Augustin, Sermons 118

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SERMON CXVIII. L'ÉTERNITÉ DU VERBE (1).

1. Jn 1,1-3 (493)

ANALYSE. - Les premières paroles de l'Évangile de saint Jean prouvent l'éternité du Verbe, et si l'on se demande comment le Verbe engendré de Dieu peut être éternel comme Dieu, il suffit de se rappeler que l'éclat; produit par la lumière, est aussi ancien que la lumière elle-même.

1. Vous tous qui aimez tant à entendre parler l'homme, entendez l'unique Parole de Dieu. «Au commencement était le Verbe.» Sans doute, au commencement Dieu a fait le ciel et la terre;» «mais le Verbe était dès lors. Reconnaissons en lui le Créateur; car c'est le Créateur qui a fait, et la créature est son ouvrage; et cette créature, qui est son ouvrage n'a pas toujours existé comme a existé toujours le Verbe divin dont elle est l'oeuvre.

Mais où était ce Verbe dont il est dit qu'«il était au commencement?» Evidemment il était dans le Père; car le Père ne l'a ni créé ni formé, mais engendré. En effet, «au commencement Dieu a fait le ciel et la terre.» Par quel moyen les a-t-il faits? «Le Verbe était, et le Verbe» ou la Parole «était en Dieu.» Quel était ce Verbe ou cette Parole? Une parole qui retentit et qui passe? Une parole que l'on inédite et qui s'en va? Une parole que l'on se rappelle et que l'on prononce?

Nullement. Quelle était donc cette Parole? Pourquoi m'adresser tant de questions? «Cette Parole était Dieu.» Or en disant: «Cette Parole était Dieu,» nous ne faisons pas deux Dieux, nous nommons le Fils de Dieu, puisque la Parole ou le Verbe de Dieu est son Fils. Et s'il est Fils, n'est-il pas Dieu? Aussi bien «et le Verbe était Dieu.» Qu'est le Père? Il est Dieu, sans aucun doute. Si le Père est Dieu, si le Fils est Dieu également, n'y a-t-il pas deux Dieux? Non. Le Père est Dieu, le Fils est Dieu; mais le Père et le Fils ne sont qu'un seul Dieu.

Effectivement, le Fils unique de Dieu n'a pas été fait, il est né. «Au commencement Dieu fit le ciel et la terre;» mais le Verbe alors était né de son Père. N'est-ce pas une preuve qu'il a été fait par lui? Non. «C'est par lui que tout a été fait.» Si tout a été fait par lui, ne s'est-il pas fait aussi lui-même? Ne confonds point avec ce qui a été fait Celui qui a fait tout. Si en effet il a été fait, il n'a pas fait tout, il a été fait comme le reste. Il a été fait, tais-tu; mais est-ce par lui? Eh! qui peut donc se faire? Et s'il a été fait, comment a-t-il fait tout? Admettons avec toi qu'il a été fait, pour moi je ne nie pas qu'il ait été engendré; si donc il a été fait, par quoi, par qui l'a-t-il été? Est-ce par lui-même? Mais pour se faire lui-même il aurait dû exister avant d'être, et comme tout a été fait par lui, il est sûr que lui-même ne l'a pas été.

Ne peux-tu comprendre? Crois et tu comprendras; car la foi précède l'intelligence, et le prophète a dit: «Si vous ne croyez, vous ne comprendrez point (1).»

«Le Verbe» donc «était.» Ne demande pas en quel temps. «Le Verbe était.» Il fut pourtant, dis-tu, une époque où il n'était pas. C'est une assertion fausse, tu ne la lis nulle part; tandis que je lis: «Au commencement était le Verbe.» Que cherches-tu avant le commencement? Situ découvrais quelque chose avant le commencement, ce quelque chose ne serait-il pas le commencement même? N'est-ce pas avoir perdu le sens que de chercher quoique ce soit avant le commencement? Qu'est-ce donc qui a pu exister avant le commencement? «Au commencement était le Verbe.»

2. Mais le Père était aussi, diras-tu; il était donc avant le Verbe? - Que cherches-tu à savoir? - «Au commencement était le Verbe.» Comprends ce que tu vois et ne cherche pas ce que tu ne saurais trouver. Il n'y a rien avant le commencement.

«Au commencement était le Verbe.» Le Fils est la splendeur du Père, car il est dit de la Sagesse de Dieu ou de son Fils: «Elle est la splendeur de l'éternelle lumière (1).» Tu veux le Fils sans son Père? Montre-moi une lumière sans splendeur. S'il fut un temps où le Fils n'existait pas, le Père était donc alors une lumière ténébreuse; et comment n'eût-il pas été une lumière ténébreuse puisqu'il était, d'après toi, une lumière sans clarté? Ainsi donc le Père a toujours été, et le Fils toujours également; l'un n'a pas toujours existé sans que l'autre existât toujours. Tu me demandes si le Fils est né. Je réponds que oui;

1. Is 7,9 sel, LXX. - 2. Sg 7,26

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car s'il n'était né, il ne serait pas Fils, et si de toute éternité il est Fils, il est né de toute éternité. - Qui comprendra qu'il soit né de toute éternité? - Montre-moi du feu qui soit éternel, et je te montre en même temps une éternelle lumière. Combien nous bénissons le Seigneur de nous avoir donné les saintes Ecritures! En face de la lumière, ne soyez pas aveugles. N'est-il pas vrai que la splendeur est produite par la lumière et que néanmoins elle est aussi ancienne? Que fa lumière ait toujours existé, son éclat également aura existé toujours. La lumière engendre en quelque sorte son éclat; mais a-t-elle été jamais sans lui? Permettons à Dieu d'engendrer éternellement. Rappelez-vous, je vous en conjure, de qui nous parlons; prêtez l'oreille et soyez attentifs, croyez et comprenez; nous parlons de Dieu même. Nous confessons et nous croyons que le Fils est coéternel au Père. Mais, dit-on, quand un homme engendre un fils, le père est plus âgé et le fils l'est moins. Sans aucun doute, il est facile d'observer parmi les hommes que le père est plus âgé, que le fils l'est moins et que celui-ci a besoin d'acquérir par degrés la force de son père. - Pourquoi, sinon parce que l'un se développe et que l'autre vieillit? Que le père ne se laisse point entraîner par le mouvement du temps, le fils en grandissant le rejoindra bientôt et sera son égal. Voici qui fera mieux saisir. Tandis que la splendeur est de même date que le feu qui la produit, on ne voit parmi les hommes que des pères plus âgés que leurs enfants, jamais ils ne sont de même âge. Considérons donc, comme je l'ai dit, que la splendeur est de même date que le feu qui la produit, ce qui est incontestable, puisque le feu qui l'engendre n'est jamais sans elle. Mais en voyant la splendeur aussi ancienne que le feu, ne permettras-tu pas à Dieu d'engendrer un Fils aussi ancien que lui?

Vous qui comprenez, réjouissez-vous; et vous qui ne comprenez pas, croyez, car on ne saurait prescrire contre cette parole d'un prophète «Si vous ne croyez, vous ne comprendrez pas.»




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SERMON CXIX. LE VERBE FAIT CHAIR (1).

1 Jn 1,1-14

ANALYSE. - Tout grand, tout éternel que soit le Verbe de Dieu, il s'est fait chair, il est descendu jusqu'à nous, afin de nous élever jusqu'à lui.

1. Nous n'avons jamais cessé de vous annoncer, et toujours votre foi a été persuadée que Notre-Seigneur Jésus-Christ s'est fait homme pour chercher l'homme égaré, et que ce même Seigneur, qui s'est fait homme pour nous, a toujours été Dieu dans le sein de son Père, qu'il le sera ou plutôt qu'il l'est toujours, car il n'y a ni passé ni futur là où n'est point la mobilité du temps. En effet le passé n'est plus et le futur n'est pas encore, tandis que le Seigneur est toujours, puisqu'il existe véritablement, en d'autres termes, puisqu'il est immuable. C'est le grand et divin mystère que vient de nous rappeler la lecture de l'Evangile.

C'est saint Jean qui a exhalé en quelque sorte ce commencement de l'Evangile, qu'il avait comme puisé dans le coeur de son Maître. On vous l'a lu dernièrement encore; rappelez-vous donc comment ce saint Evangéliste reposait sur le sein du Seigneur, sur le sein du Seigneur, c'est-à-dire «sur sa poitrine,» comme il l'exprime clairement (1). Or en reposant ainsi sur la poitrine du Seigneur, que n'y puisait-il pas? Ne cherchons pas tant à nous l'imaginer qu'à en profiter, puisque nous aussi nous venons d'entendre de sublimes vérités.

2. «Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu.» Quelle prédication! Quels flots divins jaillissant de la poitrine du Seigneur! «Au commencement était le Verbe.» Pourquoi chercher ce qui était avant lui, puisqu'il «était au commencement?» Le Verbe n'a pas été créé, puisque tout a été créé par lui: mais s'il avait été créé,

1. Jn 13,23-25

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l'Ecriture dirait: Au commencement Dieu a fait le Verbe, comme il est dit dans la Genèse: «Au commencement Dieu a fait le ciel et la terre (1).» Dieu n'a donc pas fait le Verbe au commencement, puisqu'«au commencement était le Verbe.» Mais où était ce Verbe, qui était au commencement? Poursuis: «Et le Verbe était en Dieu.» Habitués à entendre chaque jour la parole humaine, estimons-nous assez ce terme de Verbe qui signifié parole? Garde-toi d'en faire ici peu de cas, car «le Verbe était Dieu; il était en Dieu au commencement. Tout a été fait par lui, et sans lui rien n'a été fait.»

3. Appliquez vos coeurs, suppléez à l'insuffisance de mon discours; écoutez ce que je pourrai dire et réfléchissez à ce que je ne dirai pas. Qui peut se représenter une parole immobile? Les nôtres passent en faisant du bruit. Afin donc de se figurer le Verbe subsistant, ne faut-il pas demeurer en lui? Veux-tu donc comprendre comment ce Verbe est immobile? ne suis pas le torrent charnel. Notre chair est comme un fleuve, puisqu'elle n'est jamais immobile. Les hommes en effet naissent des sources mystérieuses de la nature, ils vivent et ils meurent, sans savoir ni d'où ils viennent, ni où ils vont. Ainsi les eaux sont invisibles jusqu'au moment où elles jaillissent, elles coulent et on les voit dans le lit du fleuve, puis elles se perdent de nouveau dans la mer. Ah! dédaignons, dédaignons ce flot qui jaillit, qui coule et disparaît. «Toute chair n'est que de l'herbe et toute sa beauté ressemble à la fleur des champs; l'herbe s'est desséchée, la fleur est «tombée.» Veux-tu ne tomber pas? «Mais le Verbe du Seigneur demeure éternellement (2).»

4. Afin toutefois de nous venir en aide, «le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous.» Qu'est-ce à dire, «le Verbe s'est fait chair?» C'est-à-dire que l'or s'est fait herbe, il s'est fait herbe pour brûler; l'herbe en effet a brûlé, mais l'or est resté, et loin de se consumer avec l'herbe, il l'a transformée. Comment l'a-t-il transformée? En la ressuscitant, en lui rendant la vie, en l'élevant jusqu'au ciel, en la plaçant à la droite du Père.

Mais de quoi sont précédés ces mots: «Le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous?» Rappelons-le brièvement. «Il est venu chez lui, et les siens ne l'ont pas reçu. Mais à tous ceux qui l'ont reçu il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu,» de le devenir,

1. Gn 1,1 - 2. Is 11,6-8

car ils ne l'étaient pas, tandis que lui l'était dès le commencement. «Il a donc donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom, qui ne sont pas nés du mélange du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu.» Quel que soit leur âge proprement dit, voilà ce qu'ils sont, des enfants; regardez-les et soyez heureux. Voilà ce qu'ils sont, mais des enfants qui ont Dieu pour père; le sein de leur mère est l'eau du baptême.

5. Loin d'ici la pauvreté du coeur et l'indigence des pensées; que nul ne dise: Comment! «Le Verbe était au commencement, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu, tout a été fait par lui:» et voilà que ce même «Verbe s'est fait chair et a habité parmi nous!» Apprenez pourquoi. Il est sûr qu'à ceux qui croient en son nom il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu; et vous à qui il a donné ce pouvoir, ne regardez point cette transformation comme impossible. «Le Verbe s'est fait chair et a habité parmi nous.» Est-il étonnant que vous puissiez devenir fils de Dieu, quand pour vous le Fils de Dieu est devenu Fils de l'homme? S'il s'est abaissé, ne peut-il nous élever? S'il est descendu jusqu'à nous, est-il impossible que nous montions jusqu'à lui? Il s'est assujetti à notre mort, ne saurait-il nous donner sa vie? Pour toi il a enduré les maux qui t'étaient dus, ne pourra-t-il te communiquer les biens qui lui appartiennent?

6. Néanmoins, objecte-t-on, comment a-t-il été possible que le Verbe de Dieu, qui gouverne le monde, qui a créé et qui crée encore tout, se rapetissât dans le sein d'une Vierge, laissât le monde et quittât les anges pour s'enfermer dans les flancs d'une femme? - Tu n'entends rien aux choses de Dieu. Souviens-toi, ô homme, que je te parle de la toute-puissance du Verbe de Dieu. Le Verbe de Dieu a donc pu sans difficulté faire tout cela; également tout-puissant, et pour demeurer avec son Père, et pour venir parmi nous, et pour se montrer à nous dans un corps humain et pour demeurer invisible en lui. Il ne doit pas la vie à sa naissance corporelle. Il existait avant de prendre un corps; c'est lui qui a créé sa mère; il a fait choix de celle qui l'a conçu, il a créé celle qui devait le créer. Pourquoi cette surprise? C'est de Dieu que je te parle, car «le Verbe était Dieu.»

7. Il est ici question du Verbe, de la Parole; la parole humaine ne saurait-elle nous donner quelque idée de sa puissance? Quelle différence!

496

Il n'y a aucune comparaison à établir, et toutefois n'y peut-on signaler aucune ressemblance? Ainsi, la parole que je vous adresse était d'abord dans mon coeur; je te la donne et elle ne me quitte point; elle n'était pas en toi et elle y est, mais en y allant elle demeure en moi. De même donc qu'elle frappe tes sens sans quitter mon coeur, ainsi le Verbe divin s'est montré à nous sans quitter son Père. Ma parole était en moi et elle est devenue voix; le Verbe de Dieu était en son Père et il est devenu chair. Mais puis-je faire de ma voix ce qu'il a fait de sa chair? Ma voix s'envole et je ne puis la retenir; lui au contraire, complètement maître de sa chair en naissant, en vivant et en travaillant, l'a de plus ressuscitée après sa mort, puis il l'a conduite au Ciel comme le char sur lequel il était venu au milieu de nous. Donne à cette chair les noms de vêtement, de char ou de bête de somme, comme il est possible qu'il ait voulu nous l'indiquer lui-même en faisant placer sur cette monture le malheureux qui avait été blessé par les voleurs (1); donne-lui enfin le nom de temple qu'il s'est donné lui-même expressément (2); ce temple, après avoir été renversé, est maintenant assis à la droite du Père, et il viendra dans ce temple juger les vivants et les morts. Mais ce qu'il a enseigné par ses préceptes, il l'a montré par ses exemples et tu dois espérer pour ton corps ce que tu vois: dans le sien. Tel est l'objet de la foi, attache-toi à ce que tu ne vois pas encore; il est nécessaire que la foi te tienne lié à ce que tu ne vois pas, pour n'avoir pas à rougir lorsque tu seras en face.

1. Lc 10,34 - 2. Jn 2,19




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SERMON CXX. LE VERBE DE DIEU PARTOUT (1).

ANALYSE. - Afin de comprendre un peu comment le Verbe de Dieu est partout, rappelez-vous, non pas le soleil qui n'est pas en même temps partout, mais la parole humaine qui se trouve simultanément dans celui qui la prononce et dans tous ceux qui l'entendent.

1. Saint Jean commence ainsi son- Évangile: «Au commencement était le Verbe.» c'est ce qu'il a vu. S'élevant donc au dessus de toutes tes créatures, au dessus des montagnes et, de 1a région de l'air, au dessus des cieux et des astres, au dessus des Trônes, des Dominations, des Principautés, des Puissances, de tous les Anges et de tous les Archanges, s'élevant au dessus de tout, il a vu-le Verbe dès le commencement, et il s'en est pénétré; il l'a vu supérieur à toute créature, c'est le mystère dont il a puisé la connaissance dans le coeur du Seigneur. Car ce saint Évangéliste était chéri spécialement de Jésus, chéri au point qu'il reposait sur sa poitrine (2), et c'est là qu'il devait puiser ce secret pour le divulguer dans son Evangile. - Heureux ceux qui l'écoutent et le comprennent! Heureux aussi, mais moins heureux ceux qui le croient sans le comprendre! Quelle parole humaine pourrait expliquer l'immense bonheur de voir le Verbe de Dieu?

1. Jn 1,1-3 - 2Jn 12,23-25

2. Élevez vos coeurs, mes frères, élevez-les autant que vous en êtes capables; repoussez toute image corporelle, s'il s'en présente à vous. Ne te figure pas le Verbe de Dieu semblable à la lumière de ce soleil qui nous éclaire; si loin qu tu étendes, que tu portes cette lumière, quand même tu te la représenterais comme étant sans bornes, près du Verbe de Dieu elle ne serait rien. Ces sortes d'objets en effet sont moindres dam une de leurs parties que dans leur tout, tandis que le Verbe de Dieu est tout entier partout. Entendez bien ce que je dis: j'emploie toutes mes forces à me restreindre, pour l'amour de vous, dans lest limites de ma faiblesse. Entendez donc ce que je dis.

Voyez cette lumière qui descend du ciel et qu'on appelle la lumière du soleil: en se montrant elle éclaire la terre, elle forme le jour, elle donne aux objets leur beauté, elle en fait distinguer les diverses couleurs. Cette lumière est un grand bien, un grand bien accordé par Dieu à tous les mortels. Ah! qu'on loue le Seigneur à cause de ses oeuvres! Si le soleil est si beau, est-il rien de plus beau que Celui qui l'a fait!

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Faisons néanmoins une observation, mes frères: oui, le soleil répand ses rayons sur toute la terre, il pénètre tous les corps transparents; mais pénètre-t-il les corps opaques? Sa clarté passe à travers la fenêtre; traverse-t-elle la muraille? - Au Verbe de Dieu, au contraire, tout est accessible, rien n'est caché pour lui.

Considérez un autre caractère, saisissez combien la créature, surtout la créature corporelle, est distante du Créateur. Si le soleil est à l'Orient, il n'est pas à l'Occident. Sans doute la lumière qui s'échappe de ce globe immense se porte jusqu'en Occident; mais le soleil n'y est pas lui-même. Il y sera quand viendra l'heure de son coucher; car s'il est en Orient quand il se lève, il est en Occident quand il se couche. C'est même de son lever et de son coucher que viennent ces dénominations d'Orient et d'Occident, car il se trouve alors en ces lieux. Mais nulle part on ne le voit la nuit. En est-il ainsi du Verbe de Dieu? N'est-il pas en Orient en même temps qu'il est en Occident et en Occident quand il est en Orient? Quitte-t-il jamais la terre pour aller ou sous la terre ou loin de la terre? Il est tout entier partout. Mais qui peut l'expliquer? Qui le voit? Quelle preuve vous donner de cette vérité? Je suis un homme parlant à des hommes, un infirme parlant à de plus infirmes; et pourtant, mes frères, j'ose bien vous le dire, je vois, comme dans un miroir et en énigme, je vois et je comprends tant soit peu ce que je vous dis, et il y a pour l'exprimer une parole dans mon coeur. Cette parole cherche à en sortir pour aller à vous; mais elle ne rencontre point de véhicule convenable. Le véhicule de la parole est le son de la voix. Je cherche donc à vous dire ce que je me dis en moi-même, mais les paroles me manquent; car c'est du Verbe de Dieu que je veux vous entretenir, et quel Verbe! «Tout a été fait par lui.» Considérez ses oeuvres et tremblez devant lui. «Par lui tout a été fait.»

3. Reviens sur toi, infirmité humaine, reviens sur toi. Comprenons les choses humaines, si nous en sommes capables cependant. Nous sommes tous hommes, et nous qui parlons, et vous qui prêtez l'oreille; de plus nous émettons des sons de voix. Nous portons ces sons à l'oreille et par eux, autant qu'il est possible, l'intelligence à l'esprit. Eh bien! parlons de ce phénomène dans la mesure de nos forces, efforçons-nous de comprendre. Si nous ne comprenons même pas ce phénomène de la parole humaine, que sommes-nous près du Verbe de Dieu?

Vous m'écoutez maintenant, je parle: Si quelqu'un de vous venait à sortir et qu'on lui demandât ce qui se fait ici, il répondrait: L'Évêque parle. Oui je parle du Verbe. Mais quelle est ma parole et quel est ce Verbe? Parole mortelle et Verbe immortel; parole muable et Verbe immuable; parole qui passe et Verbe qui demeure éternellement. Examinez néanmoins cette parole. Je vous disais: Le Verbe de Dieu est tout entier partout. Voyez: je vous parle et ma parole se communique à tous. Mais pour qu'elle se communiquât à tous, vous l'êtes-vous partagée? Si je nourrissais, non pas vos âmes, mais vos corps, et si pour apaiser votre faim je mettais des aliments devant vous, ne seriez-vous pas obligés de vous les partager? Chacun de vous pourrait-il avoir tout? N'est-il pas sûr que si l'un de vous avait tout, les autres n'auraient rien? Eh bien! je vous distribue la parole, et tous vous l'entendez, vous la possédez, tous vous la possédez tout entière; elle parvient tout entière à tous et à chacun. O merveilles de ma parole! Que n'est donc pas le Verbe de Dieu?

Autre observation: J'énonce une pensée, et cette pensée se donne à vous sans me quitter, elle vous arrive sans se séparer de moi. Avant de l'exprimer je l'avais et vous ne l'aviez pas; je l'exprime et vous l'avez sans que je la perde. O prodige de ma parole! Que n'est donc pas le Verbe de Dieu?

Que les petites choses vous élèvent vers les grandes. Contemplez les merveilles de la terre et admirez les merveilles du ciel. Je suis créature, vous êtes également créatures, et si ma parole produit de tels prodiges dans mon coeur, sur mes lèvres, dans ma voix, dans vos oreilles et dans votre coeur, que penser du Créateur?

O Seigneur, écoutez-nous. Réparez-nous, car c'est vous qui nous avez faits; rendez-nous bons, puisque déjà vous nous avez éclairés. Ces fidèles en blanc, que vous avez éclairés, entendent votre parole dans ma bouche; c'est la lumière de votre grâce qui les tient ici devant vous dans ce jour que le Seigneur a fait. Ah! qu'ils travaillent et qu'ils prient pour ne devenir pas ténèbres, après ces solennités, puisqu'en eux reluisent aujourd'hui les prodiges et les bienfaits divins.




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SERMON CXXI. LES DEUX NAISSANCES (1).

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ANALYSE. - Le monde qui a rejeté Jésus-Christ n'est pas précisément le monde créé par lui; ce sont les hommes charnels que l'Écriture appelle le monde pour exprimer combien ils sont attachés aux choses du monde. Quant aux hommes qui ont reçu le Sauveur, ce sont ceux qui outre leur nature humaine ont reçu de Dieu et de l'Eglise une naissance toute spirituelle et toute divine, comme Jésus-Christ a reçu la vie par l'union sainte de l'Esprit divin et de la Vierge Marie.

1. «Le monde a été fait par» le Seigneur, «et le monde ne l'a point reconnu.» Quel est le monde qui a été fait par lui? et quel est le monde qui ne l'a point reconnu? Le monde fait par lui n'est pas celui qui ne l'a point reconnu. Quel est effectivement le monde fait par lui? Le ciel et la terre. Mais comment le ciel ne l'a-t-il pas reconnu, puisqu'à sa mort le soleil s'est obscurci? Comment la terre ne l'a-t-elle pas reconnu, puisqu'elle a tremblé lorsqu'il était suspendu à la croix? «Le monde» qui «ne l'a point reconnu» est celui qui a pour chef l'esprit mauvais dont il est dit: «Voici venir le prince de ce monde, et il ne trouve rien en moi (1).» On appelle monde les méchants et les infidèles, et ce nom leur vient de ce qu'ils aiment. En aimant Dieu nous devenons des dieux, et en aimant le monde nous sommes appelés monde. Cependant Dieu était dans le Christ et se réconciliait le monde (3). Tous forment-ils donc «le monde» qui «ne l'a point connu?»

2. «Il est venu chez lui, et les siens ne l'ont pas reçu.» Tout lui appartient, mais il était plus spécialement chez lui dans ce peuple dont faisait partie sa mère, où il avait pris un corps, à qui il avait fait annoncer longtemps auparavant son avènement futur, à qui il avait donné sa loi, qu'il avait délivré de la captivité égyptienne, et dont le père charnel, Abraham, avait été choisi par lui; car il a pu dire en toute vérité: «Je suis avant Abraham (4).» Il ne dit pas: Je suis avant que fût Abraham; ni: J'ai été fait avant qu'Abraham le fut; car «Au commencement était le Verbe;» il était, sans avoir été fait. «Il est donc venu chez lui,» parmi les Juifs; «et les siens ne l'ont pas reçu.»

3. «Mais à tous ceux qui l'ont reçu.» De là en effet sont les Apôtres qui l'ont reçu; de là aussi ceux qui portaient des rameaux devant sa monture, marchant devant et derrière lui, couvrant

1. Jn 1,10-14 - 2. Jn 14,30 - 3. 2Co 5,19 - 4. Jn 8,68

la route de leurs vêtements et criant à haute voix: «Hosanna au fils de David; béni soit celui qui vient au nom du Seigneur!» - «Faites taire ces enfants, qu'ils ne crient pas ainsi devant vous,» lui disaient les Pharisiens, et il répondait: «S'ils se taisent, les pierres crieront (1).»

Qu'entendre ici par pierres, sinon les adorateurs des pierres? Si les petits juifs se taisent, les petits et les grands crieront parmi les gentils, Qu'entendre par pierres, sinon ce qu'entendait Jean, ce grand homme qui est venu pour rendre témoignage à la lumière? Un jour en effet qu'il voyait des. Juifs s'enorgueillir d'être de la race d'Abraham, il les appela «race de vipères.» Ils se disaient les enfants d'Abraham, et lui les nommait «race de vipères.» N'était-ce pas Outrager Abraham lui-même? Nullement. Je leur donnais le titre que méritaient leurs moeurs, Fils d'Abraham, ils auraient dû imiter leur père, comme le leur rappelait le Sauveur même. «Nous sommes libres, jamais nous n'avons servi personne, nous ayons Abraham pour père.» Ainsi les Juifs parlaient-ils au Sauveur, qui leur répondait: «Si vous étiez fils d'Abraham, vous feriez les oeuvres d'Abraham. Parce que je vous dis la vérité, vous voulez me mettre à mort; c'est ce qu'Abraham n'a pas fait (3).» Vous êtes issus d'Abraham, mais vous avez dégénéré.

Que leur disait donc Jean? «Race de vipères, qui vous a montré à fuir devant la colère qui va venir? Faites donc de dignes fruits de pénitence, et ne songez pas à dire en vous-mêmes; «Nous avons Abraham pour père, car Dieu peut, de ces pierres mêmes, susciter des enfants à Abraham (4).» - «De ces pierres mêmes;» de celles qu'il voyait en esprit; car il parlait aux Juifs et nous avait en vue. «Dieu peut, de pierres mêmes, susciter des enfants à Abraham De quelles pierres? Si ceux-ci se taisent,

1. Mt 21,9-16 Lc 19,39-40 - 2. Jn 1,8 - 3. Jn 8,39-40 - 4. Mt 3,7-9

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«pierres crieront.» Vous venez d'entendre ces mots et vous les avez acclamés. Ainsi donc se vérifie l'oracle: «Les pierres crieront.» Car nous sommes issus de la gentilité et nous avons adoré les pierres dans la personne de nos parents. C'est pour ce motif encore que nous avons été comparés à des chiens. Rappelez-vous en effet ce qui fut dit à cette femme qui criait derrière le Seigneur. Comme elle était Chananéenne, asservie au culte des idoles et liée au service des démons, que lui dit Jésus? «Il ne convient pas de prendre le pain aux enfants et de le jeter aux chiens. N'avez-vous remarqué jamais comment les chiens lèchent les pierres engraissées? Tels sont les adorateurs d'idoles. Mais la grâce de Dieu est descendue en vous. A tous ceux qui l'ont reçu il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu.» Voici des fils nouveau-nés. «Il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu.» Pourquoi? «Parce qu'ils croient en son nom.»

4. Et comment deviennent-ils enfants de Dieu? En ne naissant «ni du mélange des sangs, ni de la volonté de l'homme, ni de la volonté de la chair, mais de Dieu.» Après avoir reçu le pouvoir de devenir enfants de Dieu, ils sont nés de Dieu. Remarquez bien: ils sont nés de Dieu, «non pas du mélange des sangs,» comme dans cette première génération, génération pleine de misère et produite par la misère. Qu'étaient en effet ces nouveaux fils de Dieu? Comment étaient-ils nés d'abord? Du mélange des sangs du père et de la mère, du rapprochement des corps. Et aujourd'hui! «C'est de Dieu qu'ils sont nés.» Leur première naissance était due à un homme et à une femme; la seconde est due à Dieu et à l'Église.

5. Ainsi donc il sont nés de Dieu. Pourquoi sont-ils nés de Dieu après avoir reçu d'abord une naissance humaine? Pourquoi? Pourquoi? C'est que «le Verbe s'est fait chair afin d'habiter parmi nous.» Quel contraste! Lui se fait chair; et eux deviennent esprits. Quelle condescendance, mes frères! Préparez vos âmes à espérer et à recueillir de plus signalés bienfaits encore. Ne vous attachez pas aux passions du siècle. On vous a achetés cher; pour vous le Verbe s'est fait chair, pour vous le Fils de Dieu est devenu fils de l'homme; ainsi veut-il que les enfants des hommes deviennent les enfants de Dieu. Qu'était-il, et qu'est-il devenu? Qu'étiez-vous et qu'êtes-vous devenus? Il était Fils de Dieu. Qu'est-il devenu Fils de l'homme. Et vous, qui étiez fils des hommes, qu'êtes-vous devenus? Des fils de Dieu. Il a partagé nos maux pour nous communiquer ses biens.

En qualité même de fils de l'homme, il est bien élevé au dessus de nous. Nous devons notre vie humaine à la convoitise de la chair; il doit la sienne à la foi d'une Vierge. Chacun de nous est né d'un père et d'une mère; le Christ est né de l'Esprit-Saint et de la Vierge Marie.

Mais en s'approchant de nous, il ne s'est pas éloigné beaucoup de lui-même; ou plutôt il ne s'en est pas éloigné en tant que Dieu, et il n'a fait qu'ajouter sa nature à la nôtre; car en s'unissant à ce qu'il n'était pas, il n'a point sacrifié ce qu'il était; sans cesser d'être le Fils de Dieu, il est devenu fils de l'homme. Ainsi s'est-il établi Médiateur; médiateur, tenant le milieu, n'étant ni en haut ni en bas; ni en haut, parce qu'il est homme, ni en bas, parce qu'il n'est point pécheur. Et toutefois il est en haut en tant que Dieu, car en venant parmi nous il n'a pas quitté son Père. C'est ainsi qu'en remontant au ciel il ne nous a pas quittés, et qu'en revenant vers nous il ne quittera pas non plus son Père.




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SERMON CXXII. JÉSUS ET NATHANAËL (1).

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1. Jn 1,48-51

ANALYSE. - Jésus dit à Nathanaël qu'il l'a vu sous le figuier, mais que lui-même ensuite verra le Fils de l'homme servi par les Anges. Que signifie ce langage? - Le figuier rappelle le péché de nos premiers parents: Jésus veut donc dire qu'il a vu Nathanaël dans l'état du péché. Nathanaël verra ensuite le Fils de l'homme dans sa gloire servi pas les Anges: c'est une allusion au songe ni mystérieux de Jacob où tout figurait le Christ, soit la pierre parfumée d'onction, soit l'ange qui se laissa vaincre volontairement, soit Jacob même qui représente à la fois: le peuple juif dans sa partie réprouvée et dans sa partie fidèle, car le patriarche est à la fois boiteux et béni de Dieu; le peuple chrétien qui a supplanté le peuple Juif et qui verra Dieu dans sa gloire; le Christ enfin, car les Anges descendent et montent en même temps vers lui, c'est que le Christ est en même temps dans le ciel et sur la terre.

1. Si nous comprenons bien ce que Jésus-Christ Notre-Seigneur vient de dire à Nathanaël; nous verrons que ses paroles ne s'adressaient pas seulement à lui. C'est en effet le genre humain tout entier que le Seigneur a vu sous le figuier. Le figuier en cet endroit signifie évidemment le péché. Le figuier n'a point partout cette signification, irais il l'a ici, comme je l'ai avancé, et ce qui porte à le croire, c'est que le premier homme, après son péché, se couvrit de feuilles de figuier, vous ne l'ignorez pas (Gn 3,7). Dans la confusion que leur inspirait leur crime; nos premiers parents voilèrent sous ces feuilles des membres que Dieu leur avait donnés et dont eux-mêmes venaient de faire des Membres honteux. Assurément on ne doit pas rougir de l'oeuvre de Dieu, le péché seul produit la confusion, et sans le péché; la nudité même n'inspirerait aucune honte. Aussi bien Adam et Eve étaient-ils nus sans en rougir; ils n'avaient rien fait d'humiliant.

Pourquoi ces réflexions? Pour nous amener à comprendre comment le figuier rappelle le péché. Que signifie alors: «Je t'ai vu lorsque tu étais sous le figuier?» Je t'ai vu lorsque tu étais asservi au péché. Se rappelant alors un fait particulier, Nathanaël se souvint qu'il s'était trouvé effectivement sous un figuier et que Jésus n'était point là. Non, il n'y était pas de corps, mais où n'est point le regard de son esprit? Nathanaël sachant donc qu'il s'était trouvé seul sous le figuier et que le Christ n'était point là, bien qu'il lui ait dit: «Je t'ai vu lorsque tu étais sous le figuier,» comprit qu'il était Dieu et s'écria: «C'est vous le Roi d'Israël.»

2. Le Seigneur reprit: «Parce que je t'ai dit je t'ai vu lorsque tu étais sous le figuier, tu t'étonnes; tu verras de plus grandes choses.» - Lesquelles? - «Vous verrez le ciel ouvert et les Anges de Dieu montant et descendant vers le Fils de l'homme.»

Rappelons une ancienne histoire consignée dans un de nos livres saints, dans la Genèse. Jacob voulant s'endormir plaça une pierre sous sa tête. Or il vit en songe une échelle qui allait de la terre jusqu'au ciel; au dessus s'appuyait le Seigneur et sur les degrés de cette échelle les anges montaient et descendaient. Voilà ce que vit Jacob. Ce songe ne serait pas dans l'Ecriture s'il ne désignait quelque profond mystère et s'il ne contenait quelque prophétie importante. Aussi Jacob l'ayant compris plaça en cet endroit une pierre sur laquelle il répandit de l'huile (Gn 28,11-18).

Vous connaissez la nature du chrême; ici donc voyez aussi le Christ. Il est la pierre rejetée par les constructeurs et devenue pierre angulaire (Ps 117,22), Il est la pierre dont lui-même a dit: «Celui qui se heurtera contre cette pierre sera écrasé, et celui sur qui elle tombera sera brisé (Mt 21,44).» On se heurte contre elle quand elle est à terre; elle tombera quand elle viendra du ciel juger les vivants et les morts. Malheur aux Juifs qui se sont heurtés contre le Christ, lorsqu'il était à terre dans son humilité! «Cet homme, disaient-ils, ne vient pas de Dieu, puisqu'il viole le Sabbat (Jn 9,16).» - «S'il est le Fils de Dieu, qu'il descende de la croix (Mt 27,40).» Insensé! tu ris parce que la pierre est à terre; mais tu montres en riant combien tu es aveugle, et dans ton aveuglement tu te heurtes, et en te heurtant tu te brises, et après t'être brisé contre cette pierre qui maintenant est à terre, tu seras broyé par elle lorsqu'elle viendra d'en haut.

Ainsi donc Jacob fit une onction à la pierre, Etait-ce pour en faire une idole? C'était pour en faire un monument et non pour l'adorer. Maintenant donc revenons à Nathanaël, puisque c'est (501) à son occasion que Jésus Notre-Seigneur a voulu nous expliquer la vision de Jacob.

3. Vous êtes instruits à l'école du Christ, vous savez que Jacob s'appelle en même temps Israël. Le même homme porte deux noms: le premier, qui signifie supplantateur, lui fut donné au moment de sa naissance. Esaü en effet naquit le premier de ces deux frères jumeaux, et on remarqua que la main de Jacob lui tenait le pied; il lui tenait le pied pendant qu'Esaü sortait le premier du sein maternel, et lui-même n'en sortit qu'après. Or c'est parce qu'il lui tenait ainsi la plante du pied qu'il fut appelé Jacob (Gn 25,25), c'est-à-dire supplantateur. Plus tard, lorsqu'il revenait de Mésopotamie, il lutta sur la route contre un ange. Un homme peut-il lutter vraiment avec un ange? Ici donc il y a un mystère, une espèce de sacrement, une prophétie, une figure, que nous devons nous attacher à comprendre.

Remarquez de plus, en effet, comment lutta Jacob. Il l'emporta sur l'ange, dans la lutte, ce qui renferme une signification profonde; et après l'avoir emporté sur lui, il le retint; oui, l'homme vainqueur retint l'ange vaincu. «Je ne te laisse pas aller, lui dit-il, si tu ne me bénis.» Quelle idée de Jésus-Christ dans cette bénédiction donnée par le vaincu au vainqueur! Ce fut alors que cet ange, en qui nous voyons Jésus Notre-Seigneur, dit à Jacob: «Tu ne t'appelleras plus Jacob, tu porteras le nom d'Israël;» Israël, qui voit Dieu. Il lui toucha ensuite le nerf de la cuisse, dans toute son étendue; et ce nerf se dessécha, et Jacob devint boiteux (Gn 32,24-32). Voilà ce que fit le vaincu. Même après sa défaite il fut capable de toucher la cuisse de son vainqueur et de le rendre boiteux. N'est-ce donc pas volontairement qu'il fut vaincu? C'est qu'il avait le pouvoir de déposer ses forces, et le pouvoir de les reprendre (Jn 10,18). S'il ne s'irrite point d'être vaincu, il ne s'irrite point non plus d'être crucifié. Il bénit même son vainqueur en lui disant: «Tu ne t'appelleras plus Jacob, mais Israël.» Ainsi le supplantateur voyait Dieu.

Je l'ai déjà dit, l'ange en touchant Jacob le rendit boiteux. Vois dans Jacob la figure du peuple juif: vois-y d'abord ces milliers d'hommes qui suivaient et qui précédaient le Seigneur sur sa monture, qui s'unissaient aux Apôtres pour adorer le Seigneur et qui s'écriaient: «Hosanna au Fils de David; béni soit Celui qui vient au nom du Seigneur (Mt 21,9)!» Voilà Jacob en tant qu'il a reçu la bénédiction. S'il est resté boiteux, c'est pour représenter les Juifs restés dans le Judaïsme. L'étendue du nerf blessé désigne le grand nombre de Juifs qui ne sont pas Chrétiens. Il est un psaume qui parle d'eux. Ce psaume prédit d'abord la conversion des gentils. «Un peuple que je ne connaissais pas m'a servi, il m'a prêté une oreille docile.» Ainsi donc la foi vient par l'audition, et l'audition par la parole du Christ (Rm 10,17). Le Psaume continue: «Mes enfants rebelles m'ont menti, mes enfants rebelles se sont endurcis et ont boité dans leurs voies (Ps 17,45-46).» Voilà bien Jacob, Jacob béni et Jacob boiteux.

4. N'oublions pas, à cette occasion, d'examiner une question qui pourrait se présenter à quelqu'un d'entre vous et le préoccuper. Abraham aussi, l'aïeul de Jacob, changea de nom. Il s'appelait d'abord Abram et Dieu lui donnant un autre nom lui dit: «Tu ne t'appelleras plus Abram, mais Abraham (Gn 17,5).» Pourquoi donc, désormais, ne s'appelle-t-il plus Abram? Feuilletez les Ecritures et vous remarquerez qu'avant de recevoir un nom nouveau il n'était désigné que sous le nom d'Abram: et qu'après avoir reçu ce nouveau nom, il ne s'appelait plus qu'Abraham. Pour changer le nom de Jacob ont dit comme à Abraham: «Tu ne t'appelleras plus Jacob, mais tu l'appelleras Israël.» Eh bien! feuilletez aussi les Ecritures, et vous observerez que Jacob porta toujours ces deux noms de Jacob et d'Israël. Abraham, après son changement de nom, ne fut plus appelé qu'Abraham; et après avoir également changé de nom, Jacob fut appelé en même temps Jacob et Israël. C'est que la signification du nom d'Abraham devait recevoir son accomplissement dans ce siècle: ce nom signifie en effet qu'Abraham est devenu le père de peuples nombreux, tandis que le none d'Israël nous reporte vers l'autre monde où nous verrons Dieu.

Aussi le peuple de Dieu, le peuple chrétien est maintenant tout à la fois Jacob et Israël, Jacob en réalité et Israël en espérance. Ce peuple puîné n'a-t-il pas effectivement supplanté son frère aîné? N'avons-nous pas supplanté le peuple juif? Nous pouvons dire que nous les avons supplantés, puisque c'est à cause de nous qu'ils le sont. S'ils n'étaient tombés dans l'aveuglement, ils n'auraient pas crucifié le Christ; si le Christ n'eût été crucifié, son sang précieux n'eût pas été (502) répandu; et si son sang n'eût pas été répandu, il n'aurait pas racheté l'univers. Et comme leur aveuglement nous a servi, l'aîné a dû être supplanté par le puîné, nommé pour ce motif supplantateur. Mais combien de temps le sera-t-il?

5. Viendra un jour, viendra la fin du siècle et tout Israël se convertira, non pas les Israëlites d'aujourd'hui, mais leurs descendants. Car en poursuivant leurs voies ils aboutiront, ils arriveront à la damnation éternelle. Mais quand ce peuple entier sera entré dans l'unité, alors s'accomplira ce que nous chantons: «Je serai rassasié, lorsque se manifestera votre gloire (Ps 16,15);» lorsque se réalisera la promesse qui nous est faite, de vous voir face à face. Nous voyons aujourd'hui dans un miroir, en, énigme et en partie seulement; mais quand également purifiés, ressuscités, couronnés, devenus immortels et incorruptibles- à tout jamais, les deux peuples verront Dieu face à face et qu'il n'y aura plus de Jacob, mais seulement un Israël; le Seigneur alors le contemplera comme il contemplait ce saint Nathanaël et il dira: «Voilà un véritable Israëlite, en qui il n'y a point d'artifice.»

En entendant ces mots: «Voilà un véritable Israëlite,» rappelle-toi Israël, et en te rappelant Israël, souviens-toi de ce songe durant lequel Israël vit une échelle qui allait de la terre au ciel, le Seigneur appuyé sur cette échelle, et les Anges qui y montaient et y descendaient. Ce fut après ce songe, quelque temps après, quand il revenait de Mésopotamie, durant le voyage même, que Jacob reçut le nom d'Israël. Jacob donc, Jacob ou Israël ayant vu cette échelle mystérieuse, et Nathanaël étant de son côté un vrai Israélite sans aucun artifice, ne comprends-tu pas pour quel motif le Seigneur lui répondit: «Tu verras de plus grandes choses;» et pour quel motif il lui rappela le songe de Jacob, lorsqu'il le vit étonné de cette parole: «Je t'ai vu sous le figuier?» A qui en effet le Sauveur parlait-il ainsi? A un homme qu'il venait d'appeler un Israélite véritable et sans artifice. C'est donc comme s'il lui eût dit: Tu verras s'accomplir en toi le songe de celui dont je t'ai donné le nom; assez de cette admiration prématurée; tu verras de plus grandes choses. «Tu verras le ciel ouvert, et les Anges de Dieu montant et descendant vers le Fils de l'homme.» Voilà bien ce que vit Jacob; voilà pourquoi il répandit de l'huile sur la pierre; voilà pourquoi, devenu prophète, il érigea ce monument comme figure du Christ; car tout cela était prophétique,

6. Je sais ce que vous attendez maintenant, je comprends ce que vous demandez de moi. Je l'exprimerai en peu de mots également et comme Dieu m'en fera la grâce.

«Les Anges descendaient et montaient vers le Fils de l'homme.» S'ils descendent vers lui, n'est-il pas en bas? et s'ils montent vers lui, n'est-il pas en haut? Et s'ils montent vers lui et y descendent tout à la fois, n'est-il pas en même temps et en haut et en bas? Non, il n'est pas possible que dès Anges descendent et montent en même temps, s'il n'est en même temps et en haut où ils montent, et en bas où ils descendent, Mais comment prouver qu'il est tout à la fois et ici et là? Paul nous répondra. Il portait d'abord le nom de Saut, il était d'abord persécuteur; ce fut alors qu'il comprit ce problème et qu'il devint prédicateur. Jacob d'abord, et Israël ensuite, de la race d'Israël et de la tribu de Benjamin (Ph 3,5), il nous montrera que le Christ est en même temps au ciel et sur la terre. N'est-ce pas ce que lui fil entendre dès le principe cette grande voix descendue du ciel: «Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu (Ac 9,4)?» Paul en effet était-il monté au ciel? Avait-il contre le ciel lancé même une pierre? C'était les Chrétiens qu'il persécutait, les Chrétiens qu'il enchaînait, les Chrétiens qu'il traînait à la mort, cherchant à les découvrir partout dans leurs retraites et ne leur pardonnant jamais quand il était parvenu à les découvrir. Le Christ notre Seigneur lui cria donc alors: «Saul, Saul.» D'où lui criait le Sauveur? Du haut du ciel. Il y est donc. «Pourquoi me persécutes-tu?» Il est donc sur la terre.

J'ai tout expliqué, bien qu'en peu de mots et comme je l'ai pu, à votre charité. J'ai donné comme j'y suis obligé; à vous maintenant de vous occuper des pauvres, selon, votre devoir. Tournons-nous etc. (3).

3. serm. I.



Augustin, Sermons 118