Augustin, Sermons 5020

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VINGTIÈME SERMON. SUR L'AVÉNEMENT DU SAUVEUR. II.

ANALYSE. - 1. Double avènement du Christ. - 2. Réparation de l'homme par le Christ. - 3. Préparons-nous à recevoir le Christ quand il viendra.

1. «Nous attendons le Sauveur, Notre-Seigneur Jésus-Christ (1)». Bien-aimés frères, pour vous entretenir de la solennité qui est proche, je ne me servirai pas d'un exorde qui vienne de moi; je n'emploierai point de paroles dictées par la sagesse humaine, mais je m'arrêterai aux paroles d'un célèbre prédicateur, m'efforçant de les faire bien comprendre à mes fidèles auditeurs et de leur montrer ce que le Docteur des nations prêche dans la foi et la vérité, ce qu'annonce cette trompette de Dieu, cette cymbale de Jésus-Christ. «Nous attendons le Sauveur, Notre-Seigneur Jésus-Christ». Or, comme l'ont entendu les oreilles catholiques sur le

1. Ph 3,20

giron de l'Eglise, le Sauveur, que nous croyons être déjà venu pour restaurer le monde, reviendra encore, un jour, pour nous juger tous, et nous l'attendons: la foi en ce qui est arrivé doit, par la charité, nous affermir dans la pratique du bleu, comme l'attente de ce qui arrivera au moment de notre mort doit nous rendre vigilants et nous éloigner du mal. Nous devons croire, en effet, sans ombre de doute, que le Christ est venu, puisque «nous avons reçu «sa miséricorde au milieu de son temple (1)». D'ailleurs, «le Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous (2); il a abaissé les cieux, et il est descendu (3); car Celui qui est

1. Ps 46,10 - 2. Jn 1,14 - 3. Ps 17,10

665

descendu est le même qui est monté au-dessus de tous les cieux (1)», et qui, à la fin des temps, redescendra du ciel. Il en est descendu pour nous arracher à la malédiction de la loi, et faire de nous les enfants adoptifs de Dieu (2). Oui, le Fils de Dieu est descendu, il a pris notre nature, et il est devenu le Fils de l'homme, afin de communiquer sa gloire aux enfants des hommes et d'en faire les enfants de Dieu. Parce qu'il s'est abaissé jusqu'à notre niveau, nous avons tous été élevés jusqu'à lui. Il est aussi monté, afin d'envoyer du haut des cieux, à ses fidèles, le don du Saint-Esprit, et d'inspirer aux coeurs de ses disciples l'amour des choses célestes. Il est monté afin que le troupeau, qui se trouvait placé si bas, pût monter avec courage jusqu'au point culminant où l'a précédé le pasteur. Enfin, il descendra de nouveau, lorsqu'au dernier jour il viendra rendre à chacun selon ses oeuvres: c'est ce que l'ange a dit aux disciples du Sauveur, lorsque, stupéfaits et étonnés, ils le voyaient monter au ciel. «Hommes de Galilée, pourquoi demeurez-vous là regardant les cieux (3)?» Vous l'avez entendu, Celui que la foi catholique croit et confesse avoir déjà opéré un premier avènement, reviendra indubitablement à la fin des siècles. Il est venu, d'abord, dans un état d'humiliation, et pour être jugé: il reviendra, en second lieu, dans un appareil terrible, et il jugera les vivants et les morts. A son premier avènement, «il est venu chez lui, et les siens ne l'ont point connu (4)». A son second avènement, «tout genou fléchira devant lui dans le ciel, sur la terre et dans les enfers (5)», pour lui rendre hommage. Voilà le redoutable et terrible Juge que nous attendons avec crainte et tremblement; «il changera notre misérable corps (6)».

2. Par un bienfait tout gratuit de son divin Auteur, le premier homme a été formé et créé à la ressemblance du Très-Haut. Le Fils de Dieu est l'image du Père, la splendeur et la figure (7) de sa substance. Mais, préférablement à toutes les autres créatures, l'homme a été fait à l'image de Dieu, quant à son âme, pour qu'il fût capable de raisonner, charitable, juste, saint et innocent, pour qu'en lui, comme dans un miroir, se reflétassent les traits brillants de son Créateur. Il a conservé sa ressemblance

1. Ep 4,10 - 2. Ep 1,5 - 3. Ac 1,11 - 4. Jn 1,11 - 5. Ph 2,11 - 6. Ph 3,21 - 7. He 1,3

avec Dieu tant que sa raison est restée dominante et que son coeur ne s'est laissé ni obscurcir ni aveugler par les ténèbres de l'iniquité; mais, en cédant aux suggestions de son épouse, en mangeant du fruit défendu, il a affaibli et complètement effacé en lui les traits de l'image divine qui s'y trouvait empreinte; alors la masse du genre humain a été viciée et corrompue en sa personne. En effet, le vice, dont la racine de l'arbre se trouvait infectée, s'est à tel point communiqué à la tige et aux branches, que tous les hommes, issus d'Adam par l'effet de la concupiscence charnelle, sont sujets à la loi du péché et à la mort. Paul l'affirme, car il dit: «En lui tous ont péché (1)», et: «par la désobéissance d'un seul, plusieurs sont devenus pécheurs. (2)». Dans ces derniers temps est venu en ce monde le Fils du Dieu qui l'a tiré du néant; descendant du trône de son Père, sans se dépouiller de sa splendeur, prenant notre nature sans perdre la sienne, il a uni notre humanité à sa divinité dans le sein d'une Vierge, sans que l'intégrité de cette Vierge ait souffert la moindre atteinte; il est né de la chair, mais non par l'effet de la concupiscence; il s'est fait homme, mais non par le concours de l'homme. Il était «saint, innocent, sans tache (3)», et étranger à toute convoitise charnelle. C'est ainsi que le Médiateur de Dieu et des hommes est devenu participant de notre nature, c'est ainsi qu'il nous a conféré sa grâce et merveilleusement reformé en nous les traits de ressemblance avec Dieu, qu'y avait effacés la gourmandise de notre premier père; c'est ainsi, enfin, qu'il nous a ramenés à une condition singulièrement meilleure, puisqu'à la suite de la prévarication primitive, les hommes étaient forcément condamnés à mourir, et que par la résurrection finale ils deviendront immortels.

3. Mes très-chers frères, ce Juge si bon et si miséricordieux, qui «changera la misérable condition de notre corps (4)», nous devons donc l'attendre dans les sentiments d'une inquiétude et d'une crainte extrêmes. Changeons de vie, déplorons amèrement les péchés que nous avons commis, et puisque nous imprimons sans cesse à notre âme la tache e l'iniquité, purifions notre conscience par un nouveau baptême, celui de nos

1. Rm 5,12 - 2. Rm 5,19 - 3. He 7,26 - 4. Ph 3,21

666

larmes. Comme nous le dit l'Apôtre:«Vivons avec sobriété, justice et piété en ce monde, en attendant le bonheur que nous espérons et l'avènement du grand Dieu (1)». Que l'apparence trompeuse des biens passagers d'ici-bas ne nous induise point en une fausse sécurité; que les charmes de la terre ne nous arrêtent pas dans l'accomplissement de l'oeuvre de Dieu; soupirons plutôt après les choses du ciel; débarrassons-nous, parles gémissements de la pénitence, du fardeau de nos fautes; puissent nos bonnes oeuvres nous donner l'espérance des joies de l'éternité! Alors nous attendrons avec crainte et tremblement le Sauveur, Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et l'honneur, pour les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

1. Tt 2,13




5021

VINGT ET UNIÈME SERMON. POUR LA NATIVITÉ DIT SEIGNEUR. I.

ANALYSE. - 1. Les deux naissances du Christ. - 2. Il s'est abaissé pour nous relever. - 3. Le Christ enfanté par une Vierge.

1. Notre-Seigneur est né aujourd'hui, aussi le Prophète invite-t-il toutes les créatures à se réjouir; il s'écrie: «Que les cieux soient dans la joie! que la terre tressaille d'allégresse! que la mer et tout ce qu'elle renferme bondisse de bonheur (1)» Par les cieux, il faut entendre aujourd'hui les choeurs des anges, qui sont assis dans le ciel, et qui, en ce jour, font entendre aux bergers attentifs ce beau cantique: «Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté (2)». La terre est le symbole de la nature humaine. Quant à la mer, elle représente le monde entier, et, par tout ce qu'elle renferme, l'Ecriture nous indique ceux pour qui ce jour de la nativité du Christ doit être la source d'une joie inexprimable. Le Christ est né d'une Vierge, afin que nous naissions de l'Esprit-Saint; Celui qui a été engendré du Père avant tous les siècles est né aujourd'hui de la Vierge Marie. Sa Mère lui a donné le jour, mais il est resté dans le sein de son Père. Car si Celui qui est éternel est devenu

1. Ps 97,7 - 2. Lc 2,14

ce qu'il n'était pas, il n'a pas cessé d'être ce qu'il était: il n'était pas homme, et il s'est fait homme, selon cette parole de l'Apôtre: «Il a été formé d'une femme, il s'est assujéti à la loi, pour racheter ceux qui étaient sous la loi (1)». Mais il était Dieu, et il est resté ce qu'il était. Sa naissance selon la chair nous a été utile sans lui faire tort; car elle nous a procuré la grâce de devenir les enfants adoptifs de Dieu, et il a continué à rester Dieu avec son Père.

2. Tout grand qu'il était, il s'est abaissé afin de nous relever; car nous étions courbés vers la terre. Et de fait, avant l'avènement du Seigneur, la nature se trouvait courbée sous 1ç fardeau de ses péchés qui l'écrasait. si elle s'était pliée jusqu'au niveau du péché, elle avait agi de son propre mouvement, mais elle était, par elle-même, incapable de se relever. L'homme ne supportait pas, sans gémir, les tristes inconvénients de cette courbature; aussi le saint Prophète s'en plaignait-il avec amertume dans l'un de ses psaumes: «Je

1. Ga 4,4

667

suis devenu malheureux», disait-il, «et courbé à l'excès; je marche dans la douleur durant tout le jour (1)». Durant tout le jour; ces mots indiquent tout le temps qui s'est écoulé avant la venue du Christ: alors le genre humain marchait comme courbé, et il se désolait, car il n'y avait personne pour le redresser; il était tombé dans l'abîme du péché, et personne n'était là pour lui tendre la main et l'en retirer. C'est pourquoi Notre-Seigneur est venu; il a rencontré la femme que Satan forçait si bien, depuis dix-huit ans, à marcher courbée, qu'elle ne pouvait plus

1. Ps 37,7

se redresser; et, par l'effet de sa puissance divine, il a brisé ses entraves. Cette femme symbolisait la courbature du genre humain tout entier; et, dans sa personne, notre Sauveur, qui est né aujourd'hui, a brisé les liens dans lesquels le démon nous retenait captifs; de là nous est venu le pouvoir de regarder le ciel. Après avoir si longtemps marché dans la désolation et traînant dernière nous la chaîne de nos infortunes, recevons avec empressement le médecin qui vient aujourd'hui nous secourir, et tressaillons d'allégresse.

3. Oui, réjouissons-nous, frères (1).

1. Voir la suite au tom. 7, page 131.




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VINGT DEUXIEME SERMON. POUR LA NATIVITÉ DU SAUVEUR. II.

ANALYSE. - 1. Les anéantissements et les grandeurs du Christ Dieu et homme. - 2. Le bienheureux docteur continue le développement de sa pensée. - 3. De la trinité et de l'unité en Dieu. - 5. Epilogue.

1. Tous les dialecticiens, à beaucoup près, ne considèrent pas les humiliations du Sauveur comme un motif de devenir hérétiques; au contraire, ils y trouvent des causes qui les portent à rendre gloire à Dieu, car si le Christ s'est fait homme, s'il est né dans le temps de la Vierge Marie; s'il a vêtu sur la terre avant tous les siècles, il était Dieu et il a été engendré de Dieu. Toute ton attention, ô hérétique, se porte donc sur les anéantissements du Sauveur, et ils t'empêchent d'apercevoir sa glorieuse divinité. Après avoir lu ces paroles: «Mon Père est plus grand que moi (1)», lis donc aussi ces autres: «Mon Père et moi, nous sommes un (2)», et alors tu reconnaîtras que son humanité est la cause de son infériorité, mais aussi tu comprendras qu'il est Dieu et égal à son Père. Tu vois en lui un nouveau-né enveloppé de langes, et tu n'aperçois pas les légions d'anges qui l'environnent?

1. Jn 14,28 - 2. Jn 10,30

Tu le vois petit enfant, fuyant en Egypte, et tu ne remarques pas que les anges lui préparent le chemin et préservent de tout péril son aller et son retour? Devenu homme, il s'approche de Jean pour recevoir de sa main le baptême, tu vois cela et tu ne vois pas que les cieux s'ouvrent au-dessus de lui, et qu'au lieu de recevoir la grâce qui sanctifie, il la confère? Enfin, le Père se fait entendre du haut des nues; le Saint-Esprit descend corporellement sous la forme d'une colombe: ainsi la sainte Trinité tout entière vient consacrer le mystère du baptême, et le Père déclare lui-même que le Christ est vraiment son Fils.

2. En lui tu vois l'homme tenté par trois fois, et tu ne remarques pas le Dieu qui a triomphé des tentations du démon? Tu vois l'homme qui a faim, et tu ne remarques pas les anges qui lui apportent à manger? Tu le vois exposé aux tempêtes de la mer, et tu ne (668) peux l'apercevoir quand il commande aux vents et qu'il marche à pieds secs sur les flots? Tu le vois fatigué par la marche, et tu ne vois pas qu'il met fin aux fatigues des hommes? Tu le vois assis sur le puits, ressentant la soif et demandant à boire, et tu ne prends pas la peine de remarquer la source d'eau vive qui s'échappe de lui? Il est pauvre, il n'a à sa disposition que quelques pains; aussi, le regardes-tu d'un oeil de pitié, et tu n'aperçois pas en lui le Dieu riche qui rassasie tant de milliers d'hommes avec de si minces provisions? Tu te moques de lui, quand tu le vois aller au tombeau de Lazare et pleurer la mort de son ami, et tu ne le reconnais pas comme Dieu à le voir ressusciter celui qu'il pleurait tout à l'heure? Judas vend l'homme, tu le remarques: le Dieu rachète l'univers, et tu n'y prêtes pas attention? Si le Christ est retenu captif entre les mains des hommes, tu ouvres les yeux; et tu les fermes obstinément quand il délivre les hommes de l'esclavage du démon? Tu ne vois que le Fils de l'homme dans les chaînes, et tu méconnais le Fils de Dieu qui brise les chaînes du genre humain? Puisque tu contemples le Fils de l'homme lorsqu'il est bafoué; pourquoi ne pas contempler le Fils de Dieu, lorsqu'il arrache les âmes humaines aux moqueries des démons? Tu vois bien le bois de la croix; pourquoi ne pas voir aussi l'arbre de la prévarication remplacé par celui de la passion? Tu as pleuré, au sépulcre, sur son corps inanimé; pourquoi ne pas te réjouir en voyant le Dieu ressusciter et remonter dans les cieux? Puisque tu remarques en lui toutes les apparences de l'esclavage; pourquoi refuser d'y voir la nature divine?

3. Nous n'adorons qu'un seul Dieu, mais nous reconnaissons trois personnes unies dans une même Divinité: Un Père qui n'a pas été engendré, un Fils unique engendré du Père, et un Saint-Esprit, qui procède du Père. Nous lisons cela dans l'Evangile. Aussi n'est-ce pas aux noms, mais a au nom du a Père, et du Fils, et du Saint-Esprit (1)», que nous sommes consacrés par le baptême, que nous acquérons le glorieux titre d'enfant de Dieu, et, que par la grâce, Dieu devient notre Père: cette grâce, c'est Jésus de Nazareth qui nous l'a méritée par sa naissance et en vertu de sa glorieuse origine; car, s'il est homme et s'il est né d'une Vierge, il est aussi Fils de Dieu; et s'il a été enfanté sur la terre par une femme, le Père l'avait auparavant engendré dans le ciel. Il en est donc de la Divinité en trois personnes comme d'une source de sagesse, d'où s'échappent à la fois le son, la parole et la raison de la parole, ou comme du lit d'une rivière où se trouvent l'eau qui coule, son goût, et sa fraîcheur; ce sont là autant de choses personnellement distinctes et bien tranchées, et néanmoins elles ne forment qu'une seule et même substance qu'on ne peut ni partager ni diviser, dans laquelle ne se rencontre ni plus grand ni plus petit.

4. Tenons-nous-en donc à cette règle de foi catholique: Dans l'ordre des. personnes, tu ne dois en voir ni une plus grande, ni une moindre, et, en toutes, nous devons reconnaître une seule et même nature divine. Dieu, en effet, est toujours le même, et il demeure immuablement Dieu; donc, dans l'ordre des personnes, il n'y eu a pas d'inférieure aux autres, et la première n'est ni plus grande ni plus ancienne que les autres: elles puisent toutes en elles-mêmes le principe de leur existence, et le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont un seul Dieu qui vit et règne dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

1. Mt 28,19




5023

VINGT-TROISIÈME SERMON. POUR LA NATIVITÉ DU SEIGNEUR. 3

ANALYSE. - 1. Au sujet de l'éternité du verbe il faut choisir entre Jean et Arius. - 2. Saint Paul affirme sa divinité. - 3. Immuable en lui-même, Dieu se manifeste à ses serviteurs, tantôt d'une manière, tantôt d'une autre. - 4. Il ne faut pas toujours entendre selon la lettre les paroles de l'Ecriture.- 5. Funestes conséquences d'une interprétation par trop littérale. - 6. Les Ariens nous représentent le Père comme sujet au changement et à l'imperfection. - 7. L'orgueilleux arien rencontre encore ici un adversaire dans l'apôtre Paul. - 8. Le Verbe n'infirme nullement sa propre divinité en disant que le Père est plus grand que lui, et en se proclamant le Fils de l'homme.

1. Je vais attaquer Goliath, il me faut donc prendre ma houlette pastorale, et, comme le bienheureux David, choisir trois pierres dans le lit du torrent. Arien, que fais-tu? Tu oses dire: Le Fils de Dieu n'était pas, et Dieu était? Mais l'Evangéliste sacré te contredit, puisqu'il s'écrie: «Au commencement était le Verbe». Après avoir dit: «Il était», il ajoute: «Il était». Car voici la suite: «Et le Verbe était en Dieu». Non content d'avoir proféré deux fois ce mot: «Il était», il le prononce une troisième fois, en disant: «Et le Verbe était Dieu (1)». Et parce qu'aux quatre coins du monde on devait, par la prédication, opposer la vérité à l'erreur, l'Apôtre affirme une quatrième fois qu' «il était», en ajoutant: «Il était au commencement en Dieu (2)». Arius dit une seule fois: Il n'était pas; mais Jean dit quatre fois: «Il était, Il était, Il était, «Il était». Maintenant, que faire? Il faut nécessairement nous ranger à la parole de l'un des deux, et répudier l'autre. Si nous croyons au dire d'Arius, nous encourons la colère de Jean, et si nous marchons sur les pas de Jean, Arius s'offensera de notre désertion. Toutefois, comme, pour nous tenir le langage qu'il nous tient, Jean a reçu les enseignements du Christ et qu'Arius a puisé son système dans les leçons d'Aristote, suivons tous le disciple du Christ et laissons là l'élève d'Aristote.

2. Cependant, ô Arien, dis-nous quelle raison fa porté à prétendre que le Christ est une créature? Parles-tu ainsi parce que, étant né d'une Vierge, on l'a vu sur la terre au milieu

1. Jn 1,1 - 2. Jn 1,2

des hommes, ou parce que le Père nous le montre lui-même assis dans les cieux au rang des immortels? Si c'est parce qu'il est le fils de la Vierge, je te dirai que Dieu ne peut s'appeler créature; car il est le Créateur, et il s'est revêtu seulement de sa créature. En effet, s'il a apparu ici-bas, ce n'est point comme un véritable esclave au milieu de compagnons d'esclavage; mais, étant Dieu, «il a pris la forme d'esclave (1)», afin de pouvoir entrer en société avec des hommes réduits à l'état de servitude. Si. l'utilité de la république exige qu'il se cache dans la foule de ses sujets, l'empereur ne pourra le faire qu'en ôtant son diadème, en se dépouillant de son manteau de pourpre, en se revêtant de l'ordinaire livrée du peuple. Nous employons cette comparaison pour expliquer l'avènement passé de notre Roi. Voilà comment l'apôtre Paul, notre maître, continue à développer sa pensée: «parce qu'ayant la nature de Dieu, il n'a point cru que ce fût pour lui une usurpation que de s'égaler à Dieu (2)». Qu'en dis-tu, Arien? Cette phrase ajoutée par l'Apôtre casse les bras à ton Aristote. Paul dit le Verbe égal à Dieu; suivant toi, il lui est inférieur. Au dire de Jean, «Il était»; à t'entendre, Il n'était pas. Mais poursuivons notre tâche: «Il n'a pas cru», dit Paul, «que ce fût pour lui une usurpation de s'égaler à Dieu; mais il s'est anéanti lui-même en prenant la forme d'esclave (1)». Nous, qui sommes catholiques, attachons-nous inviolablement à ces deux points de doctrine: ainsi pourrons

1. Ph 2,7 - 2. Ph 2,6 - 3. Ph 2,7

670

nous répondre victorieusement à toutes les objections des hérétiques. «Il s'est anéanti lui-même», dit l'Apôtre, «en prenant la forme d'esclave». Quel est celui qui s'est anéanti? Evidemment, c'est celui «qui, ayant la nature de Dieu, n'a point cru que ce fût pour lui une usurpation de s'égaler à Dieu». En se revêtant de notre humanité, il n'a rien perdu de cette perfection qu'il partage à degré égal avec Dieu le Père: au contraire, il lui adonné un nouvel éclat; car, dans sa divinité, il y a titre à des louanges toujours nouvelles, et quand elle s'adjoint quelque chose, elle ne s'expose point à encourir l'ombre même d'une critique. Or, en disant qu'en Dieu il y a titre à des louanges toujours nouvelles, nous prétendons que la créature pourra se rapprocher de plus en plus de lui, mais ne parviendra jamais à se confondre avec la nature divine.

3. En effet, Dieu n'acquiert aucun accroissement, comme il ne peut subir aucune diminution dans son essence; seulement, d'après la nature de l'être créé dont il se revêt, il se montre aux uns avec les proportions de la grandeur, et aux autres avec celles de l'exiguïté. Nous en trouvons la raison et la preuve dans son infinie puissance. Quant à le voir en lui-même, et selon ce qu'il est dans sa nature, jamais aucune créature n'en sera capable. C'est pourquoi, lorsqu'il fit connaître sa volonté à Adam, il ne lui avait point apparu sous la même forme que quand il vint lui reprocher sa désobéissance. Le juste Abel et Caïn le prévaricateur ne l'aperçurent point sous des dehors pareils. Autre semblait-il être quand il enleva Enoch, autre quand il se montra à Noé, à l'heure du déluge, pour sauver le monde qui allait périr. Pour tenter Abraham relativement à son fils, il se montra à lui d'une manière, et il se manifesta d'une façon différente à Isaac pour le porter à servir de victime dans le sacrifice que son père allait offrir, à porter lui-même le bois destiné à le brûler, et à figurer ainsi le Christ chargé de sa propre croix. Jacob endormi et Moïse éveillé et gardant son troupeau ne l'ont point vu de la même manière. Quelle différence entre ce qu'il parut aux yeux des Egyptiens pendant qu'ils se noyaient, et ce qu'il parut aux enfants d'Israël en-les délivrant! N'était-ce point une colonne de nuée durant le jour et une colonne de feu durant la nuit? Ici, c'étaient des éclats de voix, des tonnerres et des éclairs; ailleurs, l'air était pur et le ciel tranquille, lorsqu'il se manifestait sous les traits splendides d'un prophète. Tantôt il ouvrait les cieux et en faisait tomber la manne qui devait nourrir son peuple; tantôt un rocher se fendait pour donner issue à une source d'eau vive qui devait le désaltérer. Il n'apparaissait pas 1e même. quand, sous le coup du bâton de Moïse, les eaux de la mer se séparaient pour favoriser la fuite des Israélites, que quand elles se réunirent, sous le coup du même bâton, pour détruire leurs. persécuteurs. Autre il se montra au passage du Jourdain, lorsque les eaux reprirent leurs cours interrompu; autre il se fit voir, quand, au son des trompettes, les murailles ennemies s'écroulèrent. Manifestations bien diverses de la Divinité! Sur un signe d'une prostituée, des hommes de moeurs pures échappent à la mort et sont protégés par des saints, et un homme commande au soleil de ne pas se coucher, et un homme défend aux nuées de donner de la pluie. Sur l'ordre d'un homme, le feu du ciel vient frapper d'autres hommes, et, à sa prière, le feu descend d'en haut pour consumer la victime d'un sacrifice; l'attouchement de son manteau suffit à séparer les eaux du Jourdain, et cet homme est enlevé sur un char de feu, comme pour devenir le conducteur des chevaux de feu qui le traînent. Samuel, David, Salomon, ont aperçu Dieu sous des aspects très-différents: Daniel a mérité de le voir autrement que Nabuchodonosor; d'innombrables Prophètes l'ont contemplé sous une forme, et les Apôtres sous une autre.

4. Va, hérétique, et toutes les fois que tu liras que le Verbe a apparu d'une façon ou d'une autre, représente-le-toi sous tant de traits, sous tant de couleurs, qu'il t'apparaisse ici sous la forme d'un buisson, là sous celle du feu, tantôt comme une nuée, tantôt comme un rocher, puis comme un bûcher, enfin comme une mâchoire d'âne; dis-toi: Voilà le Fils de Dieu. Si, en effet, tu lis l'Ecriture, et que tu la comprennes dans le sens obvie de la lettre, non-seulement tu nieras l'existence de. Dieu, mais encore tu embrouilleras les commandements de la loi elle-même. Car la loi ne défend-elle pas de refuser du pain aux faméliques, et un rafraîchissement à ceux que la soif dévore? Toutefois, ne s'exprime-t-elle (671) pas quelque part en ces termes: «Puise de l'eau à ta citerne, et ne laisse à personne le loisir d'en boire (1)?». Suivant la lettre, il y aura donc un précepte assez inhumain, assez cruel, pour nous interdire de donner même un verre d'eau à un homme consumé par la soif. Quiconque, en effet, ne fait attention qu'au sens littéral, s'expose au danger d'une condamnation au feu éternel; car il est écrit «Allez, maudits, au feu. éternel, car j'ai eu faim, et vous ne m'avez pas donné à manger; j'ai eu soif, et vous ne m'avez pas donné à boire (2)».

5. A cela, ô Arien, tu pourras répondre ainsi: Vous m'avez dit, non-seulement de ne point donner à boire à celui qui aurait soif, mais même de refuser de l'eau de ma citerne à celui qui désirerait s'en désaltérer. Voilà à quoi s'expose l'homme qui s'arrête à considérer l'écorce des saintes Ecritures. S'il lit, au sujet de Dieu, ces paroles: «J'ai vu l'Ancien des jours assis sur un trône (3)», il se figure que le Père est le plus vieux; et si cet autre passage lui tombe sous les yeux: «Quel est ce jeune homme qui vient de Bozor? Qu'il est beau! Comme il marche avec force et majesté (4)!» il s'imagine que le Fils de Dieu est la personnification de la jeunesse. C'est ainsi que, pour s'arrêter nonchalamment en route, il pense que la vieillesse s'avance d'une manière incessante au-devant de la jeunesse, et finit par l'atteindre. Dès lors, en effet, que tu supposes un plus grand et un plus petit, il faut nécessairement que tu les astreignes l'un et l'autre à l'indispensable obligation de croître, de devenir vieux, et, finalement, de cesser d'être.

6. Catholiques, je vous en prie, remarquez tous en quel abîme de blasphèmes se précipitent ceux qui, dans la lecture des saints Livres, se constituent leurs propres disciples et leurs propres docteurs: ils n'oseraient lire les vaines et ineptes fables des poètes, sans se mettre sous la direction d'un maître, et, pour les enseignements de «la sagesse du Christ cachée dans son mystère (5)», ils refusent d'accepter les leçons des hommes spirituels, ils forcent la parole sacrée de Dieu de se plier à leurs caprices. En prenant la défense de l'honneur de Dieu, tu le déshonores. Veux-tu que je t'en donne la preuve, ô Arien?

1. Pr 5,15 - 2. Mt 25,41-42 - 3. Da 7,9 - 4, Is 63,1 - 5. 1Co 2,7

Prétendrais-tu me forcer à croire, d'après toi, qu'il y a eu un temps où le Fils n'existait pas? Explique toi: dis-nous comment, dans ton système, le Père est immuable, puisqu'on ne peut appeler Dieu l'être que l'on supposerait capable de changer. Or, il est sûr que le Père est sujet à variation, s'il y a eu un temps où il n'avait pas de Fils; car en soutenant que le Fils a commencé d'être ce qu'il n'était pas auparavant, tu seras, par là même, obligé de donner au Père ce nom qui n'était point précédemment conforme à sa nature. On verra donc le père nouveau d'un fils tout aussi nouveau, et tu ne pourras nier que l'ancienneté vient atteindre la nouveauté; et comme à la nouveauté tu feras succéder l'ancienneté, comme, d'après toi, la vieillesse prendra la place de l'ancienneté; de même tu forceras la vieillesse à disparaître sous les coups de la mort. Ne vois-tu pas, je te le demande, en quel abîme de ténèbres tu es plongé? Si, en effet, tu ne refuses pas de croire «que le Christ soit la vertu de Dieu et la sagesse de Dieu (1)», et si, en même temps, tu soutiens qu'il y a eu un moment où le Fils n'était pas, il te faut deviner blasphémateur et dire que le Père a été sans force et sans sagesse, puisque tu cherches à démontrer qu'à un moment donné il n'avait pas ce Fils qui est sa force et sa sagesse. Or, être dépourvu de sagesse, c'est être fou, comme être privé de force, c'est la faiblesse; nul doute à cet égard.

7. Que fais-tu, ô hérétique? Pourquoi lever ton pied contre l'aiguillon? Il en sera infailliblement blessé. A t'entendre, le Fils n'est qu'une simple créature. Paul contredit tes blasphèmes en ce passage: «Dieu était dans le Christ, se réconciliant le monde (2)». Ne va point t'imaginer que cette parole de l'Apôtre soit la seule qui condamne ton système; dès l'instant je te prouve à nouveau ton blasphème. Si, en effet, tu prétends que le Fils est une créature; comme Paul a dit: «La créature est assujétie à la vanité (3)», il est évident que le Christ est assujéti à la vanité. Nous lisons encore ces autres paroles: «Toutes les créatures gémissent et sont dans les douleurs de l'enfantement (4)»; donc, celui qui est venu délivrer le monde entier des gémissements et de la douleur gémit lui-même et se trouve dans les douleurs de l'enfantement. Enfin,

1. 1Co 1,24 - 2. 2Co 5,19 - 3. Rm 8,20 - 4. Rm 8,22

672

l'Apôtre nous dit: «La créature sera affranchie de cet asservissement à la corruption (1)». Donc, celui qui règne dans l'incorruptibilité au séjour céleste est asservi ici-bas à la corruption.

8. Mais, répliquent les Ariens, il faut, bon gré mal gré, te soumettre d'esprit et de coeur à la parole du Christ; voici ce qu'il a dit de lui-même: «Le Père est plus grand que moi (2)». N'avez-vous lu que cela? On voit, ce me semble, dans les Evangiles, qu'il est le Fils de l'homme s. Faites-nous donc un crime de l'appeler Fils de Dieu. Dites-nous pourquoi vous lui donnez le nom de Fils de Dieu,

1. Rm 8,21 - 2. Jn 14,28 - 3. Mt 8,20 etc.

puisqu'il se proclame lui-même Fils de l'homme? Si tu travestis les motifs de son anéantissement, tu emploies le remède à creuser tes plaies, et ce qui pourrait seul guérir tes blessures, tu t'en sers à porter la corruption jusque dans les parties saines. Pour nous, cherchons, dans la confession de la vraie foi, à conserver l'entière santé de nos âmes; croyons, sans hésiter, que la Trinité tout entière réside dans l'unique substance d'une même Divinité: par là, nous pourrons devenir participants de la vie éternelle, en Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui règne avec le Père et le Saint-Esprit dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.




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VINGT-QUATRIÈME SERMON. POUR LA NATIVITÉ DU SEIGNEUR. ON Y EXPLIQUE CES PAROLES DU PSALMISTE: «IL DESCENDRA COMME LA PLUIE SUR L'HERBE DES CHAMPS». (@Ps 71,6@) IV.

ANALYSE. - 1. Humilité et grandeur du Christ naissant. - 2. Son premier avènement a eu lieu dans les abaissements; le second se fera dans tout l'éclat de la gloire.

1. On ne saurait en douter, mes très-chers frères, cette partie du psaume qu'on vient de lire est l'annonce de l'avènement corporel de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avènement qu'il a effectué aux yeux du monde, lorsqu'il est descendu du ciel pour opérer notre salut. Et parce qu'il devait être humble dans sa chair, parce que, comme Dieu, il ne devait y affecter aucune puissance, y manifester aucune grandeur, il s'est montré aux regards des hommes avec le prestige de la grandeur. En effet, si les témoins de sa naissance l'ont vu apparaître dans les abaissements et la pauvreté, ceux qui ont cru en lui l'ont reconnu pour un Dieu; car si, dans son extérieur, il agissait comme homme, parce qu'il était intérieurement, il agissait en Dieu, tout en manifestant l'humanité dont il s'était revêtu, la condition corporelle et terrestre à laquelle il s'était soumis. Pauvre aux regards de ceux qui le considéraient seulement des yeux de la chair, il était plein de majesté et revêtu de la gloire céleste aux yeux de ses fidèles. Au moment de sa descente sur la terre, il fut humble, et, pareil à la pluie qui tombe sur l'herbe molle sans se faire entendre, il descendit du ciel sans annoncer son infinie puissance, sans faire aucun bruit, sans épouvanter les hommes par le fracas de sa venue; rien, dans les humiliations de sa naissance, ne trahit sa grandeur. De fait, il ne venait point ici-bas pour y régner; sa mission était (673) de souffrir pour notre salut, de triompher des tentations, de souffrir, bien qu'immortel, les douleurs de la mort en faveur des mortels, et d'ouvrir devant tous ceux qui auraient recours à lui le chemin d'une nouvelle vie.

2. Il a donc effectué son premier avènement, son avènement selon la chair, comme la pluie qui tombe des nuées sur l'herbe; c'est pourquoi il lui faudra opérer sa seconde venue au milieu du fracas et du bruit. Aussi, selon le langage de l'Ecriture, «y aura-t-il des éclairs, des tonnerres, des tremblements de terre et de la grêle (1)». «Un feu dévorant marchera devant lui, une effroyable tempête mugira autour de sa personne (2)». Et, comme dit l'Apôtre, «la violence du feu dissoudra les cieux et fera fondre tous les éléments (3)». «Un feu dévorant le précédera et consumera autour de

1. Ap 8,5 - 2. Ps 49,3 - 3. 2P 3,12

lui ses ennemis (1)». «Les montagnes se fondront comme la cire (2)». «Mais ceux qui craignent le Seigneur et attendent sa venue seront enlevés sur les nuées pour aller, dans les airs, au-devant de Jésus-Christ, et ainsi seront-ils éternellement «avec le Seigneur (3)». Tout cela a été écrit, afin que nous nous préparions à sortir au-devant de Notre-Seigneur: par là, et en nous humiliant ici-bas à l'exemple du Sauveur, nous mériterons de régner avec lui dans les splendeurs de la gloire céleste. Car voici ce qui aura lieu: Quiconque, sur la terre, aura répandu les larmes de l'humilité comme une pluie abondante, jouira, dans le ciel, des félicités éternelles, par Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui vit et règne dans les siècles des siècles avec le Père et le Saint-Esprit. Ainsi soit-il.

1. Ps 96,3 - 2. Ps 96,5 - 3. 1Th 4,11-18





Augustin, Sermons 5020