Augustin, Sermons 1025

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VINT-CINQUIÈME SERMON. SUR LA FÊTE DE PAQUES. CINQUIÈME SERMON.

ANALYSE. - 1. La foi de Marie-Madeleine comparée à celle de saint Pierre. - 2. Marie-Madeleine comparée à l'Eglise. - 3. La foi de Marie-Madeleine comparée à celle des Apôtres. - 4. La foi de Marie-Madeleine récompensée par l'apparition de Jésus-Christ.

1.«Le lendemain du sabbat», dit l'évangéliste, «lorsque les ténèbres couvraient encore la terre, Marie-Madeleine vint au tombeau, s'aperçut que la pierre avait été enlevée du sépulcre et courut raconter ces événements à Simon Pierre et à l'autre disciple que Jésus aimait (1)». Voyez, mes frères, voyez avec quelle ardeur cette femme se rend au tom. beau du Sauveur. Elle ne considère ni l'heure ni le temps, mais elle veut contempler le Créateur de toutes choses. Simple femme, elle court avant les hommes et les prévient. O bienheureux Pierre, qu'est devenue la promesse que vous faisiez au Seigneur: «Dussé-je mourir avec vous, je ne vous renierai pas (2)?» Si vous ne pouviez mourir pour le Seigneur, du moins, puisque vous aviez tant présumé de vous-même, vous deviez vous rendre au tombeau avant tout autre; vous n'avez pu accomplir la promesse que vous aviez faite; car il a suffi d'une servante pour vous conduire à l'apostasie, et voici que Marie-Madeleine arrive encore avant vous au tombeau. Veuillez, bienheureux Pierre, me pardonner l'amertume de mes paroles. Quand vous croyiez d'une foi complète, vous marchiez sur les eaux; mais aussitôt que vous avez conçu du doute, vous avez senti la mer fuir sous vos pas. En ce moment, du moins,

1. Jn 20,1-2 - 2. Mt 26,3

levez-vous; car une femme vous a déjà précédé au tombeau.

2. Mes frères, en lisant attentivement les saintes Ecritures, vous avez appris à connaître cette femme du nom de Marie-Madeleine. Comme quelques-uns pourraient encore être dans l'ignorance sur ce point, rappelons que Madeleine est cette femme que le Seigneur a délivrée de sept démons, et à laquelle beaucoup de péchés furent pardonnés, parce qu'elle avait beaucoup aimé. Que l'Eglise coure donc, qu'elle coure à la Pierre. «Or, la Pierre était le Christ (1)». Ne craignez pas de comparer à l'Eglise Marie-Madeleine, qui, délivrée des esprits immondes, doit s'empresser la première d'accourir au tombeau du Seigneur.

3. «Elle s'adressa donc à Pierre et à l'autre disciple que Jésus aimait, et leur raconta les a faits en ces termes: Ils ont enlevé le Seigneur du tombeau, et nous ne savons où ils l'ont placé. Les Apôtres accoururent et, étant entrés dans le tombeau, ils virent les linceuls qui y avaient été laissés». Mais ils ne purent voir les anges, parce que les ténèbres de la crainte refoulaient encore dans ces Apôtres la lumière de la foi. Ils regardèrent et retournèrent à Jérusalem; quant à Madeleine, elle ne retourna pas, mais elle se tenait

1. 1Co 10,4

en pleurant à l'entrée du sépulcre, et parce que Dieu ne refuse jamais rien à ceux qui le cherchent, «elle s'inclina en pleurant vers le tombeau, et elle vit deux anges vêtus de blanc et assis l'un à la tête et l'autre au pied du sépulcre dans lequel Jésus avait été déposé. Les anges lui disent: Femme, pourquoi pleurez-vous? ou qui cherchez-vous (1)?» Madeleine répondit: Je cherche mon Maître, mon Sauveur; il m'a beaucoup gratifiée, car il m'adélivrée de sept esprits impurs. Malheureuse esclave, j'étais conduite où je ne voulais pas, mais à l'arrivée du Sauveur les chaînes de mes péchés furent rompues et je méritai de suivre Celui que je ne méritais pas. a Maintenant ils ont enlevé mon Seigneur, et a je ne sais où ils l'ont placé». O femme, les Apôtres n'ont pu voir les anges, parce qu'ils ont douté; vous les avez vus parce que vous avez cru. Mais à votre tour vous avez commencé

1. Jn 20,11-13

à douter. Et qui donc pouvait enlever le Seigneur, s'il n'avait voulu ressusciter le troisième jour, comme il l'avait promis?

4. «S'étant retournée, elle vit le Seigneur debout (1)». Voilà, mes frères, ce que peuvent l'amour de Dieu et la foi; Dieu se laisse vaincre par les larmes et par l'humilité. Si Madeleine ne s'était pas inclinée en pleurant, elle, n'aurait pas vu les anges; si elle ne s'était pas retournée, elle n'aurait pas mérité de voir le Seigneur. «Jésus lui dit: Marie, pourquoi pleurez-vous? qui cherchez-vous (2)?» Madeleine, ouvrant les yeux, le reconnut et s'écria: Seigneur, vous êtes mon Roi et mon Dieu. Abstenez-vous de me toucher, lui dit Jésus, car je ne suis pas encore monté à mon Père. Madeleine reprit: «Mon Seigneur et mon Dieu (3)». Vous vous montrez à moi, que me reste-il à désirer?

1. Jn 20,14 - 2. Jn 20,15




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VINGT-SIXIÈME SERMON. SUR LA. FÊTE DE PAQUES. (SIXIÈME SERMON)

ANALYSE. - 1. La foi comparée à un parfum odoriférant. - 2. Jésus-Christ est le véritable parfum reçu par l'Eglise. - 3. Ce parfum n'a rien qui déplaise, car c'est le parfum de la piété. - 4. C'est aussi le parfum de la charité. - 5. C'est le parfum de la vertu, de l'obéissance et de l'espérance. - 6. Le nouvel Adam a réparé le crime du premier Adam. - 7. Jésus-Christ triomphe de l'enfer. - 8. Jésus-Christ rédempteur et médecin des 9mes. - 9. Puisque l'arrêt de notre condamnation est déchiré, rendons-nous les serviteurs fidèles de Jésus-Christ. - 10. Nous devons ressusciter avec Jésus-Christ.

1. Le jour de la résurrection du Seigneur, la joie des fidèles doit en quelque sorte ressusciter et se renouveler; laissons donc notre esprit se pénétrer de l'allégresse de ce jour, afin que par une foi vive nous placions en nous le règne de Dieu auquel nous sommes appelés avec Jésus-Christ et par Jésus-Christ. Ces joies chrétiennes ne sont pas de celles qui s'usent par la jouissance; la jouissance, au contraire, nous enflamme pour la vertu. Qu'on est heureux de se réjouir en Jésus-Christ! Je crois donc pouvoir comparer la foi aux parfums d'agréable odeur. Tel est ce parfum dont se sentait pénétré le Prophète, quand il s'écriait: «Vous avez plongé ma tête dans l'huile (1)». Tel est le parfum dont il est dit aux pieux fidèles: «Oignez vos têtes (2)». Tel est le parfum que les vierges sages portent avec elles pour entretenir le feu de leurs lampes. Tel est le parfum dont il est écrit: «Le parfum qui descend de la tête sur la barbe (3)», laquelle est le signe de l'âge parfait de l'homme, comme le parfum semble indiquer que la

1. Ps 22,5 - 2. Mt 7,17- 3. Ps 132,2

298

foi est arrivée à la perfection de sa splendeur et de son épanouissement. Comparons donc la foi au parfum d'agréable odeur. Quiconque possède de ces parfums précieux les conserve avec une extrême sollicitude. Tant que ces parfums restent en repos, ils semblent annihilés et endormis. Mais s'ils doivent concourir à la joie d'une fête ou à l'embellissement d'un festin, ils recouvrent par une prudente agitation ce que le repos leur avait fait perdre, c'est-à-dire leur odeur et leur prix. Ainsi en est-il, dans chaque fidèle, du parfum de la foi: il a besoin d'être librement reçu dans des coeurs généreux; toutefois, il semble perdre de son prix tant qu'il n'est pas agité par la discussion.

2. C'est dans ce but que nous vous adressons ce discours. Vos esprits, comme autant de vases précieux, me paraissent avoir reçu ce parfum de la foi que Dieu n'accorde qu'à ses courtisans. Je m'accuserais d'une négligence coupable, si je n'agitais pas ce parfum jusqu'à ce que sa suave odeur se soit répandue dans tout le corps de l'Eglise et ait dissipé les miasmes fétides que respirent parfois encore ceux qui vivent au sein de la foi. Quel est donc ce parfum? «Jésus-Christ est mort a et est ressuscité (1)»; tel est le prix et la rédemption du monde tout entier. Goûtez maintenant, si vous le voulez, la suavité de ce parfum dont vous connaissez le prix et la dignité. C'est Dieu lui-même qui nous l'a apporté du haut du ciel. Et qui donc l'a reçu? Voyons si ce n'est pas cette Eglise si bien figurée par cette femme qui versa sur la tête du Sauveur ce parfum qui, selon la parole de Jésus-Christlui-même, annonçait sa sépulture. L'Eglise, mes frères, l'Eglise a reçu le parfum de ce sacrement; et tout ce qu'elle reçoit de Jésus-Christ retourne à Jésus-Christ. Toutefois ce parfum n'est point attribué à tous et ne leur est point attribué dans la même mesure. En effet, l'Apôtre a dit de la croix même de Jésus-Christ: «Elle est pour les uns une odeur de vie pour la vie, et pour les autres une odeur de mort pour la mort (2)»; en d'autres termes, «elle est un scandale pour ceux qui périssent, tandis qu'elle est la vertu de Dieu pour ceux qui opèrent leur salut.

3. Cependaut cette odeur déplaît à quelques-uns; je voudrais qu'ils disent ce qui

1. Rm 14,9 - 2. 2Co 2,16

dans la mort de Jésus-Christ ne sent pas la vie? ce qui ne respire pas la résurrection dont Jésus-Christ nous fournit le modèle? «Il est mort et il est ressuscité». C'est donc là ce qui leur déplaît.? Est-il un seul homme qui ne se sente très-avide de respirer ces suaves odeurs? S'il en est un seul, je demanderai alors à ce sophiste du siècle, à cet habile appréciateur de semblables parfums, ce qui peut lui déplaire dans la composition de ce parfum; voyons de quels éléments il, est formé. Et enfin, quel est son prix? Nous pouvons affirmer que tant vaut la piété, tant vaut ce parfum. Nous demanderons peut-être si la piété se trouve dans la mort de Jésus-Christ, et quelle est son importance; l'Apôtre nous répond: «Manifestement c'est un grand sacrement de piété, celui qui a été manifesté dans la chair», il parle de la chair revêtue par le Verbe Eternel; «qui a été justifié dans l'Esprit», lorsque le péché de la chair est vaincu dans la chair; et qui est apparu aux anges (1)», soit lorsqu'une multitude d'esprits célestes fit entendre ce chant de joie: «Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté (2)»; soit encore lorsque nous-mêmes, sondant les profondeurs de ce mystère et l'annonçant au monde, nous nous trouvons associés au ministère des anges; «il a été prêché aux Gentils», afin que dans tout l'univers le nom chrétien devînt commun à toutes les nations; «il a été cru dans le monde, il est devenu un principe degloire (3)». Ce qui a été cru dans le monde, n'est-ce pas le mystère du Verbe divin revêtant un corps auquel il a conféré plus tard les gloires de la résurrection? Connaissant donc ce prix infini de la piété, l'Apôtre en a fait l'objet spécial des instructions qu'il adresse à son disciple. Parlant à son cher fils Timothée, il lui dit: «Exercez-vous à la piété; car la piété est utile à tout, puisqu'elle a la promesse de la vie présente et de la vie future (4)». Pouvait-on nous faire mieux sentir le prix de ce parfum de la piété, qui n'est autre pour nous que le mystère de l'Incarnation dont la valeur est infinie?

4. Allons plus loin, car à la piété s'ajoute la charité. Or, là croix du Sauveur n'est-elle pas la preuve évidente de l'amour infini de

1 1Tm 3,16 - 2. Lc 12,19 - 3. 1Tm 3,16 - 4. 1Tm 4,7-8

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Dieu pour les hommes? «C'est ainsi que Dieu a aimé le monde jusqu'à lui envoyer son Fils unique (1)» pour lui communiquer sa vie. Et pourquoi ce miracle de charité divine? Afin de vous faire mieux sentir la grandeur de l'amour qu'il nous témoignait. Mais enfin, quel est le prix de la charité? «La plénitude de la loi», dit l'Apôtre, «c'est la charité (2)»; et encore: «La fin du précepte, c'est la charité (3)». La charité est donc le bien par excellence, puisqu'elle résume en elle tous les préceptes. Or, cette charité se trouve par excellence dans la mort et la résurrection du Seigneur.

5. C'est une longue tâche d'énumérer chacune des espèces de parfum qui nous occupe, et ce travail nous expose à de nombreuses répétitions. Contentons-nous donc de signaler les autres espèces, sans nous obliger à en faire ressortir toute l'importance. Dans cette composition se trouve d'abord la vertu à laquelle se mêle la force de la patience. Nous trouvons aussi l'obéissance, «car Jésus-Christ s'est fait obéissant à son Père jusqu'à la mort et à la mort de la croix (4)». Une odeur suave est aussi produite par l'espérance qui étend son influence au-delà de la mort, et attend la résurrection, non-seulement de l'esprit, mais aussi du corps après la résurrection de Jésus-Christ. Tous ces parfums se confondent pour moi dans celui que j'ai signalé par ces paroles: «Jésus-Christ est mort et est ressuscité». Toutes ces espèces de parfum réunies forment une odeur de vie pour la vie; quelle n'est pas la corruption de ceux pour qui tout cela ne produit qu'une odeur de mort pour la mort. Pour nous, nous disons: «Votre nom, Seigneur, est un parfum répandu (5)»; et encore: «Nous courrons sur vos traces à l'odeur de vos parfums (6)»; notre seul désir est d'être pénétrés de cette odeur que nous suivons, afin que nous produisions nous-mêmes cette odeur de piété, de charité, de patience, d'obéissance et d'espérance, que nous aspirons dans la mort de Jésus-Christ.

6. Mes frères, ayons donc sans cesse devant les yeux, si nous le pouvons, l'utilité infinie de la croix du Seigneur et les joies de la résurrection. Considérons les précieux avantages que Jésus-Christ nous a procurés par le

1. Jn 3,16 - 2. Rm 13,10 - 3. 1Tm 1,5 - 4. Ph 2,8 - 5. Ct 1,3 - 6. Ct 1,4

mystère de sa mort; n'oublions pas que si la mort régnait universellement par la licence du péché, tout est maintenant soumis à l'empire de Jésus-Christ, tout, et spécialement l'homme lui-même, enchaîné jusque-là sous la loi de la mort par la transgression de nos premiers parents: «Car la mort règnait depuis Adam jusqu'à Moïse, même sur ceux qui s'abstenaient du péché et subissaient néanmoins les suites de leur ressemblance avec Adam (1)». Est-il donc étonnant que le désespoir ait plongé le genre humain dans des ténèbres et des erreurs où n'apparaissait aucun rayon de la foi? Les chaînes que le premier Adam avait rivées, le second Adam devait les briser. La seconde naissance devait réparer le mal qu'avait fait la première génération, issue d'Adam coupable. L'immolation de l'agneau, célébrée sous la loi de l'ancienne pâque, n'était pas suffisante pour purifier le monde; il fallait l'offrande de cet agneau qui effacerait le péché du monde. Les nations en étaient venues à douter si l'âme triompherait après la mort; et voici qu'après la croix, dans la chair de Jésus-Christ, nous trouvons l'infaillible assurance que notre corps lui-même ressuscitera; là où le péché d'Adam avait apporté la mort, il était nécessaire que l'obéissance de Jésus-Christ apportât la vie. «Comme», dit l'Apôtre, «nous mourons tous en Adam, de même nous serons tous vivifiés en Jésus-Christ (2)». Notre Sauveur a donc accepté la mort pour lui-même, afin de nous préparer à tous la vie; il me semble l'entendre dire aux hom. mes, dans son infinie miséricorde: Je ne refuse pas de partager votre mort, afin que je vous offre de partager ma résurrection. Sans doute la divinité qui est en moi ne saurait donner prise à la mort; toutefois par ma naissance humaine, je recevrai de vous ce que je pourrai offrir en mourant pour vous. Tout ce que vous êtes, je le serai, afin de donner tout ce que je suis. En effet, par la bouche de son Prophète, nous l'entendons parler de sa mort comme d'une menace de mort pour notre propre mort. «Je serai», dit-il par le prophète Osée, «je serai votre mort, ô mort je serai ta morsure, enfer (3)». Je subirai les droits de la mort, mais je les détruirai; un jour j'entrerai dans ta prison, non pas pour rester enfermé, mais pour briser tes barrières.

1. Rm 5,14 - 2. 1Co 15,23 - 3.Os 13,14

300

Confessons donc au Seigneur son infinie miséricorde, «parce qu'il a brisé les portes d'airain et rompu les barres de fer (1)»; il a tellement anéanti les barrières de la mort, qu'il nous a même ouvert les portes du ciel, où fut admis, aussitôt après la croix de Jésus-Christ, le larron quittantle supplice dû à ses crimes pour aller prendre possession de ce séjour destiné aux justes, et sans avoir d'autre mérite que celui d'une courte profession de foi; tandis qu'avant la croix de Jésus-Christ, nous voyons Abrallam lui-même retenu, loin du ciel, dans une sorte de captivité qui toutefois n'avait rien de commun avec celle des impies.

7. Nous lisons: «Le Christ sortit donc pour le salut de son peuple et pour la délivrance de ses élus (2)»; son amour devait le faire descendre jusque dans les profondeurs où le genre humain s'était précipité par sa prévarication. Tel un roi qui, après avoir détruit la forteresse d'un tyran, rétablit partout la liberté, et non content de rompre les liens de tous ceux qu'enchaînait la tyrannie, descend lui-même dans la prison où gémissent les siens, et leur apporte la liberté avec sa présence; ce serait peu pour lui de rendre ces captifs à la lumière, s'il ne venait pas luimême dans ce lieu de ténèbres, et si de ses propies mains il ne brisait pas les chaînes de leur captivité. Quelles actions de grâces pourront être rendues au Seigneur pour tant de bienfaits? Quel usage pouvons-nous faire de la liberté qui nous est rendue, si ce n'est de le servir librement? Il est écrit, «Jésus-Christ a été blessé pour nos péchés, et il s'est rendu faible pour nos iniquités; nous avons été guéris par ses souffrances (3)». On ne saurait avoir de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis (4). Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis (5). Si le grain de froment, tombant dans la terre, ne meurt pas, il demeure stérile (6). Dans le tremblement de terre de la croix, «les pierres se feu dirent et les tombeaux s'ouvrirent, et un grand nombre de corps des saints qui étaient morts ressuscitèrent, et sortant de leurs tombeaux après sa résurrection, ils vinrent dans la cité sainte et apparurent à une foule d'habitauts (7)». C'est ainsi qu'un seul grain tombant dans la terre a rendu

1. Is 45,2 - 2. Ha 3,13 - 3 Is 53,5 - 4. Jn 15,13 - 5. Jn 11,14 - 6. Jn 12,24- 7. Mt 27,51-53

à la vie une multitude d'autres grains.

8. Ne perdons pas de vue, mes frères, l'immense rançon de notre salut. Notre vie a été renouvelée par la mort de Jésus-Christ. Tout serviteur pour lequel son maître s'est sacrifié, n'est-il pas assez précieux? Que personne ne tente de se soustraire à cette dette de la rédemption. Jésus-Christ nous a tous rachetés, même ceux qui, aimant leur captivité, n'ont pas voulu recouvrer cette liberté que leur offrait un généreux Médiateur. Ne parlez pas ici de telle ou telle somme d'argent. Il n'a rien extrait de sa bourse, mais il a répandu son sang. A tant d'amour quelles richesses pourraient être comparées? Pour vous il adonné, non pas son bien, mais sa propre personne. Car ce qu'il demandait, ce ne sont pas vos richesses, mais vous-mêmes. Il a subi pour vous une mort passagère, afin de vous arracher à la mort éternelle; il a revêtu votre vie, afin de vous communiquer la sienne. Il est entré dans les limbes, afin que vous puissiez en sortir. Il a guéri nos blessures par les siennes; par ses plaies il a fait disparaître la plaie de notre damnation. Je le dis avec joie, mes frères, il est généreux le médecin qui soigne son malade à ses frais et dépens; qui par pur amour, non point de l'argent, mais du salut de son malade, supporte sans dégoût l'odeur et la vue des plaies d'un malade. Mais le comble du dévouement, c'est de recevoir soi-même des blessures, afin d'en guérir les autres, de s'offrir comme remède, de se laisser déchirer volontairement afin d'extraire des blessures d'autrui le virus qui s'oppose à leur guérison. C'est là ce qu'a fait Jésus-Christ, c'est jusque-là que notre Sauveur a porté le dévouement; médecin généreux et universel, il a versé, pour le salut de tous, non pas le sang des hommes, mais son propre sang. Notre rédemption est d'autant plus grande que nous sentions moins notre captivité; notre guérison est d'autant plus précieuse que nous connaissions moins notre maladie.

9. Tel est le mystère de la croix du Sauveur. Dans la personne d'Adam, par la transgression du précepte, le genre humain avait signé une sorte de pacte avec la mort; mais Jésus-Christ a effacé tous nos crimes, «déchirant le texte du décret porté contre nous. Il l'a détruit en le fixant à la croix, en dépouillant les principautés et les (301) puissances et en triomphant dans sa propre personne (1)». Or, par la destruction du texte de mort sur la croix, nous avons été rendus à la vie. En effet, la mort en Jésus-Christ, à quoi a-t-elle donné lieu, sinon à la résurrection? Or, la résurrection en Jésus-Christ confirme l'homme dans la croyance à sa propre résurrection. Reste à chacun le devoir de comprendre qu'il doit, dans sa vie, mettre un terme à ses crimes, comme un terme a été imposé à la mort publique. Puisque la mort est détruite, secouons notre sommeil spirituel, afin que personne ne demeure dans ses habitudes anciennes, maintenant que «les vieilles choses sont passées et que tout a été renouvelé (2)». Réalisons cette parole de l'Apôtre attestant que Jésus-Christ est mort, «afin que ceux qui vivent ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour Celui qui, pour eux, a bien voulu mourir et ressusciter (3)».

10. «Voici donc le jour que le Seigneur a fait (4)»; qu'il a réparé pour la gloire de ses saints; dans lequel Jésus-Christ ressuscitant d'entre les morts ordonne à son corps mystique qui est l'Eglise d'espérer que les membres participeront à la gloire de leur chef. Ecoutez l'Apôtre, lequel proclame que c'est Jésus-Christ lui-même qui parle par sa bouche: «En un moment, en un clin d'oeil, au son de la dernière trompette, car la trompette sonnera, les morts ressusciteront incorruptibles, et nous serons changés (5)». Toutefois ce grand jour de la résurrection dernière reçoit toute sa magnificence du jour que nous célébrons et qui a été illustré par la résurrection de Jésus-Christ, Alors nous aurons la réalité même de notre résurrection, aujourd'hui nous en possédons le principe; nous avons comme le germe d'où sortiront tous ces fruits, Le Prophète personnifiant Jésus-Christ chantait à l'avance la gloire de ce jour: «J'ai dormi et pris mon

1 Col 2,14-15 - 2. 2Co 5,17 - 3. 2Co 15 - 4. Ps 117,24 - 5. 1Co 15,52

sommeil, et je me suis levé parce que le Seigneur m'a reçu (1)». «J'ai dormi», dit-il, afin de prouver que sa mort était bien l'oeuvre de sa volonté propre, et non pas le résultat de la coaction. Telle est la pensée clairement formulée par l'Evangile dans ces paroles mêmes du Sauveur: «J'ai le pouvoir de quitter la vie, et j'ai aussi le pouvoir de la reprendre (2)». Cette grande joie du matin est ailleurs décrite en ces termes: «La lumière est levée pour les justes, et la joie pour ceux qui ont le coeur droit (3)». «Justes, réjouissez-vous dans le Seigneur (4)». Et encore: «J'exalterai le matin vos merveilles, parce que vous êtes mon soutien, ô mon Dieu (5). «Vous nous vivifierez après deux jours, le troisième jour vous nous ressusciterez (6)». Enfin, dans un autre passage l'écrivain sacré décrit en un seul verset la lumière du soir et la joie du matin de la résurrection: «La douleur durera jusqu'au soir et la joie jusqu'au matin (7)». Voilà pourquoi, comme le dit l'Apôtre, «la nuit a précédé, mais le jour s'est approché. Rejetons donc les oeuvres de ténèbres, et revêtons-nous des armes de la lumière (8)», afin que, à l'aide de ces armes, nous triomphions de l'adversaire de notre salut, puisque Jésus-Christ en a déjà triomphé lui-même. Si la seule espérance nous procure tant de joie, que sera-ce donc de la réalité? Si les membres sont si heureux du bonheur de leur chef, quel ne sera pas le bonheur dont ils jouiront avec leur chef dans ce lieu de délices où celui qui aura mérité d'être compté parmi les membres de ce corps magnifique n'aura plus à craindre d'en être retranché? Toutefois, celui qui désire ressusciter et régner avec Jésus-Christ, doit auparavant être crucifié et mourir avec lui, en mortifiant sans délai ses désirs et ses passions, par Jésus-Christ Notre-Seigneur.

1. Ps 3,6- 2. Jn 10,18 - 3. Ps 150,11 - 4. Ps 31,11 - 5. Ps 58,17 - 6. Os 6,3 - 7. Ps 29,6 - 8. Rm 13,2

302




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VINGT-SEPTIÈME SERMON SUR LA FÊTE DE PAQUES. (SEPTIÈME SERMON)

ANALYSE. - 1. Jésus-Christ ressuscitant est notre véritable lumière. - 2. Il est certain que, nous aussi, nous ressusciterons. - 3. Qu'est-ce qui milite contre la chair et pour la chair? - 4. Eloge de la chair. - 5. La chair ressuscitée sera réunie à son âme.

1. Ce jour, que nous rappelle le Prophète, c'est Jésus-Christ qui est né, qui est mort, et qui après sa mort est ressuscité plein de gloire. Ce n'est point moi qui l'affirme, c'est Jésus-Christ lui-même: «Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde (1)». Ainsi donc Jésus-Christ est ressuscité dans la chair afin de rester à nos yeux ce qu'il avait été, c'est-à-dire la lumière; ce n'est pas un corps nouveau qu'il prend, mais son propre corps, afin de nous prouver avec plus d'évidence que c'est dans notre chair elle-même que nous ressusciterons; autrement nous ne pourrions plus croire la résurrection.

2. Mais que faites-vous, ô homme? Oubliant que vous êtes le roi de ce monde, que vous appartenez à la société des élus, que vous résumez toute la création, pourquoi vous condamnez-vous vous-même? Pourquoi vous comparer aux bêtes et aux animaux victimes d'un ecomplète destruction? Ils périssent totalement, tandis que vous conservez votre substance spirituelle. Vous vivez dans une âme divine, et lorsque la chair se séparera de votre âme, vous serez divisé et non pas anéanti; vous serez séparé en différentes parties, mais vous retrouverez votre intégrité. Votre corps sera dissous, mais votre âme restera vivante et attendra la résurrection de votre chair dont elle a été la compagne. L'apôtre saint Paul s'écrie: «Si les morts ne ressuscitent pas, Jésus-Christ n'est pas non plus ressuscité; et si Jésus-Christ n'est pas ressuscité, votre foi est vaine et vous êtes encore dans vos péchés. Donc tous ceux qui se sont endormis en

1. Jn 9,15

Jésus-Christ ont péri. Si ce n'est que dans cette vie que nous espérons en Jésus-Christ, nous sommes les plus malheureux des hommes. Mais si Jésus-Christ est ressuscité d'entre les morts, nous trouvons en lui les prémices de tous ceux qui dorment. En effet, comme la mort est venue par l'homme, c'est par l'homme aussi que nous vient la résurrection des morts. De même que tous meurent en Adam, de même tous seront vivifiés en Jésus-Christ (1)». Doutez-vous encore que vous dussiez préférer le mérite de l'âme à la fragilité de la chair? Je m'en rapporte à votre jugement droit et juste. Le corps aurait besoin de toute son intégrité pour rester la demeure de l'âme, et pourtant le corps se dissout afin que la destinée des morts soit différente, comme sont différents les mérites de chacun. En créant l'homme, Dieu lui inspira de son souffle une âme spirituelle, tandis que le corps fut tout entier formé du limon soluble de la terre. Si vous n'envisagez que le corps, qu'est-ce que ce corps, sinon un informe limon de la terre, coloré par la coagulation du sang? Qu'est-ce que le corps? La nature des vices, la matière et l'origine des morts. Et si vous cherchez le mérite du corps, qu'est-ce que le corps? l'habitation de l'âme. Qu'est-ce que le corps? la demeure de l'Esprit de Dieu. Qu'est-ce que le corps? la plus belle de toutes les oeuvres de la création visible, destinée à devenir l'image de la substance divine. Il est écrit: Dieu fit l'homme à son a image et à sa ressemblance (2). Dieu fit Adam du limon de la terre et inspira sur sa face un souffle de vie. Et l'homme fut fait âme

1. 1Co 15,13-22 - 2. Gn 1,26-27

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vivante (1)». «Ame vivante», dit l'Ecriture, elle vivra donc après la mort; d'où il suit que cette âme est essentiellement différente de l'âme des animaux, laquelle doit périr avec le corps. Et comme les animaux sont de viles créatures, Dieu, au lieu de les former comme il forma le corps de l'homme, se contenta d'une parole: «Et Dieu dit: Que la terre produise des animaux, et il fut fait ainsi (2)». Comprenez donc, ô homme, quelle est votre dignité. Le Seigneur Dieu a formé votre corps de sa propre main, il vous a animé du souffle de son Esprit, tandis que les animaux et les bêtes sont sortis en quelque sorte du souffle de la terre.

3. Essayons maintenant de comparer les mérites ou la nature de l'âme et du corps. L'âme est réputée sainte, le corps est pécheur. Il est certain que l'âme est sainte, toutefois le corps ne pèche que par le vice de l'âme. Connaissez-vous bien, ô homme, considérez-vous attentivement et vous comprendrez que le corps ne sent rien que par les sens de l'âme; faites abstraction de l'âme, le corps est mort et incapable d'aucun mouvement. Le corps participe donc au bien comme il est l'instrument du mal; et si le corps souille l'âme, réciproquement il est purifié par les mérites et la sainteté de l'âme. Remontant à l'origine de la responsabilité et des crimes du corps, nous disons que le corps a été condamné à la mort dans Adam, mais qu'il ressuscite en Jésus-Christ; si la chair a été condamnée dans Eve la première femme, elle a été consacrée dans la Vierge Marie. Je le prouve par les oracles des Prophètes: «Dieu dit encore: Mon Esprit ne demeurera pas dans les hommes, parce qu'ils sont chair (3)». Au contraire, il est dit ailleurs en faveur de la chair: «Je répandrai mon Esprit sur toute chair (4)». Is frappant la chair, s'écrie: «Toute chair n'est qu'une herbe desséchée (5)». Et pour relever la chair, il dit aussi: «Toute chair verra le salut de Dieu (6)». L'apôtre saint Paul condamne la chair en ces termes: «Ne suivez pas les désirs de la chair»; mais il la loue en ces termes: «Je porte dans ma chair les stigmates de Jésus-Christ (7)». NotreSeigneur disait aux incrédules: «C'est l'Esprit qui vivifie la chair (8)». Mais vous dites «La chair ne sert de rien (9)»: Puisqu'il en est

1. Gn 2,7 - 2. Gn 1,24 -3. Gn 6,3 - 4 Is 44,3 - 5. Is 40,6 - 6. Lc 3,6 - 7. Ga 5,16 - 8. Ga 6,17 - 9. Jn 6,64

ainsi, mes frères, si la chair est accablée par ses crimes, pourquoi ne va-t-elle pas plutôt se relever en s'honorant des mérites divins du Fils de Dieu revêtu de notre chair?

4. N'aurez-vous que du mépris pour cette chair que Dieu a revêtue, qu'il a déposée, reprise et élevée dans le ciel? N'aurez-vous que du mépris pour cette chair que la flamme a respectée dans la personne des trois enfants juifs, et devant laquelle s'est arrêtée la rage des lions dans la personne de Daniel? N'aurez-vous que du mépris pour cette chair qui, aidant à la force des saintes âmes, a fait d'innombrables martyrs? Vous méprisez les hoinmes perdus, vous méprisez les voluptueux en qui l'âme s'est laissé corrompre par les désirs de la chair et a précipité, à son tour, le corps dans la corruption des passions et des vices. Vous méprisez les anges qui, épris d'amour pour les filles des hommes, ont souillé la majesté des corps célestes par la volupté terrestre. Ainsi donc, soit que vous honoriez la chair dans les martyrs, soit que vous la condamniez dans les voluptueux, il est absolument nécessaire de faire retomber toute responsabilité sur les âmes. La chair, dans sa servitude, n'a fait que ce que l'âme a voulu. La chair ressuscitera donc, soit sainte, soit coupable, et comme l'âme, elle recevra selon les oeuvres de sa vie sur la terre. Telles seraient, en matière de chasteté, une servante et sa maîtresse; il peut se faire que la servante provoque la séduction, mais la maîtresse n'en sera pas moins coupable, pour avoir voulu ou consenti.

5. La chair ressuscitera donc, soit sainte, soit coupable; et les malheureux pécheurs seront obligés de vivre malgré eux. O nécessité des choses! en essayant de justifier la chair, il se trouve que nous accusons les âmes. Nous accusons les dons de Dieu, lesquels, semblables à des étincelles jaillissant de la flamme, ont mérité, non pas de vivre dans le foyer, mais de s'éteindre dans la paille; nous accusons les choses célestes opprimées par les choses terrestres. Toutefois, nous attendons le jugement de Dieu qui seul peut apprécier les devoirs de la chair et les mérites des âmes. Il est donc vrai que l'âme ne peut être séparée de la chair ni en matière d'innocence, ni en matière de culpabilité, et réciproquement la chair ne peut être séparée de l'âme ni en matière d'innocence, ni en (304) matière de culpabilité. Comme la vie est commune entre l'âme et la chair, leur destinée éternelle doit être la même. L'homme intérieur est rappelé à l'homme extérieur, c'est-à-dire la chair est rappelée à l'âme; elle sera justifiée avec l'âme, ou l'âtre sera punie avec la chair.





Augustin, Sermons 1025