fiancés, écrit-il, «comme une vierge chaste pour vous présent au Christ, votre unique Epoux (2)». Afin donc d'imiter la Mère de son Seigneur, comme l'Eglise ne saurait être, par le corps, vierge et mère tout ensemble, elle l'est par l'esprit. Et quand le Christ veut que son Eglise soit vierge et qu'il la purifie des souillures contractées avec le démon, il aurait, en naissant, dépouillé sa Mère de sa virginité?

1. Ps 18,6 - 2. 2Co 11,12

O vous qui êtes le fruit de cette incorruptible virginité, vierges sacrées qui foulez aux pieds les noces terrestres et qui voulez rester vierges jusque dans votre corps, célébrez aujourd'hui avec joie, célébrez avec pompe l'enfantement de la Vierge. C'est une femme qui met au monde sans s'être approchée d'aucun homme. Ah! Celui qui vous a donné d'aimer ce que vous aimez, n'en a point privé sa Mère. Comment croire que guérissant en vous la maladie que vous avez héritée d'Eve, il corrompit en Marie la vertu qui pour vous a tant de charmes?

4. Il est donc sûr que cette Vierge, sur les traces de qui vous marchez, n'a point connu d'homme pour concevoir son Fils, et qu'elle est restée Vierge tout en le mettant au monde. Imitez-la dans la mesure de vos forces, non point dans sa fécondité, ce qui vous est interdit, mais dans toute sa pureté. Seule elle a pu joindre ces deux faveurs dont l'une a fixé votre choix, et vous perdriez celle-ci en voulant les réunir comme elle. Si elle a joui de l'une et de l'autre, c'est par la grâce du Tout-Puissant devenu son Fils; car au Fils de Dieu seul il était réservé de naître de cette manière pour devenir Fils de l'homme.

Néanmoins, de ce que le Christ ne soit Fils que d'une Vierge, ne concluez pas qu'il vous est étranger. Vous n'avez pu donner naissance à son humanité; mais voyez dans vos coeurs, il y est votre Epoux, et quel Epoux! Un Epoux à qui vous devez vous attacher comme à l'Auteur de votre félicité, sans craindre qu'il vous ravisse la virginité. Eh! si tout en naissant corporellement il n'a point ôté la virginité à sa Mère, ne vous la conservera-t-il pas bien mieux encore en vous donnant des embrassements purement spirituels? Gardez-vous encore de vous croire stériles en demeurant vierges; car la sainte pureté du corps contribue à féconder l'âme. Suivez les recommandations de l'Apôtre; et puisque vous ne vous souciez ni des choses du monde; ni de plaire à un mari, appliquez-vous aux intérêts de Dieu, cherchez à lui plaire en tout (1); plus féconde ainsi que votre corps, votre âme pourra s'enrichir de vertus.

Un mot enfin à vous tous; voici donc ce que j'ai à vous dire, à vous que l'Apôtre a fiancés au Christ comme une vierge chaste Ce que vous admirez extérieurement en Marie, reproduisez-le dans l'intérieur de votre âme. Croire de coeur pour être justifié, c'est concevoir le Christ; confesser de bouche pour être sauvé, c'est l'enfanter (2). Heureux moyen d'unir en vous la plus riche fécondité à une virginité constante!

1. 1Co 7,32-34 - 2. Rm 10,10




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SERMON CXCII. POUR LE JOUR DE NOEL. IX. BONTÉ DE DIEU DANS L'INCARNATION.

ANALYSE. - Quelque grandes que soient les merveilles qui se manifestent dans l'Incarnation, la bonté de Dieu s'y révèle avec plus d'éclat encore. C'est pour nous en effet qu'il s'est fait homme, c'est pour tous en général et pour chacun en pari culier; et quand il retourne au ciel, c'est encore pour veiller sur nous.

1. «La Vérité» aujourd'hui «s'est élevée de terre (1)»; le Christ est né de la chair. Livrez-vous à une sainte joie; que ce jour attache vos esprits à la pensée du jour éternel, souhaitez, espérez fermement les biens célestes, et puisque vous en avez reçu le pouvoir, comptez devenir enfants de Dieu. N'est-ce pas pour vous qu'est né dans te temps l'Auteur même des temps, pour vous que s'est montré au monde le Fondateur du monde, pour vous enfin que le Créateur est devenu créature? Pourquoi donc, ô mortels, mettre encore votre esprit dans ce qui est mortel? pourquoi consacrer toutes vos forces à retenir, s'il était possible, une vie fugitive? Ah! de plus brillantes espérances rayonnent sur la terre, et ceux qui l'habitent n'ont reçu rien moins que la promesse de vivre dans les cieux.

1. Ps 124,1

Or, pour faire croire à cette promesse, une chose bien plus incroyable vient d'être donnée au monde. Pour rendre les hommes des dieux, Dieu s'est fait homme; sans rien perdre de ce qu'il était, il a voulu devenir ce qu'il avait fait; oui, devenir ce qu'il a fait, unissant l'homme à Dieu, sans anéantir Dieu dans l'homme. Nous sommes étonnés de voir une Vierge qui devient Mère; il nous faut des efforts pour convaincre les incrédules de la réalité de cet enfantement tout nouveau, pour leur faire admettre qu'une femme a conçu sans le concours d'aucun homme; qu'elle a donné le jour à un Enfant dont aucun mortel n'était le père; enfin que le sceau sacré de sa virginité est resté inviolable au moment de la conception et au moment de l'enfantement. La puissance de Dieu se montre ici merveilleuse; mais sa miséricorde plus admirable encore, puisqu'à la puissance il a joint la volonté de naître ainsi. Il était le Fils unique du Père, avant de devenir le Fils unique de sa Mère; lui-même l'avait formée, avant d'être formé dans son sein; avec son Père il est éternel, et avec sa Mère il est enfant d'un jour; moins âgé que la Mère dont il est formé, il est antérieur à tout sans être formé de son Père; sans lui le Père n'a jamais existé, et sa Mère n'existerait pas sans lui.

2. Vierges du Christ, réjouissez-vous; sa Mère est l'une de vous. Vous ne pouviez donner le jour au Christ, et pour lui vous ne voulez donner le jour à personne. Il n'est pas né de vous, mais c'est pour vous qu'il est né. fa pourtant, si vous gardez, comme vous y êtes obligées, le souvenir de sa parole, vous aussi vous êtes ses mères, puisque vous accomplissez la volonté de son Père. N'a-t-il pas dit: «Quiconque fait la volonté de mon Père, celui-là est mon frère, et ma soeur, et ma mère (1)?» Veuves chrétiennes, réjouissez-vous: il a rendu la virginité féconde, et c'est à lui qua vous avez fait le veau sacré de continence. Réjouis-toi aussi, chasteté nuptiale, vous tous qui gardez la fidélité conjugale; conservez dans vos coeurs ce que n'ont plus vos corps Si la chair ne peut rester étrangère à certaines impressions, que la conscience soit vierge dans la foi, vierge comme l'est toute l'Eglise. La pieuse virginité de Marie a donné naissance au Christ; la longue viduité d'Anne l'a reconnu petit enfant; et pour lui a combattu la chasteté conjugale et la miraculeuse fécondité d'Elisabeth. Ainsi tous les ordres de l'Eglise.

1. Mt 12,50

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ont fait pour le Christ ce que par sa grâce des membres fidèles pouvaient en faveur de leur Chef.

Et vous, puisque le Christ est- la vérité, la paix et la justice, concevez-le par la foi, enfantez-le par vos oeuvres; que votre coeur fasse pour sa loi ce qu'a fait pour son corps le sein de sa Mère. Etes-vous étrangers à l'enfantement de la Vierge, puisque vous êtes les membres du Christ? A votre Chef Marie a donné naissance; à vous, c'est l'Église; car l'Église aussi est à la fois vierge et mère; mère, par les entrailles de la charité; vierge, par l'intégrité de la foi et de la piété. Elle enfante des peuples entiers; mais ils ne sont que les membres de Celui dont elle est à la fois et le corps et l'épouse; semblable encore, sous ce rapport, à la Vierge qui est devenue pour nous tous la Mère de l'unité.

3. Ainsi donc célébrons tous avec unanimité de coeur, célébrons avec des pensées chastes et de saintes affections, le jour de la naissance du Seigneur. C'est en ce jour, comme nous le disions en commençant, que «la Vérité s'est élevée de terre». Aussi bien ce que dit ensuite le même psaume est également accompli. En effet, comme Celui qui s'est élevé de terre, c'est-à-dire, qui est né de la chair, est descendu du ciel et se trouve au-dessus de tous (1); il est hors de doute qu'en remontant vers son Père, il est «la justice qui regarde du haut du ciel». Lui-même, en promettant l'Esprit-Saint, dit expressément qu'il est la justice. Cet Esprit, dit-il, «convaincra le monde au a sujet du péché, et de la justice, et du jugement. Du péché, parce qu'on n'a pas cru en moi; de la justice, parce que je vais à mon Père et que vous ne me verrez plus (2)». Telle est donc la justice qui regarde du haut du ciel.

1. Jn 3,31 - 2. Jn 16,8-10

«Elle s'élance d'une extrémité du ciel et s'étend jusqu'à l'autre».

Il était à craindre qu'on ne vînt à mépriser la Vérité à cause qu'elle s'est élevée de terre, lorsque, semblable à l'époux qui sort du lit nuptial, elle s'est élancée du sein maternel où le Verbe de Dieu avait contracté avec la nature humaine une ineffable union. Afin de détourner ces mépris, et pour empêcher que malgré sa naissance admirable, malgré ses paroles et ses oeuvres merveilleuses, la ressemblance de la chair du Christ avec la chair de péché ne fît voir en qui qu'un homme; après ces mots: «Pareil à l'époux sortant du lit nuptial, il s'est élancé comme un géant pour fournir sa carrière», viennent aussitôt ceux-ci: «Il est parti d'une extrémité du ciel (1)». Si donc, «la Vérité s'est élevée de «terre», c'était bonté de sa part, et non pas nécessité; miséricorde, et non pas dénuement. Pour s'élever de terre, cette Vérité est descendue des cieux; pour sortir de son lit nuptial, l'Époux s'est élancé d'une extrémité du ciel. Voilà pourquoi il est né aujourd'hui.

Ce jour est le plus court des jours de la terre; et c'est à dater de lui que les jours commencent à grandir. Ainsi Celui qui s'est rapetissé pour nous élever, a fait choix du jour qui est à la fois le moindre et le principe des grands jours. En naissant ainsi et malgré son silence, il nous crie en quelque sorte avec une voix retentissante, que pour nous il s'est fait pauvre et qu'en lui nous devons apprendre à être riches; que pour nous il s'est revêtu de la nature de son esclave et que nous devons en lui recouvrer la liberté; que pour nous il s'est élevé de terre et que nous devons avec lui posséder le ciel.

1. Ps 18,6-7




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SERMON CXCIII. POUR LE JOUR DE NOEL. X. JÉSUS NOTRE PAIX.

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ANALYSE. - Il convenait que les Anges félicitassent hautement Marie de sa divine maternité; il convient aussi que nous répétions le cantique des Anges, car c'est nous qui serons un jour la gloire de Dieu dans les cieux, et si nous avons bonne volonté, si nous demandons instamment la grâce divine au nom de Jésus-Christ Notre-Seigneur, lui-même sera notre paix.

1. A la lecture de l'Evangile, nous avons entendu ce chant des Anges annonçant aux bergers que Jésus-Christ Notre-Seigneur était né de la Vierge: «Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et sur la terre paix aux hommes de bonne volonté (1)». Ce chant solennel de félicitation ne s'adressait pas seulement à la Mère de l'Enfant divin, mais encore à toute l'humanité à qui elle venait de donner un Sauveur. Et ne convenait-il pas, n'était-il pas de haute bienséance que Celle qui venait de donner naissance au Seigneur du ciel et de la terre en conservant toute son intégrité virginale, fût félicitée non par des femmes qui lui auraient adressé des louanges humaines, mais par les Anges chantant la gloire de Dieu? Nous donc aussi élevons la voix, non pour annoncer à des bergers la naissance du Sauveur, mais pour la célébrer avec ses brebis fidèles; écrions-nous avec toute l'allégresse dont nous sommes capables, et avec tout le dévouement de notre coeur; écrions-nous à haute voix: «Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et sur la terre paix aux hommes de bonne volonté». De plus étudions, avec toute la force de notre attention, le sens de ces divines paroles, de ces louanges divines, de ce chant angélique; méditons-les avec foi, espérance et charité. Car, conformément à ce que nous croyons, à ce que nous espérons et à ce que nous désirons, nous aussi nous glorifierons Dieu au plus haut des cieux, lorsqu'à la résurrection de notre corps devenu spirituel, nous serons transportés dans les nues au-devant du Christ; pourvu toutefois que durant notre séjour sur la terre, nous unissions la paix à la

1. Lc 2,14

bonne volonté. La vie en effet n'est-elle pas au plus haut des cieux, puisque c'est là le séjour des vivants? Là aussi les jours ne sont-ils pas heureux, puisque le Seigneur y est toujours le même, sans que ses années diminuent? Or, quand on cherche la vie, quand on aspire à voir des jours heureux, on doit préserver sa, langue de toute parole mauvaise, et ses lèvres de tout artifice; on doit éviter le mal et faire le bien, afin d'être ainsi un homme de bonne volonté; chercher aussi la paix et courir à sa poursuite (1); car c'est «aux hommes de bonne volonté» qu'elle est assurée.

2. Diras-tu, ô mortel: «Je sens en moi le vouloir, mais je n'y trouve pas à faire le bien? Au fond du coeur aimes-tu la loi de Dieu, et vois-tu dans tes membres une autre! loi qui résiste à la loi de ton esprit et t'assujettit à cette même loi du péché qui est dans tes membres?» Maintiens-toi dans cette bonne volonté, et écrie-toi avec l'Apôtre: «Malheureux homme que je suis! Qui me délivrera du corps de cette mort? La grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur (2)». C'est lui en effet cette paix promise sur la terre aux hommes de bonne volonté, quand sera terminée cette guerre: «Où la chair convoite contre l'esprit et l'esprit contre la chair, sans vous laisser faire ce que vous voulez (3)»; car il a montré qu'il est réellement «notre paix, en unissant les deux en un (4)». Oui, maintenons notre bonne volonté en face de ces convoitises perverses, et en la maintenant, implorons le secours de la grâce de Dieu, par Jésus-Christ Notre-Seigneur. Sentons-nous le soulèvement de la loi charnelle? y avons-nous

1. Ps 33,13-15 - 2. Rm 7,18-25 - 3. Ga 5,17 - 4. Ep 2,14

même succombé? Implorons encore le secours divin, sans nous appuyer sur nos propres forces, et au moins dans cet accablement ne dédaignons point de nous humilier. Ainsi viendra à notre aide Celui qui disait À des hommes déjà croyants: «Si vous demeurez dans ma parole, vous serez vraiment mes disciples, et vous connaîtrez la vérité, et la Vérité vous rendra libres (1)». La Vérité donc viendra à notre aide et nous délivrera du corps de cette mort. Aussi quand cette Vérité, dont nous célébrons la naissance, «s'est élevée de terre (2)»; c'était pour être sur la terre la paix des hommes de bonne volonté.

Qui pourrait en effet vouloir et faire le bien, sans être aidé pour le pouvoir, sans le secours intérieur de Celui qui en gnous appelant nous a donné de vouloir? Aussi est-ce en tous sens que nous a prévenus sa miséricorde, et pour nous appeler quand nous ne le voulions pas, et pour nous faire obtenir de pouvoir ce que nous voulons? Disons-lui donc: «J'ai juré et

1. Jn 8,31-32 - 2. Ps 124,12

résolu de garder les arrêts de votre justice», je l'ai résolu, sans doute, et pour vous obéir; je vous ai même promis l'obéissance. Mais comme «je vois dans mes membres une autre loi qui résiste à la loi de mon esprit et qui m'assujettit à cette loi du péché qui est dans mes membres; je suis humilié de tous côtés. Seigneur, rendez-moi la vie, selon votre parole. Le vouloir est en moi; agréez donc, Seigneur, les voeux que vous offre ma volonté (1)»; afin de donner sur la terre la paix aux hommes de volonté bonne. Parlons à Dieu de cette sorte, disons-lui encore ce que nous suggérera notre piété, éclairée par de saintes lectures; ainsi nous ne célébrerons pas inutilement le Seigneur naissant d'une Vierge, nous dont la sanctification commence par la bonne volonté et se consomme par la charité parfaite, charité que répand dans nos coeurs, non pas nous, mais l'Esprit-Saint qui nous a été donné (2).

1. Ps 118,106-108 - 2. Rm 5,5





Augustin, Sermons 189