Augustin, Sermons 211

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SERMON CCXI. POUR LE CARÊME. VII. DU PARDON DES INJURES.

ANALYSE. - Le temps même où nous sommes nous invite à vivre en paix: avec nos frères et à leur pardonner leurs torts. Comment prier, comment se mettre en face de ce que dit l'Ecriture coutre. ceux qui conservent de la haine, si on ne pardonne pas? - Je voudrais pardonner, mais lui ne veut pas de réconciliation? C'est son malheur et ce n'est plus ta faute. - Je voudrais pardonner, mais lui ne veut pas me demander pardon? Remarque qu'il ne doit pas te le demander s'il ne t'a point offensé; s'il est ton supérieur, s'il a à craindre de te nuire et de t'inspirer de l'orgueil en te demandant pardon, il doit te faire, sentir autrement, comme par quelques paroles bienveillantes, qu'il se repent de t'avoir manqué. Supposons maintenant qu'il te doive demander pardon et qu'il ne le fasse pas; comme tu es très-sincèrement disposé à le lui accorder, tu, n'es pas répréhensible. - Beaux exemples de pardon que nous donne Jésus-Christ!

1. Ces saints jours que nous consacrons à l'observation du Carême, nous invitent à vous entretenir de l'union fraternelle, à vous engager d'en finir avec les ressentiments que vous pouvez avoir contre autrui, pour qu'on n'en finisse pas avec vous.

Gardez-vous de dédaigner ceci, mes frères. Cette vie fragile et mortelle, cette vie qui rencontre tant d'écueils et de tentations dans ce monde et qui demande la grâce de ne pas sombrer, ne peut, hélas! rester exempte de quelques péchés, dans les justes eux-mêmes. Il n'y a donc pour la préserver qu'un seul moyen, c'est celui que nous a indiqué Dieu notre Maître en nous ordonnant de dire dans la prière: «Remettez-nous nos offenses comme nous remettons nous-mêmes à ceux qui nous ont offensés (1)». Nous avons fait un pacte, un contrat avec le Seigneur; nous avons apposé notre signature sur l'acte qui dit à quelle condition il nous pardonnera nos fautes. Avec pleine. confiance nous lui demandons de nous pardonner, si nous pardonnons nous-mêmes. Si donc nous ne pardonnons pas, ne croyons

1. Mt 6,12

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pas qu'il nous pardonne, ce serait nous abuser. Que nul ne se trompe ici, car ce n'est pas Dieu qui trompe qui que ce soit.

La colère est une faiblesse attachée à l'humanité; puissions-nous toutefois en être exempts 1 C'est donc une faiblesse attachée à l'humanité, et en naissant elle est comme un petit germe sortant de terre; mais prends garde de l'arroser de soupçons, elle serait bientôt de la haine, le germe deviendrait un gros arbre. La haine est effectivement différente de la colère. On voit souvent un père se fâcher contre son fils sans le haïr; il veut, dans sa colère, simplement le corriger. Or, s'il se fâche pour corriger, c'est en quelque sorte l'amour qui inspire sa colère. Aussi bien est-il dit: «Tu vois le fétu dans l'oeil de ton frère; mais dans le tien tu ne vois pas la poutre (1)». Tu condamnes la colère d'un tel, et tu conserves de la haine en toi-même. Comparée à la haine, la colère est comme un fétu; mais en le nourrissant, tu en feras une poutre, au lieu qu'il n'en serait plus question si tu l'arrachais pour le jeter au loin.

2. Si vous étiez attentifs à la lecture de l'Epître, vous avez dû être effrayés d'une pensée de saint Jean. «Les ténèbres sont passées, dit-il, déjà luit la vraie lumière». Puis il ajoute: «Celui qui se prétend dans la lumière, tout en baissant son frère, est encore dans les ténèbres (2)». Ne croira-t-on pas que ces ténèbres sont de la nature des ténèbres auxquelles sont condamnés les prisonniers? Ah! si elles n'étaient que cela! Personne cependant ne recherche ces dernières; et l'on peut y jeter les innocents aussi bien que les coupables, puisque les martyrs y ont été enfermés. Oui, ils étaient de toutes parts environnés par ces ténèbres, mais une lumière secrète brillait dans leurs coeurs. Leurs yeux étaient plongés dans l'obscurité, mais l'amour de leurs frères leur permettait de voir Dieu-. Veux-tu savoir de quelle nature sont ces ténèbres dont il est parlé dans ces mots: «Celui qui hait son frère est encore dans les ténèbres?» Le même Apôtre dit ailleurs: «Celui qui hait son frère est un homicide (3)». Cet homme haineux se met en mouvement, il sort, il rentre, il voyage, il ne paraît ni chargé de chaînes, ni enfermé dans un cachot; mais il est lié par le crime. Ne t'imagine point qu'il ne soit pas en

1. Mt 6,3 - 2. 1Jn 2,8-9 - 3. 1Jn 3,15

prison; son coeur est son cachot. Afin donc d'écarter toute idée d'indifférence pour les ténèbres dont il dit: «Celui qui hait son frère est encore dans les ténèbres», l'Apôtre ajoute: «Celui qui hait son frère est homicide». Toi, tu hais ton frère et tu voyages tranquillement! Quoique Dieu t'en donne le moyen, tu refuses de te réconcilier avec lui! Tu es donc homicide, et pourtant tu vis encore! Si Dieu se vengeait, tu serais emporté soudain avec ta haine contre ton frère. Mais Dieu t'épargne encore, épargne-toi aussi et te ré. concilie.

Le voudrais-tu sans que ton frère le voulût? C'est assez pour toi. Tu as, hélas! un motif de le plaindre; mais toi, tu es dégagé; et quoi. qu'il refuse la réconciliation, dès que tu la veux, tu peux dire tranquillement: «Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons nous-mêmes à ceux qui nous ont offensés».

3. C'est toi peut-être qui lui as manqué; tu voudrais faire la paix, tu voudrais lui dire: Pardonne-moi, frère, mes torts contre toi. Mais lui ne veut point pardonner, il ne veut rien quitter; il refuse de te remettre ce que tu lui dois. Qu'il ouvre donc les yeux quand il devra prier. Cet homme qui refuse de te remettre ce que tu peux lui devoir, comment se tirera-t-il d'embarras quand viendra pour lui le moment de prier? Qu'il dise d'abord: «Notre Père qui êtes aux cieux». Ensuite: «Que votre nom soit sanctifié». Ensuite encore: «Que votre règne arrive». Continue: «Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel». Poursuis: «Donnez-nous aujourd'hui notre pain de chaque jour». C'est bien: mais ne voudras-tu point passer par-dessus ce qui suit, y substituer autre chose? pas moyen de passer, te voici arrêté. Dis donc encore, dis sincèrement; ou plutôt, si tu n'as pas de motif de prononcer ces paroles: «Pardonnez-nous nos offenses», ne les prononce pas. Que devient toutefois cet oracle de l'Apôtre: «Si nous prétendons être sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes et la vérité n'est point en nous (1)». Si donc ta conscience te reproche des fragilités et si de toutes parts abonde l'iniquité dans ce siècle, dis sincèrement: «Pardonnez-nous nos offenses»; mais remarque ce qui suit. Comment! tu as refusé de par

1. 1Jn 1,8

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donner à ton frère et tu vas dire: «Comme nous pardonnons nous-mêmes à ceux qui nous ont offensés (1)?» Ne diras-tu pas cela? Alors tu n'obtiendras pas. Le diras-tu? Ce sera mentir. Dis-le plutôt et dis-le sincèrement. Comment le dire sincèrement après avoir refusé de remettre le tort à ton frère?

4. Je viens donc d'avertir ce malheureux; et maintenant je reviens à toi pour te consoler, à toi qui que tu sois, si cependant il en est ici, qui as dit à ton frère: Pardonne-moi cette offense envers toi. Je suppose donc que tu as dit cela de tout ton coeur, avec une humilité vraie, avec une charité sincère, que tu. n'as dit que ce que voit dans ton âme le regard de Dieu, et que néanmoins on t'a refusé le pardon demandé, eh l bien ne t'inquiète pas: toi et ton frère vous êtes des serviteurs, vous avez un Maître commun; tu dois à ton frère et il ne veut pas te tenir quitte, adresse-toi au Maître de tous deux; une fois que ce Maître t'aura donné quittance, que pourra exiger de toi son serviteur?

Voici autre chose. A celui qui refuse le pardon que lui demande son frère, j'ai donné l'avis de surmonter sa répugnance, attendu qu'en priant il n'obtiendrait pas lui-même ce qu'il désire. J'ai parlé aussi à celui qui, sans l'obtenir, a demandé à son frère le pardon de sa faute; je lui ai dit que s'il n'a pas obtenu de son frère, il peut compter sur son Dieu. J'ai à dire encore autre chose:Ton frère a-t-il péché contre toi et refuse-t-il de t'adresser ces mots Pardonne-moi mes torts? Combien de fois ne rencontre-t-on point ce cas? Ah: si Dieu voulait arracher cette plante de son champ, ce sentiment de vos coeurs! Combien n'en est-il pas qui ont la conscience d'avoir manqué à leurs frères et qui refusent de prononcer ces mots: Pardonne-moi! Hélas! ils n'ont pas rougi de pécher, et ils rougissent de demander; ils n'ont pas rougi de commettre l'iniquité, et ils rougissent de pratiquer l'humilité?

C'est à eux que je m'adresse d'abord. Vous donc qui êtes en discorde avec vos frères, vous qui en vous recueillant, en vous examinant, en vous jugeant selon la vérité et au fond du coeur, reconnaissez que vous auriez dû ne faire ni ne dire ce que vous avez dit ou fait, demandez pardon à vos frères, représentez-leur cette recommandation de l'Apôtre: «Vous pardonnant

1. Mt 6,9-12

les uns aux autres, comme Dieu même nous a pardonnés en Jésus-Christ (1)»; allez, ne rougissez pas de demander grâce. C'est à tous que je dis ceci, aux hommes et aux femmes, aux petits et aux grands, aux laïques et aux ecclésiastiques: je me le dis également à moi-même. Tous, prêtons l'oreille, craignons tous. Oui, si nous avons manqué à nos frères, et que la mort nous accorde encore quelque délai, nous ne sommes point perdus; nous ne le sommes point, puisque nous vivons et que nous ne sommes point encore au nombre des réprouvés; eh bien l puisque nous sommes encore en vie, faisons ce que nous ordonne notre Père, lequel se montrera bientôt notre Dieu et notre juge, et demandons pardon à ceux de nos frères que nous pouvons avoir offensés ou blessés en leur manquant de quelque manière.

Il y a toutefois des personnes d'humble condition dans ce monde, qui s'enorgueilliraient si on leur demandait pardon. Ainsi un maître manque à son serviteur; il lui manque, car s'il est maître et l'autre serviteur, ils n'en sont pas moins tous deux serviteurs d'un autre maître, puisque tous deux sont rachetés au prix du sang de Jésus-Christ. On semblerait toutefois bien sévère envers le maître à qui il serait arrivé de manquer à son serviteur en le grondant ou en le frappant injustement, si on lui imposait l'obligation de dire: Use d'indulgence, pardonne-moi. Sans doute il doit le faire, mais il est à craindre que le serviteur ne commence à s'enfler d'orgueil. Que faire alors? Que le maître se repente devant Dieu, qu'il se punisse intérieurement devant Dieu; et s'il ne peut, s'il ne doit pas dire à son serviteur: Fais-moi grâce, qu'il lui parle avec douceur. Un doux langage est quelquefois une demande de pardon.

5. Il me reste à adresser la parole. à ceux qui ont été offensés et à qui on a refusé de demander pardon. J'ai dit ma pensée à ceux qui ont refusé ce pardon quand on l'implorait; mais aujourd'hui, dans ce saint temps où je vous presse tous de ne laisser subsister rien de vos discordes, il me semble qu'à plusieurs d'entre vous s'est présentée une pensée secrète. Vous savez donc qu'il y a entre vous et vos frères quelques sujets de discordes; mais vous êtes convaincus que l'offense vient d'eux et non

1. Ep 4,32

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pas de vous. Vous ne me dites rien sans doute, car en ce lieu c'est à moi de porter la parole et à vous de l'entendre en silence; il est possible cependant que vous vous disiez à vous-mêmes: Je veux faire la paix, mais c'est lui qui m'a blessé, qui m'a offensé et il se refuse à demander pardon. - Que vais-je répondre? Dirai-je: Va le trouver et lui demande grâce? Nullement. Je ne veux pas te pousser au mensonge; je ne veux pas que tu dises: Pardonne-moi, quand tu as la conscience de n'avoir pas manqué à ton frère. A quoi bon t'accuser? Pourquoi demander grâce à qui tu n'as pas manqué, à celui que tu n'as pas blessé? Cette démarche ne te profiterait pas, ne la fais point. Tu sais, tu sais après examen sérieux, que c'est de lui que vient l'offense, et non de toi. - Je le sais. - Eh bien! que ta conscience soit en repos sur cette certitude bien fondée. Ne vas point trouver ce frère qui t'a manqué, ni lui demander spontanément pardon. Entre toi et lui doivent se trouver des pacificateurs qui lui représentent son devoir et l'amènent à te demander grâce d'abord; il importe seulement que de ton côté tu sois disposé à l'accorder, entièrement prêt à pardonner du fond de ton coeur. La disposition à pardonner est le pardon déjà octroyé. Tu dois pourtant prier encore, prier pour obtenir qu'il te demande pardon: convaincu qu'il perd à ne le demander pas, prie pour qu'il le demande, et dans ta prière dis au Seigneur: Vous savez, Seigneur, que je n'ai pas manqué à mon frère un tel, mais que c'est lui qui m'a manqué; vous savez encore qu'il lui est funeste de ne pas me demander pardon après m'avoir manqué; je vous conjure donc avec amour de lui pardonner.

6. Je viens. de vous rappeler ce que main tenant surtout, durant ces jours de jeûnes, de saintes pratiques et de continence, vous devez faire aussi bien que moi pour vous réconcilier avec vos frères. Procurez-moi la joie de vous voir en paix, puisque vous me faites la peine de vous voir en querelles; et vous pardonnant mutuellement les torts que vous pouvez avoir l'un contre l'autre; mettons-nous en état de faire tranquillement la Pâque, de célébrer sans inquiétude la Passion de Celui quine devant rien à personne a payé pour tous; je veux parler de Jésus-Christ Notre-Seigneur; car il n'a offensé personne; presque tous au contraire l'ont offensé; et pourtant loin d'exiger de nous des supplices, il nous a promis des récompenses. Eh bien! il voit dans nos coeurs que si nous avons offensé quelqu'un, nous lui demandons sincèrement pardon; que si quelqu'un nous a offensés, nous sommes disposés à lui pardonner et à prier pour nos ennemis. Ne demandons pas à nous venger, mes frères? Qu'est-ce que se venger, sinon jouir des maux d'autrui?

Je le sais, il vient chaque jour des hommes qui fléchissent le genou, qui se prosternent le front dans la poussière, qui quelquefois même s'arrosent le visage de leurs larmes, et qui disent au milieu de cette émotion et dans cette attitude si humble: Vengez-moi, Seigneur, faites périr mon ennemi. Eh bien! oui, demande que le Seigneur fasse périr ton ennemi, et qu'il sauve ton frère; qu'il détruise l'inimitié, et préserve la nature; demande à Dieu qu'il mette à mort ce qui te persécutait en lui, mais qu'il, le conserve lui-même pour le rendre à ton amitié.




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SERMON CCXII. POUR LE CINQUIÈME LUNDI DE CARÊME. EXPLICATION DU SYMBOLE. I.

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ANALYSE. - Dans cette courte explication adressée aux Catéchumènes, saint Augustin montre plutôt la liaison que le sens détaillé des parties du Symbole. Il termine en disant pour quel motif il était alors défendu de l'écrire.

1. Il est temps de vous livrer le Symbole, qui contient en peu de mots ce que vous croyez en vue du salut éternel.

Le mot symbole est pris ici par analogie, dans un sens figuré. On dit des négociants qu'ils font un symbole quand, pour le maintien de leur société, ils font entre eux un pacte de fidélité. Votre société aussi n'est-elle pas une espèce de commerce spirituel, et ne ressemblez-vous pas aux marchands qui sont en quête de la perle précieuse (1)? C'est la charité que répandra dans vos coeurs l'Esprit-Saint qui vous sera donné (2). Or; on y parvient par la loi contenue dans le Symbole.

Croyez donc en Dieu, le Père tout-puissant, invisible, immortel, le Roi des siècles, le Créateur de ce qui est invisible et de ce qui est visible; croyez de lui encore toutes les grandeurs que nous montre en lui la raison dans sa pureté ou l'autorité des saintes Ecritures.

Mais de ces grandeurs n'excluez pas le Fils de Dieu. Si on les attribue au Père, ce n'est pas pour les refuser à Celui qui a dit: «Mon Père et moi nous sommes un (3)»; et de qui l'Apôtre a écrit: «Il avait la nature de Dieu et a il ne croyait point usurper en se faisant égal à Dieu (4)». Usurper, c'est s'attribuer une chose étrangère; or, l'égalité avec Dieu est la nature même du Fils de Dieu. Comment donc ne serait-il pas tout-puissant, puisque tout a été fait par lui, puisqu'il est la Puissance et cette Sagesse de Dieu (5), dont il est écrit qu'étant «une, elle peut tout (6)?» Il est aussi invisible par nature, par cette nature qui le rend l'égal du Père. N'est-il pas invisible en effet ce Verbe de Dieu qui était au commencement et

1, Mt 13,45 - 2. Rm 5,5 - 3. Jn 10,30 - 4. Ph 2,6 - 5. 1Co 1,24 - 6. Sg 7,27

qui était Dieu (1)? Comme tel il est aussi complètement immortel, c'est-à-dire immuable sous tout rapport. L'âme humaine est bien immortelle à un point de vue; mais elle ne possède point l'immortalité véritable, puisqu'elle est mobile, capable de reculer et de progresser. Elle meurt, quand elle renonce à la vie de Dieu par suite de l'ignorance qui est en elle; elle vit, quand elle court à la source de la vie, pour jouir, à la clarté de Dieu, de la lumière de Dieu. Vous aussi vous vivrez de cette vie, lorsque par la grâce du Christ vous sortirez de l'état de mort auquel vous renoncez. Quant au Verbe de Dieu; quant au Fils unique de Dieu, il possède avec son Père une vie toujours immuable; il ne perd rien, car il n'y a point diminution dans ce qui reste toujours le même; il n'acquiert rien non plus, car ce qui est parfait ne saurait croître. Il est aussi le Roi des siècles, le Créateur des choses visibles et des choses invisibles. En effet, comme le dit l'Apôtre: «C'est par lui que toutes choses ont été créées au ciel et sur la terre, les visibles et les invisibles, soit Trônes, soit Dominations, soit Principautés, soit Puissances; tout a été créé par lui et en lui, et pour lui tout subsiste (2)».

Cependant, comme «il s'est, anéanti», non pas en perdant la nature de Dieu, mais «en prenant une nature d'esclave (3)»; par cette nature d'esclave il est devenu visible, puisqu'il est né de l'Esprit-Saint et de la Vierge Marie. Comme esclave encore le Tout-Puissant est devenu faible, puisqu'il a souffert sous Ponce-Pilate. Comme esclave l'Immortel est mort, puisqu'il a été crucifié et enseveli. Comme

1. Jn 1,3 - 2. Col 1,16-17 - 3. Ph 2,7

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esclave le Roi des siècles est ressuscité le troisième jour. Comme esclave le Créateur des choses visibles et des êtres invisibles est monté aux cieux, quoiqu'ils ne les ait quittés jamais. Comme esclave il est assis à la droite du Père, quoiqu'il soit le bras du Père, puisqu'un prophète a dit de lui: «Et le bras du Seigneur, à qui s'est-il manifesté (1)?» Comme esclave il viendra juger les vivants et les morts, avec qui il a voulu mourir, quoiqu'il soit la vie des vivants.

C'est par lui que le Père et lui-même nous ont envoyé l'Esprit-Saint. Cet Esprit du Père et du Fils a été envoyé par le Père et par le Fils, sans être engendré par l'un ni par, l'autre; il est le lien de tous deux, et tous deux il les égale. Voilà la Trinité, voilà le Dieu unique, tout-puissant, invisible, le Roi des siècles, le Créateur de ce qui est visible et de ce qui est invisible. Car nous ne disons pas qu'il y ait ni trois Seigneurs, ni trois Tout-Puissants, ni trois Créateurs; nous ne prononçons au pluriel aucun de ces noms réservés à la grandeur de Dieu, attendu qu'il n'y a pas trois dieux, mais un seul Dieu. Et pourtant, dans cette auguste, Trinité, le Père n'est pas le Fils, le Fils n'est pas le Père, l'Esprit-Saint n'est non plus ni le Père ni le Fils s le Père est simplement le Père du Fils; le Fils, le Fils du Père; et le Saint-Esprit, l'Esprit du Père et du Fils. Croyez pour comprendre; car vous ne comprendrez point si vous ne croyez (2).

Avec cette foi espérez la grâce qui effacera tous vos péchés; c'est par là que vous serez sauvés et non par vous-mêmes, car le salut est un don de Dieu. Espérez aussi qu'après cette mort qui nous abat tous en punition du crime antique du premier homme, vos corps mêmes ressusciteront à la fin des siècles, non pas pour être accablés de douleurs, comme les impies, qui ressusciteront aussi; non pas pour goûter les joies des désirs charnels, comme s'y attendent

1. Is 57,1 - 2. Is 7,9 sel. LXX.

les insensés; mais pour expérimenter ce que dit l'Apôtre: «On sème un corps animal, il s'en élèvera un corps spirituel (1)», un corps qui ne sera plus un fardeau pour l'âme et qui, ne perdant plus rien n'aura plus besoin d'aucun aliment.

2. Je vous devais ce petit discours sur l'ensemble du Symbole; le voilà terminé, et vous reconnaîtrez qu'il comprend en peu de mots tout ce qu'on vous montrera dans ce Symbole. Afin toutefois de retenir ce Symbole mot à mot, vous ne devez pas l'écrire, mais, l'apprendre en l'entendant; vous ne devez pas même l'écrire lorsque vous le saurez, mais le retenir et le réciter toujours de mémoire. Sans doute, tout ce que vous verrez dans le Symbole est contenu dans les saintes Ecritures; et s'il n'est pas permis de l'écrire après l'en avoir ainsi recueilli et en avoir formé cet abrégé, c'est en souvenir des divines promesses exprimées ainsi par un Prophète, à propos du Nouveau Testament: «Voici l'alliance que je formerai alors avec eux, dit le Seigneur: j'écrirai ma loi dans leur esprit et je la graverai dans leur coeur (2)». En mémoire donc de ces paroles, on apprend le Symbole en l'écoutant; on ne le grave ni sur des tablettes, ni sur une matière quelconque, mais dans le coeur. Celui qui vous convie à son royaume et à sa gloire, vous accordera la grâce, quand vous aurez été régénérés, que le Saint. Esprit lui-même l'écrive aussi dans vos coeurs. Par là vous aimerez ce que vous croyez, la foi agira en vous par la charité et vous plairez ainsi au Dispensateur de tous les biens, au Seigneur notre Dieu., non pas en craignant la peine comme des esclaves, mais en vous affectionnant à la justice comme des enfants.

Voici donc le Symbole dont l'Ecriture et les discours de l'Eglise vous ont appris la substance, et que les fidèles doivent retenir et pro, fesser sous cette courte formule.

1. 1Co 15,54 - 2. Jr 31,33




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SERMON CCXIII. EXPLICATION DU SYMBOLE. II.

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ANALYSE. - Cette seconde explication du Symbole est la suite naturelle de la première. Celle-ci considérait le Symbole d'une manière plus générale; la seconde entre dans le détail du sens de chaque article. Mais on n'y verra pas la froideur d'un ouvrage didactique. Saint Augustin y met son coeur comme il le met partout et spécialement dans ses discours.

1. Le Symbole est la formule abrégée de notre foi, formule destinée à nous instruire sans être à charge à la mémoire; elle s'exprime en peu de mots pour enseigner beaucoup.

«Je crois en Dieu,, le Père tout-puissant». Quel laconisme et quelle force! Voilà tout à la fois un Dieu et un Père-; un Dieu avec sa puissance, un Père avec sa bonté. Que nous sommes heureux de rencontrer un père dans notre Dieu! Croyons donc en lui, et promettons-nous tout de sa miséricorde, puisqu'il est tout-puissant: aussi disons-nous que nous croyons «en Dieu, le Père tout-puissant». Que nul ne dise: Il ne peut me remettre mes péchés. Comment ne le pourrait le Tout-Puissant? - Mais j'ai tant péché, ajoutes-tu. - Mais il est tout-puissant, répliqué-je. - J'ai tant commis de péchés, que je ne saurais en être ni délivré ni purifié. - Je réponds encore Mais il est tout-puissant. Remarquez ce que vous lui dites en chantant ce psaume: «Bénis ale Seigneur, ô mon âme, et garde-toi d'oublier toutes ses faveurs; il te pardonne toutes tes iniquités, il te guérit de toutes tes langueurs (1)». C'est pour cela que nous était nécessaire sa toute-puissance. Toutes les créatures en avaient besoin pour sortir du néant. Pour faire ce qui est grand et ce qui est petit Dieu est tout-puissant; tout-puissant pour former ce qui est au ciel et ce qui est sur la terre; tout-puissant pour créer ce qui est mortel et ce qui est immortel; tout-puissant pour donner l'être à ce qui est spirituel et à ce qui est corporel; tout-puissant pour tirer du néant ce qui est visible et ce qui est invisible; il, est grand dans les grandes choses sans être petit dans les moindres. Il est tout-puissant enfin pour faire tout ce qu'il veut;

1. Ps 102,2-3

combien en effet n'est-il pas de choses qu'il ne saurait faire? Il ne peut ni mourir, ni pécher, ni mentir, ni se tromper; combien d'autres choses encore qu'il ne pourrait que s'il n'était pas tout-puissant! Croyez donc en lui et professez votre foi. «Car on croit de coeur pour être justifié, et on confesse de bouche pour être sauvé (1)». Voilà pourquoi après avoir cru vous devrez confesser votre foi en récitant le Symbole. Ecoutez donc maintenant ce que vous aurez à retenir toujours et à réciter bientôt sans l'oublier jamais.

2. Qu'est-ce qui vient ensuite? «Et en Jésus-Christ». - «Je crois, dis-tu, en Dieu, le Père tout-puissant, et en Jésus-Christ, son Fils unique, Notre-Seigneur». S'il est Fils unique, il est par conséquent égal à son Père. S'il est Fils unique, il est donc de même nature que son Père. S'il est Fils unique, il a conséquemment la même toute-puissance que son Père. S'il est Fils unique, il est aussi coéternel à son Père.

Voilà ce qu'il est en lui-même, en lui-même et dans le sein de son Père. Mais pour nous, et par rapport, À nous, qu'est-il? «Qui a été conçu du Saint-Esprit, qui est né de la Vierge Marie». Voilà bien Celui qui est venu, par où il est venu, et vers qui il est venu. Il est venu par la Vierge Marie, avec l'opération du Saint-Esprit et non pas d'un homme; d'un époux; du Saint-Esprit qui a fécondé cette Vierge pure en lui conservant son intégrité. Et c'est ainsi que s'est revêtu de chair le Christ Notre-Seigneur; ainsi que s'est fait homme Celui qui a créé l'homme: il a pris ce qu'il n'était pas, sans rien perdre de ce qu'il était; car «le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous (2)». Ce n'est pas que

1. Rm 10,10 - 2. Jn 1,14

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le Verbe se soit changé en chair; mais tout en restant Verbe il a pris une chair, tout en demeurant à jamais invisible, il est devenu visible quand il l'a voulu, et «il a habité parmi nous». Qu'est-ce à dire, parmi nous? Parmi les hommes. Il est devenu l'un de nous, tout en restant unique. Unique pour son Père. Et pour nous? Unique aussi comme Sauveur, car nous n'avons d'autre Sauveur que lui; unique aussi comme Rédempteur, car nul autre ne nous a rachetés, rachetés, non pas avec de l'or ni avec de l'argent, mais au prix de son sang.

3. Considérons donc par quelles négociations il est parvenu à nous racheter. Il a été dit dans le Symbole: «Qui a été conçu du Saint-Esprit, qui est né de la Vierge Marie». Mais enfin qu'a-t-il fait pour nous? Le voici dans la suite du texte: «Il a souffert sous Ponce-Pilate, a été crucifié, est mort et a été enseveli». Oui, c'est le Fils unique de Dieu, c'est Notre-Seigneur, qui a été crucifié: c'est le Fils unique de Dieu, c'est Notre-Seigneur, qui a été enseveli. Mais c'est comme homme qu'il a été crucifié, comme homme encore qu'il a été enseveli. Comme Dieu il n'a pas changé, comme Dieu il n'a pas été mis à mort; pourtant Dieu a été mis à mort en tant qu'homme. «Car, s'ils l'avaient connu, dit l'Apôtre, ils n'auraient pas crucifié le Seigneur de la gloire (1)». Il le montre ici comme Seigneur de la gloire, il confesse néanmoins qu'il a été crucifié. Déchirer ta tunique sans te blesser la chair, ce serait te faire injure; si tu criais alors, ce ne serait pas pour dire Tu as déchiré ma tunique, mais: Tu m'as déchiré, tu m'as mis en- lambeaux. Tu parlerais ainsi sans être blessé, et tu dirais vrai, lors même qu'en te manquant on n'aurait pas touché à ta chair. C'est ainsi que le Christ Notre-Seigneur a été crucifié. Il est vraiment le Seigneur, le Fils unique du Père; il est notre Sauveur et le Seigneur de la gloire; néanmoins il a été crucifié, mais crucifié dans sa chair; enseveli, mais dans sa chair uniquement: l'âme elle-même n'était pas là ni au moment ni au lieu où on l'ensevelissait, et par sa chair seulement il gisait dans le sépulcre. Tu n'en reconnais pas moins en lui Jésus-Christ, le Fils unique, Notre-Seigneur. Qui donc a été conçu du Saint-Esprit, puis est

1. 1Co 2,8

né de la Vierge Marie? Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu, Notre-Seigneur. Qui a été crucifié sous Ponce-Pilate? Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu, Notre-Seigneur. Quia été enseveli? Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu, Notre-Seigneur. - Comment! je ne vois que la chair, et tu dis que c'est Notre Seigneur? - Assurément, je le dis, car en voyant le vêtement j'adore Celui qui le porte. La chair en effet lui sert comme de vêtement; car «ayant la nature de Dieu et ne croyant point usurper en s'égalant à Dieu, il s'est anéanti lui-même en prenant une nature d'esclave», non pas en perdant sa nature divine; «et devenu semblable aux hommes, il a été par l'extérieur considéré comme homme (1)».

4. Toutefois ne méprisons pas la chair envisagée en elle-même; c'est quand elle était abattue qu'elle nous a rachetés. Pourquoi nous a-t-elle rachetés? Parce qu'elle n'a pas été toujours abattue: «Le troisième jour il est ressuscité d'entre les morts». C'est ce qui suit immédiatement dans le Symbole. Ainsi nous proclamons sa résurrection après avoir confessé sa passion. Qu'a-t-il fait en souffrant? Il nous a appris ce que nous avons à souffrir, Et en ressuscitant? Il nous a montré ce que nous devons espérer. Ici voilà le devoir et ici la récompense; le devoir dans la passion et la récompense dans la résurrection. Mais il n'en est pas resté là après être ressuscité d'entre les morts. Qu'est-il dit ensuite? «Il est monté au ciel». Et maintenant où est-il? «Il est assis à la droite du Père». Ne vois pas ici la droite considérée par rapport à la gauche. La droite de Dieu signifie l'éternelle félicité, La droite de Dieu signifie l'ineffable, l'inestimable, l'incompréhensible béatitude, la prospérité sans fin. Telle est la droite de Dieu et c'est là qu'est assis le Sauveur. Qu'est-ce à dire: «Il est assis?» C'est-à-dire qu'il y demeure, car on appelle siège (2) le lieu où demeure quelqu'un. Au moment donc où le vit saint Etienne, on ne se trompait pas en disant: «Il est assis à la droite du Père». Que dit en effet saint Etienne? «Voilà que je vois le ciel ouvert, et le Fils de l'homme debout à la droite de Dieu (3)». De ce qu'il l'ait vu debout, s'ensuit-il qu'il y aurait eu mensonge à dire alors: «Il est assis à la droite du Père?» Il

1. Ph 2,6-7 - 2. Le siège de l'empire, par exemple, est le lieu habité par le gouvernement. - 3. Ac 7,55

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est assis est donc ici synonyme de il demeure, il habite. Comment demeure-t-il? Comme tu demeures toi-même. En quelle position? Qui le dira? Contentons-nous d'exprimer ce qu'il a enseigné, de parler de ce que nous savons.

5. Et puis? «De là viendra juger les vivants et les morts». Bénissons en lui le Sauveur pour ne pas redouter le Juge. Car celui qui maintenant croit en lui, qui accomplit ses préceptes et l'aime sincèrement, ne tremblera point quand il viendra juger. les vivants et les morts; non-seulement il ne tremblera point, mais il soupirera après son arrivée: Eh! que peut-il y avoir pour nous de plus heureux que devoir venir Celui que nous désirons, Celui que nous aimons? - Craignons néanmoins, puisqu'il sera notre juge. Il est maintenant notre avocat, mais il sera notre juge alors. - Écoute Jean: «Si nous prétendons être sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes et la vérité n'est point en nous. Mais si nous confessons nos péchés, ajoute-t-il, il est fidèle et juste pour nous les remettre et pour nous purifier de toute iniquité. Je vous ai écrit ceci afin de vous détourner du péché. Si cependant quelqu'un vient à pécher, nous avons pour avocat, auprès du Père, Jésus-Christ le Juste; et il est lui-même propitiation pour nos péchés (1)». Je suppose que tu aies à soutenir une cause devant quelque juge; tu vas trouver un avocat pour l'en instruire; cet avocat t'accueille parfaitement, il plaide ta cause de son mieux, mais avant que la sentence soit rendue, tu apprends que cet avocat va être nommé ton juge:quelle joie d'avoir pour juge celui qui vient de te défendre! Maintenant même c'est Jésus-Christ qui prie pour nous, qui intercède pour nous; c'est lui que nous avons pour avocat, et nous craindrions de l'avoir pour juge? Ah! plutôt, puisque nous l'avons envoyé devant nous pour nous servir d'avocat et nous rassurer, espérons qu'il reviendra pour être notre juge.

6. Nous avons parcouru dans le Symbole ce qui a rapport à Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu et notre Seigneur. On y dit ensuite: «Et au Saint-Esprit», pour compléter ce qui concerne la Trinité, père, Fils et Saint-Esprit. S'il a été parlé plus longuement du Fils, c'est que le Fils s'est fait homme, c'est que le Fils, le Verbe, s'est fait chair, et non pas le Père ni

1. 1Jn 1,8-11

l'Esprit-Saint, quoique l'humanité du Fils soit l'oeuvre de la Trinité tout entière, attendu que les oeuvres de la Trinité sont inséparables. Croyez donc, en entendant parler ici du Saint-Esprit, qu'il n'est inférieur ni au Fils, ni au Père; car le Père, le Fils et le Saint-Esprit, ou la Trinité tout entière, ne font qu'un seul Dieu. Il n'y a entre eux ni différence, ni variété, ni infériorité, ni opposition; mais égalité, perpétuelle, invisibilité et immuabilité dans le Père, le Fils et l'Esprit-Saint: Ah! daigne cette auguste Trinité nous délivrer de la multitude de nos péchés!

7. C'est à nous que se rapporte ce qui vient ensuite: «La sainte Eglise»; car c'est nous qui sommes la sainte Eglise. Or, en disant nous, je ne veux pas que vous entendiez seulement ceux qui sont ici, ceux qui m'écoutent, ceux qui par la grâce de Dieu sont chrétiens et fidèles ici, dans cette église, dans cette ville; mais encore tous ceux qui sont dans cette contrée, dans, cette province, au-delà même de la mer et dans tout l'univers habité; car du levant au couchant on bénit le nom du Seigneur (1). C'est là l'Église catholique, notre mère véritable et la véritable épouse de ce divin Époux. Honorons-la, puisqu'elle est la Dame d'un si grand Seigneur. Que dirai-je encore? Son Epoux a daigné faire pour elle d'incomparables merveilles: il l'a rencontrée prostituée et il l'a rendue vierge. Peut-elle nier ses prostitutions sans oublier la miséricorde de son Libérateur? Comment dire qu'elle n'était pas prostituée, quand- elle se souillait avec les idoles et les démons? Tous les hommes, hélas! étaient adultères de coeur; peu l'étaient de corps, mais tous l'étaient de coeur. Le Christ donc est venu et il a rendu vierge son Eglise.

Elle est vierge par sa foi. Elle compte en petit nombre les vierges. proprement dites, consacrées à Dieu; mais sous le rapport de la foi tous en elle doivent être vierges, les hommes comme les femmes; car tous doivent être chastes, purs, saints. Voulez-vous savoir combien l'Église est vierge? Écoutez l'Apôtre saint Paul, cet ami zélé pour l'Epoux et non pour lui-même. «Je vous ai parés, dit-il, pour l'Époux unique». Ainsi parlait-il à l'Eglise; et à quelle Eglise? A toute l'Église qui pouvait recevoir ses lettres. «Je vous ai parés

1. Ps 102,3

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comme une vierge chaste pour vous présenter au Christ votre unique Epoux. Mais je crains, poursuit-il, que, comme le serpent séduisit Eve par son astuce». Ce serpent fit-il perdre à Eve sa chasteté corporelle? Non, mais il corrompit en elle la virginité du coeur. «Je crains que vos âmes ne se flétrissent et ne perdent la chasteté qu'on trouve dans le Christ (1)». Ainsi l'Eglise est vierge; oui, elle est vierge et qu'elle reste vierge. Qu'elle prenne garde au séducteur, pour ne trouver pas en lui de corrupteur. L'Eglise est vierge.

Tu vas me dire: Si elle est vierge, comment met-elle au. monde des enfants? Et si elle n'en met pas ait monde, comment nous sommes-nous enrôlés afin de trouver dans son sein une nouvelle naissance? - Je réponds: L'Eglise est vierge et mère en même temps. En cela elle imite Marie, la Mère du Seigneur. Est-ce que la sainte Vierge Marie n'est pas devenue Mère, tout en restant Vierge? Ainsi en est-il de l'Eglise, vierge et mère tout à la fois. A voir même de près, elle aussi est mère du Christ, puisque ceux qui reçoivent le baptême sont ses membres. «Vous êtes, dit l'Apôtre, le corps et les membres du Christ (2)». Si donc l'Eglise enfante ainsi les membres du Christ, n'a-t-elle pas avec Marie la plus grande ressemblance?

8. «La rémission des péchés». Si cette grâce n'était dans l'Eglise, il faudrait désespérer; on ne pourrait espérer ni la vie future, ni l'éternelle délivrance, s'il n'était pas possible dans l'Eglise d'obtenir la rémission des péchés. Grâces donc au Seigneur qui a accordé cette faveur à son Eglise.

Vous allez approcher des fonts sacrés, être purifiés par le baptême, recevoir une vie nouvelle dans le bain salutaire de la régénération; et en sortant vous serez sans péché. Tous les péchés qui vous menaçaient y auront disparu; ils ressembleront aux Egyptiens qui s'élancèrent contre les Israélites et qui les poursuivirent jusqu'à la mer Rouge seulement (3). Jusqu'à la mer Rouge? Qu'est-ce à dire? Jusqu'aux fonts consacrés par la croix et par le sang du Christ: En effet ce qui est rouge est ce qui parait tel. Or, ne vois-tu pas comme semble rouge tout ce qui appartient au Christ? Ouvre les yeux. de la foi. En regardant la croix, n'y vois-tu pas du sang? Peux-tu contempler

1. 2Co 11,2-3 - 2. 1Co 12,27 - 3. Ex 14

Celui qui y est suspendu sans penser en même temps à ce qu'il y a versé, quand son côté fut ouvert avec une lance et que notre rançon en découla (1)? Voilà pourquoi on marque du signe, de la croix le baptême, c'est-à-dire l'eau qui sert à l'administrer, et c'est ainsi que vous traversez en quelque sorte la mer Rouge. Vos péchés sont comme vos ennemis; ils vous poursuivent, mais jusqu'à la mer seulement; et lorsque vous y serez entrés, vous en sortirez, mais eux y resteront: c'est ainsi que les Israélites traversant la mer à pieds secs, les Egyptiens furent engloutis sous les eaux. Que dit l'Ecriture? «Il n'en resta pas un seul (2)». Tes péchés sont-ils en grand ou en petit nombre, graves ou légers? Il n'en reste pas un seul.

Cependant, comme il nous faut vivre dans ce monde, où nul n'est exempt de péché, les péchés ne se remettent pas seulement aux fonts sacrés du baptême, mais encore ils s'effacent par la prière dominicale et quotidienne qu'on vous apprendra dans huit jours. Elle sera pour vous comme un baptême quotidien, et vous rendrez sûrement grâces à Dieu d'avoir donné à son Eglise cette faveur que nous reconnaissons dans le Symbole, lorsqu'après avoir dit: «La sainte Eglise», nous ajoutons: «La rémission des péchés».

9. Vient ensuite «La résurrection de la chair», et c'est la fin. Mais ce sera une fin sans fin que la résurrection de la chair. Il n'aura plus alors pour cette chair ni mort, ni angoisses, ni faim, ni soif, ni affliction, ni vieillesse, ni lassitude. Ne redoute donc pointa résurrection de la chair. Vois les biens dont jouira cette chair et oublie les maux qu'elle souffre. Non, il n'y aura plus rien alors des misères dont elle se plaint aujourd'hui. Nous serons éternels, les égaux des anges de Dieu (3); nous formerons avec ces saints anges une même société; Dieu nous possédera, nous serons son héritage et lui-même sera le nôtre; aussi lui disons-nous dès maintenant: «Le Seigneur est ma portion d'héritage (4)»; et lui-même a dit de nous à son Fils: «Demande-moi, et je te donnerai. les nations pour héritage (5)».. Ainsi nous serons à la fois propriétaires et propriété, nous retiendrons et on nous retiendra.

Aujourd'hui même ne sommes-nous pas

1. Jn 19,34 - 2. Ps 105,11 - 3. Mt 22,30 - 4. Ps 15,5 - 5. Ps 2,8

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cultivés en même temps que nous cultivons? Mais nous cultivons comme on peut cultiver Dieu, tandis que. que nous sommes cultivés comme un champ peut l'être. Voulez-vous vous assurer que nous sommes cultivés? Ecoutez le Seigneur: «Je suis la vraie vigne, dit-il, vous êtes les sarments et mon Père le cultivateur (1).» Si le Père est cultivateur, c'est qu'il cultive; quel champ? c'est nous. Un cultivateur de cette terre où tombent partout nos regards, peut bien labourer, bêcher, planter, arroser même s'il trouve de l'eau mais peut-il donner l'accroissement, diriger le germe vers l'intérieur de la terre, y fixer la racine, élever la tige, fortifier les rameaux, les charger de fruits,, les embellir de feuilles? Un cultivateur peut-il cela? Mais le divin Cultivateur de nos âmes, Dieu le Père peut faire en nous tout cela. Pourquoi te peut-il? Ne croyons-nous pas en Dieu le Père tout-puissant?

Retenez bien ce que nous venons de vous dire, et comme Dieu nous a fait la grâce de vous l'expliquer.

1. Jn 15,1-5





Augustin, Sermons 211