Augustin, Sermons 5030

5030

TRENTIÈME SERMON. POUR LA NATIVITÉ DU SEIGNEUR. X.

ANALYSE. - 1. Etonnants mystères renfermés dans la naissance du Christ. - 2. Un grand nombre de prodiges, sorte de prélude de ses miracles à venir, ont précédé la naissance du Sauveur. - 3. Motifs pour lesquels les Mages ont recherché et adoré ce roi des Juifs préférablement à tous autres.

1. Le Christ vient au monde, aussi le coeur des hommes est-il inondé de joie. Le Créateur du genre humain sort du sein d'une jeune fille, et des entrailles, restées vierges de tout (684) contact charnel, mettent au monde le Fils de l'homme, qui n'a pas eu d'homme pour père. Le temps voulu pour l'enfantement de Marie s'accomplit; si grand que soit celui qu'elle engendre à la vie, rien n'est changé aux lois qui régissent la naissance des humains. Ainsi a dû naître celui quine devait point refuser de mourir pour nous délivrer. Le Christ vient au monde: comme Dieu, il est du Père; en tant qu'homme, il vient d'une mère. Engendré par le Père, il est la source de la vie; enfanté par Marie, il est le tombeau de la mort. En lui se rencontrent le Révélateur du Père et le Créateur de la mère, le Verbe né avant tous les temps, et l'homme né au temps opportun; le Créateur du soleil, et la créature formée sous le soleil; celui qui est de toute éternité avec le Père, et celui qui est né aujourd'hui de la mère; celui sans lequel le Père n'a jamais existé, et celui sans lequel la mère n'aurait jamais été mère. Celle qui a enfanté est en même temps mère et vierge; Celui qu'elle a enfanté est tout à la fois enfant et Verbe. Celui qui a fait l'homme s'est fait homme, il a été mis au monde par une mère qu'il avait lui-même créée, et il a sucé les mamelles qu'il avait lui-même remplies. Celui qui était Dieu est devenu homme, et, sans perdre ce qu'il était, il a voulu devenir sa propre créature. En effet, il a ajouté l'humanité à sa divinité; mais en devenant homme, il n'a point cessé d'être Dieu; pour s'être revêtu de membres humains, il n'a pas discontinué ses oeuvres divines, et quand il s'est enfermé dans le sein d'une Vierge, il ne s'y est pas emprisonné au point de soustraire aux anges la sagesse qui fait leur nourriture et de nous empêcher de goûter combien le Seigneur est doux. Ah! c'est à juste titre que les cieux ont parlé, que les Anges ont rendu grâces, que les bergers se sont réjouis, que les Mages sont devenus meilleurs, que les rois sont tombés dans le trouble, que les petits enfants ont été couronnés. O Mère, allaitez notre nourriture, allaitez le pain qui nous vient du haut des cieux, placez-le dans la crèche, comme s'il était destiné à être la pâture de pieux animaux. Allaitez celui qui vous a créée pour faire de vous sa mère, celui qui, avant de naître, a choisi le sein dans lequel il s'incarnerait et le jour où il viendrait au monde; celui, enfin, qui a créé ce qu'il destinait à devenir «le lit nuptial d'où, nouvel époux, il sortirait un jour (1)», pour embrasser l'Eglise, son épouse.

2. Voyez quels prodiges ont précédé la naissance du Sauveur! Longtemps auparavant les Prophètes annoncent que le Créateur du ciel et de la terre se fera adorer ici-bas; l'Ange fait savoir qu'on verra venir dans la chair celui qui a tiré la chair du néant; en. fermé dans le sein d'Elisabeth, Jean salue le Sauveur enfermé dans celui de Marie; le vieux Siméon reconnaît un Dieu dans un petit enfant, et la veuve Anne, une Vierge dans la personne de sa mère. Seigneur notre Dieu, voilà quels témoins ont affirmé votre naissance, avant que vous marchiez sur les eaux, que la tempête s'apaisât sur votre parole, qu'à votre prière un mort sortît vivant du tombeau, que le soleil s'obscurcît tout à coup au moment de votre mort, qu'à l'heure de votre résurrection la terre tremblât sur ses bases, et que le ciel s'ouvrît à celle de votre ascension. Enfin, les Mages, partis des extrémités de l'Orient, sous la conduite d'une étoile, afin d'apporter au Christ les prémices de la foi, ont traversé d'immenses étendues de pays, pour venir à la recherche du Roi, pour courber devant lui leurs fronts.

3. Mais, ô Mages, si vous avez regardé le Christ comme étant vraiment roi des Juifs, quel motif vous a portés à l'adorer de préférence aux autres? Depuis de longs siècles n'a-t-on pas vu naître un grand nombre de rois juifs? N'y a-t-il pas eu, parmi eux, l'illustre monarque David, et Salomon, le plus puissant de tous? Pourtant, vous n'êtes venus vous approcher ni de leur berceau, ni de leur trône. Ah, c'est qu'avant le Christ, le ciel n'a trahi la grandeur d'aucun d'entre eux t Mais, aujourd'hui, une étoile fait connaître le Roi des rois, et son Créateur: le ciel lui-même annonce qu'il est Dieu, et, d'après les signes qui s'y manifestent, il est impossible de révoquer en doute sa nature divine.

1. Ps 8,6

685




5031

TRENTE ET UNIÈME SERMON. POUR LA NATIVITÉ DU SAUVEUR. 11.

ANALYSE. - 1. La naissance du Christ, sujet d'une grande joie. - 2. Que le peuple manifeste son allégresse en s'acquittant de ses devoirs.

1. Tous les passages de l'Ecriture qu'on vient de nous lire, frères bien-aimés, doivent être pour chacun de nous un sujet d'allégresse: nous ne devons tous éprouver qu'un sentiment, celui de la joie. En effet, le Psalmiste dit: «Tressaillez de bonheur à la présente du Dieu qui est notre soutien (1)». L'Apôtre ajoute: «Réjouissez-vous sans cesse dans le Seigneur (2)». «Je vous annonce», continue l'Evangéliste, «je vous annonce le sujet d'une grande joie (3)». O l'heureux jour que celui-ci, puisque, d'après le témoignage des Ecritures, nous y célébrons la naissance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de concert avec le Psalmiste et l'Evangéliste, avec les Prophètes et les Apôtres.

2. Oui, elle est grande, en ce jour, la joie

1. Ps 80,13 - 2. Ph 4,4 - 3. Lc 2,10

des chrétiens, cette joie dont les saintes Ecritures lui ont donné l'exemple. Oui, notre allégresse est sans bornes, puisque dans l'ivresse de son bonheur le peuple a fait son devoir. Quelle serait la sainteté des membres de cette Eglise, s'ils accomplissaient toujours la volonté du Christ! Je vous le demande donc instamment, mes très-chers frères, remplissez toujours les devoirs que le Seigneur vous impose; ainsi mériterez-vous de vous réjouir éternellement les uns avec les autres. Le bonheur que nous éprouvons aujourd'hui à célébrer la naissance du Sauveur est, en effet, le prélude du bonheur que le serviteur fidèle de Notre-Seigneur Jésus-Christ en ce monde goûtera dans le ciel, à y célébrer avec les anges les solennités à venir de l'éternité.




5032

TRENTE-DEUXIÈME SERMON. POUR LA NATIVITÉ DU SAUVEUR. XII.

ANALYSE. - 1. Le Christ s'est incarné pour triompher du diable. - 2. Que de merveilles à admirer dans la naissance du Sauveur! - 3. Marie mère et vierge.

1. Frères bien-aimés, c'est aujourd'hui le jour où le Christ a pris notre humanité dans le sein d'une Vierge. Il a voulu s'humilier jusqu'à se revêtir de notre pauvre nature pour délivrer nos âmes de leurs péchés. Par sa prévarication, le premier homme avait (686) déçu le monde entier; il n'y avait plus, dès lors, de remèdes à nos maux et de salut pour nous, que si le Christ descendait du ciel. Pour le serpent, il se réjouissait, dans l'excès de sa méchanceté, d'avoir inoculé son venin à l'homme nouvellement créé. Mais le Christ est descendu dans le sein d'une Vierge, afin d'y prendre un corps d'homme qui serait attaché à la croix, et dont la mort porterait le coup fatal à l'antique serpent. Le diable avait employé une ruse infernale: c'était de parler à la femme par l'entremise d'un serpent, et de déguiser ainsi sa propre personne. Efforts inutiles! Le Christ est descendu des cieux, le Fils de Dieu lui-même a pris un corps d'homme, et, en se montrant au démon sous l'apparence d'un homme, il lui a tendu un piège mortel. Ainsi, en effet, le tentateur a-t-il cru n'avoir affaire qu'à un homme, et a-t-il complètement méconnu le Seigneur. Il voyait bien un homme devant lui, mais il était loin d'imaginer que ce fût le souverain Maître. La faiblesse s'étalait à ses regards, mais la divinité se dérobait à ses yeux; aussi demeura-t-il tout confus, lorsque dans l'homme se montra le Dieu.

2. Le Christ est donc descendu ici-bas, envoyé par Dieu son Père; toutefois, il ne s'en est jamais séparé: il était sur la terre, sans avoir un seul instant quitté le ciel. Il a lui-même dit à ce sujet: «Personne n'est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l'homme, qui est au ciel (1)». Sur la terre, il parlait aux hommes en tant qu'homme, et il déclarait être au ciel en tant que Dieu. En lui, néanmoins, la divinité n'a subi aucun amoindrissement de ce qu'il s'est revêtu de notre infirmité: il a pris ce qu'il n'était pas, et il reste ce qu'il était dès le commencement, c'est-à-dire Dieu. Pour s'être fait homme, il a travaillé à notre avantage,

1. Jn 3,13

mais non à son détriment; il est demeuré l'égal du Père, tout en anéantissant la plénitude de sa divinité et en prenant la forme d'esclave.

3. Seule parmi toutes les personnes de son sexe, une Vierge a paru, qui a eu le singulier mérite de concevoir dans ses entrailles le Fils de Dieu, et de posséder sa virginité entièrement intacte, même après l'avoir enfanté. «Je vous salue, Marie», lui dit l'Ange; «vous êtes pleine de grâce; le Seigneur est avec vous; vous êtes bénie entre toutes les femmes (1)». Car «voilà que vous concevrez et enfanterez un fils, et vous lui donnerez le nom de Jésus (2)». «Il délivrera son peuple de ses péchés (3)». Vous garderez tous les droits de la virginité, vous aurez un fils et vous ne perdrez pas le titre de vierge; car la puissance divine est si grande, qu'elle donne la fécondité à la mère et conserve à la Vierge son intégrité, «Vous êtes bénie entre toutes les femmes», parce que vous concevrez du Saint-Esprit, et en cela agira, non pas un époux charnel, mais la grâce divine. L'enfant que vous allaiterez sera votre propre créateur. Vous, que Dieu nourrit de ses largesses, vous lui donnerez vos mamelles à sucer; vous envelopperez de langes celui qui vous a accordé le vêtement de l'immortalité; vous placerez dans une crèche le corps enfantin de celui qui vous a préparé une table céleste. Tous les soins qu'une femme doit à son nourrisson, vous les prodiguerez à celui qui vous a promis la faveur de posséder surabondamment les biens réservés par lui à ses saints. Que dire de plus? O Vierge, réjouissez-vous de ces magnifiques promesses! Alors s'éloigna le messager d'en haut: alors vint prendre possession du sein de Marie le Dieu qui vit et règne, avec le Père et l'Esprit-Saint, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

1. Lc 1,28 - 2. Lc 1,31 - 3. Mt 1,21




5033

TRENTE-TROISIÈME SERMON. POUR LA NATIVITÉ DU SAUVEUR. XIII.

ANALYSE. - 1. Un aliment spirituel est indispensable à notre âme pour acquérir la vie éternelle: c'est pour nous la procurer que Dieu nous a donné la loi et les Prophètes, et que le Christ s'est fait homme. - 2. Combien la venue du Christ était nécessaire à la délivrance de l'homme. - 3. En s'incarnant, le Christ nous a apporté le salut. - 4. Ce n'est pas sans un admirable mystère que nous connaissons la venue du Christ en ce monde.- 5. Réfutation des objections faites par les infidèles contre l'incarnation de Dieu.

1. Mes très-chers frères, c'est avec raison et pour notre plus grand bien qu'on nous fait lecture des paroles divines, car elles sont l'aliment de notre âme. «Car l'homme chrétien ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu (1)». Comme nous avons, chaque jour, besoin d'aliments matériels pour sustenter la vie de notre corps, ainsi nous faut-il une nourriture spirituelle pour parvenir à la vie éternelle. En effet, si tant de personnes affectionnent cette vie terrestre en dépit des dangers et des peines dont elle se trouve comme hérissée, combien plus vivement doit-on aimer la vie céleste et sans fin que nous partagerons plus tard avec les anges; car le Sauveur a dit: «A la résurrection des morts, ils ne se marieront pas et ne prendront pas de femmes, mais ils seront semblables aux anges (1)?» C'est en vue de cette vie éternelle due Dieu a donné sa loi et choisi les Patriarches, que les prêtres et les lévites ont reçu l'onction du chrême, que les Prophètes sont venus, que les anges ont été envoyés, qu'enfin le Seigneur, Fils de Dieu, est lui-même descendu des cieux sur la terre et a rétabli en nous son image. De là nous devons conclure quelle impérieuse nécessité il y avait pour nous que la souveraine Majesté se revêtît de notre chair mortelle.

2. Pouvait-il y avoir pour cela un motif plus pressant que celui de notre mort éternelle? Pouvions-nous éprouver un châtiment plus cruel, que la servitude du péché? Quel

1. Mt 4,4 - 2. Lc 20,35

supplice plus insupportable que notre captivité éternelle? Nous portions les entraves de la mort, nous étions plongés dans l'esclavage et la sujétion la plus dure. Où se trouve la preuve de notre mort éternelle? Dans les paroles de l'Apôtre; écoute-le: «Depuis Adam jusqu'à Moïse, la mort a régné sur ceux-là mêmes qui n'avaient point péché (1)». Par quel moyen établir la preuve de notre captivité? Par les plaintes des martyrs, qui s'exhalent jusque dans les psaumes: «Seigneur, comme le vent du midi rompt les glaces des torrents, ainsi brisez nos fers (2)». La captivité imposée par des ennemis barbares est, certes, bien cruelle, bien féconde en amertumes! Et, pourtant, on peut s'y soustraire par la fuite, s'y dérober par une somme d'argent; en tout cas, la mort lui sert de terme. S'il en est ainsi d'elle, que sera-ce de la captivité éternelle, qui ne finira point par la mort, mais qui, au contraire, sera, dans les abîmes éternels, la source d'intolérables douleurs?

3. Donc, mes frères, des motifs impérieux de tous genres exigeaient que Notre-Seigneur Jésus-Christ vînt dans le temps sur la terre. Aussi, en se revêtant de notre humanité, nous a-t-il arrachés à la mort pour nous rendre à la vie; il nous a délivrés de la servitude et nous a rendu la liberté; il â brisé les chaînes par lesquelles les démons nous retenaient captifs, et nous sommes rentrés en possession de l'adoption des enfants; car, a dit le Prophète, «il est monté au plus haut des cieux,

1. Rm 5,14 - 2. Ps 125,4

688

traînant après lui de nombreux captifs; il a répandu ses dons sur les hommes (1)». Le Seigneur Christ est donc venu, à proprement parler, pour opérer notre délivrance. Ce n'est ni un prince, ni un député, ni un ange qui nous sauvera; ce sera le Seigneur lui-même par sa venue.

4. Etonnante merveille, mes frères! Le Christ est venu en ce monde, et, pourtant, il était dans le monde dès le commencement, il y est encore, et il y reviendra un jour. Qu'il soit venu dans le monde, c'est un fait attesté par l'Apôtre en ce passage: «C'est une vérité certaine et digne d'être reçue avec une entière soumission, que Jésus-Christ est venu en ce monde pour sauver les pécheurs, parmi lesquels je suis le premier (2)». Qu'il ait été dans le monde, l'Evangéliste l'affirme: «Il était dans le monde, et le monde a été fait par lui, et le monde ne l'a pas connu (3)». Il est encore maintenant avec nous dans le monde, car il a dit à ses Apôtres: «Allez, instruisez toutes les nations; baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit; voici que je suis avec vous, tous les jours, jusqu'à la consommation des siècles (4)». Quant à sa venue future, l'Ange en parle ainsi aux Apôtres: «Comme vous voyez le Christ monter au ciel, ainsi l'en verrez-vous revenir (5)». Précédemment déjà, le Prophète l'avait annoncé: «Il viendra manifestement, notre Dieu, et il ne se taira plus (6)». Aussi, parce que le Seigneur Christ «était dans le monde, le monde», c'est-à-dire, le genre humain, «ne l'a point connu (7)». Et chose surprenante! il ne le croyait pas invisible. Grand mystère! Etonnante merveille! Par cela même que le Créateur du monde a voulu devenir une des créatures qui peuplent le monde, il a effacé les péchés du monde, suivant cette parole de l'Evangile: «Voilà l'Agneau de Dieu, voilà celui qui efface les péchés du monde (8)».

5. Mes frères, nous croyons que le premier avènement du Seigneur Christ a déjà eu lieu, et nous lui en témoignons notre reconnaissance par notre adhésion à cette vérité; mais

1. Ps 67,19 Ep 4,8 - 2. 1Tm 1,15 - 3. Jn 1,10 - 4. Mt 28,19-20 - 5. Ac 1,11 - 6. Ps 49,3 - 7. Jn 1,10 - 8. Jn 1,29

il nous revient de tous côtés des objections faites par les Juifs endurcis, par les païens et les manichéens. - Qu'est-ce donc que sou. tiennent les chrétiens, s'écrient-ils? Ils disent que le Dieu de gloire est venu en ce monde pour sauver le genre humain? Pourquoi le prétendre? N'y avait-il dans le ciel personne que Dieu pût envoyer à sa place? N'avait-il pas à sa disposition un ange ou un autre représentant? N'a-t-il pas, en effet, choisi Moïse et Aaron pour délivrer le peuple d'Israël de la captivité d'Egypte? D'ailleurs, s'il a voulu venir en ce monde, pourquoi se servir de l'intermédiaire d'une femme? Pourquoi passer par les membres obscènes d'une créature? - Voici notre réponse. Nous disons: Dieu pouvait nous délivrer d'une autre manière, parce qu'il est tout-puissant. Mais il ne nous suffisait pas qu'en Dieu se trouvât seulement la puissance, il fallait aussi qu'à la puissance se joignît la justice. La puissance se manifeste dans l'action, et la justice dans la raison. Or, la raison exigeait que l'homme eût pour rédempteur le Créateur même du genre humain; car nous lisons, dans la sainte Ecriture, que Dieu le Père a dit à son Fils: «Faisons l'homme «à notre image et à notre ressemblance (1)». Quant à la difficulté qu'ils tirent du passage du Christ par des membres soi-disant obscènes, rien de plus facile que d'en triompher. Je ne vois aucune obscénité là où se rencontre l'intégrité virginale; on ne peut dire qu'il y ait des taches là où la nature a conservé une pureté parfaite. Les rayons du soleil traversent les marais et la fange, sans contracter aucune souillure, bien qu'ils soient corporels, puisqu'ils sont un composé de lumière et de chaleur; à bien plus forte raison la divinité incorporelle du Christ n'a-t-elle pu se salir en s'incarnant dans le sein d'une Vierge. Une Vierge a conçu, une Vierge a enfanté, et elle est demeurée vierge. Ce qu'Eve nous avait fait perdre, la Vierge Marie nous l'a rendu. La vierge Eve nous avait donné la mort, la Vierge Marie nous a donné notre Sauveur. La saine et droite raison a donc voulu que le nouvel Adam fût sauvé par les mêmes voie; que celles par lesquelles le premier homme avait péri.

1. Gn 1,26

689




5034

TRENTE-QUATRIÈME SERMON. POUR LA NATIVITÉ DU SAUVEUR. XIV.

ANALYSE. - 1. La naissance du Christ n'a rien de charnel, puisqu'il est le Verbe de Dieu. - 2. Marie saluée par l'ange. - 3. Miraculeuse conception du Christ; merveilleuse naissance du Sauveur; les anges l'annoncent aux pasteurs. - 4. Ce que nous ont valu le premier et le second Adam, la première et la seconde Eve.

1. D'après les ordres de celui qui vient de naître, ma langue audacieuse voudrait parler de la conception et de la naissance virginale de l'éternelle Divinité; mais mon esprit se trouble et ne peut que s'épouvanter en face d'une pareille tâche. Pourrait-on, en effet, n'éprouver aucune terreur quand il s'agit de ra. conter des merveilles? Je tremble donc, et avec raison, car celui dont je vais parler est présent devant moi. Personne d'entre vous, mes bien-aimés, ne doit s'imaginer que Notre, Seigneur et Sauveur ait commencé d'exister au moment de sa naissance charnelle; car il a toujours été dans le Père, selon ce témoignage de l'Evangile: «Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement avec Dieu. Toutes choses ont été faites par lui (1)». Remarque attentivement et vois qui est celui qui était, où il était, quel il était, comment il était, ce qu'il faisait. «Au commencement était le Verbe». D'après ces paroles, tu sais qui est-ce qui était. Ecoute maintenant, voici où il était: «Et le Verbe était en Dieu». Puisque tu as appris où il était, sache quel il était: «Et le Verbe était Dieu»; et où il était: «Il était au commencement avec Dieu»; et ce qu'il faisait: «Toutes choses ont été faites par lui»; où il est venu: «Il est venu chez lui»; pourquoi il est venu: Jean va nous l'apprendre: «Voici l'Agneau de Dieu, voici celui qui ôte les péchés du monde (2)».

2. «Au commencement donc était le Verbe, etc…» Si toutes choses ont été faites par le principe..... Les anges chantent donc, pour

1. Jn 1,1-3 - 2. Jn 1,29

l'annoncer, la naissance du Dieu éternel. Marie était Vierge avant d'enfanter, elle reste Vierge après l'enfantement, et ses entrailles seront la demeure où Dieu viendra se reposer en attendant qu'elle lui donne le jour. Voyez quel enfantement a annoncé l'ange Gabriel, à qui la parole d'en haut seule a donné un corps; car il est écrit: L'Ange s'approcha de Marie et la salua en lui disant: «Le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes les femmes, et le fruit de vos entrailles est béni (1)». O virginité digne de tous nos hommages! O humilité digne d'être publiée partout! L'Ange appelle Marie la Mère du Seigneur, et Marie s'en dit hautement la servante. Admirable prévoyance de Dieu 1 Marie n'a point su d'avance sa maternité future, parce que, dans sa simplicité virginale, elle eût refusé même l'honneur de concevoir. Gabriel s'approche d'elle, apportant avec lui le messager de Dieu et Dieu lui-même; il annonce à la jeune Vierge un mystère bien Papable de la jeter dans l'épouvante; il lui annonce la visite du Dieu qui doit passer par elle. Marie est là, saisie de frayeur; à la parole insinuante de l'Ange elle ne répond rien, tant son âme est troublée l Sa pudeur virginale paralyse son coeur; toutes ses entrailles frémissent sous l'impression de la crainte, et elle déclare en tremblant tout ce qu'elle redoute. C'était à bon droit que le frisson de la peur avait saisi la partie de son corps destinée à devenir l'asile de la Divinité. On ne saurait qu'innocenter le pudique effroi causé en elle par la crainte de Dieu et de l'enfantement; aussi, comme le saint Ange savait que cette âme de

1. Lc 1,28

690

femme allait se troubler soit en le voyant s'approcher d'elle, soit en entendant son message, il s'adresse à ce coeur de jeune fille en commençant par lui parler de bénédiction, afin qu'elle se réjouisse de se voir plus privilégiée que son premier père. O double fruit d'une bénédiction! Le Seigneur fait tout à la fois bénir et instruire sa mère.

3. A peine l'Ange lui a-t-il annoncé son enfantement, que les membres destinés au Verbe sont conçus en elle et commencent à se former. Dieu se renferme dans le sein d'une femme; celui pour qui le monde est peu de chose se trouve porté dans les entrailles d'une Vierge; et, renfermé dans les étroites limites d'un corps humain, la Grandeur divine s'incarne pour nous sauver! Les entrailles fécondées de Marie se dilatent sous l'action du Verbe, et quand le nombre des mois est arrivé à son terme, elles mettent au jour l'homme céleste. A ce moment les anges publient, par leurs cantiques, la naissance du Sauveur. Or, en la même contrée, il y avait des bergers qui gardaient leurs troupeaux durant les veilles de la nuit. Le Christ vient au monde; les pasteurs ont commencé à veiller. La nuit, c'est le monde; la lumière, c'est le Christ; les pasteurs, ce sont les prêtres. L'Ange dit aux bergers: «Ne craignez point, car je vous annonce une nouvelle qui sera pour tout le monde le sujet d'une grande joie: c'est qu'il vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur (1)». C'est avec juste raison que la naissance du Christ est annoncée aux pasteurs, car les pasteurs doivent l'intimer aux incrédules. Heureuse fécondité d'une Mère 1 Elle donne, pour nous, le jour à un Dieu fait homme. Heureuse virginité d'une Mère qui a su adorer son céleste Fils avant de le nourrir! Nous aussi, adorons en ce nouveau-né notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ.

4. Ecoutez, frères bien-aimés, si cela est possible, le mystère de la loi. Le premier Adam venait de la terre et du ciel; le second venait du ciel et de la terre. Celui-ci venait du ciel et de la terre, parce qu'il était de Dieu et de Marie; celui-là venait de la terre et du ciel, car il était un composé de terre et d'esprit. La mère de l'un et de l'autre était Vierge, et leur naissance n'était le fruit d'aucun commerce charnel; Marie ne connaissait pas la

1. Lc 2,10-11

corruption, la terre était intacte, car ni semence, ni soc de charrue, ni pluie ne l'avait encore touchée. Le premier Adam nous a ôté la vie; avec elle, le second nous a donné la grâce. Les conseils d'une Vierge ont causé la chute du premier; par l'enfantement d'une Vierge, le second a relevé les ruines qu'Eve avait faites. L'un a péché et nous a fait punir de mort; le second a souffert et nous obtenu notre pardon. En raison de sa faute, le premier s'est vu chassé du Paradis; à cause de sa bonté, le second a été attaché au bois de la croix. Donc, le mal s'est fait par une femme, mais une femme a bien plus puissamment opéré le bien. En effet, si nous sommes tombés par le fait d'Eve, c'est Marie qui nous a remis sur nos pieds; si l'une nous a jetés par terre, l'autre nous a relevés; si la première nous a condamnés à la servitude, la seconde a brisé nos chaînes; celle-là nous a empêchés de vivre longtemps, celle-ci nous a rendu la vie éternelle. Entre les mains d'Eve le fruit de l'arbre a été la cause de notre condamnation; Marie nous a absous par le fruit de l'arbre, car le Christ a été pendu à la croix comme un fruit. C'est donc un arbre qui nous a donné le coup de mort, et c'est un arbre qui nous a rendu la vie. L'arbre du péché a allumé en nous le feu des passions; l'arbre de la science nous a procuré un vêtement qui calme notre ardeur pour le mal. Un arbre nous a réduits à la nudité; un arbre nous a donné ses feuilles pour nous couvrir d'indulgence. L'arbre de l'ignorance nous a produit des ronces et des épines; l'arbre de la sagesse a été pour nous la source de l'espérance et du salut. Un arbre nous a apporté le travail et les sueurs; un arbre nous a procuré le repos et la paix. Un arbre a ouvert les yeux du corps; un autre les yeux du coeur. L'arbre du monde nous a inoculé l'astuce; l'arbre de Dieu nous a enseigné la prudence. Un arbre nous a montré le mal; un arbre nous a fait voir le bien. Mais je veux remonter au jour de la prévarication, et, avec la permission de Dieu, vous dire ce qu'il m'inspirera. Si Adam n'était point tombé corporellement, le Christ n'aurait pas eu à nous ressusciter spirituellement en cette vie. Je l'ai déjà dit: O profondeur insondable des secrets éternels! O plan divin, caché à ceux qui n'ont pas la foi, et rayonnant de clarté pour ceux qui croient! L'Immortel crée une mortelle, (691) et une mortelle donne le jour à l'Immortel. Celui qui n'a pas de corps se renferme en terre, et celui qui a un corps devient habitant des cieux. Dieu se fait homme et il se relève. Le genre humain tout entier est souillé par Eve, et Marie le purifie. Eve est donc bienheureuse, puisqu'elle a donné l'occasion de tant de merveilles; mais bien plus heureuse est Marie, car elle nous a guéris de tous nos maux! Heureuse Eve! elle est devenue la mère du genre humain! bien plus heureuse est Marie! elle a mis au monde le Christ. L'une est donc préférable à l'autre, mais toutes deux méritent nos louanges. En effet, si Eve, de qui descendait Marie, n'avait d'abord failli, le Christ n'aurait point rendu Marie heureuse; et il ne se serait point abaissé jusqu'à nous, si Eve n'avait d'abord prévariqué ici-bas. L'une s'appelle la mère des hommes, l'autre la mère de la grâce; l'une nous a formés, l'autre nous a fortifiés; par Eve, nous grandissons, nous régnons par Marie. Celle-là nous a jetés à terre, celle-ci nous a élevés jusqu'au ciel. En deux mots, voici tout le mystère de la loi: Eve et Marie conspirent toutes deux au même but, comme tous les hommes s'en sont écartés. En Eve se trouvait originairement Marie, et c'est par Marie qu'Eve a été plus tard réhabilitée.





QUATRIEME SUPPLEMENT, DEUXIÈME SECTION. SERMONS 35-62 SUR LES FÊTES DE L'ANNÉE. (II)





5035

TRENTE-CINQUIÈME SERMON. UNITÉ DANS LA TRINITÉ, ET INCARNATION DU SEIGNEUR.

ANALYSE. - 1. L'orateur pria le Christ de nous enseigner ce qu'il est. - 2. Que le Christ soit Dieu; c'est un point de foi prouvé par ses propres paroles. - 3. parle témoignage du divin Paul. - 4. par celui de saint Pierre. - 5. par les paroles de saint Jean. - 6. par le témoignage que le Père a rendu du Fils. - 7. La Trinité est un seul Dieu. - 8. Réfutation de l'hérésie. La verge du pasteur. - 9. Nous devons tous imiter les exemples des saints.

1. Venez, Seigneur Jésus-Christ, notre Sauveur, qui partagez à degré égal, avec le Père, la souveraine puissance; venez et écrasez la tête du grand dragon, et dites-nous ce que vous êtes; car Arius nous enseigne autre chose que ce que vous êtes. Parlez; oui, parlez, nous voulons entendre de votre bouche ce qui doit nous aider à confondre les hérétiques.

2. Ecoutez, frères bien-aimés, ce que dit le Sauveur: a Je suis la voie, la vérité et la vie; a personne ne vient au Père si ce n'est par a moi (1)». En tant que Dieu, il est la vérité et la vie; en tant qu'homme, il est la voie. Et toi, hérétique Arien, tu prétends que la vérité et la vie sont moindres que la divinité; aussi, et par une conséquence naturelle, tu ne pourras jamais arriver jusqu'au Père. Mais, Seigneur Jésus, continuez à écraser la

1. Jn 14,6

tête du dragon: dites-nous ce que vous êtes avec le Père; nous voulons entendre vos leçons et non les blasphèmes de l'hérésie. Dites-nous qui vous êtes avec le Père: «Le et Père et moi, nous sommes un (1)». Dites encore: «Je suis dans le Père, et le Père est en moi (2)». Puis: «Celui qui me voit, voit aussi mon Père (2)».

3. O hérétique, crois-tu déjà à une pareille autorité? ou bien n'admets-tu pas le témoignage que le Sauveur lui-même rend de sa propre personne? Tu veux d'autres témoins: eh bien! nous allons en citer contre toi, qui te convaincront d'erreur. Nous vous appelons comme témoin, seigneur Paul, vous qui avez résisté jusqu'au sang pour rendre ce témoignage, vous qui avez mieux aimé mourir que de céder à une fausse doctrine; parlez donc, oui, parlez, afin que celui qui redoute

1. Jn 10,30 - 2. Jn 14,10-11 - 3. Jn 14,9

692

d'être convaincu vous entende: «Que chacun de vous soit dans la disposition où a été Jésus-Christ; lui qui, ayant la nature de Dieu, n'a point cru que ce fût pour lui une usurpation de s'égaler à Dieu (1)». Voilà bien: «Egal à Dieu. Nature de Dieu». Et tu oses dire le Fils de Dieu inférieur à son Père!

4. Faisons venir un autre témoin, et que par deux ou trois témoins se confirme l'exacte vérité. Vous aussi, saint Pierre, prenez la parole: dites-nous «ce qui vous a été révélé, non par la chair et le sang, mais par le Père céleste (2)». «Vous êtes le Fils du Dieu vivant (3)». Il ajoute, dans sa seconde Epître aux Gentils: «Nous vous avons fait connaître la puissance, la prescience et la grandeur de Notre Seigneur Jésus-Christ (4)». Hérétique, où vois-tu que le Christ ne soit pas aussi grand que le Père?

5. Mais voici un troisième témoin: avec les deux autres, il rendra un même et véridique témoignage à la Trinité dans l'Unité, et à l'Unité dans la Trinité. Saint Jean, parlez à votre tour: vous avez reposé sur le coeur de Jésus, et par-dessus toutes les merveilles célestes vous avez aperçu le Verbe de Dieu. Dites-nous ce que vous avez alors appris du Fils de Dieu. Dites-nous ce qu'il est: «Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était, Dieu (5)». Dans son Epître, nous lisons ces autres paroles: «Nous savons que le Fils de Dieu est venu, et qu'il nous a donné l'intelligence, afin que nous connaissions le vrai Dieu et que nous vivions en son vrai Fils. C'est lui qui est le vrai Dieu et la vie éternelle (6)». Puisque tu dis moindre le Fils qui est «le vrai Dieu», tu n'auras pas la vie éternelle.

6. Mais, pour achever de confondre ton opiniâtreté, le Père va lui-même rendre témoignage à son Fils: après cela, tu n'auras plus rien à chercher, tu n'auras plus autre chose à croire. Il dit donc par la bouche du Prophète: «Le principe sera avec vous au jour de votre puissance (7)». Le Père est principe et aussi le Fils. Le Père et le Fils sont donc principe, sans commencement aucun. «Le principe sera avec vous au jour de votre puissance dans les splendeurs des saints: «je vous ai engendré avant l'aurore (8)». C'était dire, en d'autres termes: Vous êtes sorti de

1. Ph 2,6 - 2. Mt 16,17 - 3. Mt 16,16 - 4. 2P 1,16 - 5. Jn 1,1 - 6. Jn 5,20 - 7. Ps 109,3 - 8. Ps 109,3

moi, pour éclairer les saints. Mes très-chers frères, si les noms du Père, du Fils et du Saint-Esprit semblent eux-mêmes tout distincts l'un de l'autre, je n'en vois pas d'autre motif que celui-ci: instruire les hommes justes. Au reste, quel langage la substance même de la Trinité a-t-elle tenu à Moïse? «Je suis celui qui suis; et voici ce que tu diras: Celui qui est m'a envoyé (1)». Le Fils a donc été engendré du Père dans les splendeurs des saints; mais pour que tu n'attaches à cette génération aucune idée de matière ou de temps, écoute. Voici la manière dont le Père a engendré le Fils: «De mon coeur s'est échappée une bonne parole (2)». Que dit maintenant le témoin Jean? «Au commencement était la Parole». De son côté, Dieu le Père a dit: «De mon coeur s'est échappée une bonne parole». Puis Habacuc ajoute: «Le Verbe a marché (3)», c'est-à-dire, la Parole, et, «au commencement elle était en Dieu, et la Parole était Dieu». J'entends la Trinité crier contre toi par la voix du monde entier; et toi, Arien, semblable à un chien enragé, tu aboies contre tout le monde?

7. Mais voici qui va te prouver, d'une manière encore plus convaincante, que la Trinité est un seul Dieu. Voici ce que le Père dit au Fils par l'entremise du Prophète: «Je vous ai engendré dans la splendeur des saints». Il ajoute par l'organe d'Isaïe, au sujet du Saint-Esprit: «L'Esprit est sorti de moi (4)». A son tour, le Fils parle dans l'Evangile, il montre que le Père est en lui, et qu'il est dans le Père: a Mon Père, qui demeure en moi, fait les oeuvres que je faisan. Il s'exprime aussi au sujet de l'Esprit-Saint, et il fait voir que cet Esprit procède de lui comme du Père. Ne dit-il pas, en effet, à ses disciples: «Recevez le Saint-Esprit; si vous remettez à quelqu'un ses péchés, ils lui seront remis (5)?». Voilà pourquoi l'apôtre Paul a prononcé ces paroles: «Celui qui n'a pas l'Esprit de Jésus-Christ n'est point à lui (6)». Si donc le Fils est dans le Père, et du Père; si le Saint-Esprit est en même temps dans le Fils et dans le Père, il n'y a pas différentes parties dans la Trinité, puisqu'il y a là Unité parfaite, et, puisque la Trinité est un seul Dieu, que l'Arien s'en aille, il est convaincu d'erreur.

1. Ex 3,14 - 2. Ps 44,2 - 3. Ha 3,3 - 4. Is 7,16 - 5. Jn 15,10 - 6. Jn 15,10 - 7. Rm 8,9

693

8. Mais, hérésie perverse, quand mes paroles te seront-elles profitables? N'es-tu pas «l'aspic qui n'entend rien, qui se bouche les oreilles pour ne pas ouïr la voix de l'enchanteur (1)?» Sache, néanmoins, que tu seras dévoré, par la verge du serpent (2), lorsque les brebis que tu retiens captives auront été conduites par le pasteur, dans son bercail, afin qu'il n'y ait plus qu' «un seul troupeau et un seul pasteur (3)». Mes bien-aimés, notre pasteur, qui fait paître et conduit avec une verge de fer (4), est, en même temps, notre pasteur, notre gouverneur, notre créateur et notre architecte. Seigneur Jésus, je vois en vous un pasteur admirable: vous faites paître vos brebis, vous courez à la recherche de celle qui s'égare, et quand vous l'avez retrouvée, vous la rapportez tout joyeux sur vos épaules, jusqu'à la bergerie. J'aperçois en vous un architecte vraiment grand: vous portez la verge, et avec elle vous opérez une foule de prodiges. J'ai peur, mes frères, je tremble de vous parler de la verge; mais, en consultant les divers passages de nos livres saints, je vois que Marie est une verge, que le Christ en est encore une, comme aussi la croix; avec cette verge de la croix, le divin Architecte, qui fait de si grandes et si admirables merveilles, a fait l'instrument de son supplice et les échelles célestes par lesquelles il a élevé jusqu'à son Père l'homme tombé. Tous les saints, et ceux qui ont vécu dans la continence, et ceux qui ont vécu dans l'état du mariage, tous les fidèles ont gagné le paradis au moyen de ces échelles; ils les ont gravies, non comme on gravit une échelle ordinaire, mais par la sainteté de leurs moeurs.

9. Que les bonnes moeurs s'implantent donc parmi nous, qu'on les rencontre en nous tous. Dans la foule des saints, chaque sexe et tous les âges peuvent trouver des exemples à imiter. Le modèle des vieillards, c'est Tobie malgré la cécité corporelle dont il était affligé, il montrait à son fils le chemin qui conduit à

1. Ps 57,5 - 2. Ex 7,12 - 3. Jn 11,26 - 4. Ps 2,9

la vie; il voyait des yeux de l'âme. Le fils donnait la main à son père et dirigeait ses pas à travers les écueils des chemins d'ici-bas, et le père, avec ses bons conseils, dirigeait son fils dans le sentier du ciel. Les jeunes gens ont sous les yeux les exemples de Joseph: c'était un saint de formes élégantes, mais plus remarquable encore par les qualités de l'esprit et du coeur; sa chasteté était à tel point inébranlable, que ni les menaces de sa maîtresse, ni les suggestions de cette femme impudique ne purent faire aucune impression sur son corps, parce que Dieu était déjà le maître de son âme. Les vierges qui vivent saintement n'ont-elles point pour modèle Marie, la bienheureuse Mère de leur Sauveur? Et les veuves, la religieuse Anne? et les femmes mariées, la chaste Suzanne? En effet, la vierge Marie, Mère du Christ, a parfaitement accompli les devoirs que le Seigneur lui avait imposés; la veuve Anne a persévéré jusqu'à la fin dans les exercices de la prière et la pratique du jeûne; Suzanne s'est exposée même au danger de mourir pour conserver sa pudeur con. jugale. Epouses, remarquez bien quel exemple la sainte Ecriture offre à votre imitation dans la personne de cette femme émérite. Elle ne vous dit point que Suzanne ait porté des pierreries, des colliers et des bracelets, de riches vêtements: c'étaient là des ornements extérieurs bien moins précieux que la pudique innocence qui embellissait son âme. Dieu a donné la vie à tous ceux qu'il a doués de bonnes moeurs. Et le motif pour lequel il a daigné se faire homme et naître d'une femme, c'est qu'il a voulu sauver les créatures des deux sexes. - Nous vous avons parlé longuement, frères bien-aimés, il y a eu de votre côté une attention singulièrement soutenue; vous avez pris une large part à ce festin dominical que je vous ai servi: rendez-moi la pareille, non par vos instructions, mais par vos prières: ainsi pourrai-je moi-même prendre mon repas.

694





Augustin, Sermons 5030