Augustin, Sermons 4016

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SEIZIÈME SERMON. POUR LA DÉCOLLATION DE SAINT JEAN-BAPTISTE. II

ANALYSE. - 1. Les chrétiens sont des agneaux placés au milieu des loups. - 2. saint jean est jeté en prison pour avoir fait une légitime réprimande. - 3. Danse voluptueuse de la fille d'Hérodiade. - 4. Corrupteur de cette jeune fille, assassin de Jean, Hérode tombe sous les coups de la justice divine et meurt.

1. Notre Rédempteur et Sauveur Jésus-Christ ne s'est pas contenté de nous arracher à la mort éternelle, il a voulu aussi nous apprendre et nous commander, par les paroles du saint Evangile, la manière dont nous devons nous conduire ici-bas; en effet, voici en quels termes il s'exprime: «Voici que je vous a envoie comme des brebis au milieu des loups (1)». N'est-ce point pour nous le comble du bonheur que notre Dieu, le pasteur et le maître des brebis, nous ait aimés jusqu'à nous permettre d'avoir leur simplicité, si nous vivons sincèrement pour lui. Qu'il soit le pasteur du troupeau, ces autres paroles nous en donnent la certitude: «Je suis le bon pasteur, le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis (2)». C'est donc à bon droit qu'en raison de l'innocence de leur vie, il compare ses disciples à des brebis, et il donne, à non moins juste titre, le nom de loups à ceux qui, après sa mort, ont cruellement persécuté les Apôtres et les fidèles attachés à lui. Comment nous conduire au milieu des bêtes sauvages? Notre dévoué pasteur

1. Mt 10,16 - 2. Jn 20

nous le dit: «Soyez prudents comme des serpents, et simples comme des colombes (1)». Voici donc la volonté du Sauveur à notre égard: les colombes n'ont ni malignité, ni fiel; elles ne savent point se fâcher: soyons, comme elles, à l'abri de la ruse méchante: n'ayons pas de fiel, c'est-à-dire n'ayons pas l'amertume du péché; oublions les injures, et ne nous mettons pas en colère; vivons si humblement en ce monde, que nous recevions, un jour, la récompense promise par Dieu à nos efforts. Le Sauveur ajoute: «Et prudents comme des serpents (2)». Qui ne connaît l'astuce du serpent? S'il tombe au pouvoir d'un homme, et que cet homme veuille le tuer, il expose, aux coups de son adversaire, toutes les parties de son corps: peu lui importe de se voir blesser n'importe où, pourvu qu'il sauvegarde sa tête: c'est à quoi il veille avec toute l'adresse possible. Cette prudence du serpent doit nous servir de modèle: si donc, en temps de persécution, nous venons à tomber au pouvoir des ennemis de notre foi, exposons notre corps tout entier aux tourments, aux

1. Mt 10,16 - 2. Mt 10,16

552

supplices, et même à la mort, pour conserver notre tête, c'est-à-dire le Fils de Dieu, Notre-Seigneur Jésus-Christ.

2. Au moment où tous les membres de son corps perdaient leur tête, saint Jean-Baptiste, dont la grâce du Christ nous permet de célébrer aujourd'hui la nativité, se réjouissait de se reposer dans le sein de la Divinité toute parfaite. Entraîné par l'ardeur de ses passions, jusqu'à suivre, dans sa conduite, l'exemple des bêtes sauvages. Hérode avait souillé la couche de son frère: à ce moment-là, saint Jean, qui ne savait point taire la vérité, déclara formellement au roi que sa conduite était opposée à toutes les lois. Le roi avait fait des lois pour empêcher de pareils désordres, et il les enfreignait lui-même! Si, par ses moeurs, il condamnait ses décrets et ses lois, les lois et le droit ne le condamneraient-ils pas à leur tour? En ce temps-là donc, pour ne point se trouver sans cesse en butte aux publiques, indépendantes et légitimes protestations de saint Jean, le libertin couronné avait fait mettre la main sur lui et l'avait fait jeter dans une obscure prison, où la loi divine devait être son unique soutien. A cet événement vint s'en adjoindre un autre, l'anniversaire de la naissance de ce roi sacrilège: il réunit alors autour de lui les officiers et les grands personnages de son royaume, et il fit préparer un repas scandaleux pour ses compagnons de dévergondage sacrilège: en cette circonstance, la maison royale se transforma en cirque, si je puis m'exprimer ainsi.

3. La fille du roi se présente au milieu du festin, et, par ses mouvements désordonnés, elle foule aux pieds le sentiment de la pudeur virginale. Aussitôt, le père prend à témoins tous les compagnons de sa débauche, il jure par son bouclier, qu'avant de terminer sa danse joyeuse et ses valses, elle aura obtenu tout ce qu'elle lui aura demandé. La tête couverte de sa mitre, elle se livre, sur ce dangereux théâtre, aux gestes les plus efféminés que puisse imaginer la corruption; mais voilà que tout à coup s'écroule le factice échafaudage de sa chevelure; elle se disperse en désordre sur son visage: à mon avis, n'eût-elle pas mieux fait alors de pleurer que de rire? Du théâtre où saute la danseuse, les instruments de musique retentissent; on entend siffler le flageolet: les sons de la flûte se mêlent au nom du père, dont ils partagent l'infamie: sous sa tunique légère, la jeune fille apparaît dans une sorte de nudité; car, pour exécuter sa danse, elle s'est inspirée d'une pensée diabolique: elle a voulu que la couleur de son vêtement simulât parfaitement la teinte de ses chairs. Tantôt, elle se courbe de côté et présente son flanc aux yeux des spectateurs; tantôt, en présence de ces hommes, elle fait parade de ses seins, que l'étreinte des embrassements qu'elle a reçus a fortement déprimés; puis, jetant fortement sa tête en arrière, elle avance son cou et l'offre à la vue des convives; puis elle se regarde, et contemple avec complaisance celui qui la regarde encore davantage. A un moment donné, elle porte en l'air ses regards pour les abaisser ensuite à ses pieds; enfin, tous ses traits se contractent, et quand elle veut découvrir son front, elle montre nonchalamment son bras nu. Je vous le dis, les témoins de cette danse commettaient un adultère, quand ils suivaient d'un oeil lubrique les mouvements voluptueux et les inflexions libertines de cette malheureuse créature. O femme, ô fille de roi, tu étais vierge au moment où tu as commencé à danser, mais tu as profané ton sexe et ta pudeur; tous ceux qui t'ont vue, la passion en a fait pour toi des adultères. Infortunée! tu as plu à des hommes passés maîtres dans la science du vice; je dirai davantage: pour leur plaire, tu t'es abandonnée à des amants sacrilèges!

4. O l'atrocité! Le père lui-même se fait corrupteur de sa fille, et personne n'élève la voix contre lui! J'entends protester contre toi, les lois, tes remords, et, aux yeux de ceux qui ont encore quelque respect pour la pudeur, la voix d'un mari! Mais je veux le juger moins sévèrement; supposons qu'un reste d'honnêteté l'ait empêché de jeter sur sa fille des regards licencieux, il n'en reste pas moins évident qu'elle a dansé, et, à ce titre, son père l'a corrompue, et elle a conquis le coeur d'un incestueux. Il serait bien étonnant que la chasteté se montrât sous de pareils dehors! O père, embrasse la femme de ton frère: mais tu as sacrifié un père à la passion du sang. Elle t'enseigne à faire tomber la tête de Jean, car tu méprisais les avertissements du martyr, et ne pouvais goûter le bonheur de la chaste innocence. O race! O moeurs! O nom! O erreur sans remède! c'est donc à juste titre que, comme le disent (553) nos divines Ecritures, «tes membres sont tombés en putréfaction, et que les vers y ont trouvé leur pâture (1)». Ta fille a eu la tête coupée par la glace, et ta femme illégitime est morte aveugle. Ainsi Dieu retranche-t-il l'homme de blasphème; ainsi disparaît le péché; ainsi se trouve vengée la sainteté de la vie. Pour nous, qui aimons la chasteté et la paix, conjurons tous le Seigneur de nous préserver des moindres atteintes du libertinage. Ainsi soit-il.

1. Ac 12,23




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DIX-SEPTIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DES SAINTS MARTYRS FÉLIX ET ADAUCTE.

ANALYSE. - 1. Félix vraiment heureux. - 2. Il s'est montré supérieur à toutes les félicités de la terre.

1. Offrons tous l'hommage de notre vénération à ce bienheureux martyr qui s'est montré si courageux parmi les instruments de pendaison et si heureux au milieu des tourments; comme son nom a concordé avec ses mérites, il faut que sa gloire concorde avec son nom; mettons donc tous nos soins à l'honorer parfaitement. Il n'a puisé son bonheur ni dans l'or, ni dans l'argent, ni dans des revenus caducs, ni dans le prestige du pouvoir; car il a été grand d'une réelle grandeur. Il n'a point emprunté à de longs vêtements de pourpre l'éclat de son nom: s'il est célébré, il ne le doit pas à une multitude de parents illustres; ce qui l'a rendu heureux, ce n'a pas été un faste orgueilleux: le sang qu'il a versé lui a donné sa valeur et l'a empourpré, et son éblouissante blancheur lui est venue de la grâce d'en haut. Les ornements dont se trouvait revêtue cette sainte âme étaient donc de couleurs diverses. Sur son front resplendissait l'éclat du Christ. Loin d'inspirer du dégoût, le sang rosé qui teignait son corps charmait les regards; ce qui communiquait à ses membres leur beauté, c'était leur teinte vermeille, et non la trace des ongles de fer des bourreaux, parce que la cruauté du persécuteur n'avait pu porter atteinte à la gloire de Félix.

2. Arrière, précieuses toges des grands! Arrière, rubis éclatants! Diamants de toutes sortes, loin d'ici! Un sang pur a plus de poids que le monde entier. Une seule goutte de sang, versée pour le nom du Sauveur, a plus de prix que toutes les grandeurs d'ici-bas, que tous les empires et leur apparat! Compare maintenant, avec la balance de la justice, la fragilité des richesses et l'indomptable forée des martyrs, la fumée passagère de la puissance de ce monde, et l'éternelle permanence de la gloire des confesseurs. Je ne veux d'autre preuve en faveur de notre cause, que le masque trompeur dont se couvre la prospérité des mondains, elle prend les dehors de la vérité, et, en cela, son but unique est de se faire publiquement déclarer heureuse. Dans les amphithéâtres, qui retentissaient des applaudissements d'une foule hostile, nous contemplons de nos yeux le cruel spectacle des combats livrés par de courageux martyrs c'étaient, non pas des troupeaux de bêtes sauvages, mais des troupes de chrétiens qu'on amenait en ces lieux pour la lutte. Ils n'avaient commis aucun crime, et, pourtant, on déchirait leurs membres en lambeaux, et, alors, retentissaient les cris joyeux d'un peuple stupide. Après les avoir attachés à une potence, on tirait leurs membres étendus sur (554) des chevalets, puis, quand ils étaient abattus, des bourreaux cruels, armés d'ongles de fer, leur perçaient les côtes avec ces instruments de torture. Ainsi punissait-on des hommes qui ne s'étaient rendus coupables d'aucune faute. Où trouver un être assez méchant par nature, pour vouloir le supplice d'un innocent?




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DIX-HUITIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DES SAINTS MARTYRS FÉLIX ET ADAUCTE. (DEUXIÈME SERMON)

ANALYSE. - 1. Nom de Félix providentiellement donné à ce saint. - 2. Son heureuse victoire.

1. C'est un jour heureux, illustre et honorable, c'est un jour qu'on devra célébrer dans tous les temps, le jour qui concorde avec le nom de Félix, et qui a mis le comble à son bonheur en lui procurant la couronne de la victoire. Au moment où sa mère lui donnait le jour, Jésus-Christ lui marquait sa place de bienheureux dans le ciel. Ce que son nom présageait obscurément, son triomphe l'a manifesté d'une manière éclatante; et de là, nous pouvons conclure, sans crainte de nous tromper, que nous n'avons rien à perdre avec Dieu, et que toute grâce excellente, tout don parfait vient de lui (1). En le choisissant d'avance pour en faire un martyr, le Seigneur lui-même a voulu qu'on lui donnât le nom de Félix, et comme il l'avait prédestiné à la gloire éternelle, il a voulu que ses parents devinssent prophètes en lui appliquant son vocable. Ainsi en fut-il de Jérémie: il était né pour Dieu même avant d'être conçu. Nous le voyons souffrir de la perfidie des hommes; les incrédules attentent à sa vie, les impies l'accablent du poids de leur méchanceté; ses concitoyens ne sont, pour lui, que des ingrats; et ses frères, des furieux dont il lui faut endurer les mauvais traitements. Les Juifs frémissent contre le Prophète du ciel; ils se laissent emporter, envers lui, à tous les excès de la colère; à voir leurs mouvements, on

1. Jc 1,17

dirait des chiens enragés; et, pourtant, ils restent incapables d'effacer ce que Dieu a écrit, ils sont impuissants, malgré toutes leurs machinations, à détruire l'édifice dont le Seigneur a établi la base en choisissant son Prophète. «Avant de t'avoir formé dans les a entrailles de ta mère, je t'ai connu; avant que tu fusses sorti de son sein, je t'ai sanctifié; je t'ai établi Prophète parmi les nations (1)». O immuable disposition, ô puissance souveraine de la volonté de Dieu! Elle donne l'être à ce qu'elle veut, elle le choisit avant de le créer; avant de le tirer du néant, elle le sanctifie; elle daigne établir ce qu'elle doit aimer, et fait naître ce qu'elle gouvernera. Contre ces infaillibles desseins, pourquoi l'aveugle esprit de l'homme s'inscrit-il en faux? Que sert à sa méchanceté débile et sans forces de se révolter contre la puissance d'en haut? Sans doute, le saint prophète Jérémie a couru toutes sortes de dangers au milieu de ses parents et de la part de ses proches, mais aucun changement n'a été apporté aux projets de l'Eternel.

2. Venons-en maintenant au courageux et fortuné soldat, en qui doivent s'exécuter les plans de la divine Providence. Les hommes ne savaient donc pas quelles vues secrètes l'éternelle sagesse avait jetées sur lui; le persécuteur et le bourreau s'acharnaient inutilement

1. Jr 1,5

555

à sa perte: «Celui qui habite dans les cieux se riait d'eux, et le Seigneur les tournait en dérision (1)». Leurs âmes se torturaient par l'excès de leur rage stupide; des douleurs atroces déchiraient leur coeur, parce qu'ils ne pouvaient dompter le confesseur du Christ; tour à tour, ils sentaient l'aiguillon de la honte et l'ardeur brûlante de la fureur: ils croyaient tourmenter Félix, et c'était à leur propre supplice qu'ils travaillaient: attachés à des chaînes qu'ils ne pouvaient rompre, ils grinçaient des dents et poussaient des hurlements de rage; car s'ils martyrisaient Félix, ils ne pouvaient néanmoins vaincre sa constance: ils s'ingéniaient à le faire souffrir, et ils ne faisaient que donner de l'accroissement à sa gloire; ils l'avaient cru débile, et voilà qu'ils le trouvent indomptable, et ils reconnaissent que leurs efforts, impuissants à le maîtriser, n'aboutissent qu'à les blesser eux-mêmes. Quels titres de grandeur et de

1. Ps 34,16

555

royauté! Quelle force on trouve à être inscrit dans le ciel! A l'avis de ces perfides, Dieu devait s'irriter contre son serviteur, pendant le cours de ses souffrances; et, loin de là, il préparait au martyr la gloire la plus éclatante; selon eux, le Christ l'abandonnerait; car ils ne connaissaient rien aux secrets desseins de Dieu; mais comme il fallait que commençassent déjà à se dévoiler les résolutions du Très-Haut, les profanes durent dès lors éprouver et supporter leur propre châtiment; c'est pourquoi aussi Félix sortit de ce monde pour aller recevoir la couronne céleste. Que tout le choeur de ses compagnons de martyre dise donc à ce bienheureux: «Béni soit le Seigneur qui ne nous a pas livrés à la dent de nos ennemis. Notre âme a été délivrée comme le passereau du filet de l'oiseleur le filet a été rompu, et nous avons été sauvés. Notre secours est dans le nom du Seigneur, qui a créé le ciel et la terre (1)».

1. Ps 123,6-8




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DIX-NEUVIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DE SAINT CYPRIEN, MARTYR.

ANALYSE. - 1. Cyprien, martyr et prêtre. - 2. Sa première confession et son exil. - 3. Sa seconde confession et son martyre.

1. Mes frères bien-aimés, deux pierres précieuses, le sacerdoce et le martyre, ont brillé en saint Cyprien, et l'éclat de l'une a rehaussé l'éclat de l'autre, puisque sa vie d'évêque a été sainte et sa mort de martyr précieuse. Sa carrière sacerdotale ayant fini par un doux martyre qui lui a procuré les honneurs du triomphe, n'ai-je pas le droit de la proclamer bienheureuse? D'abord, il a offert à Dieu le sacrifice pour son peuple, et à la fin de sa vie, il lui a offert tout ce qu'il possédait: il s'est offert lui-même. Tenant en ses mains l'encensoir embaumé, l'ange prenait autrefois son vol, montait près de l'autel céleste, au pied du trône de l'Eternel, et offrait au Très-Haut l'encens de ses prières: aujourd'hui il l'a porté lui-même sur ses ailes jusque dans les parvis de la nouvelle Jérusalem. Que le cortége des autres puissances marche donc en avant de ce pontife et de ce martyr, et celui que le peuple environnait pendant l'oblation de la victime sans tache, les esprits angéliques le couronneront en récompense de son courage.

2. O martyre digne de tous nos hommages! O glorieuse confession! Un seul coup de (556) glaive a suffi pour lui trancher la tête et la séparer de ses membres; un seul coup l'a réuni à son chef, à son Sauveur! Il s'échappe des entraves de la chair, et les anges l'emportent triomphalement dans le ciel. Avec les dehors de la douceur, on lui adresse des questions cruelles, et il répond avec force sans perdre la patience. - Sacrifie aux dieux de Rome, lui dit le juge: observe les ordres de l'empereur. - A cela, saint Cyprien répond: Je suis chrétien et évêque, et ne connais pas d'autre Dieu que le Dieu unique et véritable: pour lui je suis prêt à endurer toutes sortes de tourments en cette vie: ainsi pourrai-je espérer de ressusciter un jour à la vie éternelle. - Choisis de deux choses l'une, ou d'aller en exil à Curube, ou de te conformer au culte que pratiquent les Romains. - Je m'en vais où tu me forces d'aller; mais je refuse ce que tu me demandes: le Christ, chef des martyrs et pontife des prêtres, m'accompagnera dans mon exil. - Il part donc pour la terre étrangère, mais le courage qu'il réservait pour l'heure de la souffrance ne l'abandonne pas; car le Christ est avec lui. Il méprise les biens d'ici-bas, parce qu'il veut acquérir ceux du ciel: il abandonne les avantages du temps pour entrer en possession du bonheur céleste. Ce soldat du Christ engage le combat avec les armes de la foi, et, dans sa lutte avec de cruels ennemis, il ne faiblit pas un instant. Son armure n'est autre que la cuirasse de la foi: pour se battre et remporter la victoire, il ne se sert pas du glaive; la patience lui suffit, et, en mourant, il reçoit du Dieu éternel la vie qui faisait l'objet de ses désirs. Chaque jour, dans ses prières, il disait avec le prophète David: «Je suis sûr de voir les biens du Seigneur dans la terre des vivants (1)». Et il ajoutait: «Quand irai-je et paraîtrai-je devant Dieu (2)», pour entrer en possession «de ce que l'oeil de l'homme n'a

1. Ps 26,13 - 2. Ps 41,3

point vu, de ce que son oreille n'a point entendu, de ce que son coeur n'a point compris, de ce que le Seigneur réserve à ceux qui l'aiment (1)?»

3. On le rappelle de l'exil pour l'entendre une seconde fois. Pendant qu'on le gardait en prison, il veillait soigneusement à la garde de la chasteté; il ordonnait de surveiller les vierges sacrées, car, disait-il, il ne faut point que la pratique de la charité leur fasse perdre la pureté. Le peuple chrétien couchait à la porte de son cachot, faisant le guet, se moquant de toutes les menaces par amitié pour le pasteur, désirant mourir pour lui, vénérant en lui le prêtre et le martyr. On donne à l'évêque une nouvelle audience à la suite de laquelle se consommera son triomphe. La. rude voix du juge se fait entendre, la courageuse réplique du martyr lui fait écho alors s'inscrit sur les tables, à l'aide du stylet, la cruelle sentence de mort, et, en même temps, se prépare dans le ciel la couronne qui doit illustrer Cyprien. On va lui trancher la tête, et il remercie Dieu de ce qu'il va sortir de ce monde. La foule des fidèles s'écrie: Nous voulons mourir avec lui, afin de nous retrouver avec lui au jour de la rédemption. Dans le sentiment de leur filiale affection, les enfants veulent endurer le martyre avec leur père, mais à condition qu'il les précédera devant Dieu; ils prétendent le suivre, comme les petites branches de l'arbre suivent la racine. On arrive avec lui en pleurant jusqu'au lieu de l'exécution: on veut assister à ses derniers moments, tant est vive l'amitié qu'on a pour lui. Pour se revêtir du martyre, il se dépouille du byrrhus; pour mourir, il met en terre des genoux qui ne devaient point trembler devant le tribunal du Christ, car il devait y recevoir une ample récompense pour son sang versé, et là son chef devait lui rendre sa tête.

1. 1Co 2,9

557




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VINGTIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DE L'APÔTRE SAINT ANDRÉ.

ANALYSE. - 1. Pierre est le premier des Apôtres, et André en est le second: pourquoi Pierre en est-il le premier? - 2. Ils sont, tous deux, pécheurs, non pas de poissons, mais d'hommes. - 3. Tous deux se séparent de Jean pour suivre le Christ.

«Or, Jésus, marchant le long de la mer de Galilée, vit deux frères, Simon appelé Pierre, et André, son frère, qui jetaient leurs filets dans la mer, car ils étaient pêcheurs; et il leur dit: Suivez-moi, et je vous ferai pêcheurs d'hommes (1)».

1. Le premier des Apôtres est Simon, appelé Pierre: après lui vient André, son frère, et chacun d'eux a reçu son rôle particulier de Celui qui pénètre le secret des coeurs. On appelle le premier Simon, surnommé Pierre, afin de le distinguer de l'autre Simon appelé le chananéen, parce qu'il était originaire de Chana de Galilée, où le Sauveur changea l'eau en vin. D'après la disposition de Jésus, les Apôtres vont donc deux à deux; ainsi, Pierre avec André, son frère; mais les liens qui les unissent sont plutôt spirituels que charnels. Simon veut dire l'obéissant, parce qu'il a obéi à la voix du Seigneur, au moment où Celui-ci lui a dit, ainsi qu'à André: «Suivez-moi, je vous ferai pêcheurs d'hommes». Pierre signifie le connaissant, parce qu'il a reconnu les titres du Christ, quand les autres disciples en doutaient. Jésus leur avait adressé cette question: «Et vous, qui dites-vous que je suis (2)?» Contrairement à l'opinion de ses condisciples, Pierre répondit: «Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant (3)». Voilà d'où lui est venu son nom: voilà aussi pourquoi, après avoir, pendant le cour des prédications qu'il faisait aux Juifs, parcouru la Cappadoce, la Galatie, la Bithynie, le Pont et toutes les provinces voisines, il est venu ensuite à Rome, qu'il devait illustrer.

2. Le nom d'André est grec; en latin, il se traduit par le mot viril; cet apôtre s'est, en effet, montré aussi courageux pour prêcher

1. Mt 4,18-19 - 2. Mt 16,15 - 3. Mt 16,15

que pour endurer des persécutions en faveur de la justice. Il annonça l'Evangile aux Scythes. Ces deux frères furent les premiers appelés à suivre le Christ. Pourquoi le Sauveur a-t-il envoyé, pour prêcher, des pêcheurs, des hommes sans instruction? C'était afin qu'on n'attribuât pas la foi de ceux qui croiraient aux talents et à la science des prédicateurs, au lieu d'y voir l'effet de la puissance divine. Il a donc appelé de tels hommes à l'apostolat, et, de pêcheurs de poissons qu'ils étaient, il en a fait des pêcheurs d'hommes. Car, de même que par leurs filets ils allaient chercher les poissons dans les profondeurs de l'eau, pour les amener à sa surface; ainsi, par la prédication des commandements de Dieu, ils ont retiré les hommes de l'abîme des erreurs mondaines. Trois évangélistes leur ont donné le nom de pêcheurs, et Jean a été le seul qui leur ait donné un autre nom. Il leur convenait parfaitement, puisque le Sauveur leur a ôté la profession de pêcheurs, pour leur confier la mission de prêcher l'Evangile aux hommes et de les amener ainsi à se sauver par la foi. En parlant d'eux, le Prophète n'avait-il pas dit: «J'enverrai des pécheurs qui les pêcheront (1)?» Tout ceci s'est donc accompli dans la personne des Apôtres, puisque de pêcheurs de poissons ils sont devenus des pêcheurs d'hommes. En effet, comme on retire les poissons du milieu de la mer au moyen de filets; de même, par la prédication apostolique, les hommes sortent du monde et arrivent à la foi du Fils de Dieu.

3. «Le lendemain, Jean s'arrêta avec deux de ses disciples, et, regardant Jésus qui s'avançait, il dit: Voici l'Agneau de Dieu; et les deux disciples l'entendirent parler et

1. Jr 16,16

558

suivirent Jésus (1)». Il est sûr que ces deux disciples de Jean furent André et Philippe, qui suivirent le Seigneur Christ dans l'intention d'apprendre quelque chose à son école. Que leur dit-il? a Suivez-moi a. N'était-ce pas leur dire, en propres termes: Croyez et voyez, c'est-à-dire, comprenez? Ce jour-là, ils furent éclairés, et ils crurent à la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ. L'Evangéliste ajoute: «Il était à peu près dix heures». Que signifie

cette dixième heure? Evidemment la fin de l'Ancien Testament et le commencement du Nouveau. Jean était, en effet, le symbole de l'ancienne loi, et les deux disciples figuraient d'avance l'amour de Dieu et celui du prochain; aussi quittèrent-ils Jean pour suivre le Sauveur, parce que la figure de la loi ayant disparu, le Nouveau Testament lui succéda, et qu'alors commença le règne de l'Evangile de Jésus-Christ.

1. Jn 1,35-37




4021

VINGT ET UNIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DE SAINT ÉTIENNE.

ANALYSE. - 1. Le premier des martyrs, saint Etienne, se trouve réjoui, au milieu de ses tortures, par la vue du ciel.- 2. La cruelle et impie Judée s'irrite, parce qu'elle ne peut rien répondre à la multitude des martyrs. - 3. Etienne prie Dieu pour ses lapidateurs.

1. Vénérons tous saint Etienne, frères bien-aimés, puisque aujourd'hui nous allumons des flambeaux en son honneur, et qu'en mémoire de lui nous nous réunissons ici dans les sentiments de la plus vive allégresse. Depuis le crucifiement de Jésus, il n'y avait encore eu aucun martyr; personne n'avait encore suivi le Christ jusqu'à la mort. Le monde possédait encore les Apôtres; c'était encore le temps où Saul, pareil à un loup, sévissait contre les chrétiens, et déjà le Sauveur déposait sur le front d'Etienne la couronne de la gloire. Jusqu'à ce moment, dans les champs et les prés du siècle ne s'était point épanouie la fleur des confesseurs; le sang du Christ, répandu en terre, n'avait pas enfanté de martyrs. Saint Etienne fut donc le premier germe sorti de cette semence; ce fut la première fleur qui se montra aussitôt après que la Judée eut fait couler le sang du Rédempteur. Ivre encore du crime qu'elle venait de commettre, les mains teintes de sang, la bouche encore pleine des cris de mort qu'elle avait, dans sa rage, proférés au tribunal de Pilate, la synagogue ne supporta pas qu'Etienne fût un témoin du Christ; elle ne voulut voir en lui qu'une sorte de satellite gagé d'un crucifié mis au tombeau; aussi fit-elle pleuvoir sur lui une grêle de pierres, et ainsi saint Etienne suivit-il celui qu'il aimait. Pendant que les lapidateurs le tenaient sous leurs mains et lui infligeaient le plus cruel supplice, le ciel s'ouvrit devant lui, et il vit le Fils de l'homme assis à la droite de Dieu. La récompense s'étalait aux regards du soldat; le céleste athlète apercevait le prix que Dieu lui avait préparé; la couronne réservée au martyr apparaissait à ses yeux; à cette vue, et tout disposé à mourir, Etienne expose aux coups de ses ennemis furieux un coeur brûlant d'amour pour Dieu, car la palme du triomphe est là, devant lui, dans le ciel; il touche au port du salut! Nous ne saurions en douter, mes frères, il contemplait le ciel des yeux de son corps; la présence du Christ, assis sur un trône, à la droite du Père, le comblait de joie; en face de pareils témoins, la lutte pour lui ne pouvait être timide, elle fut celle d'un héros. Si, d'un côté, les Juifs accablaient de pierres le martyr, d'autre part, le Christ lui envoyait, du haut du ciel, des couronnes sur lesquelles son sang avait empreint une teinte d'un blanc rosé. A quoi te sert, ô impie synagogue, cet (559) acte de cruauté? Tu jettes des pierres à Etienne, et tu travailles encore davantage à l'honorer; tu lui ôtes la vie, et tu contribues encore plus à l'exalter; tu le persécutes sur la terre, et, sans le savoir, par tes mauvais traitements, tu l'envoies plus vite au ciel. Déjà l'âme du martyr, arrivée à ses lèvres, va s'envoler au ciel; elle y tient déjà par toutes ses puissances; aussi est-elle devenue insensible à tes coups, et ne prendra-t-elle plus souci de ta force, car elle partage déjà la joie des anges, et comme il se trouve déjà dans les rangs de l'armée des archanges, le confesseur du Christ ne saurait plus redouter les souffrances de ce monde.

2. Le Père lui adresse la parole, le Fils le console, le Saint-Esprit ranime ses sens affaiblis; le ciel, avec ses mystérieuses beautés, lui sourit et le rassasie d'avance, comme un de ses habitants, de ses divines richesses; ainsi devient insensible pour notre martyr le supplice de la lapidation. Pour toi, impie Judée, tu parfais ton crime, tu accomplis jusqu'au bout ton homicide; à peine as-tu fini de faire mourir le Christ, que déjà son serviteur tombe sous tes coups, comme si, en ajoutant un meurtre à un autre, tu pouvais effacer la souillure du premier. «Voilà», s'écrie Etienne, «voilà que je vois les cieux a ouverts, et le Fils de l'homme debout à la droite de Dieu (1)». Le vois-tu, cruelle Judée? Le Christ dans le sang duquel tu as trempé tes mains est vivant dans le ciel. Tu frémis de rage, je le sais bien; tu ne veux pas entendre dire que Jésus, que tu croyais mort, vit toujours. Car si tu lapides aujourd'hui Etienne, c'est afin qu'il ne continue pas de rendre témoignage de la vie du Christ. Mais à quoi bon te raidir et vouloir t'opposer à de si nombreuses légions de martyrs? Parviendras-tu jamais à leur imposer silence? Evidemment, non. «Après cela, je vis», dit Jean, «une grande multitude que personne ne pouvait compter, de toute nation, de toute tribu, de tout peuple et de toute langue,

1. Ac 7,55

qui se tenaient debout en la présence «de Dieu, revêtus de robes blanches, avec des «palmes en leurs mains (1)». Ils portent des palmes dans leurs mains, et de ta bouche s'échappe le feu qui consume ton coeur; ils tressaillent de joie au sein de la gloire, et tu martyrises ta conscience; ils règnent avec le Christ que tu as fait mourir, et sur toi demeure éternellement la souillure du sacrilège que tu as commis!

3. Enfin, mes frères, écoutez notre pieux martyr; écoutez cet homme qui s'était rassasié à une table sacrée et divine, et dont l'âme, en présence des cieux ouverts devant lui, pénétrait déjà les secrets consolants de ce divin séjour. Au moment où les Juifs, emportés jusqu'à la cruauté par leur impiété habituelle, brisaient le corps du martyr sous une grêle de pierres, celui-ci, s'étant mis à genoux, adorait le Seigneur-Roi et disait: «O Dieu, ne leur imputez pas ce péché! (2)» Le patient prie, et son bourreau est inaccessible au sentiment du repentir; le martyr prie pour les péchés d'autrui, et le juif ne rougit point du sien propre; Etienne ne veut pas qu'on leur impose ce qu'ils font, et ses ennemis ne s'arrêtent qu'après lui avoir donné le coup de la mort. Quelle rage 1 Quelle fureur inouïe 1 Travailler avec d'autant plus d'ardeur à le tuer, qu'ils le voyaient prier pour eux 1 Ce spectacle n'aurait-il pas dû plutôt amollir leurs coeurs? Notre martyr a donc retracé en lui-même les caractères de la mort de son Maître. Attaché à la croix, sur le point de rendre le dernier soupir, Jésus priait son Père de pardonner aux Juifs leur déicide; engagé comme le Christ dans les tortueux sentiers du trépas, Etienne a imité son Sauveur, a offert à Dieu le sacrifice de sa vie; c'est pourquoi il a suivi jusqu'au ciel le Seigneur tout-puissant. Aussi, mes frères, devons-nous nous recommander à ses saintes prières, afin qu'à son exemple nous méritions de parvenir à la vie éternelle.

1. Ap 7,9 - 2. Ac 7,59

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VINGT-DEUXIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DES SAINTS INNOCENTS. I

ANALYSE. - 1. Le martyre de ces enfants est un hymne admirable chanté à la louange du Christ naissant. -2. Parallèle du Christ naissant et des saints innocents. - 3. Hérode, joué par les mages, met le comble à sa méchanceté.

1. L'indulgence du Sauveur ne connaît pas de bornes; les expressions manquent pour en donner une juste idée. Il habite au plus haut des cieux, et pour les hommes qui ne méritaient de sa part aucune pitié, il s'est revêtu d'un corps de boue. N'allez pas croire, néanmoins, que le Créateur des anges se soit renfermé tout entier dans les étroites limites du sein d'une Vierge. Celui des mains duquel le monde est sorti, a voulu briser les mailles du filet où l'ennemi du genre humain nous retenait tous captifs; il a voulu nous retirer de l'abîme d'iniquités où se trouvait plongée la race d'un père coupable; c'est pourquoi le Fils de Dieu est venu au monde et s'est fait le restaurateur de tout le monde; alors a retenti l'hymne de louanges que des enfants en bas âge lui ont chanté. C'est d'eux que le prophète David nous a parlé aujourd'hui dans tin de ses psaumes; voici ses paroles: «Vous avez tiré la louange de la bouche des nouveau-nés et des enfants encore à la mamelle (1)». L'admirable Prophète! En tous temps se chantent les louanges de l'Eternel, et néanmoins il a voulu nous faire voir qu'à la fin des temps le martyre enduré pour le Christ, par de petits enfants, deviendrait un hymne chanté en son honneur. Car voilà bien ce qu'il en a dit au psaume: «Vous avez tiré la louange de la bouche des nouveau-nés et des enfants encore à la mamelle». C'est du Christ que parle David, et il louange les enfants en même temps que le Christ. Il se fait le héraut de leur gloire, et annonce leurs souffrances à venir. Ils sont morts à la manière des martyrs, sans toutefois ressentir la

1. Ps 8,3

douleur du supplice; et malgré cela, ils ont ajouté à la joie des anges du ciel et contribué, pour leur part, à la victoire que le Roi de tous les siècles a remportée sur le monde. Celui qui a créé la Jérusalem céleste et qui y règne, est venu en ce monde, et une Vierge l'a enfanté sans rien perdre de sa pureté sans tache, sans contracter la moindre souillure; alors, la Jérusalem de la terre est tombée dans le trouble, et on l'a vue faire, avec Hérode, une guerre insolite aux petits enfants, tandis que les Mages adoraient le Sauveur donné à l'univers. Les cris déchirants des mères s'élèvent jusqu'au ciel, les souffrances de leurs nouveau-nés procurent au monde une indicible et incommensurable joie, et à toute personne qui pleure, l'éclat de la gloire. Le monde compatit aux douleurs de ces petits martyrs, et les archanges sourient à leur triomphe: ils tombent sans défense sous les coups de leurs pères; sans ressentir aucune souffrance, ils subissent pourtant l'empire de la mort; mais ils vont au ciel, car ils ont été trouvés dignes d'en obtenir la possession en échange de leur vie terrestre.

2. Jérusalem céleste, réjouis-toi dans le Seigneur de ce que la Jérusalem de la terre est en proie au trouble avec ses tyrans. Jérusalem, Jérusalem, depuis longtemps enivrée du sang des Prophètes, tu as autrefois fait d'eux une injuste distinction pour les accuser, et maintenant tu cherches par tous les moyens à faire partager ta folie à Hérode et à lui persuader de détruire des enfants! Dans les siècles passés, tu as fait mourir ceux qui annonçaient le Christ, et aujourd'hui que le Christ nous a, été donné, tu lui as trouvé un (561) ennemi, puisque tu frappes du glaive des enfants qu'il soutient de sa grâce. Admirable récompense! Un homme recherche un seul enfant, et à la place de ce seul enfant, une multitude d'autres sont arrachés du giron de leurs mères et égorgés. Un seul était venu racheter le monde; au moment de sa naissance, on invite les pères de tous les autres à commettre un crime sans précédents. L'Époux est tout à l'heure sorti du lit de la Vierge, et voilà que, pour le recevoir, des enfants en bas âge sont offerts en holocauste. Le potier qui nous a pétris vient de se revêtir d'un corps de boue dans le sein d'une Vierge, et déjà Hérode, obéissant aux suggestions furieuses du démon, se déclare contre lui, répand dans la poussière le sang de nouveau-nés, et fait de tout cela un hideux mélange. A peine le dispensateur de la vie humaine est-il sorti des entrailles de Marie, qu'un monceau de chair humaine, enlevée du giron des mères, se trouve formé par les mains d'Hérode. Sitôt qu'on a apporté le saint raisin dans le pressoir du monde, les mamelles des mères en laissent péniblement couler le jus, et il se mêle au sang répandu par le glaive. Tout à l'heure l'Agneau de Dieu est sorti de la sainte bergerie, et les bergers se sont joués d'Hérode; c'est pourquoi un acte de fourberie méchante s'est exécuté sur une grande échelle, car, saisi par la fureur et emporté par la rage d'un loup dévorant, pareil à un indigne faussaire, ce prince a arraché aux mères des cris de désespoir.

3. Voyant que les Mages l'avaient joué, Hérode fit donc venir les scribes et leur demanda en quel temps devait naître parmi les Juifs celui qui était destiné à les délivrer de l'esclavage. Inspirés par Dieu même, ceux-ci aimèrent mieux voir périr tous les enfants âgés de deux ans et au-dessous, que le genre humain tout entier. O Hérode, ta méchanceté ne connaît pas de bornes, et aujourd'hui Saul vénère l'Église qu'il persécutait; lui qui traquait jadis les adorateurs de Dieu, il reconnaît formellement en eux l'épouse du Christ, et il n'hésite pas à dire: «Je t'ai fiancée à cet unique époux, Jésus-Christ, pour te présenter à lui comme une vierge pure (1)». Par lui l'honneur, la louange et la gloire viennent à Dieu le Père, dans le Saint-Esprit, maintenant, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

1. 2Co 11,2





Augustin, Sermons 4016