Augustin, Sermons 3005

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CINQUIÈME SERMON, SUR CES PAROLES DE L'APÔTRE AUX GALATES. «MES FRÈRES, SI QUELQU'UN EST TOMBÉ PAR SURPRISE EN QUELQUE PÉCHÉ, VOUS AUTRES QUI ËTES SPIRITUELS,» ETC.

PRÊCHÉ A CARTHAGE, A LA TABLE (1) DU BIENHEUREUX CYPRIEN, LE VI DES IDES DE SEPTEMBRE.

Les sermons inédits que nous mettons au jour pour la première fois, forment une classe à part et trouveront, selon moi, des champions dans tous ceux qui sont quelque peu versés dans la lecture de saint Augustin. J'ai copié celui-ci du catal. 17, dont j'ai déjà parlé, et lui ai donné le même titre qu'il porte dans ce catalogue. Je ne l'ai point trouvé en d'autres bibliothèques, et si l'on veut l'insérer dans l'édition de Saint-Maur, on peut le mettre avant le 164. En lisant le commentaire de Florus sur l'Epître aux Galates, on voit facilement quand s'est servi des pensées de ce sermon pour expliquer les premiers versets du chapitre VI. Les Pères de Saint-Maur, qui ne connaissaient point ce sermon,. n'ont vu dans Florus que des extraits du sermon 164; mais là il s'agit seulement de porter son propre fardeau et celui des autres, tandis qu'ici, tes six premiers versets sont expliqués, et le commentaire de Florus ne s'éloigne point de cette explication.

ANALYSE. - Si chacun portera son fardeau, comment le porter mutuellement? - Le porter mutuellement, c'est pardonner aux autres leurs imperfections. - Porter le nôtre, c'est rendre compte de nos fautes. - Nous devons essayer de redresser les autres, mais dans la douceur. - Ne pas se croire sans péché, ni agir pour la louange. - Le Christ dormirait dans nos âmes. - Chercher la louange c'est, comme les vierges folles, emprunter l'huile des autres.

1. Rappelez-vous, rues frères, ce qu'on vous «a lu dans l'épître de l'Apôtre: Mes frères, dit-il, si quelqu'un est tombé par surprise dans quelque faute, vous qui êtes spirituels redressez-le dans l'esprit de douceur, chacun réfléchissant sur soi-même, de peur d'être tenté. Portez mutuellement vos fardeaux, et ainsi vous accomplirez la loi du Christ. Car si quelqu'un s'imagine être quelque chose, il se trompe, puisqu'il n'est rien. Que chacun examine ses propres actions, et alors il aura seulement de quoi se glorifier en lui-même, et noir dans un autre. Que celui que l'on instruit dans les choses de la foi, communique tous ses biens à celui qui l'instruit. Ne vous y trompez pas, on ne se moque pas de Dieu, et l'homme recueillera ce qu'il a semé; car celui qui a semé dans la chair ne recueillera de la chair que la corruption; et celui qui sème dans l'esprit, recueillera de l'esprit la vie éternelle. Ne faiblissons pas en faisant le bien; si nous ne perdons point courage, nous moissonnerons le temps venu. C'est pourquoi, pendant qu'il en est temps, faisons du bien à tous, mais principalement aux serviteurs de la foi (1)».

1. Ga 6,1 et suiv.

Voilà ce qu'on a récité de l'apôtre saint Paul, jusque-là je ne suis que lecteur. Toutefois, mes frères, si la lecture est comprise, à quoi bon expliquer davantage? Voilà que nous avons entendu, que nous avons compris; c'est à nous d'agir afin de vivre. A quoi bon charger notre mémoire? Retenez ces leçons et réfléchissez-y. Quelqu'un est-il curieux de savoir comment il faut comprendre cette parole: «Portez mutuellement vos fardeaux», et cette autre qui vient peu après: «Chacun portera son propre fardeau?» Car vous dites alors dans votre coeur, si toutefois vous en faites la remarque: Comment porter mutuellement ses fardeaux, si chacun doit porter le sien? Comment les porter mutuellement (1)? C'est là une question, je l'avoue. Frappez, et l'on vous ouvrira: frappez par votre attention, frappez par l'étude, frappez même pour nous, par vos prières, afin que nous trouvions pour vous des paroles dignes; en frappant ainsi, vous nous viendrez en aide, et la question sera plus tôt résolue. Puisse chacun mettre en pratique ce qu'il aura compris, aussi efficacement qu'elle sera promptement résolue! Au point de vue de nos infirmités, «nous portons mutuellement

1. Cette répétition peut bien être une redondance.

(1)Voyez sermon CCC10, n. 2, ce que l'on entend, à Carthage, par Table de saint Cyprien.

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nos fardeaux»; au point de vue de la piété, «chacun portera son fardeau». Que dis-je? Nous tous, qui sommes-nous, sinon des hommes, et dès lors des infirmes qui ne sauraient être absolument sans péché? En cela «nous portons mutuellement nos fardeaux o. Si les péchés de ton père sont une charge pour toi, et les tiens pour lui, c'est une négligence mutuelle, et vous faites vraiment un grand péché. Mais s'il supporte ce que tu ne saurais supporter, et toi ce qu'il ne saurait supporter, alors vous portez mutuellement vos fardeaux, vous accomplissez la loi sacrée de la charité. Cette loi est celle du Christ; la loi de la charité est la loi du Christ. Car il est venu parce qu'il nous aime, et il n'y avait rien en nous qu'il pût aimer; son amour nous a fait aimables. Vous avez entendu ce que signifie: «Portez mutuellement vos fardeaux, et ainsi vous accomplirez la loi du Christ». Que signifie dès lors: «Chacun portera son propre fardeau?» Chacun rendra compte de ses propres péchés, et nul ne rendra compte des péchés d'un autre. Chacun a sa propre cause, et doit rendre compte à Dieu. Mais les évêques eux-mêmes, qui doivent rendre compte à Jésus-Christ de son troupeau, rendront compte pour leurs propres péchés, s'ils négligent le troupeau du Christ. Donc, mes frères, «si quelqu'un est tombé par surprise dans quelque péché, vous qui êtes spirituels, qui que vous soyez, dès lors que vous êtes spirituels, ayez soin de le relever dans l'esprit de douceur». Mais si tu cries au dehors, aime à l'intérieur; exhorte, flatte, corrige, sévis; aime et fais ce que tu voudras. Car un père aime son fils, et toutefois un père, quand il le faut, frappe son fils, lui inflige la douleur, afin de veiller à son salut. C'est donc là «l'esprit de douceur»; car si tel homme «est tombé par surprise dans quelque péché», et que tu lui dises: Que m'importe; si je te demande pourquoi ce peu m'importe? «Parce que, me diras-tu, chacun portera son propre fardeau»; et moi je répondrai à mon tour: Tu as entendu volontiers, et compris: «Portez mutuellement vos fardeaux. Si donc un homme est tombé par surprise dans le péché», toi qui es spirituel, tu dois le redresser dans l'esprit de douceur. Sans doute il rendra compte de son péché, parce que «chacun portera son propre fardeau»; mais toi, si tu négliges sa blessure, tu rendras de ton péché de négligence un compte redoutable; et dès lors, si vous ne portez mutuellement vos fardeaux, vous aurez à rendre un compte terrible, puisque «chacun portera son fardeau». Faites en sorte de porter mutuellement vos fardeaux, et Dieu vous pardonnera quant au fardeau que chacun doit porter. Si, en effet, tu portes le fardeau d'un autre, quand il est tombé par mégarde dans le péché, de manière à le relever par l'esprit de douceur, tu en viendras à ce passage que tu as entendu: «Chacun portera son propre fardeau»; et dans ta bonne confiance tu diras au Seigneur: «Remettez-nous nos dettes». Souvenez-vous donc, mes frères, de ces paroles: «Si un a homme est tombé par surprise dans quelque faute», et ne passons pas légèrement sur cette expression, homme. L'Apôtre pouvait dire: Si quelqu'un est tombé par mégarde, ou: Quiconque sera tombé. Il n'a point dit ainsi, mais il a dit: l'homme. Or, il est bien difficile que l'homme ne tombe point par surprise dans le péché. Qu'est-ce que l'homme, en effet? Mais ces spirituels, qu'il avertit de redresser avec douceur l'homme qui sera tombé par surprise dans quelque péché, disaient peut-être en leurs coeurs: Portons les fardeaux de ceux qui tombent dans le péché par surprise, parce que nous n'avons en nous rien qu'ils puissent porter. Ecoute ces paroles qui t'avertissent de n'être point trop en sûreté. «Vois et surveille-toi, de peur d'être tenté». Que les spirituels n'en viennent point à l'orgueil et à l'enflure; et toutefois, s'ils sont véritablement spirituels, ils ne s'élèveront point. Je crains qu'ils ne s'élèvent, tout spirituels qu'ils sont, parce qu'ils sont en cette chair; toutefois, que l'homme spirituel veille sur lui, de peur d'être tenté. Pour être spirituel, en effet, n'est-il plus un homme? Pour être spirituel, n'a-t-il plus le corps corruptible qui appesantit l'âme (1)? Pour être spirituel, est-il à bout de cette vie, qui «est sur la terre une continuelle épreuve (2)?» Il est donc bien de lui dire: «Veille sur toi, de peur que tu ne sois tenté». Après les avoir avertis, c'est-à-dire ces hommes spirituels, l'Apôtre nous jette alors cette sentence générale: Portez les «fardeaux les uns des autres, et ainsi vous accomplirez la loi du Christ». Qu'est-ce à dire. les uns des autres? Que l'homme charnel porte le fardeau de l'homme charnel, l'homme spirituel celui du spirituel: «Portez mutuellement

1. Sg 9,15 - 2. Jb 7,1 juxta Italam.

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vos fardeaux»; ne négligez pas mutuellement vos péchés: quand vous avez assez de confiance, reprenez; et quand vous n'avez pas une confiance suffisante pour reprendre, avertissez (1); et si cela est nécessaire, pour que nul ne soit pécheur, priez, suppliez. Serait-ce vous humilier que vous dire: Suppliez? Ecoutez l'Apôtre: «En vous donnant nos préceptes», dit-il, «nous vous supplions de ne pas recevoir en vain la grâce de Dieu (2)». Qu'un médecin trouve des forces dans un malade, il le réprimande; mais si les forces font défaut, s'il craint de le voir défaillir sous l'amertume de la réprimande, il le supplie, le conjure de l'écouter, d'exécuter ses prescriptions, et de vivre. Il est donc constaté que cette parole: «Portez mutuellement vos fardeaux» est un avis pour l'homme spirituel, que l'Apôtre lui dit: «Veille sur toi-même de peur d'être tenté»; de peur que ce spirituel ne vienne à croire qu'il n'a point lui-même de fardeau qu'un autre soit obligé de porter. Or, écoute-le en face de cette arrogance, de cette enflure, de cet orgueil, écoute-le qui nous répète: «Celui qui se croit quelque chose, se trompe lui-même; car il n'est rien». On ne saurait mieux dire que se tromper soi-même. Car il ne faut point tout rejeter sur le diable, puisque souvent l'homme est son diable à soi-même. Pourquoi faut-il éviter le diable? Parce qu'il te séduit. Mais te séduire toi-même n'est-ce pas être le diable pour toi? Que dit-il ensuite? «Que chacun éprouve son oeuvre, et alors il aura de la gloire seulement en lui-même, et non dans un autre». Quand tu fais quelque bonne oeuvre, si cette oeuvre te plaît, parce qu'un autre te loue; et que si cet autre ne te louait, tu viendrais à défaillir dans l'accomplissement de cette oeuvre parce que l'approbation te manquerait; alors tu as de la gloire dans un autre, et non en toi-même Qu'il te loue, et tu agis; mais que la bonne oeuvre que tu fais vienne à déplaire à l'insensé, tu ne la fais plus. Ne vois-tu point combien de bouches acclament ces hommes qui se ruinent en faveur des hystrions, sans rien donner aux pauvres? Les louanges qu'on leur prodigue font-elles donc que leurs actions soient bonnes? Lève-toi enfin: «La louange du pécheur est dans les désirs de son âme». Vous applaudissez, parce que vous connaissez les Ecritures auxquelles j'emprunte ce témoignage.

1. 2Co 7,4 - 2. 2Co 6,1 ex Itala.

Qu'ils écoutent, ceux qui ne les connaissent point. L'Ecriture a dit, ou plutôt l'Ecriture a prédit que «le pécheur est loué sur les désirs de son âme, et que l'on applaudit celui qui fait le mal (1)». Et maintenant que le pécheur est loué sur les désirs de son âme, que l'on applaudit au mal qu'il fait, cherche les applaudissements. Des coupables désirs te viennent-ils déchirer? Plonge-toi chaque jour dans l'iniquité et cherche les applaudissements. Crois-moi, tu ne saurais trouver que des adulateurs ou des séducteurs. Comment adulateurs, comment séducteurs? Je te dois raison de mes paroles. Ils sont adulateurs, parce qu'ils te louent, bien qu'ils sachent que tu fais mal; mais ceux qui te louent quand tu fais le mal, parce qu'ils croient que tu fais le bien, ne sont point des adulateurs, ils te louent dans leur âme; mais ils sont des séducteurs, parce que leurs applaudissements répétés sont une séduction pour le mal, et ne te laissent point respirer. Tu te repais alors de vanité, tu crois que c'est le bien que tu fais; tu dissipes ton bien, tu ruines ta maison, tu dépouilles tes enfants; ces louanges t'ont jeté dans le délire; tu cours, tu gesticules, tu reçois des applaudissements, tu les stimules, tu appauvris ta maison, pour ne recueillir que le vent. Mais, diras-tu, comment sont-ils séducteurs, ceux qui me louent dans leur âme? Ils sont pour toi des séducteurs, parce que tout d'abord ils se sont séduits eux-mêmes en te trompant. Veux-tu qu'il se fatigue à mettre des échelles auprès de toi, pour ne pas te séduire, cet homme qui s'est d'abord séduit lui-même? «Donc le pécheur est glorifié selon les désirs de son âme, et l'on applaudit à celui qui fait le mal». Eloigne de toi ces louanges, évite ces applaudissements, ou plutôt fais le bien. Mais, diras-tu, en faisant le bien je vais déplaire à tel bouillie. Qu'importe, si tu plais à Dieu? Déplaire à cet homme, et plaire à Dieu, c'est posséder la gloire en toi, et non dans un autre. Toutefois les méchants sont les détracteurs des bons, ceux qui aiment le monde se plaisent à maudire ceux qui le méprisent, ils les outragent et cherchent à les critiquer. Qu'on leur en dise quelque peu de mal, ils le croient aussitôt; qu'on leur en dise du bien, ils refusent de le croire, et ton coeur se trouble au point de cesser de faire là bien, parce qu'il n'y

1. Ps 9,24

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a personne pour t'applaudir, ou te tromper, ou te séduire. Et le témoignage de ta conscience ne te suffit point? Dans le théâtre de ton âme, sous l'oeil de Dieu, pourquoi te troubler? Je t'en supplie, pourquoi te troubler? Parce l'on dit de moi beaucoup de mal, voilà ta réponse? Tu ne serais pas troublé dans la barque de ta confiance, si le Christ n'y dormait. Tu as entendu la lecture de l'Evangile: «Il s'éleva une grande tempête, et le vaisseau était ballotté et couvert par les flots»; pourquoi? «Parce que le Christ dormait (1)». Quand est-ce que Jésus-Christ dort dans ton coeur, sinon quand tu oublies ta foi? La foi en Jésus-Christ dans ton coeur est comme le Christ dans la barque. Les outrages que tu entends, te fatiguent, te troublent: c'est que Jésus-Christ dort. Eveille Jésus-Christ, éveille ta foi. Tu peux agir, même dans ton trouble. Eveille ta foi, que le Christ s'éveille et te parle Les outrages te troublent? Quels outrages n'ai-je pas entendus avant toi et pour toi? Ainsi te parlera le Christ, ainsi te parlera ta foi. Ecoute son langage, et vois à son langage si tu n'as peut-être pas oublié que «le Christ a souffert pour nous (2)?» et qu'avant d'endurer pour nous de telles douleurs, il entendit des outrages? Il chassait les démons, et on lui disait. «Vous êtes possédé du démon (3)». C'est de lui que le prophète a dit: «Les opprobres de ceux qui vous outragent sont tombés sur moi (4)». Eveille donc le Christ, et il te dira dans ton coeur: «Quand les hommes vous maudiront et diront toutes sortes de mal contre vous, réjouissez-vous, soyez dans l'allégresse, parce que votre récompense est grande dans les cieux (5)». Crois à ce qui est dit, et un grand calme s'établira dans ton coeur. Si donc «l'homme se croit quelque chose, il se séduit lui-même, puisqu'il n'est rien; que chacun éprouve son oeuvre, et alors

1. Mt 8,24 - 2. - 3. Jn 8,48 - 4. Ps 68,12 - 5. Mt 5,11 ex Itala.

il aura la gloire en lui-même, et non dans un autre». Qu'on te loue, qu'on te blâme, tu as ta gloire en toi-même, parce que ta gloire c'est ton Dieu dans ta conscience, et tu ressembleras aux vierges sages, qui prirent avec elles de l'huile dans leurs lampes, et eurent ainsi la gloire en elles-mêmes, et non dans un autre (1). Car celles qui ne prirent point d'huile avec elles, en mendièrent auprès des autres, et leurs lampes s'éteignirent, et elles dirent: «Donnez-nous de votre huile». Qu'est ce à dire: «Donnez-nous de votre huile», sinon: Louez nos oeuvres, parce que notre conscience ne nous suffit pas! Autant que le Seigneur m'en a fait la grâce, j'ai expliqué ce qu'il y avait d'obscur dans la lecture de l'Apôtre. Tout le reste est clair et demande moins à être expliqué que mis en pratique. Mais pour pratiquer ce que nous avons entendu, prions Celui sans le secours de qui nous ne pouvons rien faire de bien, puisqu'il a dit à ses disciples: «Sans moi vous ne pouvez rien faire (2)». Tournons-nous vers le Seigneur etc.

Et après le sermon (3). - Comme le peuple avait demandé qu'il ne partit point avant la tête de saint Cyprien, il ajouta: Je dois déclarer à votre charité que nous ne sommes plus maîtres de nos désirs, non plus que de supporter des plaintes même dans les lettres; mais comme l'objet de vos demandes m'était déjà imposé parle saint vieillard, le termine ainsi mon discours: Voici tout près de nous la fête de saint Cyprien; vous m'avez fait violence pour me retenir, a cause de cette solennité si donc nous sommes avides de la parole, il nous est bon de faire jeûner notre corps.

1. Mt 25,8 - 2. Jn 15,15

3. On trouve souvent de ces additions dans les sermons édités, Les premières paroles viennent de quelque scribe. Ce passage nous confirme ce qu'a dit Possidius dans la vie de saint Augustin, que souvent les évêques et le peuple, chez lesquels se trouvait le saint docteur, non-seulement le suppliaient de prêcher, mais souvent l'y contraignaient; ce qui n'est pas une moindre preuve de sa grande science et de l'éclatante renommée dont il jouissait.

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SIXIÈME SERMON. SUR PLUSIEURS MARTYRS (1 ).

Ce sermon, qui porte le nom de saint Augustin et qui est parsemé des produits de son esprit, est tiré du catalogue num. 12, intitulé: «Sermons de saint Augustin, et d'autres u. On n'en voit aucune mention dans toutes les bibliothèques éditées que j'ai pu parcourir. Dans l'édition de Saint-Maur, on peut le placer après le sermon CCCXXVI. L'exorde et la pensée qui l'animent se trouvent dans le sermon CCLXXXV1, et à peu près dans les mêmes termes. Voyez aussi sermon CCCXXVII1, latin. 2, vers le milieu.

ANALYSE. - L'iniquité, en condamnant les martyrs, se mentait à elle-même. - L'amour de la vie éternelle triomphe de notre amour pour la vie du temps. - Comment le laboureur jette et sème son froment pour récolter du froment.

Martyrs est un mot grec que l'on traduit en latin par testes, ou témoins. Si donc les martyrs sont des témoins, c'est qu'ils ont subi tant de douleurs, pour affirmer la vérité de leur témoignage. La vérité servait Dieu, l'iniquité se mentait à elle-même. Car voici ce qui est écrit; c'est le corps du Christ ou l'Eglise qui dit dans un psaume: «Des témoins iniques se sont élevés contre moi, et l'iniquité s'est démentie elle-même». Il y a témoins et témoins: témoins d'iniquité, témoins de justice, témoins du diable, témoins du Christ. Tout à l'heure, quand on nous lisait la passion de nos bienheureux martyrs, dont nous faisons la fête, nous avons vu paraître ces deux sortes de témoins, nous les avons considérés, entendus. On les interroge, et ils répondent qu'ils ont fait des collectes parce qu'ils sont chrétiens. C'est là le témoignage de la vérité. Le juge disait: Vous confessez votre crime. C'est là le témoignage de l'iniquité: Prêcher Dieu, cela s'appelle crime. En prêchant Dieu, la vérité obéissait à Dieu; en nommant cela un crime, l'iniquité se donnait à elle-même le démenti. Ce qu'il disait contre eux se retournait contre lui, et le véritable crime condamnait le faux crime. Il n'y avait chez nos martyrs aucun crime; il n'y avait aucun crime pour les martyrs du Christ à se rassembler pour louer Dieu, pour entendre la vérité, pour espérer le royaume des cieux, pour condamner dans ses iniquités le siècle présent. Ils ne commettaient aucun crime, c'est ce qu'on appelle piété; cela se nomme religion, se nomme dévotion; son véritable nom est témoignage. Quel crime, dès lors, commettaient ceux qui envoyaient à la mort des hommes qui confessaient leur

(1) Bien que l'inscription porte indistinctement: «De plusieurs martyrs», on voit cependant que ces martyrs sont déterminés, par la lecture des actes qui a précédé et dont il est ainsi fait mention: «Quand on lisait la passion des saints.» Il est à penser que saint Augustin parlait alors des martyrs de Carthage, dont il fait mention dans le Brevicul. Collat. diei 3, c. 17, où l'on trouve: «Ils avouaient dans leurs tourments qu'ils avaient fait une collecte et sanctifié le jour du Seigneur». Ils étaient au nombre de quarante-huit, au dire de saint Optat de Milève, de Baluze, de Ruinart, et subirent le martyre la veille des ides de février, l'an 304. Et, à la vérité, ces collectes leur furent reprochées par le juge comme le seul point de culpabilité, et les martyrs avouent qu'ils les ont faites et en bénissent Dieu. I! serait difficile de croire que saint Augustin n'eût aucun sermon au sujet de ces martyrs si célèbres dans toute l'Afrique, lorsque le calendrier de Carthage accuse cinq solennités distinctes en leur honneur, et que l'on en fit une sixième, quand l'empereur Justinien eut bâti, dans son propre palais, un temple à la vierge Prima, comme le rapporte Procope (De aedif. a Just. extruct. 6). Baronius met cette vierge célèbre au nombre de ces martyrs. Or, dans les éditions qui ont paru jusqu'alors, on regrettait qu'il n'y eut, au sujet de ces martyrs, aucun sermon, et toutefois, deux catalogues du Mont-Cassin, 12 et 17, contenant celui-ci, probablement prêché à Carthage, où la solennité de leur fête amena saint Augustin qui voulut d'une manière toute particulière réprimer chez les fidèles cette joie trop profane qui dégénérait en ivresse et en festins. Car il termine ainsi: a Célébrons les fêtes des martyrs par des honneurs à leur passion, et non par l'amour de la boisson. . Ce sont à peu près les mêmes paroles qui terminent son avertissement à la fête de saint Cyprien, à Carthage, et à la fête des vingt martyrs d'Hippone. Dès qu'il en est ainsi, il faut accuser de fausseté cet auteur donatiste qui, chez saint Optat et chez Baluze (tom. I Miscell., p. 14, édit. 1761), rapporte dans ses additions qu'ils moururent de faim quand ils étaient encore en prison, puisque le juge fit trancher la tête à quelques-uns. Baronius et Ruinart avaient déjà répété ces additions, n'approuvant point l'histoire de Mensurius et de Cécilien. Si donc l'auteur donatiste est en défaut sur un point, il peut l'être sur d'autres. Les catalogues de Colbert, de Compiègne, et de (Pratel?), dont s'est servi Ruinart, n'ont pas ces additions et précisent des jours et des lieux différents où eus martyrs ont versé leur sang. Ce titre nous fait comprendre pourquoi on célébrait leurs fêtes à part et en des jours différents à Carthage. C'est donc su catalogue du Mont-Cassin que revient l'honneur de rappeler, selon la vérité, l'histoire de ces martyrs; ce qui les rend dignes de foi.

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piété? Il nous plaît, disait le juge, ce témoin du mensonge, il nous plaît de trancher la tête à tel, tel et tel; voilà bien le crime. Ecoute la voix de la piété: Grâces à Dieu, tel fut le témoignage de Primus ou du premier. Le premier a donc clos ce témoignage par une victoire perpétuelle. Votre charité a remarqué, je crois, quand on lisait la passion de nos saints martyrs, quel fut le premier qui rendit témoignage; le premier était appelé avant le dernier; victoire fut pour la tin, et victoire perpétuelle (1). O victoire sans tache! ô fin sans fin! Qu'est-ce, en effet, qu'une victoire perpétuelle, sinon une victoire sans fin? C'est là vaincre les passions de la chair, vaincre les menaces d'un juge pervers, vaincre la douleur du corps, vaincre l'amour de la vie. Si je le puis, mes frères, je dirai ma pensée avec le secours de Dieu: dans nos saints martyrs, l'amour de la vie fut vaincu par l'amour de la vie. Vous qui m'acclamez, vous l'avez compris, mais en faveur de ceux qui n'ont pas compris encore, souffrez que j'explique tant soit peu ma pensée. Voici donc ce que j'ai dit: Dans les saints martyrs, l'amour de la vie a été vaincu par l'amour de la vie. A qui l'amour de l'argent fait-il mépriser l'argent? A qui l'amour de l'or fait-il mépriser l'or? A qui l'amour des domaines fait-il mépriser les domaines? Nul ne méprise ce qu'il aime. Mais chez les martyrs, nous trouvons l'amour de la vie et le mépris de la vie. Ils n'y arriveraient point s'ils ne la foulaient aux pieds. lis savaient ce qu'ils faisaient quand ils la donnaient pour la gagner. Ne croyez point, mes frères, qu'ils avaient perdu tout sens, quand ils aimaient la vie et méprisaient la vie; non, ils n'avaient point perdu le sens. C'était là répandre la semence et chercher la moisson. Je vois le dessein du laboureur, et je connais la sagesse des martyrs. C'est par amour du froment que le laboureur répand son froment. Si tu ne sais point dans quel dessein il sème, tu pourras bien l'en blâmer et dire? Que fais-tu, insensé? Ce que tu as recueilli avec tant de peine, pourquoi le jeter, le répandre, le soustraire à tes regards,

1. Ce fut Primus, ou premier, qui fut tout d'abord à rendre témoignage. Victoire et Perpétue furent pour latin. Il y a dans le texte Victoria in fine perpetua. Mais ni victoria, ni perpetua ne commence par une majuscule; et toutefois je serais bien trompé, si les deux dernières martyres de Cartilage n'étaient point Victoire et Perpétue. Ce qui prête à saint Augustin ce jeu de mot: Perpetua ou sans fin. Comme elle fut la dernière ou la fin, ce fut une fin sans fin.

le jeter en terre, et de plus le recouvrir? Il te répondra: J'aime le froment, et c'est pourquoi je jette mon froment; si je n'y tenais point, je ne le jetterais point; je veux qu'il s'accroisse, et non qu'il périsse. Voilà ce qu'ont fait nos martyrs, incomparablement plus sages que les laboureurs. Ceux-ci répandent sur la terre quelques grains, et les moissonneurs en récoltent beaucoup. Mais et celui qu'ils répandent, et celui qu'ils récoltent, a une fin. Ce que l'on sème est peu nombreux, ce que l'on récolte l'est beaucoup plus, et néanmoins l'un et l'autre ont une fin. Et vous ne vouliez point que nos martyrs perdissent une vie que la mort terminera un jour, afin de récolter cette vie qui ne connaît point la mort? Bons prêteurs, bons semeurs, mais celui qui fait croître, c'est Dieu. C'est lui qui fait croître et multiplie les fruits dans vos campagnes, lui qui nourrit tout ce qui naît de la terre. Dieu, qui peut multiplier les grains, ne saurait conserver ses martyrs? Voilà que je vous le prêche, entendez ce qu'ils ont entendu. Vous aussi, vous l'avez entendu, quand on lisait l'Evangile; vous avez reçu la promesse qui leur fut faite: «Ils vous feront comparaître dans leurs assemblées et dans leurs synagogues; ils vous flagelleront, ils en tueront d'entre vous; mais je vous le déclare, un cheveu de votre tête ne tombera point, et vous posséderez vos âmes dans votre patience (1)». Vous posséderez, et non vous perdrez. Là, en effet, nul ennemi ne persécute, nul ami ne meurt. Vous serez-là où luit ce jour sans fin, qui n'a point hier pour le précéder, ni demain pour le suivre. Vous qui aurez bien prêté, vous serez là où le diable ne pourra vous suivre. Souffrez pour un temps, afin d'avoir une joie éternelle. Ce que vous supportez est dur, mais ce que vous semez exige des larmes. Lisez ce qui est écrit à votre sujet, vous qui semez: «Ils allaient et pleuraient en répandant leurs semences (2)». Quel en a été le fruit, quelle est la fin, la consolation? «Mais ils reviendront dans l'allégresse, en portant leurs gerbes». C'est avec ces gerbes que se font les couronnes. Célébrons donc les fêtes des martyrs, par des honneurs à leur passion, et non par l'amour de la boisson. Tournons-nous vers le Seigneur, etc.

1. Mt 10,19 Lc 21,1-19 - 2. Ps 125,6-7

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SEPTIÈME SERMON. SUR SAINT JEAN-BAPTISTE.

Quatre catalogues du Mont-Cassin, savoir: le catalogue 12, et trois lectionnaires du 11Ie siècle, contiennent ce sermon constamment assigné à saint Augustin. Dans la bibliothèque Léopoldine de Blandinius, elle est attribuée à un auteur anonyme. J'ai pris, dans le catalogue 12, l'exorde qu'on lit en abrégé dans la bibliothèque Léopoldine et dans les lectionnaires, sans doute parce qu'il parait quelque peu étranger à cette fête. Toutefois, pour ne point mutiler le sermon, j'ai retenu le titre qu'il porte dans les lectionnaires; car, à ce titre, le catalogue 12 ajoute une question de verbo et voce, qui a été interceptée par des lacunes, et qu'un copiste négligent a laissée sans solution. Du reste, de pareils changements sont fréquents dans les lectionnaires, les Pères de Saint-Maur en offrent beaucoup d'exemples et donnent cette note au sermon 44, de Verbis Isaiae, c. LIII. «Quant aux sermons de saint Augustin et aux traités que l'on devait lire dans l'église, on les écourtait nécessairement, et on leur adaptait un exorde et une conclusion». L'Indiculus de Possidius (cap. 8,9, 10) indique plusieurs sermons pour cette fête, parmi lesquels l'édition de Saint-Maur assigne une place à celui-ci et au suivant (num. 288, 293); car les sermons qui portent ces numéros sont d'accord avec ceux-ci et dans les paroles et dans les pensées. On peut regarder celui-ci comme le huitième sur la naissance de saint Jean-Baptiste.

ANALYSE. - De tous les Prophètes, Jean est le plus grand, il a vu en réalité ce que les autres ont vu en esprit. - Il est la mesure de l'homme. - Il s'humilie et dissuade ceux qui le prenaient pour le Christ. - Il n'est que la voix, le Christ est la parole de Dieu.

Puisque (1) le Seigneur a bien voulu, mes frères, ramener à votre charité et ma présence et ma voix, et qu'il l'a fait non plus d'après vos arrangements, mais d'après sa volonté nous lui en rendons grâces avec vous, nous vous obligeons en vous prêchant; car c'est là notre ministère, dans lequel il est nécessaire et convenable que nous soyons à votre service. C'est, à vous, mes bien-aimés, d'accueillir avec charité tout ce que vous peuvent donner des serviteurs de Dieu, et de le remercier avec nous de ce qu'il nous a donné de passer au milieu de vous cette journée (2). De quoi parler aujourd'hui, sinon du saint dont nous célébrons la tête? Jean est donc né d'une mère stérile, pour être le précurseur du Seigneur, né d'une vierge; dès le sein de sa mère, il a salué et prêché son Seigneur. Jean eut pour mère une femme stérile qui ne connaissait point l'enfantement; une femme stérile enfanta le héraut, une Vierge enfanta le Juge. Mais Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui devait naître d'une Vierge, s'était fait précéder auprès des hommes par beaucoup d'autres hérauts. Tous les Prophètes ont été envoyés par lui, mais c'était lui qui parlait en eux; et celui qui vint après eux était avant eux. Dès lors que le Seigneur s'était déjà fait précéder par plusieurs hérauts, quel si grand mérite avait celui-ci? Quelle si grande supériorité chez celui dont nous célébrons aujourd'hui la fête? Ce n'est point en effet sans marquer une certaine supériorité, qu'on ne passe point sous silence la naissance de Jean-Baptiste, non plus qu'on ne passe sous silence la naissance de son Maître. Nous ignorons quand vinrent au monde les autres Prophètes, mais il n'est point permis d'ignorer quel jour naquit Jean-Baptiste. Or, voici en lui déjà une grande supériorité: Les autres ont prêché le Seigneur, ont désiré le voir et ne l'ont point vu; ou, s'ils l'ont vu, ils ne l'ont vu qu'en esprit et dans l'avenir; mais ils n'ont pu le voir présent sous leurs yeux. Or, le Seigneur, en parlant d'eux, disait à ses disciples: «Beaucoup de prophètes et de justes ont voulu voir ce que vous voyez, et ne l'ont point vu, et entendre ce que vous

1. Dans l'édition Léopoldine et les lectionnaires, on lit cet exorde: «C'est aujourd'hui, mes frères, la fête de la naissance de saint Jean-Baptiste, précurseur de Notre-Seigneur. Que devons nous admirer tout d'abord, mes frères, ou la naissance du Sauveur, a ou la naissance du précurseur? Jean avait une mère stérile qui ne a connaissait point l'enfantement».

2. Cet exorde fait croire que le saint docteur ne prêchait point dans son église.

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entendez, et ne l'ont point entendu (1)». Et pourtant, n'était-ce point lui qui les envoyait? Tous, néanmoins, avaient le désir de voir le Christ en sa chair, s'il leur était possible. Mais comme ils moururent avant lui, de même qu'ils étaient nés avant lui, le Christ ne les trouva plus sur la terre, bien qu'il les rachetât pour la vie éternelle. Et pour connaître combien tous désiraient de voir le Christ ici-bas, rappelez-vous ce vieillard Siméon, qui n'avait pas reçu du Saint-Esprit une médiocre faveur, dans l'assurance qu'il ne sortirait point de ce monde sans avoir vu le Christ. Or, après la naissance du Christ, Siméon le vit enfant dans les bras de sa mère; il prit dans ses mains celui dont la divine puissance le portait lui-même; et tenant dans ses bras le Verbe enfant, il bénit Dieu en disant: «C'est maintenant, Seigneur, que vous laisserez aller en paix votre serviteur, selon votre parole; car mes yeux ont a vu votre salut (2)». Les autres Prophètes n'ont pas vu le Christ ici-bas; Siméon l'a vu enfant; Jean le connut après sa conception et le salua; Jean l'annonça, le vit, le montra du doigt et dit: «Voici l'Agneau de Dieu, voici celui qui efface les péchés du monde (3)». Il est donc supérieur à tous les autres. Écoute ce témoignage que lui rendit le Seigneur, qui se dit plus grand que lui, mais qui ne l'accorde à nul autre. Il était grand sans doute, celui à qui nul autre que le Christ ne pouvait se préférer. Voici donc ce que dit le Seigneur: «Parmi ceux qui sont nés de la femme, nul ne s'est élevé au-dessus de Jean-Baptiste (4)». Mais, pour se mettre lui-même au-dessus de lui, il ajoute: «Le plus petit néanmoins dans le royaume des cieux est plus grand que lui». Il se dit donc moindre et plus grand; moindre par le moment de la naissance, plus grand par la domination; moindre par l'âge, plus grand par la majesté. Le Seigneur est né après Jean, mais c'est dans sa chair, mais c'est d'une Vierge, et avant lui a il était, le Verbe dès le commencement». Admirable merveille! Le Christ vient après Jean, et Jean néanmoins vient par le Christ: «Tout a été fait par lui, et rien n'a été fait sans lui (5)». Pourquoi donc Jean est-il venu? Pour nous montrer le chemin de l'humilité, diminuer la présomption de l'homme, augmenter

1. Mt 13,27 - 2. Lc 2,29 - 3. Jn 1,29 - 4. Mt 11,11 - 5. Jn 1,1

la gloire de Dieu. Jean est donc venu dans la grandeur prêcher celui qui est grand; Jean est venu pour être la mesure de l'homme. Qu'est-ce que la mesure de l'homme? Nul homme ne pouvait être plus grand que Jean tout ce qui était plus grand que Jean était plus qu'un homme. Si donc Jean nous donnait en lui la mesure de la grandeur humaine, tu ne pouvais trouver un homme plus grand que Jean, et si tu en as trouvé un, il te faut confesser qu'il est Dieu, puisque tu l'as trouvé supérieur à l'homme. Jean est un homme, le Christ est un homme, mais Jean est seulement un homme, le Christ est Dieu et homme. Dieu, il a fait Jean; homme, il est né après Jean. Et toutefois, voyez combien s'humilie ce précurseur de son Seigneur Dieu et homme; on demande à celui qui n'a point son supérieur parmi ceux qui sont nés de la femme s'il n'est pas le Christ? Telle était sa grandeur, que les hommes pouvaient s'y tromper: on fut incertain s'il n'était pas le Christ, et on en fut incertain jusqu'à l'interroger. Un fils de l'orgueil, un homme qui ne serait point le docteur de l'humilité, s'imposerait aux hommes abusés, et, sans agir pour les détromper, accepterait ce qu'ils pensaient. Était-ce beaucoup, par hasard, de vouloir persuader aux hommes qu'il était le Christ? Qu'il eût essayé de le persuader et qu'on ne t'eût point cru, il serait demeuré dans l'abjection, couvert d'opprobre et de mépris parmi les hommes, et damné devant Dieu. Mais il ne lui était pas nécessaire de le persuader aux hommes, puisqu'il voyait qu'ils le croyaient; qu'il accepte leur erreur, et son honneur va grandir. Mais loin de l'ami de l'Époux cette pensée de vouloir prendre sa place dans l'amour de l'épouse! il déclara qu'il n'était point ce qu'il n'était point en effet, de peur de perdre ce qu'il était. Jean n'était point l'époux, et comme on l'interrogeait, il dit: «L'Époux est celui qui a l'épouse; mais l'ami de l'Époux, qui est devant et l'écoute, est plein de joie à cause de la voix de l'Époux (1)». «Pour moi, je baptise dans l'eau (2); celui qui vient après moi est plus grand en moi». De combien plus grand? «Tellement que je ne suis pas digne de délier les cordons de ses souliers». Voyez combien il serait encore au-dessous de lui-même, quand il en serait digne; combien il s'humilierait déjà quand il dirait: Il est

1. Jn 3,29 - 2. Jn 1,26

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plus grand que moi celui dont je suis digne de délier les souliers; car il proclamerait qu'il doit se courber à ses pieds. Maintenant, comme il nous prêche l'humilité quand il se croit au-dessous de ses pieds, et même au-dessous de sa chaussure! Jean vint donc pour prêcher l'humilité aux superbes, et nous annoncer la vertu de la pénitence. La voix vint avant le Verbe. Comment la voix avant le Verbe? C'est du Christ qu'il est dit: «Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement en Dieu (1)». Mais, pour venir à nous, le Verbe s'est fait chair, afin d'habiter parmi nous. Après avoir entendu que le Christ est la parole, écoutons que Jean est la voix. Quand on lui demandait: Qui êtes-vous? il répondit: «Je suis la voix de celui qui crie dans le désert: Préparez la voie au

1. Joan. 1,1.

«Seigneur, rendez droits ses sentiers». Écoutons les cris de Jean et préparons la voie au Seigneur; que le Verbe vienne à nous (1) parce que «toute chair est foin, et la gloire de l'homme n'est que la fleur du foin. Le foin se dessèche, la fleur tombe; mais le Verbe de Dieu demeure éternellement (2)».

1. La conclusion est tirée des lectionnaires et du catalogue Léop.; le catalogue n. 12, au lieu de cette conclusion, ajoute: «Parlons donc un peu, mes frères, autant que Dieu nous en fera la grâce, parlons un peu de la parole et de la voix. Le Christ est la parole, parole qui ne retentit point pour passer; ce serait alors la voix et mon la parole; mais la parole de Dieu, par qui tout a été fait, c'est Notre-Seigneur Jésus-Christ. La voix de celui qui crie dans le désert, c'est Jean. Qui a la supériorité, la vois ou la parole? Voyons ce a qu'est la parole et ce qu'est la voix, et alors nous venons où est la supériorité. Selon vous, mea frères, qu'est-ce que la parole? Sans a nous occuper de la parole de Dieu, par qui tout a été fait, parlons un a peu de nos paroles, si nous pouvons tant soit peu établir une comparaison? Qui comprend la parole de Dieu, par qui tout a été fait? Qui est digne d'y penser, qui le pourrait, tant nous sommes loin de e pouvoir en parler? Ajoutons son ineffable majesté, son éternité, sa coéternité avec le Père, afin que notre foi nous mérite de voir un jour?» Qui ne voit ici autant de rochers sans base, entassés confusément, et qui n'offrent pas même aux yeux l'image d'un toit?

2. Is 40,7-8





Augustin, Sermons 3005